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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 mai 2018, n° 16-00165

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Integra (SAS)

Défendeur :

Liebherr Aerospace (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

T. com. Bordeaux, du 6 nov. 2015

6 novembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Intégra, spécialisée en mécanique industrielle de précision, a fourni des pièces à l'équipementier aéronautique, la société Liebherr Aerospace Toulouse (Liebherr).

Aux achats sur catalogue jusqu'alors pratiqués, s'est substitué un courant d'affaires formalisé par une convention d'une durée de trois années à effet du 16 novembre 2010.

Le 14 novembre 2013, la société Intégra a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire.

Par courrier du 27 janvier 2014, la société Liebherr a dénoncé le contrat qu'elle considérait comme étant désormais, à raison de sa poursuite après son terme, à durée indéterminée, et a précisé qu'il prendrait fin au terme d'un préavis de 12 mois.

Par acte extra-judiciaire en date du 4 juin 2015, la société Intégra a assigné la société Liebherr pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement rendu le 6 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la société Intégra de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société Liebherr de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société Intégra à verser à la société Liebherr la somme de 2 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'instance.

Vu l'appel interjeté le 11 décembre 2015 par la société Intégra à l'encontre de cette décision ;

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Intégra, par dernières conclusions signifiées le 14 février 2018, demande à la cour de :

In limine litis,

Vu l'article 16 du Code de procédure civile,

- débouter la société Liebherr de ses demandes d'irrecevabilité des conclusions du 12 janvier 2018 de la société Intégra, des pièces n° 8 et 9 annexées au bordereau desdites conclusions, et du rapport de Monsieur X ;

Sur le fond,

- infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, D. 442-3 alinéa 1er du même Code et 1382 ancien du Code civil,

- constater la rupture brutale des relations commerciales établies entre les sociétés Liebherr et Intégra aux torts exclusifs de la société Liebherr ;

- condamner la société Liebherr à indemniser la société Intégra des sommes suivantes :

* 516 359 euros en réparation de la perte de marge brute durant le préavis ;

* 18 612,16 euros en réparation du coût des licenciements ;

* 148 464 euros en réparation du coût des crédits-baux des machines ;

* 200 000 euros en réparation du préjudice commercial ;

* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son attitude dolosive ;

- condamner la société Liebherr Aerospace Toulouse à verser à la société Intégra la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Y, avocat, sur son affirmation de droit.

Sur la demande de rejet :

- de ses conclusions n° 2 du 12 janvier 2018, elle fait valoir que, ayant conclu sur le fond en réponse aux conclusions n° 2, la société Liebherr ne peut solliciter le rejet desdites conclusions. Elle ajoute que la société Liebherr n'invoque pas d'atteinte au principe du contradictoire et n'a pas immédiatement déposé des conclusions de procédure pour soulever l'irrecevabilité ;

- des pièces n° 8 et 9, la société Intégra indique que Liebherr n'a contesté que les pièces n° 8 et 9 et que le principe du contradictoire a été respecté puisque ces pièces ont été débattues par l'intimée dans ses conclusions ; elle explique également que l'ensemble des pièces n° 1 à 46 n'ont pas été notifiée, raison pour laquelle elles ont été renotifiées avec les présentes conclusions ; elle ajoute que les pièces n° 8 et 9 sont connues de la société Liebherr puisqu'elles émanent de cette dernière.

Sur la rupture brutale partielle, la société Intégra fait valoir qu'après sa mise en redressement judiciaire, la société Liebherr a décidé le retrait de certaines pièces, dont la pièce n° 1298-0002, sans aucune précision ; elle considère que ce retrait constitue une rupture brutale partielle. Elle fait valoir également que le courrier du 17 janvier 2014, annonçant l'arrêt des commandes de la pièce 1298-0002, ne prévoit pas de préavis. Elle prétend la société Liebherr Aerospace de s'être fournie chez un autre fournisseur. La société Intégra conteste les non-conformités invoquées par la société Liebherr sur la pièce 1298-0002 ; elle invoque à ce titre un rapport d'expertise établi par Monsieur X qui atteste de la conformité de 10 pièces sur 12, de sorte que la non-conformité ne peut justifier la rupture brutale partielle. L'appelante fait valoir que la pièce 1298-0002 représentait environs 22 % du volume d'affaires.

Sur la rupture brutale totale de la relation commerciale, la société Intégra fait valoir que seule la lettre du 16 juin 2014 présente les caractéristiques d'une notification de rupture totale et marque le point de départ du préavis. Elle souligne que les relations commerciales avec la société Liebherr Aerospace ne présentaient aucun caractère précaire puisqu'elles duraient depuis plus de 30 ans et que le contrat du 16 novembre 2010 s'est poursuivi au-delà de son terme. Elle ajoute qu'elle s'attendait à la pérennité des relations puisque la société Liebherr n'avait pas notifié, dans le délai contractuel, sa décision de rompre le contrat.

Elle indique qu'en outre, le préavis annoncé n'a pas été respecté, Liebherr ayant cessé de passer commande en cours de préavis, entraînant de ce fait une baisse du chiffre d'affaires et une rupture de l'exécution du préavis. Elle ajoute que l'exception d'inexécution dont se prévaut la société Liebherr n'est pas applicable en l'espèce dès lors que les manquements invoqués n'ont pas été réalisés au cours du délai de préavis, que les retards dans les livraisons que lui reproche la société Liebherr sont liés aux commandes à traiter en urgence imposées par cette dernière, de sorte que la société Liebherr Aerospace ne peut s'en prévaloir. Enfin, elle fait valoir que les manquements invoqués ne sont pas d'une gravité justifiant la rupture pour faute grave et en conclut qu'ils ne pouvaient pas non plus justifier le non-respect du délai de préavis.

Sur la durée de préavis, la société Intégra rappelle qu'elle est le fournisseur historique de la société Liebherr depuis 1980, avant-même la conclusion du contrat du 16 novembre 2010, que la relation commerciale a duré 17 ans, qu'elle a rencontré des difficultés à trouver un autre partenaire - la société Liebherr représentant 25 % de son chiffre d'affaires - que ces éléments impliquaient l'octroi d'un préavis de 30 mois.

Elle fait valoir que les manquements invoqués par la société Liebherr sont inopérants car ils auraient pu justifier une rupture sans préavis accompagnée de pénalités de retard, mais cela n'a pas été le cas en l'espèce.

La société Liebherr Aerospace Toulouse, par dernières conclusions signifiées le 15 février 2018, demande à la cour, au visa des articles 16 du Code de procédure civile, L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 1134 et 1382 anciens du Code civil, de :

- déclarer irrecevable comme tardive les conclusions et les pièces déposées le 12 janvier 2018 ;

- déclarer irrecevable les pièces n° 8 et 9 figurant au bordereau des dernières conclusions de la société Intégra, ces dernières n'ayant jamais été communiquées ;

- déclarer inopposable le rapport d'expertise de Monsieur X celui-ci n'étant pas contradictoire ;

Sur le fond,

- confirmer la décision entreprise ;

- dire que la société Liebherr a rompu sa relation commerciale avec la société Intégra en respectant un préavis suffisant ;

- dire que la société Intégra a commis des fautes dans l'exécution du contrat justifiant de la rupture de ce dernier ;

- dire que la société Liebherr n'a commis aucune faute ;

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Intégra ;

- condamner la société Intégra à payer à la société Liebherr la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Elle conclut au rejet des conclusions déposées le 12 janvier 2018 et des pièces n° 8 et 9, ces conclusions de la société Intégra ainsi que les pièces 8 et 9 ayant été produites tardivement.

Sur le fond, la société Liebherr fait valoir que le contrat du 16 novembre 2010 n'est pas un contrat d'adhésion, mais un contrat à durée déterminée, sans tacite reconduction, qui a été librement négocié pendant plus de 3 ans.

Sur la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies, la société Liebherr conteste tout dol, en indiquant que le contrat du 16 novembre 2010 a été librement négocié, plusieurs articles ayant été modifiés ou aménagés. Elle soutient que les visites domiciliaires sont une application des stipulations du contrat qui prévoient des audits de qualité, justifiés par le caractère spécifique du marché aéronautique.

La société Liebherr assure que le processus de désengagement qu'elle a enclenché en 2011 n'est pas un processus déloyal puisque la société Intégra en était informée ; Liebherr a fait part de plusieurs problèmes, comme des retards de livraison, d'en moyenne 41 jours, ou des non-conformités, problèmes que la société Intégra a eu peine à justifier en prétextant notamment la perte d'un régleur et le transfert d'une partie de l'activité ; elle se prévaut des dispositions de l'article 11 du contrat, qui précise que le fournisseur s'engage à respecter les délais de livraison, et de l'annexe 5 qui prévoit la possibilité de résilier le contrat en cas de non-performance de la société Intégra. Intégra ne justifiant pas ce défaut de performance, la société Liebherr considère que son désengagement était justifié.

Liebherr rappelle que la société Intégra ne peut pas se baser sur le rapport de Monsieur X pour contester la non-conformité puisque le rapport n'a pas été porté à sa connaissance, que Monsieur X n'a pas été en mesure d'examiner les pièces litigieuses et que son impartialité est contestable puisqu'il a été salarié de la société Liebherr.

Liebherr fait valoir qu'il n'y a pas eu de rupture brutale partielle de la relation en ce qui concerne la pièce 1298-0002, dès lors qu'elle a annoncé un préavis par le courrier du 27 janvier 2014 et qu'elle a continué à passer commande de la pièce 1298-0002 auprès de la société Intégra. Elle invoque toutefois les fautes d'Intégra constitués par des retards de livraison de cette pièce et des non-conformités, problèmes qui ont justifié le retrait de cette pièce. Elle ajoute qu'elle n'a eu recours à un autre fournisseur qu'en dépannage. Elle rappelle les stipulations de l'annexe 5 qui lui donnaient le droit de résilier le contrat en cas de non-performance.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale, la société Liebherr précise qu'elle a annoncé sa volonté de se désengager à partir de 2011 et rappelle qu'en tout état de cause, le contrat du 16 novembre 2010 était un contrat à durée déterminée qui aurait dû se terminer en novembre 2013, de sorte que la société Intégra ne pouvait anticiper la continuité de la relation commerciale. Elle en conclut que les relations commerciales avec la société Intégra étaient précaires et ne peuvent donc entraîner l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Liebherr rappelle que le retrait de la pièce 1298-002 a été matérialisée par le courrier du 27 janvier 2014 et que le retrait de l'ensemble des références a été matérialisé par le courrier du 16 juin 2014.

La société Liebherr prétend qu'un préavis de 12 mois a été annoncé, de sorte que la brutalité de la rupture n'est pas caractérisée, et que ce délai est raisonnable au regard de la durée de la relation commerciale. Elle ajoute que le préavis demandé par la société Intégra n'est pas justifié puisque la relation commerciale ne comportait pas de caractère exclusif, que le volume d'affaires n'était pas en constante progression et que le chiffre d'affaires de la société Intégra n'a pas été impacté par la rupture. Elle fait valoir qu'elle s'est désengagée en 2011, qu'il y a eu un préavis dès 2011 et qu'Intégra ne pouvait s'attendre à une pérennité de la relation.

Elle précise que toutefois, durant le préavis, la société Intégra a manqué à ses obligations contractuelles en ne livrant pas les marchandises dans les délais prévus, de sorte que ces manquements graves justifiaient une interruption du préavis et une rupture immédiate de la relation commerciale.

A titre infiniment subsidiaire, la société Liebherr fait valoir que les demandes formulées par la société Intégra sont injustifiées puisqu'elles sont basées sur une attestation de son expert-comptable, attestation inopposable en vertu du principe selon lequel " nul ne peut se constituer une preuve pour lui-même ". Elle rappelle que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne répare que le préjudice lié à la brutalité de la rupture, et non le préjudice lié à la rupture elle-même ; elle fait valoir que la société Intégra ne démontre pas en quoi l'insuffisance du préavis était de nature à engendrer les préjudices liés au licenciement de ses salariés, aux crédits-baux et à l'impact sur son plan de redressement.

Elle conclut enfin au rejet de la demande relative à l'atteinte à l'image invoquée par la société Intégra, les difficultés de cette dernière étant connus de tous.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS :

Sur la demande de rejet des conclusions et pièces déposées le 12 janvier 2018 et des pièces n° 8 et 9 :

Considérant que, la clôture des débats ayant été repoussée au 15 février 2018, ne porte atteinte à la contradiction ni la communication par l'appelante, le 12 janvier 2018, de ses conclusions n° 2 - auxquelles l'intimée a d'ailleurs été en mesure de répondre le 30 janvier 2018 - et de nouvelles pièces, ni la communication, le 14 février 2018, de ses pièces n° 8 et 9 dont la société Liebherr a pu prendre connaissance avant l'ordonnance de clôture ; que cette dernière sera déboutée de sa demande de rejet des conclusions et des pièces déposées le 12 janvier 2018 ;

Sur le fond

Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure" ;

Considérant que l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties n'est pas contestée ; que, si Intégra prétend que cette relation a débuté en 1980, elle n'en rapporte pas la preuve, l'attestation produite par Intégra en pièce n° 7 ne présentant pas de caractère probant ; que les éléments de la procédure établissent l'existence d'une relation à partir de septembre 2005 (pièce Intégra n° 8) ;

Sur la rupture brutale partielle de la relation commerciale établie

Considérant que la société Intégra soutient que le retrait par la société Liebherr, de la pièce n° 1298-0002 de ses commandes serait constitutif d'une rupture brutale partielle de la relation commerciale ;

Mais considérant que la rupture partielle des relations commerciales n'est caractérisée que par la perte effective et significative de chiffre d'affaires ;

Que, s'il n'est pas contesté que la société Liebherr a informé la société Intégra, le 2 décembre 2013, du retrait de la pièce 1298-0002 et a confirmé, le 27 janvier 2014, " le retrait imminent " de la référence de 1298-0002 du catalogue " avec des commandes fermes sur les douze mois à venir ", cette décision ne concernait qu'une seule référence - la pièce 1298-002 - laquelle ne représentait qu'une part limitée du chiffre d'affaires réalisé par la société Intégra avec la société Liebherr, ainsi que le démontrent les chiffres produits par l'intimée : 6,1 % en 2011 (29 750,00 euros sur un chiffre d'affaires total réalisé avec Liebherr de 486 431 euros), 5,4 % en 2012 (37 905 euros pour 693 163 euros), 9,1 % en 2013 (56 800 euros pour 619 091 euros), 12,3 % en 2014 (31 012 euros pour 251 614 euros) (pièce Intégra n° 31 et page 27 des conclusions de Liebherr), soit une moyenne annuelle de 7,5 % de 2011 à 2014 ; qu'il n'est pas, dans ces conditions, établi que le courant général d'affaires ait été substantiellement réduit par suite de la modification intervenue pour la pièce 1298-002 ;

Sur la rupture brutale totale de la relation commerciale établie

Considérant que la société Liebherr ne conteste pas que la rupture a été notifiée à Intégra par sa lettre du 16 juin 2014 : " Le 05/02/2014, nous vous informions de la sécurisation de toutes les références qui étaient confiées à votre société, compte tenu de la mauvaise exécution du contrat, précisément sur les engagements de performance achats, qualité et logistique, conformément à l'article 22 alinéa 1 du contrat en date du 16 novembre 2010. " (...) " C'est dans ce cadre juridique, et après plusieurs mises en demeure de redresser la situation des performances et la mise en œuvre de moyens importants sans résultats, que nous vous informons de la décision définitive et irrévocable de Liebherr de retirer toutes les références de votre société, à compter du solde des commandes fermes ordonnées à 12 mois et pour lesquels la société Intégra a accusé réception. " ; que ce courrier a notifié un préavis de rupture de douze mois courant à partir du 16 juin 2014 jusqu'au 16 juin 2015 ; que ce préavis est suffisant au regard de la nature et de l'ancienneté de la relation ;

Considérant que l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures ;

Considérant que la société Intégra fait grief à la société Liebherr d'avoir mis un terme au préavis avant le 16 juin 2015 ; que cette dernière ne conteste pas s'être désengagée avant le terme du préavis de rupture ; qu'elle a ainsi annulé, le 3 octobre 2014, les commandes de prototypes qu'elle s'était engagée à passer (pièce Intégra n° 27) ;

Que la société Liebherr ne saurait justifier son désengagement :

- ni par des manquements antérieurs à juin 2014 ;

- ni par des retards de livraisons au 30 septembre 2014 (pièce Intégra n° 27), dès lors que :

- au titre du carnet de commandes du 29 juillet 2014 prévoyant la livraison, avant le 30 septembre 2014, de 3919 pièces, correspondant à 77 lignes de commandes (pièces Intégra n° 27 et 28), 3707 pièces, représentant 63 lignes de commandes, avaient été livrées à la date prévue ;

- au 30 septembre 2014, Intégra avait livré 181 pièces, représentant 6 lignes de commandes, passées dans l'intervalle comme urgentes ;

Que, dans la mesure où que la société Liebherr avait elle-même estimé que la société Intégra avait droit à un préavis, ce qui excluait l'existence de manquements graves de la part de celle-ci, en particulier quant à des retards de livraison, les seuls retards au 30 septembre 2014 reprochés à la société Intégra - retards portant, au surplus, sur une part réduite des commandes en cours à cette date (8 lignes de commandes sur 77) - ne pouvaient justifier que la société Liebherr mette prématurément fin au préavis accordé ; que, compte tenu du non-respect de ce préavis par la société Liebherr à partir d'octobre 2014 (pièce Intégra n° 27), la rupture doit être considérée comme brutale ; que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce sens ;

Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même ;

Considérant qu'en cas d'insuffisance de préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire ; que la société Liebherr n'apporte aucune contestation pertinente aux chiffres dont fait état la société Intégra, aux termes desquels, sur les trois dernières années, la marge brute moyenne ressort à 206 543 euros ; que, pour les 8 mois de préavis non exécutés, la société Intégra sera indemnisée à hauteur de 137 695 euros (206 543/12 x 8) ;

Que, sur les frais de licenciement, le coût des crédits-baux de trois machines, la perte d'image et de notoriété et le préjudice induit par la reprise des matériaux dont elle a exigé l'interruption de l'usinage, la société Intégra ne rapporte pas la preuve que l'insuffisance de préavis a été de nature à engendrer ces préjudices ; qu'elle sera déboutée de ses demandes de ces chefs ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Liebherr à payer à la société Intégra la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Dit que la SAS Liebherr Aerospace Toulouse a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la SAS Intégra ; Condamne la SAS Liebherr Aerospace Toulouse à payer à la SAS Intégra la somme de 137 695 euros à titre de dommages et intérêts ; Déboute la SAS Intégra du surplus de ses demandes ; Condamne la SAS Liebherr Aerospace Toulouse à payer à la SAS Intégra la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Liebherr Aerospace Toulouse aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.