CA Grenoble, 1re ch. civ., 15 mai 2018, n° 15-02475
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
UFC Que Choisir
Défendeur :
Roussel (ès qual.), Couverture et énergie solaire photovoltaïque (SARL), Cofidis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Combes
Conseillers :
Mmes Jacob, Blatry
Avocats :
Mes Bruyère, Colas, Boulloud, Haussmann, Arbet
Exposé du litige
Suivant bon de commande non daté, Patrice X et Rose X ont commandé à la SARL Couverture et Energie Solaire Photovoltaïque (la société CESP) l'installation de panneaux photovoltaïques sur le toit de leur maison pour un prix de 28 500 euros, financé au moyen d'un crédit accessoire du même montant, souscrit auprès de la SA Groupe Sofemo le 16 juillet 2009.
Le 24 octobre 2012, les époux X ont sollicité du juge des référés la suspension de leur obligation de remboursement du prêt. Par ordonnance du 29 janvier 2013, le juge leur a accordé un report de l'intégralité des sommes dues pour une durée de deux ans.
Invoquant l'inachèvement de l'installation et l'irrégularité du contrat de vente, les époux X et l'UFC Que Choisir ont, par acte du 12 novembre 2012, assigné les sociétés CESP et Sofemo devant le Tribunal de grande instance de Gap en annulation ou en résolution du contrat de vente et du contrat accessoire de crédit.
La société CESP ayant été placée en liquidation judiciaire le 15 juin 2011, les époux X et l'UFC Que Choisir ont, par acte du 12 décembre 2012, assigné en intervention forcée Maître Bernard Roussel, en sa qualité de liquidateur. Les instances ont été jointes.
Par jugement réputé contradictoire du 10 avril 2015, le tribunal a :
- prononcé l'annulation du contrat de vente et d'installation de panneaux photovoltaïques passé entre Patrice X et la société CESP,
- prononcé la nullité du contrat accessoire de financement passé entre les époux X et Sofemo le 16 juillet 2009,
- fixé la créance des époux X à la liquidation judiciaire de la société CESP à :
2 000 euros au titre des frais de remise en état de la maison, 3 000 euros en réparation de leur préjudice moral, 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné les époux X à payer à Sofemo la somme de 28 500 euros, déduction faite des échéances delà versées à cet organisme,
- débouté les époux X de leurs demandes de dommages et intérêts pour faute et préjudice moral à l'encontre de Sofemo,
- débouté l'UFC Que Choisir de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice collectif à l'encontre de Sofemo,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Les époux X et l'UFC Que Choisir ont relevé appel de cette décision le 12 juin 2015.
Par conclusions du 11 septembre 2015, ils demandent à la cour, au visa des articles L 121-21 et suivants, R. 121-3 du Code de la consommation, 1109, 1110, 1116 et 1134 du Code civil, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a annulé les deux contrats,
- l'infirmer pour le surplus,
- condamner la société CESP à venir déposer et reprendre son matériel, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du 15e jour suivant la signification de l'arrêt, et à remettre la maison dans son état antérieur à l'intervention,
- dire fautif le paiement effectué par Sofemo entre les mains de la société CESP,
- déclarer Sofemo mal fondée en sa demande en paiement au titre du contrat de prêt,
- subsidiairement, dire que Sofemo a commis des fautes lors de l'octroi du crédit, la conclusion du contrat de prêt et son exécution qui ont nécessairement causé aux époux X un préjudice moral et financier,
- en tout état de cause, condamner Sofemo à payer aux époux X :
62 011,74 euros qui se compensera avec la somme qu'elle demande au titre du remboursement du prêt,
12 500 euros en réparation de leur préjudice moral,
2 500 euros au titre des frais irrépétibles en première instance,
2 500 euros au titre des frais irrépétibles en appel,
- fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société CESP la créance des époux X à hauteur de :
2 000 euros au titre des travaux de réparation de la maison,
12 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
2 500 euros au titre des frais irrépétibles en première instance,
2 500 euros au titre des frais irrépétibles en appel,
- débouter Sofemo et la société CESP de l'ensemble de leurs demandes,
- condamner Sofemo à payer à l'UFC Que Choisir les sommes de :
5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice collectif,
2 000 euros au titre des frais irrépétibles en première instance,
2 000 euros au titre des frais irrépétibles en appel,
- fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société CESP la créance de l'UFC Que Choisir à hauteur de :
2 000 euros au titre des frais irrépétibles en première instance,
2 000 euros au titre des frais irrépétibles en appel,
- condamner solidairement Sofemo et la société CESP aux dépens.
Ils font valoir que le contrat de vente, qui a été souscrit dans le cadre d'un démarchage à domicile, est nul en ce qu'il ne comporte pas les mentions obligatoires de l'article L. 121-23 du Code de la consommation, ni le formulaire de rétractation ;
subsidiairement, qu'il doit être annulé pour vice du consentement " erreur, si ce n'est dol " en raison des allégations mensongères sur la neutralité financière de l'opération ;
que la nullité du contrat de vente entraîne celle du contrat accessoire de crédit.
Ils se prévalent subsidiairement de la condition résolutoire, faisant valoir que la société CESP n'a pas mis l'installation en état de fonctionner et a endommagé leur maison.
Ils soutiennent enfin que Sofemo a commis une faute en procédant au déblocage des fonds au vu d'une attestation de livraison antérieure à l'offre de prêt, et qu'elle n'a pas respecté son devoir de mise en garde en ne s'informant aucunement sur leurs capacités financières et en ne les informant pas du risque d'endettement.
Dans ses dernières conclusions du 27 septembre 2017, la SA Cofidis venant aux droits de Sofemo, demande à la cour de :
- faire application à titre principal des dispositions du Code de commerce et, à défaut de texte spécifique, des dispositions du droit civil, notamment des articles 1905 et suivants,
- dire que les articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation sont inapplicables,
- débouter les époux X de leurs demandes,
- constater la déchéance du terme et condamner solidairement les époux X à lui payer la somme de 27 000,84 euros avec intérêts au taux de 7,42 % l'an à compter du 5 mars 2013,
- subsidiairement, en cas d'annulation ou de résolution du contrat de crédit, condamner solidairement les époux X à lui payer la somme de 24 025,14 euros au titre du capital prêté sous déduction des échéances réglées, avec intérêts de droit à compter du jugement,
- en toute hypothèse, condamner solidairement les époux X à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire et atteinte à l'image et à la marque de Sofemo et de Cofidis, outre 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,
- condamner solidairement les époux X aux dépens.
Elle fait valoir que l'opération, d'un montant supérieur à 21 500 euros, ne relève pas des dispositions du Code de la consommation mais s'inscrit dans un contexte commercial de production et de revente d'électricité à EDF ; qu'il s'agit d'un acte de commerce par nature.
Elle réplique, subsidiairement, que le démarchage à domicile n'est pas établi et que, même en présence d'irrégularités de l'acte, la nullité relative de l'acte ne saurait être prononcée dès lors que les époux X ont réitéré leur volonté de contracter.
Elle indique que les contrats ont été signés non pas le 26 juillet 2009 mais, comme les époux X l'ont reconnu dans leurs écritures de première instance, le 16 juillet 2009 ;
qu'elle n'a pas commis de faute en débloquant les fonds le 28 juillet 2009 au vu de deux attestations
de livraison et demande de financement du 24 juillet 2009 dont la signature et l'écriture sont comparables à celles des époux X ;
qu'elle n'avait pas à se livrer à des investigations complémentaires ou à des contrôles spécifiques, ni à s'assurer du raccordement de l'installation, lequel n'était en outre nullement prévu au contrat de vente.
Elle soutient que la preuve d'un dol n'est pas rapportée.
Elle affirme que l'installation est opératoire et que si l'ensemble n'a pas été finalisé, cela ressort de la responsabilité des époux X.
Elle rappelle que le contrat ne relève pas des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation et qu'il n'y a donc pas de droit de rétractation.
Elle conteste avoir manqué à son devoir de mise en garde, faisant valoir qu'elle a recueilli dans le contrat de prêt tous les renseignements personnels sur leur situation de revenus et charges.
Enfin, elle signale que les époux X n'ont jamais justifié d'une déclaration de créance au passif de la société CESP.
Bernard Roussel, liquidateur de la société CESP, assigné par acte du 6 août 2015 remis à une personne habilitée à la recevoir, n'a pas constitué avocat. Il sera statué par décision réputée contradictoire en application de l'article 474 alinéa 1er du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Sur la loi applicable
La société Cofidis soutient que l'opération ne relève pas des dispositions du Code de la consommation ou du droit civil, mais qu'elle constitue un acte de commerce.
La facture établie par la société CESP le 28 juillet 2009 mentionne la fourniture et la pose de 2 lignes de 7 modules photovoltaïques CP Solar CPS 210 W d'une puissance de 2.940 KWc et d'un onduleur.
Si le contrat de raccordement avec ERDF (pièce 12 des appelants) prévoit que la totalité de la production d'électricité est injectée sur le réseau public de distribution, il précise que la puissance installée est égale à 3 kVA, ce qui est la puissance minimum d'un compteur électrique pour un logement de petite taille.
Il s'en déduit, ainsi que l'a justement relevé le tribunal, que la production fournie par l'installation ne peut être considérée comme celle d'une installation professionnelle et que les contrats de vente du matériel et de financement ne sont pas soumis aux dispositions du Code de commerce.
Sur la demande d'annulation des contrats de vente et de prêt
Les époux X exposent qu'ils ont été démarchés à leur domicile, ce que la société Cofidis conteste, soutenant qu'ils ont pu entrer en relation avec la société CESP sur un de ses points de vente ou sur une foire.
Or les époux X sont domiciliés à Gap et tant le contrat de vente que l'offre préalable de crédit ont été signés dans cette localité où il n'est pas justifié, ni même soutenu, que la société CESP située à Avignon et/ou la société Sofemo possédaient un établissement.
De surcroît le contrat vise expressément les dispositions des articles L. 121-21 et suivants anciens du Code de la consommation intégralement reproduites à son verso.
Le tribunal a donc justement fait application de ces dispositions.
L'article L. 121-23 ancien du Code de la consommation énumère les mentions que le contrat conclu doit comporter à peine de nullité.
En l'espèce, le contrat de vente conclu entre la société CESP et les époux X ne porte aucune date et ne mentionne pas le délai de livraison des biens prévu à l'article L. 121-23 - 5° du Code de la consommation.
En outre le formulaire destiné à faciliter l'exercice de la faculté de renonciation prévue à l'article L 121-25 figure au dos du contrat, mais n'est détachable qu'en amputant le corps du contrat lui-même, ne respectant donc pas les dispositions prévues à peine de nullité.
Quant au contrat de prêt, conclu dans les mêmes conditions de démarchage à domicile, il ne mentionne pas les dispositions protectrices des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation pourtant applicables.
C'est donc à juste titre que le tribunal a prononcé la nullité du contrat de vente et du contrat de prêt, ces deux contrats étant interdépendants ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article L. 311-21 du Code de la consommation.
Sur les demandes formées à l'encontre de la société CESP
La nullité du contrat de vente implique la restitution du matériel à la société CESP et la remise en état de la toiture de la maison.
Toutefois la société a été placée en liquidation judiciaire le 15 juin 2011 et les époux X ne justifient pas avoir déclaré leur créance entre les mains du liquidateur.
La créance n'est pas éteinte du fait de l'absence de déclaration de créance, mais est inopposable à la liquidation judiciaire, de sorte que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de fixation de créance.
Sur les demandes formées à l'encontre de la société Cofidis
L'annulation d'un contrat de prêt emporte l'obligation pour l'emprunteur de rembourser au prêteur le capital prêté, mais le prêteur peut être déchu de son droit au remboursement en cas de faute de sa part.
Les époux X soutiennent que le prêteur a commis une faute en débloquant les fonds le 28 juillet 2019, avant l'expiration du délai de rétractation.
Or Patrice X a rempli et signé l'attestation de livraison le 24 juillet 2009 dans laquelle il confirme, de façon manuscrite, avoir obtenu, et accepter sans réserve la livraison des marchandises et demande le versement des fonds entre les mains de la société CESP.
Aucune faute n'est caractérisée à l'encontre du prêteur. Les époux X seront donc déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
Il ressort de l'historique des règlements produit en pièce 23 par Cofidis, que les mensualités du prêt ont été honorées du 5 mai 2010 jusqu'au 5 février 2013 pour un montant de 4 474,86 euros.
Les époux X sont donc tenus de rembourser le capital emprunté de 28 500 euros, duquel il y a lieu de déduire les règlements de 4 474,86 euros, soit la somme 24 025,14 euros avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
La société Cofidis sollicite la capitalisation des intérêts échus pour une année entière. Il y a lieu de faire droit à la demande conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.
Sur les demandes de dommages et intérêts
Les époux X reprochent au prêteur de ne pas s'être renseigné sur leur situation financière et de ne pas les avoir mis en garde sur le risque d'endettement né de l'octroi du crédit.
La fiche de renseignements annexée à l'offre de prêt produite en pièce 14 par Cofidis comporte le nom de l'employeur de Patrice X, le montant des ressources mensuelles du couple (1 862 euros) et leur qualité de propriétaires de leur habitation.
Il ne ressort pas de ces éléments que le prêt, dont les échéances mensuelles s'élèvent à 344,22 euros avec assurance, leur faisait courir un risque d'endettement justifiant que le prêteur les mette en garde.
Le manquement allégué n'est donc pas établi et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée à l'encontre de Cofidis.
Ainsi qu'il a déjà été dit, les époux X ne sont pas recevables en leur demande de fixation de leur créance de dommages et intérêts pour préjudice moral à l'encontre de la liquidation judiciaire, faute de déclaration de créance.
En l'absence de démonstration d'un abus dans l'exercice de l'action en justice, la société Cofidis sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
L'UFC Que Choisir n'établit pas le préjudice collectif qu'elle invoque du fait des agissements de la société CESP.
Aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les dépens de la procédure seront supportés par Maître Roussel, ès qualités, la société CESP étant par ses manquements à l'origine du litige.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité des contrats de vente et de prêt et débouté les époux X de leur demande de dommages et intérêts à l'encontre du prêteur, L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne solidairement Patrice X et Rose X à payer à la société Cofidis la somme de 24 025,14 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Déboute Patrice X et Rose X de leurs demandes de dommages et intérêts dirigées contre la liquidation judiciaire de la société CESP, Déboute la société Cofidis de sa demande de dommages et intérêts, Déboute l'UFC Que Choisir de sa demande de dommages et intérêts, Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Maître Roussel, ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.