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Décisions

ADLC, 21 juin 2018, n° 18-D-09

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative au respect des engagements pris par la société Randstad dans la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-05 du 2 février 2009

ADLC n° 18-D-09

21 juin 2018

L'Autorité de la concurrence (section III),

Vu la décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire ; Vu la décision n° 15-SO-05 du 5 mai 2015, enregistrée sous le numéro 15/0046 R, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de l'examen du respect des engagements souscrits par la société Randstad (Vediorbis) dans la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-05 du 2 février 2009 ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret d'affaires n° 17-DSA-300 du 24 juillet 2017, n° 17-DSA-332 du 14 août 2017, n° 17-DSA-367 du 4 septembre 2017, n° 17-DSA-395 du 2 octobre 2017, n° 17-DSA-402 du 5 octobre 2017, n° 17-DSA-411 du 12 octobre 2017, n° 17-DSA-419 du 17 octobre 2017 ; Vu la décision de déclassement n° 17-DEC-518 du 29 novembre 2017 ; Vu les observations présentées par les sociétés Groupe Randstad France SAS, Randstad SAS, Randstad Holding NV et Randstad France SASU et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Groupe Randstad France SAS, Randstad SAS, Randstad Holding NV et Randstad France SASU, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 19 avril 2018 ; Adopte la décision suivante :

I. Les constatations

A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE

1. LA DÉCISION N° 09-D-05 DU 2 FÉVRIER 2009

1. Par la décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, le Conseil de la concurrence a sanctionné les entreprises Adecco, Manpower et VediorBis pour s'être entendues, entre mars 2003 et novembre 2004, afin de limiter la concurrence entre elles vis-à-vis de leurs clients " grands comptes ".

2. Les entreprises en cause se coordonnaient fréquemment sur les différents éléments de leur politique commerciale et tarifaire vis-à-vis de leurs clients " grands comptes ". Selon les cas, elles échangeaient des informations - par exemple sur les coefficients de facturation appliqués aux salaires des intérimaires, sur les remises de fin d'année ou encore sur le niveau des rétrocessions aux entreprises utilisatrices des allègements de charges - voire discutaient du montant de leurs offres respectives, dans le but d'atténuer la concurrence par les prix.

3. Les sociétés Adecco France et Adia (sociétés du groupe Adecco) d'une part, Groupe Vedior France et VediorBis (sociétés du groupe Vedior) d'autre part, n'ont pas contesté les griefs et ont pris pour l'avenir des engagements visant à améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché, bénéficiant à ce titre d'une réduction de leur sanction. À l'inverse, les sociétés du groupe Manpower ont contesté les griefs notifiés.

4. Au terme de ladite décision, le Groupe Randstad France (anciennement dénommé Groupe Vedior France) et Randstad (anciennement dénommée VediorBis) ont souscrit des engagements pouvant être catégorisés en trois groupes :

- le premier consacré à la formation et à l'encadrement du personnel ;

- le deuxième portant sur des mesures " de nature à réduire la transparence du marché " ;

- le troisième contenant des mesures visant à assurer l'efficacité des deux catégories précédentes (par exemple à travers le recrutement d'un responsable juridique concurrence et le renforcement du rôle du directeur juridique corporate).

5. En contrepartie des engagements pris, Randstad a bénéficié d'une réduction du montant de la sanction encourue de 6,55 millions d'euros, soit 26,46 %.

6. Les recours exercés contre cette décision ont été rejetés (arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France SAS e.a., n° 2009/03532 et arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France holding e.a., n°s 10-12.913 et 10-13.686).

2. LA PRÉSENTE PROCÉDURE

7. Par la décision n° 15-SO-05 du 5 mai 2015, enregistrée sous le numéro 15/0046 R, l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") s'est saisie d'office de l'examen du respect des engagements souscrits par Randstad (Vediorbis) [dans la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-05 du 2 février 2009].

8. Cette saisine fait suite aux investigations conduites en 2011 par les services d'instruction sur l'activité des filiales des grands groupes de travail temporaire au cours desquelles ont eu lieu des opérations de visites et saisies, notamment dans des locaux de Randstad France et de plusieurs sociétés du groupe Randstad, les 10 et 11 juillet 2013.

9. Au vu des éléments recueillis et sur proposition de la rapporteure générale, le collège de l'Autorité a ouvert deux saisines d'office :

- une saisine relative aux pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, enregistrée sous le n° 15/0045 F ;

- une autre saisine concernant l'examen du respect des engagements souscrits par la société Randstad [dans le cadre de la décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire] enregistrée sous le n° 15/0046 R.

10. La présente décision statue sur la saisine enregistrée sous le n° 15/0046 R relatif au respect des engagements souscrits par la société Randstad.

11. Les services d'instruction se sont intéressés plus particulièrement au respect de la deuxième catégorie d'engagements souscrits par Randstad aux termes de la décision n° 09-D-05 précitée, visant à réduire la transparence du marché.

12. Conformément aux dispositions de l'article R. 464-9 du Code de commerce, un rapport a été notifié aux sociétés Groupe Randstad France SAS, Randstad SAS, Randstad Holding NV, Randstad France SASU et au commissaire du Gouvernement le 5 décembre 2017.

B. LE SECTEUR ET L'ENTREPRISE CONCERNÉS

13. Ainsi que l'indique la décision n° 09-D-05 précitée, le travail temporaire ou intérimaire permet aux employeurs de recourir, pour des missions provisoires dont la nature et les conditions sont limitativement énoncées dans le Code du travail, à des travailleurs qu'ils n'emploient pas directement, mais qui sont employés par des entreprises spécialisées dites " de travail temporaire ". La prestation de travail temporaire est ainsi une relation tripartite réunissant l'entreprise utilisatrice (ci-après " EU ") qui exprime un besoin provisoire de personnel, l'entreprise de travail temporaire (ci-après " ETT ") qui recrute un intérimaire en le rémunérant pour effectuer une mission momentanée dans l'entreprise utilisatrice, et le travailleur intérimaire lui-même (décision n° 09-D-05 précitée, paragraphe 3).

14. En mai 2008, les groupes Randstad et Vedior se sont rapprochés au niveau mondial après le succès de l'offre publique d'achat et d'échange. Après une série de réorganisations capitalistiques opérées par les entités Vedior et Randstad, en mars 2009, VediorBis et Randstad ont fusionné pour créer le Groupe Randstad France (ci-après " groupe Randstad "). Les sociétés Groupe Vedior France et VediorBis sont donc désormais dénommées respectivement " Groupe Randstad France " et " Randstad ".

15. Le groupe Randstad dispose de cinq filiales principales en France dont les activités sont dédiées au placement des intérimaires : Randstad, Select TT, JBM Bureau Médical, Atoll et SAM " Secrétariat et Services ".

16. Le groupe Randstad détient également une filiale en charge de la gestion externalisée du travail temporaire, la société Randstad Sourceright.

17. Au départ dénommée Adivisio Services, elle a changé une première fois de dénomination sociale le 21 mars 2011 pour devenir Randstad Management Services (ou " RMS "), puis une seconde fois le 28 août 2012 pour devenir Randstad Sourceright (ou " RSR ").

18. RSR est détenue à 100 % par la société Groupe Randstad France, elle-même détenue à 100% par la société Randstad France, cette chaîne de détention étant restée inchangée entre 2009 et 2016 (cote 6666).

19. Jusqu'au mois d'avril 2014, RSR avait ses locaux à la même adresse que sa société mère, la société Groupe Randstad France, et d'autres filiales du groupe, notamment l'ETT Randstad SAS.

20. La filiale RSR intervient entre les clients " grands comptes " (les entreprises utilisatrices) et les ETT. Elle propose des services de gestion externalisée des intérimaires multi-ETT placés chez les clients grands comptes par le biais de l'outil " e-flex ", système de logiciel en ligne fondé sur une technologie de type Internet, mais également à travers l'activité dite " Managed Services Provider " (ci-après " MSP "), qui s'est développée après 2009.

21. Dans le cadre de son activité MSP, RSR peut être amenée en tant qu'intermédiaire mandaté par le client, à gérer :

- " la distribution des commandes aux différentes ETT déjà référencées chez le client après avoir vérifié la présence des motifs de recours et des délais de carence. RSR répartit généralement les commandes entre les différentes ETT en fonction de la clé de répartition résultant des volumes négociés à l'avance entre le client et chacune des ETT, étant précisé que le MSP en a connaissance via le client ou le VMS dans lequel elle est paramétrée ;

la réception des CVs transmis par les ETT et les envois au client afin que ce dernier sélectionne le(s) intérimaire(s) ;

la communication des documents administratifs nécessaires (et notamment les visites médicales, les certifications et cartes de séjour) ;

le contenu des contrats de mise à disposition (et notamment la présence des critères convenus entre l'ETT et le Client comme par exemple la période de contrat, le montant de la rémunération, la qualification du candidat, etc...), le contrat étant signé in-fine par le client dans tous les cas.

l'intégration des intérimaires " (cote 6668) ;

- la gestion et le suivi des ETT : RSR " peut se voir ainsi confier pour mission de contrôler : le nombre de commandes fournies sur le nombre total de commandes reçues par les ETT ; le nombre de commandes fournies dans les temps sur le nombre de commandes qui restent à fournir ; le nombre de contrats de mise à disposition intégrés dans le VMS par les ETT dans les temps " (cotes 6668 et 6669) ;

- le contrôle des heures et des factures (cotes 6668 et 6669).

22. Les services proposés par RSR aux clients " grands comptes " impliquent un accès aux informations confidentielles des ETT concurrentes. Ainsi, RSR a connaissance des volumes d'ETP (Equivalent Temps Plein) réalisés, du nombre d'intérimaires placés, des parts de marché réalisées (en volume et en valeur) et des coefficients multiplicateurs appliqués par chaque ETT auprès d'un client donné.

C. LES ENGAGEMENTS PRIS PAR RANDSTAD DANS LA DÉCISION N° 09-D-05 DU 2 FÉVRIER 2009

23. Le 2 février 2009, le Conseil a accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par le groupe Randstad pouvant être catégorisés en trois groupes :

- le premier consacré à la formation et à l'encadrement du personnel ;

- le deuxième portant sur des mesures " de nature à réduire la transparence du marché " ;

- le troisième contenant des mesures visant à assurer l'efficacité des deux catégories précédentes (par exemple à travers le recrutement d'un responsable juridique concurrence et le renforcement du rôle du directeur juridique corporate).

24. Les engagements de la deuxième catégorie sont ainsi libellés :

" Le groupe Vedior commercialise en France des outils permettant aux entreprises utilisatrices de gérer leurs flux d'intérimaires dans une perspective multi-ETT. Ces services de gestion administrative, fondés sur des outils informatiques, permettent aux entreprises utilisatrices de centraliser la gestion des contrats, des heures et des factures de tous leurs intérimaires. L'existence de ces outils est un avantage considérable pour le bon fonctionnement du marché du travail temporaire puisqu'ils facilitent, pour les clients, le passage d'une ETT à l'autre à tout moment ou le travail simultané avec plusieurs ETT. Ces outils sont donc pro-concurrentiels.

Cependant, en recherchant tous les problèmes pouvant éventuellement exister sur le marché et qui pourraient être résolus afin de garantir aux autorités un fonctionnement optimal, Groupe Vedior France et VediorBis se sont aperçus que les avantages de ces outils pouvaient coexister avec des inconvénients. En effet, ces outils ne peuvent fonctionner que si leur mémoire électronique comporte de nombreuses informations relatives aux ETT concernées. Dès lors, l'entreprise qui commercialise ces outils (en l'occurrence, le groupe Vedior) dispose ipso facto d'informations telles que les conditions contractuelles de ses concurrents ou les volumes d'affaires entre ses concurrents et ses clients.

Il existe donc un risque, au moins théorique, que ces outils contribuent à augmenter la transparence du marché. Ainsi, leurs avantages pro-concurrentiels pourraient-ils, d'un certain point de vue, être négativement compensés par cet accroissement de transparence.

Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent donc à remédier aux risques théoriques de la circulation d'informations que peuvent engendrer les "services de gestion administrative multi-ETT " qu'elles commercialisent sous le nom de Flex Manager et e-flex auprès des entreprises utilisatrices.

Comme indiqué ci-dessous, Groupe Vedior France et VediorBis proposent deux systèmes de gestion administrative : un système de logiciel installé directement chez les clients (Flex Manager) et un système de logiciel en ligne fondé sur une technologie de type Internet (e-flex).

S'agissant de Flex Manager, il existe un risque théorique de circulation d'informations sensibles nettement plus significatif dans la mesure où, en cas de problème de maintenance, les entreprises utilisatrices font appel à des techniciens de paramétrage qui se rendent sur place et qui sont susceptibles, par le biais de codes d'accès utilisateur, d'avoir directement accès à des données confidentielles concernant les ETT concurrentes. Un tel accès leur est au surplus nécessaire lorsque les problèmes techniques proviennent justement de difficultés dans le paramétrage des données issues des ETT concurrentes. Pour des raisons géographiques évidentes, ces personnels sont implantés à un niveau relativement local, ce qui rend difficile un contrôle permanent de la confidentialité des informations auxquelles ils pourraient avoir accès.

Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent dès lors à offrir la première garantie suivante :

- Retirer de la commercialisation Flex-Manager au profit d'e-Flex : l'arrêt de la commercialisation et la désinstallation physique de Flex Manager chez les clients utilisateurs aura lieu au plus tard le 30 juin 2008. Pour un service équivalent, les clients seront désormais invités à utiliser le système e-flex.

En effet, e-flex, étant fondé sur une technologie Internet, n'exige aucune installation chez le client et aucun passage de techniciens. Les clients et les ETT concurrentes se voient dotés d'un code d'accès permettant à chacun de rentrer confidentiellement ses données. Les ETT n'ont accès, en utilisant leur code qu'à leurs propres données. De plus, le système est géré de façon centralisée, ce qui facilite considérablement la mise en place de règles de sécurité solides. S'agissant d'e-flex, les risques suivants ont cependant été identifiés : il convient toujours de faire circuler des informations relatives aux ETT concurrentes vers le système et de les y conserver. Il subsiste donc des risques théoriques que ces informations soient portées à la connaissance du personnel commercial de VediorBis.

Pour éviter tout risque, Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent :

- A commercialiser e-Flex, via une filiale indépendante du Groupe Vedior France, Advisio Services, disposant de son propre personnel et de son support technique isolé.

- A faire signer à l'ensemble des techniciens d'Advisio susceptibles d'intervenir sur la base de données en cas d'éventuels dysfonctionnements, et d'avoir ainsi accès à des informations sensibles, ainsi qu'aux techniciens de la Direction des Services Informatiques de Groupe Vedior France susceptibles d'être en relation avec ces derniers pour la maintenance de ces systèmes, une déclaration écrite d'engagement de confidentialité. Cet engagement leur interdit de faire part des informations ainsi accessibles à tout personnel de VediorBis ou en général disposant de responsabilités commerciales, quel que soit son rang. Cette déclaration sera remise nominativement en double exemplaire, l'un des exemplaires étant conservé par son destinataire, le second devant être restitué dûment daté et signé à la Direction des Ressources Humaines, où il sera conservé.

- Par ailleurs, la transparence du marché peut également résulter de fuites existantes au niveau d'outils équivalents commercialisés par les ETT concurrentes. Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à faire leurs meilleurs efforts pour vérifier que les outils multi-ETT concurrents dans lesquels ils pourraient être amenés à introduire des données commerciales, possèdent, d'une façon ou d'une autre, des règles de sécurité offrant le même niveau de protection qu'e-flex ".

D. LES PRATIQUES CONSTATÉES

1. LA NOMINATION ET LA DIRECTION SIMULTANÉE DE LA FILIALE ADVISIO SERVICES (RSR) PAR UN DIRECTEUR DU GROUPE RANDSTAD

25. Dans le cadre de la réponse au questionnaire des services d'instruction en date du 7 juillet 2015, Randstad a indiqué avoir nommé comme directeur d'Advisio Services, entre le 1er avril 2009 et le 30 avril 2010, M. X, directeur de la stratégie et du développement de Groupe Randstad France (cote 6667). M. X a donc exercé ces deux fonctions de manière simultanée, pendant plus d'un an.

26. Plusieurs mois après cette nomination, par lettre du 22 décembre 2009, le conseil de Randstad a informé le Président de l'Autorité de la concurrence de l'intention du Groupe Randstad France (ci-après " GRF ") de mettre en place des mesures susceptibles d'avoir un impact sur un des engagements souscrits en 2009 :

" Randstad envisage de changer l'hébergement pour le système e-flex [...]. En raison de l'augmentation des volumes et des niveaux de service clients, et pour bénéficier d'infrastructures mutualisées plus sécurisées, l'hébergement serait confié à l'hébergeur principal de Randstad (Bull), et la gestion des contrats de services resterait attribuée à la Direction des services informatiques (DSI) du Groupe Randstad France (GRF), dans le strict respect des principes de séparation des bases de données. Apparente contradiction avec la lettre des engagements : L'organisation envisagée comporte ainsi quelques différences par rapport à ce qui est décrit dans les engagements. Pour ces derniers, la DSI de GRF est en effet supposée n'intervenir que pour " la maintenance " des systèmes et non pour la gestion permanente des bases de données " (cotes 4008 et 4009).

" Il est envisagé que le directeur général d'Advisio soit salarié à la fois de cette dernière société et de GRF (Groupe Randstad France). Il exercera sa fonction de directeur général d'Advisio par le biais d'une délégation de pouvoir. Apparente contradiction avec la lettre des engagements : Cette hypothèse pose la question de sa compatibilité avec l'obligation d'indépendance d'Advisio et surtout avec l'obligation pour Advisio de disposer de son propre personnel [...]. Le candidat envisagé par GRF étant actuellement son directeur de la stratégie et du développement, GRF aimerait donc qu'il le demeure après sa nomination au poste de directeur général d'Advisio ".

27. Par lettre du 9 mars 2010, le rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence a notamment signalé l'incompatibilité de la double appartenance du directeur général d'Advisio avec les engagements souscrits en 2009 " (...) S'agissant de la " double casquette " qu'aurait le directeur général d'Advisio, la fiche de poste correspondant à son rôle de directeur de la stratégie et du développement de l'organisation de Groupe Randstad France indique qu'il a vocation à intervenir au niveau national sur l'ensemble du groupe et mentionne notamment les tâches de contribuer à l'élaboration des stratégies commerciales à mettre en œuvre et de piloter les organes chargés de leur déclinaison opérationnelle, ainsi que d'assurer " le benchmark ", ce qui semble incompatible avec l'objectif tel qu'il ressort clairement de l'engagement d'instaurer au sein du groupe une stricte séparation entre les fonctions commerciales liées à la fourniture de personnel intérimaire et les fonctions de commercialisation et de gestion d'outils d'administration multi-ETT proposés aux entreprises utilisatrices " (cotes 4017 et 4018).

2. LE RÔLE DU DIRECTEUR D'ADVISIO SERVICES (RSR) DANS LA GESTION DE LA FILIALE

28. Au cours de la période allant du 1er avril 2009 au 9 mars 2010, date de la réponse du rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence, il est constaté que M. X, directeur de la stratégie et du développement de Groupe Randstad France, a pris une part active aux décisions commerciales de la filiale Advisio, comme en atteste le tableau ci-dessous :

Courriels échangés les 10 et 17 juin 2009 entre M. X et la Directrice juridique de GRF

- Le 10 juin 2009 : " Bonjour Z, Un client du Guichet Unique d'Advisio, [...], nous sollicite de manière totalement impromptu pour une visite en nos locaux avec un cabinet d'audit. Cette demande, faite par téléphone, m'apparaît suspicieuse. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'un client, voire un cabinet dûment mandaté, puisse examiner avec précision notre prestation de service, je suis un peu moins enclin à ce qu'un tiers " non identifié " puisse venir dans nos murs. En dépit de demandes de notre part, le client nous a, à ce jour, formulé aucune demande écrite et de surcroit ne nous a pas communiqué le nom de prestataire ni le motif de la visite. Le rendez-vous étant fixé pour le 2/07/09, je souhaite faire un mail à ce client, en lui demandant de m'adresser les motifs précis de sa visite, ainsi qu'une lettre de mission mentionnant l'identité et les missions de ce cabinet. Ceci me permettra de voir qu'il ne s'agit pas notamment d'un concurrent. X, Directeur Advisio Services "

- le 17 juin 2009 : " Merci de ta réactivité et de ta proposition. Voici la version que j'ai retravaillée avec B. Je te remercie par avance pour ta relecture avant que je ne l'adresse en AR ".

Cote 782, 788-789

Courriel du 17 juillet 2009 adressé par M. X

M. X prend position au sujet d'une demande du client [...] relative aux services proposés par Advisio : " [...]. Aussi, pour toutes ces raisons, et pour éviter tout malentendu ou incohérence, je souhaite que ces questions ne soient abordées en clientèle que par B, ou par moi-même en son absence. En l'espèce, je reprends contact avec A la semaine prochaine ".

Cote 1026

Courriel du 20 juillet 2009 de M. X venant en réponse au courriel du directeur du Pôle Public du GRF

M. X donne des instructions quant aux mesures à prendre pour répondre à la demande d'un client d'Advisio nécessitant un règlement des heures non payées datant de 2006 à 2008 et donc archivées. Son courriel vient en réponse au mail du directeur du Pôle Public du GRF qui écrit : " J'ai bien vu les échanges de mail, notamment la demande de C à D, mais B a-t-il été mis dans la boucle ? C'est lui qui arbitre les décalages entre heures effectuées et heures payées, et les éventuelles régularisations, sachant que le Guichet Unique se base sur les RH reçus. Sinon, je mets volontairement en copie X, nouveau directeur d'Advisio Services depuis début mars ".

Cote 793

Courriel du 23 juillet 2009 envoyé par M. X à F

Courriel concernant la mise à jour de l'application e-flex chez le client [...]. Est joint à ce courriel un dossier client établi par Advisio contenant une extraction de données d'e-flex avec des détails sur les coefficients applicables par [...] au 26 juin 2009 par catégorie d'intérimaires (p. 28 et 29), la liste des salaires, les Codes salaires et leurs montants (p. 30 et 31), la liste des contrats en cours avec les Codes coefficients (p. 33 et s.).

Cote 244-312

E. CONCLUSION DU RAPPORT

40. Aux termes du rapport du 1er décembre 2017, les services d'instruction considèrent que " le non-respect des engagements relatifs à l'outil e-flex constitue une violation de l'article L. 464-2 du Code de commerce et peut donner lieu à une sanction au titre de l'article L. 464-3 du même Code.

Ce non-respect se traduit d'une part, par l'incapacité continue de RSR d'avoir un fonctionnement indépendant vis-à-vis de sa société mère le Groupe Randstad France mais aussi vis-à-vis de ses sociétés sœurs actives dans le secteur de placement temporaire et permanent de personnel, tant en termes de politique commerciale qu'en ce qui concerne son indépendance matérielle et financière.

D'autre part, le non-respect des engagements est caractérisé par l'accès des employés du groupe Randstad aux données commercialement sensibles et confidentielles des ETT concurrentes par le biais de l'outil e-flex ce qui a pour résultat d'augmenter la transparence dans le secteur du travail temporaire et d'aller à l'encontre de l'objectif visé par les engagements pris en 2009.

Ces pratiques sont d'une exceptionnelle gravité, compte tenu notamment du fait qu'elles ont été mises en place malgré la désapprobation de l'Autorité, et ce d'autant qu'en contrepartie des engagements qui n'ont pas été respectés, Randstad avait bénéficié d'une réduction de la sanction en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ".

II. Discussion

41. Seront successivement examinés les principes applicables en matière de respect des engagements (A), l'appréciation en l'espèce du respect des engagements souscrits par Randstad (B), l'imputabilité des pratiques (C) et la sanction (D).

A. RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES EN MATIÈRE DE RESPECT DES ENGAGEMENTS

42. Selon la pratique décisionnelle de l'Autorité, " les engagements, comme les injonctions, sont d'interprétation stricte " (décisions n° 15-D-02 du 26 février 2015, relative au respect par le GIE " Les Indépendants ", des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-29 du 6 octobre 2006, paragraphe 99, et n° 10-D-21 du 30 juin 2010 relative au respect par les sociétés Neopost France et Satas des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-49 du 25 juillet 2005, paragraphe 69).

43. Il convient néanmoins d'apprécier le respect d'un engagement ou d'une injonction au regard de ses finalités. Le principe d'interprétation stricte ne restreint pas la sanction aux seuls manquements formels. La cour d'appel de Paris a ainsi estimé à propos du respect d'injonctions enjoignant la suppression de clauses d'un contrat type que " c'est sans excéder ses pouvoirs que le Conseil [...] a vérifié si les clauses supprimées n'avaient pas été remplacées par d'autres stipulations qui, bien que formulées différemment, auraient produit les conséquences juridiques prohibées " (cour d'appel de Paris 21 février 2006, SEMUP e.a., n° 2005/14774, p. 6).

44. Dans la décision n° 15-D-02 précitée, l'Autorité avait considéré en l'espèce que si les engagements n'excluaient pas " [d]es évolutions ultérieures des dispositions concernées ", c'était à la condition que ces évolutions " répondent à des justifications non anticoncurrentielles " et " que la substance des réponses aux préoccupations de concurrence exprimées [...] soit clairement préservée " (paragraphe 59 de la décision).

45. Le contrôle de l'exécution de la décision doit donc porter sur le respect des engagements pris individuellement et dont chacun a valeur obligatoire. La circonstance que certains engagements aient été partiellement respectés ne saurait faire échec à un constat d'inexécution. Le respect formel de la lettre d'un engagement peut également être insatisfait s'il s'avère que des modifications parallèles aboutissent à le vider en tout ou partie de sa portée. En matière d'engagements pris par application de l'article L. 430-5 du Code de commerce, le Conseil d'État a jugé en ce sens que " l'Autorité de la concurrence est en droit de rechercher si, alors même que serait assuré le respect formel des critères expressément prévus par un engagement que l'évolution du marché n'a pas privé de son objet, les parties ayant pris cet engagement auraient adopté des mesures ou un comportement ayant pour conséquence de le priver de toute portée et de produire des effets anticoncurrentiels qu'il entendait prévenir " (Conseil d'État, 21 décembre 2012, Groupe Canal Plus e.a., n° 353856, point 29).

B. APPRÉCIATION EN L'ESPÈCE

46. Ainsi que vu précédemment, aux termes de la décision n° 09-D-05 précitée, le Conseil de la concurrence a accepté et rendu obligatoires trois catégories d'engagements proposés par le groupe Randstad :

- les premiers consacrés à la formation et à l'encadrement du personnel ;

- les deuxièmes portant sur des mesures " de nature à réduire la transparence du marché " ;

- les troisièmes contenant des mesures visant à assurer l'efficacité des deux catégories précédentes (par exemple par le recrutement d'un responsable juridique concurrence ou par le renforcement du rôle du directeur juridique corporate).

47. Les mesures mises en place concernant la formation et l'encadrement du personnel et celles relatives au renforcement du rôle du directeur juridique corporate et au recrutement d'un responsable juridique concurrence sont conformes aux engagements pris en 2009.

48. Il est en revanche fait grief à Randstad de ne pas avoir respecté une partie des engagements de la deuxième catégorie, portant sur les mesures de nature à réduire la transparence du marché.

49. S'agissant de cette deuxième catégorie d'engagements, Randstad avait identifié que les outils multi-ETT " ne peuvent fonctionner que si leur mémoire électronique comporte de nombreuses informations relatives aux ETT concernées. Dès lors, l'entreprise qui commercialise ces outils (en l'occurrence le groupe Vedior) dispose ipso facto d'informations telles que les conditions contractuelles de ses concurrents ou les volumes d'affaires entre ses concurrents et ses clients. Il existe donc un risque, au moins théorique, que ces outils contribuent à augmenter la transparence du marché ". Randstad s'était engagé " à remédier aux risques théoriques de la circulation d'informations que peuvent engendrer "les services de gestion administrative multi-ETT" qu'elles commercialisent sous le nom de Flex Manager et e-flex auprès des entreprises utilisatrices ".

50. A cette fin, Randstad s'était notamment engagée " à commercialiser e-Flex, via une filiale indépendante du Groupe Vedior France [Groupe Randstad France], Advisio Services [RSR], disposant de son propre personnel et de son support technique isolé ".

51. Afin d'apprécier le respect de cet engagement, il convient d'analyser la question de la double appartenance d'un cadre de direction, M. X, qui a simultanément occupé les fonctions de directeur de la stratégie et du développement de Groupe Randstad France et de directeur d'Advisio Services (RSR).

52. Dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction en date du 7 juillet 2015, Randstad confirme que M. X a exercé les fonctions de directeur général de la société Advisio (devenue RMS puis RSR) du 1er avril 2009 au 30 avril 2010 pour pallier la vacance de ce poste (cote 6667). Néanmoins, Randstad conteste avoir manqué à son engagement, et rappelle à cette fin le contexte et les conditions dans lesquels M. X aurait exercé les fonctions de direction d'Advisio en distinguant notamment trois périodes successives : (i) la période d'avril à décembre 2009 ; (ii) la période de décembre 2009 à mars 2010 ; (iii) la période de mars 2010 à fin avril 2010.

1. SUR LA PÉRIODE D'AVRIL À DÉCEMBRE 2009

53. Randstad soutient qu'il s'agissait d'une phase de transition complexe faisant suite au rapprochement de Randstad et Vedior. Elle précise qu'entre le 1er avril 2009 et le 30 avril 2010, le poste de directeur d'Advisio était vacant et qu'il était difficile de recruter un nouveau directeur. Pour pallier cette vacance, M. X, directeur de la stratégie et du développement de GRF, a été amené à prendre en charge la direction d'Advisio temporairement et à temps partiel, comme en attesterait l'absence de mandat social et de contrat de travail le liant à celle-ci.

54. Randstad précise également que M. X était salarié de la holding GRF qui n'exerçait pas d'activité de travail temporaire, contrairement à Randstad TT, et que ses responsabilités stratégiques et commerciales, en tant que directeur de la stratégie et du développement de GRF, s'exerçaient à un niveau très élevé au sein du groupe, et non pas de façon concrète au niveau commercial des sociétés de travail temporaire du groupe.

55. Une telle argumentation ne saurait conduire à écarter le grief.

56. En premier lieu, sans méconnaître qu'il puisse être difficile de recruter un directeur, cette circonstance n'implique pas que le directeur nommé à titre transitoire soit affecté simultanément dans deux structures.

57. En deuxième lieu, le fait d'être simultanément à la tête d'Advisio et dans une autre structure du groupe constitue une violation de l'engagement, peu importe qu'il s'agisse de GRF ou de Randstad TT. À cet égard, Randstad précise elle-même que M. Y, le successeur de M. X en tant que Directeur Général d'Advisio Services " n'exerce pas d'autres fonctions au sein du groupe Randstad en France " (cotes 4302 et 4303).

58. En troisième lieu, il est démontré que M. X a participé directement à l'activité commerciale de la filiale Advisio. Ainsi, la fiche de poste du directeur de la stratégie et du développement communiquée par Randstad indique qu'il " contribue à l'élaboration des stratégies commerciales à mettre en œuvre et pilote les organes chargés de la déclinaison opérationnelle " (cote 4012). Il ressort également des éléments du dossier que M. X était en charge du suivi et du pilotage des grands comptes concernant l'intérim et le recrutement, assurés par les filiales de travail temporaire du Groupe Randstad France, en suivant notamment l'évolution mensuelle du chiffre d'affaires et le taux de marge brut pour chaque client (cotes 368 à 441).

2. SUR LA PÉRIODE DE DÉCEMBRE 2009 À MARS 2010

59. Randstad explique qu'une fois la phase de transition complexe achevée, il a été envisagé de pérenniser et de formaliser sur un plan juridique le rôle de M. X au sein d'Advisio. Par courrier du 22 décembre 2009, Randstad a alors consulté le Président de l'Autorité, une telle démarche témoignant, selon elle, de sa bonne foi et de son souci de transparence vis-à-vis de l'Autorité.

60. Randstad précise qu'elle a jugé nécessaire de consulter l'Autorité alors même qu'elle n'avait décelé aucun problème pendant la période de transition, et ce pour deux raisons : d'une part, elle rappelle qu'en raison de la situation complexe suivant le rapprochement et de l'urgence, aucune analyse juridique de la situation provisoire n'avait été effectuée ; d'autre part, la nouvelle situation devait s'inscrire dans la durée et ne plus être une solution transitoire.

61. Randstad rappelle enfin qu'il a fallu trois mois à l'Autorité pour répondre à sa lettre, période pendant laquelle Randstad a considéré que la période de transition se poursuivait.

62. Toutefois, l'ensemble de ces arguments n'exonère pas Randstad de sa responsabilité, notamment au regard de la durée de 9 mois s'étant écoulée entre la prise de fonction de M. X à la tête d'Advisio et l'envoi d'un courrier à l'Autorité.

63. En outre, il convient de relever que dans le courrier du 22 décembre 2009, le conseil de Randstad envisage une future nomination de M. X, alors même que celui-ci exerçait déjà les fonctions de directeur général d'Advisio depuis le 1er avril 2009 : " il est envisagé que le directeur général d'Advisio soit salarié à la fois de cette dernière société et de GRF [...] le candidat envisagé par GRF étant actuellement son directeur de la stratégie et du développement, GRF aimerait donc qu'il le demeure après sa nomination au poste de directeur général d'Advisio " (cote 4009). Les termes utilisés dans le courrier adressé à l'Autorité ne reflétaient donc pas la réalité des responsabilités prises par l'intéressé à la tête d'Advisio.

64. Au surplus, il ressort d'un courriel du 20 juillet 2009 de M. 8, directeur du pôle public du GRF, que M. X a pu prendre ses fonctions de directeur général d'Advisio avant même le 1er avril 2009 : " Sinon, je mets volontairement en copie X, nouveau directeur d'Advisio Services depuis début mars " (cote 793).

65. M. X a donc pris la tête de la filiale Advisio à tout le moins dès le 1er avril 2009, soit neuf mois avant le courrier du 22 décembre 2009 en informant l'Autorité.

66. Le contexte et l'urgence ne peuvent justifier un tel manquement aux engagements que Randstad a elle-même souscrits, et ce d'autant que ce manquement est intervenu deux mois seulement après la décision d'engagements.

67. Enfin, le délai de réponse de l'Autorité, outre qu'il ne saurait exonérer en tout état de cause le manquement par Randstad aux obligations découlant de l'engagement, ne paraît pas déraisonnablement long pour une pratique qui durait à tout le moins depuis le 1er avril 2009.

3. SUR LA PÉRIODE DE MARS 2010 À FIN AVRIL 2010

68. Randstad rappelle avoir nommé, dès le 1er mai 2010, M. Y à la tête d'Advisio, en remplacement de M. X, soit moins de deux mois après la réponse de l'Autorité, alors même que le courrier en réponse du rapporteur général adjoint en date du 9 mars 2010 aurait été " ambigu ".

69. Néanmoins, contrairement à ce que soutient Randstad, le courrier en réponse du rapporteur général adjoint est dépourvu de toute ambiguïté : " S'agissant de la "double casquette" qu'aurait le directeur général d'Advisio, la fiche de poste correspondant à son rôle de directeur de la stratégie et du développement de l'organisation de Groupe Randstad France indique qu'il a vocation à intervenir au niveau national sur l'ensemble du groupe et mentionne notamment les tâches de contribuer à l'élaboration des stratégies commerciales à mettre en œuvre et de piloter les organes chargés de leur déclinaison opérationnelle, ainsi que d'assurer " le benchmark ", ce qui semble incompatible avec l'objectif tel qu'il ressort clairement de l'engagement d'instaurer au sein du groupe une stricte séparation entre les fonctions commerciales liées à la fourniture de personnel intérimaire et les fonctions de commercialisation et de gestion d'outils d'administration multi-ETT proposés aux entreprises utilisatrices " (cotes 4017 et 4018).

70. Par conséquent, ce courrier imposait à Randstad de prendre immédiatement les mesures adéquates, en mettant fin à tout le moins à la " double casquette " de M. X.

4. CONCLUSION SUR LE RESPECT DE L'ENGAGEMENT E-FLEX

71. Les engagements pris par Randstad avaient pour objectif de cloisonner l'information entre les trois principaux acteurs du secteur très concentré du travail temporaire, les groupes Adecco, Manpower et Randstad (Etude Xerfi d'avril 2017 sur le marché du travail temporaire, p. 9 et 54, cotes 6510 et 6512).

72. Dès 2009, Randstad avait identifié que l'outil " e-flex " était susceptible d'engendrer un risque de circulation au sein du groupe d'informations sensibles couvertes par le secret des affaires de ses concurrents sur le marché du travail temporaire, particulièrement celles relatives aux conditions contractuelles d'autres ETT et aux volumes d'affaires entre ses concurrents et ses clients, contribuant ainsi à augmenter la transparence du marché.

73. Il résulte des éléments précédemment développés qu'en nommant M. X, directeur de la stratégie et du développement du Groupe Randstad France, à la tête d'Advisio, à tout le moins du 1er avril 2009 au 30 avril 2010, soit moins de deux mois après la décision d'engagements, Randstad n'a pas respecté son engagement de commercialiser e-flex via une filiale indépendante, disposant de son propre personnel.

74. Au surplus, cette nomination s'est inscrite dans un contexte d'entreprise particulier et évolutif, susceptible d'accroître le risque de " circulation d'informations " (selon les propres termes de l'engagement) : tout d'abord, Randstad a décidé de développer, au-delà de l'outil " e-flex ", les services MSP, donnant accès à un volume et à une granularité fine de données confidentielles ; ensuite, plusieurs cadres ont été transférés de RSR à Randstad ; enfin, il existait des ventes croisées entre les services proposés par Advisio (RSR) et les filiales dédiées au placement des intérimaires de Groupe Randstad France.

75. Le risque de circulation d'informations sensibles s'est d'ailleurs matérialisé à l'occasion de l'envoi à M. X d'un dossier d'extraction e-flex relatif au client [...] contenant les coefficients multiplicateurs de [...] par type de qualification, qui l'a transféré à Mme F, à l'époque directrice back office & solution client de la société Groupe Randstad France (cotes 244-312).

76. Au vu de ces différents éléments, l'Autorité conclut que l'engagement a donc été méconnu à tout le moins du 1er avril 2009 au 30 avril 2010.

C. SUR L'IMPUTABILITÉ

1. SUR L'IMPUTABILITÉ EN CAS DE TRANSFORMATION DE L'ENTREPRISE

77. Il ressort d'une jurisprudence constante que tant que la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a mis en œuvre des pratiques enfreignant les règles de concurrence subsiste juridiquement, elle doit être tenue pour responsable de ces pratiques, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés à une tierce personne.

78. Si cette personne morale a changé de dénomination sociale ou de forme juridique, elle n'en continue pas moins à répondre de l'infraction commise.

79. En revanche, lorsque la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a commis les pratiques a cessé d'exister juridiquement, ces pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a juridiquement été transmise, c'est-à-dire celle qui a reçu les droits et obligations de la personne auteur de l'infraction, et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle (arrêts de la Cour de cassation du 23 juin 2004, BNP Paribas e.a., n° 01-17896 et 02-10066 et de la cour d'appel de Paris du 14 janvier 2009, Eurelec Midi Pyrénées e.a., n° 2008/01095, p. 5).

80. C'est en particulier le cas lorsqu'une personne morale est absorbée par une autre. Dans ce cas, les pratiques dont la société absorbée est l'auteur sont imputées à la personne morale qui a absorbé cette dernière. Il peut également en être de même pour la société ou l'organisme résultant de la fusion entre l'auteur des pratiques et une autre entité (voir notamment la décision de l'Autorité n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques, paragraphe 829).

81. En l'espèce, le rapport des services d'instruction faisant état des pratiques de non-respect d'engagements a été notifié aux sociétés Groupe Randstad France SAS et Randstad SAS en tant qu'auteurs des pratiques et aux sociétés Randstad Holding NV et Randstad France SASU en tant que sociétés mères des sociétés Groupe Randstad France SAS et Randstad SAS.

82. Les engagements rendus obligatoires par le Conseil de la concurrence dans la décision n° 09-D-05 précitée avaient été pris par les sociétés Groupe Vedior France et VediorBis devenues, après le rapprochement avec le groupe Randstad au niveau mondial et les opérations de restructuration menées en 2008 et 2009, respectivement Groupe Randstad France SAS et Randstad SAS.

83. Le non-respect des engagements de 2009 est dès lors imputable aux sociétés Groupe Randstad France SAS et Randstad SAS en tant qu'auteurs.

2. SUR L'IMPUTABILITÉ AU SEIN D'UN GROUPE DE SOCIÉTÉS

84. Les règles d'imputabilité des infractions, édictées par la jurisprudence européenne et adaptées en droit national, notamment la présomption d'imputabilité à la société mère des agissements de sa filiale, sont applicables en l'espèce.

85. Au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (TPICE, 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a. / Commission, affaire T-112/05, point 58, TPICE, 31 mars 2009, ArcelorMittal Luxembourg / Commission, affaire T-405/06, point 96, TPUE, 17 mai 2011, Elf Aquitaine / Commission, affaire T-299/08, point 54, et cour d'appel de Paris, 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011/01228, p. 18 et 19).

86. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (CJCE, 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08 P, point 60, CJUE, 20 janvier 2011, General Quimica e.a. / Commission, affaire C-90/09 P, point 42, CJUE, 29 septembre 2011, Arkema / Commission, C-520/09 P, point 42, et cour d'appel de Paris, Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).

87. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère (CJCE, Akzo Nobel e.a. / Commission, précité, point 61, TPUE, 17 mai 2011, Elf Aquitaine / Commission, affaire T-299/08, point 57, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).

88. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption, en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (CJUE, Arkema / Commission, précité, points 40 et 41, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 20).

89. Dans ses décisions n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 et n° 11-D-13 du 5 octobre 2011, l'Autorité a rappelé que, s'agissant d'une règle de fond, il convient d'assurer la mise en œuvre de règles d'imputabilité homogènes, et notamment, d'un standard de preuve unique, lorsque l'Autorité applique le seul droit interne de la concurrence ou lorsqu'elle applique simultanément le droit interne et le droit communautaire.

90. Dans un arrêt du 19 mai 2016, la cour d'appel de Paris a retenu que cette présomption d'imputabilité est applicable par l'Autorité " même lorsqu'elle applique exclusivement le droit national de la concurrence, pour des raisons de cohérence juridique " (arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 mai 2016, Mobilitas SA, n° 2014/25803, p. 6).

91. En l'espèce, le capital de Randstad SAS est contrôlé par la société Groupe Randstad France à hauteur de 97,6 % et les 2,3 % restant sont détenus par Randstad France SASU qui contrôle de son côté 100 % du capital de la société Groupe Randstad France. Randstad France SASU est pour sa part sous le contrôle indirect de la tête du groupe Randstad Holding NV. Il ressort des informations communiquées par Randstad que, depuis 2009, aucun changement n'est intervenu dans le contrôle du capital de Randstad SAS et Groupe Randstad France SAS.

92. Par conséquent, il convient d'imputer aux sociétés Randstad Holding NV et Randstad France SASU les pratiques de non-respect d'engagements mises en œuvre par les sociétés Groupe Randstad France SAS et Randstad SAS en raison de leur qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de leur filiale pendant la période de manquement aux engagements.

D. SUR LA SANCTION

93. L'article L. 464-3 du Code de commerce dispose que " si les mesures, injonctions ou engagements prévus aux articles L. 464-1 et L. 464-2 ne sont pas respectés, l'Autorité de la concurrence peut prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées à l'article L. 464-2 ".

94. Les dispositions de cet article se réfèrent au seul maximum légal de la sanction pécuniaire prévu par l'article L. 464-2 du Code de commerce, sans renvoyer expressément aux critères de détermination des sanctions prévus par le même article en cas de pratique anticoncurrentielle. Néanmoins, l'exigence d'individualisation et le principe de proportionnalité de la sanction conduisent à prendre en considération les faits et le contexte propre à cette affaire afin de déterminer la sanction en fonction de la gravité du comportement reproché à Randstad, d'une part, et de l'incidence que ce comportement a pu avoir sur la concurrence que les engagements visaient à préserver, d'autre part (décisions n° 15-D-02 du 26 février 2015 relative au respect, par le GIE " Les Indépendants " des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-29 du 6 octobre 2006, confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 octobre 2016, GIE Les Indépendants, n° 2015/06776 ; n° 11-D-10 du 6 juillet 2011 relative au respect, par la ville de Marseille, des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-34 du 22 décembre 2008 ; n° 11-D-12 du 20 septembre 2011 relative au respect des engagements figurant dans la décision autorisant l'acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus et n° 12-D-05 du 24 janvier 2012 relative au respect par la société SRR de l'injonction prononcée par la décision n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009).

1. SUR LE MAXIMUM LÉGAL DE LA SANCTION

95. Conformément au I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, lorsque le contrevenant est une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.

96. En l'espèce, le chiffre d'affaires du Groupe Randstad France et de Randstad SAS est consolidé au sein de Randstad Holding NV.

97. Le chiffre d'affaires le plus élevé enregistré en 2017 étant d'une valeur de 23,272 milliards d'euros, le montant maximal de la sanction pécuniaire encourue est de 2,3 milliards d'euros.

2. SUR LA GRAVITÉ DES MANQUEMENTS

98. L'Autorité a considéré de manière constante le non-respect d'engagements comme " une pratique grave en elle-même. Une telle pratique est d'autant plus grave que la prise d'engagements a lieu à l'initiative des parties mises en cause qui les proposent " (décision n° 10-D-21 du 30 juin 2010 relative au respect, par les sociétés Neopost France et Satas, des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-49 du 25 juillet 2005, paragraphes 103 et 104 et décision 15-D-02 du 26 février 2015, GIE Les Indépendants, précitée, paragraphe 192).

99. Dans le même sens, la cour d'appel de Paris a estimé que le non-respect d'injonctions constitue, " en soi [...] une pratique d'une gravité exceptionnelle " (arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 janvier 2005, France Télécom, n° 2004/11023).

100. En l'espèce, il convient de relever que la violation est intervenue deux mois à peine après l'entrée en vigueur des engagements et que Randstad n'a pas tenu compte immédiatement de l'avertissement du rapporteur général adjoint dans sa lettre du 9 mars 2010, laquelle précisait que les mesures envisagées par Randstad " n'en respectent pas la lettre ".

3. SUR L'INCIDENCE DES MANQUEMENTS CONSTATÉS SUR LA CONCURRENCE QUE LES ENGAGEMENTS VISAIENT À PRÉSERVER

101. Dans la décision n° 15-D-02 précitée, l'Autorité a considéré qu'indépendamment de la gravité intrinsèque de l'infraction, il convenait d'apprécier l'incidence que le comportement de Randstad a pu avoir sur la concurrence que les engagements visaient à préserver. Cet exercice ne se confond pas avec un examen des effets actuels ou même potentiels de l'infraction constatée, sur le marché ou plus généralement sur l'économie. Indépendamment de tels effets, qui peuvent éventuellement être pris en considération, c'est nécessairement par rapport à la situation concurrentielle que la décision visait à préserver qu'il faut raisonner (paragraphe 198 de la décision n° 15-D-02).

102. Ainsi que vu précédemment, les engagements pris par Randstad avaient pour objectif d'éviter " d'augmenter la transparence " sur le secteur très concentré du travail temporaire, dans lequel les groupes Adecco, Manpower et Randstad occupent les trois premières places (Etude Xerfi d'avril 2017 sur le marché du travail temporaire, p. 9 et 54, cotes 6510 et 6512).

103. En ne respectant pas l'engagement de commercialiser l'outil " e-flex " par le biais d'une filiale indépendante disposant de son propre personnel, Randstad a augmenté le risque de transmission d'informations confidentielles relatives à des ETT concurrentes.

104. Ce risque de circulation d'informations sensibles s'est d'ailleurs matérialisé à l'occasion de l'envoi à M. X d'un dossier d'extraction e-flex relatif au client [...] contenant les coefficients multiplicateurs de [...] par type de qualification, qui l'a transféré à Mme F, à l'époque directrice back office & solution client de la société Groupe Randstad France (cotes 244-312).

4. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION

105. En fonction des éléments exposés ci-dessus, il y a donc lieu d'infliger solidairement aux sociétés Groupe Randstad France SAS, Randstad SAS, Randstad Holding NV et Randstad France SASU une sanction de 4,5 millions d'euros.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que les sociétés Groupe Randstad France SAS et Randstad SAS, en tant qu'auteurs des pratiques, et que les sociétés Randstad Holding NV et Randstad France SASU, en leur qualité de sociétés mères des sociétés Groupe Randstad France SAS et Randstad SAS, ont méconnu l'engagement de commercialiser l'outil " e-flex " via une filiale indépendante du Groupe Randstad France disposant de son propre personnel, souscrit par elles et rendus obligatoires par la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-05 du 2 février 2009.

Article 2 : Au titre du manquement visé à l'article 1er, il est infligé solidairement aux sociétés Groupe Randstad France SAS, Randstad SAS, Randstad Holding NV et Randstad France SASU une sanction pécuniaire de 4,5 millions d'euros.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Milena Sabeva, rapporteure et l’intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mme Marie-Laure Sauty de Chalon et Mme Carol Xueref, membres.