CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 mai 2018, n° 16-09301
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Régals de Bretagne (SAS), Atlantique Productions (SAS), Biscuiterie Pâtisserie Carrée (SAS)
Défendeur :
Back Holding GmbH (Sté), Ibis Backwarenvertriebs-GmbH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon-Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Fisselier, Baron, Fromantin, Dolfi
FAITS ET PROCÉDURE
La société Régals de Bretagne (ci-après la société Régals) a pour objet la distribution de produits de boulangerie industrielle, de viennoiserie, biscuiterie, et pâtisserie, fabriqués par deux sociétés appartenant au même groupe qu'elle, les sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée (BPC).
Les sociétés de droit allemand, Pro-Back Handelsgesllschaft, Back-Holding et Ibis Backwarenvertriebs GmbH (ci-après les sociétés Ibis) ont notamment pour objet la distribution de produits de boulangerie et de pâtisserie auprès des principales chaînes de distribution allemandes.
A compter de la fin de l'année 2002, les société Ibis et la société Régals de Bretagne ont entretenu des relations commerciales suivies, ayant pour objet l'achat de produits boulangers et de viennoiseries, en vue de leur distribution en Allemagne.
Ces relations matérialisées par l'envoi de bons de commandes et l'émission de factures ont été formalisées le 17 octobre 2008 par un premier contrat, expirant le 31 décembre 2010, par lequel la société Régals de Bretagne a confié à la société Pro-Back la distribution, sur le territoire allemand, de certains produits de boulangerie et de pâtisserie fabriqués par les sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée.
Les parties ont conclu un deuxième contrat de distribution le 15 décembre 2010 pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 par lequel la société Régals de Bretagne confiait la distribution exclusive de la majeure partie de ses produits en Allemagne et en Autriche, à la société Pro-Back, cette dernière s'engageant sur des quantités minimums d'achats. Ce contrat a été remplacé par un nouvel accord le 2 février 2011 prévoyant notamment que le contrat ne serait pas renouvelable tacitement au-delà du 31 décembre 2012 et que les parties négocieraient, au plus tard le 30 septembre 2011, les prix des produits vendus à compter du 1er janvier 2012.
Les parties ont conclu un dernier contrat le 2 juillet 2013 pour la période du 1er janvier 2013 au 28 février 2014. Aux termes de ce contrat, les parties s'engageaient à négocier avant le 30 novembre 2013 les prix des produits qui seraient applicables à compter du 1er mars 2014.
Au 1er mars 2014, aucun accord n'avait été trouvé. Les parties ont continué à négocier durant l'année 2014 et les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies jusqu'en juin 2015, époque à laquelle elles ont définitivement cessé.
Soutenant avoir observé, à compter de mars 2014, une diminution substantielle du volume des commandes, la société Régals de Bretagne a mis en demeure les sociétés Pro-Back et Ibis Backwarenvertriebs, par courrier recommandé avec accusé de réception du 9 septembre 2014, notamment de procéder au complément de commandes nécessaires à ce que le volume d'affaires réalisé depuis le 1er mars 2014 soit conforme au volume moyen de commandes observé au cours des quatre années précédentes.
Le 27 juin 2014, la société Ibis Backwarenvertriebs a répondu en se référant à un précédent courriel du 27 juin 2014 aux termes duquel elle indiquait qu'elle n'était plus tenue par les engagements de volume en vigueur au cours de la période du 1er janvier 2013 au 28 février 2014.
C'est dans ces conditions que la société Régals de Bretagne a assigné, par exploit du 17 décembre 2014, les sociétés Pro-Back, Ibis Backwarenvertriebs et Back Holding, devant le Tribunal de commerce de Rennes, en indemnisation pour rupture brutale partielle des relations commerciales établies du fait de la baisse soudaine de commandes à partir de mars 2014, sollicitant leur condamnation solidaire à lui verser la somme de 4 519 346 euros au titre de la perte de marge brute pendant 24 mois.
Les sociétés Atlantique Productions et BPC sont intervenues volontairement à l'instance, par conclusions du 29 septembre 2015, sollicitant l'indemnisation du préjudice qu'elles ont subi du fait de la rupture brutale totale des relations commerciales établies entre la société Régals et les sociétés Ibis.
Par jugement du 22 mars 2016, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- donné acte aux sociétés Atlantique Productions et BPC de leur intervention volontaire à l'instance,
- déclaré recevables les interventions volontaires à l'instance des sociétés Atlantique Productions et BPC et débouté les sociétés Back Holding et Ibis Backwarenvertriebs de leur demande formée de ce chef,
- constaté qu'il n'y a pas eu rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et débouté les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique Productions et BPC de leurs demandes formées à ce titre,
- débouté les sociétés Back-Holding et Ibis Backwarenvertriebs de leur demande reconventionnelle pour rupture partielle par la société Régals de Bretagne des relations commerciales établies,
- condamné solidairement les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique Productions et BPS à payer, à chacune des sociétés Back-Holding et Ibis Backwarenvertriebs, la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire du jugement,
- condamné solidairement les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique Productions et BPS aux dépens.
LA COUR,
Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 30 janvier 2017 par lesquelles les sociétés Atlantique Productions, Biscuiterie Pâtisserie Carrée et Régals de Bretagne, appelantes, invitent la cour à :
- dire que les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée, sont tant recevables que bien fondées en leur appel,
en conséquence,
- réformer le jugement prononcé le 22 mars 2016 par le Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a " constaté qu'il n'y a pas eu de rupture brutale de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et débouté les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée de leur demande formée de ce chef ",
statuant à nouveau,
- constater que les sociétés Régals de Bretagne et Pro-Back entretenaient des relations commerciales établies depuis la fin de l'année 2002,
- constater que les sociétés Ibis Backwaren et Back-Holding ont personnellement participé aux relations commerciales entretenues avec la société Régals de Bretagne,
- constater que le préjudice résultant de la rupture des relations commerciales par le Groupe Ibis a été subi par les sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée,
en conséquence,
- dire que la baisse soudaine du chiffre d'affaires de la société Régals de Bretagne généré par les sociétés Ibis Backwaren, Pro-Back et Back-Holding à partir de mars 2014 constitue une rupture brutale des relations commerciales établies imputable à ces dernières,
- condamner solidairement les sociétés Ibis Backwaren et Back-Holding à verser :
* la somme de 2 954 857 à la société Atlantique Productions correspondant à la perte de marge brute subie par cette dernière pendant une période de 24 mois,
* la somme de 3 516 628 à la société Biscuiterie Pâtisserie Carrée correspondant à la perte de marge brute subie par cette société pendant une période de 24 mois,
- condamner solidairement les sociétés Ibis Backwaren et Back-Holding à verser à la société Atlantique Productions et à la société Biscuiterie Pâtisserie Carrée, la somme de 20 000 chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement les sociétés Ibis Backwaren et Back-Holding aux entiers dépens d'instance ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 13 février 2017 par lesquelles les sociétés Back Holding GMBH et Ibis Backwarenvertriebs GmbH, intimées ayant formé appel incident, demandent à la cour de :
à titre liminaire et principal,
- confirmer le jugement en date du 22 mars 2016 rendu par le Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a :
* constaté qu'il n'y a pas eu rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 422-6, I, 5° du Code de commerce et débouté les demanderesses de leurs demandes formées de ce chef,
* condamné solidairement les demanderesses à payer la somme de 5 000 euros aux sociétés Back Holding et Ibis Backwarenvertriebs au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- infirmer pour le surplus,
à titre subsidiaire,
- dire que le montant du préjudice subi ne peut excéder la marge brute qui pouvait être raisonnablement espérée sur une période de six mois, laquelle période ne pouvant être doublée qu'à hauteur de 43 % du volume des ventes entre les parties et le calcul de la marge brute devant tenir compte des circonstances intervenues empêchant la société Régals de Bretagne d'espérer le maintien de sa marge antérieure,
à titre reconventionnel,
- condamner la société Régals de Bretagne à verser aux sociétés Back Holding et Ibis Backwarenvertriebs la somme de 1 000 000 euros sauf à parfaire, en réparation de leur préjudice né de la rupture brutale partielle par la société Régals de Bretagne des relations commerciales établies avec les deux défenderesses,
en tout état de cause,
- condamner in solidum les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée à verser à chacune des sociétés Back Holding et Ibis Backwarenvertriebs la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les sociétés Atlantique Productions, Biscuiterie Pâtisserie Carrée et Régals de Bretagne aux entiers dépens ;
SUR CE
A titre liminaire, il doit être relevé qu'aux termes de leurs dernières écritures, la société Back-Holding, qui vient aux droits de la société Pro-Back Handelsgesellschaft, et la société Ibis Backwarenvertriebs ne contestent pas avoir entretenu indifféremment des relations commerciales établies avec la société Régals de Bretagne, se dénomment elles-mêmes les sociétés "Ibis", concluent indistinctement et n'opposent aucun moyen de défense au caractère "solidaire" des condamnations sollicitées à leur encontre.
Sur la recevabilité des interventions volontaires des sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée
Les sociétés Ibis sollicitent l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les interventions volontaires des sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée. Elles font valoir que la société Régals de Bretagne ne formule pas de demande dans le cadre de l'instance en cours, de sorte qu'il n'existe pas de demande principale qui puisse justifier une quelconque intervention d'un tiers à ses côtés. Elles ajoutent qu'il n'existait plus de demande principale au moment où les sociétés Atlantique Production et Biscuiterie Pâtisserie Carrée sont intervenues à la procédure. Elles affirment qu'il est manifeste que ces dernières ont tenté d'intervenir volontairement à la procédure pour contourner les règles de procédure applicables et notamment les contraintes de traduction des actes de procédure et des pièces.
Les appelantes répliquent qu'au moment de l'intervention volontaire des sociétés Atlantique Productions et BPC, l'instance était toujours en cours et que ces interventions volontaires se rattachent par un lien suffisant aux prétentions originaires de la société Régals de Bretagne, à savoir la rupture brutale des relations commerciales établies depuis 12 ans avec le Groupe Ibis, et tendent aux mêmes fins, soit la réparation du préjudice en résultant pour elles. Elles soulignent que les intervenantes volontaires formulent des prétentions distinctes et pour leur propre compte, de sorte que leur intervention est principale au sens de l'article 329 du Code de procédure.
En première instance, la société Régals de Bretagne a saisi le tribunal de commerce d'une demande d'indemnisation pour rupture brutale partielle des relations commerciales établies du fait de la baisse soudaine de commandes à partir du mois de mars 2014. Les sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée, qui fabriquent les produits vendus par la société Régals de Bretagne et appartiennent au même groupe que celle-ci, sont intervenues volontairement à l'instance pour solliciter une indemnisation du préjudice résultant de la rupture brutale totale, par les sociétés du Groupe Ibis, des relations commerciales qu'elles entretenaient avec la société Régals de Bretagne.
Par application de l'article 329 du Code de procédure civile, leur intervention est principale dès lors qu'elle élève une prétention à leur profit et elle est recevable en ce que les sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée, tiers à la relation commerciale entretenue par la société Régals de Bretagne avec les sociétés Ibis, disposent d'un intérêt à agir à l'encontre de ces dernières, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, en indemnisation du préjudice qu'elles estiment avoir subi du fait de la rupture brutale d'une relation commerciale dont les sociétés Ibis seraient responsables.
A titre surabondant, il sera ajouté que contrairement à l'argumentation avancée par les sociétés Ibis, ces interventions volontaires n'auraient pas été affectées par un désistement éventuel de la société Régals de Bretagne, lequel, de surcroît, n'aurait vraisemblablement pas été accepté par les société Ibis qui ont formé une demande reconventionnelle à l'encontre de cette dernière à hauteur de 1 000 000 euros.
L'exception d'irrecevabilité des interventions volontaires sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Il ressort de l'instruction du dossier et les parties s'accordent à reconnaître que :
- la société Régals de Bretagne et les sociétés Ibis ont entretenu des relations commerciales établies à compter de la fin 2002 jusqu'en juin 2015, mois de leur rupture totale, de sorte qu'il y a lieu de retenir une ancienneté des relations commerciales de 12 ans et demi,
- le dernier contrat de distribution du 2 juillet 2013 a été conclu pour une durée déterminée, du 1er janvier 2013 au 28 février 2014 et était non reconductible tacitement,
- aux termes de ce contrat, les sociétés Ibis se sont engagées sur des volumes de commandes pour l'année 2013 et la société Régals de Bretagne leur a consenti l'exclusivité de la distribution de divers produits en Allemagne ou en Autriche,
- les parties ont convenu de négocier, avant le 30 novembre 2013, les prix des produits qui seraient applicables à compter du 1er mars 2014,
- il était notamment prévu que si les négociations tarifaires échouaient, le contrat serait résilié 6 mois après l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception qui suit la constatation de leur échec, cette notification étant sans conséquence sur les relations commerciales jusqu'à l'entrée en vigueur de la résiliation,
- le 30 novembre 2013, les parties n'étaient pas parvenues à un accord sur les prix et elles ont continué vainement à négocier durant toute l'année 2014,
- le contrat, non reconductible tacitement, est venu à expiration le 28 février 2014, sans avoir été dénoncé par l'une ou l'autre des parties,
- les parties ont néanmoins poursuivi leur relation commerciale, hors le cadre du contrat venu à expiration,
- à compter du 1er mars 2014, le volume des commandes par les sociétés Ibis a substantiellement diminué jusqu'à l'arrêt total des commandes en juin 2015, les sociétés Ibis justifiant leur diminution par divers manquements et circonstances qui seront examinés ci-après,
- la rupture totale des relations commerciales est intervenue en juin 2015 sans aucun préavis écrit.
Le Tribunal de commerce de Rennes, après avoir procédé à un rappel des principes jurisprudentiels régissant la matière dont notamment, le caractère obligatoire de la notification de la fin des relations commerciales par écrit, a considéré, en substance, que la diminution du courant d'affaires entre les sociétés du groupe Ibis et la société Régals de Bretagne trouvait son origine dans une diminution des commandes des propres clients des sociétés Ibis en Allemagne du fait de la survenance d'une campagne de rappel en suite d'un incident sanitaire (morceaux de verre en provenance d'un néon retrouvés à l'intérieur de petits pains au lait), diminution qui ne pouvait être imputée à faute aux sociétés Ibis, de sorte que la rupture n'était pas brutale.
Pour solliciter l'infirmation du jugement, les appelantes soutiennent, essentiellement, qu'en imposant à la société Régals de Bretagne, à partir de mars 2014, une diminution constante de son chiffre d'affaires généré par les commandes Ibis, alors même que les parties négociaient les conditions d'approvisionnement du Groupe Ibis pour l'avenir, le contrat conclu pour la période du 1er janvier 2013 au 28 février 2014 venant à expiration, jusqu'à un arrêt total des relations commerciales entre les parties en juin 2015, et ce, sans préavis écrit, les sociétés Ibis se sont rendues coupables d'une rupture brutale des relations commerciales établies.
Elles précisent que l'expiration du contrat conclu entre les parties, pour la période allant du 1er janvier 2013 au 28 février 2014, ne pouvait en aucun cas justifier une rupture des relations commerciales établies sans préavis écrit. Elles rappellent l'obligation contractuelle de notifier la résiliation du contrat avec un préavis de 6 mois. Elles considèrent qu'à défaut d'une telle notification, les parties ont convenu de la poursuite des relations commerciales hors le cadre du contrat de distribution. Elles réfutent les reproches formulés par les intimées et considèrent qu'ils ne sont pas susceptibles de justifier une rupture totale sans préavis.
Les intimées répliquent que la variation des commandes a été totalement indépendante de leur volonté, de sorte qu'elle n'est pas constitutive d'une rupture brutale des relations commerciales établies et qu'il ne peut leur être reproché de ne pas avoir notifié, à l'avance et par écrit, l'occurrence de cette variation qu'elles soutiennent avoir subie tout autant que la société Régals de Bretagne. Elles expliquent la baisse du volume des commandes par une conjonction d'éléments, à savoir des incidents de qualité, l'absence d'accord sur le prix notamment lié à un refus de la société Régals de Bretagne de tenir compte de la baisse du coût des matières premières et le retrait, par la société Régals de Bretagne, de l'exclusivité dont elles bénéficiaient. Enfin, elles font valoir que les sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée ne démontrent pas avoir subi un préjudice "résultant directement d'une faute dont se serait rendue coupable Ibis", soutenant que la rupture partielle n'est pas la conséquence de l'absence de préavis écrit et que le caractère écrit du préavis n'est pas une exigence formelle si le partenaire évincé pouvait se rendre compte, avant la rupture, que le contrat ne serait pas renouvelé.
Il résulte des éléments ci-dessus relevés et non contestés que :
- le dernier contrat de distribution exclusive, non reconductible tacitement, est venu à expiration le 24 février 2014,
- à compter du 1er mars 2014, les relations commerciales établies entre les parties se sont poursuivies, comme l'indique à juste titre et sans être contestée, la société Régals dans ses écritures (page 14), "hors le cadre du contrat de distribution",
- par suite, les sociétés Ibis n'étaient plus contractuellement tenues à des engagements de volumes de commandes et la société Régals à un engagement d'exclusivité,
- par ailleurs, les sociétés Ibis reconnaissant avoir diminué de façon substantielle le volume des commandes à compter du 1er mars 2014 jusqu'à leur arrêt complet en juin 2015, elles sont bien les auteurs de la rupture totale des relations commerciales établies entre les parties, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui leur est reprochée par les sociétés appelantes,
- toutefois, les sociétés Ibis n'ont adressé aucun préavis écrit.
Les sociétés Ibis soutiennent que pour être sanctionnable, une rupture doit être délibérée, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, dès lors qu'elle serait le résultat :
- d'une baisse des commandes qui ne leur est pas imputable puisqu'elles ont été contraintes de répercuter la variation des commandes de leurs propres clients,
- de manquements de la société Régals de Bretagne,
- d'un défaut d'accord sur le prix des produits lié au refus de la société Régals de Bretagne de tenir compte de la baisse du coût des matières premières et de diminuer ses prix en conséquence.
Mais, en premier lieu, à supposer que les sociétés Ibis aient dû supporter une baisse constante de commandes de la part de leurs propres clients, ce qui n'est pas établi, les pièces qu'elles communiquent à cet égard ayant trait à un rappel ponctuel de petits pains au lait vendus à la chaîne de distribution allemande Aldi et aucune preuve du "total déréférencement" allégué de ce produit n'étant rapportée, cette diminution ne pourrait expliquer l'arrêt total des commandes en juin 2015, et ce, d'autant que les sociétés Ibis reconnaissent que la société Aldi a réintroduit progressivement, certes de manière partielle, ce produit dans sa gamme (page 6 des dernières écritures), comme d'ailleurs l'a relevé le tribunal de commerce en précisant que la société Aldi avait stoppé les ventes avant de les reprendre. La diminution ponctuelle de commandes par la société Aldi entre mars et avril 2014, voire, par répercussion, dans les deux ou trois mois suivants, ne peut justifier un arrêt total des commandes par les sociétés Ibis en juin 2015, arrêt total sur lequel, de surcroît, celles-ci n'apportent aucune explication.
En deuxième lieu, les incidents allégués peuvent être qualifiés de mineurs de sorte qu'ils ne présentent pas un caractère suffisant de gravité justifiant la rupture totale sans préavis. En effet, les sociétés Ibis font état, pour l'année 2013, de 44 réclamations de consommateurs mais ce nombre rapporté à celui des produits livrés sur la même période, soit 12 394 674, fait apparaître un taux de réclamation infime de 0,0003 %. Elles invoquent également un incident intervenu en mars 2013 lors de la découverte d'une lame de cutter dans un petit pain au lait. Toutefois, l'expertise diligentée a conclu que la lame avait été insérée après le processus de cuisson, et il apparaît que ni l'auteur ni le moment de l'acte (avant ou après l'expédition du produit, voire même après la revente au consommateur) n'ont pu être identifiés, de sorte que cet incident, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une plainte classée sans suite, ne peut être imputé à une faute certaine de la société Régals de Bretagne, peu important à cet égard que son conseil ait proposé une indemnisation pour le préjudice subi au titre du rappel des produits. Les sociétés Ibis excipent encore d'un incident survenu en février 2014, lorsque des éclats de verre provenant de la chute d'un néon du site de production, ont été trouvés à l'intérieur de petits pains au lait. La DGCCRF a conclu que cet incident ne résultait pas de la faute de la société Régals de Bretagne qui n'utilisait que des néons incassables. Par suite, il ne peut être non plus imputé à une faute certaine de la société Régals. Il ressort d'ailleurs des divers courriels produits que cet incident n'a donné lieu qu'à des échanges entre les parties sur la prise en charge des frais afférents et qu'à cette occasion, par courriel du 25 mars 2015, les sociétés Ibis ont assuré à la société Régals de Bretagne qu'elles souhaitaient "vivement poursuivre la relation fructueuse" qu'elles avaient établie avec elle. En outre, il ne ressort d'aucune pièce que les sociétés Ibis aient, à un quelconque moment, reproché ces incidents à la société Régals de Bretagne, de sorte que ces événements ne peuvent justifier une rupture des relations commerciales sans préavis.
En troisième lieu, le refus éventuel de la société Régals de Bretagne de diminuer ses prix, qui expliquerait l'absence d'accord des parties pour conclure un nouveau contrat de distribution exclusive, ne saurait constituer en soi un manquement justifiant la rupture des relations commerciales, sans préavis.
Enfin, les sociétés Ibis, qui soutiennent n'avoir plus été tenues par des quantités minimums de commandes par suite de l'expiration du contrat le 28 février 2014, ne sauraient sérieusement reprocher à la société Régals de Bretagne le retrait de l'exclusivité dont elles bénéficiaient, qui n'est, là encore, que la conséquence de l'expiration du contrat.
Les sociétés Ibis font également valoir que la rupture était prévisible de sorte qu'elle ne serait pas brutale.
Mais, si la société Régals de Bretagne avait parfaitement connaissance du fait que le renouvellement du contrat était subordonné à la négociation sur les prix applicables à compter du 1er mars 2014, cette négociation devant intervenir avant le 30 novembre 2013, et du terme du contrat, rendant ainsi la rupture prévisible, il n'en demeure pas moins que le caractère prévisible d'une rupture ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis. Or, en l'espèce, il ne ressort d'aucune des pièces produites aux débats que les sociétés Ibis aient à un quelconque moment, manifesté, malgré l'absence d'accord sur les prix, leur intention de rompre la relation commerciale. Bien au contraire, il a été fait état ci-dessus d'un courriel du 25 mars 2015 par lequel elles assuraient la société Régals de Bretagne de leur souhait de poursuivre la relation commerciale.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, la rupture des relations commerciales établies entre les parties depuis plus de 12 ans, intervenue sans préavis, par les sociétés Ibis est brutale et elles doivent réparer le préjudice qu'il en est résulté.
Sur le préavis suffisant
Les appelantes soutiennent qu'un préavis de 12 mois auraient dû être accordé eu égard au chiffre d'affaires généré par l'activité avec les sociétés Ibis et à la clause d'exclusivité privant la société Régals de Bretagne de mener toute action commerciale en Allemagne et en Autriche. Elles ajoutent que les produits étant vendus sous marque de distributeur, les sociétés Ibis auraient dû respecter un préavis double, conformément aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, soit 24 mois.
Les intimées répliquent qu'un préavis de 12 mois apparaît excessif et doit être, en toute hypothèse, revu à la baisse au regard des accords intervenus entre les parties qui prévoyaient le respect d'un préavis de 6 mois pour mettre un terme à la relation contractuelle en cours.
Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement.
Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, la dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
En l'espèce, il a été vu que la société Régals de Bretagne n'était plus tenue par la clause d'exclusivité stipulée au contrat dès lors que celui-ci était parvenu à son terme et n'était pas renouvelable tacitement de sorte qu'à compter du 1er mars 2014, la société Régals de Bretagne était libre de distribuer ses produits à tout partenaire de son choix en Allemagne et en Autriche, concomitamment aux commandes des sociétés Ibis. Par ailleurs, la société Régals de Bretagne soutient, sans être contredite, qu'à partir de 2009, son chiffre d'affaires moyen généré par l'activité avec les sociétés Ibis était de 11,6 millions d'euros.
Dans ces conditions et eu égard notamment à l'ancienneté des relations commerciales de 12 ans et demi, à la nature de l'activité et à ses contraintes, au volume d'affaires, à la part prépondérante des sociétés Ibis dans le chiffre d'affaires de la société Régals de Bretagne, et à défaut de la justification d'une dépendance imposée par les intimées, le délai de préavis suffisant pour permettre à la société Régals de Bretagne de prendre toutes dispositions utiles pour se réorganiser, doit être évalué à 6 mois.
Les appelantes soutiennent que le préavis doit être doublé, les produits étant fournis aux sociétés Ibis sous un emballage dont les caractéristiques ont été déterminées par elles.
Les intimées répliquent qu'en l'absence d'accords interprofessionnels, il n'existe pas de durée minimale déterminée à doubler. A titre subsidiaire, elles entendent voir limiter le doublement de la durée du préavis à la marge brute réalisée par la seule vente des produits sous marque Ibis, qu'elles évaluent, sans être contredites, à 43 % des produits achetés auprès de la société Régals de Bretagne.
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce précise que "Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée d minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur".
Les sociétés Ibis ne peuvent sérieusement soutenir que le doublement ne s'appliquerait qu'à la durée minimale fixée par des accords interprofessionnels dès lors qu'à défaut de tels accords, la durée minimale de préavis s'apprécie au regard des différents critères rappelés ci-dessus.
Le pourcentage de 43 % de produits MDD n'est pas contesté par les appelantes et ressort du tableau produit (pièce intimées n°23). Par suite, celles-ci ne peuvent revendiquer le doublement du délai de préavis que sur 43 % de la marge espérée.
Sur les demandes d'indemnisation formées par les sociétés Atlantique Productions et BPC
En rompant brutalement sans préavis leurs relations commerciales avec la société Régals, les sociétés Ibis ont commis une faute de nature à entraîner un préjudice immédiat à chacune des sociétés Atlantique Productions et BPC, qui assuraient la fabrication des produits distribués par la société Régals de Bretagne et n'ont pas ainsi bénéficié du temps nécessaire à leur reconversion. Elles ont donc subi inévitablement une perte de marge en lien direct avec ce manquement.
Les sociétés appelantes justifient, sans être sérieusement contredites, que leur chiffre d'affaires mensuel moyen généré par l'activité de la société Régals avec les sociétés Ibis s'élevait respectivement à :
- 463 912 euros pour les années 2011 à 2013 avec taux de marge de 39,57 % pour la société Atlantique Productions,
- 437 132 euros pour les années 2011 à 2013 avec un taux de marge de 41,34 % pour la société BPC.
Ainsi le préjudice subi par les sociétés Atlantique Productions et BPC sera calculé de la manière suivante :
- la société Atlantique Productions :
* 463 912 x 39,57 % = 183 570 x 57 % x 6 mois = 627 809 euros
* 183 570 x 43% x 12 mois = 947 221 euros soit la somme totale de 1 575 030 euros,
- la société BPC :
* 437 132 x 41,34 % = 180 710 euros x 57 % x 6 mois = 618 028 euros
* 180 710 euros x 43 % x 12 mois = 932 463 euros soit la somme totale de 1 550 491 euros, au paiement desquelles les sociétés Ibis, qui ne contestent pas être tenues à un paiement solidaire, seront condamnées solidairement.
Sur la demande reconventionnelle des sociétés Ibis
Les sociétés intimées soutiennent qu'en leur retirant, de fait et sans aucun préavis, l'exclusivité dont elles bénéficiaient jusque-là, la société Régals de Bretagne a modifié les conditions essentielles applicables à leurs relations. Elles soutiennent que la perte brutale de leur droit exclusif leur a causé un préjudice significatif consistant en la déperdition de leurs ventes au profit du nouveau partenaire de la société Régals de Bretagne, la société Dan Cake. Elles évaluent le préjudice subi à ce titre à la somme de 1 000 000 euros à parfaire.
Les appelantes répliquent qu'il ne peut être reproché à la société Régals de Bretagne, constatant de facto la rupture des relations commerciales par le Groupe Ibis, d'avoir recherché de nouveaux partenariats pour compenser la perte de marge subie chaque mois.
Il a été vu ci-dessus que du fait de l'expiration du contrat de distribution exclusive à son terme, le 28 février 2014, la société Régals de Bretagne n'était plus tenue par la clause d'exclusivité convenue contractuellement de sorte que c'est vainement que les sociétés Ibis soutiennent que le retrait de cette exclusivité, sans préavis, constitue une rupture brutale partielle des relations commerciales. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Ibis de la demande d'indemnisation formée à ce titre, de surcroît, non explicitée ni justifiée par la moindre pièce comptable.
Sur les dépens et les demandes formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Les sociétés Ibis, qui succombent essentiellement, supporteront les dépens de première instance et d'appel et devront verser in solidum à chacune des trois sociétés appelantes la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a donné acte aux sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée de leur intervention volontaire, les a déclarées recevables en leur intervention volontaire et les en a déboutées ; L'infirme sur le surplus ; statuant à nouveau, condamne solidairement la société Back-Holding venant aux droits de la société Pro-Back Handelsgesllschaft, et la société Ibis Backwarenvertriebs GmbH à verser à la société Atlantique Productions la somme de 1 575 030 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales entretenues avec la société Régals de Bretagne; Condamne solidairement la société Back-Holding venant aux droits de la société Pro-Back Handelsgesllschaft, et la société Ibis Backwarenvertriebs GmbH à verser à la société Biscuiterie Pâtisserie Carrée la somme de 1 550 491 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales entretenues avec la société Régals de Bretagne; Déboute les sociétés Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée du surplus de leurs demandes en dommages et intérêts ; Condamne in solidum la société Back-Holding venant aux droits de la société Pro-Back Handelsgesllschaft, et la société Ibis Backwarenvertriebs GmbH aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne in solidum la société Back-Holding venant aux droits de la société Pro-Back Handelsgesllschaft, et la société Ibis Backwarenvertriebs GmbH à verser à chacune des sociétés Régals de Bretagne, Atlantique Productions et Biscuiterie Pâtisserie Carrée la somme de 15 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.