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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 30 mai 2018, n° 17-19711

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Staffmatch France 1 (SAS), Staffmatch France (SAS)

Défendeur :

Club des Extras (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy-Zenati

Conseillers :

M. Sorieul, Mme Dias Da Silva

T. com. Paris, prés., du 10 oct. 2017

10 octobre 2017

La société Le Club des Extras, fondée en mai 2016, emploie 11 salariés et exploite une plate-forme internet ayant pour objet de mettre en relation des professionnels de la restauration et de l'hôtellerie. Elle permet, via sa plate-forme, à des établissements exerçant dans le secteur de la restauration et de l'hôtellerie de faire part, en temps réel, de leur besoin de prestations à des professionnels indépendants à la recherche de clients.

La société Staffmatch France est une société holding contrôlant quatre entreprises de travail temporaire, les sociétés Staffmatch France 1, Staffmatch France 2, Staffmatch France 3 et Staffmatch France 4, spécialisées dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration.

La société Le Club des Extras intervient sur le même marché que les sociétés contrôlées par la société Staffmatch France, dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, représentant plus de 70 % de son chiffre d'affaires.

Le 10 août 2017, la société Staffmatch France a assigné en référé la société Le Club des Extras devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir notamment reconnaître l'existence d'un trouble manifestement illicite ainsi que l'imminence de dommages, et en conséquence ordonner la suspension de la plate-forme " Le Club des Extras " et de l'ensemble des services afférents sur l'ensemble des supports.

Par ordonnance du 10 octobre 2017, le président du Tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à référé, ni à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 25 octobre 2017, la SAS Staffmatch France 1 et la SAS Staffmatch France ont interjeté appel de cette ordonnance.

Par leurs conclusions transmises le 20 mars 2018, elles demandent à la cour de :

- déclarer les appelantes recevables et fondées en leur appel et en leurs prétentions,

- infirmer en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendu le 10 octobre 2017 par le Tribunal de commerce de Paris,

- statuant à nouveau, reconnaître l'existence d'un trouble manifestement illicite,

- reconnaître l'imminence de dommages,

- y faisant droit, ordonner à la société Le Club des Extras de stopper toute pratique commerciale trompeuse et publicité mensongère en supprimant toute référence à la notion d'extra indépendant et cela sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

- ordonner la suspension par Le Club des Extras de toute mise en relation sur sa plate-forme avec des extras indépendants, et cela sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

- condamner la société Le Club des Extras au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions qui seront formulées par la partie intimée.

Elles font valoir que :

- L'exercice illégal d'une profession constitue un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile ;

- La concurrence déloyale constitue un trouble manifestement illicite, la société Le Club des Extras opérant une mise à disposition de travailleurs temporaires grâce au contournement frauduleux du régime des micro-entrepreneurs, afin de proposer des tarifs plus intéressants que ceux de l'intérim ;

- L'incitation à frauder l'Etat en ne payant pas de charges sociales et le travail dissimulé, constituent un trouble manifestement illicite ;

- La violation de la loi et des dispositions réglementaires constitue un trouble manifestement illicite or la société Le Club des Extras agit comme une entreprise de travail temporaire dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration. En effet, le statut d'extra étant réglementé, les extras sont nécessairement des salariés ;

- Plusieurs délits, tels que les délits de marchandage, de prêt illicite de main d'œuvre, de travail dissimulé par dissimulation d'activité et la complicité de délit de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, sont commis directement et indirectement par la société Le Club des Extras,

- " Le Club des Extras " est une plateforme illégale qui nuit à l'économie et porte atteinte à la liberté de manière continuelle,

- L'utilisation de la plateforme " Le Club des Extras " est génératrice d'un dommage imminent, car chaque utilisation permet de développer des pratiques déloyales et anti-concurrentielles,

- En application des articles L. 121-2 et L. 121-4 du Code de la consommation la société Le Club des Extras emploie des pratiques commerciales trompeuses et particulièrement déloyales. En effet, elle utilise de manière abusive le terme " d'extra ", pour désigner des personnes enregistrées en tant qu'auto-entrepreneur, utilisation caractérisant l'existence de pratiques commerciales trompeuses dont le but est de créer la confusion dans l'esprit des clients.

Par ses conclusions transmises le 18 décembre 2017, la société Le Club des Extras demande à la cour de :

- Constater que les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 ne démontrent pas l'existence d'un trouble manifestement illicite causé par l'activité de la société Le Club des Extras,

- Constater que les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 ne démontrent pas l'existence d'un dommage imminent causé par l'activité de la société Le Club des Extras,

- Constater que les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 ne démontrent pas l'existence de pratiques commerciales trompeuses,

- En conséquence, confirmer l'ordonnance rendue par le président du Tribunal de commerce de Paris le 10 octobre 2017 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à référé,

- Débouter les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- Infirmer l'ordonnance rendue par le président du Tribunal de commerce de Paris le 10 octobre 2017 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Statuant de nouveau, condamner in solidum les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 à payer à la société Le Club des Extras la somme de 25 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la 1ère instance et de l'appel et aux dépens.

Elle fait valoir que :

- La plate-forme "Le Club des Extras" est une simple plateforme de mise en relation, de sorte qu'elle est légale et ne constitue pas un trouble manifestement illicite ;

- Le fait de proposer une mise en relation entre professionnels ne fait pas de la société Le Club des Extras une entreprise de travail temporaire, au sens de l'article L. 1251-2 du Code du travail, aucune des conditions prescrites par cet article n'étant remplie ;

- Elle ne met pas de personnel à la disposition des entreprises utilisatrices mais uniquement en relation des entreprises avec des indépendants proposant leurs services via la plate-forme, de sorte qu'elle ne contracte aucune obligation à l'égard des entreprises exprimant un besoin d'extras ;

- Les candidats à des postes d'extras inscrits sur la plateforme de la société Le Club des Extras sont des professionnels indépendants qui souhaitent le rester,

- Elle n'est liée par aucun contrat avec les indépendants ayant pour objet la réalisation d'une prestation d'extras, ni ne les rémunère ;

- La plateforme n'encadre aucunement le travail des extras, ne leur imposant aucune obligation et ne négociant pas leur rémunération. De plus aucun des extras inscrits sur la plateforme n'a pris l'initiative de demander la requalification de sa relation de travail indépendant en salariat ;

- S'agissant du paiement des charges sociales, l'activité exercée par la société Le Club des Extras, laquelle ne consiste pas en une activité d'entreprise de travail temporaire, est parfaitement légale et ne saurait dès lors être constitutive d'un trouble illicite ;

- Les appelantes ne caractérisent à aucun moment la réalité d'un dommage imminent qui justifierait le prononcé de mesures provisoires au regard de l'article 873 du Code de procédure civile ;

- Elle ne se livre à aucune pratique commerciale trompeuse en utilisant le terme " extra " pour mettre en relation des professionnels indépendants avec des entreprises à la recherche de personnes en vue d'effectuer un service occasionnel. En effet, le terme " extra " n'est ni légalement défini, ni réglementé et un contrat d'extra peut parfaitement prendre la forme d'un contrat de prestations de service conclu avec un indépendant.

MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que l'article 783 du Code de procédure civile prévoit que "Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office" ;

Considérant que les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 appelante ont déposé des écritures le jour où l'ordonnance de clôture a été rendue, le 20 mars 2018, et la société Le Club des Extras plusieurs jours après, soit le 29 mars 2018 ; qu'il résulte de l'application des dispositions sus énoncées que leur irrecevabilité doit être prononcée d'office ;

Considérant que l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que le dommage imminent s'entend du " dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et le trouble manifestement illicite résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit " ;

Considérant que le dommage imminent s'entend du " dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et le trouble manifestement illicite résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit " ;

Qu'il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; que la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets ;

Considérant que les sociétés Staffmatch France et France 1 sont des entreprises de travail temporaire qui interviennent dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration ; que leur activité consiste à mettre à disposition provisoire d'entreprises clientes, dites entreprises utilisatrices, des salariés qu'elles recrutent et rémunèrent ;

Considérant que la société Le Club des Extras - ci-après LCDE - exploite une plate-forme internet (web et mobile) ayant pour objet de mettre en relation des professionnels de la restauration et de l'hôtellerie avec des travailleurs indépendants ; que son activité consiste à identifier des profils d'indépendants inscrits sur la plate-forme pouvant répondre aux besoins de service occasionnel d'un professionnel, puis d'entrer en relation avec celui ou ceux de leur choix ; que LCDE précise qu'elle n'intervient ni dans le choix de l'indépendant, ni dans la détermination de sa rémunération ; qu'elle n'est liée par aucun contrat avec les indépendants ni ne les rémunère ;

Considérant que la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a créé le régime de l'auto-entrepreneur qui est, par définition, un travailleur indépendant ; que l'article L. 8221-6 du Code du travail dispose que "les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des URSSAF pour le recouvrement des allocations familiales", à savoir les travailleurs indépendants, travaillant ou non sous le statut d'autoentrepreneur, "sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail" ;

Considérant que l'article L. 7341-1 du Code du travail, issu de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et du décret du 4 mai 2017 relatif à la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique, dispose que les travailleurs indépendants ayant recours, pour leur activité professionnelle, à une plate-forme, ne sont pas, en principe, liés à celle-ci par un contrat de travail ;

Qu'en vertu de l'article L. 8221-6 précité, l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ; que LCDE indique qu'aucun des indépendants inscrits sur sa plate-forme n'a agi à son encontre aux fins de se voir reconnaître le statut de salarié ;

Considérant que les griefs invoqués par les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 à l'encontre de LCDE pour caractériser des faits d'exercice illégal de la profession réglementée d'entreprise de travail temporaire, de contournement frauduleux du régime des micro-entrepreneurs, de marchandage, de prêt illicite de main d'œuvre, constitutifs d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent par leur réitération, reposent sur le présupposé que les travailleurs indépendants inscrits sur la plate-forme de LCDE seraient en réalité des salariés ; que toutefois, dès lors que, contrairement à ce qu'affirment les appelantes, le modèle économique des plateformes de mise en relation par voie électronique est reconnu légalement, la loi du 8 août 2016 et le décret du 4 mai 2017 ayant pour objet d'accompagner l'essor des plateformes numériques en renforçant le cadre dans lequel les travailleurs indépendants y ayant recours exercent leur activité, notamment en leur octroyant des droits sociaux minimaux, et dès lors qu'il n'est pas manifeste que la qualification de salariés puissent être reconnue aux travailleurs mis en relation avec des professionnels par LCDE, le trouble illicite, de même que le dommage imminent, ne sont pas démontrés par les sociétés de travail temporaire appelantes ;

Qu'il en est de même du grief fondé sur des pratiques commerciales trompeuses au motif que l'utilisation du terme "Extra" par LCDE laisse entendre que le service qu'elle propose serait licite alors qu'il ne peut l'être puisque un extra est un salarié, dont le régime est prévu par la convention collective nationale du 30 avril 1997 ; que si l'article 14 de la convention collective nationale à laquelle il est fait référence stipule que "l'emploi d'extra qui, par nature est temporaire, est régi par les dispositions légales en vigueur. Un extra est engagé pour la durée nécessaire à la réalisation de la mission", il ne peut être déduit ipso facto de cette clause, insérée dans un document régissant les droits des travailleurs dans un secteur d'activité, qu'un extra ne puisse être un travailleur indépendant ; que la preuve du caractère manifestement illicite du trouble invoqué, de même que l'imminence d'un dommage n'est pas rapportée ;

Que, par ces motifs qui se substituent à ceux retenus par le premier juge, l'ordonnance sera confirmée, qui a dit n'y avoir lieu à référé ;

Considérant que l'équité commande de faire bénéficier l'intimée des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans les conditions précisées au dispositif ci-après ;

Que partie perdante, les sociétés appelantes ne peuvent prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supporteront les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, déclare irrecevables les conclusions des SAS Staffmatch France et Staffmatch France 1 remises le 20 mars 2018 et les conclusions de la SAS Le Club des Extras remises le 29 mars 2018 ; Confirme l'ordonnance entreprise ; Condamne les SAS Staffmatch France et Staffmatch France 1 à payer à la SAS Le Club des Extras la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne les SAS Staffmatch France et Staffmatch France 1 aux dépens.