CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 mai 2018, n° 16-04485
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Colombi Sports Importateur Distributeur (SAS)
Défendeur :
Société Nouvelle Europ' Arm (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Bouzidi Fabre, Cordier, Molins, Mistral Bernard
FAITS ET PROCÉDURE
Le 3 avril 2015, la société de droit français Colombi Sports Importateur Distributeur, (ci-après " Colombi ") qui est spécialisée dans l'importation et la distribution de produits afférents au domaine de la chasse, du tir et de la pêche, est devenue le distributeur exclusif sur la France des produits de la société américaine Crosman Corporation (ci-après " Crosman "), fabricant d'armes et d'accessoires destinés au tir sportif.
Le 1er septembre 2015, la société Colombi a relevé la présentation de produits Crosman dans le catalogue 2015/2016 de la société Nouvelle Europ' Arm (ci-après " Europ' Arm "), spécialisée depuis 1973 dans le commerce de gros d'armes de chasse, de tir sportif et de loisirs et de munitions et d'accessoires, ainsi que la présence de deux produits estampillés Crosman sur le site internet, ce qu'elle a fait constater par un huissier. Elle a interrogé son fournisseur Crosman qui lui a répondu que l'approvisionnement d'Europ' Arm était irrégulier et qu'elle avait informé cette société et plus particulièrement son Président, M. X, début 2015, qui souhaitait passer commande de produits, que l'exclusivité territoriale avait été octroyée à la société Colombi.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre 2015, la société Colombi a mis en demeure la société Europ' Arm de procéder, sans délai, au retrait de deux articles, soit une bouteille de 1 500 billes " Crosman " 4,5 mm et une bouteille de 600 billes " Copperhead " 4,4 mm (marque appartenant à la société Crosman), en raison de l'exclusivité sur ces produits dont elle bénéficiait depuis 5 mois.
Le 28 septembre 2015, lui rappelant vendre ces produits depuis environ 20 ans, la société Europ' Arm a demandé à la société Colombi la preuve de l'exclusivité qu'elle détiendrait sur les produits Crosman qui sont à son catalogue depuis 1974.
Le 15 octobre 2015, la société Colombi a adressé à la société Europ' Arm le contrat de distribution avec sa traduction en français.
Le 23 octobre 2015, le conseil d'Europ' Arm en a accusé réception et a prévenu qu'il ne pourrait y répondre qu'à son retour d'un congrès, soit la 1re semaine de novembre.
Constatant que la société Europ' Arm n'avait pas retiré les produits en cause de son catalogue et autorisée par ordonnance du 3 novembre 2015, la société Colombi a assigné la société Europ' Arm, à jour fixe, par exploit du 9 novembre 2015, en indemnisation pour violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce, devant le Tribunal de commerce de Rennes.
A son retour, le 3 novembre 2015, le conseil d'Europ' Arm a indiqué que sa cliente s'était approvisionnée en Italie auprès de la société Fair, non tenue par une interdiction de revente.
Le 13 novembre 2015, la société Europ' Arm a retiré les produits incriminés des 10 000 références de son catalogue, à titre préventif.
Par jugement du 22 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- condamné la société Europ' Arm à :
* retirer de son site internet l'intégralité des produits du fournisseur Crosman,
* cesser toute diffusion de son catalogue papier en ce qu'il comporte des produits du fournisseur Crosman à compter de la signification du jugement,
* payer à la société Colombi la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la société Europ' Arm de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- débouté la société Colombi du surplus de ses demandes,
- condamné la société Europ' Arm aux entiers dépens.
Le Tribunal de commerce de Rennes a considéré, en substance, que la société Europ'Arm n'avait pas commis de faute en insérant les produits sur son catalogue 2014-2015 étant, à l'époque, dans l'ignorance d'un contrat d'exclusivité au profit de la société Colombi mais qu'il n'en demeurait pas moins que la diffusion de ce catalogue devait cesser, la société Europ'Arm ayant violé l'interdiction de revente hors réseau au regard du contrat de distribution exclusive dont bénéficiait la société Colombi. Par ailleurs, il a considéré que la société Colombi ne justifiait d'aucun préjudice sérieux et l'a déboutée de sa demande d'indemnisation.
LA COUR
Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 20 octobre 2017 par lesquelles la société Europ' Arm invite la cour à :
in limine litis
- au visa de l'article 908 du Code de procédure civile, prononcer la caducité de l'appel interjeté par Colombi, compte tenu de l'écoulement d'un délai de 3 mois entre la date de la déclaration d'appel du 19 février 2016 signifiée par la société Colombi et la date du dépôt de ses conclusions datées du 30 mai 2016,
- déclarer ses conclusions d'intimée irrecevables,
sur le fond
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 22/12/2016 en toutes ses dispositions,
à titre principal,
- dire que Colombi Sport ne démontre pas la liceité de son accord de distribution Crosman au regard du droit de la concurrence,
- dire que la société Colombi Sport n'a pas la qualité de distributeur conditionnée par exécution de l'article 2.1 de son accord de distribution Crosman,
- dire que la clause 2.3 du contrat de distribution exclusive Colombi /Crosman constitue une entente ayant pour effet de restreindre la libre concurrence,
- prononcer la nullité de ladite clause,
en conséquence,
- dire que la société Colombi Sport n'est pas recevable à invoquer L. 442-6, I, 6° du Code de commerce,
à titre subsidiaire,
- dire que Europ' Arm n'a pas commis les faits réprimés par l'article L. 442-6, I°, 6 du Code de commerce,
à titre infiniment subsidiaire,
- dire que l'acquisition par la société Nouvelle Europ' Arm de 680 boites de plombs Crosman auprès de la société de droit italien Fair, non tenue d'une interdiction de revente, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ni un acte réprimé par l'article L. 442- 6, I, 6° du Code de commerce,
en toute hypothèse,
- débouter Colombi de ses demandes en réparation et de sa demande d'astreinte,
- condamner Colombi à payer à Europ' Arm la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner Colombi à payer à Europ' Arm une somme de 5 000 en raison de son préjudice d'agrément relatif à l'accaparement de son dirigeant dans l'administration de la présente procédure,
- condamner Colombi au paiement des frais de constat réalisé par Me Venisse, huissier de justice, le 13 novembre 2015, ainsi que les frais de signification de la décision à intervenir,
- condamner Colombi à payer à Europ' Arm la somme de 15 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en 1ère instance et celle de 15 000 pour la procédure d'appel,
- condamner Colombi à tous les dépens ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 30 mai 2016 par lesquelles la société Colombi, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la violation par la société Europ'Arm des dispositions de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce au préjudice de la société Colombi Sports,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Europ' Arm à :
* retirer de son site internet l'intégralité des produits du fournisseur Crosman,
* cesser toute diffusion de son catalogue papier en ce qu'il comporte des produits du fournisseur Crosman à compter de la signification du jugement,
y ajoutant,
- assortir la condamnation ci-dessus d'une astreinte de 3000 par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- dire que la cour d'appel de Paris restera compétente par application des dispositions de l'article L. 131-3 du Code des procédures civiles d'exécution pour statuer, le cas échéant, sur la liquidation de l'astreinte,
- condamner la société Europ'Arm à verser à la société Colombi la somme de 80 755 au titre de son manque à gagner,
- condamner la société Europ' Arm à verser à la société Colombi la somme de 50 000 au titre de l'atteinte à son image de marque et à la désorganisation du réseau,
- condamner la société Europ' Arm à verser à la société Colombi la somme de 25 000 au titre des investissements réalisés par cette dernière pour accéder et se maintenir en qualité de distributeur exclusif en France,
en tout état de cause,
- débouter la société Europ' Arm de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Europ' Arm à verser à la société Colombi la somme de 15 000 au titre des dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
- condamner la société Europ' Arm à verser à la société Colombi la somme de 15 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu l'invitation des parties, après la clôture des débats, à adresser une note en délibéré sur le moyen, que la cour entend soulever d'office, tiré de l'irrecevabilité des demandes de caducité de l'appel incident et de l'irrecevabilité des conclusions d'appelant incident, formées devant la cour;
Vu la note en délibéré du 10 avril 208 adressée par le conseil de la société Colombi ;
SUR CE
Sur les exceptions de caducité de l'appel incident et d'irrecevabilité des conclusions de la société Colombi, intimée ayant formé appel incident
La société Europ'Arm demande à la cour, au visa de l'article 908 du Code de procédure civile, de prononcer la caducité de l'appel interjeté par la société Colombi, pour ne pas avoir respecté le délai de 3 mois entre la date de sa déclaration d'appel du 19 février 2016 et celle du dépôt de ses conclusions le 30 mai 2016, et de déclarer ces conclusions irrecevables.
Mais, conformément à l'article 914 du Code de procédure civile, le conseiller de la mise en état étant seul compétent pour statuer sur la caducité de l'appel et déclarer irrecevables les conclusions de l'intimé en application de l'article 909 du même code, la cour ne peut se substituer à lui. Par suite, ces exceptions soulevées devant la cour sont irrecevables.
Sur les demandes de la société Colombi fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 6 ° du Code de commerce
La société Colombi entend rechercher la responsabilité de la société Europ' Arm sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce, pour avoir participé directement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite aux distributeurs de la société Crosman et ce, alors que la société Colombi est liée à la société Crosman par un accord manifestement exempté au titre des règles du droit de la concurrence. Elle sollicite le retrait du site internet et du catalogue papier de la société Europ'Arm des produits du fournisseur Crosman, sous astreinte, ainsi que l'indemnisation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de cette violation.
Sur la violation de l'interdiction de revente, la société Colombi précise que :
- le contrat est explicite en ce qu'il la désigne comme distributeur exclusif des produits Crosman en France,
- la société Europ' Arm a bien été avisée de cette exclusivité qui lui a été expressément notifiée par lettre de mise en demeure du 17 septembre 2015 et qui lui avait été indiquée, début 2015, par la société Crosman elle-même (pièce n° 8-2),
- dès lors la violation de l'interdiction est établie,
- la société Europ' Arm tente de justifier d'un approvisionnement régulier en se contentant de produire une facture Fair du 15 juillet 2015 qui vise uniquement des bouteilles de 1 500 billes 4,5mm,
- elle ne produit aucune pièce pour les bouteilles de 600 billes 4,4mm qui figurent en page 361 de la version papier de son catalogue,
- la société Fair qui est un fabricant d'armes à feu et aucunement un distributeur, et dispose d'une participation en capital au sein du groupe Europ' Arm, a servi de société écran pour permettre l'acquisition par la société Europ'Arm des produits Crosman qui sont, en Italie, distribués par la société TFC, distributeur exclusif.
Sur la régularité de l'accord et l'effectivité de l'exclusivité qu'il prévoit, la société Colombi fait valoir que :
- l'accord de distribution passé entre un fournisseur américain et un distributeur français n'est pas soumis au droit communautaire de la concurrence, lequel s'applique uniquement aux accords " susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres " (article 101 du TFUE),
- l'accord relève donc des seules dispositions du droit français de la concurrence,
- ni la société Crosman ni la société Colombi n'ont une position favorable et encore moins dominante sur le marché français de sorte que l'accord d'exclusivité, parfaitement classique, n'est aucunement constitutif d'un abus de position dominante,
- la société Europ' Arm qui avait sollicité la communication du contrat pour s'assurer de sa régularité, n'a émis, à sa réception, aucun grief ni réserve quant à la validité de l'accord,
- la société Crosman a confirmé en des termes dépourvus de toute ambiguïté l'effectivité de l'exclusivité, l'engagement minimum d'achat au titre de l'année 2015 étant atteint,
- surabondamment, le respect des volumes de vente convenus résultent des extraits de comptabilité analytique, lesquels confirment la réalisation des objectifs.
La société Europ'Arm réplique que la société Colombi est irrecevable et infondée à invoquer l'accord de distribution exclusive en ce que :
1/ elle ne démontre pas la licéité de l'accord de distribution :
- elle se contente de soutenir qu'il est " manifestement exempté ",
- elle ne justifie pas, par la communication de factures pour les exercices 2015 et 2016, avoir levé la condition suspensive de l'exclusivité qui lui a été accordée, soit des quantités d'achat pour 1.300.000 USD (article 2.1),
2/ conformément à l'article L. 420-3 du Code de commerce, le contrat doit être déclaré nul comme se rapportant à une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article L. 420-1 du même code :
- le contrat opère un cloisonnement territorial absolu en confiant la distribution en France des produits à un opérateur unique et est anticoncurrentiel en soi car il interdit aux consommateurs de bénéficier d'une offre plus abondante et plus diversifiée,
- la clause 2.3 qui interdit à Colombi de vendre et de distribuer en dehors de la France est une clause d'interdiction territoriale absolue, prohibée tant en droit interne (article L. 420-1 du Code commerce) qu'en droit communautaire (article 101 TFUE),
- cette clause s'oppose à l'exemption automatique d'un accord de distribution selon l'article 4 du règlement (UE) n° 330/2010 du 4 avril 2010 et ne peut donner lieu à exemption individuelle,
- l'accord constituant une entente illicite étant invalide, il ne peut fonder une action sur l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce,
3/ à titre subsidiaire, les faits visés n'ont pas été commis,
- elle s'est toujours approvisionnée depuis des dizaines d'années, soit directement auprès de la société Crosman, soit auprès de la société Rivolier,
- s'il existe dorénavant une concession territoriale exclusive, elle conserve le droit de s'approvisionner en dehors du territoire français auprès d'autres fournisseurs (Fair), non membres du réseau de distribution Crosman,
- elle n'avait aucunement l'obligation de s'approvisionner en France auprès de la société Colombi et son approvisionnement est régulier,
- il n'existe donc pas de tierce complicité d'une interdiction de revendre les plombs Crosman.
L'article L. 442-6 , I, 6° du Code de commerce dispose que : " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers: 6° De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ".
Il appartient à la société Colombi qui entend rechercher la responsabilité de la société Europ'Arm sur le fondement de cet article, de rapporter la preuve d'une part, que l'accord de distribution exclusive mis en place par la société Crosman est exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence et d'autre part, de la violation, par un distributeur lié par cet accord, de la clause d'exclusivité territoriale.
Sur le contrat de distribution exclusive du 3 avril 2015
L'article 2.1 du contrat de distribution dispose que Crosman désigne Colombi en qualité de distributeur exclusif des produits Crosman sur le Territoire (lequel est défini à l'article 1.2 comme étant la France), ce statut dépendant du respect des exigences d'achat minimum à titre d'exclusivité pour chaque année civile indiquées à l'Annexe A. La société Crosman a donc confié à la société Colombi, sous réserve d'une quantité minimum d'achats annuels, un véritable monopole de vente de ses produits en France, la mettant ainsi à l'abri des ventes actives des autres distributeurs.
L'article 2.3 précise que Colombi ne vendra ni ne distribuera les produits Crosman ni sollicitera aucun client de ces produits en dehors du Territoire. Il est donc interdit à Colombi de revendre en dehors du territoire de la France, soit de recourir à des ventes passives à l'exportation.
Sur l'application du droit européen de la concurrence
La définition du marché pertinent ne fait pas l'objet de débat. Il s'agit du marché national des munitions pour carabines et pistolets à air comprimé.
La société Colombi conteste l'application du droit européen de la concurrence au motif qu'un contrat franco américain n'est pas susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres.
L'article 101, alinéa 1 du TFUE prévoit que " Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur". Cet article s'applique notamment aux accords verticaux d'entreprises qui sont " susceptibles d'affecter le commerce entre États membres ", et ce " de façon sensible ".
L'accord de distribution exclusive signé entre la société Crosman et la société Colombi, qui constitue un accord vertical, confère l'exclusivité de la distribution des produits de marque Crosman et/ou de la marque Copperhead appartenant à la société Crosman, à un unique opérateur en France. Cet accord vise donc à éliminer tout potentiel concurrent sur ce marché national de sorte qu'il contribue à son verrouillage en empêchant un grossiste importateur ou exportateur de produits destinés au tir sur la totalité du marché européen, tel que la société Europ'Arm, d'acheter des produits de marque Crosman ou assimilée, et de faire jouer la concurrence intramarque. Compte tenu de sa nature restrictive de concurrence, cet accord vertical, même s'il ne couvre que le territoire français, est donc susceptible, en lui-même, d'affecter le commerce intracommunautaire.
En outre, la clause 2.3 qui interdit les exportations hors du territoire français des produits Crosman et qui constitue par sa nature même, une restriction de concurrence, isole le marché français de celui des autres Etats membres de sorte que du fait de sa présence, l'accord est également susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire.
L'appréciation du caractère sensible de l'affectation du commerce dépend des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l'accord et des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause (§ 45 des lignes directrices). La Commission a posé le principe selon lequel un accord ne peut affecter sensiblement le commerce entre États membres, si la part de marché totale des parties sur le marché communautaire affecté par l'accord n'excède pas 5 % et si le chiffre d'affaires annuel total réalisé dans la Communauté par le fournisseur avec les produits concernés par l'accord n'excède pas 40 millions d'euros. A contrario, les accords affectant plus de 5 % du marché communautaire en cause ou sur lequel le fournisseur réalise au moins 40 millions d'euros de chiffre d'affaires sont présumés affecter sensiblement, sauf preuve contraire à rapporter par les parties, le commerce intra communautaire.
Or, en l'espèce, la société Colombi ne produit aucun élément justifiant tant la part de marché de son fournisseur Crosman, que sa propre part de marché.
En outre, en application des paragraphes 86 et suivants des lignes directrices de la Commission relatives à l'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (devenus 101 et 102 du TFUE), la limitation du nombre de distributeurs inhérente à un système de distribution exclusive, affecte nécessairement les courants d'échanges entre la France et les autres Etats membres.
Enfin, dès lors qu'il couvre la totalité du territoire national, partie substantielle du marché de l'Union, l'accord est susceptible d'affecter sensiblement le commerce intra communautaire.
Par suite, il y a lieu d'examiner la validité du contrat tant au regard du droit européen que du droit interne de la concurrence.
Sur la validité de l'accord de distribution exclusive
Le règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'article 81 § 3 du traité de Rome à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, auquel est désormais substitué le règlement n° 330/2010 du 20 avril 2010, prévoit une exemption d'application du § 1 de l'article 81 (devenu article 101 du TFUE) aux accords de distribution, dits " accords verticaux " conclus entre les distributeurs et un fournisseur, lorsque, notamment, la part détenue par le fournisseur sur le marché pertinent sur lequel il vend ses biens et services ne dépasse pas 30 % et ce, sous réserve que ces accords ne comportent pas de restrictions caractérisées, à savoir, pour l'essentiel, celles qui obligent chaque distributeur à respecter un prix de vente identique, à s'interdire de revendre à un autre distributeur du réseau ou à s'interdire de répondre passivement à des commandes de clients situés hors de sa zone d'exclusivité (article 4 du règlement). Il en résulte que les pratiques discriminatoires commises par le fournisseur à l'égard de ses distributeurs, qui ne constituent pas des restrictions caractérisées, sont exemptées, lorsque celui-ci a une part de marché inférieure à 30 %.
Or, en l'espèce, outre le fait que la société Colombi, qui supporte la charge de la preuve, ne justifie pas que sa part de marché des produits en cause ainsi que celle de la société Crosman soient inférieures à 30 % de sorte qu'elle n'établit pas que ce réseau bénéficie de l'exemption automatique prévue par le règlement, et qu'elle ne démontre pas, ni même n'allègue, qu'il bénéficie d'une exemption individuelle, il apparaît que la clause 2.3 instituant une interdiction de revente passive à l'exportation constitue une restriction caractérisée, soit une clause noire exclue de l'exemption par l'article 4. b du règlement 330/2010.
Un contrat de distribution exclusive, qui n'est pas en soi anticoncurrentiel, le devient s'il comporte une clause par laquelle le fournisseur interdit à son distributeur exclusif de répondre à des sollicitations de clients situés dans un territoire autre que celui faisant l'objet de l'exclusivité. Or, en l'espèce, la clause litigieuse, qui a pour effet d'interdire les exportations des produits hors du territoire français, constitue une restriction de concurrence caractérisée qui rend nul l'accord de distribution.
Par suite, non exempté au titre des règles applicables au droit de la concurrence, tant au regard de l'article 101 du TFUE que de l'article L. 420-1 du Code de commerce, cet accord ne peut fonder une action en responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce.
En conséquence, et étant de surcroît relevé que la société Colombi ne démontre, ni même d'ailleurs n'allègue, la violation de cet accord par un distributeur exclusif, elle sera donc déboutée de l'intégralité de ses demandes, le jugement entrepris étant confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation et infirmé en ce qu'il a ordonné le retrait des produits Crosman du site internet et la cessation de toute diffusion du catalogue papier comportant ces produits.
Sur les demandes en dommages et intérêts formée par la société Europ'Arm
La société Europ'Arm demande la condamnation de la société Colombi à lui verser la somme de 3 000 pour comportement déloyal et vindicatif et celle de 5 000 pour préjudice d'agrément, son dirigeant ayant dû s'éloigner de ses fonctions d'administration et de direction pour consacrer du temps à ce dossier et réunir les pièces archivées.
Or, étant rappelé que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits ne caractérise pas à elle seule l'abus du droit d'agir, il apparaît qu'en l'espèce, la société Europ'Arm ne démontre pas que l'action initiée par la société Colombi participe d'un " harcèlement judiciaire " et ait dégénéré en abus de sorte qu'elle sera déboutée de la demande en dommages et intérêts formée à ce titre.
En revanche, il est de principe que l'obligation pour un dirigeant de consacrer du temps et de l'énergie au traitement d'une procédure contentieuse au détriment de ses autres tâches de gestion et de développement de l'activité de la société, cause un préjudice à cette dernière qu'il convient de réparer. Tel est le cas en l'espèce, la société Europ'Arm justifiant que le suivi de la procédure judiciaire a nécessité que son dirigeant y consacre du temps au détriment de ses autres tâches dans l'intérêt de la société et que par suite, elle a subi un préjudice. Il lui sera alloué à ce titre la somme de 5 000 .
Sur les autres demandes
La société Colombi qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et devra verser à la société Europ'Arm la somme totale de 20 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, sa demande formée à ce titre étant rejetée.
Par ces motifs, LA COUR, rejette les exceptions de caducité de l'appel incident et d'irrecevabilité des conclusions d'appelant incident ; infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Colombi de sa demande d'indemnisation ; statuant à nouveau, déboute la société Colombi de l'intégralité de ses demandes ; condamne la société Colombi à verser à la société Nouvelle Europ'Arm la somme de 5 000 à titre de dommages et intérêts ; condamne la société Colombi aux dépens de l'appel ; condamne la société Colombi à verser à la société Nouvelle Europ'Arm la somme totale de 20 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.