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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 juin 2018, n° 15-22985

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Benoist

Défendeur :

Scandic Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Damay, Gillier, Mathieu, Cumin

T. com. Paris, du 15 oct. 2015

15 octobre 2015

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Scandic Immobilier (ci-après Scandic), dont la gérante est Mme Jeanette Bouyer, est une agence immobilière située dans le 7e arrondissement de Paris, spécialisée dans la location d'appartements vides ou meublés.

Mme Stéphanie Benoist (ci-après Mme Benoist) a été embauchée par la société Scandic en tant que négociatrice dans le cadre d'un CDD du 22 janvier 2010 au 24 octobre 2010.

Après cette date, Mme Benoist a continué à travailler pour la société Scandic sans interruption jusqu'au 2 mai 2011, en qualité d'apporteur d'affaires.

Puis, par acte sous seing privé du 2 ou 6 mai 2011, elle a conclu un contrat d'agent commercial sans exclusivité avec la société Scandic.

Le 4 janvier 2013, Mme Bouyer, gérante de Scandic, a reçu en entretien sur sa convocation Mme Benoist, entretien au cours duquel elle lui a adressé divers reproches.

Par courrier daté du 12 janvier 2013, Mme Benoist a contesté ces griefs et exprimé le souhait de continuer son mandant d'agent commercial.

Puis, selon courrier RAR et courriel du 15 janvier 2013, la société Scandic a notifié à Mme Bensoit la rupture à effet immédiat de son contrat d'agent commercial pour faute grave, aux motifs notamment qu'elle recherchait un autre emploi, se désinvestissait de son mandat, obtenait des résultats insuffisants, manquait à son devoir de loyauté, et qu'elle avait détourné les honoraires de 3 827,20 euros dus à l'agence concernant le mandat Allorant, ce qu'elle n'avait découvert que très récemment, et copié sur un disque dur externe le contenu de l'ordinateur de l'agence.

Ces griefs ont été contestés par Mme Benoist par courrier de son conseil du 29 janvier 2013, chaque partie maintenant sa position.

C'est dans ce contexte que par acte du 24 mai 2013, Mme Stéphanie Benoist a assigné la société Scandic Immobilier aux fins de voir constater son absence de faute grave et d'obtenir le paiement de diverses indemnités et sommes.

Par jugement du 15 octobre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté Mme Benoist de sa demande de paiement de la somme de 109 534,80 euros à titre d'indemnité de résiliation,

- débouté Mme Benoist de sa demande de paiement de la somme de 9 127,90 euros à titre d'indemnité de préavis,

- condamné Mme Benoist à payer à la société Scandic Immobilier la somme de 1 293,55 toutes taxes comprises avec intérêt au taux légal à compter du 24 mai 2013,

- débouté Mme Benoist de sa demande de 10 000 euros au titre du préjudice moral,

- débouté la société Scandic Immobilier de sa demande de dommages-intérêts,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement sans caution,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné Mme Benoist aux dépens de la présente procédure, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

Vu l'appel interjeté le 13 novembre 2015 par Mme Benoist ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 22 janvier 2016 par Mme Benoist, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 134-12 du Code de commerce

- constater l'absence de faute grave de Mme Benoist,

En conséquence :

- infirmer la décision entreprise,

- condamner la société Scandic Immobilier à payer à Mme Benoist les sommes de :

* 1 576,55 euros à titre de commissions non réglées,

* 9 127,90 euros à titre d'indemnité de préavis (correspondant à deux mois de préavis),

* 109 534,80 euros à titre d'indemnité de résiliation,

* 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,

* 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Scandic le 21 mars 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme Benoist de toutes ses demandes à l'encontre de la société Scandic ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme Benoist à payer à la société Scandic la somme de 1 293,55 euros avec intérêts ;

A titre reconventionnel,

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté la société Scandic de sa demande de dommage intérêts et statuant de nouveau condamner Mme Benoist à payer 15 000 euros à Scandic Immobilier en réparation de son préjudice moral et du détournement de son fichier client,

A titre subsidiaire,

- rejeter toutes demandes de Mme Benoist,

En toute hypothèse,

- condamner le demandeur à payer à Scandic Immobilier la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 janvier 2018.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

* Sur l'indemnité de rupture :

* Sur le principe de l'indemnité :

L'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).

L'article L. 134-12 du même Code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.

L'article L. 134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

Il est admis que la faute grave, privative d'indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.

En l'espèce, Mme Benoist ne présente en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnités de préavis et de rupture au motif que ladite rupture était justifiée par sa faute grave, caractérisée par un détournement d'honoraires de 3 827,20 euros dus à l'agence. En effet, il a été estimé à juste titre par les premiers juges que Scandic, ainsi qu'elle en a la charge, rapportait la preuve de ce détournement commis à son insu et à son préjudice.

Il apparaît ainsi au vu des pièces du dossier que le 20 décembre 2011, Mme Catherine Allorant a confié à Scandic, représentée alors par un autre de ses agents, Mme Lardell, le mandat non exclusif de louer son bien immobilier meublé <adresse> ; que ce mandat a été dûment enregistré sur le registre idoine de Scandic ; que selon acte sous seing privé du 9 janvier 2012, grâce à l'intermédiation de Mme Benoist agissant pour le compte de Scandic, un bail a été consenti sur ce logement à une ressortissante américaine, Mme Jessica Wolfe Rechden, et un état des lieux d'entrée alors dressé, le dit bail fixant à 3 827,20 euros les honoraires dus par la locataire à l'agence Scandic Immobilier ; que cette somme a alors été remise en espèces contre reçu par la locataire à Mme Benoist, ce que celle-ci ne conteste nullement, faisant valoir qu'elle l'a immédiatement transmise à Mme Bouyer, gérante de Scandic, ce dont elle ne pourrait pas justifier car Mme Bouyer ne souhaitait pas déclarer cette somme, encaissée par elle " au black " et donc hors comptabilité, et exigeait qu'elle s'abstienne de dresser sa facture de commission afférente ; que par la suite, la locataire ayant délivré congé, un état des lieux de sortie a été dressé le 7 janvier 2013 par Mme Benoist, représentant Scandic.

Or, la thèse de la remise immédiate soutenue par Mme Benoist n'est pas justifiée par celle-ci et ne peut être accréditée dans la mesure où il s'avère au vu de la chronologie des pièces et des explications successives fournies par chaque partie que Mme Bouyer n'a eu connaissance de l'existence de la conclusion de ce bail par l'intermédiaire de Scandic que le 10 janvier 2013, lorsque elle a surpris Mme Benoist en train d'accomplir les formalités de suivi de l'état des lieux de sortie et découvert alors que celle-ci était également en possession de l'état des lieux d'entrée, ce qui a occasionné une altercation entre elles ; que le même jour en effet, Mme Bouyer a téléphoné " affolée " (sic) à Mme Allorant (selon l'attestation non discutée de celle-ci) pour obtenir des explications, cette dernière lui confirmant la signature du bail le 9 janvier 2012 par l'intermédiaire de Scandic représenté par Mme Benoist et lui en fournissant une copie ; que par courriel du 12 janvier 2013, Mme Bouyer a ensuite demandé à Mme Jessica Wolfe Rechden si elle avait versé les honoraires prévus au bail, ce que celle-ci lui a confirmé en précisant " in cash " et contre reçu, transmis ensuite à son employeur pour remboursement ; et qu'enfin, ce n'est que dans son courrier de rupture daté du 15 janvier 2013, que Scandic évoque pour la première fois le détournement en se basant sur cette chronologie qui corrobore parfaitement sa version.

Or, force est de constater que pour sa part, Mme Benoist, d'une part, n'a reconnu que tardivement s'être vue remise en mains propres la somme litigieuse en espèces, ne le reconnaissant pour la première fois que par le courrier de son conseil du 29 janvier 2013 (en page 3), et, d'autre part, n'a évoqué que tardivement aussi la raison prétendue de son impossibilité de justifier de la remise des fonds à Mme Bouyer qui serait leur encaissement hors comptabilité, ne le faisant que dans le cadre de la présente instance.

La cour observe sur ce point que rien n'empêchait Mme Benoist de porter cette accusation dans son courrier détaillé du 12 janvier 2013 dans lequel elle répond point par point aux griefs formulés contre elle par Mme Bouyer lors de l'entretien du 4 janvier 2013 et formule elle-même différents reproches graves à son endroit (et notamment de lui avoir coupé l'accès à ses moyens de travail), courrier dans lequel elle évoque pourtant la dispute du 10 janvier 2013 à propos de l'état des lieux de sortie, ce, nonobstant son intention annoncée de poursuivre la collaboration.

Par ailleurs, la découverte tardive par Mme Bouyer de l'existence du bail est confirmée par les témoignages réguliers en la forme de Mmes Lardell et Carlson-Hamdi, autres agents de Scandic, dont les liens avec celle-ci sont insuffisants à les priver de force probante, étant corroborés par les autres pièces du dossier, témoignages selon lesquels Mme Lardell ne s'est pas inquiétée du retrait de l'appartement à louer du site internet de Scandic quelques semaines après la signature le 20 décembre 2011 du mandat sans exclusivité qu'elle avait obtenu, compte tenu de ce que le bien était proposé dans d'autres agences, et selon lesquels Mme Benoist a déclaré, lors de la dispute du 10 janvier 2013 avec Mme Bouyer et de la découverte par celle-ci de l'état des lieux d'entrée, qu'elle avait le droit de travailler pour son propre compte n'étant pas tenue par une clause de non-concurrence, ce qui contredit sa position ultérieure.

De même, étant rappelé que l'état des lieux de sortie a été dressé le 7 janvier 2013, le fait que Mme Benoist ait utilisé l'adresse structurelle [email protected] pour échanger à compter du 4 décembre 2012 avec la locataire en vue de préparer le dit état des lieux et les formalités annexes, est sans incidence, puisque c'est la dissimulation non pas de cet état des lieux, mais du bail et de l'état des lieux d'entrée qui lui est reprochée.

Enfin, il n'est pas contesté que le 11 janvier 2013, Mme Benoist a été surprise par Mme Bouyer en train de transférer des éléments de l'ordinateur de l'agence à son disque dur externe, que Mme Bouyer l'accusant alors de voler les fichiers de l'agence, elle a prétendu récupérer ainsi ses seuls documents professionnels personnels, à savoir ses factures de commissions, position ici maintenue.

Or, le manquement de Mme Benoist à son devoir de loyauté, constitué par cette captation de clientèle dénoncée par Scandic, se trouve établi, compte tenu de la disproportion entre le support employé (disque dur externe) par rapport au faible volume des fichiers prétendument exclusivement chargés, et en ce que cette captation est corroborée par le fait qu'une vingtaine de clients de Scandic sont devenus les clients de l'employeur à compter du 12 août 2013 de Mme Benoist, la société Adgestis, dont le site internet est commun avec celui de Lodgis d'après la pièce n° 19 de l'intimée, étant indifférent sur ce point que Mme Benoist n'ait pas été tenue à une clause de non-concurrence envers Scandic, le manquement ayant été commis pendant l'exécution du mandat.

En revanche, le développement du réseau professionnel Viadeo de Mme Benoist au fil de ses différentes expériences professionnelles ne peut en aucun cas lui être reproché ; de même, l'analyse des premiers juges sur les autres fautes reprochées à l'appelante n'est pas utilement critiquée. En conséquence, le jugement entrepris, non contesté sur la compensation effectuée, sera confirmé par motifs adoptés et propres, excepté en ce qu'il a débouté Scandic de sa demande de dommages intérêts pour préjudice moral du fait du détournement et du manquement au devoir de déloyauté qui sont avérés, préjudice qui sera justement réparé par l'allocation d'une indemnité de 1 500 euros. Mme Benoist qui succombe supportera les dépens d'appel. L'équité commande d'allouer à Scndic la somme de 3 500 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il a débouté la société Scandic Immobilier de sa demande de dommages intérêts ; Statuant de nouveau sur le point réformé, Condamne Mme Benoist à payer à la société Scandic Immobilier la somme de 1 500 euros, à titre de dommages intérêts ; Y ajoutant, Condamne Mme Benoist à payer à la société Scandic Immobilier la somme de 3 500 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne Mme Benoist aux dépens.