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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 23 mai 2018, n° 17-01079

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CNH Industrial France (SAS)

Défendeur :

De Villers (EARL), Société Nouvelle des Etablissements Béguin (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lottin

Conseillers :

M. Samuel, Mme Feydeau Thieffry

Avocats :

Mes Gray, Jimenez, Javelot, Lemaire

TGI Dieppe, du 19 janv. 2017

19 janvier 2017

Exposé du litige

Le 19 décembre 2005, l'EARL De Villers, dont l'activité consiste en une exploitation agricole, a acquis auprès de la société Nouvelle des Ets Beguin, pour un montant de 97 521,56 €, un tracteur neuf de marque Case ainsi que, en accessoire, une masse Emily 1200.

Le 31 octobre 2006, l'EARL De Villers a demandé à la société Agri Pneus de monter un jumelage au niveau des roues arrières du tracteur.

Le 5 mars 2009, la trompette et la jante arrière gauche se sont cassées.

La société Nouvelle des Ets Beguin a procédé aux réparations.

Le 15 octobre 2009, la trompette et la jante arrière droite se sont cassées à leur tour.

La société Agri Santerre a réalisé les réparations.

Deux experts amiables se sont prononcés sur ces désordres, à la demande de l'assureur de l'EARL De Villers.

Suivant acte d'huissier en date du 20 janvier 2012, l'EARL de Villers a assigné en référé la société Agri Pneus et la société Nouvelle des Ets Beguin afin que soit ordonnée une expertise judiciaire, ce à quoi il a été fait droit par ordonnance du 8 mars 2012 du président du Tribunal de grande instance de Dieppe. Les opérations d'expertise ont été étendues à la société CNH Industrial France, constructeur du tracteur.

Le 10 octobre 2012, une nouvelle rupture de goujons de roue s'est produite, entraînant la rupture de la flasque puis celle du demi arbre de roue. La société Agri Santerre a assuré une nouvelle fois les réparations.

Le rapport de l'expert judiciaire a été déposé en février 2014.

Par actes des 21 et 27 mars 2014, l'EARL De Villers a assigné la société CNH Industrial France et la société Nouvelle des Ets Beguin aux fins de les voir condamnées in solidum à lui verser, sur le fondement de l'article 1641 du Code civil, la somme de 28 151,85 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait de la défectuosité du tracteur, ainsi qu'à la somme de 5 000 euros pour son préjudice de jouissance.

Par jugement du 19 janvier 2017, le Tribunal de grande instance de Dieppe a ainsi statué :

Condamne la société Nouvelle des Ets Beguin à verser à l'EARL De Villers la somme de 28 151,85 euros en réparation de son préjudice,

Condamne la société CNH Industrial France à garantir la société Nouvelle des Ets Beguin des sommes dues au titre de sa condamnation,

Condamne l'EARL De Villers à verser à la société Nouvelle des Ets Beguin la somme de 1 756,57 euros,

Condamne la société CNH Industrial France aux dépens en ce compris les frais d'expertise et d'assignation dont distraction sera faite au profit de Me Cattelet,

Condamne la société CNH Industrial France à verser à l'EARL De Villers 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société CNH Industrial France à verser à la société Nouvelle des Ets Béguin 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société CNH Industrial France a interjeté appel général par acte du 1er mars 2017 et, dans ses dernières conclusions du 31 juillet 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions l'ayant condamnée ainsi qu'en ses dispositions ayant condamné la société Nouvelle des Ets Beguin et, statuant à nouveau, de :

- débouter l'EARL De Villers de toutes ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société CNH Industrial France,

- débouter la société Nouvelle des Ets Beguin de sa demande en garantie à l'encontre de la société CNH Industrial France,

A titre subsidiaire,

- dire que les préjudices invoqués par l'EARL De Villers ne sauraient excéder la somme de 23 538,33 €,

En toute hypothèse,

- condamner l'EARL De Villers à payer la somme de 10 000 € à la société CNH Industrial France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel que la Selarl Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'EARL De Villers, dans ses dernières conclusions du 11 juillet 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour de confirmer le jugement et, y ajoutant, de condamner la société CNH Industrial France à lui payer la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Nouvelle des Ets Beguin, dans ses dernières conclusions du 30 juin 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour de :

- débouter l'EARL De Villers de toutes ses demandes,

Subsidiairement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la société CNH Industrial France devra garantir la société Nouvelle des Ets Beguin de toute condamnation qui pourra être prononcée à son encontre,

- confirmer en conséquence, les condamnations intervenues à l'encontre de CNH Industrial France,

- confirmer la condamnation de l'EARL De Villers au paiement de la somme de 1 756,57 € en règlement de la facture n° 1/1010/1000 16 du 8 octobre 2010 d'un montant de 1 756,57 €,

- condamner la société CNH Industrial France et l'EARL De Villers, au paiement d'une somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2018.

SUR CE

A titre liminaire, il convient d'indiquer que les dispositions du Code civil auxquelles le présent arrêt est susceptible de se référer sont celles antérieures à l'ordonnance du 10 février 2016, celle-ci n'étant applicable qu'aux seuls contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.

Sur la garantie des vices cachés

Au soutien de son appel, la société CNH Industrial France fait valoir que l'expert judiciaire n'a pas caractérisé de vice, sauf à dénaturer ses conclusions ; qu'à supposer le vice établi, il n'est pas prouvé qu'il affectait le tracteur lorsqu'elle l'a mis en commercialisation ; qu'en tout état de cause, il ne s'agit pas d'un vice redhibitoire, dans la mesure où il peut aisément être réparé de manière définitive.

Pour renforcer sa démonstration, elle expose que c'est l'EARL de Villers qui est à l'origine des désordres en ayant fait installer en 2006 un système de jumelage en dehors de tout accord ou intervention du fabricant, en ayant soumis le tracteur à des contraintes d'utilisation anormales, notamment en le faisant circuler sur route et en ne respectant pas les préconisations d'entretien.

Aux mêmes fins, la société Nouvelle des Ets Beguin insiste de son côté sur le fait que la conduite du tracteur, qui a fonctionné normalement pendant presque plus de 3 ans, a été totalement inadaptée et que des modifications ont été mises en œuvre sans l'accord de la société CNH Industrial France.

Ces moyens et arguments se bornent en réalité à tenter de remettre en cause la valeur probante des conclusions de l'expert judiciaire sur lesquelles s'est appuyé le tribunal pour conclure à la caractérisation d'un vice caché entrant dans les prévisions de l'article 1641 du Code civil. La cour adopte au demeurant les motifs aussi exacts qu'exhaustifs du jugement et ne fait état des éléments qui vont suivre qu'afin de mieux démontrer le caractère toujours infondé des prétentions de la société CNH Industrial France, soutenue par la société Nouvelle des Ets Beguin.

L'expert a constaté des désordres consistant en une rupture de goujons de roue, d'arbre (trompette) de roues et des flasques de roue (voile) qui ont entraîné quatre réparations dont la nécessité même n'est pas contestée, pour un montant total de 28 151,85 €.

Si l'expert a usé dans sa conclusion d'une expression prudente en indiquant : " c'est bien l'ensemble goujon, flasque et moyeu qui ne semblent (sic) pas être suffisamment dimensionnés pour un tel matériel et relèvent probablement de l'état de fabrication à son premier niveau ", il ne saurait en être déduit que le vice ne serait pas certain.

La réserve de l'expression n'a d'égale que la certitude qui se dégage des constatations techniques complètes rapportées avec précision dans le rapport et qui, prises dans leur ensemble, ne permettent pas d'identifier d'autres causes aux désordres que celles d'un vice de construction présentant toutes les caractéristiques requises par l'article 1641 du Code civil.

L'expert a notamment relevé qu'aucune explication technique précise n'avait pu être fournie par le fabricant pour expliquer les désordres et a exclu que ces derniers puissent avoir pour cause un fait quelconque du gérant de l'EARL de Villers qui, d'une part, avait attelé couramment sur le tracteur des outils considérés comme standards (lame niveleuse, semoir, tasse avant) et conformes à la catégorie du véhicule, d'autre part, avait utilisé le tracteur en conformité avec les préconisations du constructeur, notamment en ce qui concerne le respect du tableau des charges admissibles inscrites sur le manuel constructeur, au regard du poids de chacun des outils concernés qu'il a consigné avec précision, y compris dans sa réponse au dire du 27 mars 2013. Le premier juge en a déduit à juste titre que la modification du tracteur consistant en la pose d'un jumelage des roues n'avait pas eu d'impact sur l'ensemble goujon, flasque et moyeu des roues initiales et la société CNH Industrial France n'en a rapporté la preuve contraire ni au cours des opérations d'expertise, ni au cours des instances.

Si l'expert a, par ailleurs, relevé que le gérant de l'EARL de Villers avait procédé de son propre chef au remplacement des goujons de roue de type plat par des modèles à épaulement conique, il a estimé que ce procédé avait eu l'avantage de limiter tout battement sur la flasque, ce qui avait permis de stabiliser le problème, aucune nouvelle détérioration ne s'étant produite. Ce remplacement est d'autant moins problématique que l'expert a, au contraire, constaté que c'est le montage initial réalisé par la société CNH Industrial France, avec des écrous sans centrage conique, qui n'était pas recommandé sur des tracteurs de cette puissance, qui empêchait de rendre la fixation rigide et qui favorisait le battement. L'expert a en outre constaté que la flasque était largement sous dimensionnée et que la faiblesse de l'arbre de roue était due soit à sa section insuffisante pour ce type de tracteur, soit à une conception insuffisante.

En ce qui concerne le fait que le tracteur aurait roulé avec un montage de plus de 4 mètres de large ce qui n'est pas autorisé sur la voie publique comme le rappelle le manuel d'utilisation, il ne peut en être tiré aucune conséquence de nature à exclure l'imputation du vice lui-même au fabricant, dès lors que cette interdiction relève d'une simple règle de prudence en matière de circulation routière et qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que l'infraction éventuelle à cette prescription aurait pu constituer une cause des désordres. Quant au rattachement même d'un semoir en 4 mètres, l'expert a expressément exclu qu'il puisse être raisonnablement mis en cause.

La société CNH Industrial France ne démontre pas davantage le grief qu'elle forme contre l'EARL de Villers quant à la vitesse trop importante, au delà de 20 km/h, du déplacement du matériel. La combinaison avec les phénomènes d'irrégularités des routes et chemins n'avait jamais été évoquée au cours de l'expertise, même dans les dires, et il ne saurait en être tiré aucune conséquence, dès lors qu'il n'a pas été relevé au cours de l'expertise que les voies empruntées n'auraient pas été adaptées au passage d'un engin agricole de cette nature.

Contrairement à ce que soutient la société CNH Industrial France, l'expert a répondu aux contestations exposées dans le dire du 27 mars 2013, notamment en ce qui concerne le porte à faux en relevant que le maïs, matière très légère et souple après sa réduction volumétrique par tassement, ne semblait pas significatif à l'égard des réels porte à faux constatés en l'espèce.

Quant à la gravité du vice, la société CNH Industrial France ne peut valablement soutenir que les défauts constatés ne seraient pas rédhibitoires puisqu'aisément réparables, alors que seules de multiples réparations intervenues à quatre reprises en un peu plus de trois ans pour un coût correspondant à 29 % du prix d'achat du tracteur ont permis de le mettre en état pour l'usage auquel il était destiné. Le vice était donc bien de nature à rendre le tracteur impropre à son usage.

Il résulte de tout ce qui précède que les conditions d'application des articles 1641 et suivants du Code civil étaient réunies. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le préjudice et les autres demandes au fond

S'agissant des dommages intérêts devant assurer la réparation du vice caché, la société CNH Industrial France en conteste le montant (28 151, 85 €), mais uniquement en ce qu'il inclut la TVA dont elle estime qu'elle est déductible, de telle sorte que seule la somme de 23 538, 33 € serait due.

Il n'est toutefois démontré par aucune pièce que la TVA serait déductible à l'égard de l'EARL de Villers qui a droit à réparation intégrale de son préjudice correspondant au montant des factures qu'elle a acquittées.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a condamné l'EARL de Villers à payer un solde de facture à la société Nouvelle des Ets Beguin et sera donc confirmé de ce chef.

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

La société CNH Industrial France et la société Nouvelle des Ets Beguin seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de l'EARL de Villers.

La société CNH Industrial France sera condamnée à payer à ce titre la somme précisée dans le dispositif à l'EARL de Villers et à la Société Nouvelle des Ets Beguin.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Déboute la société CNH Industrial France et la société Nouvelle des Ets Beguin de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de l'EARL de Villers, Condamne la société CNH Industrial France à payer à l'EARL de Villers et la société Nouvelle des Ets Beguin chacune la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société CNH Industrial France aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avocats en ayant fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.