ADLC, 12 juin 2018, n° 18-DCC-94
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Décision relative à la fusion absorption de la coopérative agricole Prestor par la coopérative agricole Aveltis
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 11 mai 2018, relatif à la fusion absorption de la coopérative agricole Prestor par la coopérative agricole Aveltis, formalisée par un protocole de fusion en date 9 avril 2018 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Aveltis est une société coopérative agricole issue de la fusion de l'Union de coopératives Pigalys, de la coopérative des éleveurs de porcs du Léonet du Tréguier, de Porc Bretagne-Ouest, de la société coopérative Pigalys et de Porcs Sud Bretagne1. Le capital d'Aveltis est détenu par ses 790 éleveurs adhérents implantés dans les quatre départements de la région Bretagne (Finistère, Côte d'Armor, Morbihan et Ille-et-Vilaine), ainsi que dans une partie du département de la Loire-Atlantique. Son activité principale est la collecte de porcins vivants auprès de ses associés coopérateurs en vue de l'abattage. Elle assure également l'approvisionnement de ses adhérents en porcs reproducteurs en vue de la multiplication de leur cheptel et de porcelets en vue de leur engraissement, ainsi qu'en produits d'agrofourniture. Enfin, Aveltis exerce une activité marginale de collecte et de vente de céréales auprès de ses adhérents agriculteurs.
2. Prestor est une société coopérative agricole à capital variable qui regroupe 675 associés éleveurs coopérateurs implantés dans les quatre départements de la région Bretagne (Finistère, Côte d'Armor, Morbihan et Ille-et-Vilaine), ainsi que dans le département de la Loire-Atlantique. Son activité principale est la collecte et la vente de porcins vivants auprès de ses associés en vue de l'abattage. Elle assure également l'approvisionnement de ses adhérents en porcs reproducteurs en vue de la multiplication de leur cheptel et de porcelets en vue de leur engraissement, ainsi qu'en produits d'agrofourniture.
3. L'opération, matérialisée par un protocole de fusion en date 9 avril 2018, consiste en la fusion par voie d'absorption de Prestor par Aveltis. Prestor s'engage à faire apport à Aveltis de tous les éléments actifs et passifs qui constituent son patrimoine à la date de la fusion, sur la base des comptes arrêtés et certifiés au 31 décembre 2017. À l'issue de l'opération, la personnalité morale de Prestor doit disparaître.
4. En ce qu'elle entraîne la fusion par absorption de Prestor par Aveltis, l'opération notifiée est une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Aveltis : 411,3 millions d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 ; Prestor : 264, 5 millions d'euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Aveltis : 411,3 millions d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 ; Prestor : 264,5 millions d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. En amont de la collecte de porcs en vue de l'abattage (C), les parties sont simultanément présentes sur les marchés de la vente de porcelets en vue de leur engraissement (A) et de reproducteurs porcins destinés au renouvellement des cheptels (B). Elles sont également actives sur les marchés de l'agrofourniture (D).
A. LE MARCHÉ DE LA VENTE DE PORCELETS EN VUE DE LEUR ENGRAISSEMENT
7. Ce marché concerne les porcelets que les naisseurs-engraisseurs ne peuvent pas garder à défaut de place dans leurs exploitations et qu'ils revendent à d'autres éleveurs ayant des capacités d'engraissement disponibles2.
8. L'Autorité de la concurrence a envisagé une délimitation départementale du marché, en raison d'éventuelles contraintes sanitaires ou de coûts de transport, en laissant ouverte la question d'une analyse au niveau régional3. Les parties font valoir, quant à elles, que le marché géographique de la vente de porcelets en vue de leur engraissement serait de dimension régionale. L'analyse sera toutefois menée au niveau de chaque département où les activités des parties se chevauchent, dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle restent inchangées au niveau régional.
9. En l'espèce, Aveltis et Prestor fournissent simultanément des porcelets en vue de leur engraissement dans tous les départements de la région Bretagne (Finistère, Côtes d'Armor, Morbihan et Ille-et-Vilaine).
B. LE MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE REPRODUCTEURS PORCINS DESTINÉS AU RENOUVELLEMENT DES CHEPTELS
10. L'Autorité de la concurrence a envisagé l'existence d'un marché de la vente de reproducteurs porcins (verrats4 et cochettes5) destinés au renouvellement des cheptels, de dimension départementale6.
11. En l'espèce, Aveltis et Prestor vendent des reproducteurs porcins dans tous les départements de la région Bretagne.
C. LE MARCHÉ DE LA COLLECTE DE PORCS EN VUEDE L'ABATTAGE
12. De manière constante, les autorités de concurrence nationales7 et européenne8considèrent qu'il existe autant de marchés distincts que d'espèces d'animaux collectés pour être abattus. En effet, la taille et le poids des animaux varient d'une espèce à l'autre et les abattoirs sont équipés, en général, de matériel spécifique pour chaque espèce d'animal.
13. S'agissant des porcins, les autorités de la concurrence ont envisagé une segmentation entre les porcs et les truies9. En effet, les truies sont plus lourdes que les porcs, ce qui implique l'utilisation de chaînes d'abattage différentes, et leur viande est essentiellement utilisée pour la fabrication de produits élaborés.
14. Les autorités de concurrence considèrent que le marché de la collecte de porcs en vue de l'abattage est de dimension locale, correspondant à une zone de 120 à 200 kilomètres autour des abattoirs10.
15. En l'espèce, Aveltis et Prestor fournissent principalement des abattoirs situés dans la région Bretagne11.
D. LES MARCHÉS DE L'AGROFOURNITURE
16. L'Autorité de la concurrence distingue traditionnellement le marché amont mettant en présence les fabricants en qualité de vendeurs et les distributeurs ou coopératives agricoles en qualité d'acheteurs, d'une part, et le marché aval mettant en présence ces derniers en qualité cette fois de revendeurs, et les agriculteurs en qualité d'acheteurs, d'autre part12.
17. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément actives sur les marchés amont13 et aval de la distribution au détail de produits d'agrofourniture.
18. Au sein de ce marché, la pratique décisionnelle distingue plusieurs marchés : les produits d'agrofourniture destinés à la culture de terres, les produits d'agrofourniture destinés à l'élevage et les produits d'agrofourniture d'hygiène et de santé animale14.
19. En l'espèce, les activités des parties se chevauchent sur les produits d'agrofourniture destinés à l'élevage, d'une part, et d'hygiène et de santé animale, d'autre part.
1. LE MARCHÉ DE L'AGROFOURNITURE EN ÉQUIPEMENTS SPÉCIFIQUES À L'ÉLEVAGE
20. L'Autorité de la concurrence a envisagé l'existence d'un marché de l'agrofourniture de matériel d'élevage (abreuvoirs, auges, clôtures, etc.), toutes espèces animales confondues15.
21. À l'occasion de plusieurs décisions dans le secteur porcin, elle a envisagé la délimitation d'un marché d'agrofourniture plus fin, limité à l'élevage porcin, et de dimension départementale16.
22. Au cas d'espèce, Aveltis et Prestor sont simultanément actives sur le marché de la distribution de produits d'agrofourniture destinés à l'élevage porcin dans les quatre départements de la région Bretagne17.
2. LES PRODUITS D'AGROFOURNITURE D'HYGIÈNE ET DE SANTÉ ANIMALE
23. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence segmente le marché de la santé animale en fonction de l'indication thérapeutique, de l'espèce animale à laquelle les produits sont destinés ou encore du mode d'administration18.
24. En l'espèce, Aveltis et Prestor fournissent à leurs coopérateurs des produits nécessaires à la mise en œuvre du plan sanitaire d'élevage porcins selon les modes d'administration suivants : voies orales, parentérales et cutanées19.
25. S'agissant de la délimitation géographique de ces marchés, l'Autorité de la concurrence considère qu'elle est de dimension départementale20.
26. En l'espèce, les activités des parties se chevauchent sur le marché de l'agrofourniture en produits d'hygiène et de santé animale pour la mise en œuvre des plans sanitaires porcins dans les quatre départements de la région Bretagne.
III. Analyse concurrentielle
A. LESMARCHÉSDE LA VENTE DE PORCELETS EN VUE DE LEUR ENGRAISSEMENT
27. Sur ce marché, les activités des parties se chevauchent sur les quatre départements de la région Bretagne (Finistère, Côtes-D'Armor, Ille-et-Vilaine et Morbihan). Les parties ont indiqué ne pas disposer de statistiques leur permettant d'évaluer leurs parts de marché, mais elles estiment, au regard des éléments dont elles disposent, que la part de marché de la future entité sera inférieure à 25 % dans chacun de ces départements.
28. Compte tenu de ces parts de marché limitées, l'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la vente de porcelets en vue de leur engraissement.
B. LES MARCHÉS DE LA VENTE DE REPRODUCTEURS PORCINS DESTINÉS AU RENOUVELLEMENT DES CHEPTELS
29. À l'issue de la fusion, les parties estiment que la nouvelle entité détiendra une part de marché de 16,3 %dans le Finistère, 9 %dans les Côtes-D'Armor, 4,1 % dans l'Ille-et-Vilaine et 24,8 % dans le Morbihan.
30. Compte tenu de ces parts de marché limitées, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la vente de reproducteurs porcins destinés au renouvellement des cheptels.
C. LES MARCHÉS DE LA COLLECTE DE PORCS VIVANTS EN VUEDE L'ABATTAGE
31. Sur le marché de la collecte des porcs charcutiers vivants en vue de l'abattage, Aveltis et Prestor représentent respectivement 14,1 % et 9,9 % des porcs fournis aux abattoirs implantés en Bretagne, soit 25 % pour la nouvelle entité. Cette dernière restera par ailleurs confrontée à la concurrence d'acteurs importants tels que Cooperl Arc Atlantique, Porc Armor et Triskalia.
32. S'agissant des abattoirs clients des parties, la part que représentera la nouvelle entité dans leur approvisionnement dépassera 25 %pour les abattoirs du groupe Bernard situés à Loudéac (22) et Moréac (56), celui du groupe Kermené situé à Saint-Jaquet du Mené (29) et celui du groupe Intermarché situé à Josselin (56). Pour autant, la nouvelle entité collectera moins de 35 % des porcs dans les zones de collecte de ces abattoirs.
33. Sur le marché de la collecte de truies, la part de marché cumulée de la nouvelle entité est estimée à environ 28,5 % au niveau régional. La nouvelle entité fera notamment face à la concurrence de Cooperl, de Triskalia, de Porc Armor, ainsi que de nombreux autres groupements indépendants. En outre, les deux coopératives n'approvisionnent pas les mêmes abattoirs, à l'exception de l'abattoir Bernard à Loudéac (22) pour lequel la part de la nouvelle entité dans l'approvisionnement de l'abattoir est estimée à 33 %. Bien que les parties n'aient pas été en mesure d'estimer leur part de marché sur la zone de collecte de l'abattoir, elles indiquent que la nouvelle entité ne représentera que 18,6 % du marché de la collecte des truies de réforme sur la zone d'abattage dite " UNIPORC Ouest ", sur laquelle est présent cet abattoir21.
34. Au demeurant, les abattoirs interrogés dans le cadre de l'instruction ont écarté l'hypothèse d'une augmentation des tarifs ou d'une limitation de leurs approvisionnements à leur détriment par la nouvelle entité.
35. Il ressort des éléments qui précèdent que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ces marchés.
D. LES MARCHÉS DE L'AGROFOURNITURE
1. LE MARCHÉ DE L'AGROFOURNITURE EN ÉQUIPEMENTS SPÉCIFIQUES À L'ÉLEVAGE
36. La vente de produits d'équipements spécifiques à l'élevage est une activité marginale des parties qui représente moins de 1 % de leur chiffre d'affaires respectif.
37. Sur ces marchés, la part de marché de la nouvelle entité sera inférieure à 25 %, quel que soit le département considéré.
38. Compte tenu de ces parts de marché, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l'agrofourniture en équipements spécifiques à l'élevage.
2. LE MARCHÉ DE L'AGROFOURNITURE EN PRODUITS D'HYGIÈNE ET DE SANTÉ ANIMALE
39. La vente de produits destinés à la mise en œuvre du plan sanitaire d'élevage porcin est une activité marginale des parties, qui représente moins de 2 % du chiffre d'affaires d'Aveltis et 3 % de celui de Prestor.
40. Au niveau régional, la part de marché de l'entité combinée est estimée à 15,5 %. Selon les estimations fournies par les parties, la nouvelle entité ne disposera d'une part de marché supérieure à 25 % que dans le département du Finistère (29,9 %).
41. Compte tenu de ces parts de marché limitées, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l'agrofourniture en produits d'hygiène et de santé animale.
DÉCIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 18-049 est autorisée.
NOTES
1 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-137 du 18 octobre 2010 relative à la fusion entre les coopératives Coop Pigalys, PSB, PBO, LT, l'union de coopératives Union Pigalys et la branche d'activité porcine de Terrena.
2 Voir la décision n° 17-DCC-210, du 13 décembre 2017 relative à la fusion par absorption de la société Coopérative des Agriculteurs de la Mayenne par la coopérative agricole Terrena.
3 Ibid.
4 Mâle non castré, employé dans un élevage de porcs pour ses qualités de reproducteur, de l'âge de six mois à cinq ou six ans.
5 Jeune femelle destinée à la reproduction mais qui n'a pas encore eu de porcelets.
6 Voir les décisions n° 17-DCC-210 précitée et n° 15-DCC-144 du 23 octobre 2015 relative à la fusion par absorption de la société coopérative agricole porcine de la Manche par la société coopérative agricole de la Mayenne.
7 Voir notamment les décisions C2008-100 / lettre du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi du 17 février 2009, au conseil de la société Bigard, relative à une concentration dans le secteur de la viande, C2007-174 / lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi du 6 février 2008 au conseil de la société Bigard, relative à une concentration dans le secteur de la viande de boucherie et les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-137 précitée et n° 10-DCC-81 du 21 juillet 2010 relative à l'apport des activités porcines de la Centrale Coopérative Agricole Bretonne et de la Coopérative de Broons à la société Prestor.
8 Voir les décisions de la Commission européenne IV/M.1313 Danish Crown/Vestjyske Slagterier du 9 mars 1999 et COMP/M.3605 -Sovion / HMG du 21 décembre 2004.
9 Voir la décision n° 15-DCC-144 précitée.
10 Voir la décision n° 17-DCC-210 précitée.
11 Les parties fournissent également de manière très marginale des abattoirs dans la région des Pays-de-Loire ainsi que dans les départements de l'Eure-et-Loir et des Deux-Sèvres 12 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 16-DCC-59 du 29 janvier 2016 relative à la fusion entre les coopératives Charentes Alliance et Corea et n° 13-DCC-170 du 28 novembre 2013 relative à la fusion par absorption de la coopérative Géo par la coopérative Cavac.
13 Compte tenu de la part de marché des parties sur le marché aval, l'opération notifiée n'est pas de nature à emporter des effets sur le marché amont.
14 Voir la décision n° 17-DCC-210 précitée.
15 Voir la décision n° 17-DCC-210 précitée.
16 Voir les décisions n° 10-DCC-81 et n° 10-DCC-137 précitées.
17Dans le département de la Loire-Atlantique, Aveltis, a une présence insignifiante. Par conséquent, l'opération n'est pas susceptible d'avoir une quelconque incidence sur la concurrence dans ce département.
18 Voir les lettres du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi C2007-54 du 25 janvier 2007, aux conseils de l'Union de coopératives agricoles Invivo, relative à une concentration dans le secteur d'aliments pour le bétail et C2007-79 du 26 juillet 2007, aux conseils de la société Sofiprotéol relative à une concentration dans le secteur de la production et de la commercialisation d'aliments pour animaux, santé animale et production animale et les décisions n° 17-DCC-210 et n° 15-DCC-144, précitées.
19 Conformément à ce que le Conseil d'État a jugé dans son arrêt Riaucourt du 24 janvier 2007, les coopératives ne sont plus autorisées à détenir et à vendre à leurs associés coopérateurs des médicaments vétérinaires soumis à la prescription d'un vétérinaire et qui ne sont pas nécessaires à la mise en œuvre des plans sanitaires d'élevage.
20 Voir les décisions n° 10-DCC-81 et n° 10-DCC-137, précitées.
21 UNIPORC Ouest est une organisation professionnelle principalement active en Bretagne mais qui recouvre également des abattoirs hors Bretagne (par exemple AIM dans la Manche, Vallegrain dans la Sarthe).