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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. B, 21 juin 2018, n° 2018-352

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Middadi (SAS)

Défendeur :

Distribution Azuréenne de Boissons (SAS), Brasserie Saint-Omer (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gérard

Conseillers :

Mmes Petel, Dubois

Avocats :

Mes Fehlmann, Domene, Imperatore

T. com. Nice, du 29 févr. 2016

29 février 2016

Par acte sous seing privé du 15 avril 2014, la SA CIC Nord-Ouest a consenti à la SARL Gemama, exploitant un débit de boissons à l'enseigne " les trois diables " sis à Nice, un prêt, destiné à des travaux dans ce fonds de commerce, d'un montant de 150 500 euros, au taux de 5 % l'an, remboursable en 59 mensualités égales à compter du 31 mai 2014, ledit prêt étant garanti par le cautionnement solidaire de la SAS Brasserie de Saint Omer.

En contrepartie de l'avantage économique que cette dernière lui a ainsi procuré, la SARL Gemama, par convention signée le 9 décembre 2014, s'est engagée, pour une durée de cinq ans, à se fournir exclusivement en bières auprès de la Brasserie de Saint Omer, ou de l'entrepositaire désigné par celle-ci, en l'occurrence la société DAB à Cagnes sur mer.

Par ailleurs, selon acte sous seing privé du 20 mai 2014, la Sasu Distribution Azuréenne de Boissons (DAB) a consenti à la SARL Gemama un prêt, destiné à la restructuration financière et travaux de son fonds de commerce, d'un montant de 150 700 euros, au taux de 5 %, remboursable mensuellement sur une période de cinq ans, l'emprunteur s'engageant à s'approvisionner exclusivement auprès du prêteur pour ses achats de boissons pendant la durée de ce financement.

Par acte sous seing privé du 29 mai 2015, la SARL Gemama a cédé son fonds de commerce de brasserie à la SAS Middadi, les contrats de fourniture exclusive et de prêt comportant obligation de fourniture conclus, respectivement, avec la SAS Brasserie de Saint Omer et la Sasu Distribution Azuréenne de Boissons étant transférés au cessionnaire aux termes de la convention.

Par acte du 31 juillet 2015, les SAS Distribution Azuréenne de Boissons et Brasserie de Saint Omer ont fait assigner la SAS Middadi, aux fins de voir prononcer la résiliation des conventions des 20 mai et 9 décembre 2014, devant le Tribunal de commerce de Nice.

Par jugement du 29 février 2016, ce tribunal a :

- constaté la résiliation des contrats liant la SAS Middadi à la SAS Distribution Azuréenne de Boissons et la SAS Brasserie de Saint Omer du fait de la rupture unilatérale et irrégulière de la part de la SAS Middadi,

- condamné la SAS Middadi à payer à la SAS Distribution Azuréenne de Boissons au titre de pénalité la somme de 174 312,80 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure,

- condamné la SAS Middadi à payer à la SAS Brasserie de Saint Omer au titre de pénalité la somme de 1 euro,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire

- condamné la SAS Middadi à payer à la SAS Distribution Azuréenne de Boissons et à la SAS Brasserie de Saint Omer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- liquidé les dépens à la somme de 93,60 euros.

Suivant déclaration du 22 mars 2016, la SAS Middadi a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions notifiées et déposées le 31 mai 2016, auxquelles il convient de se reporter par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, l'appelante demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nice le 29 février 2016,

et statuant à nouveau :

à titre principal,

- dire et juger que la contrepartie respective des deux contrats d'approvisionnement exclusif est dérisoire,

par conséquent,

- dire et juger que les deux contrats d'approvisionnement exclusif sont nuls comme dépourvus de cause,

à titre subsidiaire,

- dire qu'elle a respecté son obligation contractuelle de fourniture exclusive, pendant la durée du financement consenti par la société DAB, au titre du contrat en date du 20 mai 2014,

- constater que la résiliation du contrat en date du 20 mai 2014 est intervenue postérieurement au remboursement anticipé,

- déclarer que la résiliation du contrat de prêt du 20 mai 2014 est valable,

- constater l'absence de rupture unilatérale à son initiative du contrat de fourniture exclusive en date du 2 décembre 2014,

- débouter les intimées de leurs demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause,

- condamner solidairement les sociétés DAB et Brasserie de Saint Omer au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement les sociétés DAB et Brasserie de Saint Omer aux entiers dépens distraits au profit de Me Damien Fehlmann, avocat.

Par conclusions notifiées et déposées le 24 juin 2016, auxquelles il y a également lieu de se référer en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons et la SAS Brasserie de Saint Omer demandent à la cour de :

- constater que la SARL Gemama s'est engagée à s'approvisionner exclusivement auprès de :

1- la Brasserie Saint Omer pendant 5 ans, moyennant un quota annuel de 270 hl de bières par an,

2- la société DAB pendant 5 ans, moyennant un quota annuel de 240 hl de bières par an et 200 000 euros HT de CA minimum hors bières, lequel quota de bières ne s'additionne pas avec le quota visé au contrat Saint Omer,

- constater que l'acte de cession du 29 mai 2015 prévoit la transmission des 2 contrats,

- constater que la SAS Middadi a poursuivi lesdits contrats à compter du 29 mai 2015,

- constater qu'elle a rompu brutalement les contrats d'exclusivité,

en conséquence,

- prononcer la résiliation de la convention d'approvisionnement exclusif adossé au prêt de 150 500 euros, conclu avec la Brasserie Saint Omer le 9 décembre 2014,

- condamner la SAS Middadi au paiement de 94 640 euros au titre des pénalités prévues par la convention de fourniture adossée au contrat de prêt, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure,

- prononcer la résiliation de la convention d'approvisionnement exclusif adossé au prêt de 150 700 euros, conclue avec DAB le 20 mai 2014,

- condamner la SAS Middadi au paiement de 174 312,80 euros au titre des pénalités prévues par la convention de fourniture adossée au contrat de prêt, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure,

- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros à chacun des demandeurs, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la Selarl Lexavoué Aix-en-Provence, avocats associés.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 mars 2018.

MOTIFS

Sur la nullité des contrats d'approvisionnement exclusif :

L'appelante, invoquant les dispositions de l'article 1131 ancien du Code civil, fait valoir que les contrats d'approvisionnement exclusif, conclus par la société Gemama avec la société DAB en contrepartie de l'octroi d'un prêt de 150 700 euros et avec la société Brasserie Saint Omer en contrepartie du cautionnement pour l'obtention d'un crédit auprès de la banque CIC à hauteur de 150 500 euros, sont nuls comme dépourvus de cause.

Elle expose que, lors de la cession du fonds de commerce entre elle et la société Gemama, le prêt, compte tenu du remboursement anticipé opéré par cette dernière, accordé par la société DAB n'existait plus, qu'il n'y avait donc plus aucune contrepartie au contrat d'approvisionnement exclusif, qu'en tout état de cause, la contrepartie en était dérisoire car le prêt n'était que de 150 000 euros, que de plus la société DAB avait également pris des cautionnements en garantie du remboursement du prêt, que, concernant le contrat d'approvisionnement exclusif auprès de la Brasserie Saint Omer, la contrepartie de cette exclusivité, tellement disproportionnée au regard des quotas à réaliser, a également un caractère dérisoire qui ne peut conduire qu'à la nullité.

Mais, la cause, qui constitue une condition de la formation du contrat, d'une obligation doit s'apprécier à la date où elle est souscrite, de telle sorte que le remboursement anticipé du prêt est sans influence sur son existence.

Par ailleurs, la contrepartie à l'engagement d'approvisionnement exclusif contracté par la SARL Gemama, aux droits de laquelle se trouve la SAS Middadi du fait de la vente du fonds de commerce signée le 29 mai 2015, qui consistait en l'octroi par le distributeur, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, d'un prêt de 150 700 euros n'a pas le caractère dérisoire allégué, et ne saurait justifier la nullité de la convention du 20 mai 2014 pour défaut de cause.

S'agissant de la convention de fourniture de bière exclusive conclue le 9 décembre 2014 entre la SAS Brasserie de Saint Omer et la SARL Gemama, l'argumentation quant au caractère dérisoire de la contrepartie dont bénéficiait cette dernière, en l'occurrence le cautionnement solidaire souscrit par le fournisseur pour garantie du paiement de l'intégralité des sommes dues au titre d'un crédit de 150 500 euros consenti par la banque CIC Nord-Ouest, n'a pas davantage lieu d'être retenue, et la demande de nullité de ce contrat au motif d'une absence de cause est également rejetée.

Sur l'exécution des contrats d'approvisionnement exclusif :

En ce qui concerne le contrat de prêt conclu le 20 mai 2014 avec la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Middadi fait valoir qu'il était prévu à la convention que l'obligation d'approvisionnement exclusif n'avait lieu que pendant la durée du financement, qu'elle n'était donc plus tenue en vertu de ce contrat après remboursement anticipé par la SARL Gemama du crédit consenti, que, d'ailleurs, contrairement à la convention conclue avec la SAS Brasserie de Saint Omer, il n'existe pas dans ce contrat de clause stipulant qu'en cas de remboursement anticipé du prêt, l'obligation de fourniture exclusive ne cesserait pas.

A cet égard, il est exact que ne figure pas dans l'acte du 20 mai 2014 de précision quant au devenir de l'obligation d'approvisionnement exclusif en cas de remboursement anticipé du prêt dont elle est la contrepartie.

Et, aux termes de la convention, n'est pas visée, en ce qui concerne la durée de ladite obligation, la durée de cinq ans, durée initialement prévue du prêt, mais la " durée du financement ", avec la précision qu'" après complet remboursement du financement, les aides de marché pourront à nouveau être accordées au client. "

Cette formulation, sur laquelle la SAS Distribution Azuréenne de Boissons ne s'explique d'ailleurs pas, permet de considérer qu'il était de l'intention des parties de lier, également dans la durée, remboursement et approvisionnement, étant en outre observé que dans l'acte de cession du fonds de commerce du 29 mai 2015, il est seulement fait état de ce contrat de prêt du 20 mai 2014 sans aucune autre indication, contrairement à ce qu'il en est pour celui souscrit auprès de la SAS Brasserie de Saint Omer, alors au surplus que ladite convention de prêt prévoyait qu'en cas de mutation du fonds de commerce, l'acte entraînant mutation devrait " reproduire in extenso les présents engagements ", ce qui n'a donc pas été fait.

Dans ces conditions, l'intimée, qui n'est pas fondée à solliciter la résiliation de la convention du 20 mai 2014, doit être déboutée de sa demande en paiement de la somme de 174 312,80 euros au titre de pénalités de rupture.

Le jugement est infirmé de ce chef.

S'agissant du contrat de fourniture exclusive conclu avec la SAS Brasserie de Saint Omer le 9 décembre 2014, l'appelante conteste avoir rompu unilatéralement les relations contractuelles et n'avoir pas respecté ses engagements d'approvisionnement en bières de l'intimée, faisant valoir que cette dernière n'apporte pas le moindre élément de preuve de ses allégations à cet égard.

Au vu des pièces versées aux débats, s'il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté, que la convention de fourniture de bière exclusive signée le 9 décembre 2014 entre la SAS Brasserie de Saint Omer et la SARL Gemama devait se poursuivre avec le cessionnaire du fonds, toutes précisions étant à cet égard, notamment quant à la durée et aux quantités de l'obligation de fourniture, reprises dans l'acte de vente du 29 mai 2015, il apparaît que, pour seule preuve du non-respect de ses obligations par la SAS Middadi, de la rupture fautive qu'elle lui impute et du montant des sommes qu'elle lui réclame à ce titre, l'intimée produit un courrier recommandé qu'elle lui a adressé le 3 juillet 2015 avec pour " objet : rappel de vos engagements ", ainsi formulé :

" Nous sommes informés de votre intention de ne pas honorer votre engagement de poursuite du contrat de fourniture de Bières à nos marques distribuées par DAB, contrairement aux termes de l'acte d'acquisition de votre fonds de commerce.

Nous attirons votre attention sur le fait que le non-respect de cet engagement vous obligerait au paiement d'une indemnité dont le montant ne saurait être inférieur à la somme de 94 640 € selon la clause pénale du contrat.

Espérant ne pas avoir à vous réclamer cette indemnité et préférant vous voir débiter nos Bières conformément aux engagements pris, veuillez agréer... ".

A défaut d'un quelconque autre élément qui serait intervenu postérieurement, ce seul courrier ne saurait justifier la résiliation prétendument fautive, ni en tout état de cause le montant des sommes réclamées.

En conséquence, la SAS Brasserie de Saint Omer est déboutée de ses demandes à l'encontre de la SAS Middadi, et le jugement également infirmé en ce qui la concerne.

Sur les frais irrépétibles :

Sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, il sera alloué à l'appelante une somme de 2 000 euros.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déboute la SAS Distribution Azuréenne de Boissons et la SAS Brasserie de Saint Omer de toutes leurs demandes, Les condamne à payer à la SAS Middadi la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne les intimées aux dépens, ceux d'appel distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.