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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 28 juin 2018, n° 17-00054

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Opel France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mmes Bazet, Derniaux

Avocats :

Mes Lafon, Le Douarin, Buffo

TGI Pontoise, 2e ch., du 28 nov. 2016

28 novembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Le 25 juin 2007, Mme X a acquis auprès de la société Brie et Champagne un véhicule neuf Opel Antara C.2.OCDTI, immatriculé <xxxxxxx>, moyennant la somme de 32 878 euros.

Le 17 juillet 2013, le véhicule qui totalisait alors 108 329 km au compteur est tombé en panne et a été remorqué au garage Opel à Brie Comte Robert, qui établissait un devis de réparation d'un montant de 3 994,22 euros.

Une expertise amiable du véhicule, diligentée par l'assureur de Mme X, concluait à la détérioration de l'arbre à cames par friction.

Par courrier du 14 septembre 2013, Mme X écrivait à la société Général Motors afin de lui signaler le problème en relevant que ses recherches lui avaient permis de constater que d'autres utilisateurs de ce type de véhicule avaient été victimes de la même avarie.

Par courrier en réponse du 14 novembre 2013, Général Motors indiquait que " la qualité d'huile n'a pas été respectée, de ce fait, l'arbre à cames soumis à lubrification s'est usé de façon prématurée " et considérait que sa responsabilité n'était pas à rechercher.

Le 23 mai 2014, Mme X a fait assigner la société Général Motors France devant le Tribunal de grande instance de Pontoise en résolution de la vente pour vice caché.

Par jugement du 28 novembre 2016, le tribunal a :

• prononcé la résolution de la vente intervenue entre Mme X et la société Général Motors France le 25 juin 2007,

• condamné la société General Motors France à payer à Mme X la somme de 32 878 euros au titre de la restitution du prix et celle de 1 500 euros au titre du préjudice de jouissance,

• dit que la société Général Motors France devra venir récupérer, à ses frais, le véhicule Opel au lieu où il se trouve,

• condamné la société Général Motors France à payer à Mme X la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

• débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

• ordonné l'exécution provisoire,

• condamné la société Général Motors France aux entiers dépens.

La société Général Motors France désormais nommée Opel France, a interjeté appel et, aux termes de ses dernières écritures du 30 avril 2018, demande à la cour de :

• juger que le véhicule ayant été acquis par Mme X en juin 2007, toute action contre la société Opel France est prescrite depuis le 19 juin 2013,

• en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné, sur le fondement de la garantie légale des vices cachés, la société Opel France,

• débouter Mme X de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire, de :

• juger que la preuve de l'existence d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil n'est pas rapportée,

• infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le véhicule était affecté d'un vice caché et, statuant à nouveau, débouter Mme X de toute demande contre la société Opel France sur le fondement de la garantie légale des vices cachés.

A titre très subsidiaire, d'infirmer le jugement en qu'il a prononcé la résolution de la vente, le vice allégué ne présentant pas de caractère rédhibitoire, eu égard au coût modique de la réparation validée par l'expert Y.

A titre plus subsidiaire, dans le cas d'une résolution de la vente et de la restitution du véhicule, de juger que le prix à restituer par le vendeur s'élève à la somme de 4 988 euros, en contrepartie de la restitution du véhicule litigieux.

• juger que la preuve des préjudices allégués n'est rapportée ni dans leur principe, ni dans leur montant,

• en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente " intervenue entre Mme X et la société Opel France le 2 juin 2007 " et condamné la société Général Motors France à verser à Mme X la somme de 32 878 euros au titre de la restitution du prix, 1 500 euros au titre du préjudice de jouissance et 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

• débouter Mme X de toute demande contre la société Opel France.

En tout état de cause de condamner Mme X à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamner tout succombant au paiement des dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 27 avril 2018, Mme X demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la société Général Motors à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions notifiées aux dates mentionnées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 mai 2018.

SUR QUOI, LA COUR :

Le tribunal a jugé que l'expertise amiable réalisée à la demande de Mme X présentait bien un caractère contradictoire à l'égard de la société Opel France puisqu'elle y avait été dûment convoquée, que ce rapport d'expertise avait été soumis à la libre discussion contradictoire des parties et qu'il avait la valeur probante d'une pièce régulièrement versée aux débats de nature à emporter sa conviction dès lors qu'elle était corroborée par d'autres éléments.

Il a observé à cet égard que les conclusions de l'expertise amiable étaient corroborées par les deux éléments suivants :

• l'expertise préliminaire du garage Opel de Brie Comte Robert qui a constaté la détérioration de l'arbre à came et établi un devis de réparation correspondant aux dégradations constatées par l'expert,

• et un rapport d'expertise judiciaire réalisée dans une autre procédure mais sur un véhicule Opel modèle Saphira.

Il a jugé que le véhicule était affecté d'un vice caché antérieur à la vente, à savoir un système de régénération du filtre à particules équipant le moteur, non compatible avec une utilisation essentiellement urbaine du véhicule, les faibles parcours ne permettant pas un cycle complet de régénération et conduisant le gasoil à rejoindre le carter d'huile par les cylindres.

Il a ordonné la résolution de la vente.

La société Opel France soulève à titre principal la prescription de l'action de Mme X à son encontre dès lors qu'il est de jurisprudence constante que le délai de deux ans de l'action en garantie des vices cachés de l'article 1648 du Code civil est enfermé dans le délai de droit commun de cinq ans et ne se substitue pas à lui et que le point de départ de la prescription se situe à la date de la vente, en sorte qu'en l'assignant en mai 2014, Mme X a agi au-delà du délai de cinq ans qui a commencé à courir à compter de la vente du véhicule au garage qui le lui a vendu.

A titre subsidiaire, l'appelante soutient que la preuve de l'existence d'un vice caché n'est pas rapportée en l'état dès lors qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre sur la base du seul rapport non contradictoire de M. Z, que la preuve d'un vice caché affectant le véhicule litigieux ne saurait être rapportée par le rapport d'expertise judiciaire rendu dans une autre affaire et que la cause à l'origine de l'avarie n'est pas établie par l'expert Y, l'origine probable des désordres résidant dans un défaut d'usage et d'entretien du véhicule.

Mme X réplique que les dispositions de l'article 1648 du Code civil ont un régime autonome du régime de droit commun et que par suite les deux prescriptions ne peuvent se superposer, faute de fondement juridique commun. Elle indique que l'expertise amiable est contradictoire puisque General Motors y a été convoquée et que les jurisprudences citées par l'appelante selon lesquelles une expertise amiable ne peut servir de support à une condamnation sont des " épiphénomènes ". Elle ajoute que le défaut dont souffre son véhicule est un défaut de conception commun à tous les véhicules de la marque Opel.

Il est de principe que le délai de deux ans de l'action en garantie des vices cachés est enfermé dans le délai de prescription de l'article L. 110-4 du Code de commerce, qui, dans sa rédaction postérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, dispose que " les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes ".

Dans le contrat de vente, la garantie des vices cachés est attachée à la chose dont elle constitue l'accessoire nécessaire. Lorsqu'une chose a été vendue à plusieurs reprises, le sous-acquéreur peut, dans la chaîne ininterrompue des contrats, rechercher la responsabilité contractuelle de l'un quelconque des vendeurs, et exercer contre eux, y compris le vendeur initial, une action directe. Toutefois, le sous-acquéreur ne pouvant prétendre à plus de droits que celui ou ceux qui l'ont précédé dans la chaîne des contrats, le vendeur initial ne peut être tenu envers lui au-delà de son engagement, et peut lui opposer tous les moyens de défense qu'il aurait pu invoquer à son propre cocontractant, parmi lesquels celui tiré de la prescription.

Le délai de deux ans prévu à l'article 1648 du Code civil est enfermé dans le délai de droit commun et ne se substitue pas à lui. Alors que le délai de droit commun était fixé à dix ans lorsque le fabricant a vendu le véhicule litigieux mis pour la première fois en circulation le 2 juillet 2007, un nouveau délai a commencé à courir à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 qui a ramené de dix à cinq ans le délai de droit commun prévu aux articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce. Ainsi, Mme X qui n'a pas interrompu le délai de prescription par une assignation en référé, a engagé son action au fond par acte du 23 mai 2014, c'est-à-dire plus de cinq ans après le 19 juin 2008. Cette action est donc irrecevable comme prescrite.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

De manière surabondante, il sera observé que la preuve d'un vice caché antérieur à la vente n'est en tout état de cause pas rapportée.

En effet, si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties.

Or, en l'espèce, le tribunal s'est fondé sur l'expertise réalisée non contradictoirement à la demande de l'assureur de Mme X. Le fait que la société Opel France ait été convoquée par l'expert est indifférent dès lors qu'elle n'a aucune obligation d'assister à une expertise diligentée à l'initiative d'un tiers par un expert choisi et rémunéré par ce tiers.

Le tribunal, conscient de cette difficulté, a indiqué que deux autres éléments lui permettaient de conforter ce rapport d'expertise.

Cependant, si l'expert a conclu ainsi : " l'utilisation sur de faibles parcours n'arrange pas les régénérations et conduit le gasoil à rejoindre le carter d'huile moteur par les cylindres ; de ce fait l'huile n'a plus ses qualités de lubrification et les dommages au moteur sur les pièces mobiles subissent des dommages, comme nous le constatons sur l'arbre à cames détérioré ", cette analyse, réalisée sans démontage, ne saurait suffire à caractériser l'existence d'un vice caché ni être corroborée :

• par le devis du garage Opel de Brie Comte Robert qui ne renseigne aucunement sur la cause de la détérioration de l'arbre à cames,

• ou par le rapport d'une expertise judiciaire réalisée dans une autre affaire sur un véhicule de même marque certes, mais qui n'était pas le même modèle que celui acquis par Mme X.

Il n'est notamment apporté aucune réponse sur le fait que l'allumage de certains voyants aurait dû alerter Mme X sur la nécessité de faire rapidement une vidange, l'expert amiable se contentant de l'affirmation de celle-ci selon laquelle " aucun voyant important ne lui a permis d'être alertée ", sans avoir procédé à la moindre vérification sur le fonctionnement des dispositifs d'alerte.

Mme X, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Pour des considérations d'équité, il n'y a pas lieu d'allouer à la société Opel France une indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Statuant à nouveau : Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de Mme X à l'encontre de la société Opel France, La déboute en conséquence de toutes ses prétentions, Condamne Mme X aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Rejette la demande formée par la société Opel France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.