CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 juin 2018, n° 16-21999
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Athlone Extrusions Ltd (Sté)
Défendeur :
Castel Fils (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Carbuccia, Etevenard, Dubos
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 13 décembre 1988, la société Athlone Extrusions qui fabrique des films polystyrènes a signé un contrat d'agent commercial avec la société Castel Fils pour la représentation de ses produits en France.
Par échange de mails entre le 3 octobre et le 25 octobre 2005, les parties ont convenu que le taux de commission de la société Castel Fils passerait de 5 % à 4,5 %. Puis, entre septembre et octobre 2013, des négociations visant à réduire le taux de commissions de 4,5 % à 4 % ont eu lieu. En janvier 2014, la société Castel a commencé à facturer ses commissions sur la base d'un taux de commission de 4 %, sans qu'un contrat ne soit finalisé entre les parties. En février 2014, la société Athlone Extrusions a adressé à la société Castel un projet de contrat qui n'a pas été signé par les parties.
Le 25 septembre 2015, la société Athlone Extrusions a adressé à la société Castel Fils une lettre de résiliation du contrat d'agent commercial avec un préavis de 3 mois en indiquant dans un courrier ultérieur reçu le 12 octobre 2015 être prête à indemniser la société Castel du fait de la cessation des relations.
En l'absence d'accord, le 17 mars 2016, la société Castel a assigné la société Athlone devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir paiement de ses commissions, indemnité complémentaire de préavis et indemnité compensatrice.
Par jugement rendu le 3 octobre 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société de droit irlandais Athlone Extrusions à régler à la société Castel Fils la somme de 293 216,40 euros au titre de l'indemnité compensatrice avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 12 février 2016,
- condamné la société de droit irlandais Athlone Extrusions à régler à la société Castel Fils la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société de droit irlandais Athlone Extrusions aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 81,90 euros dont 13,43 euros de TVA.
Vu l'appel interjeté le 4 novembre 2016 par la société Athlone Extrusions Ltd à l'encontre de cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées le 24 février 2018 par la société Athlone Extrusions Ltd, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 1134, 1353 du Code civil,
Vu l'article L. 134-12 du Code de commerce,
Vu les articles 9, 10, 515 du Code de procédure civile,
Vu les éléments versés aux débats,
- confirmer le jugement du 3 octobre 2016 en ce qu'il a débouté la société Castel Fils de sa demande de rappel de préavis et de sa demande de rappel de commissions,
- déclarer la société Athlone Extrusions Ltd recevable en son appel,
- infirmer le jugement du 3 octobre 2016 en ce qu'il a condamné la société Athlone à régler à la société Castel une somme de 293 216,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de l'arrêt du contrat d'agent commercial,
- limiter le quantum de l'indemnité de rupture à 1 année de commissions, soit 146 608 euros,
- ordonner à la société Castel de rembourser le montant indument perçu dans le cadre de l'exécution provisoire,
- condamner la société Castel au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouter la société Castel de sa demande de paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 14 février 2017 par la société Castel Fils, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 3 octobre 2016,
- recevoir la société Athlone Extrusions en son appel et la déclarer mal fondée,
- recevoir la société Castel Fils en son appel incident et la déclarer bien fondée,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de commissions pour les années 2014-2015,
- condamner la société Athlone Extrusions à payer à ce titre à la société Castel Fils la somme de 34 682,31 euros HT,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a déclaré la société Athlone Extrusions débitrice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi,
- infirmer quant au quantum et condamner la société Athlone Extrusions à payer à ce titre à la société Castel Fils la somme de 475 709,04 euros ou subsidiairement, condamner la société Athlone Extrusions à payer à la société Castel Fils la somme de 441 027 euros,
- dire et juger que les condamnations porteront intérêts de droit à dater de la mise en demeure par lettre officielle du 12 février 2015, et ce avec le bénéfice de l'article 1154 du Code civil,
En tout état de cause,
- débouter la société Athlone Extrusions de toutes ses demandes, fins et conclusion,
- condamner la société Athlone Extrusions à payer la somme de 10 000 euros à la société Castel Fils sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens comprenant notamment les frais d'exécution dont distraction au profit de Maître Etevenard en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
La société Athlone Extrusions considère que le montant de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial la liant avec la société Castel Fils doit être limité à 1 an de commissions dans la mesure où, durant l'exécution du contrat, la société Castel Fils ne fournissait pas les rapports sur son activité, n'assurait pas le suivi des clients, ses résultats ne représentaient que 1/5 des objectifs fixés contractuellement, entraînant de ce fait une chute de l'activité de la société Athlone Extrusions, et dans la mesure où la société Castel Fils représentait une société concurrence de la société Athlone Extrusions.
Sur le rappel de commissions, elle sollicite la confirmation du jugement, s'en appropriant dès lors les motifs.
En réponse,
La société Castel Fils rappelle qu'en matière de cessation d'agence commerciale, en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, l'usage veut que l'indemnité compensatrice soit fixée à deux années de commissions, usage qui ne lie toutefois pas la cour, celle-ci pouvant aller au-delà ou en deçà, en tenant compte des circonstances. Elle fait notamment valoir que, compte tenu de la longévité des relations qu'elle entretenait avec la société Athlone Extrusions (vingt-huit ans) et de la mauvaise foi de cette dernière, qui a entraîné le licenciement d'une salariée de la société Castel Fils, le montant de l'indemnité de rupture du contrat doit s'élever à 3 ans de commissions correspondant à 475 709,04 euros au lieu des deux ans couramment pratiqués. Elle conteste tout manquement de sa part, y compris au regard de la représentation d'une société concurrente.
Elle forme appel incident et demande un rattrapage de commissions sur la base contractuelle prévue de 4,5 % et non 4 % comme le soutient à tort la société Athlone Extrusions, ce dernier taux de 4 % ayant été mis en place sans son accord de sorte que le rappel de commissions en résultant, pour les années 2014-2015 s'élève à 34 682,31 euros.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Sur le rappel de commissions
Considérant que par application des articles 1134 et 1156 (anciens) et suivants du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites sur la base de la commune intention des parties ;
Considérant que si, au visa de l'article L. 110-3 du Code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi, il appartient toutefois à celui qui l'allègue, de rapporter la preuve d'un accord de volonté ;
Considérant qu'en l'espèce, le contrat signé en date du 13 décembre 1988 entre les sociétés Athlone Extrusions et Castel Fils prévoyait en son article 6.2 un taux de commissions de 5 % pour les ventes réalisées sur la base de la liste de prix de la société Athlone Extrusions et de 3 % dans les autres cas ;
Que par échange de courriels en date du 25 octobre 2005, la société Castel Fils, prise en la personne de son représentant, Monsieur Francis Castel, a accepté, au regard de difficultés économiques invoquées par la société Athlone Extrusions, une diminution de son taux de commissions à hauteur de 4,5 % ;
Que la relation s'est poursuivie sur cette nouvelle base ;
Qu'il résulte d'un échange de mails datés des mois de septembre et octobre 2013 que la société Athlone Extrusions a de nouveau exprimé sa volonté d'abaisser le taux de commissions de la société Castel, en proposant de nouveaux arrangements à compter du 1er janvier 2014 ;
Que la société Castel, représentée dorénavant par Monsieur Jérôme Castel, fils de Francis Castel, a accepté, par un courriel en date du 23 octobre 2013, de voir le taux de commission abaissé à hauteur de 4 % à compter du mois de janvier 2014 ;
Que la société Castel Fils a ajouté des conditions, sans toutefois que cela soit suspensif de son accord, à savoir : devenir l'agent exclusif de la société Athlone pour tous les produits actuel et futurs, les remises faites aux clients français pour des problèmes de qualité ou tout autre problème relevant de la responsabilité de la société Athlone Extrusions ne devaient pas être déduites pour le calcul des commissions de l'agent et le paiement des factures de l'agent devait être effectué à la fin de chaque mois sur la base des factures émises par la société Athlone et non sur la base des paiements reçus de ses clients ;
Qu'il résulte des pièces versées aux débats que depuis le mois de janvier 2014, les factures de la société Castel Fils ont été émises sur la base du taux de commission de 4 % ;
Que cette facturation à hauteur de 4 % a été maintenue jusqu'à la date de résiliation du contrat à savoir le 25 septembre 2015 et pendant le préavis, sans opposition de la part de la société Castel ;
Qu'il résulte de ces constatations que les parties se sont mises d'accord sur les conditions proposées par mail ;
Que par ces motifs et ceux adoptés des premiers juges, il convient de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;
Sur l'indemnité compensatrice
Considérant qu'aux termes des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf faute grave de l'agent ;
Qu'il est admis que la faute grave, privative d'indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat ;
Qu'en l'espèce, la société Athlone Extrusions ne conteste pas le principe d'allouer une indemnité compensatrice à la société Castel et n'invoque pas la faute grave, mais demande de ramener le quantum alloué à une année de commissions au lieu des deux années allouées par les premiers juges ;
Mais considérant que l'indemnité de rupture est destinée à réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune ;
Que son quantum n'étant pas réglementé, il convient de fixer son montant en fonction des circonstances spécifiques de la cause, même s'il existe un usage reconnu qui consiste à accorder l'équivalent de deux années de commissions, lequel usage ne lie cependant pas la cour ;
Qu'en l'espèce, compte tenu de la durée de la mission d'agence commerciale qui a débuté le 13 décembre 1988 pour se terminer le 25 septembre 2015, soit une durée totale de 27 ans, et en l'absence de faute, il n'existe pas de raison de s'écarter de cet usage en deçà, ni d'ailleurs d'aller au-delà en l'absence de tout justificatif d'un préjudice supplémentaire directement lié à la rupture, ce qui n'est pas justifié par les pièces versées aux débats ;
Qu'il résulte du tableau récapitulatif des factures produit par la société Castel Fils que cette dernière a touché durant les années 2013, 2014 et 2015 les sommes respectives de 163 568,24 euros, 149 217,76 euros et 128 240,71 euros, les deux dernières sommes étant calculées conformément au taux de commission de 4 % ;
Que la moyenne annuelle calculée sur ces trois années s'élève à 147 008,90 euros (163 568,24 euros +149 217,76 euros + 128 240,71 euros) ;
Qu'il convient d'allouer une indemnité correspondant à deux années de cette moyenne, soit la somme de 294 017,80 euros ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, s'ajoutant à la somme allouée en première instance qu'il y a lieu de confirmer ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé le montant dû au titre de l'indemnité compensatrice à 293 216,40 euros. Statuant à nouveau sur ce point, Condamne la société Athlone Extrusions Ltd à payer à la société Castel Fils la somme de 294 017,80 euros au titre d'indemnité compensatrice ; Y ajoutant, Condamne la société Athlone Extrusions Ltd à payer à la société Castel Fils la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Athlone Extrusions Ltd aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Etevenard en application de l'article 699 du Code de procédure civile.