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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 24 mai 2018, n° 17-00944

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Clinique Saint Augustin (SAS), Medtronic France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Esarte

Conseillers :

Mmes Coudy, Brisset

Avocats :

Mes le Barazer, Pouzieux, Czamanski, Bonnet, Berthezene, Daille Duclos

TGI Bordeaux, du 18 janv. 2017

18 janvier 2017

Claude C. a été hospitalisé le 5 janvier 2013 à la clinique Saint Augustin et opéré le 7 janvier 2013 par le docteur V. d'une endartériectomie carotidienne droite.

48 heures après l'opération Claude C. a présenté un hématome cervical très important ayant nécessité une reprise au bloc opératoire où le docteur V. a constaté une rupture franche et inexplicable d'un des brins de surjets utilisés pour la fermeture de l'endartériectomie. Il est décédé le 13 janvier 2013.

Par acte d'huissier du 8 avril 2013, M. Olivier C. (fils de Claude C.) et son épouse Sophie L. agissant tant en leur nom personnel qu'ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs Axelle et Hugo ont fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Saintes la SAS Clinique Saint Augustin.

Par ordonnance du 3 juillet 2013, le juge de la mise en état a déclaré le Tribunal de grande instance de Saintes territorialement incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Bordeaux.

Par acte d'huissier du 17 novembre 2014, les demandeurs agissant sous les mêmes qualités ont fait assigner la SAS Covidien France aux droits de laquelle se trouve la SAS Medtronic aux fins de condamnation solidaire avec la Clinique Saint Augustin à l'indemnisation de leurs préjudices.

Axelle C. désormais majeure est intervenue à la procédure.

Par jugement du 18 janvier 2017 le tribunal a débouté les consorts C. de toutes leurs demandes.

Pour statuer ainsi le tribunal a considéré qu'il n'était pas établi de manière certaine que les fils du surjet en cause avaient été fournis par la société Covidien et qu'il n'était pas davantage établi que la rupture provenait du caractère défectueux du produit de suture.

Les consorts C. ont relevé appel de la décision le 14 février 2017.

Dans leurs dernières écritures en date du 4 août 2017, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, les consorts C. concluent à la réformation du jugement et à la condamnation solidaire des intimés au paiement des sommes de :

30 000 euros au profit d'Olivier C., 18 000 euros au profit de Sophie L. épouse C., 15 000 euros au profit d'Axelle C., 15 000 euros au profit d'Hugo C., 4 531,80 euros outre les frais de dossier pour 25 euros au profit des époux C. en réparation de leur préjudice matériel.

• À titre subsidiaire, ils sollicitent une mesure d'expertise. Ils sollicitent enfin la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils soutiennent que la responsabilité de la clinique est bien engagée pour avoir fourni et posé le matériel opératoire défectueux et considèrent que la clinique ne peut se prévaloir de la nouvelle rédaction des dispositions de l'article 1386-7 du Code civil et soutenir que la responsabilité serait limitée aux hypothèses où le producteur n'a pu être identifié. Ils ajoutent que le matériel a bien été identifié et a été fabriqué par la société Covidien aux droits de laquelle se trouve la société Medtronic. Ils estiment que la rupture du surjet démontre le caractère défectueux du produit. Ils s'expliquent sur leur préjudice. Subsidiairement, ils concluent à une mesure d'expertise considérant qu'elle ne peut être déclarée irrecevable comme nouvelle dès lors qu'elle est accessoire à leur demande principale.

Dans ses dernières écritures en date du 5 juillet 2017, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la SAS Clinique Saint Augustin conclut à l'irrecevabilité de la demande d'expertise et à la confirmation du jugement. Subsidiairement, elle demande à être garantie par la SAS Medtronic de toute somme qui serait mise à sa charge et la condamnation de tout succombant au paiement de la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que la demande d'expertise est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel. Sur le fond, elle considère qu'elle ne peut être considérée que comme utilisateur des dispositifs médicaux mis en œuvre et non comme un distributeur ou un fournisseur du produit de sorte que sa responsabilité ne peut être engagée que pour faute prouvée. Elle considère qu'il est établi que les fils utilisés étaient bien ceux fabriqués et distribués par la société Medtronic, même s'il existe une imprécision du compte rendu opératoire.

Dans ses dernières écritures en date du 10 juillet 2017, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la SAS Medtronic conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a rejeté sa demande au titre des frais, à l'irrecevabilité de la demande d'expertise et subsidiairement à son rejet. Elle sollicite la condamnation solidaire des consorts C. et la Clinique Saint Augustin au paiement de la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient qu'il n'est pas établi l'utilisation dans l'opération de Claude C. de dispositifs distribués par elle et ajoute que le caractère défectueux du produit n'est pas davantage démontré, la rupture provenant plus généralement d'un défaut de manipulation. Subsidiairement, elle discute le préjudice. Elle soutient que la demande d'expertise est irrecevable comme nouvelle et que subsidiairement, elle devrait être écartée comme venant substituer la carence des parties dans l'administration de la preuve et comme inutile.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 15 mars 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En droit, l'action des consorts C. est fondée sur la responsabilité des produits défectueux et de l'article 1386-7 du Code civil (codification antérieure au 1er octobre 2016, devenu depuis lors 1245-6). Ils considèrent toutefois qu'à raison de la rédaction de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique, ce sont les dispositions de l'article L. 1386-7 du Code civil tel qu'applicables avant la loi du 5 avril 2006 qui doivent s'appliquer.

Cette analyse pose une première difficulté dans la mesure où les dispositions du Code de la santé publique précitées énoncent bien la réserve d'un défaut de produit de santé, sans instituer un régime dérogatoire à celui de la responsabilité des produits défectueux. Ce régime tel que résultant de la nouvelle transposition de la directive européenne du 25 juillet 1985 s'applique bien sans qu'on puisse faire prévaloir l'état ancien du droit.

En toute hypothèse leur démonstration se heurte, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, à une double difficulté probatoire.

Vis-à- vis de la société Medtronic, venant aux droits de Covidien, il subsiste une incertitude quant au point de savoir si cette société était bien le producteur du produit utilisé. En effet, il existe bien une discordance dans les documents produits. Ainsi le compte rendu opératoire fait état d'un surjet au prolène 5/0. Medtronic n'est pas le fabricant du fil Prolène. La clinique Saint Augustin fait valoir qu'il s'agirait d'un tic de langage et donc d'une dénomination générique, tous les fils d'un même type étant susceptible de se voir dénommés Prolène sans égard avec les marques et références, lesquelles peuvent changer. Cette affirmation n'est toutefois pas étayée alors même que la Clinique Saint Augustin est partie au litige et a un intérêt à ce que le fournisseur du produit incriminé soit identifié précisément.

Il est exact que la déclaration de matério vigilance a été réalisée pour du Surgipro, fil produit par Medtronic. Toutefois ceci ne fait pas disparaître les énonciations du compte rendu opératoire et ce d'autant plus que non seulement le fil mentionné n'est pas le même mais qu'en outre sa section est différente puisqu'il est fait état dans le compte rendu d'un fil 5/0 alors que le signalement d'incident est relatif à un fil 6/0.

Ainsi que l'ont retenu les premiers juges le compte rendu opératoire n'a jamais été corrigé par son auteur lequel n'a jamais attesté d'une erreur matérielle à ce titre.

Il subsiste donc bien une incertitude quant au fil mis en œuvre lors de l'opération.

En outre, c'est sur les consorts C., demandeurs, que repose la charge de la preuve non seulement du dommage mais également du défaut du produit incriminé et du lien de causalité avec le dommage par application des dispositions de l'article L. 1386-9 du Code civil devenu L. 1245-8 du même code, et ce pour tout le régime applicable aux produits défectueux.

En l'espèce, toute leur argumentation procède de l'affirmation du docteur V., praticien ayant réalisé l'opération et sa reprise en situation d'urgence, de la constatation d'une rupture franche et inexplicable d'un des brins de surjets utilisés.

Le fait que le produit ait fait l'objet d'un agrément, compte tenu de sa nature l'imposant, n'est pas en soi de nature à exclure l'existence d'un produit défectueux. Mais il n'en demeure pas moins que la seule affirmation du praticien est insuffisante pour établir que la rupture du brin de surjet provenait de la défectuosité du fil. En effet, le terme inexplicable démontre uniquement que le praticien, au demeurant en situation de très grande urgence, ne la comprenait pas ce qui ne caractérise pas son origine. Cette rupture pouvait avoir des causes différentes relevant possiblement certes d'un caractère défectueux mais également d'une mauvaise manipulation. Aucun des éléments produits ne vient corroborer la thèse des consorts C. quant au caractère défectueux étant observé que la déclaration de matério vigilance n'a pas abouti à un constat de défaut. Si la cour regrette que le document d'incident (pièce 7 Medtronic) ne soit produit qu'en anglais, il n'en demeure pas moins qu'il n'en résulte pas le constat d'un défaut venant étayer la thèse des consorts C..

Leur thèse de la rupture du fil ne pouvant provenir que d'un défaut du produit et où l'origine du dommage se trouverait inscrite dans sa réalisation ne peut être considérée comme exacte et établie. Leur demande ne pouvait donc être bien fondée.

Pour la première fois en appel, les consorts C. sollicitent une mesure d'expertise. Contrairement à ce que soutiennent les intimées, cette demande est recevable dès lors qu'il s'agit d'une mesure d'instruction, que la cour pourrait au demeurant ordonner d'office, de sorte qu'elle était virtuellement comprise dans la demande indemnitaire initiale et se trouve recevable par application des dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile.

Il ne s'en déduit pas qu'elle soit bien fondée. Outre qu'elle ne peut suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve, elle est désormais impossible plus de cinq ans après les faits, alors que les brins du surjet litigieux n'ont pas été conservés. Les consorts C. ne le soutiennent d'ailleurs pas puisqu'ils invoquent la possibilité d'une expertise sur pièces. Toutefois celle-ci ne saurait aboutir au mieux qu'à une énonciation de probabilités sur l'origine de la rupture. De telles probabilités seraient insuffisantes pour établir la preuve de l'origine du dommage et du caractère défectueux du produit, preuve qui demeure indispensable.

Les consorts C. ne rapportant pas la preuve qui leur incombe la cour ne peut que confirmer le jugement entrepris et ce sans ordonner d'expertise.

Au regard des circonstances et de considérations d'équité il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. L'appel étant mal fondé, les consorts C. seront condamnés aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Déclare recevable mais mal fondée la demande d'expertise présentée devant la cour, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne les consorts C. aux dépens et dit qu'il pourra être fait application par la SCP Latournerie Milon Czamanski Mazille qui le demande des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Le présent arrêt a été signé par Madame Michèle ESARTE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.