CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 juillet 2018, n° 15-15553
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Vu le jugement du 9 juillet 2015, par lequel le Tribunal de commerce de Lyon a :
- joint pour une bonne administration de la justice et suivant l'ordonnance du 26 juin 2013 les affaires enrôlées sous les numéros 2011J00942,
- condamné la société X à payer à la société Y la somme de 298 338 euros outre intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation au titre de la marge nette perdue de 2003 à 2009,
- condamné la société X à payer à la société Y la somme de 63 929,57 euros outre intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation au titre de la marge nette perdue de 2010 et 2011,
- débouté la société Y de sa demande d'indemnité sur la perte d'image de la société,
- condamné la société X à payer à la société Y la somme de 67 257,05 euros au titre de l'allongement de la durée de préavis de 3 mois,
- débouté la société Y de sa demande sur la perte de marge postérieure à la rupture des relations avec la société X,
- pris acte du fait que la société Y renonce à toute demande à l'encontre de la société X au titre de la reprise du stock existant en fin de contrat,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision nonobstant appel et sans caution,
- rejeté tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,
- condamné la société X à payer à la société Y la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société X aux entiers dépens de l'instance y compris les frais d'expertise ;
Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 14 mai 2018 par lesquelles la société X invite la cour à :
- infirmer purement et simplement le jugement entrepris en ce qu'il a considéré, sans en justifier, que le préavis aurait dû être d'une durée de 15 mois au lieu de 12 et en conséquence a condamné la société X à payer une indemnité égale à 3 mois de marge soit 67 257,05 euros pour rupture brutale des relations commerciales,
statuant à nouveau,
- dire que le préavis de 12 mois accordé par la société X est un préavis suffisant au regard des usages et de la jurisprudence et qu'il a permis à la société Y de trouver une solution de substitution,
- dire qu'en conséquence, la rupture du contrat du 1er février 2001 n'a pas été brutale,
- rejeter l'appel incident de la société Y tendant à voir porter la durée du préavis à 18 mois et à voir condamner la société X à payer la somme de 223 574 euros,
- débouter en tout état de cause la société Y de ses demandes indemnitaires pour rupture brutale d'une relation commerciale établie fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- dire que le contrat de distribution exclusive du 1er février 2001, était un contrat à durée indéterminée résiliable à tout instant sans indemnité tel que rappelé aux articles 15 a et 15 b du contrat,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Y de sa demande indemnitaire, correspondant à 5 années de pertes de marges, pour perte d'une chance de poursuivre les relations commerciales,
- rejeter l'appel incident de la société Y et sa demande de condamnation à hauteur de 2 991 035 euros,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la société X aurait réalisé des ventes en violation de l'exclusivité et condamné cette dernière à payer 298 338 euros et 63 929,87 euros au titre de la perte de marge nette sur les années 2003 à 2011,
statuant à nouveau,
- dire que la société X n'a réalisé aucune vente violant les dispositions du contrat de distribution exclusive,
- débouter la société Y de toutes ses demandes indemnitaires de ce chef et plus généralement de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Y à verser à la société X la somme de 50 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Y aux entiers dépens de l'instance, compris les frais d'expertise judiciaire dont distraction au profit de la SCP Z en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 18 mai 2018 par lesquelles la société Y, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour de :
sur la violation du contrat de distribution signé en 2001
- débouter la société X de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner en conséquence la société X à payer à la société Y la somme de 298 338 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation au titre de la marge nette perdue de 2003 à 2009 ainsi que celle de 63 929,57 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation au titre de la marge nette perdue pour les années 2010 et 2011,
sur la rupture brutale des relations commerciales
- débouter la société X de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que la société X a rompu de manière brutale la relation commerciale avec la société Y,
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a limité le préavis à respecter à 15 mois,
statuant à nouveau,
- dire que la société X aurait dû respecter un préavis de 18 mois eu égard à l'ancienneté de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture,
en conséquence,
- condamner la société X au paiement à la société Y d'une somme de 223 574 euros au titre de la perte de marge brute subie au regard de la partie du préavis non respecté (6 mois),
sur la rupture abusive du contrat
- déclarer l'appel incident de la société Y recevable et bien fondé,
en conséquence,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Y de sa demande de condamnation de la société X du chef d'abus dans la rupture des relations,
statuant à nouveau,
- condamner la société X au paiement à la société Y d'une somme de 2 991 035 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de poursuivre et développer ses relations commerciales avec la société X,
sur les frais irrépétibles et dépens de 1ère instance
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société X à payer une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société X aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance en ce compris les frais d'expertise pour un montant de 15 700 euros TTC,
sur l'ensemble des demandes
- condamner la société X à payer à la société Y une somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société X aux entiers frais et dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl A, avocat aux offres de droit ;
SUR CE
Il ressort de l'instruction du dossier et il n'est pas contesté que :
- le 23 janvier 1996, la société X, spécialisée dans le secteur de la fabrication de matériel de fabrication et de forage, et la société Y qui est distributeur de matériel divers de chantiers et qui a repris, en 1994, le fonds de commerce, créé le 19 août 1986 et exploité en nom personnel par Mme Patricia L. née R. sous le nom commercial Y, ont conclu un premier contrat de distribution exclusive portant sur des " marteaux hydrauliques adaptables sur pelles, type brise roche BRH, BRV, BRP, ainsi que les modèles à venir, les marteaux perforateurs pneumatiques, poussoirs et chariots de forage légers ainsi que les pièces détachées qui s'y rapportent " sur 7 départements déterminés, pour une durée de 5 ans, la société X se réservant le droit de travailler en direct avec les grands loueurs nationaux, certains loueurs régionaux cités, ainsi que " les Constructeurs et Importateurs de pelles au niveau des maisons mères et non au niveau des distributeurs, concessionnaires et/ou représentants locaux... ", ces réserves de vente " ne concernant que les appareils complets et non les pièces détachées. " et " la vente directe au distributeur " ne pouvant être réalisée par la société X qu'avec l'accord du concessionnaire,
- le 1er février 2001, les parties ont signé un second contrat de même nature pour une durée de 12 mois, renouvelable tacitement pour une durée indéterminée (15. (a)), sauf notamment dénonciation par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de 120 jours (annexe E) mais sans indemnité de part et d'autre (15. (d)),
- ce contrat concédait à la société Y le droit exclusif de distribuer des équipements complets, pièces détachées et accessoires X couverts par le Code 118 (Brises roches et Pinces X) (Article 1 et Annexe A) sur 15 départements de la France (article 2 Territoire),
- par exception à l'exclusivité, la société X se réservait le droit de vendre en direct les produits couverts sur le territoire concédé à certains clients, à savoir :
* les utilisateurs finaux expressément désignés à l'Annexe A, soit les grands loueurs nationaux (Loxam, Hertz, Laho, Kiloutou...), pour lesquels les ventes ne génèrent aucune commission pour la société Y,
* les maisons mères des constructeurs et importateurs de pelles et/ou de porteurs susceptibles de se voir adapter les produits du Code 118, ainsi que les " Original Equipment Manufacturers " (OEM),
* au client final lorsqu'il le demandera expressément et après autorisation de la société Y, la rémunération de celle-ci étant alors égale à 65 % de la différence entre le prix de vente au client final et le prix net distributeur,
- concomitamment à la conclusion de ce contrat, les parties ont échangé par courriers (lettres des 30 janvier, 6 et 16 février 2001), afin d'éclaircissements sur certains points,
- puis la société Y a reproché à la société X d'avoir, à plusieurs reprises, courant 2006, violé ses engagements contractuels en mettant en place un réseau de distribution parallèle des équipements relevant du Code 118 sur son territoire à des prix inférieurs de 10 % en moyenne au tarif distributeur X, et l'a attraite, par exploit du 21 novembre 2008, devant le Président du Tribunal de commerce de Lyon afin de désignation d'un expert pour déterminer son préjudice,
- suivant deux ordonnances des 23 mars 2009 (ventes des années 2003 à 2008) et 8 juillet 2010 (portant extension de la mission de l'expert aux ventes de pièces détachées concernant les produits couverts par le Code 118, objet de l'exclusivité ainsi qu'aux ventes pour l'année 2009), le Président du Tribunal de commerce de Lyon a fait droit à cette demande, refusant toutefois d'étendre les investigations sur les ventes de brises roches aux revendeurs X établis en périphérie du territoire exclusif concédé à la société Y,
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 avril 2010, la société X a notifié à la société Y la rupture du contrat de distribution exclusive moyennant un préavis d'un an, lui précisant que, bien qu'il s'agisse d'un contrat à durée indéterminée résiliable à tout instant sans motif, la résiliation était fondée notamment sur la chute significative des ventes X (divisées par 3 en trois ans) et le délaissement de certains des départements qui lui ont été confiés,
- en cours de préavis, la société X a proposé à la société Y la signature d'un nouveau contrat de distribution exclusive modifiant la définition contractuelle du matériel OEM et excluant les revendeurs de pelles (distributeurs régionaux) du champ d'exclusivité, entérinant ainsi les pratiques dénoncées par la société Y,
- l'expertise judiciaire étant encore en cours, la société Y a assigné au fond, par exploit du 25 mars 2011, la société X devant le Tribunal de commerce de Lyon afin d'indemnisation pour rupture brutale et abusive des relations commerciales,
- l'expert a déposé son rapport le 24 septembre 2012 aux termes duquel il a évalué la perte de marge nette subie sur l'ensemble du chiffre d'affaires, OEM et constructeur-porteur compris, à 298 338 euros.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Si, aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : ...5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable d'un courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
En l'espèce, si les parties conviennent de l'existence de relations commerciales constituées par la conclusion, en 1996 et en 2001, de deux contrats successifs de distribution exclusive des équipements X couverts par le Code 118 (brises-roches et pinces), et la reconduction tacite du dernier contrat jusqu'au 23 avril 2010, date à laquelle la société X en a notifié la résiliation à la société Y, en revanche, elles s'opposent tant sur leur point de départ que sur la durée du préavis suffisant.
Sur la durée de la relation commerciale
En premier lieu, la société X qui reconnaît l'existence d'un premier contrat de distribution exclusive conclu avec la société Y le 23 janvier 1996, ne peut sérieusement prétendre que le point de départ de la relation commerciale établie se situe le 1er février 2001, date de la conclusion du second contrat de distribution, au seul motif que celui-ci est l'objet de la résiliation, une relation commerciale établie ne se limitant pas au dernier contrat souscrit. Par suite, il est établi que les parties ont entretenu une relation commerciale à compter du 23 janvier 1996, soit sur une durée minimum de 14 ans et 3 mois.
En second lieu, la société Y qui revendique une relation commerciale établie depuis 25 ans en requérant que soient prises en compte les relations commerciales entretenues avec la société X par l'entreprise individuelle de Mme Patricia L., exerçant sous le nom commercial Y, depuis 1986, et qu'elle-même aurait poursuivies en acquérant le fonds de commerce de cette dernière le 10 août 1996, justifie qu'en lui consentant un contrat de distribution exclusive le 23 janvier 1996, la société X a entendu poursuivre avec elle les relations commerciales qu'elle entretenait avec l'Entreprise Y depuis 1986.
En effet, il ressort clairement des pièces communiquées aux débats par la société Y, non contestées par la société X, que le contrat du 23 janvier 1996 est la prolongation, sous forme de concession exclusive, des relations commerciales entretenues avec l'Entreprise Y, en ce qu'elles établissent que :
- du 1er décembre 1976 au 1er février 1996, la société X anciennement Etablissements X a employé M. Stéphane L., époux de Mme Patricia L., en qualité successivement de stagiaire démonstrateur, de démonstrateur, de technicien démonstrateur, de technicien après-vente et enfin, à compter de 1985, de VRP représentant les produits X sur 7 départements du Nord,
- à compter de 1986, l'Entreprise Y a distribué des brises roches X qu'elle commandait à la société X par l'intermédiaire de M. Stéphane L., alors VRP de la société X, peu important au regard de la notion de relations commerciales établies que ces commandes aient été modiques,
- en 1994, lors de son rachat par le groupe international Ingersoll Rand, la société X a entendu passer d'un système de distribution directe (VRP) à un système indirect par le biais de concessionnaires exclusifs,
- la société Y a été créée le 1er avril 1994 ayant pour gérante, Mme Patricia L., et pour administrateur, son époux, M. Stéphane L.,
- dans le cadre de négociations en vue de la conclusion du premier contrat de distribution exclusive du 23 janvier 1996, par la lettre du 22 février 1995, la société X a indiqué à Mme L. : " Nous demandons également que Y nous garantisse l'emploi de M. L. pour la distribution de nos produits, condition indispensable à la signature du contrat. ", puis par lettre du 23 novembre 1995, elle lui confirmait leurs discussions précédentes, dans le cadre de son changement de stratégie commerciale (passage d'un mode de vente direct à un mode de vente indirecte par le biais de concessions exclusives), sur un contrat concernant la région Nord comprenant les départements dans lesquels elle était représentée par M. Stéphane L., et la possibilité d'une extension de ce territoire sous la forme d'un avenant au contrat concernant le Nord et lui demandait notamment de reprendre ses salariés en place dans la région, " s'agissant d'un transfert d'activité ".
Dès lors, pour apprécier la durée du préavis suffisant, il y a lieu de tenir compte des relations commerciales entretenues précédemment par la société X avec l'Entreprise Y de sorte que la société Y justifie d'une ancienneté des relations commerciales établies d'environ 25 ans.
Sur le préavis suffisant
La société Y rappelle que le préavis contractuel ne constitue qu'un minimum, les parties ne pouvant faire obstacle aux dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Elle relève que la société X a d'ailleurs appliqué une durée de préavis supérieure aux 120 jours prévus au contrat, soit une année, mais elle considère que ce préavis est insuffisant eu égard à la nature de leurs relations commerciales anciennes de près de 25 années, à l'exclusivité qui lui a été consentie, à la notoriété des produits ainsi qu'à la part de chiffre d'affaires qu'elle réalisait auprès de la société X au moment de la rupture (plus de 36 % en 2010). Elle estime que le préavis à respecter ne pouvait raisonnablement être inférieur à 18 mois.
La société X réplique que la résiliation doit être précédée d'un préavis conforme au contrat, ou en tout état de cause suffisant pour permettre au concessionnaire de se reconvertir et que pour des relations anciennes (10, 15, 20 ans), la jurisprudence retient des préavis de 6, 9 à 12 mois, très rarement plus. Elle considère que le préavis octroyé était suffisant puisqu'il a permis à la société Y de trouver un autre concédant, la société Sandvik, qu'elle présente comme le Leader mondial sur le marché du Brise Roches. Elle ajoute que la société Y a conservé et même amélioré son chiffre d'affaires global l'année de la résiliation ainsi que les deux années suivantes. Elle affirme que la société Y ne justifie pas remplir les quatre conditions cumulatives de l'état de dépendance économique.
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant au regard des relations commerciales antérieures. En présence d'un préavis contractuel, il y a lieu de vérifier que celui-ci est suffisant et raisonnable. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, la dépendance économique, le volume d'affaires réalisé et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
En l'espèce, il n'est pas discuté qu'au moment de la rupture, la société Y bénéficiait d'une exclusivité de distribution des produits en cause. Par ailleurs, il est justifié et non sérieusement contesté que la part du chiffre d'affaires généré par l'activité avec la société X dans le chiffre d'affaires total de la société Y s'élevait à plus de 36 % au moment de la rupture.
Dans ces conditions, eu égard à l'ancienneté des relations commerciales d'environ 25 ans, à la nature de l'activité et à ses contraintes, à l'existence d'un accord d'exclusivité de distribution entre les parties, à la renommée des produits en cause et au volume d'affaires, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué le délai de préavis suffisant pour permettre à la société Y de prendre toutes dispositions utiles pour se réorganiser, à 15 mois. Par suite, le préavis octroyé de 12 mois est insuffisant, peu important à cet égard qu'il ait permis à la société L. matériel de trouver un autre concédant. La rupture est donc brutale et la société X qui en est responsable, doit indemniser la société Y au titre des 3 mois de préavis manquants.
Sur le préjudice résultant de la rupture
La société X considère qu'il ressort de la lecture des documents comptables que la société Y n'a subi aucun préjudice, son chiffre d'affaires et son résultat net ayant régulièrement augmenté à compter de la rupture. Elle ajoute que l'indemnité ne peut indemniser que la brutalité de la rupture et qu'il ne peut s'agir que d'une perte de marge nette calculée sur la moyenne de plusieurs exercices. Enfin, elle souligne que la clause de renonciation d'indemnités stipulée à l'article 15 d) du contrat de distribution est valable et opposable à la société Y qui l'a acceptée.
La société Y réplique que les événements postérieurs à la rupture ne peuvent être pris en compte pour évaluer le préjudice, que les stipulations du contrat qui lui ont été imposées ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que le tribunal a entériné la marge nette retenue par l'expert alors que la jurisprudence retient le taux de marge brute et qu'ainsi, le quantum des dommages et intérêts doit être porté à la somme de 223 574 euros au titre de la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qu'elle aurait dû réaliser pendant les 6 mois de préavis non respecté. La cour relève à cet égard que sa demande subsidiaire tendant au versement de la somme de 134 514,10 euros au titre de la marge nette ne figure que dans le corps de ses écritures et non pas dans le dispositif qui seul lie la cour.
Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
Le calcul consiste à déterminer la moyenne mensuelle de la marge sur coûts variables sur les trois exercices précédant la rupture, et à multiplier le montant ainsi obtenu par le nombre de mois de préavis dont aurait dû bénéficier la victime de la rupture.
Par ailleurs, les dispositions contractuelles prévoyant l'absence de versement d'indemnités en cas de résiliation du contrat ne trouvent pas lieu à s'appliquer s'agissant d'une indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies.
En l'espèce, il y a lieu de prendre en compte, non pas le seul chiffre d'affaires de l'année 2010 comme retenu par les premiers juges, mais le chiffre d'affaires moyen sur les trois années pleines précédant la rupture (2007 à 2009), réalisé par la société Y avec la société X, qui s'élève, selon les pièces produites, non contestées et reprises par l'expert judiciaire, à la somme mensuelle de 62 699 euros (992 997 + 841 932 + 422 237/3 ans/12 mois) et au vu du rapport d'expertise, non discuté sur ce point, d'évaluer le taux de marge sur coûts variables à 17 %. Dès lors, le manque à gagner de la société Y durant les 3 mois de préavis supplémentaire qui aurait dû lui être accordé, s'établit à la somme de 31.976 euros (62 699 x 17 % x 3mois). Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a évalué à 67 257,05 euros la marge nette perdue au titre de l'allongement de la durée de préavis de 3 mois, la société X sera condamnée à ce titre au paiement de la seule somme de 31 976 euros, et la société Y sera déboutée du surplus de ses demandes formées à ce titre.
Sur la rupture abusive du contrat de distribution exclusive du 1er février 2001
La société Y sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation formée au titre de l'abus de droit dans la rupture sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Elle reconnaît que la société X n'était pas tenue de motiver sa décision mais prétend qu'elle a préféré néanmoins se justifier de cette rupture pour tenter d'occulter le véritable motif de celle-ci, à savoir une mesure de rétorsion en égard à la procédure de référé-expertise. Elle ajoute que les motifs invoqués dans la lettre de résiliation sont erronés voire fallacieux.
Mais, étant rappelé que toute partie à un contrat à durée indéterminée peut, sans motif, mettre fin unilatéralement à celui-ci, sauf à engager sa responsabilité en cas d'abus, la cour constate qu'en l'espèce, aucun abus du droit de rompre n'est caractérisé, dès lors que la preuve d'une mauvaise foi ou d'une intention de nuire n'est pas rapportée et que la seule circonstance que la résiliation, intervenue régulièrement au regard des dispositions contractuelles avec octroi d'un préavis, soit postérieure à l'assignation en référé-expertise est insuffisante à démontrer la mesure de rétorsion alléguée. Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Y de sa demande d'indemnisation pour rupture abusive du contrat de distribution exclusive.
Sur les violations du contrat de distribution
Aux termes de ses dernières écritures, la société Y reproche à la société X l'existence de ventes directes d'équipements et de pièces détachées relevant du Code 118 à destination de 9 distributeurs multimarques de pelles ou de porteurs implantés sur le territoire couvert par l'exclusivité de distribution qui lui a été consentie au mépris des dispositions contractuelles. La société X ne conteste pas l'existence de ces ventes répertoriées par l'expert judiciaire, mais considère que les 9 clients concernés sont exclus conventionnellement de l'exclusivité de sorte qu'elle affirme n'avoir commis aucune violation du contrat de distribution exclusive.
Les parties s'opposent sur la définition contractuelle des OEM qui sont exclus formellement du contrat de concession exclusive (Annexe A), la société X soutenant que, dès lors qu'il est vendu aux couleurs et marques différentes (Neuson, Manitou, Mecalac...) des produits X, que ce soit à la maison mère des constructeurs et importateurs de pelles ou de porteurs ou à des établissements distributeurs ou revendeurs de pelles, le matériel d'origine de fabrication X destiné à être intégré aux pelles ou porteurs d'un autre fabricant, est un OEM échappant à l'exclusivité de la société Y. Elle se prévaut à cet égard de la définition de l'OEM donnée par l'Orgalime qui caractérise un OEM comme du matériel (composant à incorporer, équipement à intégrer ou produit autonome) destiné à être intégré à ceux d'un fabricant qui le revendra à sa couleur et sous sa marque et non sous celles du fournisseur, et de son courrier du 16 février 2001, contresigné au cours de la négociation du contrat par M. L., qui établirait que les parties ont convenu, sans équivoque possible, que la distinction entre une vente OEM et une vente non OEM dépend bien du produit lui-même et non de l'identité du vendeur ou encore du circuit de vente. A l'inverse, la société Y considère que la nature du produit n'a aucune incidence et n'autorise pas la société X à travailler en direct avec les revendeurs de pelles pour lesquels le contrat de distribution exclusive ne distingue pas selon la nature de l'équipement vendu (OEM ou non), cette distinction n'étant faite que pour les constructeurs de pelles, et que la définition de l'OEM par l'Orgalime n'est jamais entrée dans le champ contractuel et ne lui est pas opposable. Elle se réfère à l'avenant que la société X a tenté de lui faire signer en janvier 2007 et qui aurait autorisé celle-ci à faire une offre directe aux revendeurs de pelles, sans son accord préalable, aux correspondances échangées lors de la conclusion du contrat de concession en 2001 et au projet d'avenant de 2011 qu'elle a également refusé de signer.
Il en ressort que la question posée est de savoir si la société X peut, sans enfreindre l'exclusivité concédée, vendre directement à des revendeurs de pelles ou de porteurs dans le territoire concédé exclusivement à la société Y, des brises roches et pinces qu'elle a fabriqué dès lors que ces outils sont destinés à être intégrés à du matériel fabriqué et vendu sous d'autres couleurs et marques.
Or, c'est à juste titre, aucun élément de fait ou de droit n'étant produit en appel de nature à remettre en cause l'appréciation des premiers juges, que ceux-ci ont considéré que la violation du contrat par la société X était caractérisée, retenant en substance qu'elle n'était pas fondée à travailler directement avec des revendeurs régionaux de pelles dès lors qu'ils n'étaient pas des établissements du fabricant " maison mère ".
En effet, le contrat de distribution exclusive du 1er février 2001 qui fait la loi des parties, définit à l'annexe A les produits couverts par l'exclusivité consentie à la société Y et par exception, mentionne que la société X se réservait le droit de vendre en direct les produits couverts sur le territoire concédé à certains clients, à savoir :
- les utilisateurs finaux expressément désignés à l'Annexe A, soit les grands loueurs nationaux (Loxam, Hertz, Laho, Kiloutou...), pour lesquels les ventes ne génèrent aucune commission pour la société Y,
- les maisons mères des constructeurs et importateurs de pelles et/ou de porteurs susceptibles de se voir adapter les produits du Code 118, ainsi que les Original Equipment Manufacturers (OEM),
- au client final lorsqu'il le demandera expressément et après autorisation de la société Y, la rémunération de celle-ci étant alors égale à 65 % de la différence entre le prix de vente au client final et le prix net distributeur.
Il convient donc de rechercher qu'elle a été la commune intention des parties en stipulant la clause ainsi libellée :
" la société X se réserve également le droit de travailler en direct avec les maisons mères des constructeurs et importateurs de pelles et/ou de porteurs susceptibles de se voir adapté les produits du Code 118 et exclut formellement de la concession les Original Equipment Manufacturers (OEM) ".
Il ressort sans équivoque que dans ce paragraphe, les parties se sont placées au seul niveau des constructeurs de pelles (Neuson, Manitou, Mecalac...) qu'elles ont entendu exclure, de l'exclusivité de distribution des brises roches et pinces X, de sorte que les OEM mentionnés, peu important à cet égard leur définition exacte, ne peuvent désigner que les équipements qui leurs sont destinés et non ceux à destination des revendeurs de pelles qui se situent à un autre niveau de la distribution. Cette commune intention des parties est confortée par la lettre-accord du 16 février 2001 adressée par la société X, contre-signée par M. L. et annexée au contrat, par laquelle les parties ont convenu de la définition des OEM faisant partie des exclusions à l'exclusivité de l'annexe A en ces termes :
" Le propre d'un OEM est de vendre sous ses couleurs et sa marque. Votre ancien contrat comportait d'ailleurs en son annexe II une clause de ce type : les OEM y étaient dénommés " constructeurs de pelles ", et le distinction était faite entre ce type de vente et les constructeurs vendant sous la marque X. Nous n'avons jamais parlé que d'OEM au sens strict et n'avons jamais abordé le problème des constructeurs de pelles vendant des marteaux marqués X et aux couleurs X (ce qui était le fait générateur des 5 % prévus dans votre ancien contrat). Je ne vois donc, de ce fait, aucun inconvénient à reconduire les 2e et 3e alinéas du paragraphe II-I de l'annexe II de votre ancien contrat ".
En outre, il doit être relevé qu'en janvier 2007 ainsi qu'en 2011, la société X a vainement proposé à la société Y de signer un avenant l'autorisant à faire une offre directe aux distributeurs de pelles, sans l'autorisation préalable de la société Y, ce qui corrobore le fait que les parties avaient entendu, lors de la conclusion du contrat de distribution exclusive en 2001, exclure de la vente directe par la société X, sans autorisation de la société Y, les équipements à destination des revendeurs de pelles et que la société X a tenté de les exclure du champ d'exclusivité, afin d'entériner les pratiques dénoncées par la société Y.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, c'est à tort que la société X, qui n'était pas fondée à travailler directement, dans le territoire protégé, avec les revendeurs régionaux de pelles dès lors qu'ils n'étaient pas directement des établissements du fabricant maison mère, soutient que sont exclus de la distribution exclusive et peuvent être vendus directement à des revendeurs régionaux, quel que soit leur implantation, les équipements X dès lors qu'ils sont destinés à être intégrés à des matériels vendus sous d'autres couleurs et marques.
Par suite la société X doit réparation du préjudice subi par la société Y du fait des violations du contrat de distribution exclusive.
Aux termes de son rapport déposé le 24 septembre 2012, l'expert judiciaire a évalué la marge nette totale perdue du fait des 9 ventes en cause à la somme de 298 338 euros pour les années 2003 à 2009. Le chiffre d'affaires réalisé par la société X avec les 9 clients litigieux pour les années en cause et perdu pour la société Y, a été évalué par l'expert, au vu des pièces comptables remises par la société X, à la somme totale 1 715 770 euros (page 28 du rapport d'expertise, tableau n° 6 intitulé " Tableau récapitulatif détaillé des chiffres d'affaires X par clients litigieux "). Ce montant, qui est justifié et non discuté par les parties, sera retenu. Le taux de marge sur coûts variables de la société Y sur les ventes de produits X, qui doit seul être pris en compte, a été évalué par l'expert, après retraitement du taux moyen de marge brute (27,2 % à partir du tableau n° 11 intitulé " Perte de marge brute à partir des clients considérés comme litigieux par L. ") du fait des charges variables évitées relativement au chiffre d'affaires perdu, à la somme de 298 338 euros. Cette somme justifiée et non contestée dans son montant par la société X, sera également retenue. Sur la base de cette somme correspondant à 7 années, les premiers juges ont justement évalué la perte de marge sur coûts variables, pour la période du 1er janvier 2010 au 30 avril 2011, soit 18 mois, à la somme de 63 929,57 euros (298 338 / 7 ans / 12 mois x 18 mois).
Par suite le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société X à verser la somme de 298 338 euros pour les années 2003 à 2009 et à 63 929,57 euros pour la période du 1er janvier 2010 au 30 avril 2011, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
Sur les autres demandes
La société X qui succombe essentiellement, devra supporter les dépens de première d'instance, en ce compris les frais d'expertise, et ceux d'appel. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens et à verser à la société Y la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La société X devra payer à la société Y la somme supplémentaire de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant dans les limites de l'appel, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société X à verser à la société Y la somme de 67 257,05 euros au titre de l'allongement de la durée du préavis de 3 mois ; L'infirme sur ce point ; statuant à nouveau, Condamne la société X à verser à la société Y la somme de 31 976 euros au titre de l'allongement de 3 mois de la durée du préavis suffisant ; et y ajoutant, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société X aux dépens de l'appel ; Autorise la Selarl A, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société X à verser à la société Y la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.