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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 mai 2018, n° 16/08100

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

T. com. Bordeaux, du 12 févr. 2016

12 février 2016

Faits et procédure

Les sociétés X et Y ont signé, le 10 mars 2009, un contrat d'une durée de trois ans et renouvelable par tacite reconduction, concédant à la société X (distributeur) le droit exclusif d'importer et de vendre des produits Y sur le territoire chilien.

En contrepartie, la société X s'est engagée à se fournir en exclusivité en produits oenologiques, auprès de la société Y et s'est interdit de fabriquer, acheter, distribuer ou promouvoir, directement ou indirectement, des produits ou services qui pourraient, par leurs caractéristiques ou leurs origines, entrer en concurrence avec les produits Y.

L'annexe C de ce contrat prévoyait les modalités de règlement des factures de la manière suivante :

" - factures concernant l'approvisionnement de produits de vendange (levures, enzymes, activateurs, certains tanins tels VR supra, VR Color...), expédiés en conteneur sur les mois de novembre, décembre et janvier : par tiers au 15 juin, 15 juillet et 15 août ;

- factures normales ou de réapprovisionnement vendange : 90 jours date de la facture ".

Par courrier recommandé du 18 juillet 2014, la société Y a mis en demeure la société X de mettre un terme à ses retards de paiement et de régler les sommes dues, à savoir 275 818,77 euros au 15 juillet.

Le 18 août 2014, la société X s'est acquittée d'un montant de 200 000 euros.

La société Y a de nouveau mis en demeure la société X, par courrier recommandé du 18 août 2014, de lui régler les sommes dues et de cesser ses retards.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 2014, la société Y a notifié à la société X la résiliation du contrat avec effets 90 jours après la date de la présente lettre.

Le 15 octobre 2014, la société X, par le biais de son conseil, a contesté la résiliation en annonçant à la société Y sa décision de porter l'affaire en justice.

Le 4 novembre 2014, la société Y a accordé en réponse un prolongement du préavis jusqu'au 30 septembre 2015, le portant à une durée totale de 12 mois, préavis refusé par lettre de la société X du 10 novembre 2014.

C'est dans ces conditions que par acte du 14 novembre 2014, la société X a fait assigner la société Y devant le Tribunal de commerce de Bordeaux.

Par jugement du 12 février 2016, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la société Y de sa demande d'irrecevabilité,

- débouté la société X de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Y de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société X à verser à la société Y la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société X SA aux dépens de l'instance.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par la société X et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 16 mars 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles 1134 et 1147 du Code civil, dans leur version alors en vigueur et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

in limine litis sur la prétendue irrecevabilité de la présente action pour non-respect d'une procédure de conciliation préalable,

- dire que l'article 2.4 alinéa 2 du contrat litigieux ne constitue pas une clause de conciliation préalable faisant échec à la saisine du tribunal,

- dire la société X recevable en son action,

- débouter la société Y de sa demande tendant à voir déclarer la présente action irrecevable,

sur le fond :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

statuant à nouveau :

- dire la société X recevable en son action,

- dire qu'en l'absence de tout manquement de sa part à ses obligations de règlement, la résiliation du contrat par la société Y est abusive,

en conséquence, et par application de l'article 2.4 dudit contrat :

- condamner la société Y à payer à la société X une somme de 1 620 007 € à titre de dommages et intérêts,

subsidiairement :

- dire qu'en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la durée du préavis raisonnable dont la société X aurait dû bénéficier ne saurait être inférieure à 30 mois,

- dire et juger en conséquence la résiliation moyennant un préavis de 90 jours brutale et fautive,

- condamner la société Y à payer à la société X une somme de 2 025 009 € à titre de dommages et intérêts,

- dire que la société Y s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale en détournant pour son activité propre des informations commerciales confidentielles de la société X et en tentant de débaucher des cadres de celle- ci,

- condamner de ce chef la société Y à payer à la société X une somme de 500 000 € à titre de dommages et intérêts,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux et/ou revues spécialisés de son choix, et, ce, pour un coût global de 20 000 € HT aux frais de la société Y,

- débouter la société Y de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger la société Y irrecevable en sa demande nouvelle, au sens de l'article 564 du Code de procédure civile, relative au paiement d'une somme de 51 552 € au titre des intérêts de retard,

- subsidiairement : l'en débouter,

- condamner la société Y à payer à la société X une somme de 20 000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Y aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions de la société Y, intimée, déposées et notifiées le 12 mars 2018 par lesquelles il est demandé à la cour de :

in limine litis

- constater que la société X n'a jamais mis en demeure la société Y de lui régler les sommes réclamées dans l'assignation du 14 novembre 2014,

- constater que la société X n'a pas fait appel à un expert-comptable avant toute action en justice, tel qu'imposé par l'article 2.4 du contrat, pour chiffrer contradictoirement le montant de l'indemnité qu'elle demande dans son assignation du 14 novembre 2014 au titre d'un prétendu préjudice qui reste à démontrer,

en conséquence :

- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société X,

et statuant à nouveau :

- écarter des débats les pièces 44 et 45 produites par l'intimée,

- déclarer irrecevable l'action de la société X,

- débouter la société X de l'intégralité de ses demandes,

à titre principal :

- constater que la société X, du fait de ses retards répétés dans le règlement des factures dues à la société Y, a manqué à ses obligations contractuelles,

- constater la rupture du contrat en raison des manquements avérés de la société X,

- dire que la société Y a résilié à bon droit le contrat liant les parties,

en conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté X de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- dire que l'article 2.4 du contrat du 30 mars 2009 est une clause pénale telle que visée à l'article 1152 du Code civil,

en conséquence :

- constater que la société X, du fait de ses retards répétés dans le règlement des factures dues à la société Y, a manqué à ses obligations contractuelles et a fait preuve d'une mauvaise foi manifeste,

- constater que la société X ne démontre pas son préjudice,

et en toute hypothèse :

- constater que la société X a refusé la prolongation de préavis proposée par la société Y,

- constater que la société Y a respecté un délai de préavis raisonnable,

- constater que la société X distribue les produits de la société IOC, concurrente de ceux objets du contrat de distribution la liant à la société Y,

- constater le caractère non brutal de la rupture,

en conséquence :

- dire que les indemnités réclamées par la société X sont manifestement excessives et les réduire à 1 euro,

à titre plus subsidiaire,

- constater que la société X, du fait de ses retards répétés dans le règlement des factures dues à la société Y, a manqué à ses obligations contractuelles,

- constater que la société X a refusé la prolongation de préavis proposée par la société Y,

en conséquence :

- débouter la société X de sa demande d'indemnité au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

à titre encore plus subsidiaire,

- constater que la société X, du fait de ses retards répétés dans le règlement des factures dues à la société Y, a manqué à ses obligations contractuelles et a fait preuve d'une mauvaise foi manifeste dans l'exécution du contrat,

- constater que la société X a refusé la prolongation de préavis proposée par la société Y,

en conséquence :

- constater que la société Y a respecté un délai de préavis raisonnable,

en conséquence :

- constater le caractère non brutal de la rupture,

- constater que la société X distribue les produits de la société IOC, concurrente de ceux objets du contrat de distribution la liant à la société Y,

- constater qu'en toute hypothèse la société X ne démontre pas son préjudice,

- constater que les demandes indemnitaires de la société X sont particulièrement excessives et infondées,

en conséquence :

- débouter la société X de l'intégralité de ses demandes,

à titre infiniment subsidiaire,

- désigner tel expert qui plaira à la cour, lequel au vu des documents contradictoirement échangés, aura pour mission de calculer :

* la marge nette que la société X aurait pu directement dégager après déduction de l'ensemble des charges engagées pour réaliser la distribution effective desdits produits lorsque celle-ci a réellement lieu (frais de couverture de change, frais de transports, frais d'importation et de dédouanement, frais de stockage, frais commerciaux, frais d'administration des ventes, frais de recouvrement, frais de support technique, etc...) entre le 1er octobre 2015 et le terme d'une période de préavis qu'il appartiendra à la cour de fixer,

* déduction faite de la marge réalisée par la société X sur la vente du stock de produits Y (les ventes sont aujourd'hui estimées à plus de 500 000 euros), qui devra naturellement être prise en compte dans le calcul de la perte de marge réelle subie par la société X,

à titre incident,

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la société X distribue les produits de la société IOC, concurrente de ceux objets du contrat de distribution la liant à la société Y,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Y de sa demande reconventionnelle,

en conséquence,

à titre principal,

- condamner la société X à verser à la société Y la somme de 1 420 295 € au titre de l'indemnité qui lui est due à raison du manquement de la société X à ses obligations contractuelles post rupture,

- condamner la société X au paiement d'une somme de 51 552 € au titre des intérêts de retard contractuellement prévus applicables aux années 2011 à 2014,

à titre subsidiaire,

- désigner avant dire droit tel expert-comptable qui aura pour mission de fixer le montant de l'indemnité due par la société X à la société Y conformément aux articles 2.2 et 2.4 du contrat,

- surseoir à statuer sur l'indemnité contractuelle due à la société Y dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert-comptable désigné,

en tout état de cause :

- débouter la société X de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société X au paiement de la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

- dire que les dépens pourront être directement recouvrés par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles, en application de l'article 699 du Code de procédure civile;

SUR CE

Sur l'irrecevabilité de l'action

La société Y soutient in limine litis que l'article 2.4 du contrat précisant qu' " En cas de désaccord il sera fait appel à un expert-comptable neutre afin de valider les différents montants. Ses honoraires seront couverts à hauteur de 50 % par chacune des parties " doit être analysé comme une clause de conciliation qui rend irrecevable " toute action contentieuse " introduite sans que ne soit observée la procédure prévue par la clause. Elle estime que la société X n'a aucunement cherché à régler son différend de manière amiable, notamment en ne la mettant pas en demeure de désigner un expert-comptable neutre, afin de valider les montants réclamés au titre d'une indemnité de rupture.

La société X réplique que la clause litigieuse se borne à indiquer qu' " il sera fait appel à un expert-comptable neutre afin de valider les différents montants ", sans que la clause ne précise les formes, délais et modalités d'intervention de ce technicien, pas plus que l'identité de la partie à l'initiative de laquelle cette saisine doit être mise en œuvre et qu'une telle stipulation ne saurait, dès lors, relever de la qualification de clause de conciliation préalable.

Il résulte des termes-mêmes de cette clause qu'elle ne constitue pas une clause de conciliation préalable, puisqu'elle se borne à prévoir le recours à un expert-comptable en cas de désaccord sur le montant de l'indemnité de résiliation prévue à l'alinéa précédent en cas de rupture sans faute avérée : " En cas de rupture sans faute avérée, la partie souhaitant mettre fin au contrat devra verser à l'autre une indemnité égale à la marge brute annuelle plus les éventuelles commissions perçues à l'occasion de ventes directes, réalisée sur le Chili, par la partie lésée, au cours des 2 (deux) dernières années calendaires. En cas de désaccord il sera fait appel à un expert-comptable neutre afin de valider les différents montants. Ses honoraires seront couverts à hauteur de 50 % par chacune des parties ".

La société Y a résilié le contrat pour faute, et n'a au surplus proposé aucune indemnité de résiliation, de sorte que les conditions de mise en œuvre de la clause d'évaluation par voie d'expert ne sont pas remplies.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a écarté cette clause.

Sur la résiliation abusive du contrat

L'appelante soutient que la clause de résiliation de l'article 6.3 du contrat ne pouvait jouer alors qu'elle n'était pas même invoquée dans le courrier de résiliation de la société Y du 1er octobre 2014.

Elle soulève que cette clause résolutoire prévoyait deux conditions cumulatives : l'existence d'un manquement aux obligations de paiement contractuelles et l'absence de règlement passé un délai de 30 jours à compter d'une mise en demeure.

Sur la première condition, l'appelante affirme que les conditions de paiement avaient été renégociées entre les parties et que, par un courriel du 13 juin 2014, Monsieur Alexis Z, directeur administratif et financier de la société Y, a confirmé avoir bien compris les contraintes de la société X, et l'a invitée à respecter les échéances des 16 et 30 juin, 15 et 31 juillet, 18 août, et des 1er et 30 septembre 2014. Elle soutient que cet échéancier a été respecté et les paiements honorés au jour dit, et même avant.

Sur la seconde condition, la société X expose qu'il était prévu qu'un retard de paiement ne pouvait entraîner une sanction que dans la mesure où il n'aurait pas été réparé dans les trente jours de la réception d'une mise en demeure adressée par le créancier. Elle indique que la lettre de mise en demeure du 18 juillet 2014, reçue seulement le 11 août, concernait un prétendu retard de paiement de 275 818,77 € au 15 juillet précédent et que, selon elle, cette somme a été réglée, au-delà même de son montant, par deux virements de 200 000 € des 30 juillet et 14 août 2014.

L'intimée réplique que la société X s'est rendue responsable de retards récurrents de paiement, constitutifs de manquements graves justifiant la résiliation de droit du contrat, en dehors même des conditions d'application de la clause résolutoire. Par ailleurs, l'intimée ajoute que la société Y n'a pas aménagé le calendrier de paiement et qu'elle a légitimement mis fin au contrat en l'absence de règlement des sommes dues dans le délai de 30 jours à compter de la mise en demeure du 18 juillet 2014.

Sur la mise en œuvre de la clause résolutoire

Le contrat signé entre les sociétés Y et X précise, en son article 2.2, les conditions de résiliation pour non respect de ses obligations par l'une des parties, à l'issue du respect d'un délai de préavis de 3 mois : " 1. Durée Résiliation Préavis (...) 2.2 En cas de non-respect de ses obligations par l'une des parties, à l'exception des cas de force majeure, il pourra être demandé à tout moment par l'autre partie de mettre fin au contrat, au moyen d'une lettre recommandée avec accusé de réception. Si la partie fautive ne met pas fin à son manquement dans les 30 (trente) jours qui suivent la date de signification de mise à disposition de la lettre recommandée le signifiant, la rupture du contrat deviendra effective à l'issue d'une période de 3 (trois) mois calculée à partir de cette date ".

L'article 6 décline ce principe en ce qui concerne les retards de paiement : " Prix et paiements (...) 6.3 - Le distributeur s'engage à respecter les termes de paiement convenus dans le présent contrat (Annexe C). En cas de non-respect de cet engagement, Y se réserve le droit de facturer au distributeur, qui l'accepte, un intérêt de 1,0 % par mois, calculé sur la valeur nette du solde du règlement en retard. Des retards répétés et non convenus seront considérés comme un manquement aux termes du présent contrat. Y pourra en outre mettre fin au contrat, sans préavis et sans indemnité, 30 (trente) jours après la date de signification de mise à disposition d'une lettre recommandée avec accusé de réception, si le règlement ne lui est pas parvenu au cours de ce délai de 30 jours ".

La résiliation du 1er octobre 2014 n'a pas respecté la forme prévue au contrat. Cette lettre ne fait état d'aucun manquement auquel il n'aurait pas été remédié dans le mois suivant une quelconque mise en demeure : " Nous faisons référence au contrat ci-dessus référencé (DT-090306). Conformément aux dispositions de celui-ci, nous vous notifions par la présente la résiliation de plein droit du contrat avec effet 90 jours après la date de la présente lettre. Cette résiliation est prononcée à vos torts exclusifs ".

Ce n'est qu'ultérieurement, dans le cadre de l'instance, que la société Y a exprimé ses griefs, évoquant les dispositions de l'article 6.3 du contrat.

Les deux seules mises en demeure adressées par la société Y à la société X sont datées des 18 juillet et 18 août 2014.

La première concernait un retard de paiement de 275 818,77 € au 15 juillet précédent. Or, la société X démontre avoir réglé cette somme, au-delà même de son montant, par deux virements de 200 000 € les 30 juillet et 14 août 2014. Il en résulte que dans le mois de la mise en demeure, la somme avait été réglée et que celle-ci ne pouvait donc déclencher la mise en œuvre de la clause résolutoire.

La seconde mise en demeure a été adressée à la société X le 18 août 2014, pour une somme de 124 456 €. La société X démontre avoir réglé la somme de 237 857 € le 28 août 2014, soit 10 jours après la mise en demeure.

Il apparaît donc que le délai de 30 jours a toujours été respecté par la société X sur chacune des deux mises en demeure adressées par la société Y.

La société Y expose que des " retards répétés et non convenus " constituent aussi, au sens des articles susvisés, un " manquement aux termes du contrat ". Elle fait état de retards de 2012 à 2014.

S'agissant des factures de 2014, il ressort des éléments versés aux débats par la société X qu'au moment de la résiliation du 1er octobre 2014, aucune somme n'était encore due à la société Y qui s'était acquittée de tous ses retards. Par ailleurs, la société Y n'a jamais fait état dans une quelconque mise en demeure du non-respect du calendrier de paiement de l'annexe C du contrat au titre de cette année 2014, mises à part les deux mises en demeure de l'été 2014.

S'agissant d'anciens retards de paiement qui auraient été constatés en 2012 et 2013, il convient de noter qu'ils n'ont pas davantage entraîné, de la part de la société Y, une quelconque mise en demeure.

Il y a donc lieu de conclure à l'absence de mise en œuvre régulière de la clause résolutoire du contrat.

Sur la mise en œuvre de l'article 1184 ancien du Code civil

Si l'article 1184 ancien du Code civil dispose que " La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement ", il est de principe que seule la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls.

Or, il résulte des pièces versées aux débats que les retards de paiement, auquel il a toujours été remédié par la société X, n'ont jamais constitué des incidents graves dont la société Y se serait inquiétée ou qui l'aurait mise en difficulté.

Au contraire, la société Y envisageait un partenariat plus étroit entre les deux parties, sous la forme d'une structure commune (joint venture), ce qui démontre l'existence d'une relation de confiance existant entre elles au moment même de l'envoi des deux mises en demeure de juillet et août 2014. Le 19 septembre 2014, en effet, le directeur commercial de la société Y a adressé à la société X l'ébauche d'un plan d'action à cinq ans (pièce 31 de la société X). Si par courriel du 19 juin 2014 (pièce 19 de la société Y) adressé par la société Y à la société X, celle-ci révèle que les raisons qui l'ont conduite à proposer ce partenariat renforcé tenaient aux " mauvaises performances " de la société X, au " non-respect des échéances de paiement ", " aux inquiétudes sur la réorganisation de X " et enfin " au développement commercial sur le marché ", cette pièce ne peut à elle seule venir contredire l'esprit de collaboration émanant de la société Y à l'égard de la société X, exclusif d'un grief grave à son encontre.

Pour tous ces motifs, il apparaît que, à aucun moment, le comportement de la société X n'a revêtu un caractère de gravité suffisant de nature à entraîner la résiliation du contrat par la société Y, au titre de l'article 1184 de l'ancien Code civil.

Il y a donc lieu de déclarer la résiliation du 1er octobre 2014 abusive, et par conséquent d'infirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur le dommage subi par la société X

La société X demande, au titre de la rupture abusive, l'allocation de la somme de 1 620 007 € et verse aux débats les calculs effectués à sa demande par le cabinet A, évaluant ses marges brutes des années 2013 et 2014.

La société Y conteste la fiabilité de cette évaluation et estime que la société X ne démontre avoir subi aucun préjudice, s'étant reconvertie avec la société IOC, son principal concurrent et ayant refusé l'allongement du préavis proposé par elle à 12 mois. Elle conclut donc au rejet de la demande de la société X, et, en toute hypothèse, à la réduction de l'indemnité sollicitée, la clause du 2.4 étant une clause pénale que le juge peut modérer.

Il résulte du point 2.4 du contrat, qu' " en cas de rupture sans faute avérée, la partie souhaitant mettre fin au contrat devra verser à l'autre une indemnité égale à la marge brute annuelle plus les éventuelles commissions perçues à l'occasion de ventes directes, réalisée sur le Chili, par la partie lésée, au cours des deux dernières années calendaires ".

Cette clause, applicable en cas d'absence de faute avérée de la part de la société X, s'analyse comme une clause pénale conformément à l'article 1152 du Code civil, dans sa version alors en vigueur. Elle prévoit en effet que la partie qui manquera d'exécuter le contrat payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts. Il résulte de cet article que " le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire ".

La société X verse aux débats, pour justifier de son préjudice, un tableau établi sur papier libre retraçant la part de ses ventes réalisées avec la société Y sur son chiffre d'affaire total de 2008 à 2014 (pièce 26), l'étude réalisée par le cabinet A évaluant sa marge brute au titre des exercices 2013 et 2014 et enfin une attestation de son expert-comptable retraçant les apports en compte courant de son actionnaire majoritaire, Monsieur C à la société X (pièce 44).

Si l'étude du cabinet A et le tableau ne sont assortis d'aucun document comptable, la société Y, qui connaît le montant des achats de la société X, n'apporte aucune contradiction quant aux chiffres reportés dans ces documents. Il n'y a, par ailleurs, pas lieu de contester l'attestation de l'expert-comptable qui fait état de difficultés de la société X, contrainte, après la résiliation, de demander l'aide financière de son actionnaire majoritaire. Ensuite, les documents versés aux débats attestent que la société X s'est tournée vers un nouveau partenaire à compter de juillet 2015 sans qu'il soit démontré qu'elle ait pu totalement se reconvertir en 2015. La circonstance que la société X ait refusé la proposition de prolongation du délai de préavis de la société Y ne démontre pas son absence d'utilité, mais la désorganisation de l'entreprise que la résiliation irrégulière avait déjà entraînée.

Toutefois la cour prendra en compte la circonstance que la référence à la marge brute conduit à majorer la réparation octroyée par rapport au préjudice effectivement subi, seule la marge nette perdue reflétant exactement le dommage. L'allocation de la somme sollicitée de 1 620 007 euros est donc manifestement disproportionnée au préjudice.

Sans avoir besoin de recourir aux services d'un expert, la cour dispose des éléments suffisants pour fixer à 1 200 000 euros l'indemnisation à allouer à la société X.

La société Y sera donc condamnée à payer la somme de 1 200 000 € à la société X.

Dès lors qu'il a été fait droit à la demande principale, il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire.

Sur la déloyauté de la société Y alléguée par la société X

L'appelante soutient qu'initié au début de l'année 2014, et évoqué lors d'une réunion du 26 mai, le projet d'une évolution des relations entre la société Y et son distributeur chilien ne s'orientait pas dans le sens d'une rupture des rapports contractuels, mais au contraire dans celui de la création d'un véritable partenariat autour de la création d'une structure commune. Elle mentionne qu'en croyant en la bonne foi de son cocontractant, elle a transmis, à la demande de la société Y, le 8 juillet 2014 un accord de confidentialité, et diverses informations sur le marché chilien. Elle ajoute que le 19 août 2014, la société Y faisait mine d'avancer dans les discussions et sollicitait la communication de documents commerciaux de grande importance, en particulier d'une liste de tous les clients de la société X acheteurs de produits Y, précisant le montant de leurs achats annuels pour ces produits. Le 25 août 2014, elle lui adressait le tableau des ventes pour chacun de ses clients chiliens pour les années 2013 et 2014. En conséquence, elle soutient que la société Y, connaissant, au travers des documents qu'elle avait obtenus de X, l'état exact du portefeuille clients créé, puis développé au Chili pour son compte, pouvait voler enfin de ses propres ailes sur le marché chilien au travers de la structure chilienne qu'elle créait à cet effet. Elle aurait également tenté de débaucher certains de ses salariés. Ces pratiques seraient, selon elle, constitutives de concurrence déloyale.

L'intimée réplique qu'elle n'a eu accès à aucune information confidentielle et n'a pas tenté de débaucher les salariés de la société X.

L'article 8 du contrat, intitulé " Information commerciale " dispose : " Dans le but d'une meilleure coordination commerciale, les ventes du distributeur, par produit et par client, seront communiquées à Y à la fin de chaque mois. Un plan de travail sera établi en commun entre le distributeur et Y avant chaque vendange. Ce plan définira les produits à promouvoir et les clients cibles, ainsi que les essais à mettre en œuvre ".

Il résulte de cet article que la société Y n'a exigé que les informations auxquelles elle avait droit, de par les dispositions mêmes du contrat.

Par ailleurs, les trois attestations de salariés de la société X qui relatent avoir été sollicités par la société Y en décembre 2014, janvier et février 2015, soit, pour deux d'entre elles, après la résiliation du contrat, sont contredites par des attestations adverses et ne permettent pas de caractériser une manœuvre déloyale de sa part.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société X de cette demande.

Sur la demande de publication de l'arrêt à intervenir

Le préjudice de la société X étant suffisamment réparé par l'allocation de dommages-intérêts, il n'y a pas lieu d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir. Cette demande sera donc rejetée.

Sur la demande en paiement des intérêts de retard de la société Y

Excipant de l'article 6.3 du contrat, qui dispose que " Le Distributeur s'engage à respecter les termes de paiement convenus dans le présent contrat (Annexe C). En cas de non-respect de cet engagement, Y se réserve le droit de facturer au distributeur, qui l'accepte, un intérêt de 1,0 % par mois, calculé sur la valeur nette du solde du règlement en retard ", la société Y sollicite le paiement de ces intérêts sur les factures réglées par la société X avec retard de 2011, 2012, 2013 et 2014, soit la somme de 51 552 €.

La société X oppose l'irrecevabilité de cette demande, en application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile et répond sur le fond que le sort de cette demande est directement inhérent à la caractérisation d'un éventuel " retard de règlement " effectif, que la société Y ne démontre pas, compte tenu des tolérances et calendriers de paiement qu'elle lui a consentis.

Cette demande ne constitue nullement l'accessoire, la conséquence ou le complément d'une demande de la société Y devant les premiers juges. En effet, cette société n'a formulé devant eux aucune demande en paiement des factures à propos desquelles elle sollicite le versement d'intérêts. Cette demande, nouvelle en appel, est donc irrecevable.

A la supposer même recevable, elle est infondée, faute pour la société Y d'avoir sollicité le paiement de ceux-ci au moment où lesdits retards se sont manifestés.

Sur la demande reconventionnelle de la société Y pour violation des obligations postcontractuelles par la société X

La société Y expose qu'en application de l'article 2.2 du contrat qui prévoit : " Dans le cas où le Distributeur ne remplit pas ses obligations vis-à-vis des règlements ou des objectifs, et sera donc en faute, celui-ci aura le choix entre payer l'indemnité ou se retirer du marché des Produits pour une période minimum de 2 années. (...) ", la société X qui est en faute du fait de ses retards répétés dans les règlements des sommes dues, et qui a invité ses clients au " lancement de la nouvelle marque " nologique ", la marque française concurrente " IOC " qu'elle va désormais représenter au Chili, lui est redevable d'une indemnité.

Mais la société X réplique à juste raison qu'elle n'a pas commis de fautes et qu'aucun grief ne peut lui être fait d'avoir cherché à se reconvertir, ce qu'elle n'a jamais dissimulé.

Cette demande sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Y, succombant au principal, sera condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société X la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, déclare irrecevable comme nouvelle en appel la demande en paiement des intérêts de la société Y au titre des factures de 2011 à 2014, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du non-respect de l'article 2.4 du contrat, et en ce qu'il a rejeté la demande de la société X contre la société Y pour concurrence déloyale et celle de la société Y contre la société X pour violation de ses obligations post contractuelles, l'infirme pour le surplus, et, statuant à nouveau, déclare abusive la résiliation du contrat par la société Y, condamne la société Y à payer à la société X la somme de 1 200 000 €, y ajoutant, rejette la demande de publication de l'arrêt de la société X, condamne la société Y aux dépens de première instance et d'appel, condamne la société Y à payer à la société X la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.