Cass. com., 20 juin 2018, n° 16-24.163
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
France Ligne (SA) ; SCP Silvestri-Baujet (ès qual.) ; Cera (ès qual.)
Défendeur :
44 Galeries Lafayette (SAS), Galeries Lafayette Haussmann (SAS), Magasins Galeries Lafayette (SAS), Immobilière du Marais (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Schmidt
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juin 2016), que la société France Ligne, qui a pour activité la fabrication et la vente de maillots de bain, entretenait depuis 1982 des relations commerciales avec les sociétés 44 Galeries Lafayette, Galeries Lafayette Haussmann, Magasins Galeries Lafayette et Bazar de l'hôtel de ville (les sociétés GL), par l'intermédiaire de la société 44 Galeries Lafayette, centrale d'achat de ce groupe, lorsque cette dernière lui a notifié, par lettre recommandée du 26 octobre 2011, la rupture de leur relation commerciale, prenant effet à la fin de la saison 2012 ; qu'elle a assigné les sociétés GL en paiement de dommages-intérêts ; qu'après résolution du plan de redressement dont elle faisait l'objet, survenue en cours d'instance, elle a été mise en liquidation judiciaire, M. Cera étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP Silvestri-Baujet en qualité de liquidateur ;
Sur le premier moyen : - Délibéré par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation après débats à l'audience publique du 30 janvier 2018, où étaient présentes : Mme Mouillard, président, Mme Treard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, Mme Arnoux, greffier de chambre. - Attendu que la société France Ligne, la société Silvestri-Baujet, ès qualités, et M. Cera, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter la demande indemnitaire de la société France Ligne au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) qu'après avoir informé par courrier du 26 octobre 2011 la société France Ligne de sa décision de rompre les relations commerciales par l'arrêt progressif du référencement de ses produits jusqu'au 31 août 2012, les sociétés du groupe Galeries Lafayette ont indiqué, par courrier du 14 mai 2012, qu' " à votre demande nous reconsidérons le dossier de process de fermeture de la marque Janine Robin " ; que ce courrier accompagné d'un nouveau contrat commercial pour l'année 2013 aux mêmes conditions que l'année précédente, manifestait ainsi, sans équivoque, une renonciation à la rupture des relations commerciales précédemment notifiée ; que cette renonciation était confirmée par un courrier du 5 septembre 2012 par lequel la Direction commerciale du groupe a fait part à la société France Ligne d'une nouvelle proposition illimitée dans le temps prévoyant l'ouverture de nouveaux points de vente (BHV Rivoli et Magasin Haussmann) ; qu'enfin, les sociétés du groupe Galeries Lafayette ont, par courriel du 26 décembre 2012, adressé un contrat de partenariat pour l'année 2013 dont l'article premier stipulait que " la présente convention a pour objet de définir les obligations auxquelles les parties se sont engagées pour l'année 2013 concernant la commercialisation des saisons été 2013 et hiver 2013-2014 ", ce qui confirmait, sans équivoque possible, qu'elles avaient renoncé à la rupture des relations commerciales notifiée en 2011 ; qu'en jugeant que ces différents éléments n'étaient pas de nature à caractériser une renonciation du groupe Galeries Lafayette à la rupture des relations commerciales notifiée le 26 octobre 2011, la cour d'appel a violé l'article 1234 du Code civil ; 2°) que le caractère suffisant du délai de préavis s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale ; que l'existence d'usages professionnels ne dispense pas la juridiction d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par ces usages, tient compte de la durée de la relation commerciale ; qu'en se bornant à indiquer que, pour les relations commerciales de plus de vingt ans, le Code de bonnes conduites établi par la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France et la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution préconisait un préavis de huit mois, sans rechercher concrètement la durée du préavis suffisant en l'espèce, au regard de la durée de la relation commerciale de plus de trente ans, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce ; 3°) que le caractère suffisant du délai de préavis s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances entourant le contrat, notamment la durée des cycles de production et de commercialisation ; qu'en l'espèce, la société France Ligne avait soutenu que, compte tenu du cycle annuel allant de la conception des produits à leur commercialisation, et de la nécessité de mettre en place une logistique de vente spécifique incluant la mise à disposition de vendeurs dédiés, le préavis suffisant pour compenser la perte d'un client représentant plus de 15 % du chiffre d'affaires était de vingt-quatre mois ; qu'en s'abstenant de prendre en compte ces données logistiques pour déterminer le préavis suffisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que le grief de la première branche, qui, en ce qu'il ne permet pas de savoir ce qui est précisément reproché à l'arrêt, ne répond pas aux exigences de l'article 978 du Code de procédure civile, est irrecevable ;
Et attendu, en second lieu, qu'en ses deuxième et troisième branches, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, de la durée du préavis qu'ils ont jugée nécessaire en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à l'issue d'une analyse concrète de la relation commerciale, tenant compte de sa durée, du volume d'affaires réalisé et de la notoriété du client, du secteur concerné comme du caractère saisonnier du produit, de l'absence d'état de dépendance économique du fournisseur et du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire, en respectant, conformément à la loi, la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ; d'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen : - Délibéré par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, dans les mêmes conditions que le premier moyen : - Attendu que la société France Ligne, la société Sivlestri-Baujet, ès qualités, et M. Cera, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société France Ligne en paiement d'une indemnité pour avoir tenté de la forcer à consentir à des conditions commerciales abusives alors, selon le moyen : 1°) que la cassation à intervenir sur le précédent moyen entraînera par voie de conséquence la nullité du chef de dispositif ici critiqué ; 2°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ; que la menace peut intervenir en cours de préavis, après notification d'une décision de rupture des relations commerciales, et consister en la possibilité d'exécuter effectivement cette décision de rupture au terme du préavis si le partenaire ne consent pas aux conditions manifestement abusives que l'on tente de lui imposer ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de condamnation des sociétés du groupe Galeries Lafayette en ce qu'elles avaient tenté d'obtenir des conditions manifestement abusives de la part de la société France Ligne en la menaçant de mettre à exécution la décision de déréférencer ses produits précédemment notifiée, la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à exclure la responsabilité desdites sociétés, tiré de ce que la menace de déréférencement était postérieure à la notification de la rupture des relations commerciales, violant ainsi l'article L. 442-6-I, 4° du Code de commerce ; 3°) que la responsabilité prévue par les dispositions de l'article L. 442-6-I, 4° du Code de commerce est engagée même lorsque la tentative d'obtention de conditions manifestement abusives échoue ; qu'en se fondant, pour exclure toute responsabilité, sur la circonstance qu'en cours de négociation, les sociétés Galeries Lafayette avaient finalement accepté de modifier les conditions initiales qu'elles tentaient d'imposer, ce qui caractérisait l'échec de la tentative d'obtention de conditions manifestement abusives, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6-I, 4° du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que le rejet du premier moyen rend sans portée celui tiré d'une cassation par voie de conséquence ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant constaté que le groupe GL avait notifié la rupture de la relation commerciale le 26 octobre 2011 et justement relevé que la menace de déréférencement visée à l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce ne peut être invoquée que si les manœuvres dénoncées interviennent en cours de contrat, et non lorsque la rupture est déjà consommée, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté la demande indemnitaire présentée sur ce fondement au titre d'une situation postérieure à la notification de la rupture ; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche qui critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.