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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 17 mai 2018, n° 17-06387

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Beauty Store 92 (SARL)

Défendeur :

L'Oréal (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bouvier

Conseillers :

Mmes Grison-Pascail, Soulmagnon

T. com. Nanterre, prés., du 17 août 2017

17 août 2017

Exposé du litige

La SA L'Oréal commercialise sous la marque " Kérastase " une gamme de produits de soins capillaires dont la vente et l'utilisation se font en salons de coiffure et à domicile.

A cet effet, elle a mis en place un réseau de distribution sélective regroupant des coiffeurs-conseils.

Ainsi seuls les salons de coiffure remplissant les critères objectifs de sélection qu'elle a établis et qui ont signé au préalable le contrat de coiffeurs-conseil " Kérastase " sont habilités à commercialiser les produits de cette marque.

La SARL Beauty Store 92 a pour activité principale l'achat et la vente de tous produits, commerce en détail non spécialisé. Elle dispose d'une boutique à l'adresse de son siège social <adresse>.

A compter de l'été 2015, la société Beauty Store 92 a entrepris de commercialiser des produits Kérastase.

La société L'Oréal lui a adressé des courriers afin qu'elle cesse de proposer les produits de sa marque à la vente, faute d'agrément, et afin qu'elle justifie de l'origine de ses approvisionnements.

La société Beauty Store 92 n'ayant pas déféré à ces injonctions, la société L'Oréal, par acte du 17 juillet 2017, l'a assignée devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de lui enjoindre de cesser toute commercialisation des produits de la marque " Kérastase " sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ; d'obtenir la communication sous astreinte de tout document permettant d'identifier les coordonnées des opérateurs l'approvisionnant depuis au moins 2015 en produits " Kérastase ", ainsi que son chiffre d'affaires de vente réalisé depuis le 1er janvier 2015 avec les produits " Kérastase ".

Par ordonnance contradictoire du 17 août 2017, le juge des référés, retenant notamment que l'annexe I du contrat de coiffeur-conseil Kérastase mentionne les modalités de sélection des salons agréés, lesquelles sont manifestement précises, complètes, basées sur des critères qualitatifs objectifs conformément aux dispositions du règlement CE n° 330/2010 du 20 avril 2010 ; qu'il n'est ni soutenu ni démontré que ledit contrat contiendrait une disposition manifestement contraire aux règles de concurrence figurant dans ledit règlement ; que le juge des référés est "compétent" pour constater la licéité du réseau de distribution ; qu'aucune contestation sérieuse n'est caractérisée et que le trouble illicite est suffisamment démontré au regard des circonstances de fait et de droit dont la réalité n'est pas contestée ; qu'il appartient au juge des référés pour apprécier le caractère sérieux de la contestation de s'assurer du caractère licite ou illicite du contrat de distribution sélective ; qu'il n'est pas contesté par la partie défenderesse que la société Beauty Store 92 n'est pas partie au contrat de coiffeur-conseil Kérastase, n'exerce pas l'activité de coiffure mais celle d'achat et vente de tout commerce en détail non spécialisé, que la société Beauty Store 92 reconnaît qu'elle commercialise sans l'accord de L'Oréal les produits Kérastase; que la société Beauty Store 92 est au surplus mal fondée à opposer l'absence de démonstration de licéité du contrat de distribution sélective à laquelle elle n'est ni partie, ni n'a même soumissionné pour en être partie, et dont elle ne remplit manifestement pas les critères, en particulier au regard de son objet social tel que figurant en son extrait Kbis versé aux débats ; que la société Beauty Store 92 a déféré à la demande de L'Oréal de communication de tout document permettant d'identifier les coordonnées des opérateurs l'approvisionnant depuis au moins 2015 en produits Kérastase, a :

- déclaré le juge des référés compétent et rejeté l'exception d'incompétence soulevée in limine litis par la société Beauty Store 92 tendant à la constatation de la licéité du réseau de distribution sélective,

- constaté le caractère licite du réseau de distribution des produits de la marque Kérastase,

- enjoint à la société Beauty Store 92 de cesser toute commercialisation des produits de la marque Kérastase, dans tout point de vente ou autres lieux commerciaux, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard limitée à une période de 90 jours, et ce à compter des huit jours suivant la date de signification de la présente ordonnance,

- débouté la société L'Oréal du surplus de ses demandes de ce chef,

- enjoint à la société Beauty Store 92 de communiquer à la société L'Oréal le chiffre d'affaires de vente des produits de la marque Kérastase réalisé dans tout point de vente ou autres lieux commerciaux depuis le 1er janvier 2015, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard limitée à une période de 90 jours à compter des huit jours suivant la date de signification de la présente ordonnance, et débouté la société L'Oréal du surplus de ses demandes de ce chef,

- débouté la société L'Oréal de sa demande d'enjoindre à la société Beauty Store 92 de lui communiquer sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance, tout document permettant d'identifier les coordonnées des opérateurs l'approvisionnant depuis au moins 2015,

- condamné la société Beauty Store 92 à payer à la société L'Oréal la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société L'Oréal du surplus de ses demandes de ce chef,

- condamné la société Beauty Store 92 aux entiers dépens de l'instance.

Le 23 août 2017, la société Beauty Store a relevé appel de la décision.

Dans ses conclusions reçues au greffe le 30 novembre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Beauty Store 92, appelante, demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du Tribunal de commerce de Nanterre le 17 août 2017,

Statuant à nouveau,

- constater qu'il n'existe pas de trouble manifestement illicite,

En conséquence :

- dire n'y avoir lieu à référé,

- débouter la société L'Oréal de toutes ses demandes,

- condamner la société L'Oréal à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société L'Oréal aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses demandes, la société Beauty Store fait valoir :

- que le constat de la licéité ou non du réseau de distribution ne ressort pas des pouvoirs du juge des référés alors qu'il constitue un préalable pour déterminer si un trouble illicite existe ;

- que la société L'Oréal demande au juge des référés d'effectuer une recherche factuelle et juridique approfondie, sur la base des critères retenus par la loi, les règlements communautaires et la jurisprudence ; qu'une telle recherche excède les pouvoirs du juge des référés ; que le premier juge n'a pas caractérisé de trouble " manifeste " lui permettant d'accueillir les demandes de la société L'Oréal ;

- que la société L'Oréal échoue à prouver la licéité du contrat de distribution en cause et partant le trouble prétendument illicite caractérisé par la commercialisation par Beauty Store 92 des produits Kérastase ; que pour la Cour de cassation, c'est à celui qui commercialise ses produits par un réseau de distribution sélective et qui demande la condamnation d'un intermédiaire non agréé en invoquant une dérogation au principe de la libre concurrence, qu'incombe la preuve de la réunion des conditions nécessaires à la licéité de ce réseau de distribution sélective (Cass. com., 13 déc. 1988, n° 87-15.521 ; Cass. com., 21 mars 1989, n° 87-13.909 ; Cass. com., 10 mai 1989, n° 87-19.977, 87-19.978, 87-19.979 et 87-19.980 ; Cass. com., 21 juin 2011, n° 09-70.304) ; que c'est au fabricant de démontrer que son réseau de distribution fonctionne selon les règles du contrat-type dont il se prévaut (Cass. com., 26 oct. 1993, n° 91-21.931) ; que les juges ne sauraient se livrer à l'examen des fautes éventuellement commises par le distributeur non agréé sans s'être au préalable prononcés sur la licéité du réseau de distribution sélective (Cass. com., 9 mars 1993, n° 89-20.796) ; qu'il appartient au juge, en se référant aux textes applicables à la cause, de rechercher, par une appréciation concrète des éléments de fait qui lui étaient soumis, si la société demanderesse, à qui incombait la charge de la preuve, établissait qu'elle exerçait son activité conformément à la loi (Com., 14 janv. 1992 : Bull. civ. IV, n° 12) ; que la licéité d'un réseau de distribution ne se présume pas, elle doit être prouvée (CA Paris, 29 juin 2016, n° 14/00335) ; que dès lors que le fournisseur n'apporte pas la preuve de la licéité de son réseau, les juges du fond n'ont pas à examiner si le distributeur non agréé établit l'illicéité de ce réseau (Cass. com., 2 févr. 1993, n° 91-10.111) ; que le premier juge a donc inversé la charge de la preuve en estimant que la société Beauty Store 92 n'avait pas démontré que le contrat produit par la société L'Oréal contiendrait une disposition manifestement contraire au droit de la concurrence ;

- que la société L'Oréal ne démontre pas respecter les conditions légales, communautaires, et jurisprudentielles pour que son réseau soit licite ; qu'elle ne démontre pas plus que l'approvisionnement de la société Beauty store 92 en produits Kérastase serait irrégulier ; que société L'Oréal allègue que son contrat-type est conforme aux prescriptions du droit de la concurrence telles qu'elles ressortent du Règlement CE n° 330/2010 du 20 avril 2010 de la Commission européenne et des Lignes directrices sur les restrictions verticales publiées le 19 mai 2010 ; que l'organisateur du réseau, qui en invoque le respect, doit démontrer la validité dudit réseau au regard des règles de concurrence (CA Paris, 27 mars 2014, Cosimo c/ Carrefour, n° 10/19766) ; que la société L'Oréal doit donc démontrer que son réseau de distribution sélective est " licite " car il ne produit pas d'effets préjudiciables sur la concurrence et ne relève pas des règles prohibant les ententes anti-concurrentielles (articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), Règlement CE n° 330/2010 du 20 avril 2010) ; que la société L'Oréal ne fournit pas la moindre pièce pour établir la validité de son réseau ; qu'elle se fonde en réalité sur le seul critère de la notoriété ; que la communication des contrats entre la demanderesse et diverses sociétés ne suffit qu'à prouver la mise en place d'un réseau de distribution et non sa conformité à la loi ; que pour qu'un réseau de distribution sélective soit licite, il faut que les parts de marché des parties soient inférieures à 30 % sur leurs marchés respectifs ; que la société L'Oréal n'établit nullement qu'à travers le réseau, elle ne détiendrait pas plus de 30 % des parts de marché ; qu'elle ne démontre pas davantage qu'aucun membre du réseau de distribution sélective ne réalise un chiffre d'affaires annuel qui dépasse 50 millions d'euros,

- que la preuve de la licéité du réseau est rapportée lorsque l'analyse " des obligations réciproques des parties " fait apparaître cumulativement que : 1° les distributeurs agréés " ne peuvent vendre (...) qu'à des consommateurs directs ou à d'autres distributeurs agréés des États membres de la Communauté " européenne, 2° " les prix de vente restent libres ", 3° " les membres du réseau sont choisis en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif ", 4° le marché considéré " est soumis à une vive concurrence ". (Cass. com., 27 oct. 1992, n° 90-18.942) ; que la société l'Oréal fournit un " exemple " de contrat de distribution pour les produits Kérastase qui ne démontre en aucune façon qu'elle respecte les critères jurisprudentiels ; que l'annexe 2 du contrat censé comporter la liste des distributeurs agréés est vide ; qu'elle ne permet pas de s'assurer de la sélectivité du réseau et du respect des prétendus critères qualitatifs allégués ; que la jurisprudence de la CJCE impose que la sélection des distributeurs se fasse " en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire " (CJCE, 25 oct. 1977, aff. 26/76, Metro I, point 20 : Rec. CJCE 1977, p. 1875. - CJCE, 11 déc. 1980, aff. 31/80, L'Oréal, point 16 : Rec. CJCE 1980, p. 3775. - CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, point 41 : Rec. CJUE 2011, I, p. 9449) ; que L'Oréal ne démontre pas que ces critères seraient respectés ;

- que le seul fait de commercialiser des produits relevant d'un réseau de distribution sélective n'est pas fautif ; que pour caractériser une faute, il appartient au demandeur de prouver le caractère irrégulier de l'approvisionnement, sauf en cas de silence observé par le distributeur parallèle ; que la société Beauty Store produit son unique facture d'achat des produits en cause; que la société L'Oréal ne justifie pas de l'illicéité de l'achat effectué par la société Beauty Store.

Dans ses conclusions reçues le 4 janvier 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société L'Oréal, intimée, demande à la cour de:

- confirmer en tous points l'ordonnance dont appel,

- constater la licéité du réseau de distribution sélective de la marque " Kérastase ",

- constater que la société Beauty Store 92 n'est pas membre du réseau de distribution sélective des produits de la marque " Kérastase ",

- constater que la société Beauty Store 92 a commercialisé les produits " Kérastase " sans agrément, depuis au moins 2015, qu'elle a refusé délibérément de cesser ce commerce illicite, et qu'elle refuse de façon tout aussi délibérée de fournir les coordonnées de tous les opérateurs l'approvisionnant en produits " Kérastase " depuis 2015,

- constater que ces éléments de fait et de droit constituent un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser,

En conséquence,

- condamner la société Beauty Store 92 au paiement d'une somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la société L'Oréal fait valoir :

- que le contrat de distribution sélective " Kérastase " est conforme aux prescriptions du droit de la concurrence telles qu'elles ressortent du Règlement CE n° 330/2010 de la Commission européenne du 20 avril 2010 et des Lignes directrices sur les restrictions verticales publiées le 19 mai 2010 ; que rien ne permet d'établir que le contrat de distribution sélective " Kérastase " ne pourrait pas, de ce fait, bénéficier de l'exemption par catégorie édictée par le règlement CE n° 330/2010 ; que la jurisprudence récente est très claire quant aux critères de validité d'un réseau de distribution sélective ; que la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 15 novembre 2017, a eu l'occasion de rappeler : " (...) qu'un système de distribution exclusive et/ou sélective n'est pasen soi anti-concurrentiel et qu'il ne le devient que s'il limite abusivement la liberté commerciale et qu'il peut être considéré comme licite au regard des prévisions du 1º de l'article 101 du TFUE, si trois conditions sont réunies cumulativement : 1. la nature du produit en question doit requérir le recours à un tel système afin d'en préserver la qualité et d'en assurer le bon usage, 2. les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, 3. les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire. En conséquence, si ces conditions sont réunies, le système de distribution échappe à l'interdiction, sans même nécessiter une exemption " ; que l'arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu le 2 novembre 2017 fournit la grille d'analyse de la licéité d'un réseau de distribution sélective dans une affaire voisine de celle soumise à la présente cour ; que L'Oréal a produit en première instance une ordonnance du juge des référés de Cahors du 21 octobre 2013 qui prend acte de la licéité du réseau de distribution sélective " Kérastase " ; qu'en fournissant le contrat de distribution sélective " Kérastase " dont les annexes démontrent que le choix des distributeurs agréés est basé sur des critères n'ayant ni pour objet ni pour effet d'exclure certaines formes de distribution, elle a apporté la preuve que les critères de choix des distributeurs agréés ont manifestement un caractère objectif ; que la société L'Oréal a donc apporté les éléments suffisants pour permettre au juge de se prononcer sur la licéité du réseau en cause ; que la société L'Oréal a ainsi produit au soutien de son argumentaire un constat d'huissier actant que les coiffeurs-conseils agréés de la marque " Kérastase ", qui représentaient à l'époque 4 144 contrats et 5 002 points de vente, avaient bel et bien signé un contrat reprenant les mêmes obligations que celles contenues dans le contrat-type de distribution sélective établi par la marque ; que la Cour pourra constater l'absence de toute contestation sérieuse de la validité du réseau de distribution sélective " Kérastase " de la part de la société Beauty Store 92 ; que les jurisprudences invoquées par l'appelante sont manifestement non transposables au cas d'espèce,

- que la société Beauty Store 92 connaissait parfaitement l'existence du réseau de distribution sélective " Kérastase " au moment de l'assignation ayant été destinataire de trois mises en demeure, les 26 octobre 2015, 15 septembre 2016 et 18 mai 2017 ; que les produits de la marque " Kérastase " portent la mention expresse " Réservé aux distributeurs agréés " Kérastase ", ainsi que cela ressort des procès-verbaux d'huissier dressés les 1er décembre 2015 et 17 mai 2017 ; que la société Beauty Store 92 savait également qu'un des principaux critères de sélection appliqué par la marque " Kérastase " tient à l'exercice d'une activité de salon de coiffure dans le point de vente considéré ; que le point de vente qu'elle exploite est un magasin de détail qui n'est pas un salon de coiffure ; que c'est donc en toute connaissance de cause que la société Beauty Store 92 a persisté à commercialiser les produits " Kérastase " en violation du réseau de distribution sélective mis en place par cette marque jusqu'à ce que soit rendue l'ordonnance dont appel,

- que de jurisprudence constante, sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, "l'illicéité ou le caractère frauduleux est révélé par le refus de justifier leur provenance, constitue en lui-même un acte de concurrence déloyale" ; qu'un opérateur non agréé détenant et commercialisant des produits réservés à un réseau de distribution sélective commet une faute en refusant d'indiquer sa ou ses sources d'approvisionnement ; que le législateur a introduit à l'article L. 442-6-I-6° du Code de commerce une disposition instaurant un cas de responsabilité civile particulier pour tout comportement consistant directement ou indirectement à participer à l'atteinte portée à l'étanchéité de ce type de réseau de distribution ; que le silence volontaire de la société Beauty Store 92 face aux trois mises en demeure qui lui ont été adressées pendant près de deux ans, sa persistance à commercialiser les produits " Kérastase " sans aucun agrément de la marque et son refus tout aussi obstiné d'indiquer la source de ses approvisionnements, l'ont placée sans aucune ambiguïté dans le champ de responsabilité qui ressort de la jurisprudence et de la disposition légale précitées ; qu'une analyse des formats des produits de marque " Kérastase " vendus par la société Beauty Store 92 et de l'évolution des formats de ces mêmes produits entre 2015 et 2016 démontre que l'appelante a bénéficié de plusieurs approvisionnements illicites en 2015 puis en 2016 puisque le " packaging " des produits " Kérastase " a évolué et que la société Beauty Store 92 a vendu des produits sous les deux " packaging " différents ; que l'appelante persiste dans son refus de justifier de la provenance de tous les produits de marque " Kérastase " vendus par elle et par là même persiste dans son refus de communiquer les documents permettant d'identifier les coordonnées des opérateurs l'approvisionnant depuis 2015, ce qui constitue encore un acte de nature à engager sa responsabilité,

- que les éléments de fait et de droit qui viennent d'être rappelés caractérisent l'existence d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 février 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de " constatations " qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.

En application de l'article 873, alinéa 1, du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du " dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et le trouble manifestement illicite résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ".

Il s'ensuit que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.

Sur la licéité du réseau de distribution

Il appartient en l'espèce à la société L'Oréal, qui invoque l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la commercialisation de ses produits hors réseau, d'établir au préalable la licéité de ce dernier au regard des règles du droit de la concurrence, et ce, avec l'évidence requise en référé.

Ainsi la société Beauty Store 92 ne peut-elle affirmer que la constatation de la licéité du réseau de distribution sélective de la marque Kérastase excède nécessairement les pouvoirs de la cour, statuant en référé.

Il peut être relevé que le débat ne porte pas sur l'existence du réseau de distribution sélective des produits Kérastase, qui n'est ni contesté ni contestable, mais sur l'évidence de sa validité, qu'il appartient à la seule société L'Oréal de démontrer, sans que celle-ci puisse se prévaloir de " l'absence de contestation sérieuse " de la part de la société Beauty Store, la charge de la preuve lui incombant et la société Beauty Store 92 n'ayant pas à établir l'illicéité du réseau en cause.

C'est donc de manière inopérante que le premier juge a notamment énoncé que la société Beauty Store 92 était mal fondée à opposer à la société L'Oréal " l'absence de démonstration de licéité du contrat de distribution sélective à laquelle elle n'est ni partie, ni n'a même soumissionné pour en être partie ".

Selon les règles du droit de la concurrence, la distribution sélective ne relève pas de l'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et de l'article 420-1 du Code de commerce qui prohibent les ententes restrictives de concurrence, si elle remplit certaines exigences consacrées par les autorités de la concurrence.

Selon l'article 101 (anciennement article 81) du TFUE :

1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,

d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.

2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.

3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :

- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,

- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et

- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.

Lorsque la preuve de la licéité d'un réseau de distribution sélective n'a été constatée par aucune décision trois conditions doivent alors être réunies cumulativement pour échapper à l'interdiction de l'article 101, paragraphe 1, précité à savoir :

- la nature du produit requiert un système de distribution sélective pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage,

- les distributeurs agréés doivent être choisis sur la base de critères objectifs de nature qualitative, fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire,

- les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire (principe de proportionnalité).

Par ailleurs, par dérogation à l'interdiction de principe posée par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, l'article 101, paragraphe 3, du traité pose deux types d'exemption, les exemptions individuelles et les exemptions par catégorie, applicables à des catégories d'accords prenant la forme de règlements de la Commission.

Il n'existe pas de règlements d'exemption spécifiques concernant les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, qui sont donc susceptibles de bénéficier de l'exemption conférée, tous secteurs confondus, par le règlement CE n° 330/2010 du 20 avril 2010 (substituant le règlement n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999), concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE, à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, et les Lignes directrices sur les restrictions verticales publiées le 19 mai 2010, lorsque notamment la part détenue par le fournisseur sur le marché pertinent, sur lequel il vend ses biens et services, ne dépasse pas 30 %, de même que celle du distributeur, et sous réserve que les accords ne comportent pas de restriction de concurrence caractérisée (article 4 du règlement).

Ce règlement UE 330/2010 d'exemption catégorielle instaure une présomption de conformité au droit communautaire de la concurrence des accords verticaux lorsque les exigences susvisées sont remplies.

Au cas d'espèce, la société L'Oréal a mis en place un réseau de distribution sélective qualitative pour la commercialisation des produits Kérastase (gamme de produits de soins capillaires) regroupant exclusivement des coiffeurs-conseils, sélectionnés selon certains critères qui sont énoncés à l'annexe I du contrat-type signé entre les parties.

Toutefois, la cour ne peut que constater que la société L'Oréal ne justifie pas détenir une part de marché inférieure à 30 %, seuil fixé par l'article 3 du règlement d'exemption susvisé et ne peut donc se prévaloir de la présomption de conformité au droit des ententes de ses contrats de distributeurs agréés, quels que soient les critères de sélection sur lesquels ces contrats reposent.

Il lui appartient donc d'établir que son réseau de distribution exclusive satisfait aux conditions cumulatives précitées lui permettant d'échapper à l'interdiction de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.

La cour relève tout d'abord que la notoriété de la marque Kérastase commercialisée par la société L'Oréal n'est pas contestée et que la technicité des produits de la marque reconnue sur un plan mondial n'est pas plus sérieusement discutable, ce qui justifie la mise en place d'un réseau de distribution sélective que la société indique, sans être utilement contredite, avoir mis en place depuis plus de quarante ans, destiné à préserver la qualité et le prestige de ses produits appliqués en salon de coiffure et à en assurer le bon usage, dans un environnement permettant le conseil à la vente du consommateur par des professionnels qualifiés.

Il résulte par ailleurs des termes du contrat de distribution sélective type que les critères de sélection et les obligations imposées aux coiffeurs-conseils sont précis et garantissent l'objectivité requise par les dispositions communautaires, contrairement à ce que soutient l'appelante.

En effet, l'annexe I du contrat définit de manière précise ces critères tenant à :

- la localisation du point de vente et de l'environnement

- au point de vente lui même

- la qualité du service en salon

- la qualification professionnelle du personnel, en énonçant pour chaque critère sur quels qualités et paramètres l'appréciation de la société L'Oréal sera effectuée, l'évaluation du point de vente en vue de l'agrément du distributeur s'opérant sur la base d'une grille de notation reprenant les critères précisément définis dans ladite annexe.

Le contrat-type prévoit encore que le demandeur ne satisfaisant pas entièrement aux critères de sélection requis est informé par écrit de ceux lui restant à remplir pour être agréé, ce qui lui permet de présenter une nouvelle demande, cette stipulation démontrant encore le caractère objectif et non discriminant des critères d'agrément purement qualitatifs.

Enfin, il peut être relevé que le contrat de distribution est exclusif de toute sélection quantitative, en l'absence de limitation du nombre de points de vente ou de revendeurs agréés ; qu'il n'exclut pas la possibilité de vente des produits de la marque sur internet, prohibée par le droit de la concurrence, y compris dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, sous réserve d'un agrément spécial et du respect de normes de qualité, ce qui est parfaitement licite ; que les coiffeurs-conseils restent libres de fixer le prix de revente des produits de la marque ; que la clause interdisant au distributeur agréé la revente hors réseau est de l'essence même du réseau de distribution sélective et ne constitue pas une restriction de concurrence caractérisée.

La cour souligne à cet égard que l'appelante, si elle conteste la licéité du réseau de distribution sélective Kérastase, ne précise pas en quoi le contrat-type ne serait pas conforme aux prescriptions du droit de la concurrence.

Il convient d'ajouter que le procès-verbal de constat dressé les 4, 6 et 17 juillet 2017 (pièce 11 intimée) démontre que les coiffeurs-conseils agréés, représentant à l'époque considérée 4 144 contrats et 5 002 point de vente, ont signé un contrat reprenant les obligations du contrat-type susvisé.

Il résulte de l'ensemble de ces constatations et énonciations que la licéité du réseau de distribution sélective qualitative " Kérastase " est établie avec l'évidence suffisante requise en référé.

Sur l'existence du trouble manifestement illicite

Selon l'article L. 442-6 I 6° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

6° De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ".

Aux termes d'une jurisprudence constante, le simple fait de commercialiser hors réseau des biens ordinairement vendus par les membres du réseau n'est pas en soi fautif, dès lors que les contrats de distribution formant le réseau, s'ils sont opposables aux tiers, ne les obligent pas contractuellement.

Ainsi la simple revente hors réseau ne constitue pas en elle-même un trouble manifestement illicite.

Pour justifier le prononcé de mesures conservatoires, destinées à assurer la protection du réseau, il doit être démontré le caractère illicite ou frauduleux de l'approvisionnement par le tiers distributeur ou son comportement déloyal.

Ainsi il appartient au tiers revendeur non agréé de démontrer, en révélant l'identité de ses sources d'approvisionnement, qu'il a acquis les marchandises dans des conditions régulières, notamment sur un réseau parallèle extérieur au réseau de distribution sélective, l'illicéité ou le caractère frauduleux de l'approvisionnement étant révélé par son refus de justifier de leur provenance.

Au cas d'espèce, il est établi et non contesté par la société Beauty Store 92, revendeur non agréé du réseau sélectif, que celle-ci commercialise des produits de la marque Kérastase depuis l'année 2015, dans un magasin de détail situé à Boulogne Billancourt qui n'est pas un salon de coiffure.

La société appelante soutient avoir acquis régulièrement ces produits, une seule fois, versant aux débats une facture d'achat en date du 12 août 2015 auprès de Mteam en Pologne.

La société L'Oréal prétend que la société Beauty Store 92 n'a pas justifié de la régularité de ses approvisionnements sur toute la période critiquée, de 2015 à 2017, se prévalant d'une évolution des formats de ses produits entre 2015 et 2016 et d'une revente par l'appelante de ses produits sous les deux "packaging" différents.

Les procès-verbaux de constat dressés les 1er décembre 2015 (pièce 5) et 17 mai 2017 (pièce 7) à la requête de la société intimée confirment l'évolution du format du produit " bain volumifique " Kérastase et de son libellé, acheté dans la boutique Beauty Store 92, alors même que la facture de 2015 ne fait état que de l'acquisition d'un modèle, ce dont il peut être déduit que la société appelante n'établit pas la régularité de l'intégralité de ses approvisionnements.

Au surplus, le procès-verbal du 17 mai 2017 révèle que les produits de la marque Kérastase proposés à la clientèle par la société Beauty Store 92 portent la mention " Réservé aux distributeurs agréés Kérastase ", ce qui caractérise là encore un comportement déloyal non sérieusement contestable, en ce qu'il est de nature à induire que le revendeur pourtant hors réseau a la qualité de distributeur agréé.

C'est donc à bon droit que le premier juge, ayant constaté que la société Beauty Store 92 s'approvisionnait et commercialisait des produits de la marque Kérastase en dehors du réseau de distribution sélective licite mis en place par la société L'Oréal, a considéré que le trouble manifestement illicite invoqué par ladite société, de par l'atteinte portée à son réseau de distribution sélective, était caractérisé et a ordonné à la société Beauty Store 92 de cesser toute commercialisation des produits de la marque, et ce, sous astreinte.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée de ce chef et pour le surplus qui n'est pas critiqué.

Il sera alloué à la société L'Oréal une indemnité de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société appelante doit être déboutée de sa prétention à ce titre.

Par ces motifs LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, confirme l'ordonnance rendue le 17 août 2017 en toutes ses dispositions, condamne la société Beauty Store 92 à payer à la société L'Oréal la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, déboute la société Beauty Store 92 de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile, dit que la société Beauty Store 92 supportera la charge des dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.