CA Versailles, 3e ch., 29 mars 2018, n° 16-00456
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
BMW France (Sté)
Défendeur :
Devin, Soravia (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mmes Bazet, Derniaux
Avocats :
Mes Porcherot, Bocquet, Serreuille, Hongre-Boyeldieu, Haigar
FAITS ET PROCEDURE
Le 5 avril 2006, Mme Devin a acquis auprès d'un concessionnaire de la marque BMW, la société Soravia exerçant sous le nom commercial Pajean, un véhicule de cette marque, moyennant le prix de 43 475,11 euros.
Le 5 mai 2012, après avoir procédé au plein du réservoir d'essence, Mme Devin a déploré une avarie sur son véhicule : une épaisse fumée blanche s'est dégagée du bloc moteur, a envahi l'intérieur, et le moteur s'est brusquement arrêté de tourner.
Mme Devin a mandaté la société Apex aux fins de procéder à une expertise du véhicule.
Les premières constatations de l'expert faisant état d'une perforation du pot catalytique, de gaz d'échappements brûlants qui s'en étaient échappés, provoquant la fusion d'une partie de la tôle de la boîte de vitesses, il décidait de provoquer une nouvelle réunion d'expertise au contradictoire de la société Soravia. Le représentant de la société BMW France a refusé de participer aux opérations au motif que le véhicule n'était plus sous garantie contractuelle et présentait plus de 124 000 kilomètres au compteur.
Le 1er octobre 2012, la société Apex, tout en notant que le frottement du catalyseur d'échappement sur le bloc moteur ayant conduit à la perforation de la paroi du catalyseur n'était pas une situation normale quels que soient l'âge et le kilométrage du véhicule, concluait que la cause à l'origine du sinistre ne pourrait être déterminée qu'après des investigations plus approfondies qu'elle n'était pas en mesure de conduire en phase amiable faute de participation de la société BMW France.
Mme Devin a alors saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris qui a désigné M. Le Corre en qualité d'expert, lequel déposait son rapport le 22 octobre 2013.
Par acte du 11 mars 2014, Mme Devin a assigné les sociétés Soravia et BMW France en garantie des vices cachés devant le Tribunal de grande instance de Versailles.
Par jugement du 12 janvier 2016, le tribunal a :
- dit que le véhicule est affecté d'un vice caché,
- condamné la société Soravia à verser à Mme Devin la somme de 43 475,11 euros au titre de la restitution du prix de vente,
- dit que Mme Devin devra restituer le véhicule à la société Soravia aux frais de cette dernière,
- condamné la société BMW France à garantir la société Soravia de la condamnation prononcée contre cette dernière au titre de la restitution du prix de vente, dans la limite du prix que la société BMW France a elle-même perçu,
- condamné in solidum les sociétés Soravia et BMW France à payer à Mme Devin les sommes suivantes :
en réparation du préjudice de jouissance : 3 000 euros,
au titre de l'article 700 du Code de procédure civile : 2 500 euros.
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné in solidum les mêmes aux dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.
Par acte du 19 janvier 2016, la société BMW France a interjeté appel de ce jugement et demande à la cour, par dernières écritures du 24 janvier 2018, de :
- réformer le jugement rendu en ce qu'il a :
dit que le véhicule litigieux était affecté d'un vice caché,
dit que la société Pajean devait restituer à Mme Devin la somme de 43 475,11 euros au titre de la restitution du prix de vente,
dit que BMW France devait relever et garantir la société Pajean du prix de vente,
fait droit aux demandes de Mme Devin au titre d'un prétendu préjudice de jouissance et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens,
- prendre acte que la demande de résolution de la vente formée par Mme Devin n'est dirigée qu'à l'encontre de son seul vendeur cocontractant, la société Pajean,
- considérer que Mme Devin ne rapporte pas la preuve, incontestable, de l'existence d'un vice caché, précis et déterminé, à l'origine du désordre survenu,
- considérer que le rapport de M. Le Corre est techniquement insuffisant, celui-ci se limitant à évoquer des hypothèses, techniquement injustifiées,
à titre subsidiaire,
- considérer que les conditions de la résolution de la vente tirée de la garantie légale des vices cachés ne sont pas réunies en l'espèce,
- débouter Mme Devin et la société Pajean de leurs demandes à ce titre dirigées à l'encontre de BMW France,
à titre infiniment subsidiaire, si la résolution de la vente était prononcée,
- considérer que BMW France ne saurait être tenue que du seul montant hors taxes, la vente intervenue entre BMW France et la société Pajean étant une vente entre professionnels,
- considérer qu'il devra être pris en compte les bénéfices retirés de l'usage du véhicule par Mme Devin et la dépréciation du véhicule due notamment à son usage,
- considérer qu'il y aura lieu de déduire du prix de vente à restituer (34 463,83 euros HT) et des dommages et intérêts réclamés la somme de 30 000 euros,
- considérer que Mme Devin ne rapporte pas la preuve de la réalité du préjudice de jouissance qu'elle invoque,
- débouter Mme Devin de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de BMW France,
- débouter la société Pajean de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de BMW France,
- considérer que la société Pajean ne peut solliciter d'être relevée et garantie par BMW France d'une demande principale formée à son encontre par Mme Devin en résolution de la vente,
- débouter la société Pajean de son appel en garantie et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de BMW France,
en toute hypothèse,
- condamner Mme Devin, ou le cas échéant, la société Pajean à verser à BMW France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par dernières écritures du 23 janvier 2018, Mme Devin demande à la cour de :
- confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,
- débouter la société BMW de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner les sociétés BMW et Soravia au paiement de la somme de 20 540 euros au titre du préjudice de jouissance, à parfaire à la date de l'arrêt qui sera rendu, sur la base de 15 euros par jour,
en toute hypothèse,
- condamner tout succombant au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, comprenant les frais d'expertise judiciaire.
Bien que la déclaration d'appel lui ait été signifiée, la société Sovaria n'a pas constitué avocat.
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions notifiées aux dates mentionnées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 janvier 2018.
Sur quoi, LA COUR :
Le tribunal a rappelé qu'il ressortait des constatations et des conclusions de l'expert que l'incendie du véhicule trouvait son origine dans une combustion incontrôlée dans le filtre à particules et que l'expert avait conclu que le simple fait que ce filtre ait été en fusion révèle un défaut de construction, soit du filtre lui-même, soit du logiciel de commande du moteur.
Les premiers juges en ont déduit que même si l'expert n'avait pu se déterminer avec certitude sur l'une ou l'autre de ces deux causes, il s'agissait dans les deux cas d'un défaut de construction, rendant le véhicule impropre à son usage, qui existait au moment de la vente et n'était pas apparent.
Le tribunal a ensuite rappelé que, par application de l'article 1644 du Code civil, l'acheteur avait le choix entre de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix et que ce choix était à sa discrétion. Il a par ailleurs retenu que lorsque l'acquéreur exerçait l'action rédhibitoire, il était de principe que le vendeur était tenu de restituer le prix sans qu'il y ait lieu de réduire ce prix du fait de l'utilisation de la chose.
S'agissant de la garantie due par la société BMW France, les premiers juges ont jugé que la garantie des vices cachés, née du contrat passé entre un vendeur et un acheteur, se transmettait avec la chose au sous-acquéreur de sorte que l'action exercée par le sous-acquéreur était en réalité celle du vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire mais que ce dernier ne pouvait être tenu de restituer davantage qu'il n'avait reçu.
La société BMW France fait valoir que le rapport de l'expert est tout à fait insuffisant à rapporter la preuve de l'existence d'un vice caché, le rapport se limitant à évoquer deux hypothèses, par définition incertaines et techniquement non étayées. Elle soutient que l'affirmation de l'expert, retenue par les premiers juges, selon laquelle "le simple fait que le filtre à particules ait été en fusion, révèle un défaut de construction" n'est pas pertinente dès lors que de multiples causes en rapport avec l'entretien, l'utilisation ou une cause extérieure peuvent expliquer la survenance de tels phénomènes.
L'appelante fait valoir que les deux hypothèses retenues par l'expert sont démenties par le contrôle du véhicule via l'outil de diagnostic, lequel n'a révélé aucune anomalie et que l'expert ne pouvait se contenter d'affirmer qu'un " bug " du logiciel avait très bien pu se manifester sans pour autant laisser d'empreinte. Elle reproche à l'expert d'avoir écarté ses propres suggestions sans explications techniques.
L'appelante soutient ensuite que le désordre est apparu sur le véhicule en cause alors qu'il était âgé de plus de 6 ans et totalisait 125 000 Kms au compteur, qu'il paraît techniquement peu crédible d'alléguer qu'aurait existé en germe un défaut qui ne se serait manifesté qu'après plus de 6 années d'utilisation et 125 000 Kms parcourus et que l'antériorité du vice, à le supposer établi, n'est pas démontrée.
La société BMW France fait par ailleurs valoir que l'action rédhibitoire tirée de la garantie légale des vices cachés ne peut prospérer que si le défaut allégué présentait une particulière gravité et que tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il était réparable et qu'il n'a nullement empêché l'utilisation du véhicule durant six ans.
Mme Devin réplique qu'il importe peu de savoir si le défaut de combustion provient d'une rupture du filtre à particules ou d'une défaillance du logiciel de contrôle de ce filtre dès lors que le filtre était défaillant et que l'expert a conclu à un défaut de conception. Elle soutient que la preuve de l'existence d'un vice à l'origine de la panne est ainsi parfaitement rapportée, qu'aucun défaut d'entretien n'a été relevé et que l'expert a exclu que la mauvaise qualité du carburant qu'elle venait de mettre dans le réservoir soit en lien avec l'avarie.
Mme Devin soutient que le vice affectant le véhicule objet du litige revêtait un caractère de gravité tel qu'il l'a rendu impropre à sa destination et que si elle l'avait connu elle n'aurait jamais acquis le véhicule. Elle affirme par ailleurs que le fait que le véhicule soit réparable est sans incidence sur la faculté dont elle dispose d'exercer l'action rédhibitoire.
Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. La preuve de la réalité de ce vice et de son antériorité incombe à celui exerçant l'action en garantie.
L'expert indique avoir identifié deux origines pouvant (souligné par la cour) avoir causé les désordres :
* la combustion incontrôlée est le résultat de la rupture du support du filtre à particules (défaut de construction du FAP),
* la combustion incontrôlée est le résultat d'un " bug " du logiciel de contrôle du FAP, soit le logiciel de commande du moteur (défaut de construction).
La cour observe tout d'abord que les conclusions de l'expert ne sont pas aussi formelles que le soutient Mme Devin puisque celui-ci écrit que les deux causes qu'il a retenues peuvent être à l'origine des désordres sans être affirmatif, et qu'il écrit en page 27 de son rapport " nous avons identifié deux probabilités ".
L'expert indique ensuite ne pas avoir identifié de lien technique entre les désordres et la mauvaise qualité du carburant, dont il souligne pourtant qu'il est pollué de façon importante. Cette affirmation n'est pas étayée techniquement de façon convaincante. En effet, pour conclure ainsi, l'expert fait valoir que le logiciel de commande du moteur n'a pas enregistré de défaut de fonctionnement mais il n'envisage pas que ce logiciel ait pu dysfonctionner, hypothèse qu'il retient pourtant pour expliquer la combustion incontrôlée.
La cour observe qu'à l'objection tirée de ce que l'outil de diagnostic n'a pas révélé d'anomalie, l'expert se contente de répondre que " ce phénomène a très bien pu se manifester sans pour autant laisser d'empreinte ", l'absence de défaut mémorisé par le logiciel n'écartant pas le " bug " du logiciel, raisonnant ainsi de façon hypothétique.
Il est par ailleurs de principe que celui qui entend mettre en œuvre la garantie des vices cachés doit prouver que ce vice est antérieur à la vente. Au cas présent, il sera observé que le véhicule avait six ans lors du sinistre et avait parcouru près de 125 000 kilomètres sans incident, ce qui atteste de ce qu'il ne présentait pas d'impropriété à son usage. L'explication donnée par l'expert de ce que le vice aurait existé en germe et ne se serait manifesté que six années plus tard n'est pas argumentée et n'est que la conséquence du raisonnement hypothétique déjà suivi pour la détermination du vice lui-même. Il sera relevé que l'expert qui procède ici par voie d'affirmation ne démontre pas que le "bug" du logiciel de commande du moteur; qui est une des deux hypothèses qu'il retient, serait le résultat d'un défaut de construction, cette défaillance ayant pu tout à fait naître et se manifester après la vente.
Force est donc de constater que Mme Devin échoue dans la démonstration de ce que le véhicule était affecté d'un vice antérieur à la vente du 5 avril 2006.
Il y a lieu en conséquence de rejeter l'ensemble des demandes qu'elle forme et d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Mme Devin, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et condamnée à une indemnité de procédure de 2000 euros en remboursement des frais irrépétibles de première instance et d'appel de la société BMW France.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Rejette les demandes formées par Mme Devin, Condamne Mme Devin à payer à la société BMW France la somme de 2 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, Condamne Mme Devin aux dépens de première instance et d'appel.