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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 avril 2018, n° 14-14758

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lectiel (Sté), SCP Bes Ravise (ès qual.)

Défendeur :

Orange (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, Mme Comte

Avocats :

Me Lallement, Me Cohen, Me Guerre, Me Potot, Me Lesquins

T. com. Paris, du 5 janv. 1994

5 janvier 1994

FAITS ET PROCÉDURE

Il sera renvoyé, pour un exposé exhaustif des faits et de la procédure à l'arrêt de la cour de céans, du 27 mai 2015.

La société Filetech, aux droits de laquelle est venue la société Lectiel, faisant aujourd'hui l'objet d'une liquidation judiciaire, exerçait ses activités dans le secteur du marketing direct. Elle avait pour activité la constitution de fichiers de prospection destinés à la réalisation d'opérations de marketing direct, c'est-à-dire des opérations permettant de solliciter des prospects commerciaux par le moyen de courriers leur étant directement adressés (marketing direct adressé) ou par téléphone (télémarketing).

Pour fournir ses prestations, elle exploitait sa propre base de données, qui contenait environ 23 millions d'adresses et avait également recours aux informations de l'annuaire des abonnés au téléphone, géré en monopole par France Telecom.

En application de l'article R. 10-1 du Code des postes et des télécommunications, instaurant le droit pour les personnes physiques de demander que leurs informations nominatives de l'annuaire téléphonique ne soient pas diffusées à des fins commerciales, la société Lectiel devait, sous peine de sanctions pénales, radier de ses fichiers, constitués à partir de la base annuaire, le nom de ces personnes inscrites sur la liste orange, également gérée en monopole par France Telecom.

La société Filetech a donc, par courrier du 6 décembre 1991, mis en demeure la société France Telecom de lui remettre sous 48 heures la liste des personnes figurant sur cette liste en lui précisant : " notre intention est d'utiliser cette liste aux fins de déduplication avec l'ensemble de nos fichiers dans le but de ne pas adresser de sollicitations commerciales aux personnes inscrites dans la liste dite orange ". A la date du 23 décembre 1991, France Telecom a notifié son refus à la société Lectiel, au motif qu'elle n'avait pas le droit de communiquer cette liste à des tiers et lui a proposé d'utiliser un service télématique spécifique dénommé " Marketis ", spécialement créé pour les entreprises souhaitant utiliser les données de l'annuaire pour les besoins de leur développement commercial, dont les données étaient expurgées des informations concernant les personnes inscrites en liste orange. Mais la société Lectiel a exposé que les tarifs d'accès à cet annuaire étaient prohibitifs et lui interdisaient d'exercer son activité de constitution de fichiers de prospection.

Le 7 avril 1992, la société Filetech a protesté contre le refus de France Telecom, puis a saisi le juge des référés, le 26 octobre 1992, afin d'obtenir la remise sous astreinte de la liste orange. Elle a été déboutée par ordonnance du 10 novembre 1992. Par acte du 17 novembre 1992, elle a alors assigné France Telecom au fond devant le Tribunal de commerce de Paris pour abus de position dominante, afin qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de lui remettre le fichier des abonnés au téléphone expurgé de la liste orange, soit gratuitement, soit au coût d'utilisation de l'annuaire électronique du " 11 " et de lui allouer 50 millions de francs à titre de dommages-intérêts.

Parallèlement, elle a sollicité du Conseil de la concurrence des mesures conservatoires tendant aux mêmes fins, demande qui a été rejetée par décision du 15 décembre 1992.

Pour obtenir les données du fichier des abonnés au téléphone, la société Filetech avait loué 110 lignes auprès de la société France Telecom et branché des minitels chargés d'interroger la base de données pour récupérer les informations dont elle avait besoin. Les trois premières minutes de téléchargement étaient gratuites, puis les minutes suivantes étaient facturées au prix de 0,37 francs TTC.

Dans le jugement présentement entrepris, le tribunal de commerce a estimé le refus de France Telecom licite, puisqu'il résultait de l'article 10 du Code des postes et télécommunications une interdiction pour France Telecom de fournir le nom des abonnés qui avaient demandé à figurer sur la liste orange. Il a également rejeté la demande reconventionnelle de France Telecom, qui soutenait que la pratique de téléchargement de Filetech constituait une reproduction illicite et un acte de commerce déloyal et parasitaire.

Les pratiques ont ensuite été sanctionnées par le Conseil de la concurrence, qui, saisi le 17 novembre 1992 par la société Filetech, a estimé, dans une décision n° 98-D-60 du 29 septembre 1998, confirmée par un arrêt du 29 juin 1999 de la Cour d'appel de Paris, qu'il existait un marché des fichiers de prospection, sur lequel France Telecom et la société Filetech étaient en concurrence. Il a, par ailleurs, estimé qu'il existait un marché de la liste des abonnés au téléphone tenue par France Telecom, qui regroupait l'ensemble des abonnés et des utilisateurs du téléphone, soit près de 30 millions d'adresses de personnes physiques ou morales, ainsi que le marquage des abonnés inscrits en liste rouge, orange et safran, chacune de ces listes constituant un sous fichier de la base annuaire et cette liste étant, par ailleurs, mise à jour quotidiennement quasiment en temps réel. Sur ce marché, le Conseil a relevé que France Telecom était en position de monopole, étant le seul à détenir, par l'exercice de ses missions de service public, l'ensemble des informations sur ses abonnés. Le Conseil a souligné que la liste des abonnés au téléphone, qui constituait pour les opérateurs ayant recours au marketing direct une ressource unique, n'était exploitable qu'à la condition d'être expurgée des noms inscrits en liste orange. Il a ensuite constaté que la seule solution pour les opérateurs de marketing direct d'obtenir les informations nécessaires pour expurger leurs fichiers des noms de la liste orange était d'utiliser le service Marketis de France Telecom, qui fournissait à titre onéreux des listes d'adresses préalablement expurgées par l'opérateur public des noms de la liste orange. Or, le tarif d'accès au service Marketis était, selon le Conseil, sans rapport avec le coût de la prestation effectivement demandée. Par ailleurs, France Telecom commercialisait sous la marque Téléadresse des fichiers qu'elle vendait à un tarif équivalent au tarif d'accès à Marketis. C'est ainsi que, alors que le service Marketis facturait 0,30 € par adresse, pour des " prestations de gros ", France Telecom proposait le service Téléadresse qui fournissait des produits " clés en main " au prix de 0,30 € par adresse.

Le Conseil de la concurrence a estimé que France Télécom avait commis un abus de position dominante, en commercialisant son service Marketis à des prix prohibitifs et en ne s'imputant pas, en interne, des charges d'accès à cette liste équivalentes à celles que supportaient les autres utilisateurs. Il a également qualifié ces pratiques en droit de la concurrence de l'Union, relevant que ces pratiques revêtaient une gravité particulière, dans la mesure où elles avaient pour objet et pu avoir pour effet d'empêcher systématiquement et durablement l'entrée de concurrents sur le marché des fichiers de prospection et que ces pratiques avaient pu avoir pour effet de faire obstacle au développement du progrès technique sur le marché des fichiers de prospection. La Cour d'appel de Paris a confirmé cette décision dans un arrêt du 29 juin 1999, mais a modifié l'injonction imposée par le Conseil à France Télécom. La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 décembre 2001, s'est référée à la théorie des infrastructures essentielles, en considérant que France Télécom était la seule en mesure de fournir aux opérateurs la liste des abonnés au téléphone, tenue à jour et expurgée des noms des personnes figurant en liste orange ou safran et que la liste des abonnés au téléphone ainsi expurgée constituait une ressource essentielle pour les opérateurs intervenant sur le marché des fichiers de prospection. Elle a approuvé la Cour d'appel d'avoir jugé, sans examiner le critère du produit nouveau et de l'élimination de la concurrence sur le marché, que les conditions tarifaires mises en œuvre par France Télécom étaient de nature à fermer l'accès à la ressource de la liste des abonnés au téléphone nécessaire à l'établissement des listes de prospection.

La procédure commerciale concernant Lectiel

La procédure commerciale a repris après la procédure devant les autorités de concurrence.

La société Lectiel a fait appel du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 5 janvier 1994 et a demandé à la cour d'ordonner à France Telecom de lui fournir, sous astreinte, les informations figurant dans la base annuaire, à des conditions financières transparentes, objectives et non discriminatoires, à un prix correspondant aux seuls coûts techniques de transfert de ces données sur un support.

La société Lectiel sollicitait devant la cour d'appel la condamnation de France Télécom au paiement d'une somme de 375,742 millions d'euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, au titre de l'abus de position dominante et du non-respect de l'injonction. La cour d'appel, dans un arrêt du 30 septembre 2008, après avoir considéré comme définitivement tranchée la question de l'abus de position dominante de France Télécom, a refusé de considérer que France Télécom aurait commis une faute, en s'abstenant d'obtempérer aux injonctions exécutoires du Conseil de la concurrence d'appliquer une tarification orientée vers les coûts jusqu'en décembre 2003. Selon la cour, France Télécom ignorait quels coûts devaient être pris en compte avant la décision du Conseil du 26 juin 2002 n° 03-D-63, relative au respect d'injonctions. Aucune indemnisation n'a donc été allouée à Lectiel. Mais, la cour a fait droit à la demande reconventionnelle de France Télécom et jugé que France Telecom pouvait se prévaloir d'un droit de propriété intellectuelle sur sa base de données annuaire, tant sur le fondement des dispositions du livre premier que sur celui des articles L.341 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et qu'il y avait lieu de faire droit à la demande de France Télécom d'interdire à la société Lectiel tout acte d'extraction de ses bases de données effectué sans rémunération de ses droits d'auteur et de producteur de base de données, sous astreinte. Elle a condamné la société Lectiel à réparer le préjudice résultant pour l'opérateur historique des extractions illicites et non rémunérées de Lectiel, soit le manque à gagner évalué par France Télécom à 3,870 millions d'euros.

La société Lectiel a été placée en redressement par jugement du Tribunal de commerce de Fort-de-France du 17 avril 2001. Le 12 septembre 2008, après avoir donné son fonds de commerce en location-gérance à la société Group/Adresse au 1er septembre 1998, la société Lectiel en a repris l'exploitation et a présenté un plan de continuation. Cependant, à la suite de l'arrêt rendu le 30 septembre 2008 par la Cour d'appel de Paris, le plan de continuation a été résolu et elle a été automatiquement placée en liquidation judiciaire.

Dans un arrêt du 23 mars 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé l'arrêt de la cour d'appel en ce qu'il avait reconnu à France Télécom un droit sui generis sur la base de données constituée à partir des informations résultant de l'annuaire et enrichies par elle et lui avait alloué des dommages-intérêts pour téléchargement illicite (extraction non autorisée des données de la part de Lectiel). Mais elle a cassé l'arrêt en ce qu'il avait rejeté la demande d'indemnisation de Lectiel du préjudice résultant de l'abus de position dominante de France Télécom.

Par un arrêt du 27 juin 2012, la Cour d'appel de Paris a estimé que la société Lectiel et la société Groupadress, représentées par leurs mandataires liquidateurs respectifs, ne démontraient pas leur préjudice puisque que ces sociétés avaient pratiqué un téléchargement illicite leur permettant d'acquérir les informations litigieuses et que, dès lors, la circonstance que France Telecom leur en ait fourni l'accès à des tarifs prohibitifs était indifférente. Dans son dernier arrêt du 3 juin 2014, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel, jugeant que la cour d'appel ne pouvait écarter la réparation du préjudice résultant des pratiques anticoncurrentielles en prétendant que les sociétés plaignantes avaient procédé à un téléchargement illicite. La cour estime " qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter le préjudice allégué incluant la perte de chance de se développer à moindre coût sur le marché grâce à la fourniture de fichiers de prospection expurgés des noms des adhérents à la liste orange, la cour d'appel a violé les textes susvisés ".

LA COUR

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 5 janvier 1994, qui a débouté la société Filetech de ses demandes, et la société France Telecom de ses demandes reconventionnelles'

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 septembre 2008 ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2010, qui a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement ayant rejeté la demande de dommages-intérêts formée par les sociétés Lectiel et Groupadress à l'encontre de la société France Telecom, l'arrêt rendu le 30 septembre 2008, entre les parties, et remis sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt ;

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 27 juin 2012, sur renvoi après cassation, qui confirme le jugement et rejette le surplus des demandes ;

Vu l'arrêt du 3 juin 2014, par lequel la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 27 juin 2012, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du 5 janvier 1994, il a rejeté les demandes de dommages-intérêts de la société Filetech, aux droits de laquelle se trouve la société Lectiel, à l'encontre de la société France Télécom à raison du préjudice subi du fait de pratiques anticoncurrentielles, et remis en conséquence la cause et les parties devant la cour d'appel autrement composée ;

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 27 mai 2015, qui a :

- infirmé le jugement entrepris,

- rappelé que la Cour d'appel de Paris avait condamné la société Lectiel à payer à France Telecom la somme de 3 870 000 € à titre de dommages intérêts au titre du téléchargement illicite,

- dit que la société Orange (aux droits de France Télécom) s'était rendue responsable d'un abus de position dominante anticoncurrentiel et d'un non-respect d'injonction, pratiques contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce, 102 du TFUE et L. 464-2, I du Code de commerce,

- dit que ces pratiques constituaient des fautes civiles de la société Orange,

- rejeté la demande en réparation de la société B.-R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, concernant le non-respect d'injonction, cette société ayant donné son fonds en location gérance de 1999 à 2002,

- rejeté la demande en réparation de la société B.-R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, concernant les tarifs postérieurs à 2002, faute d'éléments probants,

- fait droit à la demande de réparation de la société B.-R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, concernant la pratique d'abus de position dominante de la société France Télécom, du 6 décembre 1991 à août 1998,

- avant-dire-droit sur l'évaluation du préjudice subi,

- ordonné une mesure d'expertise judiciaire et commis pour y procéder : Monsieur Maurice N., avec pour mission d'évaluer le préjudice subi par la société Lectiel, du 6 décembre 1991 à août 1998, du fait de l'abus de position dominante commis par la société France Télécom ;

Vu la désignation de Monsieur B., aux lieu et place de M. N. par ordonnance du 3 juillet 2015 ;

Vu le dépôt du rapport le 4 juillet 2017 ;

Vu le calendrier de procédure du 15 septembre 2017, fixant au 30 octobre 2017 le délai de l'appelante pour conclure, et au 30 janvier 2018 celui de l'intimée ;

Vu les conclusions de la société B. R. du 6 novembre 2017, ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- condamner Orange à lui payer la somme de 307 029 000 € en réparation, toutes causes confondues, du préjudice subi, à titre de dommages-intérêts, montant à majorer des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- à titre subsidiaire, si la cour venait à ne pas faire droit à sa demande, la société Lectiel demande à ce que le calcul du préjudice soit celui du rapport d'expertise du 27 juin 2017, et de condamner Orange à payer à la société B. R., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Lectiel, la somme de 6 359 000 € au titre de réparation toutes causes confondues du préjudice subi, à titre de dommages-intérêts, montant à majorer des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Orange à verser à la société Lectiel la somme de 100 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 13 février 2018 de la société Orange dans lesquelles elle demande à la cour de :

- juger les demandes de la société B. R., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Lectiel infondées,

- l'en débouter intégralement,

- juger que le préjudice réparable de la société Lectiel, avant actualisation financière, ne saurait dépasser 694 600 €, soit 1 270 296 € après actualisation,

- subsidiairement juger que le préjudice réparable de la société Lectiel est de 1 380 000 € avant actualisation, soit 2 543 000 € après actualisation financière,

- plus subsidiairement encore, homologuer les conclusions du rapport d'expertise de Monsieur Thierry B. du 27 juin 2017,

- dire et juger que chacune des parties conservera à sa charge ses frais et dépens et supportera pour moitié les frais d'expertise ;

SUR CE

Sur l'incident de procédure

Par conclusions en ouverture de rapport portant demande de révocation de clôture de la société B. R., ès-qualités, du 27 février 2018, l'appelant demande à la cour de révoquer l'ordonnance de clôture du 20 février 2018, la société Orange s'y opposant par conclusions du 8 mars 2018.

En l'absence de cause grave au sens de l'article 784 du Code de procédure civile, cette demande sera rejetée.

Sur la faute de la société Orange (aux droits de France Télécom)

La cour renvoie, sur ce point, à la motivation de son arrêt du 27 mai 2015.

Le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a débouté la société Lectiel de sa demande tendant à voir reconnaître le caractère anticoncurrentiel de la pratique consistant, pour France Télécom, à " contrain(dre) (') les entreprises concurrentes du secteur privé à utiliser à des conditions prohibitives ses propres services, sous menace des sanctions applicables par la loi ".

La société Orange, qui vient aux droits de France Télécom, a donc commis un abus de position dominante, constitutif d'une faute civile, au préjudice de la société Lectiel.

La société Lectiel a subi un préjudice pour les activités de marketing direct, qui nécessitent l'utilisation de données expurgées de la liste orange, à savoir les activités de marketing direct adressé (MDA) et les activités de marketing ou phoning. En effet, la société Lectiel a pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant par l'usage d'adresses, à savoir les imprimés sans adresses (ISA), mais également la publicité mass media et les bases de données, grâce au téléchargement de la base annuaire non expurgée. Ainsi, seuls les bénéfices perdus sur le marketing direct adressé (MDA) et le télémarketing seront pris en compte.

Sur le préjudice de la société Lectiel

Les parties s'accordent sur la qualification du préjudice comme " perte de chance ", à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation, qui a souligné " la perte de chance (de Lectiel) de se développer à moindre coût sur le marché grâce à la fourniture de fichiers de prospection expurgés des noms des adhérents à la liste orange ".

La perte de chance de la société Lectiel a été évaluée par l'expert judiciaire, en comparant la marge qui aurait pu être réalisée par Lectiel en l'absence d'infraction (ou dans un scénario " contrefactuel ") sur le marché affecté, à savoir le segment de la location et de la vente d'adresses utilisées par des opérateurs de marketing, à des fins de mailing (courriers adressés) et de télémarketing, avec la marge effectivement réalisée, pendant la période délimitée du 6 décembre 1991 au 31 août 1998.

Il y a lieu d'approuver cette méthode, exposée en page 20 du rapport, qui n'est au demeurant pas discutée dans son principe par les deux parties.

Sur l'évaluation du chiffre d'affaires effectivement réalisé par la société Lectiel sur le marché de 1991 à 1998

Sur le chiffre d'affaires réalisé sur le segment de l'activité de location d'adresses et de vente d'adresses à des fins de marketing direct adressé et téléphonique

L'expert a évalué ce marché de commercialisation d'adresses à des fins de marketing direct et télémarketing de début décembre 1991 à août 1998 à 1 979,7 millions d'€ (page 25). Il s'est basé sur l'étude de l'Union Française du Marketing Direct (UFMD) qui réalise chaque année une évaluation du volume des envois de mailings publicitaires adressés, soit le nombre d'adresses, et des prix unitaires des adresses.

La société Lectiel conteste que l'expert se soit fondé sur les statistiques établies par l'UFMD sur le prix de cession de l'adresse, alors qu'il aurait fallu, selon elle, distinguer le prix de vente d'adresses, qui est plus élevé que la location d'adresses. Elle soutient que la vente est faite à un prix représentant 4,25 fois le prix de la location.

Mais comme le souligne l'expert, Lectiel ne justifie aucune de ses hypothèses sur la proportion et le coût de vente des adresses au lieu de leur location, tant sur le marché dans son ensemble que dans son propre chiffre d'affaires. Elle n'a pas même produit une seule facture de vente de ses propres adresses.

Par ailleurs, l'étude de l'UFMD a calculé le nombre de transactions en divisant le chiffre d'affaires global du secteur par le nombre de messages diffusés, chaque message présupposant la location auprès des détenteurs d'adresse. De ce point de vue, la distinction entre vente et location d'une adresse n'a pas d'effets sur cette mesure, car la vente d'une adresse revient à la cession d'un droit d'usage permanent sur la donnée correspondante et le prix de la vente se divise en un nombre moyen d'usages d'adresses, dont le coût unitaire équivaut au coût de la location. Les statistiques établies par l'UFMD sur le prix de cession de l'adresse reposent ainsi sur une moyenne pondérée des adresses louées et vendues.

Il y a donc lieu de retenir l'évaluation du marché de l'expert, soit la somme de 1 979,7 millions d'€.

Sur le chiffre d'affaires réalisé par la seule société Lectiel sur ce marché pendant la même période

Ce chiffre d'affaires a été évalué à la somme de 23,152 millions d'euros par l'expert. La part de marché moyenne de la société Lectiel sur la période du préjudice s'élève donc à 1,2 %, selon le rapport d'expertise, qui souligne que cette part de marché était en progression constante durant la période du préjudice : " ce tableau fait apparaître la société comme un acteur dynamique, générant des progressions d'activité comprises entre 9 et 33 % par an et gagnant des parts de marché sur ses concurrents ".

La société appelante prétend que sa part réelle était de 32,620 millions d'euros.

La société Orange expose que le chiffre retenu par l'expert ne peut constituer qu'un maximum, car :

- le chiffre d'affaires spécifiquement réalisé auprès d'opérateurs pratiquant le marketing direct adressé n'a pas pu être évalué ; or, l'activité consistant en envoi de plis non adressés représentait une part importante du marché,

- Lectiel a revendiqué une activité de vente d'adresses à des éditeurs d'annuaires et de cession de la base annuaire à des opérateurs étrangers, qui n'a pas été défalquée de ce montant, alors que ces activités n'étaient aucunement affectées par le défaut d'accès à la liste orange ; or, il résulte de données extraites du rapport EKM, produit par Lectiel, qu'en 1999, soit dans la période immédiatement postérieure à la période sous référence, 70 % du chiffre d'affaires de fourniture d'adresses était composé de fournitures liées à l'annuaire universel ; Lectiel a dissimulé qu'une partie importante de son activité de commercialisation d'adresses n'était pas destinée aux opérateurs du marketing direct, mais aux éditeurs d'annuaires et de services de renseignement téléphonique.

Mais l'expert souligne que la société Lectiel n'a fourni aucun élément permettant le calcul de la répartition de son chiffre d'affaires entre ses diverses activités, la fourniture d'adresses pour le mailing et le télémarketing ne constituant qu'une partie de celui-ci. La cour remarque qu'elle ne communique pas davantage d'éléments devant elle.

En cette absence, les chiffres les moins favorables de la société Lectiel seront retenus à son encontre.

L'expert s'est donc, à juste titre, fondé sur le rapport EKM présenté par Lectiel en 2006, plutôt que sur les dires n° 4 de Lectiel de 2017, évaluant cette part à 32,6 millions d'euros, sans d'ailleurs en justifier davantage.

Par ailleurs, si une étude de la société GBC réalisée en 1998 pour La Poste (communiquée par Orange), évalue la part de la fourniture d'adresses par Lectiel à 30 % de son chiffre d'affaires (rapport, p. 27/49), l'expert a, à juste raison, écarté cette répartition, car elle est légèrement postérieure à la période du préjudice et ne peut donc servir de base utile à l'évaluation demandée.

De même, il y a lieu d'écarter comme postérieure à la période examinée, l'annexe 12.2 du rapport du cabinet EKM (pièce Orange n° 63) qui atteste qu'en 1999, la commercialisation d'adresses pour l'annuaire universel représentait 68,55 % de l'activité de la société Lectiel.

La cour évalue donc la part de marché de la société Lectiel au moment des faits à la somme de 23,152 millions d'euros.

Sur le scénario contrefactuel

L'expert s'est ensuite livré à une évaluation du marché concerné dans la situation hypothétique (scénario contrefactuel) d'absence de pratiques anticoncurrentielles. Il a retenu comme hypothèse que, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles, à savoir sur la base d'une diffusion de la base de données de l'annuaire, les prix auraient baissé de 15 % et les volumes auraient augmenté en moyenne de 27 %. En l'absence d'abus, le marché concerné aurait donc connu une croissance de 7,95 % (arrondi à 8 %).

L'expert a exposé qu'il ne disposait pas d'assez d'éléments pour quantifier le chiffre d'affaires hypothétique qu'aurait détenu la société Lectiel dans cette hypothèse. Il a en effet estimé que les hypothèses avancées par les parties ne tenaient pas suffisamment compte des nouveaux acteurs susceptibles d'entrer sur le marché en concurrence avec Lectiel. Il a donc évalué l'impact du préjudice comme une perte de chance de ne pas avoir réalisé un chiffre d'affaires supérieur de 30 % au chiffre d'affaires constaté dans la situation de préjudice, l'impact sur le chiffre d'affaires de Lectiel sur la période s'élevant ainsi à la somme de 6,946 millions d'euros. L'expert précise en réponse à un dire d'Orange, que ce pourcentage prend en compte la pondération liée aux probabilités pour Lectiel d'atteindre différents niveaux de chiffre d'affaires dans un marché ouvert à la concurrence. Il souligne que cette proposition permet de lisser dans le temps l'impact des nouvelles opportunités offertes à Lectiel lors de l'ouverture des données de la base annuaire au marché et de tenir compte de la forte dynamique de développement de la société.

L'évaluation de la société Lectiel porte à 161 millions le chiffre d'affaires perdu par elle, prétendant que sa part de marché sur le marché ouvert aurait été de 7,5 %.

La société Orange se rallie à la proposition du rapport d'expertise qui évalue le chiffre d'affaires potentiel de Lectiel en situation de marché " ouvert ", à un niveau supérieur de 30 %, sur toute la période concernée, à son chiffre d'affaires réel. Elle souligne toutefois qu'outre le point de désaccord, en amont, sur la taille effective du chiffre d'affaires initial de Lectiel consacré à la commercialisation d'adresses pour le marketing adressé, majorée par la non prise en compte de l'activité annuaire, elle est en désaccord sur le taux de marge applicable au chiffre d'affaires manqué (voir ci-dessous).

La cour valide les conclusions de l'expert qui a, à juste raison, écarté la demande de la société Lectiel. En effet, l'hypothèse retenue par Lectiel d'une part de marché passant de 1,2 % en marché fermé à 7,5 % sur un marché " ouvert ", qui aurait correspondu à une multiplication par 10 du niveau de son activité en 1992, n'est " pas économiquement plausible " sur un marché, qui, supposé ouvert, aurait été majoré de 8 %. L'ouverture du marché n'aurait pas profité qu'à la seule société Lectiel, mais également aux autres intervenants du secteur, une dizaine d'autres opérateurs ayant été identifiés comme concurrents potentiels.

La perte de chance de Lectiel de réaliser un chiffre d'affaire sur un marché ouvert est donc évaluée par la cour à la somme de 6,946 millions d'euros, chiffre retenu par l'expert judiciaire.

Sur le taux de marge

La société Lectiel propose de retenir une fourchette de marge comprise entre 85 et 95 %, tandis que l'expert retient un taux de marge nette sur chiffre d'affaires de 50 %, excluant les coûts d'acquisition des données annuaires, au motif qu'il s'agirait de coûts fixes.

Selon la société Orange, la société Lectiel minimise les charges déductibles du chiffre d'affaires additionnel qu'elle aurait perçues, en l'absence de pratiques, ce qui conduit à majorer son taux de marge. Elle n'intègre pas aux charges exposées dans le scénario contrefactuel les coûts d'acquisition des données annuaires au tarif normatif, partiellement compensés par la disparition des coûts spécifiques au téléchargement non autorisé de la base annuaire.

Le rétablissement de la société Lectiel dans sa situation antérieure conduit à rechercher quel est le chiffre d'affaires dont elle a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité. La question posée est donc la détermination, in concreto, des frais qui n'ont pas été engagés ou qui ont été " évités " pendant la période concernée, c'est à dire celle pendant laquelle le chiffre d'affaires a été perdu du fait de la pratique anticoncurrentielle de France Télécom, de décembre 1991 à août 1998, comme le rappelle la note de Sorgem Evaluation (Pièce n° 66). Il appartient au demandeur d'apporter les justifications et analyses pertinentes pour calculer cette marge. Pour quantifier le préjudice, il convient donc d'établir le chiffre d'affaires réalisable en l'absence d'infraction, diminué de l'ensemble des charges qui en sont la contrepartie.

La cour approuve l'expert d'avoir, en page 42 de son rapport, à juste titre écarté le taux de 88,7 % avancé par la société Lectiel, soulignant la " carence de production de pièces comptables et analytiques suffisantes pour conduire une analyse justifiée ".

En effet, le rapport reproduit en page 40, un tableau, produit par Lectiel, de répartition des charges liées à l'activité de commercialisation d'adresses sur les exercices 1994, 1995 et 1996, 100 % de l'activité étant affectée à la commercialisation d'adresses pour les deux premières années, et 50,9 % seulement pour l'année 1996, à la suite de l'apparition d'activités nouvelles.

Or, de 1995 à 1996, période qui marque la diversification d'activités de la société Lectiel, l'EBE (excédent brut d'exploitation) des activités de commercialisation d'adresses passe de 299 000 euros à 3 038 000 euros, et le taux d'EBE de ces activités de 8,35 % à 64, 86 %, sans que Lectiel explique cette brusque augmentation par un changement dans les conditions d'exercice de celles-ci, de sorte que ces chiffres, incohérents, ne peuvent servir de base pour calculer le taux de marge hypothétique qu'aurait perçu Lectiel en l'absence d'infraction.

De plus, la cour ne peut approuver l'assertion de la société Lectiel, selon laquelle les coûts d'accès à la base annuaire expurgée de France Télécom constitueraient des coûts fixes, dont elle se serait acquittée une fois pour toute en début de période.

En effet, les conditions d'accès à la ressource de base annuaire dans le scénario contrefactuel auraient été différentes de celles observées en situation réelle : pour accéder à des listes d'annuaires expurgées des inscriptions en liste orange, Lectiel aurait dû acquérir aux conditions légales, définies à la suite de la décision du Conseil de la concurrence, un droit d'usage de la base comportant la liste orange et les mises à jour périodiques. Elle ne peut donc se baser sur sa situation réelle, dans laquelle elle a acquis la base annuaire non expurgée, en la téléchargeant illégalement une fois pour toute, puis en se contentant de mises à jour.

Or, selon les tarifs adoptés par France Télécom à la suite de la décision du Conseil de la concurrence, le coût de la licence dépendait des volumes d'adresses rediffusées. Les coûts d'acquisition de ces données ne peuvent donc qu'être considérés comme des coûts variables à intégrer avec les autres coûts variables de Lectiel, en déduction de son chiffre d'affaires hypothétique.

La société Lectiel, qui conteste cette prise en compte et qui supporte la charge de la preuve, ne démontre pas que ces charges ne varieraient pas en fonction des quantités d'adresses vendues et ne constitueraient pas des charges variables. Au contraire, les éléments transmis à la cour établissent que l'acquisition légale de la base annuaire aux conditions validées par les autorités après 2003 se faisait à un prix qui dépendait du nombre d'adresses rediffusées. Selon l'offre de mars 2004, le prix était de 200 000 € pour 10 millions d'adresses rediffusées, + 0,01 € par adresse rediffusée au-delà de 10 millions.

Il en résulte que les conditions d'accès dans des conditions réglementaires aux listes expurgées des inscriptions en liste orange constituent des charges qui auraient été supportées en l'absence de l'abus de position dominante d'Orange et qui ont été évitées pendant la période infractionnelle. Il convient donc de prendre ces charges en compte comme coûts évités pour le calcul du taux de marge dans le cadre du scénario contrefactuel, au côté des autres charges associées à l'activité.

La cour approuve à cet égard les conclusions du cabinet Smallworlds (pièce n° 64 de Orange) qui a ainsi reconstitué, pour la société Orange, le compte d'exploitation de Lectiel dans le scenario contrefactuel, avec un chiffre d'affaires majoré de 30 %, ainsi que le retient l'expert, avec acquisition des données annuaires dans les conditions légales au tarif normatif, accompagnée de la disparition des charges spécifiquement liées au téléchargement illicite de la base annuaire. Il ressort de cette simulation, que le taux d'EBE sur le chiffre d'affaire additionnel de Lectiel est de 19,41 %, et ne peut être significativement supérieur à 20 %.

La fiabilité et la cohérence de ce calcul sont confirmées par le fichier extrait par la société Orange du fichier SUSE de l'INSEE, aux termes duquel le taux moyen d'EBE dans la valeur ajoutée des opérateurs du secteur était, en 2008 (plus ancienne donnée de référence disponible), de 18,9 % pour l'activité de traitement de données et de 24,4 % pour l'activité de gestion de bases de données.

Il y a lieu également de tenir compte de la probabilité de réalisation de la chance perdue qui est nécessairement inférieure à 1.

Compte tenu de tous ces éléments, le chiffre de 20 % sera retenu par la cour comme estimation du taux de marge sur coûts variable de la société Lectiel.

Sur le préjudice avant actualisation financière

Si l'expert a évalué le préjudice lié à l'abus de position dominante de France Telecom à 3,473 millions d'euros avant actualisation financière, sur la base d'un taux de marge de 50 %, il a également calculé le préjudice sur la base d'un taux de 20 %, soit la somme de 1,389 million d'euros.

Ce chiffre sera retenu par la cour, qui n'est par ailleurs pas utilement discuté.

Sur l'impact financier actualisé du préjudice

La société Orange ne conteste pas que la perte de chance résultant de l'indisponibilité du capital doit être évaluée, comme l'a fait l'expert, en appliquant le taux d'intérêt légal à la somme dont l'entreprise a été privée.

La cour rappelle que la réparation intégrale du préjudice doit inclure la compensation des effets négatifs résultant de l'écoulement du temps depuis la survenance du préjudice causé par l'infraction, à savoir l'érosion monétaire, mais également la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l'indisponibilité du capital.

En effet, le préjudice tenant à l'indisponibilité du capital est distinct de celui résultant de l'érosion du capital. Le dommage subi par une entreprise continue à produire un effet dès lors que, dans l'attente de son indemnisation, l'entreprise concernée reste privée de la trésorerie dont elle aurait disposé en l'absence de faits dommageables.

Au 30 juin 2017, le préjudice actualisé s'élève, selon l'expert, à 2, 543 millions d'€ (sur la base retenue de 1,389 million d'euros).

La société Orange sera donc condamnée à payer à la société B. R., ès-qualités, la somme de 2, 543 millions d'€, majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur l'exclusion de la prétendue " période de reconquête "

La société Lectiel demande l'allocation d'une somme de 162 millions pour la " reconquête " du marché.

La société Orange réplique que la demande de Lectiel sur ce point a déjà été rejetée par l'arrêt de la cour du 27 mai 2015 et que la société Lectiel ayant donné son fonds de commerce en location gérance à la fin de la période de préjudice, seule la société qui lui a succédé, absente à la cause, aurait pu subir un préjudice lié à la période de reconquête.

Cette demande relative à la " reconquête du marché " n'est pas précise et la cour ne sait pas s'il s'agit des coûts de publicité et de prospection nécessaires pour se relancer sur le marché concerné ou s'il s'agit des effets toujours sensibles de la pratique, bien après la période infractionnelle retenue. Or, la société Lectiel n'a pas été présente sur le marché de 1998 à 2008. En tout état de cause, à supposer ce préjudice subi en 2008, il aurait fallu démontrer, ce qui n'est pas le cas, que la conquête directe d'un client aurait été moins coûteuse pendant la période 91-98 que pendant la période postérieure, et dans quelle proportion.

Aucune précision n'est davantage donnée sur le mode de calcul des dommages-intérêts et aucune pièce ne vient étayer cette demande, de sorte que la cour rejette cette demande, faute d'éléments suffisamment probants.

Sur le remboursement des frais d'accès à la base annuaire non expurgée

La société B. R. demande le remboursement de ces frais, mais ne démontre pas le lien de causalité entre ceux-ci et la faute d'Orange, car elle a toujours souligné que cet accès ne constituait pas une alternative à l'accès à la base expurgée et donc ne représentait pas une voie de contournement pour accéder au marché litigieux.

Grâce à cette base annuaire expurgée en effet, la société Lectiel a pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant par l'usage d'adresses, à savoir les imprimés sans adresses (ISA), mais également la publicité mass media et les bases de données, mais pas les activités concernées, concernant la mise à disposition d'adresses pour les imprimés adressés et le phoning. Ce moyen ne constituait donc pas une solution alternative, mais lui a permis de se développer sur d'autres marchés connexes.

Dès lors, il convient de la débouter de cette demande, faute de lien de causalité direct entre ces frais et la faute d'Orange.

Sur les honoraires et frais d'avocat durant la procédure

Si la société appelante demande l'allocation de la somme de 2,68 millions au titre de ses frais, elle n'en apporte aucun justificatif, de sorte que cette demande sera également rejetée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Orange succombant au principal, supportera les dépens de première instance et d'appel, et sera condamnée à payer à la société B. R., ès-qualités, la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, La Cour, Rejette la demande de la société B. R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, de révocation de l'ordonnance de clôture et rejette les conclusions subséquentes de cette société Infirme le jugement entrepris, Rappelle que la Cour d'appel de Paris avait condamné la société Lectiel à payer à France Telecom la somme de 3 870 000 € à titre de dommages intérêts au titre du téléchargement illicite, Dit que la société Orange (aux droits de France Télécom) s'était rendue responsable d'un abus de position dominante anticoncurrentiel et d'un non-respect d'injonction, pratiques contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, Dit que ces pratiques constituaient des fautes civiles de la société Orange, Rejette la demande en réparation de la société B.-R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, concernant le non-respect d'injonction, cette société ayant donné son fonds en location gérance de 1999 à 2002, Rejette la demande en réparation de la société B.-R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, concernant les tarifs postérieurs à 2002, faute d'éléments probants, Fait droit à la demande de réparation de la société B.-R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, concernant la pratique d'abus de position dominante de la société France Télécom, du 6 décembre 1991 à août 1998, Condamne la société Orange à payer à la société B. R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, la somme de 2, 543 millions d'€, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, La déboute du surplus de ses demandes, Condamne la société Orange aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société B. R., ès-qualités de liquidateur de la société Lectiel, la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que cette décision de justice, qui statue sur le fondement de l'article 102 du TFUE, sera notifiée par le greffe de la cour à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie, par lettre recommandée avec accusé de réception.