Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 mai 2018, n° 17-11187

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie

Défendeur :

Coopérative U Enseigne (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

T. com. Paris, du 21 nov. 2016

21 novembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La Coopérative U Enseigne, anciennement dénommée Système U Centrale Nationale, ci-après la société Système U, est la centrale de services et de référencement du groupement Système U, groupement coopératif de commerçants indépendants qui exploitent des magasins aux enseignes " Hyper U ", " Super U ", " Marché U ", " U Express " et " Utile ". Elle négocie les conventions annuelles avec les fournisseurs nationaux, au bénéfice des adhérents et acheteurs qui sont les magasins et les centrales régionales.

Au cours de l'année 2014, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a diligenté des enquêtes dans différentes régions auprès de plusieurs fournisseurs de la société Système U, portant sur les négociations commerciales pour l'année 2014.

A la suite de ces contrôles et des conclusions de l'enquête, le ministre de l'Economie a assigné la société Système U par acte du 11 mai 2015 devant le Tribunal de commerce de Paris, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

Par jugement du 21 novembre 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté le ministre de l'Economie de toutes ses demandes,

- condamné le ministre de l'Economie aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 81,90 € dont 13,43 € de TVA.

Par déclaration remise au greffe du 7 juin 2017, le ministre de l'Economie a relevé appel de ce jugement.

La procédure devant la cour a été clôturée le 27 mars 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 19 mars 2018 par lesquelles le ministre de l'Economie, appelant, invite la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, à :

- infirmer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 21 novembre 2016,

- dire que les fournisseurs de la société Système U Centrale Nationale se trouvaient en situation de soumission vis-à-vis de cette société, même pour les fournisseurs appartenant à de grands groupes,

- dire que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce s'applique également aux pratiques commerciales et non pas aux seules clauses présentes dans les contrats,

- dire qu'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties peut résulter des modalités de détermination du prix entre les parties, dès lors que ces modalités ne résultent pas d'une négociation entre les parties,

- dire qu'il est indifférent, pour constater l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, que les avantages financiers obtenus par la société Système U Centrale Nationale aient éventuellement été répercutés sous forme de réductions de prix accordées aux consommateurs,

- dire que les pratiques consistant à obtenir ou à tenter d'obtenir des fournisseurs des avantages financiers additionnels, sous différentes formes, hors du cadre de la convention annuelle, sans engagement réciproque et au moyen de menaces ou pressions parfois suivies d'effets, sont constitutives d'une soumission ou d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société Système U Centrale Nationale et au détriment de ses fournisseurs et contreviennent donc aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,

en conséquence, en vertu de l'article L. 442-6, III du Code de commerce,

- enjoindre à la société Système U Centrale Nationale de cesser les pratiques susvisées,

- condamner la société Système U Centrale Nationale à une amende civile de 2 millions d'euros,

- condamner la société Système U Centrale Nationale à publier pendant six mois à compter de la signification du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement sur le site internet www.magasins-u.com,

- condamner la société Système U Centrale Nationale à publier à ses frais, sous huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement dans trois quotidiens nationaux : Le Monde, Les Échos, Le Figaro,

- condamner la société Système U Centrale Nationale à payer au Trésor Public la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Système U Centrale Nationale aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 26 mars 2018 par lesquelles la société Système U, intimée, demande à la cour, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2016 et plus précisément,

à titre principal,

- constater que le ministre de l'Economie formule des reproches généraux à la Coopérative U Enseigne à partir de 21 fournisseurs cités dans son assignation et ses pièces alors que la renégociation n'a concerné que 8 fournisseurs dont 3 ont accepté de renégocier et 5 ont refusé,

- constater que sur ces 8 fournisseurs, seuls 4 fournisseurs ont connu un déréférencement de quelques-uns de leurs produits représentant entre 0,10 % et 0,54 % de leur chiffre d'affaires,

- constater que l'article L. 442-6 du Code de commerce n'interdit pas au distributeur de renégocier la convention annuelle au cours de son exécution et d'en modifier le prix convenu avec l'accord du fournisseur,

- constater qu'une baisse brutale et soudaine des prix de vente consommateurs entre mars et juin 2014, par des concurrents ayant bénéficié de conditions d'achat significativement différenciées de la part de fournisseurs, a rompu l'équilibre des contrats conclus au 1er mars 2014 avec ces fournisseurs,

- constater que la renégociation avec 8 fournisseurs seulement de la convention annuelle en cours d'exécution est justifiée en l'espèce par le contexte économique,

- constater que les fournisseurs auprès desquels Système U a sollicité une renégociation ne sont pas en état de soumission à l'égard de Système U et que Système U n'a pas tenté de les soumettre et a fortiori qu'elle ne les a pas soumis, au sens de l'article L. 442-6, I, 2°,

- constater qu'une demande de renégociation du prix en cours d'année ne crée pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

- constater que la pratique visée par le ministre n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce mais dans le nouvel article L. 442-6, I, 1° qui n'est pas applicable aux faits de la présente espèce,

- constater que le déséquilibre significatif d'un contrat au sens économique n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,

- constater en toute hypothèse que le déséquilibre significatif d'un contrat au sens économique implique de contrôler l'équilibre économique global du contrat,

- constater que les fournisseurs, consultés par la Coopérative U Enseigne pour renégocier la convention annuelle, compte tenu de leur poids sur le marché, ont été libres d'accepter ou de refuser la demande de la Coopérative U Enseigne,

- constater que la renégociation du prix, acceptée par les fournisseurs, n'a pas rompu l'équilibre économique du contrat,

- constater que les avantages accordés par les fournisseurs ont été répercutés dans le prix de vente consommateurs,

- constater que la baisse des prix de vente consommateurs a été plus importante que le montant de l'avantage accordé par le fournisseur, de sorte que la Coopérative U Enseigne a rogné sur sa marge,

- constater, par conséquent, que la Coopérative U Enseigne n'a pas compensé une perte de marge,

- constater que la Coopérative U Enseigne n'a commis aucune faute en déréférençant moyennant le respect d'un préavis raisonnable quelques produits de 4 fournisseurs,

- constater en toute hypothèse que le déréférencement licite de certains produits en cours d'année n'a eu aucun impact sur l'équilibre économique des contrats,

- dire qu'aucune pratique de la Coopérative U Enseigne n'est constitutive d'une soumission ou tentative de soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au regard de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce,

en conséquence,

- débouter le ministre de l'Economie de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

- constater que le ministre de l'Economie demande à la cour d'enjoindre à la Coopérative U Enseigne de cesser pour l'avenir les pratiques susvisées, sans préciser quelles pratiques seraient interdites,

- constater que le ministre de l'Economie ne peut pas demander à la cour d'interdire pour l'avenir à la Coopérative U Enseigne de renégocier, avec l'accord du fournisseur, un contrat,

- constater que le ministre de l'Economie ne peut pas demander à la cour d'interdire pour l'avenir à la Coopérative U Enseigne de déréférencer des produits moyennant le respect d'un préavis raisonnable,

- dire que cette demande du ministre de l'Economie devra être rejetée car le ministre demande ainsi à la cour de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire en contradiction avec l'article 5 du Code civil,

- constater le caractère injustifié et disproportionné de l'amende civile de 2 000 000 € sollicitée par le ministre de l'Economie et, en conséquence, rejeter la demande de condamnation du ministre ou, à tout le moins, ramener le montant de l'amende civile à de plus justes proportions,

- constater le caractère injustifié et irrecevable de la demande de publication de la décision sollicitée par le ministre de l'Economie et, en conséquence, la rejeter,

en tout état de cause,

- rejeter la demande du ministre de l'Economie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner le ministre de l'Economie aux entiers dépens ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur le déséquilibre significatif

Le ministre considère que le principe selon lequel le critère de la soumission n'est pas caractérisé dès lors que sont dans la cause des grands fournisseurs, commercialisant des produits incontournables et disposant d'un fort pouvoir de négociation, dont la société Système U ne peut se passer, ne peut être retenu. Il explique que de telles conditions sont absentes du texte et qu'elles ne sont en tout état de cause pas remplies en l'espèce.

Il fait valoir que les fournisseurs de grande taille ne disposent pas d'une force de négociation comparable, et encore moins supérieure, à celle des distributeurs et soutient que cette asymétrie entre leur pouvoir de négociation et celui des distributeurs existe et ce, même si le fournisseur est un grand groupe du secteur alimentaire, le marché de la grande distribution étant structurellement déséquilibré.

Il estime ainsi que la soumission des fournisseurs à la société Système U est caractérisée en l'espèce par la structure déséquilibrée du marché, la puissance de négociation de la société Système U, l'unilatéralité des demandes de l'intimée et son refus de toute négociation ainsi que par des pressions de déréférencement.

Le ministre fait en outre valoir que la société Système U a demandé à ses fournisseurs des avantages financiers et commerciaux additionnels sans leur proposer des engagements réciproques équilibrés, hors du cadre de la convention unique, dans le but de compenser la perte de marge de l'enseigne, et a accompagné ces demandes de menaces ou pressions avérées, s'agissant notamment de déréférencements.

Il soutient qu'il existe en l'espèce un déséquilibre significatif entre d'une part les obligations que la société Système U a tenté ou réussi à imposer aux fournisseurs, à savoir des avantages financiers additionnels, et d'autre part l'absence totale d'engagement, de réciprocité et de contrepartie de la part de la société Système U.

Le ministre souligne que l'équilibre général du contrat doit s'apprécier sur le plan juridique et qu'il n'a pas à démontrer l'effet précis du déséquilibre puisque ces éléments sont indifférents à la constitution du déséquilibre significatif.

En cela, le ministre conclut que c'est à tort que le tribunal a pris en compte le contexte de la guerre des prix et le prétendu bénéfice que le consommateur aurait retiré de la pratique de la société Système U pour constater l'absence de déséquilibre.

La société Système U réplique que les fournisseurs concernés ne sont pas en état de soumission à son égard et qu'elle n'a pas tenté de les soumettre. Elle fait valoir qu'à l'époque des faits elle ne détenait que 10,3 % de parts de marché, ce qui ne lui confère pas de puissance de négociation sur les fournisseurs. Elle conteste le principe selon lequel le marché de la distribution serait structurellement déséquilibré et soutient qu'en toute hypothèse, il ne s'agit pas de critère de nature à caractériser la soumission ou la tentative de soumission qu'elle aurait exercée à l'égard des fournisseurs.

Elle relève que les conventions uniques signées avec les fournisseurs concernés ont été valablement amendées par ces derniers qui ont par ailleurs émis des lettres de réserves.

Elle estime que le contexte économique a rompu l'équilibre économique de l'accord commercial conclu avec certains fournisseurs avant le 1er mars 2014, et que, dès lors, elle a sollicité des fournisseurs soit une renégociation du contrat, soit a été conduite à rééquilibrer ses assortiments de produits en déréférençant des références non rentables pour ne retenir que celles lui permettant de retrouver une certaine performance économique et une profitabilité.

La société Système U allègue que le ministre met en œuvre une vision extensive du déséquilibre significatif alors que la pratique litigieuse consiste en une renégociation ou tentative de renégociation qui ne concerne pas les droits et obligations des parties au sens juridique.

L'intimée souligne en tout état de cause que l'obtention d'un avantage de la part de trois fournisseurs et la renégociation du prix par la société Système U et 3 fournisseurs en cours d'année ne caractérisent pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties mais ont trait au rééquilibrage du contrat au sens économique.

Elle fait valoir que le déséquilibre significatif d'un contrat au sens économique implique de contrôler l'équilibre économique global du contrat et que le ministre doit dès lors démontrer in concreto, fournisseur par fournisseur, que l'équilibre économique des contrats des fournisseurs concernés a été rompu, ce qu'il n'a pas fait.

Le ministre reproche à la société Système U d'avoir remis en cause les conditions financières des conventions annuelles souscrites avec certains de ses fournisseurs, sous forme de remises, rabais, ristournes ou aides complémentaires. Il considère que ces remises ou ces avantages financiers obtenus ou tentés d'être obtenus sans contrepartie sous la menace de déréférencements ou par le recours à des mesures de rétorsion par le distributeur constituent des pratiques de déséquilibre significatif.

La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 dite LME a posé le principe de libre négociabilité des conditions de vente et notamment des tarifs en supprimant l'interdiction des discriminations tarifaires, mais a maintenu le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale. La libre négociabilité tarifaire se traduit notamment par la possibilité, prévue à l'article L. 441-6 du Code de commerce, pour le fournisseur, de convenir avec le distributeur de conditions particulières de vente. Toutefois, les obligations auxquelles les parties s'engagent en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale doivent être formalisées dans une convention écrite. Cette formalisation dans un document unique doit permettre à l'administration d'exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants. En effet, le principe de la libre négociabilité des conditions de vente et des tarifs, qui n'est pas sans limite, est encadré par les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui prohibent les pratiques restrictives de concurrence.

Par ailleurs, le principe de la modification sous forme d'avenants de l'accord cadre annuel, en cours d'année, est admis, sous réserve toutefois que l'équilibre commercial soit préservé, le droit commun des obligations prévoyant que tout contrat peut faire l'objet de modifications, sous forme d'accords conclus par les parties pendant le cours de son exécution. De même, cet accord ne doit pas être obtenu par la soumission ou la tentative de soumission du cocontractant.

Ainsi, la demande de renégociation sur certains points du contrat cadre annuel par l'un des cocontractants est licite. De même, l'accord conclu ultérieurement entre les parties est valable, dès lors que les négociations ont été conduites sans l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion par l'un des cocontractants pour obtenir l'accord et que l'équilibre du contrat est maintenu.

En effet, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ".

Il découle de cet article que le champ d'application de l'infraction précitée n'est pas limité aux clauses contractuelles insérées dans les contrats signés entre les partenaires commerciaux mais vise également les pratiques entre ces mêmes partenaires commerciaux, aucune distinction n'étant faite par le texte et l'équilibre des droits et obligations des parties pouvant être modifié par des pratiques non prévues dans la convention écrite.

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective, l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

Les pratiques sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie de la relation contractuelle. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause ou pratique incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.

Si, de manière générale, la structure d'ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice de rapports de forces déséquilibrés, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, cette seule considération ne peut suffire à démontrer l'élément de soumission ou de tentative de soumission. Cet indice doit être complété par d'autres indices.

En effet, certains fournisseurs, qui constituent des grands groupes, peuvent résister à l'imposition d'une clause qui leur est défavorable. Tous les fournisseurs ne sont pas de taille égale et n'ont pas une puissance de négociation équivalente. Par conséquent, tous ne peuvent pas être contraints de la même façon par les distributeurs. Mais, la menace d'éviction des linéaires d'un des grands distributeurs n'est pas sans conséquence, même pour les gros fournisseurs, même si ceux-ci arrivent aussi à imposer des restrictions de concurrence et ne sont pas dépourvus de tout moyen d'action.

Le principe de la libre négociabilité des conditions de vente, et notamment des tarifs, n'est pas sans limite et l'absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n'entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, dès lors qu'elle procède d'une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif.

Ainsi, dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s'apprécie au regard de la convention écrite prévue par l'article L. 441-7 du Code de commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services, comprenant les réductions de prix, telles qu'elles résultent de la négociation commerciale qui s'opère dans le respect de l'article L. 441-6 de ce code. La fixation du prix est le résultat des obligations réciproques prises par le fournisseur et le distributeur au cours de la négociation commerciale et la réduction de prix accordée par le fournisseur doit avoir pour cause l'obligation prise par le distributeur à l'égard du fournisseur.

Ces principes s'appliquent également aux négociations sur le prix des produits réouvertes ultérieurement à la signature du contrat cadre annuel.

Ainsi, le fait d'imposer des réductions de prix, unilatéralement ou par l'usage de menaces ou de moyens de rétorsion, non convenues dans la convention cadre annuelle, sans aucune contrepartie, bouleverse nécessairement de manière significative l'équilibre des droits et obligations des parties.

En réponse aux moyens généraux invoqués par la société Système U, ceux spécifiques à chacun des fournisseurs étant évoqués infra, il convient de relever d'abord que le ministre peut choisir de poursuivre les pratiques litigieuses sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, même si les faits incriminés relèveraient des dispositions de l'article L. 442-6, I, 1° dudit code, une pratique pouvant être qualifiée sous deux fondements cumulatifs.

La société Système U ne peut s'exonérer de l'infraction précitée en invoquant le contexte général de guerre des prix et son impossibilité de pratiquer à l'égard des consommateurs des prix compétitifs par rapport au groupement Leclerc qui vend certaines références au consommateur au prix auquel elle-même les achète au fournisseur. En effet s'il est admis que la modification substantielle du contexte économique puisse justifier la remise en cause, par le distributeur, des conditions financières négociées dans la convention annuelle encore faut-il que ces conditions aient été réellement discutées et négociées entre les parties et non imposées unilatéralement par le distributeur. Par ailleurs, la circonstance que le Galec obtienne de la part des fournisseurs des conditions plus favorables ne saurait exonérer cette pratique, la pratique de discrimination ayant été supprimée par le législateur.

La rétrocession aux consommateurs finals des avantages financiers obtenus ne saurait davantage justifier ces pratiques, puisque l'infraction de déséquilibre significatif vise à protéger les partenaires et non, à titre principal, à réaliser les conditions d'un marché concurrentiel. Ce critère pourrait tout au plus, à le supposer vérifié, être pris en compte dans le calcul de l'amende civile.

Il est, enfin, constant que la société Système U a signé des conventions annuelles avant le 1er mars 2014 notamment avec les sociétés Euro Wipes, Laiteries Hubert T., Bonduelle Conserve International, Ferrero, Fromageries Bel, Bacardi, General Mills, Heineken et Unilever et que les droits et obligations entre les parties, sur l'année 2014, avaient été ainsi définies entre le distributeur et ces 9 distributeurs.

S'agissant de la société Bonduelle Conserve International

Le ministre reproche à la société Système U d'avoir sollicité de la société Bonduelle Conserve International une baisse de 5 % du tarif sur 12 références et un renfort du taux de certaines promotions au mois de mai 2014, la société Système U ayant reconnu avoir " essayé de demander des remises supplémentaires pour des références ayant un prix inaccessible, c'est-à-dire un prix que nous ne pouvons faire ". Il relève que la société Bonduelle Conserve International a partiellement accepté les demandes de promotions sur certaines références et qu'en rétorsion à son refus partiel, la société Système U a appliqué des taux de promotions non consentis sur 2 références et a utilisé des notes de débit compensées d'office. Il fait ainsi grief à la société Système U d'avoir mis en œuvre tardivement des mesures pour annuler les taux promotionnels des références contestées à compter du mois d'août 2014, et d'avoir appliqué indûment un taux promotionnel sur les deux références contestées du 19 juin au 31 juillet 2014. Il souligne que les demandes de la société Système U à l'égard de la société Bonduelle Conserve International ont diminué la rentabilité de celle-ci, relevant que les améliorations demandées sont " extrêmement importantes ". Le ministre excipe qu'en tout état de cause le contexte économique ne justifiait pas les demandes unilatérales de la société Système U, la société Bonduelle Conserve International ayant déclaré que " les négociations 2014 avec Système U ont été difficiles et le contrat-type n'a pas permis d'intégrer des contreparties qui développeraient le chiffres d'affaires avec cette enseigne, notamment l'absence de coopération commerciale ".

En réplique, la société Système U explique que sa part dans le chiffre d'affaires de la société Bonduelle Conserve International est de 3,15 %. Elle relève qu'il n'y a aucun lien entre les demandes qu'elle a formulées et les lettres de déréférencement, les produits de la société Bonduelle déréférencés par lettre du 20 février 2014 étant ceux de la société Bonduelle Surgelé International. Elle souligne que la société Bonduelle Conserve International a accepté ses propositions et qu'elle n'a subi aucun déréférencement. Elle fait valoir que les taux promotionnels non négociés qu'elle a appliqués sont la conséquence d'une erreur d'encodage et qu'elle a immédiatement rectifié l'erreur. Elle précise que la société Bonduelle Conserve International lui a accordé un avantage de 5 % sur les produits " champignons à la grecque ", " Cassegrain haricot vert EF 1/2 " et " Cassegrain haricot vert EF 4/4 " et qu'elle a baissé le prix de vente consommateur de ces produits respectivement de 9 %, 8 % et 7 % entre mars 2014 et février 2015.

Par procès-verbal de déclaration du 2 avril 2014, la société Bonduelle Conserve International a notamment expliqué aux enquêteurs de la DGCCRF que la société Système U lui avait opposé " les produits listés par Leclerc qui servent de référence pour les comparaisons de prix avec les autres enseignes pour (...) demander des améliorations extrêmement importantes. Système U (...) a demandé une baisse de tarif de - 5 % sous prétexte qu'il n'a pas la possibilité de faire évoluer les prix consommateurs. Avec Système U nous avons donc convenu d'accords qui me font une hausse de tarifs de 0,3 sur Bonduelle Légumes et 0 sur le tarifs Champignons et Cassegrain. Je n'ai actuellement aucune visibilité sur le développement que je peux faire chez eux en 2014 ce qui me pose problème. En outre j'ai des produits gelés avec cette enseigne comme les maïs 1/2 et le soja. En outre cette enseigne qui n'avait pas la culture de la pénalité commence à avoir des méthodes contestables (590 000 € sur Système U de pénalités acceptées dont 38 000 € dans l'entrepôt du sud, ces pénalités représentent à elles seules approximativement 0,3 % de mon chiffre d'affaires). Pour exemple, dans les entrepôts de l'ouest, pénalité alors que Système U avait reporté le rendez-vous de livraison. J'observe que le montant des pénalités est supérieur à celui de Galec ".

Par procès-verbal du 30 juin 2014, la société Bonduelle Conserve International a complété ses premières déclarations en soulignant que " les négociations 2014 avec Système U ont été difficiles et le contrat-type 2014 proposé par Système U ne nous a pas permis d'intégrer des contreparties qui développeraient le chiffre d'affaires avec cette enseigne, notamment l'absence de coopération commerciale. Système U nous a demandé un renfort taux promotion en mai 2014 qui a été accepté. Ce taux promo a été élargi à des produits pour lesquels nous n'avions pas donné notre accord, pour cela Système U a émis des notes de débit qui ont été compensées d'office. Le 12 juin 2014, Système U nous a fait une nouvelle demande : il veut nous intégrer de nouvelles références sous réserve qu'on lui accorde un budget additionnel conséquent. Or, certaines de ces références étaient déjà présentes en 2013 et ont été arrêtées par Système U. Système U nous demande donc du budget pour les re-commercialiser à nouveau en 2014 " (pièces appelant 12 et 16, le gras étant rajouté par la cour).

Les échanges de courriels entre les sociétés Système U et Bonduelle Conserve International démontrent également qu'un taux promotion supplémentaire a été appliqué par la société Système U sur deux articles non visés par leur accord du mois de mai 2014 aux mois de juin, juillet et août 2014, et que la correction a été prise en compte par la société Système U à compter du mois d'août 2014 et sans rétroactivité (pièce intimée 15).

En l'espèce, la société Système U a sollicité de la société Bonduelle Conserve International une baisse de 5 % sur 12 de ses références. Elle a obtenu partiellement gain de cause. La société Bonduelle Conserve International ne fait pas état de menaces de la société Système U dans l'hypothèse d'un refus de sa part. Ainsi, s'agissant des réductions accordées par la société Bonduelle Conserve International dans ces conditions, elles ne peuvent caractériser l'infraction reprochée, celles-ci ayant été le fruit d'un accord entre les parties non contesté par le fournisseur.

En revanche, il ressort également de l'ensemble de ces éléments que la société Bonduelle Conserve International a refusé des demandes de promotions supplémentaires formulées par la société Système U et que pour deux de ces références, la société Système U a tout de même appliqué unilatéralement, sans en informer son fournisseur, les réductions promotionnelles et a émis des notes de débit. La société Système U ne peut utilement invoquer une erreur d'encodage, la correction ayant été appliquée uniquement pour l'avenir et, ce, deux semaines après que le distributeur ait été avisé de la difficulté par son fournisseur.

La circonstance que la correction n'ait pas été rétroactive démontre que la société Système U a appliqué unilatéralement une réduction non consentie ni négociée par son fournisseur.

En conséquence, le fait d'imposer sans l'accord de la société Bonduelle Conserve International des codes promotionnels sur deux produits ainsi que des notes de débit caractérise une absence totale de négociation entre les parties sur ce point et donc une soumission à une obligation, en l'espèce une réduction de prix de 5 %, de son partenaire commercial par la société Système U.

Par ailleurs, la société Système U ne prétend pas avoir consenti une contrepartie ni avoir rééquilibré les rapports contractuels entre les parties du fait de son application unilatérale de réductions de prix non acceptées.

Dès lors, la preuve du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties est rapportée : la réduction de prix sur deux des références de la société Bonduelle Conserve International sans aucune contrepartie constitue un abus manifeste de la part de la société Système U à l'égard de son fournisseur et a déséquilibré significativement les droits et obligations des parties.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif est constituée, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Bonduelle Conserve International.

S'agissant de la société Ferrero

Le ministre fait grief à la société Système U d'avoir demandé à la société Ferrero 2 % de remise supplémentaire sur le chiffre d'affaires réalisé avec elle, celle-ci ayant accordé du 1er juin au 30 août 2014 une remise sur facture pour trois références, à savoir Kinder Delice T10, Kinder Country T9 et Kinder Bueno T3, après s'être vue refuser l'accès aux magasins à ses représentants commerciaux au cours de la période de Pâques et avoir reçu des menaces de déréférencement. Il explique que la société Système U ne peut comparer les parts de marché de la société Ferrero, 35 %, avec les siennes, 10,3 %, les marchés concernés n'étant pas comparables, celui de la société Super U étant le marché global de la grande distribution et celui de la société Ferrero étant celui de la confiserie chocolatée. Elle précise également que la société Système U ne peut utilement faire valoir la part de marché de la société Ferrero sur le marché très restreint de la pâte à tartiner chocolatée. Il explique que la hausse des tarifs obtenue par la société Ferrero dans le cadre des négociations annuelles 2014 n'est pas de nature à démontrer le caractère déséquilibré des relations commerciales au détriment de la société Système U et à justifier sa demande à hauteur de 2 % du chiffre d'affaires. Il soutient enfin que les remises accordées diminuent la rentabilité économique.

La société Système U réplique que la société Ferrero détient 35,2 % de parts de marché, a réalisé un chiffre d'affaires de 1,23 milliard d'euros au 31 août 2013, étant ainsi le leader de la confiserie chocolatée en France et qu'elle commercialise des produits incontournables, tels le " Nutella ", " la marque préférée des français ". Elle précise que, s'agissant du produit Kinder Delice Cacao Pack x10, elle l'achète à la société Ferrero 2,76 euros alors que les magasins sous enseigne Leclerc commercialisent ce produit 2,75 euros. Elle relève que le 17 avril 2014, soit un mois après la signature de l'accord annuel, les nouveaux tarifs de la société Ferrero pour une application au 1er août 2014 lui ont été envoyés et en conclut que cet élément nouveau a ouvert une renégociation plus globale portant à la fois sur une aide ponctuelle de 2 % sur trois produits de juin à août 2014 et sur les nouveaux tarifs. Elle soutient enfin que la société Ferrero a vu son chiffre d'affaires annuel 2014, de 57 003 150 euros, dépasser le chiffre d'affaires prévisionnel fixé à 49 800 000 euros.

Par procès-verbal de déclaration du 23 juin 2014, la société Ferrero a souligné, s'agissant de ses rapports avec la société Système U : " nous avons eu des demandes de compensation de marge (2 % du CA) en 2013. Nous avons signé un avenant de 1,20 % en octobre 2013 (entre 300 et 350 000 € sur les 6 derniers mois). Ils nous ont menacés de déréférencement pour obtenir cet avantage. (...) La hausse était de 5 % en moyenne. L'accord et le tarif ont été effectifs au 1er mars 2014, tout est une réduction de prix à paiement différé avec acompte mensuel. Nous sommes en inflation de 1 à 1,5 %. (...) Nous avons rentré les références souhaitées à partir de mai 2014. Système U a décidé cette année de réduire les catalogues promotionnels. Par conséquent nous avons perdu 30 % du plan promotionnel. (...) Depuis avril 2014 ils redemandent 2 % du CA, comme en 2013, se justifiant d'une baisse de rentabilité. Nous sommes actuellement à 2 rendez-vous, le troisième a lieu demain. Au mois d'avril, nous avons refusé leur demande de compensation. En représailles, ils nous ont interdit depuis Pâques l'accès à leurs magasins. La moitié des magasins suit la consigne de la centrale Système U. Ils nous ont indiqué plusieurs fois lors de nos conversations téléphoniques que nous prenons le risque de voir notre gamme se réduire si nous n'acceptons pas leurs demandes. Nous avons accordé du 1er juin au 30 août 2014 une remise sur facture sur les produits suivants : Kinder Delice T10, Kinder Country T9, Kinder Bueno T3. Ce sont des produits sur lesquels Système U a de grosses difficultés en termes de marge. (...) Ils n'ont pour le moment présenté aucune contrepartie. Les pénalités logistiques se montent à 700 000 € et nous paraissent disproportionnées. " (pièce appelant 17, le gras étant ajouté par la cour).

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Système U a demandé à la société Ferrero au mois d'avril 2014 une remise à hauteur de 2 % de son chiffre d'affaires réalisé avec elle. Elle a finalement obtenu de la société Ferrero une remise sur facture sur les produits suivants : Kinder Delice T10, Kinder Country T9, Kinder Bueno T3 du 1er juin au 30 août 2014, après que la société Système U ait interdit à la société Ferrero, pendant la période de Pâques, l'accès à ses magasins et l'ait menacée de déréférencement partiel.

L'interdiction d'accéder à ses magasins opposée par la société Système U aux représentants commerciaux de la société Ferrero après le refus par celle-ci d'accéder à sa demande de compensation de 2 % du chiffre d'affaires, ainsi que les menaces de déréférencement de la société Système U pour obtenir des remises supplémentaires de la part de son fournisseur caractérisent l'absence de réelle négociation entre les parties sur ces points, et donc la soumission par la société Système U de la société Ferrero à une obligation, en l'espèce, l'obtention de remises sur le prix de trois références Kinder et une demande de compensation de 2 % du chiffre d'affaires. La circonstance que cette dernière commercialise des produits dit " psychologiques " tel le " Nutella " ne peut être utilement invoquée, en ce que le produit Nutella n'est pas cité comme ayant fait l'objet des négociations et de demandes de baisse de prix.

Dès lors, la première condition de caractérisation du déséquilibre significatif est constituée.

La remise sur des références de produits et une demande de compensation générale sur un pourcentage du chiffre d'affaires du fournisseur revient à obtenir une réduction de prix. Or, il n'est pas contesté, par ailleurs, que la société Système U a obtenu de la société Ferrero ces tarifs promotionnels sans aucune contrepartie et qu'elle n'a pas rééquilibré les droits et obligations entre elles. Si le chiffre d'affaires de la société Ferrero avec la société Système U a augmenté sur la période, aucune conséquence ne peut en être tirée sur un éventuel rééquilibrage des obligations respectives des parties car cette circonstance ne prouve pas que la société Ferrero n'a pas perdu en rentabilité dans ses rapports avec la société Système U.

Ainsi, la seconde condition exigée pour caractériser l'infraction est constituée.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif est constituée, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Ferrero.

S'agissant de la société Euro Wipes

Le ministre soutient que la société Système U a sollicité de la société Euro Wipes l'octroi de 5 % du chiffre d'affaires réalisé avec elle en 2014, ce qui correspondrait à la somme de 120 000 euros environ. Il relève que le refus du fournisseur des demandes du distributeur est probable et que l'action menée par la société Système U en réponse est la remise en question du marché les liant par l'organisation d'un nouvel appel d'offres. Il explique que l'impact de ces demandes est important sur la viabilité économique de ce fournisseur.

La société Système U réplique au contraire que la société Euro Wipes a refusé d'accéder à sa demande et conteste les griefs formulés à son encontre par le ministre avec les arguments généraux évoqués supra.

Par procès-verbal de déclaration du 24 juin 2014, la société Euro Wipes a expliqué qu'elle a été contactée, " par certains acheteurs de la grande distribution afin d'octroyer des avantages financiers supplémentaires sur les produits à marque de distributeurs. Ces demandes sont effectuées afin de financer les baisses de prix aux consommateurs résultant de " la guerre des prix " entre les différentes enseignes. Système U nous a demandé de leur faire bénéficier de 5 % de remise sur le chiffre d'affaire 2014. (...) Ces demandes ont été faites oralement par téléphone. Des rendez-vous ont été organisés avec ces derniers afin de négocier et d'en savoir un peu plus sur la forme que prendront ces demandes. Concernant System U, nous ne répondrons certainement pas favorablement. (...) Si nous acceptions toutes ces demandes, les finances de notre société seraient en péril. En cas de refus de notre part, les premiers effets se feraient vraisemblablement sentir dans les six prochains mois avec une remise en concurrence probable par appel d'offres. (...) Nous souhaitons développer notre CA à l'export afin de ne plus être soumis aux demandes de plus en plus importantes de la grande distribution " (pièce appelant 14).

Ces seuls éléments communiqués par le ministre sont insuffisants en soi pour démontrer que la société Euro Wipes a subi une tentative de soumission ou une soumission de la part de la société Système U, la société Euro Wipes ne faisant pas état d'éléments précis permettant de caractériser cette circonstance, ni l'issue de l'appel d'offres évoqué ni les circonstances de sa décision n'étant évoquées et la seule demande de la société Système U ne pouvant suffire à constituer la tentative de soumission.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif n'est pas constituée, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Euro Wipes.

S'agissant de la société Laiteries Hubert Triballat

Le ministre reproche à la société Système U d'avoir demandé à la société Laiteries Hubert Triballat de lui accorder une remise de 2 % sur la première référence de fromage (crottin x 2) et de 5 % sur le cabecou x 5 et explique que la société Laiteries Hubert Triballat a accepté la remise de 2 % sur le crottin x 2 et une remise de 5 % sur le cabecou x 5 du 1er septembre au 31 décembre 2014 en plus d'une remise de 3 % déjà accordée et non mentionnée dans la convention.

La société Système U relève que la société Laiteries Hubert Triballat a accepté la remise demandée sans qu'il soit établi un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et conteste les griefs formulés à son encontre par le ministre avec les arguments généraux évoqués supra. Elle explique également qu'elle a augmenté le nombre de produits référencés par la société Laiteries Hubert Triballat en 2014, ceux-ci passant de 15 à 19, et l'objectif de chiffre d'affaires fixé contractuellement sur l'année ayant été dépassé.

Par procès-verbal de déclaration du 25 juin 2014, la société Laiteries Hubert Triballat a indiqué que " Système U nous a fait une demande début juin de renfort promotionnel, avec une remise de 2 % sur le crottin par 2 qui est notre première référence en fromage, et de 5 % sur le cabécou X 5 jusqu'au 28 février 2015. Nous avons accordé finalement 5 % sur le cabécou X 5 du 1er septembre au 31 décembre 2014. L'impact sur l'année est de 0,07 % sur le fromage LS et coupe. Aucune remise supplémentaire n'a été accordée sur le crottin, qui bénéficie déjà d'une remise de 3 % non mentionnée dans la convention unique signée avec Système U en 2014. Cette remise est aussi présentée comme liée à la guerre des prix que se livrent les enseignes de la grande distribution. " (pièce appelant 15).

Il ne ressort pas des éléments du dossier que la société Laiteries Hubert Triballat se serait vue imposer la remise supplémentaire accordée à la société Système U, les circonstances évoquées démontrant au contraire l'existence d'une véritable négociation entre les parties. Ainsi, la preuve de la soumission ou de la tentative de soumission de la société Laiteries Hubert Triballat par la société Système U n'est pas rapportée.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif n'est pas constituée, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Laiteries Hubert Triballat.

S'agissant de la société Fromagerie Bel

Le ministre reproche à la société Système U d'avoir demandé à la société Fromagerie Bel de lui accorder 5,6 millions d'euros de remises supplémentaires au printemps de l'année 2014 et d'avoir déréférencé 11 de ses produits. Il explique que le dépassement des objectifs fixés contractuellement par le contrat-cadre 2014 est sans incidence sur les conséquences du déréférencement, en ce que cette circonstance ne pouvait être anticipée. Il relève que la preuve du caractère incontournable des produits de la société Fromagerie Bel n'est pas rapportée, l'élément de preuve étant un extrait de son site internet qui a justement vocation à vanter les mérites de ses produits. Il soutient que la société Système U a refusé de négocier des contreparties en échange des avantages financiers et qu'elle souhaite souvent revenir sur les accords annuels en cours d'exercice.

La société Système U réplique que le groupe Bel est un des leaders mondiaux du secteur des fromages de marque avec 27 sites de production, 33 pays d'implantation, 4 marques classées parmi les 12 premières marques de fromages mondiales, ayant réalisé en 2014 un chiffre d'affaires de 1,42 milliard d'euros et 2,8 milliards d'euros dans le monde, alors qu'elle ne représente en France que 5,44 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Fromagerie Bel. Elle en conclut que la société Fromagerie Bel bénéficie d'un fort pouvoir de négociation avec elle. Elle souligne par ailleurs que cette dernière commercialise des produits incontournables tels que " La Vache qui rit ". Elle explique qu'elle a dû faire des choix entre les différents conditionnements d'un même produit incontournable pour ne garder que les références les plus rentables pour elle, qu'elle avait référencé 6 formats différents du produit Apéricube 250 g et qu'elle n'a déréférencé que deux formats et conservé 4 formats. Elle indique qu'au sein de l'enseigne Leclerc, le prix de vente du produit " Apéricubes Coktail 250 g " est passé de 3,39 euros en mars 2014 à 3,18 euros en juin 2014, alors que le prix de vente pratiqué par la société Système U en mars 2014 était de 3,60 euros, et qu'au mois de juin 2014, elle a baissé le prix de ce produit à 3,50 euros, réduisant ainsi sa rentabilité de 2,80 %. Elle fait également valoir qu'elle a, de la même manière, perdu 3 % de rentabilité sur le produit " Vache qui rit x12 " et sur le produit " Pik et Croq VQR x5". Elle précise que ne pouvant descendre plus son prix de vente, elle a conservé les seules références sur les produits qui avaient la meilleure rentabilité pour elle. Elle en a déduit en outre qu'elle avait sollicité les renégociations pour améliorer sa rentabilité qu'elle avait perdue. Elle soutient aussi que la société Fromageries Bel ne prétend pas qu'elle l'aurait menacée de déréférencement pour obtenir un avantage financier supplémentaire et qu'au contraire, alors qu'elle avait déjà exposé sa problématique à ce fournisseur, elle expliquait à la DGCCRF le 27 juin 2014 qu'" à ce jour, [elle n'a] pas fait l'objet de menaces de déréférencement ". Enfin, elle relève que la société Fromagerie Bel a dépassé l'objectif contractuel fixé à 74 100 000 euros, celle-ci ayant réalisé un chiffre d'affaires avec elle de 77 473 066 euros.

Par procès-verbal de déclaration du 27 juin 2014, la société Fromagerie Bel a souhaité " attire[r l']attention sur la pauvreté, en règle générale, des contreparties prévues pour le fournisseur dans les conventions. (...) Nous considérons que l'accord annuel doit être appliqué par les parties alors que les distributeurs ont, en règle générale, tendance à vouloir revoir les accords en cours d'exercice. (...) La baisse de rentabilité [est] consécutive à la guerre des prix évoquée par les distributeurs pour justifier des demandes de compensation de marges estimées à ce jour à 10 millions d'euros pour l'ensemble des enseignes clientes de Bel. A défaut de compensation, les distributeurs ont tendance à développer une " optimisation " qui se traduit par une modification à la baisse des assortiments référencés et/ou des animations promotionnelles programmées. Ces agissements peuvent avoir de forts impacts sur notre activité et par conséquent sur celle de nos 27 usines dont 8 en France qui sont spécialisées par technologies fromagères, ce qui est d'autant plus impactant pour compenser les variations de commandes programmées. De plus, quelle que soit la production de nos usines, nous sommes engagés avec les producteurs laitiers et n'avons pas la possibilité de diminuer nos approvisionnements. (...) Système U a calculé la perte de rentabilité des produits Bel, estimée par rapport aux prix de vente pratiqués par l'enseigne à date et comparée à l'année 2013. La demande de budgets complémentaires formulée par Système U est de 5,6 M€, sans que les modalités de versement soient précisées a priori. A ce jour, nous n'avons pas fait l'objet de menaces de déréférencement ou de déréférencements mais cela pourrait évoluer rapidement dès la semaine prochaine. En effet, nous avons eu l'écho de la volonté de la centrale d'optimiser les assortiments pour améliorer la rentabilité. Il nous apparaît que la menace de déréférencement plane. Toutefois, l'enseigne U présente pour nous une possibilité de développement. En conséquence, nous voulons bien ouvrir une piste de réflexion visant à développer notre volume d'affaires dans le cadre de contreparties, sans toutefois accepter la demande de Système U dans toute son ampleur " (pièce appelant 18).

Par courrier du 1er juillet 2014, la société Système U a informé la société Fromagerie Bel du déréférencement de 11 produits avec un préavis de 3 mois, à savoir les Apéricubes Cocktail, Apéricubes Long Drink, Apéricubes Marché provençal, Apéricubes Edition Limitée, Boursin Cuisine, Boursin Poivre, Boursin roulé jambon fumé 100g, Leerdammer salade râpé, Leerdammer râpé 3×, Pik et Croq VQR ×5, Vache qui Rit ×12.

En l'espèce, la société Système U a demandé à la société Fromagerie Bel 5,6 millions d'euros de budgets complémentaires, de manière globale sans viser des références précises commercialisées par la société Fromagerie Bel. Par la suite, la société Système U a procédé au déréférencement de 11 produits de la société Fromagerie Bel.

Les chiffres avancés par la société Système U concernant sa perte de rentabilité des Apéricubes Coktail 250 g et Pik et Croq VQR ×5 ne sont pas contestés. La décision de déréférencer ces deux produits est donc justifiée par la société Système U, cette dernière pouvant cesser de commercialiser des produits insuffisamment rentables, sous réserve de respecter un préavis suffisant. Dès lors, ces déréférencements ne peuvent être reprochés à la société Système U.

En revanche, s'agissant des 9 autres produits, l'issue des échanges entre la société Système U et la société Fromagerie Bel ainsi que la suite donnée par la société Fromagerie Bel aux demandes de la société Système U n'est pas connue.

Les seules déclarations de la société Fromagerie Bel communiquées par le ministre ne permettent pas d'établir un lien entre la demande de budget complémentaire de 5,6 millions d'euros formulée par la société Système U auprès de son fournisseur et le déréférencement des 9 autres produits, alors que la société Fromagerie Bel explique qu'elle n'a pas fait l'objet de menaces de déréférencement dans l'hypothèse d'un refus de négocier, et que les éventuels déréférencements seraient liés, selon elle, à l'amélioration par la société Système U de sa rentabilité et non pas à son refus d'accéder à sa demande. En effet, la seule concomitance entre la demande du distributeur et le déréférencement de produits, en dehors de tout autre élément concret et de toute déclaration du fournisseur lui-même, ne peut suffire à démontrer que la société Système U a tenté de contraindre la société Fromagerie Bel à accepter sa demande de budget complémentaire.

Ces seuls éléments ne peuvent caractériser la tentative de soumission par la société Système U de la société Fromagerie Bel.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif n'est pas constituée, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Fromagerie Bel.

S'agissant de la société Bacardi

Le ministre reproche à la société Système U d'avoir demandé des remises supplémentaires à la société Bacardi, d'avoir refusé d'accorder des contreparties aux avantages financiers, puis d'avoir déréférencé 11 produits, suite au refus de la société Bacardi de donner suite à la demande du distributeur. Il explique que la part du chiffre d'affaires de la société Bacardi avec la société Système U portant sur les produits déréférencés est de 9,77 %. Il souligne que la part du chiffre d'affaires de la société Bacardi a baissé de 12 % au cours de l'exercice 2014 par rapport à l'objectif contractuel. Il relève également que la part de marché de la société Bacardi est certes de 64 %, mais sur le marché très spécifique des apéritifs à base de vin, et qu'en conséquence, il ne peut être fait de comparaison avec la place de la société Système U sur le marché global de la distribution alimentaire. Il indique ainsi que le déréférencement décidé par la société Système U a eu des conséquences sur l'activité de la société Bacardi.

La société Système U réplique que la société Bacardi est le leader du marché des apéritifs à base de vin avec 64 % de part de marché, ayant réalisé un chiffre d'affaires de 392 millions d'euros au 31 décembre 2014, alors que ce fournisseur ne réalise qu'une part de chiffre d'affaires de 4,81 % avec elle. Elle indique d'ailleurs que la société Bacardi commercialise le produit " Martini blanco " qui est un produit incontournable dont elle ne peut pas se passer. Elle excipe que la société Bacardi a un fort pouvoir de négociation. Elle explique qu'elle a dû faire des choix entre les différents conditionnements d'un même produit incontournable pour ne garder que les références les plus rentables pour elle. Elle indique qu'au sein de l'enseigne Leclerc, le prix de vente du produit " Martini extra dry 100 cl" est passé de 9,76 euros en mars 2014 à 9,66 euros en juin 2014, alors que le prix de vente pratiqué par la société Système U en mars 2014 était de 10,97 euros, et qu'au mois de juin 2014, elle a baissé le prix de ce produit à 10,91 euros réduisant ainsi sa rentabilité. Elle fait également valoir qu'elle a de la même manière perdu 6,26 % de rentabilité sur le produit "William Lawson 1,5l ". Elle précise que ne pouvant descendre plus son prix de vente, elle a conservé les seules références sur ces produits qui avaient la meilleure rentabilité pour elle. Elle en déduit en outre qu'elle avait sollicité les renégociations pour améliorer sa rentabilité qu'elle avait perdu. Elle soutient aussi que Baccardi ne prétend pas qu'elle l'aurait menacée.

Par courrier du 17 juin 2014, la société Système U a annoncé à la société Bacardi le déréférencement de 11 références, avec un délai de préavis de 3 mois, à savoir Bacardi Mojito 70 cl, Bacardi Pina Colada 70 cl, Martini Bianco 50 cl, Martini Extra Dry 100 cl, Martini Spumante Prosecco 75 cl, Martini Spumante Rose 75 cl, Martini Rosso 50 cl, Martini Royal Bianco 75 cl, Martini Royal Rosato 75 cl, Pepermint Get 27 150 cl, et William Lawson's Finest Blend 150 cl.

Par procès-verbal de déclaration du 12 février 2015, la société Bacardi a relevé que " Nous avons signé un accord 2014 le 28 février 2014. Le distributeur [Système U] nous a dit ne pas être satisfait de l'accord obtenu avec notre société. Suite à cet accord, le distributeur Système U nous a rapidement contactés pour nous faire part de nouvelles demandes (notamment des remises supplémentaires non chiffrées). Nous avons fait des propositions au cours de rendez-vous en demandant en contrepartie le référencement d'un nouveau produit. Malheureusement, nous n'avons pas trouvé d'accord. Nous avons bien reçu le courrier du 17 juin 2014 nous informant de la cessation de référencement sur certains produits. Les Martini 50cl font partie de l'assortiment fond de rayon sur la gamme Martini et sont détenus par Système U depuis plusieurs années. Les Martini Royale bianco et rosato sont des produits qui ont été lancés il y a deux ans, donc ils sont plutôt dans une phase de démarrage. Le produit qui est en fin de vie concerne le Bacardi Pina Colada. Sur deux cadenciers 2013 et 2014, nous constatons que depuis novembre 2014, nous n'avons pas eu de ventes sur les produits concernés par le courrier du 17 juin 2014. Mais le coup de frein a été donné au mois d'octobre 2014 (38 000 € contre 185 000 € en octobre 2013). En année pleine, le déréférencement des produits susvisés est chiffré à 1,6 million d'euros. Nous pensons que le courrier du 17 juin 2014 a un lien avec l'absence d'un accord avec le distributeur Système U sur les demandes de remises supplémentaires même si le distributeur ne l'a pas clairement dit " (pièce appelant 21).

En l'espèce, l'obligation à laquelle la société Système U aurait tenté de soumettre la société Bacardi n'est pas déterminée ni déterminable, la demande de remises supplémentaires n'étant pas chiffrée.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif, insuffisamment circonstanciée, n'est pas établie, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Bacardi.

S'agissant de la société General Mills

Le ministre reproche à la société Système U d'avoir demandé à la société General Mills au mois de mai 2014 13 % de remise du prix d'achat 3 fois net de deux références : fonds d'artichauts Géant Vert 1/2 et Maïs ultra croquant S/S Géant Vert 3 fois 1/4 ainsi qu'au mois de juin 2014 une remise supplémentaire de 300 000 euros. Il indique que les demandes ont été présentées par la société Système U pour compenser une perte de marge de 6 points, demandes non viables économiquement pour la société General Mills et que celle-ci a demandé des actions commerciales à hauteur de 37 000 euros le 27 mai 2014 à la société Système U, que cette dernière a refusé. Il fait valoir que deux produits, pour lesquels des baisses de prix d'achat ont été sollicitées, ont été déréférencés, produits qui représentaient 15,18 % du chiffre d'affaires réalisés par la société General Mills avec la société Système U.

La société Système U relève que la part du chiffre d'affaires de la société General Mills réalisée avec elle est de 1,93 %. Elle explique qu'elle achetait le produit " Maïs Géant Vert ultra croquant S/S 3x1/4 " à 1,52 euro HT auprès de la société Général Mills, soit 1,60 euro TTC et le vendait 1,60 euro en magasin, alors que les magasins sous enseigne Leclerc vendait ce produit à 1,67 euro, puis au mois de juin 2014, à 1,58 euro. Elle indique également qu'elle achetait le produit " Fonds d'artichauts Géant Vert 1/2" à 2,09 euros HT auprès de la société Général Mills, soit 2,20 euros TTC, et le vendait à 3,09 euros au mois de mars 2014, alors qu'au mois de mars 2014, les magasins sous enseigne Leclerc vendaient ce produit à 2,79 euros, puis au mois de juin 2014, à 2,65 euros. Elle relève donc que la rentabilité de ces deux produits était très entamée, vendant sans aucune marge le premier produit et avec une rentabilité réduite à 18 %, au lieu de 25 %, le second produit. Elle soutient que la société General Mills avait connaissance de la dégradation de sa performance économique. Elle excipe enfin que le chiffre d'affaires finalement réalisé sur l'exercice 2014 a été supérieur aux objectifs contractuels malgré le déréférencement de deux produits. Elle soutient enfin que la société General Mills ne prétend pas qu'elle l'aurait menacée et qu'au contraire, la DGCCRF, qui a posé la question du lien entre la lettre de déréférencement et sa demande, s'est vue opposer la réponse " Nous ne pouvons affirmer qu'il y a un lien ".

Par courrier du 30 juin 2014, la société Système U a signifié à la société General Mills le déréférencement de 2 produits, fonds d'artichauts Géant Vert 1/2 et maïs ultra croquant S/S Géant Vert 3x1/4, avec un préavis de 3 mois.

Par procès-verbal de déclaration du 27 février 2015, la société General Mills a indiqué qu' " à partir de mai 2014, l'enseigne Système U a demandé une baisse de l'ordre de 13 % du prix d'achat 3 x net des deux articles : fonds d'artichauts Géant Vert 1/2 et maïs ultra croquant S/S Géant Vert 3x1/4 (S/S signifie sans sucre ajouté) afin de pouvoir être concurrentiel sur les prix en magasins de ces deux produits. Nous n'avons pas accédé à cette demande qui est non viable économiquement pour nous. Par ailleurs cette demande n'était pas négociée et sans proposition de contrepartie, ce qui n'était pas acceptable. Nous avons donc proposé le 27 mai 2014 des actions d'animation commerciale à hauteur de 37 000 euros par avenant. En juin, Système U nous a fait une demande orale plus globale de 300 000 euros pour la gamme Géant Vert pour compenser une perte de marge de 6 points. Nous n'avons pas trouvé d'accord en juin, et Système U a refusé notre proposition de 37 000 euros. Je vous confirme que le 30 juin 2014, Système U nous a adressé un courrier de déréférencement des deux produits précités de la gamme Géant Vert. L'effectivité de ce déréférencement était annoncée avec un préavis de 3 mois à compter de la réception dudit courrier. Le courrier de déréférencement est arrivé chronologiquement après la demande de Système U. Vous me demandez s'il existe un lien entre ces deux déréférencements et notre refus d'accéder à la demande de Système U. Nous ne pouvons affirmer qu'il y a un lien. Ces produits sont significatifs dans notre gamme. En effet, ces produits sont particulièrement saisonniers dans la gamme des légumes froids générateurs de chiffres d'affaires en période estivale. Ces produits ne sont pas en fin de vie, il s'agit de produits historiques. (...) Le déréférencement de ces produits implique un surstock mais n'a pas engendré de destruction de produits ou de désorganisation de notre chaîne de production parce que nous avons une usine qui fournit au niveau international et que seul Système U nous a déréférencés sur ces produits. Nous n'avons pas eu d'explication ou de justification de ces déréférencements de la part de Système U. Le déréférencement de Système U est à durée indéterminée. Système U nous a indiqué que sa marge était moins importante. Notre volume de caisses vendues en 2014 est plus important qu'en 2013, alors que nous avons vendu nos produits sur 9 mois de l'année 2014. La référence maïs ultra croquant 3x1/4 était bien une référence performante en volume dans cette enseigne " (pièce appelant 22).

En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que la société Système U a sollicité une réduction de prix sur deux produits de sa gamme ainsi qu'une remise à hauteur de 300 000 euros auprès de la société General Mills.

Le défaut de rentabilité des deux produits vendus par la société Système U n'est pas contesté. Dès lors, le fait, pour la société Système U, après avoir constaté vendre au prix d'achat le produit " Maïs Géant Vert ultra croquant S/S 3x1/4 " et vendre le produit " Fonds d'artichauts Géant Vert 1/2 " avec une rentabilité entamée, passant à 18 % au lieu des 25 % minimum, de solliciter une baisse de leur prix d'achat ou une remise exceptionnelle de 300 000 euros, puis, après le refus de la société General Mills, de retirer ces seuls produits non rentables de ses rayons, est justifié par des raisons économiques légitimes relatives à un défaut de rentabilité sur ces deux produits.

Dans ces conditions, les demandes ne portant que sur les deux produits ayant été déréférencés, la preuve de la tentative de soumission n'est pas établie, le distributeur pouvant procéder légitimement au déréférencement des produits insuffisamment rentables dans le respect d'un préavis suffisant, après avoir demandé en vain une réduction du prix de vente au fournisseur.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif n'est pas constituée, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société General Mills.

S'agissant de la société Unilever

Le ministre explique que la société Système U a demandé à la société Unilever la réouverture de l'accord annuel datant du mois d'avril 2014 et que suite à son refus, elle a déréférencé 8 de ses produits. Il relève que la part des produits déréférencés dans le chiffre d'affaires réalisé par la société Unilever avec la société Système U est de 8 %. Il indique que certains des produits déréférencés avaient pourtant connu de meilleures performances en 2014 qu'en 2013. Il soutient que le déréférencement n'est pas lié à la réorganisation de linéaires. Il fait valoir que les chiffres de comparaison invoqués par la société Système U ne sont pas probants.

La société Système U soutient qu'elle ne représente que 1,48 % du chiffre d'affaires total réalisé par la société Unilever et qu'elle n'a réalisé en 2014 qu'un chiffre d'affaires total représentant 6 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Unilever tous produits confondus. Elle en déduit que le rapport de force entre elles n'est pas en sa faveur. Elle explique également que la société Unilever commercialise des produits tels que la " moutarde Savora " et le " Tabasco " pour lesquels il n'existe aucun produit de substitution. Elle soutient que la société Unilever ne prétend pas qu'elle l'aurait menacée de déréférencement pour obtenir un avantage financier supplémentaire.

Par courrier du 7 juillet 2014, la société Système U a annoncé à la société Unilever le déréférencement de 8 produits, avec un préavis de 4 mois.

Par procès-verbal de déclaration du 4 mars 2015, la société Unilever confirme avoir reçu une lettre de cessation de référencement adressée par la société Système U, le 7 juillet 2014 et concernant 8 produits et indique avoir répondu par courrier du 16 juillet 2014 en demandant à Système U d'expliquer les raisons de sa décision, et relève que " nous avons dans le cadre de ce courrier précisé que ces 8 références constituent une part importante de notre chiffre d'affaires par référence à notre chiffre d'affaires 2013 de la catégorie condiment : 7 % du chiffre d'affaires annuel 2013 réalisé avec le groupe Système U, 10 % des volumes livrés en 2013. (...) Ce déréférencement fait suite à une demande de réouverture d'accords datant du mois d'avril 2014, l'acheteur en charge de cette catégorie arguant d'une problématique de performance économique dégradée ou s'étant dégradée depuis la signature de l'accord du 25 février 2014. Le déréférencement effectif a eu lieu à compter de novembre 2014 en respect du préavis de 4 mois annoncé par Système U dans son courrier. Suite aux négociations annuelles 2015, 4 références sur 8 sont de nouveau rentrées dans l'assortiment (cadencier du mois de mai) : Huile d'olive Maille 75 cl, Ketchup Amora 850 g, Mayonnaise fin gourmet Maille 320 g, Mayonnaise fine Maille 320 g " (pièce appelant 24).

En l'espèce, l'obligation à laquelle la société Système U aurait tenté de soumettre la société Unilever n'est pas déterminée ni déterminable, la demande de réouverture des négociations n'étant pas assortie de demandes chiffrées.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif, insuffisamment circonstanciée, n'est pas établie, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Unilever.

S'agissant de la société Heineken

Le ministre reproche à la société Système U d'avoir demandé à la société Heineken des investissements supplémentaires post-contractuels et souligne que suite à son refus, la société Système U a déréférencé 5 références de ce fournisseur. Il explique que la part des produits déréférencés dans le chiffre d'affaires réalisé par la société Heineken avec la société Système U est de 7 %. Il indique que certains des produits déréférencés avaient pourtant connu de meilleures performances en 2014 qu'en 2013. Il soutient que le déréférencement de 5 produits n'est pas lié à leur sous-performance. Il fait valoir que les chiffres de comparaison invoqués par la société Système U ne sont pas probants. Il soutient que si les résultats de la société Heineken en 2014 sont supérieurs aux objectifs contractuellement fixés, ceux-ci sont la conséquence de l'augmentation du nombre de ses références. Il allègue que la société Système U a imposé une renégociation substantielle de l'accord annuel sans qu'aucun avenant ne soit signé, contrairement à ce que prévoient les réserves envoyées par la société Heineken relatives à son acceptation de l'accord-cadre avec la société Système U.

La société Système U souligne au contraire que la société Heineken détient une part de marché de 35,8 % en France, disposant de 4 marques incontournables sur le marché de la bière en France, avec notamment la marque " Desperados ", pour laquelle il n'existe aucun produit de substitution. Elle indique qu'elle ne représente que 5,41 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Heineken. Elle précise que le produit " Bière Adelscott Bouteille 4x33cl" lui était inaccessible dans la mesure où le seuil de revente à perte de ce produit était à 4,37 euros, alors que les enseignes Leclerc vendaient ce même produit, en moyenne, à 4,25 euros. Elle explique qu'elle a accepté les réserves émises par la société Heineken à la convention annuelle, son silence valant acceptation de celles-ci. Elle soutient que la société Heineken ne prétend pas qu'elle l'aurait menacée de déréférencement pour obtenir un avantage financier supplémentaire, ce d'autant que le ministre reconnaît que 7 nouveaux produits de la société Heineken ont été référencés en 2014 par elle. Elle souligne que la signature d'un avenant n'était pas nécessaire alors que la renégociation demandée n'a pas eu lieu.

Par courrier du 17 juin 2014, la société Système U a annoncé à la société Heineken le déréférencement de 5 produits, avec un préavis de 3 mois.

Par courrier du 24 juin 2014, la société Heineken a contesté le déréférencement partiel en expliquant notamment " Nous tenons par ailleurs à rappeler que nous avons construit ensemble notre plan d'affaires 2014 en considération d'un certain volume de chiffre d'affaires. L'arrêt des commandes relatives aux produits que vous entendez déréférencer remettra en question l'équilibre de nos accords. Selon nos Conditions Générales de Réductions de prix 2014, l'arrêt et/ou la suspension des commandes de la part du Client sur tout ou partie des produits de notre assortiment peut entraîner la suspension du bénéfice de certains avantages ".

Par procès-verbal de déclaration du 5 mars 2015, la société Heineken a expliqué que " nous avons bien reçu [une] lettre de "cessation de référencement ". La cessation a été effective pour les produits suivants: B.Affligem Triple Pack 6X25cl, Bière Blonde Af'igem l2X25cl et B.Affligem Cuvée Florem 6X25cl à la mi-octobre 2014. Elle n'a pas eu lieu pour les deux références Heineken. La motivation donnée par Système U à ces cessations est une redéfinition de la stratégie de l'enseigne sur le marché de la bière, par l'arrêt des bières blondes au format de 33 cl et l'arrêt de quelques références de la marque Affligem. S'agissant des bouteilles de 33cl blonde d'Heineken, cette décision est catégorielle. (...) Heineken a contesté cette cessation, le 26 juin 2014, par courrier. Heineken l'estime injustifiée et préjudiciable au courant d'affaires commun. Par ailleurs le préavis est estimé trop court. Heineken a constaté par la suite la cessation des commandes pour les trois produits Affligem. La décision annoncée a ainsi été mise en œuvre partiellement car les deux produits Heineken n'ont pas encore été arrêtés. Cette cessation sera probablement mise en œuvre prochainement courant mars. Les demandes d'investissements supplémentaires post-contractuels formulées par Système U n'ont pas été acceptées par Heineken. De mars 2014 à fin février 2015, le chiffre d'affaires global d'Heineken avec Système U (net facturé) est de 86 294 000 millions d'euros, son volume est de 474 892 hectolitres " (pièce appelant 23).

Il ressort de ces éléments que le déréférencement des 5 références n'est pas lié au refus opposé par la société Heineken à la demande de la société Système U d'investissements supplémentaires post-contractuels mais à la redéfinition de la stratégie de l'enseigne sur le marché de la bière. Ainsi, sa demande d'investissement supplémentaires est licite, dans la mesure où pour obtenir l'acceptation de sa demande par son fournisseur, la société Système U n'a eu recours à aucun chantage ou à des représailles, étant par ailleurs relevé que d'autres références de la société Heineken ont été ajoutées en 2014 par la société Système U. La société Heineken ne fait pas le lien entre la demande de la société Système U et les produits déréférencés. La tentative de soumission ou la soumission de la société Heineken n'est donc pas établie.

Par ailleurs, l'obligation à laquelle la société Système U aurait tenté de soumettre la société Heineken n'est pas déterminée ni déterminable, la demande n'étant pas chiffrée.

En conséquence, l'infraction de soumission d'un partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif n'est pas constituée, s'agissant de la pratique de la société Système U à l'égard de la société Heineken.

Sur la sanction de la société Système U

Le ministre soutient que les pratiques de la société Système U portent atteinte à l'ordre public économique, limitant ainsi les possibilités d'investissements de ses fournisseurs, visant les industriels agro-alimentaires qui souffrent d'une baisse particulière de leur marge. Il sollicite la condamnation de la société Système U à cesser les pratiques et au paiement d'une amende civile d'un montant de 2 000 000 euros.

La société Système U soutient que le ministre ne peut demander la cessation des pratiques de manière générale et que le montant de l'amende civile réclamé est contraire au principe de proportionnalité.

L'article L. 442-6, III du Code de commerce précise que le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent " demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ".

L'amende civile prononcée doit viser à prévenir et dissuader les pratiques restrictives prohibées, ainsi qu'à éviter leur réitération. Par ailleurs, la gravité du comportement en cause et le dommage à l'économie en résultant doivent être pris en compte, ainsi que la situation individuelle de l'entreprise poursuivie, en vertu du principe d'individualisation des peines.

Le trouble à l'ordre public économique résultant des pratiques en cause, consistant dans la violation de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, justifie, en l'espèce, l'infliction d'une sanction pécuniaire.

Il a été constaté supra que l'infraction de déséquilibre significatif reprochée par le ministre à l'encontre de la société Système U est constituée à l'égard de deux fournisseurs, les sociétés Bonduelle Conserve International et Ferrero, et, ce, sur une courte période, au cours de l'année 2014.

Ainsi, compte tenu du caractère très ponctuel des pratiques incriminées, de leur ampleur limitée, et enfin de la part de marché de la société Système U en 2014 dans le secteur de la grande distribution de 10 %, il y a lieu de condamner la société Système U devenue Coopérative U Enseigne au paiement d'une amende civile de 300 000 euros.

En revanche, s'agissant de la demande de cessation des pratiques litigieuses, il n'est pas contesté que celles-ci ne se sont donc pas poursuivies depuis l'année 2015. Il n'y a donc pas lieu d'enjoindre la société Système U de cesser les pratiques reprochées.

Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de publication de la présente décision.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de condamner la société Système U, devenue Coopérative U Enseigne, au paiement d'une amende civile de 300 000 euros.

La société Système U, devenue Coopérative U Enseigne, partie perdante, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 5 000 euros au Trésor Public.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Dit que la société Système U, devenue Coopérative U Enseigne, a enfreint l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dans ses relations avec les sociétés Bonduelle Conserve International et Ferrero ; Condamne la société Système U, devenue Coopérative U Enseigne, au paiement d'une amende civile de 300 000 euros ; Y ajoutant, Condamne la société Système U devenue Coopérative U Enseigne aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 5 000 euros au Trésor Public ; Rejette toute autre demande.