CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 14 juin 2018, n° 16-12507
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Made In (SARL)
Défendeur :
Umbra BV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Ribaut, Teytaud, Fournier
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 2 janvier 2006, la société Umbra, filiale néerlandaise d'une société de droit canadien fabricant d'objets de décoration et d'ameublement, a conclu avec la société Made In un contrat de coopération commerciale à durée indéterminée visant à promouvoir la diffusion de la marque Umbra en France. Ce contrat portait sur la région parisienne et la région Nord-Ouest : Ile-de-France, Haute et Basse Normandie, Centre, Pays de Loire, Bretagne.
Les relations, entre les parties, s'étant dégradées à partir de 2011 - Umbra faisant état de plusieurs ordres de griefs à l'encontre de Made In sur la relation client de Made In, sur l'insuffisance de l'organisation générale et sur les mauvaises relations entretenues avec Umbra - la société Umbra a, par courrier du 17 février 2012, rompu le contrat qui la liait à Made In.
En février 2013, la société Made In a indiqué à la société Umbra qu'elle entendait se prévaloir des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce à la suite de la rupture de leurs relations commerciales, ce dont la société Umbra a contesté le bien fondé.
Par acte du 13 juin 2013, la SARL Made In a assigné la société Umbra BV devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement rendu le 11 mai 2016, a :
- écarté l'application du statut d'agent commercial et du mandat d'intérêt commun et débouté la société Made In de toutes ses demandes ;
- condamné la société Made In à payer à la société Umbra BV la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant au surplus, ainsi qu'aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Vu l'appel interjeté le 6 juin 2016 par la société Made In ;
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Made In, par conclusions signifiées le 22 mars 2018, demande, au visa des articles 1103 et 1104 anciens et 1984 et suivants du Code civil, L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :
A titre principal,
- infirmer en totalité le jugement rendu le 11 mai 2016 par le Tribunal de commerce de Paris ;
Statuant à nouveau,
- dire que les relations contractuelles de la société Made In avec la société Umbra étaient soumises au statut des agents commerciaux défini par les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce ;
- constater la rupture au 17 février 2012 par la société Umbra des conventions d'agent commercial conclues avec la société Made In ;
A titre subsidiaire,
- dire que les relations contractuelles de la société Made In avec la société Umbra relèvent d'un mandat d'intérêt commun ;
- constater la rupture au 17 février 2012 par la société Umbra de ce mandat d'intérêt commun conclu avec la société Made In ;
- condamner la société Umbra à verser à la société Made In la somme de 605 762 euros à titre d'indemnité de cessation de contrat, calculée sur la base des commissions brutes des deux dernières années précédant la rupture ;
- assortir cette indemnité d'un intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation avec capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 ancien du Code civil ;
- condamner la société Umbra à verser à la société Made In la somme correspondant à l'impôt sur les sociétés applicable à l'indemnité de clientèle, à parfaire selon le barème applicable à la société Made In au jour du prononcer du jugement ;
- condamner la société Umbra à verser à la société Made In une somme de 13 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait valoir que le contrat liant la société Umbra et la société Made In doit être qualifié de contrat d'agent commercial, en ce que : le contrat désigne expressément la société Made In en qualité " d'agent commercial pour la marque Umbra " ;
Made In est intervenue en qualité d'agent commercial auprès d'autres marques que la société Umbra ; l'application du statut d'agent commercial découle des modalités d'exécution de l'accord : à cet égard, Umbra ne rapporte pas la preuve d'un contrôle effectif de la société Umbra sur les conditions de vente négociées par Made In, hormis pour quelques grands comptes ; Made In a conduit ses affaires de manière indépendante, sans lien de subordination avec Umbra, et qu'elle a négocié librement les conditions contractuelles, au nom et pour le compte de la société Umbra, notamment les prix pratiqués ; de sorte qu'elle est fondée à revendiquer un droit à indemnité en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce.
A titre subsidiaire, elle invoque la qualification de mandat d'intérêt commun, en ce que : l'existence d'un mandat résulte du fait que Made In agissait au nom et pour le compte d'Umbra, dans la recherche de nouveaux clients et leur prise de commandes ; les deux parties ont contribué, par leur collaboration, à l'accroissement d'un résultat et d'une clientèle qui leur sont communs ; la rémunération du mandataire sous forme de commissions, comme tel est le cas, constitue un indice de l'existence de l'intérêt commun.
Elle en infère son droit à être indemnisé par suite de la rupture du contrat par le mandant.
La société Umbra, par conclusions signifiées le 27 mars 2018, demande à la cour, au visa des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :
- constater que Made In ne peut se prévaloir du statut d'agent commercial, ni de mandataire d'intérêt commun ;
A titre subsidiaire,
- constater que le calcul de l'indemnité est exorbitant et que son montant est sans lien avec l'activité de la société Made In, ni les conditions de préavis long et de maintien des commissions sans activité de Made In ;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 11 mai 2016 en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause,
- condamner Made In à payer à Umbra la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle expose, sur les demandes de la société Umbra sur le fondement de l'article L. 134-1 du Code de commerce, que ces demandes ne sauraient prospérer, la société Made In ne répondant pas aux critères d'application du statut d'agent commercial énoncés par cet article ; qu'ainsi, Made In : n'a accompli que des actes matériels de prospection, de présentation de catalogues de produits et des conditions de vente ou de saisie de commandes, en l'absence de tout acte juridique ; n'a disposé d'aucun pouvoir de négociation des contrats : que cela soit avec Umbra ou avec d'autres marques, celle-ci décident, fixent leurs propres directives et l'intermédiaire se contente de promouvoir leur diffusion auprès des clients.
Sur l'application du régime du mandataire d'intérêt commun, elle conclut au rejet de la demande présentée sur ce fondement ; elle souligne que le mandat d'intérêt commun suppose l'existence d'un mandat au sens de l'article 1984 du Code civil, qui n'existe pas en l'espèce, et qu'une telle qualification est tout aussi impossible en l'absence de pouvoir de conclure des contrats.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
MOTIFS :
Considérant que, le 2 janvier 2006, la société Umbra a conclu avec la société Made In un contrat d' "agent de vente" à durée indéterminée ayant pour objet le développement de la marque Umbra en France ; que, le 1er mars 2008, un second contrat "Sales agent contract" a été conclu entre les sociétés Umbra et Made In ;
Sur la qualité d'agent commercial
Considérant que l'article L. 134-1 du Code de commerce dispose que : " L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières. " ;
Considérant que le contrat d' "agent de vente" du 2 janvier 2006 stipule, en son préambule : "Monsieur Jean-Yves G., Par la présente, j'ai le plaisir de vous confirmer qu'à partir du 2 janvier 2006, la société Made In est désignée en tant qu'agence commerciale (...)" ; que le contrat "Sales agent contract" conclu entre les parties le 1er mars 2008 stipule, en son préambule : "Dear Mr Jean-Yves G., I am pleased to confirm that effective as of march 1, 2008, you (...) will officially be deemed the sales agent representing Umbra in the following region(s) in France (...)" ;
Considérant que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ; qu'il incombe à celui qui se prétend agent commercial d'en rapporter la preuve ;
Considérant que la qualité d'agent commercial suppose l'exercice d'un pouvoir de représentation du mandant pour effectuer des actes juridiques en son nom et la disposition d'un large pouvoir de négociation ;
Considérant en premier lieu que la société Made In ne rapporte pas la preuve que la pratique suivie se soit écartée des stipulations des contrats des 2 janvier 2006 et 1er mars 2008 qui ne mentionnent aucun pouvoir de représentation, l'appelante ne démontrant pas qu'elle ait été investie, par la société Umbra, d'un pouvoir de représentation pour effectuer des actes juridiques en son nom et ne faisant état d'aucun acte qu'elle aurait conclu au nom et pour le compte d'Umbra ;
Considérant en second lieu que le pouvoir de négociation correspond à une intervention active de l'agent, nécessitant qu'il dispose d'une marge de manœuvre certaine pour influer sur les éléments constitutifs de la convention avant la conclusion du contrat de vente ; qu'en l'espèce, ainsi que l'a retenu le jugement entrepris dont la cour adopte sur ce point la motivation, Made In devait obtenir l'accord d'Umbra pour toute discussion commerciale sur les prix (pièces Umbra n° 34 et 34 bis) ou sur les conditions commerciales en général (pièces Umbra n° 44 et 45) ; que ce point est confirmé par les instructions données par Umbra à Made In : ainsi, par courriel en date du 27 mai 2011, la société Umbra a notifié à la société Made In sa demande de " ne prendre aucune initiative sans mon accord préalable " (pièce Umbra n° 19) et rappelle, dans un courrier du 27 décembre 2011 à Made In (pièce Umbra n° 14), que :
" C'est Umbra qui organise et mène des négociations directes de conventions annuelles avec ces clients, sans intervention de (Made In) " ; en ce qui concerne les conditions contractuelles, les barèmes de prix et les opérations promotionnelles et exceptionnelles : " toute modification (n'était) possible que par notre société (Umbra) " ;
Que les partenaires commerciaux rendaient compte régulièrement à Umbra, ainsi que cela ressort des courriels du 16 décembre 2010 (pièce Umbra n° 16) sur les différences entre les Pays Bas et la France sans passer par Made In afin d'obtenir des conditions plus favorables : " Notre courant d'affaires avec Umbra augmentant sensiblement cette année (...), nous souhaiterions obtenir de meilleures conditions commerciales, similaires à celles de nos autres partenaires (...) Je vous laisse nous faire une proposition " ;
Que les courriels échangés entre Made In et les clients dont fait état l'appelante en pages 9 à 11 de ses conclusions (pièces n° 46-1 à 46-22) démontrent que Made In se bornait à transmettre à Umbra les demandes de remise des clients et que les décisions de remise n'étaient prises que par Umbra ;
Que, si Made In admet qu'Umbra conduisait les négociations concernant les "grands comptes" (contrats cadre conclus avec les grandes enseignes) à partir de 2011, elle ne rapporte pas pour autant la preuve qu'il en ait été différemment pour les autres contrats et qu'elle ait disposé, pour ces derniers, d'une liberté de négociation sur les tarifs et les conditions de vente du mandant ;
Que Made In échoue, dans ces conditions, à prouver l'existence du contrat d'agent commercial qu'elle invoque ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Made In de ses demandes fondées sur le statut d'agent commercial ;
Sur l'existence d'un mandat d'intérêt commun
Considérant que la société Made In réclame subsidiairement une indemnisation au titre d'un mandat d'intérêt commun ;
Mais considérant que l'existence d'un mandat n'est, en l'espèce, nullement démontrée, Made In ne rapportant pas la preuve d'avoir été investie d'un pouvoir de représentation aux fins de conclure des contrats au nom et pour le compte d'Umbra ; que Made In ne justifie pas davantage d'une clientèle personnelle propre qui aurait été mise en commun avec la clientèle personnelle propre d'Umbra ; que, contrairement à ce que soutient l'appelante, ne saurait enfin caractériser un mandat d'intérêt commun le versement de commissions ; que le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société Made In à payer à la société Umbra la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris ; condamne la SARL Made In à payer à la société Umbra BV la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; condamne la SARL Made In aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.