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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 8 juin 2018, n° 16-19147

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Orange (SA)

Défendeur :

SFR (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lis Schaal

Conseillers :

Mme Bel, M. Picque

Avocats :

Mes Gunther, Giraud, Teytaud, Hubert

T. com. Paris, du 12 févr. 2014

12 février 2014

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les sociétés Orange (anciennement France Telecom) et Société Française du Radiotéléphone (la société SFR) sont deux opérateurs dans le secteur des communications électroniques.

La SA Orange est l'opérateur historique des télécommunications en France, propriétaire de la majorité des réseaux fixes de téléphonie fixe.

La SA SFR, à l'origine opérateur de téléphonie mobile, est devenue le premier opérateur alternatif.

En 2000, la SA Orange a lancé l'offre Résidence Secondaire (RS) qui permet à un client de bénéficier d'un abonnement à une ligne téléphonique fixe et, lorsque sa résidence est inoccupée, de suspendre la ligne téléphonique, moyennant le paiement d'une somme minime.

La société Orange a publié une offre de vente en gros d'accès au service téléphonique dite "offre VGAST" à laquelle la SFR a souscrit ; cette dernière, devenue le premier opérateur alternatif fixe, a souhaité lancer une offre concurrente de l'offre Résidence secondaire (l'offre RS) proposée par la société Orange.

SFR, estimant que les modalités tarifaires mises en œuvre par la société Orange, qui ne permettent pas, en cas de suspension temporaire de la ligne fixe par le client final, de suspendre parallèlement le paiement des redevances mensuelles de l'offre VGAST, l'empêchaient d'accéder au marché de la téléphonique fixe des propriétaires de résidences secondaires et que le comportement de la société Orange était constitutif d'un abus de position dominante, a par acte du 24 avril 2012 assigné la société Orange en réparation du préjudice subi devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement dont appel du 12 février 2014 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a condamné la SA France Télécom devenue Orange à verser la somme de 51,38 millions d'euros au titre du manque à gagner résultant de l'absence de revenus liés aux résidences secondaires, la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.

Le tribunal énonce que la SA Orange en situation de position dominante sur le marché de téléphonie fixe résidentielle à destination des résidences secondaires, a abusé de sa position en interdisant à tout concurrent, et notamment la SA SFR, de mettre en place une offre résidence secondaire concurrente.

Par arrêt du 8 octobre 2014 la Cour d'appel de Paris a infirmé le jugement entrepris et a débouté la SA SFR de toutes ses demandes.

La cour d'appel a retenu que la société SFR n'établissait pas l'existence d'un marché pertinent limité à l'offre de téléphonie fixe destinée aux propriétaires de résidences secondaires, relevant,

- s'agissant de la substituabilité entre biens ou services du point de vue de la demande, que le marché de la téléphonie fixe des résidences secondaires n'implique pas de besoins particuliers spécifiques puisqu'il apparaît que 90 % des propriétaires de résidences secondaires considèrent que les autres offres du marché sont substituables à l'offre RS ou que l'offre RS et le caractère "interruptible" de son abonnement ne présentent aucun intérêt.

- s'agissant de la substituabilité du point de vue de l'offre, que l'offre RS présente des caractéristiques identiques aux autres offres de téléphonie fixe, à l'exception de la modalité tarifaire litigieuse, et retient que la différence de coût effectif avec l'offre classique qui résulterait du caractère "suspensible" de la prestation, n'est pas établie avec certitude dès lors que ce coût est calculé en fonction de la fréquence et de la durée des séjours, lesquelles sont variables dans les résidences secondaires ;

Par arrêt du 12 avril 2016 la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel, et condamné la SA Orange aux dépens.

La Cour a énoncé :

s'agissant de la substituabilité entre biens ou services du point de vue de la demande : "Qu'en se déterminant ainsi, sans distinguer, parmi les propriétaires de résidences secondaires n'ayant pas souscrit l'offre RS, ceux qui avaient opté pour une offre de téléphonie simple, ceux qui avaient choisi une offre fixe multiservices ou mobile et ceux qui n'étaient sensibles à aucune de ces offres, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

s'agissant de la substituabilité du point de vue de l'offre : "Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, au sein de la clientèle résidentielle de téléphonie simple, il existait un groupe de consommateurs pour lesquels, en raison, notamment, de l'usage qu'ils en avaient et de son coût, la faculté de suspendre l'abonnement en faisait un produit unique, non substituable par un autre produit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;"

"Qu'en se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur le test réalise par la société SFR sur la base des hypothèses d'occupation des résidences secondaires retenues par la société Orange, ni préciser en quoi les éléments qu'il contenait ne permettaient pas d'établir une différence de coût, fût-elle variable, selon la fréquence et la durée des séjours, entre les offres classique et RS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

La SA Orange a saisi la Cour d'appel de Paris juridiction de renvoi par acte du 25 août 2016.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées par la SA Orange le 8 février 2018, aux fins de voir la Cour :

Infirmer en toutes ses dispositions faisant grief à l'appelante le jugement déféré :

Statuant à nouveau,

Dire et juger la SA SFR mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence,

Débouter la SA SFR de l'ensemble de ses demandes ;

Condamner la SA SFR à verser à la défenderesse une somme de 300 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la SA SFR aux dépens de première instance et d'appel avec distraction, pour ceux d'appel, au profit de Maître Autier, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Orange fait valoir que l'offre de vente en gros d'accès au service téléphonique d'Orange (Offre VGAST) permet aux opérateurs alternatifs, comme SFR, de vendre au détail et de facturer directement à leurs clients finaux, cela afin de promouvoir une concurrence effective et loyale sur le marché de la téléphonie fixe. La SA Orange fait valoir que le tarif de l'offre VGAST est péréqué et est donc indépendant du coût effectif de chaque ligne, de l'usage auquel la SA Orange ou l'opérateur alternatif réserve chaque ligne, et du chiffre d'affaires d'Orange.

Elle propose différentes offres RS depuis 2000 et la SA SFR a émis le souhait d'en bénéficier par un courrier d'avril 2010. Elle lui a lors indiqué que son activité de détail s'appuie sur l'offre VGAST aux mêmes conditions tarifaires et techniques que celles auxquelles ont accès les opérateurs concurrents ; qu'elle a accès à une offre qui ne peut être suspendue, et dont les modalités tarifaires sont unilatéralement fixées par l'ARCEP.

La SA Orange soutient qu'à la demande de la SA SFR, l'ARCEP a précisé dans une étude du 16 septembre 2010 sur la réplicabilité de l'offre résidence secondaire, que l'offre n'introduit pas d'inégalité de traitement entre l'activité de détail d'Orange et celle de SFR et que la non interruptabilité de l'offre VGAST, impliquant que cet allégement devrait nécessairement être reporté sur les autres offres et viendrait alourdir leurs coûts, que l'ARCEP a demandé aux opérateurs alternatifs, dont la société SFR, s'ils étaient favorables à une modification comptable, et que, ces derniers se sont tous opposés à un tel changement. Elle ajoute que dans la synthèse de son étude du 29 septembre 2010, l'ARCEP a demandé spécifiquement à la SA SFR si elle souhaite la mise en œuvre du changement comptable proposé, mais que cette dernière n'a pas formulé de réponse.

La SA Orange précise que la faute qui lui est reprochée par la SA SFR consisterait en plusieurs pratiques, chacune prétendument constitutive d'un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) dont elle ne rapporte pas la preuve, en définissant le marché pertinent, en démontrant la position dominante de la société appelante sur ce marché et d'établir que les agissements qui lui ont été opposés sont constitutifs d'abus ; qu'il en résulte l'obligation de mentionner le marché de produits puis le marché géographiquement pertinent.

Elle fait remarquer que dans ses dernières conclusions, la SA SFR a changé sa thèse en considérant désormais que le marché pertinent serait celui de la téléphonie fixe à destination des résidences secondaires souhaitant être équipées de l'offre RS.

Or selon la SA Orange, cette définition ne résiste pas à l'analyse car plus de 90 % des propriétaires de résidences secondaires n'ont pas opté pour une offre de téléphonie fixe interruptible, et que même parmi ceux qui ont qui ont effectivement fait le choix d'une offre RS, une forte proportion n'utilise en réalité pas la faculté d'interrompre leur ligne.

Elle ajoute que 95 % des propriétaires de résidences secondaires n'ont pas de besoin spécifique pour une offre interruptible et précise que la thèse de la SA SFR selon laquelle il existe un marché très étroit, réduit aux seules résidences secondaires potentiellement équipées d'une offre RS, qui lui a été fermé, constitue une admission par la SA SFR du fait qu'il n'existe pas de marché pertinent de la téléphonie fixe à destination des résidences secondaires.

La SA Orange soutient que, contrairement aux demandes de la Cour de Cassation, la SA SFR n'apporte aucun élément tangible à l'appui de son affirmation selon laquelle les propriétaires de résidences secondaires potentiellement équipées d'une Offre RS partageraient le même besoin spécifique par rapport aux propriétaires de résidences principales ou aux autres propriétaires de résidences secondaires, et par conséquent, l'affirmation de la SA SFR selon laquelle le besoin spécifique qu'elle prétend exister permettrait de délimiter un marché pertinent, au sens du droit de la concurrence, doit être rejetée.

La SA Orange soutient que le Test SSNIP utilisé par la SA SFR aux fins de démontrer l'absence de substituabilité entre les offres RS et les offres de téléphonie fixe classiques n'est pas adapté pour définir le marché pertinent auquel appartiennent les offres RS et les prix observés doivent être suffisamment concurrentiels, et qu'ainsi aucune conclusion ne saurait en être tirée quant à la définition du marché pertinent auquel les offres RS appartiennent comme le soutient la SA SFR. Le second rapport CRA produit par SFR ne propose pas un nouveau test SSNIP corrigé des erreurs qui avaient été relevées par le rapport MAPP réalisé pour la première instance, rapport auquel que la SA Orange avait répondu point par point.

Elle ajoute en ce même sens que la SA SFR a utilisé de manière erronée la méthodologie de ce test ainsi que le rapport CRA et précise qu'en étant correctement utilisé, ce test révèle une substituabilité totale des offres RS et classiques, ce qui démontre qu'il n'existe pas de marché pertinent de la téléphonie fixe réduite aux seules résidences secondaires. Elle rappelle que la décision de l'ARCEP du 21 décembre 2017 relève que l'effet de substituabilité entre le fixe et le mobile se concentre justement sur les résidences secondaires, en indiquant qu'" un certain nombre de clients résidentiels ont abandonné leur abonnement au service téléphonique RTC, notamment celui de leur résidence secondaire, estimant que leur abonnement au service téléphonique mobile était suffisant ".

La SA Orange soutient donc le rejet de l'ensemble des prétentions de la SA SFR pour manquement à son obligation de prouver ce qu'elle allègue et propose alors une définition du "marché pertinent", en matière de fourniture de services de téléphonie fixe, fondée sur les précédents des autorités, l'Autorité de la concurrence, la Commission européenne et l'ARCEP, selon lesquels le marché pertinent serait celui des "services téléphoniques fixes destinés aux abonnés résidentiels", sans distinction entre résidences principales ou secondaires.

Et selon une méthode traditionnelle, fondée sur l'analyse des caractéristiques objectives des services concernés, leur prix et leur usage prévu ; la substituabilité du point de vue de la demande entre deux produits identifiés au stade précédent et enfin l'analyse de la substituabilité du point de vue de l'offre de ces produits.

La SA Orange rappelle que les services rendus aux résidences secondaires et principales sont totalement substituables et que la seule différence entre l'offre RS et l'offre classique de téléphonie fixe réside dans le caractère interruptible de la facturation de la première que ne présente pas la seconde. Elle ajoute que la faculté de suspendre l'abonnement est une simple modalité tarifaire de consommation, qui ne saurait justifier à elle seule la définition d'un marché pertinent étroit réduit aux seules résidences secondaires et a fortiori aux seules offres RS.

Elle soutient dans le même sens que le marché pertinent ne saurait être délimité à celui de l'offre RS au regard des prix des services identiques à ceux des offres classiques de téléphonie fixe et au regard de l'usage fait par les clients de l'offre résidence secondaire dépendant de facteurs autres que le temps d'occupation de ces résidences.

Il en va de même au regard de la subtituabilité du point de vue de la demande au vu du pourcentage de titulaires d'une offre résidence secondaire pour le nombre de propriétaires d'une telle résidence.

La SA Orange soutient démontrer que tout propriétaire de résidence secondaire qui souhaite bénéficier d'une offre de téléphonie en a la possibilité accompagnée d'un choix de solutions techniques offertes par différents opérateurs, qu'en cas de besoin de maîtriser ses coûts, un groupe de propriétaires de résidence secondaire peut le faire via des offres proposées par d'autres opérateurs.

Enfin elle rappelle que le test SSNIP utilisé par la SA SFR est erroné et inapplicable en l'espèce et s'il devait être corrigé, il inverserait la conclusion de la SA SFR.

La SA Orange fait valoir que même à supposer l'existence d'un marché réduit aux résidences secondaires, voire aux seules offres RS (ce qui n'est certainement pas le cas selon elle), la SA SFR ne démontre pas l'existence d'un quelconque comportement abusif de sa part, aussi bien pour les pratiques de prédation, de ciseau tarifaire que de ventes liées.

Elle oppose que les contrôles opérés par l'ARCEP, qui dispose de pouvoirs étendus aussi bien pour le marché de gros et de détail, n'ont révélé aucune irrégularité ni pratique anticoncurrentielle. La SA Orange ajoute que la SA SFR s'est abstenue d'utiliser les moyens procéduraux adaptés, dès lors qu'elle a refusé de prendre position sur la question du changement de régulation et qu'elle n'a saisi ni l'ARCEP ni l'Autorité de la concurrence.

La SA Orange soutient que la prétendue pratique de non reproductibilité tarifaire est infondée aussi bien, d'une part, telle qu'alléguée par la SA SFR, du fait d'un ciseau tarifaire entre l'offre VGAST et l'offre résidence secondaire fondée sur une comparaison erronée, et d'autre part telle que retenue par le tribunal fondée sur une mauvaise interprétation, dès lors que pour proposer une offre de détail interruptible, il n'est pas techniquement indispensable d'avoir accès à une offre VGAST interruptible comme le fait la SA Orange.

Selon elle, ce grief ne saurait être retenu car il ne repose que sur des postulats erronés et la SA SFR ne démontre pas en quoi cette prétendue pratique serait de nature à l'évincer de l'ensemble des marchés des communications électroniques.

La SA Orange fait valoir que le grief de prédation a été abandonné par la SA SFR.

Le grief relatif à une pratique de vente liée ne saurait de même être retenu, dès lors que les arguments de la SA SFR, repris par le tribunal ne reposent que sur une lecture mal orientée de documents non contractuels et que la SA Orange ne pose aucune exigence à ce que les abonnés de l'offre RS soient également abonnés à son offre résidence principale, comme l'a constaté l'ARCEP. Selon elle, SFR n'a pas su démontrer les conditions de l'existence d'une vente liée, et encore moins abusive.

En conséquence, la SA Orange soutient qu'aucune faute n'est établie à son encontre. Enfin, la SA Orange ajoute que l'absence de lien de causalité entre le prétendu caractère non réplicable de l'offre RS et le préjudice dont la SA SFR se prévaut doit être retenue car malgré l'instruction de son dossier par l'ARCEP, la SA SFR n'a jamais cherché à développer une offre de téléphonie fixe à destination des résidences secondaires.

Quant au préjudice, la SA Orange soutient le rejet de l'ensemble des demandes de la SA SFR qui non seulement réclame un montant actualisé basé sur des allégations non fondées, mais ne démontre pas l'existence d'un préjudice subi concernant un manque à gagner relatif aux résidences secondaires et principales, et effectue une démonstration à partir d'un scénario contrefactuel biaisé et reposant sur un calcul erroné notamment pour les estimations des revenus de la SA Orange, le chiffre d'affaires manqué et le taux de marge retenu. Elle ajoute que SFR réclame des sommes complémentaires au titre de l'actualisation du préjudice en application du taux WACC (coût moyen pondéré du capital c'est-à-dire c'est un taux de rentabilité) corrigé, alors que le recours au taux WACC comme méthode d'actualisation a été explicitement rejeté par le Tribunal de commerce de Paris le 31 janvier 2011 et par la Cour d'appel de Paris le 10 mai 2017.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées par la SA SFR le 26 février 2018 tendant à voir la cour :

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu l'article L. 420-2 du Code de commerce,

Vu l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne,

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

Dit et jugé qu'Orange est en position dominante sur le marché de gros de la VGAST ;

Dit et jugé qu'Orange est en position dominante sur le marché de détail de la téléphonie fixe à destination des résidences secondaires ;

Dit et jugé qu'Orange s'est rendue coupable d'abus de position dominante consistant à pratiquer des ciseaux tarifaires et des ventes liées ;

Condamner Orange à verser à SFR la somme de 51,38 millions d'euros au titre du manque à gagner résultant de l'absence de revenus liés aux résidences secondaires pour les années 2006 à 2013 ;

Condamner Orange à verser à SFR la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'infirmer pour le surplus

Et, statuant à nouveau :

Dire que l'ensemble des condamnations prononcées seront actualisées depuis le 1er janvier 2006 par application du taux d'utilisation du capital défini par l'ARCEP ;

Sur le marché des résidences secondaires

Condamner Orange à verser à SFR la somme de 24,57 millions d'euros correspondant à l'actualisation des sommes allouées par le tribunal de commerce au titre du préjudice lié au manque à gagner sur les résidences secondaires pour les années 2006 à 2013 au taux de WACC tel que défini par l'ARCEP ;

Condamner Orange à verser à SFR la somme de 20,70 millions d'euros, au titre du manque à gagner résultant, postérieurement au jugement du tribunal de commerce, de l'absence de revenus liés aux résidences secondaires pour les années 2014,2015 et 2016.

Condamner Oranger à verser à SFP la somme de 27,04 millions d'euros au titre de l'actualisation du préjudice lié au manque à gagner sur les résidences secondaires, au taux de WACC tel que défini par l'ARCEP, pour les années 2014,2015 et 2016 ;

Sur le marché des résidences principales

A titre principal, concernant les pratiques de ciseau tarifaire

Condamner Oranger à verser à SFR la somme de 76,09 millions d'euros au titre de la perte d'une chance liée aux résidences principales causée par les pratiques de ciseau tarifaire d'Orange pour les années 2006 à 2016 ;

Condamner Oranger à verser à SFR la somme de 57,69 millions d'euros au titre de l'actualisation du préjudice découlant de la perte d'une chance liée aux résidences principales causée par les pratiques de ciseau tarifaire d'Orange pour les années 2006 à 2016, au taux de WACC tel que défini par l'ARCEP.

Alternativement, à titre subsidiaire, concernant les pratiques de ventes liées Condamner Oranger à verser à SFR la somme de 18,01 millions d'euros au titre de la perte d'une chance liée aux résidences principales causé par les pratiques de ventes liées d'Orange pour les années 2006 à 2016 ;

Condamner Oranger à verser à SFR la somme de 15,88 millions d'euros au titre de l'actualisation du préjudice découlant de la perte d'une chance liée aux résidence principales causée par les pratiques de vente liées d'Orange pour les années 2006 à 2016, au taux de WACC tel que défini par l'ARCEP.

Enfin

Condamner Orange à verser à SFR la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner Orange aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Teytaud, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Au soutien de ses demandes, la SA SFR fait valoir qu'il existerait selon elle un marché pertinent, au sens du droit de la concurrence, limité à l'offre de services de téléphonie fixe interruptible à destination des résidences secondaires (par opposition aux résidences principales), que sur ce marché, la SA Orange serait en situation de monopole (part de marché de 100 %) et donc occuperait une position dominante, et que le niveau tarifaire de l'offre RS d'Orange, comparé à celui de l'Offre de gros VGAST, constituerait des pratiques de prédation, de compression de marge et de vente liée, caractérisant un abus de position dominante ayant pour effet de l'évincer de ce marché.

La SA SFR soutient que l'offre RS a séduit un nombre important de propriétaires de résidences secondaires, nombre qui selon la SA SFR serait plus important si les coûts baissaient avec l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché. Elle ajoute que de ce fait, elle a légalement souhaité répliquer cette offre mais considérant le fait que l'opérateur alternatif ne peut s'abstenir de payer des redevances de location toute l'année à la SA Orange alors même que le client ne lui paye que pendant une fraction d'année, la réplication de l'offre RS de la SA Orange est possible d'un point de vue technique, mais insoutenable d'un point de vue financier.

Elle ajoute que l'offre RS est unique en son genre, qu'elle s'adresse à une population de clients très particuliers, soit à ceux qui souhaitent que leurs résidences secondaires soient équipées d'un abonnement de téléphonie fixe, mais sans avoir à le payer toute l'année. De plus, l'offre RS n'est, pour ces clients, substituable à aucune autre et donc constitue un marché pertinent au sens du droit de la concurrence, et n'est proposée qu'à des clients ayant choisi Orange pour équiper leur résidence principale. Par conséquent, le comportement d'Orange constitue une faute qui lui a causé un préjudice.

LA SA SFR allègue que la SA Orange contrevient depuis mai 2014, aux avertissements de l'ARCEP qui, dans sa seconde consultation par la SA SFR, a rappelé à la SA Orange son obligation de non-discrimination et son devoir de s'assurer du caractère reproductible de ses offres de détail tout en lui précisant qu'elle se montrera attentive à ce que cette reproductibilité soit effectivement garantie, notamment en veillant à ce que la SA Orange apporte à l'offre de VGAST les évolutions nécessaires, si une demande raisonnable étayée d'éléments factuels et d'engagements précis venait à lui être communiquée.

La SA SFR énonce que tout le litige repose sur la question centrale qui concerne l'existence ou non d'un marché pertinent des offres de téléphonie fixe à destination des résidences secondaires.

A cet égard, SFR précise que sur le marché de gros (offre VGAST), il est incontestable que la SA Orange est en position dominante. Concernant le marché de détail relatif aux offres de téléphonie fixe à destination des résidences principales, elle reconnaît que malgré la position largement dominante de la SA Orange, plusieurs opérateurs sont en concurrence.

La SA SFR soutient aussi qu'il existe réellement un second marché de détail qui concerne les offres de téléphonie fixe à destination des résidences secondaires, ayant été reconnu selon elle par le tribunal, et que sur ce marché, la SA Orange est en position de monopole car une seule offre existe : l'offre RS de la SA Orange.

La SA SFR soutient que le marché pertinent objet du litige est, non pas celui de l'ensemble des résidences secondaires, mais celui des résidences secondaires potentiellement équipées de l'offre RS, dont les consommateurs sont les propriétaires de résidences secondaires intéressés par une offre de téléphonie fixe qui peut être suspendue pendant les périodes d'inoccupation. Elle ajoute que ce marché est composé des propriétaires de résidences "potentiellement" équipées de l'offre RS mais pourrait être plus large si l'on prenait en compte ceux qui sont déjà équipés de cette offre et ceux qui ne le sont pas à cause du prix élevé de cette dernière, faute de concurrence.

La SA SFR soutient que selon l'autorité de la concurrence, un marché pertinent doit être basé sur un besoin spécifique, besoin que la SA SFR établit comme étant la capacité du client à suspendre sa ligne quand la résidence est inoccupée, ce qui est la caractéristique unique et exclusive de l'offre RS de la SA Orange. Aucune autre offre de téléphonie ne le permet.

Par conséquent, SFR indique que l'offre Orange a bien rempli les trois critères définis par l'Autorité de la concurrence dans ses lignes directrices : représenter un caractère unique, s'adresser à une clientèle particulière, proposer un prix inférieur à celui d'une offre classique. Se basant sur le test SSNIP qui consiste à observer les conséquences d'une hausse légère mais continue du prix d'un produit sur le comportement des utilisateurs de ce produit, la SA SFR démontre que l'offre RS n'est substituable avec aucun autre produit.

Elle ajoute de plus que la SA Orange a utilisé à son profit de manière erronée ce test en se basant sur des hypothèses inadaptées au cas d'espèce et qu'une exploitation correcte de ce test permet de démontrer qu'une augmentation légère du prix de l'Offre RS serait profitable à la SA Orange car le nombre de clients qui auraient intérêt à basculer vers une autre offre est limité. Par conséquent, pour la SA SFR, aucun autre produit n'est substituable à l'Offre RS et celle-ci constitue bien un marché pertinent au sens du droit de la concurrence.

Elle énonce avoir mandaté le cabinet d'économistes CRA qui a constaté que les hypothèses de la Société Orange sont fausses tant d'un point de vue méthodologique qu'économique. Le test proposé par la société Orange, mesurant la différence de revenus et non la différence de profit, est plutôt basé sur des hypothèses et non sur les informations réelles donc la société dispose. Ce test doit être rejeté. Le second rapport CRA a par ailleurs confirmé la délimitation du marché pertinent.

De plus, la SA SFR soutient que l'absence de précédent ne saurait empêcher la cour de délimiter un marché pertinent des offres de téléphonie fixe à destination des résidences secondaires, en précisant que la délimitation des marchés n'est pas figée dans le temps puisqu'il existe des innovations commerciales telles que l'offre RS et que c'est la première fois que le marché pertinent des offres de téléphonie fixe à destination des résidences secondaires est examiné en matière contentieuse.

Sur les fautes imputées à la SA Orange, la SA SFR soutient principalement que les conditions de l'offre VGAST proposées par Orange ne permettent pas aux opérateurs alternatifs, notamment à la SA SFR, de répliquer l'offre RS et les empêchent d'accéder à des centaines de milliers de clients que ce soit en considération du marché pertinent des clients de l'offre RS ou de l'ensemble des marchés des services téléphoniques fixes. En outre le fait pour la SA Orange de lier abusivement son offre RS et son offre d'abonnement classique constitue une faute qui leur crée un préjudice considérable.

La SA SFR soutient que la pratique de ciseau tarifaire ou de "compression de marge", retenue par le tribunal est caractérisée et démontrée par des tests mettant en évidence que dans tous les cas, commercialiser une offre similaire à l'offre RS entraînerait une perte énorme pour SFR, que la SA Orange est fautive en ce qu'elle ne respecte pas ses obligations basée sur le droit de la concurrence mais aussi sur la réglementation sectorielle, de s'assurer du caractère reproductible de toutes ses offres de détail, et que de ce fait, cela cause à la SA SFR un manque à gagner non négligeable.

La SA SFR soutient la confirmation de la décision du tribunal qui a reconnu que la SA Orange commet un abus de position dominante en pratiquant des ventes liées de l'offre RS et des offres destinées aux résidences principales, en relevant que sur le site de la SA Orange, une phrase, aujourd'hui supprimée, mentionnait clairement la nécessité d'être titulaire d'un abonnement principal permanent pour pouvoir souscrire à une offre RS d'Orange, en rappelant que le marché de la téléphonie fixe résidentiel est un marché largement dominé par la SA Orange.

Elle ajoute que la SA Orange ne saurait se baser sur l'inaction de l'ARCEP pour motiver l'exonération de sa responsabilité fautive en matière de pratiques anticoncurrentielles car l'absence de saisine de l'Autorité de la concurrence par l'ARCEP ne peut pas permettre de conclure à une absence d'abus. La SA SFR précise qu'il est de jurisprudence constante que l'action du régulateur n'exonère pas l'entreprise dominante de sa responsabilité dès lors que celle-ci conserve une autonomie suffisante dans la fixation de ses choix commerciaux. La SA SFR soutient que le préjudice qu'elle subit résulte directement du comportement de la SA Orange visant à empêcher la réplicabilité de l'offre RS, car dès qu'elle en a eu l'opportunité, les conditions de rentabilité défavorables ont rendu impossible une quelconque concurrence sur le marché pertinent et spécifique des offres de téléphonie fixe destinées aux résidences secondaires, quoique la SA Orange soit en violation de ses obligations.

Sur le manque à gagner relatif aux résidences secondaires retenu par le tribunal, la SA SFR reprend et actualise le calcul du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles de la SA Orange en arguant que la SA Orange n'a volontairement pas fourni en première instance les informations permettant de connaître son ARPU total ; que la prétention de la SA Orange selon laquelle le scénario contrefactuel aurait dû modéliser le fait que si la SA Orange avait dû proposer une Offre VGAST interruptible, l'ARCEP aurait relevé les tarifs de l'Offre VGAST non interruptible est erronée. Elle se base en outre sur les estimations actualisées retenues par le tribunal du chiffre d'affaires qu'elle aurait pu dégager en l'absence de pratiques anticoncurrentielles de la SA Orange.

Sur l'actualisation du préjudice subi, la société SFR maintient sa demande sur le fait que le préjudice qu'elle a subi doit être actualisé au taux de capitalisation du capital dans le secteur de la téléphonie fixe tel que calculé chaque année par l'ARCEP.

A titre incident, la SA SFR demande à la Cour réformer partiellement le jugement attaqué aux motifs que le tribunal n'a pas procédé à l'actualisation du manque à gagner de SFR, ni sur base du taux légal, ni sur la base du taux de rémunération du capital (ou taux WACC) applicable au secteur de la téléphonie comme cela lui était demandé dans l'assignation et que concernant le manque à gagner relatif aux résidences secondaires, la quantification du préjudice soit être actualisée car postérieurement au jugement de 2014, la SA Orange n'a pas cessé ces agissements. Par conséquent, la société SFR a ajusté le manque à gagner pour la période 2014 à 2016 pour que la Cour puisse condamner la SA Orange à assurer la réparation intégrale du préjudice actuel.

La SA SFR demande aussi à la Cour de reconnaître un préjudice subi sur le marché des résidences principales sur le fondement d'une perte de chance de n'avoir pu présenter son offre résidence principale à des clients qui auraient souscrit à son offre résidence secondaire à raison des pratiques de ciseau tarifaire déployées par la SA Orange. Selon elle, cette perte de chance devrait être retenue car le Tribunal avait jugé que SFR aurait dû, en l'absence des pratiques anticoncurrentielles de la SA Orange, capter 50 % du marché des résidences secondaires, soit 185 000 clients sur la période 2006-2013 et 143 000 clients sur la période 2014-2016.

Enfin, à titre subsidiaire, la SA SFR soutient que si le préjudice qu'elle a subi sur le marché des résidences principales à raison des pratiques de ciseau tarifaire n'était pas retenu, elle devrait obtenir réparation du préjudice subi sur les résidences principales à raison des ventes liées ayant permis à la SA Orange de continuer à équiper ou d'équiper les résidences principales des propriétaires de résidences secondaires, ayant donc indûment privée de la chance de pouvoir présenter son offre résidence principale aux clients ayant souscrits à l'offre RS de la SA Orange. MOTIFS

La Cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.

Selon l'article 102 du TFUE,

"Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,

b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats."

Aux termes de l'article L. 420-2 du Code de commerce, "Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1 du Code de commerce l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées (...)". La société appelante soutient à bon droit qu'il appartient à la société intimée, qui prétend que l'appelante s'est rendue coupable d'abus de sa position dominante sur le marché de gros de la VGAST et sur le marché de détail de la téléphonie fixe à destination des résidences secondaires, et que l'intimée précise expressément limiter aux termes de ses dernières conclusions aux propriétaires de résidences secondaires souhaitant être équipés d'une offre interruptible et non celui de l'ensemble des résidences secondaires, de définir le marché pertinent, de démontrer la position dominante de la société appelante sur le marché de gros et de détail et enfin d'établir des pratiques de prix prédateurs, de ciseaux tarifaires et des ventes liées, constitutifs d'abus qui lui ont causé un préjudice indemnisable.

1. Sur l'existence d'un marché pertinent des offres de téléphonie fixe interruptibles à destination des résidences secondaires :

Le Conseil de la concurrence a défini la notion de marché pertinent " comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique ", définition reprise par l'Autorité dans ses décisions.

Aux termes de la décision 2011-0926 en date du 26 juillet 2011 de l'ARCEP, versée aux débats, portant sur la définition des marchés pertinents de la téléphonie fixe, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre,

Le périmètre du marché pertinent du point de vue des produits et services repose sur l'analyse des éléments suivants :

- les caractéristiques objectives, le prix et les services du produit en cause, éléments cités par les lignes directrices 2002/C165/03 de la Commission européennes du 11 juillet 2001 sur l'analyse du marché et l'évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques, permettant de définir l'ensemble des services qui peuvent appartenir au même marché, en particulier les marchés de détail.

Mais aussi des conditions de concurrence et de structure de la demande et de l'offre.

- la substituabilité du côté de la demande : deux produits ou services appartiennent à un même marché s'ils sont suffisamment interchangeables pour leurs utilisateurs, du point de vue de l'usage qui en est fait, de leurs caractéristiques, de leur tarification, de leurs conditions de distribution, des coûts de migration d'un produit vers l'autre, etc. Afin d'apprécier cette notion d'interchangeabilité, l'analyse doit en particulier prouver que la substitution entre les deux produits est rapide et prendre en compte les coûts d'adaptation qui en découlent.

- la substituabilité du côté de l'offre : un produit B peut appartenir au même marché que le produit A en cas de substituabilité du côté de l'offre, c'est-à-dire lorsque les fournisseurs du produit B peuvent commencer à produire le produit A en cas de hausse du prix de marché de ce produit, sans qu'ils aient à subir des coûts importants de modification de leur appareil de production.

Pour établir l'existence d'une substituabilité éventuelle entre services du point de vue de la demande ou de l'offre, l'analyse peut également impliquer la mise en œuvre de la méthode dite du " monopoleur hypothétique " ainsi que le suggèrent les " lignes directrices " de la Commission européenne. Du point de vue de la demande, ce test consiste à étudier qualitativement les effets sur la demande d'une augmentation légère, 5 à 10 % par exemple, mais réelle et durable, du prix pratiqué par un hypothétique monopoleur sur un service donné, de manière à déterminer s'il existe des services considérés comme substituables par les demandeurs, vers lesquels ils seraient susceptibles de s'orienter. Du point de vue de l'offre, il s'agit de savoir si, face à une telle hausse de prix, des entreprises commercialisant d'autres services seraient en mesure de fournir, rapidement et facilement, un service équivalent à celui du monopoleur hypothétique. Ainsi que le mentionnent les " lignes directrices ", l'utilité essentielle de cet outil réside dans son caractère conceptuel ; sa mise en œuvre n'implique pas une étude économétrique.

La méthode d'analyse selon les Lignes directrices de la Commission Européenne :

Sur le marché des services :

L'intimée soutient que le marché en cause est celui des consommateurs propriétaires de résidences secondaires intéressés par une offre de téléphonie fixe qui peut être suspendue. S'agissant de la caractéristique du produit en cause, SFR souligne que l'offre de téléphonie fixe réservée aux propriétaires de résidence secondaires ayant une résidence principale en France ou à l'étranger ("Conditions Spécifiques" de l'offre RS), sans engagement de durée, et pouvant être suspendue à tout moment à la demande du client pour une durée maximum d'un an dans la limite de six suspensions maximum sur une période de douze mois, offerte par Orange alors en situation de monopole jusqu'en 2006 date d'ouverture du marché de l'abonnement téléphonique à la concurrence, et lancée le 14 août 2000, présente la caractéristique principale de pouvoir être suspendue, avec en contrepartie de la suspension de la ligne, la suspension des payements lorsque la résidence est inoccupée, à la différence de l'offre classique qui ne peut être suspendue. Chaque interruption est payante.

L'intimée établit que l'offre interruptible de Orange à destination de résidences secondaires répond à des caractéristiques contractuelles distinctes de l'offre à destination des résidences principales : possibilité d'interruption de la ligne et tarifs.

L'option de désactivation de la ligne est propre à l'offre RS ; elle est l'objet de dispositions contractuelles spécifiques. La souscription d'une offre RS interruptible à destination d'une résidence principale n'est pas contractuellement proposée.

Il est suffisamment démontré par l'intimée que la faculté d'interruption ne représente pas une simple modalité tarifaire mais une caractéristique essentielle de cette offre, l'appelante échouant à combattre utilement le caractère non substituable de l'offre classique à l'offre RS du point de vue des services et des tarifs.

En effet il n'est pas sérieusement contestable qu'à la date où l'appelante a lancé l'offre résidence secondaire interruptible, celle-ci l'a fait en considération de besoins spécifiques d'une clientèle déterminée et en proposant des tarifs différenciés des tarifs de l'offre classique, à telle enseigne que, alors qu'elle soutient le faible succès du produit (baisse du nombre d'abonnés RS de 2011 à 2016 et forte proportion des propriétaires de résidences secondaires qui n'utiliseraient pas la faculté d'interruption entre 2014 et 2016) elle a développé en plus de l'offre standard initialement proposée, deux offres à forfaits, depuis l'année 2015, l'offre proposée par Orange à sa clientèle dans les conditions rappelées ci- dessus, ne pouvant s'entendre que par l'existence d'un marché correspondant.

Selon les "lignes directrices de l'Autorité de la concurrence", point 351, lorsque les produits sont commercialisés à des clientèles dont les besoins ou les préférences diffèrent, les autorités de concurrence peuvent être amenées à considérer des marchés distincts par type de clientèle.

L'offre faite aux seuls propriétaires de résidences secondaires, propose une option d'interruption que le client peut valoriser en fonction de son temps d'occupation des lieux et de ses préférences, ce qui ne peut être ignoré, et de tarifs différenciés, aucun payement n'étant dû pendant la période de suspension de la ligne par le consommateur, le client final trouvant nécessairement un intérêt pécuniaire le conduisant à souscrire à l'offre proposée par Orange.

SFR établit que le temps moyen d'occupation (44 nuitées l'an aux termes de l'assignation et des productions de l'intimée chiffre INSEE) est créateur d'un besoin de téléphonie spécifique de payement d'un prix proportionnel au temps d'occupation de la résidence secondaire.

Ainsi, même s'il est justifié par l'appelante que dans 90 % des cas en 2013, les propriétaires de résidences secondaires, n'ont pas opté pour une offre de téléphonie fixe interruptible, ce pourcentage étant réduit à 9 % en 2016, il n'est pas contestable que les clients ayant souscrit à l'offre Orange RS ont bien exprimé un besoin spécifique de désactivation de la ligne téléphonique.

Le caractère réduit du nombre de consommateurs ayant opté pour l'offre interruptible ne fait pas obstacle à la détermination d'un marché pertinent pendant une certaine période de temps, dès lors que l'offre rencontre la demande et répond à un besoin spécifique de la clientèle.

S'agissant des prix de l'offre, SFR expose que lorsqu'un opérateur alternatif loue l'utilisation de la ligne téléphonique à Orange, l'opérateur alternatif acquitte des redevances de location mensuelle toute l'année. Dès lors que l'opérateur alternatif propose une offre interruptible similaire à l'Offre RS de Orange, le coût financier n'est pas soutenable puisque le client ne paye son abonnement que pendant une fraction de l'année alors que l'opérateur alternatif doit s'acquitter du montant de la redevance d'abonnement pendant l'année entière.

Peu importe que parmi les clients qui ont fait le choix d'une Offre RS, il existe une forte proportion de propriétaires de résidences secondaires qui n'utilise en réalité pas la faculté d'interrompre leur ligne, aucun élément ne permettant de déterminer les raisons personnelles des clients de ne pas recourir à la faculté de suspendre la ligne, SFR démontrant que l'obstacle à ce qu'il propose une offre interruptible équivalente étant d'ordre financier à savoir le coût financier supporté, partant, un coût économique tel pour l'entreprise qu'il peut faire obstacle à la réplication de l'offre.

L'Autorité ayant imposé à France Télécom devenue Orange, exerçant sur le marché de la téléphonie fixe résidentielle une influence significative, l'obligation de reflet des coûts aux tarifs des offres de gros, dans le respect des principes d'efficacité, de non-discrimination et de développement d'une concurrence effective et loyale, objectif proportionné à notamment l'exercice d'une concurrence effective et loyale, c'est à bon droit que SFR soutient que la société Orange, propriétaire et exploitant du réseau téléphonique, tenue au respect des règles de la concurrence, doit lui permettre de répliquer, dans des conditions tarifaires satisfaisantes, l'offre RS interruptible.

Le moyen soutenu par Orange selon lequel l'ARCEP a retenu en 2010 que l'offre Orange RS était réplicable et qu'il suffisait de la faire évoluer ce qui entraînerait mécaniquement une augmentation du prix du tarif applicable à tous les opérateurs téléphonique, effectivement refusée par l'ensemble des opérateurs téléphoniques en septembre 2010 et non contesté par SFR auprès de l'Autorité, doit être écarté dans la mesure où il est établi que l'appelante commercialise l'offre interruptible depuis 2000 sans justifier, alors qu'elle soutient s'appliquer les tarifs de l'offre VGA, comment acquitter le coût spécifique de l'offre VGA sans percevoir les revenus avals correspondants, l'intimée rappelant à juste titre que ces pratiques constituent soit une prédation soit un ciseau tarifaire.

L'appelante n'a pas apporté de réponse satisfaisante à la demande présentée par l'intimée le 21 avril 2010 d'apporter des aménagements à l'offre de gros VGAST, à savoir "la suspension de la facturation de l'abonnement à SFR lorsque le client final sur le marché de détail suspend son abonnement auprès de SFR ; la mise en œuvre des outils SI qui permettent une gestion, en temps réel et fluide, des commandes de suspension et de mise en service", l'intimée rappelant à Orange, gestionnaire de l'infrastructure essentielle qu'est la boucle de cuivre, qu'elle ne peut avantager son entité commerciale de détail, et qu'elle dispose de surcroît d'une position dominante sur le marché de détail.

L'influence significative de Orange sur le marché de la téléphonie fixe résidentielle sur le territoire français ne fait en effet pas débat.

La seule proposition par l'ARCEP d'augmenter les prix du prix du tarif applicable à tous les opérateurs téléphoniques pour financer le coût de la redevance annuelle et ainsi permettre à tout autre opérateur, de pratiquer une offre interruptible, ne peut exonérer Orange d'une responsabilité qu'elle peut encourir à raison de ses pratiques sur le marché de la téléphonie fixe résidentielle.

L'intimée justifie que, compte tenu de l'obligation d'acquitter auprès de Orange la totalité de l'abonnement que ne reverse pas le client final, l'offre de vente en gros de l'abonnement au service téléphonique commercialisée par Orange ne lui permet pas de commercialiser auprès de sa clientèle une offre interruptible dans des conditions économiquement acceptables.

Or le prix du service en cause est un des éléments pris en compte par les lignes directrices pour 2002/C165/03 de la Commission européenne du 11 juillet 2001 en matière de télécommunications pour définir l'ensemble des services qui peuvent appartenir au même marché, en particulier les marchés de détail.

Le test SSNIP :

Pour déterminer si un produit ou un ensemble de produits constitue un marché, il convient d'observer les conséquences d'une hausse légère mais significative (généralement 5 à 10 %) et durable du prix du produit en cause sur le comportement des utilisateurs de ce produit.

Si une telle hausse conduit un nombre suffisamment important de clients à se déporter vers un autre produit, au point que la hausse de prix n'est pas rentable pour celui qui la met en œuvre alors ces deux produits substituables appartiennent au même marché pertinent.

Dans le cas contraire, le premier produit constitue à lui seul un marché pertinent. Le test est conduit par itération.

Au soutien de leurs prétentions respectives, les parties ont produit en cours d'instance divers rapports de tests.

Orange a versé un premier rapport développé dans ses conclusions du 9 février 2017, critiqué par SFR par un premier rapport CRA du 15 mars 2017.

Orange a produit un deuxième rapport MAPP en date du 28 juin 2017 qui critique l'applicabilité dans le cas présent du test du monopoleur hypothétique, après avoir eu elle- même recours au test et fait écrire que "le test est utilisé de manière classique pour définir les marchés pertinents.

L'intimée a produit un second rapport CRA du 6 septembre 2017, en réponse aux critiques formulées dans le rapport MAPP, contenant une analyse de sensibilité.

Orange a produit une note du cabinet MAPP en date du 7 février 2018, à la suite de laquelle SFR produit un ultime rapport CRA du 22 février 2018 reprenant l'ensemble des éléments discutés par les parties lors de la mise en œuvre contradictoire du test.

Selon l'intimée, le test CRA du 22 février 2018 est basé sur des données chiffrées produites par Orange, en apportant des correctifs portant sur les "erreurs grossières" mais en prenant en compte les hypothèses les plus favorables à Orange.

Selon l'Autorité de la concurrence (lignes directrices par. 341), "...le test SSNIP fournit un cadre conceptuel d'analyse dans lequel il convient de structurer le raisonnement relatif à la délimitation des marchés pertinents et d'interpréter les divers indices qualitatifs et quantitatifs disponibles".

Elle mentionne également que les prix observés doivent être suffisamment concurrentiels. (Par. 376).

L'appelante, qui conteste le recours au moyen de preuve qu'est le test SSNIP en usage en droit de la concurrence et par les autorités communautaires pour la recherche de marché pertinent, en faisant valoir que ce test se heurte à la difficulté "cellophane fallacy", ne démontre pas, alors que la preuve de l'inapplicabilité du test à l'offre LRS lui incombe, que les tarifs de ces offres sont supra-concurrentiels et que l'augmentation de prix n'est pas profitable, dès lors qu'elle ne met pas dans le débat ses données réelles.

La présente cour est tenue d'examiner le moyen de preuve que constitue le test produit par SFR et de tirer de ses résultats toutes les conclusions utiles, conformément à l'arrêt de la Cour de Cassation du 12 avril 2016, le juge conservant en tout état de cause son pouvoir souverain d'appréciation.

En l'espèce le test effectué par SFR, à partir du test réalisé par Orange au moyen de données communiquées à son seul économiste, d'autres données, et l'application de certains correctifs qu'elle a apportés aux travaux de l'appelante, a consisté à appliquer aux différents tarifs de l'offre RS (standard et forfaits) une hausse du prix de 10 % et d'examiner si cette augmentation de prix est profitable à cette entreprise.

Le test proposé par l'intimée expose la méthodologie retenue soit une analyse sous forme de formule mathématique, de façon à rechercher si l'augmentation de prix est profitable à l'entreprise en cause.

En l'espèce le test démontre que, si le taux de marge est inférieur à 57 %, la hausse de prix de 10 % est profitable pour Orange.

Ce test énonce que (figure 1 et 2 du test) l'on voit sur le graphique que le taux de marge maximal estimé pour Orange pour chacune des périodes d'application des tarifs de l'offre LRS est systématiquement inférieur au seuil des 57 %, que l'on ne prenne pas en compte les désactivations de lignes ou au contraire que les interruptions de lignes soient prises en compte.

Dès lors que l'on applique la condition de profitabilité de l'augmentation du prix de 10 % en mesurant le profit et non le chiffre d'affaires, celle-ci est vérifiée sur toute la période allant de janvier 2006 à aujourd'hui. Dès lors le marché pertinent doit être défini comme circonscrit à la seule offre LRS.

Le taux de marge de l'entreprise concernée a été calculé en appliquant la méthodologie de cette société, en particulier en ne tenant pas compte des interruptions de lignes et en supposant que celles-ci sont actives toute l'année. Le taux de marge maximal est de 9 % pour l'offre RS standard, de 54 % s'agissant du forfait 2 heures et de 29 % concernant le forfait illimité, soit un taux de marge moyen de 34 %.

Pour la période 2010-2017, la critique méthodologique faite par Orange sur la "confusion opérée entre les revenus générés en moyenne par l'ensemble des clients de offres RS et par ceux des clients qui seraient susceptibles de renoncer à l'offre RS en cas de hausse" à savoir "15 %" des clients renonçant, est infondée dès lors que cette énonciation provient en réalité de l'appelante elle-même, qui l'a formulée dans de précédentes conclusions (9 février 2017), pourcentage repris par l'intimée dans ses calculs.

Cette hypothèse est vivement contestée par l'intimée, en ce qu'elle n'est pas fondée sur des données justifiées. Celle-ci soutient en effet à bon droit que le comportement adopté par le consommateur une année, n'est pas nécessairement reproduit l'année suivante dans la mesure où l'option de désactivation représente justement la réponse à un besoin spécifique couvert par l'offre RS et que cette caractéristique n'est aucunement prise en compte par Orange dans ses calculs.

Il s'ensuit que la démonstration apportée par l'appelante que 15 % des clients RS qui n'ont pas utilisé leur faculté de suspension de l'offre RS au cours de l'année 2015 quitteraient nécessairement l'offre RS pour une offre classique si le prix augmentait, n'est pas fondée.

L'intimée rapporte la preuve que cette hypothèse extrême retenue par Orange n'est pas le reflet d'une réalité économique.

Elle établit qu'il faudrait par exemple qu'au moins 14 % des clients abandonnent l'Offre RS en cas de hausse de prix et que ces clients fassent partie des 90 % les plus rentables pour que la démonstration de Mapp fonctionne. Mais s'ils ne font partie que des 85 % les plus rentables, les conclusions de CRA sont confirmées.

Il est certain que l'absence de transmission de ses données par l'appelante concernant les coûts, les revenus retirés des offres RS, la répartition de clients entre les différentes offres RH génératrices de revenus présentant une rentabilité distincte, pendant la période de référence, a contraint l'intimée à réaliser le test SSNIP au moyen des seuls éléments connus d'elle, à savoir les éléments issus des tests d'Orange et des éléments tarifaires alors qu'Orange pouvait pratiquer des calculs sur les éléments économiques avérés, sans toutefois les communiquer, de sorte que l'appelante est mal fondée à critiquer valablement la méthodologie appliquée et les résultats obtenus par SFR et que la cour doit tirer les conséquences de ce comportement sur l'administration de la preuve.

Compte tenu de ces circonstances, le test réalisé par l'intimée doit être considéré comme suffisamment probant pour déterminer l'existence d'un marché pertinent limité aux propriétaires de résidences secondaires intéressés par la possibilité de suspendre leur abonnement téléphonique.

Il n'est pas établi par l'appelante que l'absence de délimitation antérieure d'un marché pertinent de la téléphonie résidentielle RS par l'Autorité, exclut expressément la définition d'un tel marché par le juge pour juger d'un comportement fautif de l'appelante en situation de position dominante, ce que la Cour de Cassation a nécessairement admis en cassant pour défaut de base légale l'arrêt de la présente cour du 8 octobre 2014.

Au contraire, il appartient au juge saisi de déterminer préalablement l'existence d'un marché pertinent afin d'apprécier l'existence d'une position dominante sur un tel marché.

La délimitation permet d'évaluer le dommage causé.

Ensuite il n'est pas démontré par l'appelante que l'Arcep a exclu l'existence d'un marché limité aux propriétaires de résidences secondaires intéressés par la possibilité de suspendre leur abonnement téléphonique.

L'évolution technologique soutenue par Orange est indifférente au cas d'espèce, en l'absence de substituabilité reconnue par l'Arcep entre les accès mobiles et les accès fixes.

L'intimée fait la preuve que l'offre classique, n'est pas suffisamment interchangeable pour ses utilisateurs.

SFR établit l'absence de substituabilité de l'offre, en ne pouvant mettre sur le marché une offre concurrentielle à l'offre RS, dès lors qu'elle reste tenue d'acquitter la redevance mensuelle.

L'intimée rapporte donc suffisamment la preuve par l'analyse classique ainsi que par les résultats du test SSNIP que dans le cas d'une augmentions légère mais significative et permanente du prix de l'offre RS, les clients de l'offre RS et, parmi ceux qui n'ont pas eu recours l'année précédente à la faculté de désactivation, se ne tourneraient pas nécessairement vers l'offre classique Orange facilement accessible ou vers d'autres offres fournisseurs, à raison de la faculté de suspension de la ligne accompagnée de l'interruption du payement de l'abonnement.

La cour dira que SFR établit, tant par l'analyse classique portant sur les caractéristiques objectives, le prix et l'usage du service, à savoir les caractéristiques de l'offre résidence secondaire interruptible, le prix de l'offre en gros rapporté à l'absence de payement par le client final, en présence d'un opérateur exerçant sur le marché de la téléphonie fixe résidentielle une influence significative, en situation de monopole lorsque l'offre a été lancée, que par le test SSNIP dont il résulte que dans le cas d'une augmentions légère mais significative et permanente du prix de l'offre RS, les clients de l'offre RS et, parmi ceux qui n'ont pas eu recours l'année précédente à la faculté de désactivation, se ne tourneraient pas nécessairement vers l'offre classique Orange facilement accessible ou vers d'autres offres fournisseurs, à raison de la faculté de suspension de la ligne accompagnée de l'interruption du payement de l'abonnement, l'existence d'un marché pertinent de la téléphonie résidentielle secondaire interruptible.

La concurrence entre les entreprises en cause doit s'exercer l'intérieur de ce périmètre.

Si l'existence d'une position dominante n'implique pas en soi un abus de position dominante, cette situation impose à l'entreprise en cause une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur de l'Union, de ne pas exploiter de manière abusive une position dominante.

2. L'existence de la position dominante de Orange sur le marché de la téléphonie résidentielle, n'est pas contestée.

3. L'existence d'un abus fautif :

L'intimée établit, ce qui n'est pas contesté, qu'elle reste tenue, en l'absence de modification de l'offre VGAST, au payement de la redevance d'abonnement afférente sur le marché de gros.

Elle soutient une pratique de "ciseau tarifaire" préjudiciable constitutive d'un abus de position dominante. Pour apporter la démonstration de ce comportement fautif elle se réfère à la Décision de la Commission du 21 mai 2003 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (Affaires COMP/C-1/37.451, 37.578, 37.579 - Deutsche Telekom AG), selon laquelle : seuls sont pris en compte les coûts et les revenus relatifs à l'abonnement : " dans le cadre de la méthode de calcul de l'effet de ciseau, il est également permis et judicieux d'un point de vue économique de considérer isolément les recettes réalisées par DT avec les tarifs d'accès et de ne pas tenir compte des recettes provenant des communications " (point 126).

Elle critique le moyen d'Orange d'une vente à perte comme également constitutif d'un abus de position dominante, d'une pratique de vente liée entre l'Offre RS et l'offre " classique ", lesquels sont deux produits distincts, selon les conditions de vente de l'offre RS et les mentions du portail internet, constitutives d'une pratique d'éviction abusive d'une entreprise dominante, que l'Avis de l'Autorité de la concurrence n° 10-A-13 du 14 juin 2010 dispose comme constitutive d'un abus de cette position dominante.

Orange conteste la démonstration, sur le prétendu marché de la téléphonie fixe limité aux résidences secondaires, voire aux Offres RS, de trois abus de position dominante distincts : une pratique de prédation, une pratique de ciseau tarifaire et de non- reproductibilité technique retenue par le tribunal et une pratique de vente liée.

L'existence d'un contrôle ex ante de la mise en œuvre d'une nouvelle offre tarifaire résidentielle par l'Arcep jusqu'en juillet 2007, puis d'une obligation de communication préalable à l'Autorité, n'exonère pas l'opérateur historique de son obligation de non- discrimination sur les marchés résidentiels de détail des communications, cette obligation dont la pertinence est réexaminée régulièrement, étant rappelée par la Décision n° 06-0840 en date du 28 septembre 2006, visée par l'appelante, et comprenant l'interdiction de pratiquer des couplages abusifs entre deux offres notamment s'ils constituent un obstacle à la commercialisation d'offres concurrentes.

Cette décision ajoute que, depuis l'arrivée de la VGAST, qui donne la possibilité aux opérateurs alternatifs de répliquer ce type d'offre, ce couplage n'est plus considéré comme abusif dès lors que son niveau tarifaire permet à un opérateur alternatif efficace de le répliquer en recouvrant ses coûts.

Cette même décision proscrit la pratique des tarifs d'éviction, définie comme "Une prestation qui n'est pas réplicable économiquement par des concurrents aussi efficaces que l'opérateur puissant ou par des concurrents raisonnablement efficaces. Les concurrents d'un opérateur pratiquant des prix d'éviction sont victimes d'un effet de ciseau tarifaire par lequel les coûts des prestations de gros sous-tendant la fourniture d'une prestation de détail sont trop élevés pour maintenir un espace économique viable ; ils sont alors expulsés du marché de détail, ou maintenus hors de ce marché."

En conséquence, dès lors qu'il est démontré par l'opérateur qu'il ne peut recouvrer ses coûts, ou que les coûts des prestations de gros sous-tendant la fourniture d'une prestation de détail sont trop élevés pour maintenir un espace économique viable, l'abus fautif, constitutif d'une faute civile, est établi.

Aux termes de la "Décision de l'Arcep n° 2014-1102 du 30 septembre 2014, portant sur la définition des marchés pertinents de l'accès au service téléphonique et du départ d'appel en position déterminée, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre", visée par l'intimée, l'obligation de non- discrimination prise application de l'article L. 38,I2° du CPCE, implique que " Orange s'assure du caractère reproductible de ses offres de détail, sur la base des produits de gros qu'il lui est imposé de fournir " (paragraphe IV. 2.6), et ce afin de ne pas avantager ses propres services de détail par les moyens qu'il lui fournit.

Il appartient dès lors à Orange, à compter de la Décision susmentionnée, de démontrer le respect de l'obligation qui lui est imposée, de faire la preuve qu'opérateur dominant, elle a permis à l'intimée de répliquer dans des conditions de concurrence loyales, à l'offre R, notamment dans la mise en œuvre des tarifs.

Ainsi, en vertu de son obligation de non-discrimination, Orange ne peut s'exonérer de son obligation en faisant supporter par l'Arcep les conséquences d'un éventuel abus de position dominante de sa part. L'opérateur dominant est tenu de mettre en œuvre les dispositifs nécessaires au respect de cette obligation, de sorte que l'absence de saisine par SFR de l'Autorité de régulation d'un différend avec Orange n'est pas exonératoire pour Orange ni fautif pour SFR, et l'absence de saisine par SFR de l'autorité de la concurrence est insusceptible de présenter un caractère fautif pesant sur l'intimée.

L'appelante ne peut valablement tirer la conclusion de l'absence de saisine de l'Autorité que l'objectif poursuivi par SFR n'a jamais été de réellement développer des offres visant les résidences secondaires, alors qu'elle est tenue par l'obligation de non-discrimination de prendre les mesures nécessaires, en saisissant l'Autorité d'une demande aux fins d'apporter à l'offre VGAST les évolutions nécessaires.

La méthodologie du test des ciseaux tarifaires est préconisée par la Décision n° 06-0840 en date du 28 septembre 2006 : elle est constituée lorsque les coûts des prestations de gros sous-tendant la fourniture d'une prestation de détail sont trop élevés pour maintenir un espace économique viable. La question qui se pose est celle de savoir si la prestation proposée par l'opérateur concurrent est économiquement viable pour ce dernier, et lui permet de demeurer sur le marché de la téléphonie.

L'argument d'une inscription en comptabilité d'une quote-part pleine des coûts VGA pour chaque ligne RS y compris lorsque celle-ci est partiellement active, laquelle génère toutefois de revenus, n'est pas un moyen suffisant pour s'opposer valablement à la prétention d'un abus de position dominante dans la mesure d'une démonstration par l'intimée de l'absence de caractère économiquement viable de l'offre RS dès lors que le payement de la redevance n'est pas suspendu.

C'est à bon droit que l'intimée fait valoir que soit le payement par la branche aval est réalisé et dans ce cas la vente au client final est réalisée à perte, ce qui constitue une pratique anti-concurrentielle de prédation soit le payement est suspendu par la branche aval au profit de la branche amont, ce qui constitue une pratique de ciseau tarifaire.

En tout état de cause, en refusant la suspension du payement de la redevance dans la proportion de la désactivation de l'offre RS, l'appelante réalise un acte fautif d'abus de position dominante.

Aux termes des dernières conclusions d'intimé, les calculs, valablement opérés à partir des seules offres RS et des données Orange fournies par l'appelante dans le cadre du test SSNIP démontrent que le revenu total escompté, à partir de chacune des offres de détail représentant le prix effectif de l'offre de détail (prix de l'offre de détail et suspensions dans le cadre de quatre suspensions annuelles)est inférieur aux coûts exposés par SFR ( redevance VGAST et coûts client), la marge de l'intimée étant systématiquement négative. Le contenu de l'Avis de l'Autorité de la concurrence n° 11-A-10 du 29 juin 2011 (non produit) portant sur la mise en place d'un tarif social permettant l'accès des personnes aux revenus modestes aux services Internet haut débit relatif est écarté l'avis intéressant un service d'accès internet, service distinct de la téléphonie résidentielle sans services associés. Le système de compensation, en commercialisant de manière profitable d'autres produits, n'est en tout état de cause pas une réponse valable pour échapper à la détermination d'une pratique illicite.

En ce qui concerne l'appelante, celle-ci commercialise effectivement et efficacement, au regard de ses parts de marchés, tant l'offre résidence principale que l'offre RS, qu'elle est seule à commercialiser depuis sa création.

L'appelante soutient vainement que SFR ne présente pas la qualité de "concurrent aussi efficace", c'est-à-dire un concurrent aussi efficace sur le marché, alors qu'il est constant, et qu'il résulte des écritures des parties que SFR est effectivement assujetti au payement de la redevance d'accès VGAST, laquelle est au cœur du litige.

L'appelante ne prend pas clairement position sur le payement effectif par elle-même du coût d'accès VGAST. Il résulte d'une pièce du 29 septembre 2010 intitulée "sur la réplicabilité de l'offre résidence secondaire (RS) de France Telecom" que le payement serait en réalité mentionné comme une inscription comptable, sans plus de précision.

En effet il résulte de ce document que, si l'offre RS est réplicable d'un point de vue technique, "les conditions de fourniture sont identiques pour FT et pour un opérateur alternatif", en revanche la question de la rentabilité pour un opérateur autre que Orange, n'est pas abordée. L'inscription en comptabilité n'est pas suffisante à établir la réalité du payement par la branche aval.

Cependant qu'il s'agisse d'une pratique de ciseau tarifaire, établie, ou d'une vente à perte, l'une et l'autre entrant dans la catégorie des pratiques anti-concurrentielles, l'empêchement de répliquer l'offre RS caractérise l'abus de position dominante sur le marché pertinent de la téléphonie résidentielle RS.

S'agissant de la prétention à des ventes liées entre l'offre résidence principale et l'offre RS, la simple référence aux sites internet de France Télécom, dont il n'est pas justifié du caractère contractuel, n'est pas suffisante à établir le caractère de vente couplée. Les conditions spécifiques ne permettent pas davantage de retenir l'existence d'un couplage.

Il en résulte que la prétention à la vente liée entraînant un abus de position dominante n'est pas établie.

En revanche sont constituées les pratiques de ciseaux tarifaires, de vente à perte, de sorte qu'est caractérisé par SFR l'abus de position dominante sur le marché pertinent de la téléphonie résidentielle RS interruptible depuis l'année 2010 jusqu'à l'année 2016.

4. Sur le lien de causalité :

Cet abus est constitutif d'une faute civile dont il appartient à la victime de démontrer le lien de causalité avec le préjudice.

SFR démontre suffisamment que l'absence de suspension du prix de la location sur le marché de gros, afin de permettre à SFR de répliquer valablement son offre sur le marché de détail, fait obstacle à la réplication de l'offre RS dans des conditions économiques viables, de sorte que le lien de causalité entre la faute et le préjudice subi est rapporté.

5. Sur le préjudice :

L'intimée a établi le montant du préjudice qu'elle soutient avoir subi, sur la base d'un scénario contrefactuel, retenu par le premier juge, qu'elle a repris et actualisé.

Formant appel incident, elle demande l'allocation de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice subi sur le marché des résidences principales à raison de l'impossibilité pour SFR de conquérir les clients de l'offre RS, demande rejetée par le tribunal, outre la condamnation à des intérêts indemnisant un préjudice lié à l'écoulement du temps selon la méthode du WACC.

S'agissant du point de départ de l'indemnisation, à savoir la période 2006- 2010, l'intimée soutient que le point de départ de l'infraction est le moment où Orange a commencé à commercialiser simultanément la VGAST et l'Offre RS, c'est-à-dire en 2006, ce qu'a jugé le tribunal, retenant qu'Orange avait proposé à ses concurrents (et pas seulement SFR) des conditions techniques et financières pour son offre VGAST alors que les tarifs de détail ne leur permettaient pas de commercialiser de manière profitable une offre similaire à l'Offre RS et sanctionnant ainsi une pratique de ciseau tarifaire.

Orange conclut qu'en l'absence de preuve de l'intimée de ce qu'elle a entendu vouloir lancer des offres interruptibles, l'abus, supposé, n'est intervenu qu'au cours de l'année 2010, en réponse à la demande de SFR du 21 avril 2010.

L'abus de position dominante n'a produit ses effets à l'égard de l'intimée en ce qu'il a constitué un dommage, qu'à partir du moment où l'opérateur a manifesté son intention de répliquer l'offre RS et que l'opérateur dominant n'a pas exécuté en retour son obligation de non-discrimination à l'égard de SFR en application à cet opérateur les mêmes moyens que ceux qu'il s'applique à lui -même, soit à compter de la demande faite par SFR par courrier du 21 avril 2010, la seule ouverture du marché à la concurrence n'étant pas à elle seule constitutive du préjudice.

En l'absence d'éléments nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal, le jugement est confirmé sur le montant des éléments représentant le calcul du préjudice sauf à dire que le préjudice est subi à ,compter de l'année 2010 jusqu'en 2013 et qu'il convient de rectifier l'erreur matérielle commise par le tribunal, soit la somme de 104,04 millions d'euros à laquelle est appliqué le taux de marge de 31 % du domaine d'activité de la téléphonie grand public, soit 32,25 millions d'euros.

S'agissant de la demande d'indemnisation du préjudice au titre des années 2014 à 2016, le calcul sera opéré sur des bases chiffrées similaires seulement actualisées, soit annuellement la somme de 20,7 millions d'euros à laquelle est appliqué le taux de marge de 31 %, soit 6,9 millions d'euros pendant trois ans ; il sera alloué la somme de 20,7 millions d'euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

C'est à bon droit que le tribunal a débouté SFR de la demande tendant à voir allouer des dommages et intérêts au titre d'un préjudice subi sur le marché des résidences principales en l'absence de preuve d'un lien de causalité avec le préjudice allégué, cette preuve n'étant pas davantage rapportée en cause d'appel sur le poste de préjudice de la perte de chance ou de manque à gagner.

Sur la demande d'actualisation du préjudice, en l'absence de preuve d'un préjudice spécifique provenant de l'indisponibilité des sommes allouées, l'intimée est déboutée de sa demande de condamnation au payement d'intérêts selon la méthode du WACC.

Par application de l'article 1231-7 du Code civil, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du jugement à mois que le juge n'en dispose autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.

Il s'ensuit que la condamnation prononcée au titre du préjudice subi de 2010 à 2013 porte intérêts au taux légal à compter du 12 février 2014.

Les condamnations allouées en cause d'appel portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement dont appel sauf en ce qu'il a jugé que France Telecom (Orange) a commis un abus de position dominante en liant l'Offre résidence secondaire et les offres résidences principales et sauf du montant des dommages et intérêts alloués ; Statuant à nouveau des chefs infirmés, Déboute la Société Française du Radiotéléphone de la demande aux fins de juger que Orange a commis un acte d'abus de position dominante en liant les offres résidences secondaires et les offres résidences principales ; Condamne la société Orange à payer à la Société Française du Radiotéléphone la somme de 32,25 millions d'euros au titre du préjudice subi de 2010 à 2013, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 février 2014 ; Ajoutant, Condamne la société Orange à payer à la Société Française du Radiotéléphone la somme de 20,7 millions d'euros au titre du préjudice subi de 2014 à 2016, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Déboute la Société Française du Radiotéléphone de plus amples demandes en matière de dommages et intérêts et d'intérêts ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Orange à payer à la Société Française du Radiotéléphone la somme de 40 000 euros ; Rejette toute demande autre ou plus ample ; Condamne la société Orange aux entiers dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.