CA Rennes, 5e ch., 23 mai 2018, n° 15-08112
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Mylan (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lachal
Conseillers :
Mmes d'Ardailhon Miramon, Sochacki
Avocats :
Mes Chaudet, Preneux, Robert
Vu le jugement, frappé du présent appel, rendu le 7 juillet 2015 par le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, qui a :
déclaré Yvon G. irrecevable en ses demandes ; condamné Yvon G. aux dépens lesquels seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle ;
Vu les dernières conclusions, en date du 20 mai 2016, de M. Yvon G., appelant, tendant à :
réformer le jugement rendu le 7 juillet 2015 par le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc en ce qu'il a déclaré M. G. irrecevable en ses demandes ;
statuant à nouveau,
dire et juger M. G. recevable en ses demandes ; condamner la SAS Mylan, venant aux droits de la société Merck Génériques, à verser à M. G. la somme de 30 000 à titre de dommages et intérêts ;
débouter la SAS Mylan, venant aux droits de la société Merck Génériques, de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
condamner la SAS Mylan, venant aux droits de la société Merck Génériques, à verser à M. G. la somme de 2 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
condamner la SAS Mylan venant aux droits de la société Merck Génériques, aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions, en date du 1er avril 2016, de la SAS Mylan, intimée, tendant à :
à titre liminaire :
confirmer le jugement du Tribunal de Saint-Brieuc du 7 juillet 2015 ; dire et juger l'absence d'intérêt à agir de M. G. ; dire et juger que l'action en responsabilité fondée sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil à l'encontre de la SAS Mylan est prescrite ;
débouter M. G. de toute demande en ce qu'elle serait dirigée contre la SAS Mylan ;
à titre principal :
dire et juger que les conditions de la responsabilité de la SAS Mylan ne sont pas remplies ; débouter M. G. de toute demande en ce qu'elle serait dirigée contre la SAS Mylan ;
en tout état de cause :
condamner M. G. à payer à la SAS Mylan la somme de 1.500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
condamner M. G. aux dépens de l'appel ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 1er mars 2018 ;
Sur quoi, la cour
Le samedi 30 octobre 2004 M. Yvon G., souffrant d'une érection douloureuse et prolongée, s'est rendu au centre médico psychologique Benoit M. où il était habituellement suivi pour des troubles dépressifs par le docteur C., psychiatre. L'infirmier présent sur place lui a conseillé alors d'aller consulter un médecin généraliste. M. Yvon G. s'est rendu à la maison médicale de santé où il a été reçu par le docteur M., médecin de garde, lequel, après examen du patient, a diagnostiqué un effet indésirable du traitement par Leponex (médicament antipsychotique) et lui a prescrit un médicament contre la douleur, tout en l'invitant à se rendre aux urgences au cas de persistance du trouble dès le soir.
Le mardi 2 novembre 2004 au matin, M. Yvon G. s'est rendu aux urgences du centre hospitalier Le Poll à Saint-Brieuc. Il a été immédiatement dirigé vers la polyclinique du Littoral où il est resté hospitalisé jusqu'au 13 novembre suivant et a été opéré par le docteur T., urologue, les deux injections intra caverneuses effectuées par le médecin n'ayant pas permis de stopper le priapisme.
M. Yvon G. retournera consulter le docteur T. en novembre 2007 lui exposant n'avoir plus de sexualité. En juin 2008, le docteur T., après échec des traitements mis en place, notamment par injections de prostaglandine, informera son patient du caractère définitif de la dysfonction érectile et procédera en 2010 puis en 2012 à la pose de prothèses.
Le 8 septembre 2008, M. Yvon G. a déposé plainte au commissariat de police de Saint-Brieuc contre le laboratoire pharmaceutique fabricant le médicament Clopazine M. (générique du Leponex) et contre le docteur M.. Cette plainte a été classée sans suite le 17 septembre suivant.
Par ordonnance en date du 12 mars 2009, le juge des référés, saisi par M. Yvon G. au contradictoire du docteur M., de l'association de gestion de l'hôpital Saint Jean de Dieu gérant le centre médico psychologique Benoit M., du docteur C., prescripteur du médicament en cause, de la SAS Mylan venant aux droits de la société Merck Génériques et de la MSA, a ordonné une expertise décidant toutefois la mise hors de cause de la SAS Mylan au motif qu'aucune des pièces produites n'établissait que le traitement prodigué à M. Yvon G. comprenait l'administration de médicaments produits par cette société.
Les experts judiciaires désignés ont déposé leur rapport et, suite à la saisine du juge du fond par M. Yvon G., par jugement rendu le 3 décembre 2012, le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a retenu une faute à l'encontre du docteur M., faute commise lors de la consultation médicale du 30 octobre 2004. Ce médecin et son assureur, la MACSF, seules parties à la procédure avec l'organisme social dont dépendait M. Yvon G., ont été condamnés à payer à ce dernier la somme de 17 500 en réparation de son préjudice, après évaluation d'une perte de chance de 50 %.
Par assignation en date du 26 décembre 2013, M. Yvon G. a attrait la SAS Mylan devant le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc aux fins, sur le fondement des articles 1382 et 1386 du Code civil, d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 30 000 à titre de dommages et intérêts en conséquence de la perte de chance qu'il a subie de se faire soigner plus rapidement s'il avait été informé du fait que le priapisme dont il a souffert était une conséquence de l'ingestion du médicament fabriqué par ce laboratoire.
Par le jugement déféré, le tribunal a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par la SAS Mylan à l'action introduite par M. Yvon G. à son encontre en raison du défaut d'intérêt à agir de ce dernier et l'a déclaré irrecevable. Le tribunal a relevé que M. Yvon G. avait déjà été indemnisé du préjudice qu'il a subi du fait de la perte de chance d'être efficacement soigné à temps. Le premier juge a aussi retenu qu'en soutenant que son action présente visait, non pas à indemniser une perte de chance d'échapper à une impuissance définitive mais à indemniser une perte de chance d'avoir été informé par le fabricant du médicament via la notice de la conduite à tenir et du caractère gravissime que représente le priapisme, il faisait un amalgame juridiquement erroné entre la faute et ses conséquences, le défaut d'information constituant la faute, la perte de chance étant la conséquence de cette faute et constituant le préjudice et non point la faute.
1. M. Yvon G. reproche au premier juge de l'avoir déclaré irrecevable à agir alors qu'il reproche au laboratoire pharmaceutique un manquement à l'obligation d'information.
La SAS Mylan répond que M. Yvon G. n'a pas d'intérêt légitime à agir, qu'il a déjà obtenu l'indemnisation de son préjudice et qu'il est donc irrecevable en son action. Elle rappelle que le jugement critiqué a d'ailleurs décidé que le préjudice évoqué par l'appelant était le même que celui qui avait été réparé par le jugement du 3 décembre 2012.
Cependant, par application de l'article 30 du Code de procédure civile, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bienfondé de l'action et l'existence d'un préjudice invoqué par le demandeur dans le cadre d'une action en responsabilité n'est pas une condition de recevabilité de son action mais du succès de celle-ci. Par ailleurs, dans l'action en justice ayant conduit à la condamnation à réparation d'un préjudice de M. Yvon G. par le médecin généraliste consulté, la SAS Mylan n'était pas partie au litige. Dès lors, M. Yvon G. est recevable à agir à l'encontre de la SAS Mylan pour manquement à une obligation d'information. Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a déclaré M. Yvon G. irrecevable en ses demandes.
2. La SAS Mylan soutient que l'action de M. Yvon G. est prescrite s'agissant d'une action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux. Elle rappelle qu'en vertu de l'article 1386-17 du Code civil, l'action en réparation se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. Elle fait valoir que la première demande formulée contre elle a été faite le 6 février 2009, soit plus de quatre années après le diagnostic initial.
M. Yvon G. répond que le délai de prescription ne pouvait commencer à courir a minima qu'à compter du début du mois de juin 2010 lorsqu'il a eu connaissance du rapport d'expertise judiciaire qui a été adressé par courrier le 31 mai 2010. Il ajoute qu'il a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 30 avril 2013, soit avant l'expiration du délai de trois ans, que son admission à l'aide juridictionnelle accordé le 18 juin 2013 a été complété le 25 juin 2013 avec la désignation d'un huissier de justice compétent dans le ressort du Rhône pour permettre la délivrance de l'assignation et qu'en application de l'article 38 du décret n° 91 - 1266 du 19 décembre 1991, l'assignation a été délivrée dans les délais le 26 décembre 2013.
M. Yvon G. fonde son action sur les articles 1386-1et suivants anciens du Code civil. En effet, selon l'article 1386-4 ancien repris par l'article 1245-3 nouveau du Code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, celle-ci étant appréciée en tenant compte notamment de la présentation du produit, ce qui conduit à reconnaître la défectuosité d'un produit en cas d'information insuffisante, ce que reproche M. Yvon G. à la SAS Mylan. Or, en vertu de l'article 1386-17 ancien repris par l'article 1245-17 nouveau du même code, l'action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
En l'espèce, il ressort des débats, notamment du rapport d'expertise judiciaire que dès la consultation du généraliste, le docteur M., le 30 octobre 2004, M. Yvon G. a su que son érection douloureuse était sans doute due à la prise du Leponex, et donc de son générique le Clozapine. Il lui a d'ailleurs été prescrit de réduire la posologie de ce médicament à 150 mg par jour, ce que le patient a fait. En conséquence, ce jour-là, M. Yvon G. a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du défaut d'information qu'il invoque en se reportant simplement à la notice fournie avec le médicament. L'action intentée le 26 décembre 2013 est donc prescrite.
Aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens.
Compte tenu de la situation économique de la partie perdante, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement déféré ; Statuant à nouveau, Déclare recevables les demandes de M. Yvon G. ; Dit que l'action intentée par M. Yvon G. à l'encontre de la SAS Mylan est prescrite ; Condamne M. Yvon G. aux dépens qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.