CA Chambéry, ch. civ., 10 mars 2009, n° 07-02496
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fromagerie de la Tournette (SAS)
Défendeur :
Compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme MONARD FERREIRA
Conseillers :
Mmes de la Lance, Mertz
Avocats :
SCP Forquin-Rémondin, SCP Bosson Reymond Perissin Chamba Merotto, SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon, Selarl Rimondi & Arminjon
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Fromagerie de la Tournette est une filiale de la SA Verdannet qui produit des tommes, notamment dans les locaux de la coopérative de la Compote, située à Le Chatelard (Savoie).
Pour ce faire, elle collecte le lait auprès des adhérents de la coopérative, dont fait partie Stéphane M..
La Fromagerie de la Tournette qui s'est aperçue que les tommes mises en fabrication le 3 juillet 2004 présentaient une couleur rosée a fait procéder à des analyses qui ont montré qu'elles contenaient des staphylocoques.
Soutenant que cette contamination provenait du lait produit par Stéphane M., la fromagerie l'a fait assigner, ainsi que son assureur la Compagnie Groupama Rhône-Alpes, par acte d'huissier du 20 février 2007, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code Civil aux fins de voir prendre en charge son préjudice correspondant à la perte de 771 kg de tomme des Bauges, qu'elle chiffre à la somme de 8 359,71 Euros.
Par jugement du 8 novembre 2007, le Tribunal d'Instance d'Aix-les-Bains a :
condamné Stéphane M. et la Compagnie Groupama Rhône-Alpes à payer à la Fromagerie de la Tournette la somme de 3 121,17 Euros en faisant application des dispositions de l'article 1386-8, outre 400 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 26 novembre 2007, la Fromagerie de la Tournette a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par conclusions déposées le 19 août 2008, elle demande à la Cour de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal d'instance d'Aix les Bains en ce qu'il s'est fondé sur les dispositions des articles 1386-1, 1386-2, 1386-4 du Code civil
- dire que la SAS Fromagerie de la Tournette a respecté les dispositions de l'article 1386-9 en prouvant le dommage, le défaut et le lien de causalité entre eux
- dire que Mr M. et la Compagnie d'Assurances Groupama Rhône-Alpes ne rapportent pas la preuve contraire définie par l'article 1386-11 du Code civil
- réformer le jugement rendu par le Tribunal d'instance d'Aix les Bains le 8 novembre 2007 en ce qu'il a fait application des dispositions de l'article 1386-8 du Code civil et en ce qu'il a réduit l'indemnisation du préjudice de la SAS Fromagerie de la Tournette
- fixer le préjudice subi par la SAS Fromagerie de la Tournette à la somme de 8 359,71 euros
- condamner in solidum Mr M. et la Compagnie d'Assurances Groupama Rhône-Alpes à verser cette somme de 8 359,71 euros à la Sté Fromagerie de la Tournette
- les condamner in solidum à payer à la SAS Fromagerie de la Tournette la somme de 3 000 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les condamner in solidum en tous les frais et dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient que le partage de responsabilité édicté par l'article 1386-8 ne s'applique pas en l'espèce.
Par conclusions déposées le 3 juin 2008, Stéphane M. et son assureur demandent à la Cour de :
- requalifier l'action et de la déclarer forclose sur le fondement des dispositions de l'article 1648 du Code Civil,
- à titre subsidiaire dire que le vice était apparent au jour de la livraison et que l'origine de la contamination n'est pas établie,
- plus subsidiairement dire que l'appelante a directement contribué à la survenance de son dommage en ne procédant pas à des vérifications suffisantes,
- à titre infiniment subsidiaire, retenir le partage de responsabilité édicté par l'article 1386-8 du Code Civil, le mélange de matières premières d'origines diverses constituant une incorporation et confirmer le jugement déféré,
- condamner la Fromagerie de la Tournette à lui payer la somme de 2 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE la DECISION
Sur l'existence d'un dommage causé par un produit défectueux
Selon le procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances à l'évaluation des dommages, non daté, mais se référant à des réunions d'expertise des 28 juillet 2004 et 24 janvier 2005, les experts intervenant pour chacune des parties ont constaté le 3 juillet 2004 vers 3 heures : collecte du lait des traites de la veille chez Monsieur M. représentant 599 litres. Ce lait est mélangé au cours de la tournée dans une citerne représentant un global de 13028 litres et transvasé dans un tank à la Fromagerie de la Compote.
3 juillet à 5 heures 30 : mise en production du lait du tank représentant 6025 litres dans 3 cuves de fromages.
3 juillet fin de matinée : constatation de tommes à consistance rosée.
Information de Monsieur M. qui confirme que, la veille, lors d'une traite, une vache avait encorné sa voisine au niveau de la mamelle et que du sang s'était écoulé et avait été mélangé au lait de la traite.
Lundi 5 juillet 2004, des échantillons du lait du producteur et de tommes ont révélé la présence de staphylocoques. Des analyses complémentaires de toxines se sont révélées négatives.
Néanmoins et compte tenu de la présence de traces rosées, ces tommes n'ont pu être commercialisées et ont dû être détruites.
Le rapport du SERI, expert mandaté par la Société AIG, assureur de la SA Verdannet, en date du 29 juillet 2004, mentionne en effet, en page 13 qu'il a été procédé à un prélèvement de tommes qui a été confié à Monsieur B. (expert intervenant à la demande de la Société GROUPAMA, assureur de Stéphane M.) en vue d'analyses auprès d'un laboratoire spécialisé...d'autre part, le lait du producteur, qui a été congelé, va être analysé en vue de rechercher la présence d'éventuelles toxines, un échantillon de lait étant prélevé, à chaque collecte, sur les productions des différents éleveurs.
Le rapport d'essai n° AO4.4554.1 du LIDAL (laboratoire vétérinaire départemental de la Haute Savoie) se rapportant à un échantillon 1 concernant de la tomme des bauges analysée à la demande de Mr B. expert réceptionnée le 29 juillet 2004, soit le jour du prélèvement, par le laboratoire, à une température de 12°, constate la présence de 370 000 staphylocoques par gramme au lieu des 1 000 par gramme autorisés.
Par ailleurs le rapport d'essai n° A044554.3 du LIDAL concernant du lait 03 07 (avec présence de sang) du prod 52 de la compote... qui est Stéphane M., réceptionnée également le 29 juillet 2004, à une température de 12° constate la présence de 7 000 staphylocoques alors que dans ce produit leur nombre doit demeurer inférieur à 500.
Ces éléments établissent d'une part que le lait livré le 3 juillet 2004 par ce dernier, de couleur rosée contenait très vraisemblablement du sang et surtout, compte tenu de sa contamination par des staphylocoques était d'une qualité sanitaire n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre d'un produit alimentaire et d'autre part que le fromage élaboré à partir de ce lait était affecté du même défaut.
Le lait défectueux a donc rendu la production de la Fromagerie de la Tournette impropre à la consommation, l'intimé ne pouvant sérieusement prétendre qu'un fromage qui contient un nombre de staphylocoques 370 fois supérieur à la norme est conforme à la commercialisation au plan sanitaire. Il n'est d'ailleurs pas contesté que le lot de fromage contaminé a été détruit.
Le lien de causalité entre le produit défectueux et l'atteinte à la tomme fabriquée à partir de ce lait et distincte de lui est ainsi établi.
C'est donc à juste titre que la Fromagerie de la Tournette sollicite la réparation du dommage qu'elle subit du fait de la perte de sa production.
Sur l'application des principes de la responsabilité du fait des produits défectueux
Les articles 1386-1 et suivants du Code Civil, qui prévoient un régime de responsabilité du fait des produits défectueux ont donc vocation à s'appliquer en l'espèce.
Dans la mesure où ce régime résulte d'une directive communautaire du 25 juillet 1985, il doit primer sur le droit interne et notamment les articles 1641 et suivants dont l'application est revendiquée par l'appelant.
Ainsi, selon l'article 1386-1 le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Dans la mesure où Stéphane M. ne conteste pas que la Fromagerie de la Tournette a procédé à un test à la résazurine et respecté les critères de contrôle PROST établis par la profession, il ne saurait soutenir que ses procédures internes sont directement à l'origine d'une aggravation de son dommage' et que donc elle aurait commis une faute susceptible d'atténuer sa propre responsabilité.
Il ne se prévaut en revanche d'aucune des causes d'exonération prévues par l'article 1386-11. Il est donc responsable de plein droit, conformément aux dispositions édictées par cet article, du dommage causé à la Fromagerie de la Tournette par la défectuosité de son lait, sans que cette dernière ait à établir l'existence d'une faute.
Sur le dommage subi par la Fromagerie de la Tournette
L'article 1386-8 du Code Civil dispose qu'en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables.
Pour autant, dans la mesure où le fromage s'obtient, selon la définition figurant au décret n°88-1206 du 30 décembre 1988, par le traitement et notamment la coagulation du lait ou des produits laitiers et non par l'incorporation du lait dans un autre produit, Stéphane M. ne peut sérieusement prétendre que les dispositions de ce texte doivent en l'espèce recevoir application.
De même le mélange simultané de laits d'origines diverses qui ne consiste pas à faire entrer une partie dans un tout ne saurait correspondre à la notion d'incorporation visée par le texte.
Il en résulte que la Fromagerie de la Tournette doit être indemnisée de son entier dommage.
Il n'est pas contesté que la qualité défectueuse des 599 litres de lait produits par Stéphane M. a provoqué la perte de 771 kg de tomme des bauges.
Les deux experts missionnés par les compagnies d'assurances ont fixé le coût de la perte de cette marchandise à 4 489 Euros.
La Fromagerie de la Tournette qui prétend que ce coût est de 4 834,17 Euros ne produit aucun document pour en justifier. C'est donc l'évaluation des experts qui sera retenue.
Le montant des frais de destruction de la marchandise fixé à 1 063 Euros par l'appelante correspond à celui retenu par ces derniers.
Les frais d'analyse, d'un montant de 962,14 Euros, sont justifiés par les factures produites par la Fromagerie de la Tournette. Ils sont un élément du préjudice subi par cette dernière et doivent en tant que tel être supportés par le producteur du produit défectueux.
En ce qui concerne les frais de gestion du dossier, ils ne sauraient être estimés à une somme supérieure à 500 Euros, en l'absence de justificatif suffisamment précis du coût des différentes opérations qui auraient été facturées par la Société Verdannet à la Fromagerie de la Tournette.
Le préjudice de l'appelante doit donc être fixé à la somme totale de 7 014,14 Euros.
Par ces motifs, LA COUR, statuant et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens, Statuant à nouveau, Dit que Stéphane M. est responsable du préjudice subi par la Société la Fromagerie de la Tournette sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code Civil, Condamne solidairement Stéphane M. et la Compagnie Groupama Rhône-Alpes à payer à la Société la Fromagerie de la Tournette la somme de 7 014,14 Euros en réparation de son préjudice, Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile, Condamne solidairement Stéphane M. et la Compagnie Groupama Rhône-Alpes à payer à la Société la Fromagerie de la Tournette la somme de 1 200 Euros, Condamne solidairement Stéphane M. et la Compagnie Groupama Rhône-Alpes aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Forquin Remondin avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.