CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 5 juillet 2018, n° 17-13467
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jalis (SARL), Ghalis (SARL)
Défendeur :
Enedis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Messias
Conseillers :
Mmes Durand, Chalbos
Le 15 décembre 2014, un sinistre électrique a été constaté dans des locaux sis [...], exploités par la société Jalis et appartenant à la société Ghalis.
Les investigations effectuées par les agents d'ERDF ont permis d'établir que le sinistre avait pour origine la dégradation d'un câble enterré d'alimentation en énergie électrique de l'immeuble.
La surtension a endommagé des équipements et matériels professionnels.
Un incendie s'est également déclaré à partir d'une cafetière dans une partie de l'immeuble exploitée par la société DMB.
La société Jalis ayant souscrit auprès de la compagnie Groupama une police d'assurance multirisque pour son compte et pour le compte de la société Ghalis, cet assureur a mandaté le cabinet Elex qui a procédé à une expertise amiable contradictoire, à la suite de laquelle la société Jalis a reçu de la compagnie Groupama pour son compte et pour celui de la société Ghalis une indemnité totale de 54 647,43 .
La société Jalis a fait assigner ERDF devenue Enedis devant le Tribunal de commerce de Marseille, pour demander, avec la société Ghalis, intervenante volontaire, la condamnation de la défenderesse à leur payer les sommes de 14 798 au titre du préjudice matériel resté à charge et de 178 065 au titre du préjudice d'exploitation, pour l'évaluation duquel elle sollicitait à titre subsidiaire une mesure d'expertise comptable.
Par jugement du 29 juin 2017, le Tribunal de commerce de Marseille a :
- pris acte de l'intervention volontaire de la société Ghalis et l'a reçue en son intervention volontaire,
- déclaré la société Jalis SARL recevable en ses demandes,
- dit que la société Groupama était bien fondée à retenir les deux franchises de 920,80 au titre de ses garanties " incendie " et " dommages électriques ",
- dit que la société Enedis est seule responsable des dommages électriques causés à la société Jalis et à la société Ghalis et qu'elle leur en doit une complète indemnisation,
- condamné la société ERDF actuellement dénommée Enedis SA à payer à la société Jalis et à la société Ghalis la somme globale de 14 299,60 au titre des deux franchises laissées à sa charge par la société Groupama (1 841,60 ), des compléments d'indemnisation réclamés au titre de la remise en état des portails (5457 ) et du système de vidéoprotection (7501 ) après déduction de la franchise de 500 ,
- débouté la société Jalis SARL et la société Ghalis SARL de leur demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'exploitation et de leur demande d'expertise,
- condamné la société ERDF actuellement dénommée Enedis SA à payer à la société Jalis et à la société Ghalis la somme de 1 500 chacune au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société ERDF actuellement dénommée Enedis aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire pour le tout,
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires.
Les sociétés Ghalis et Jalis ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions déposées et notifiées le 8 janvier 2018, elles demandent à la cour, vu les articles 1382 du Code civil, 145 du Code de procédure civile, de:
Sur l'appel de la société Jalis :
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 29 juin 2017 en ce qu'il a débouté la société Jalis et la société Ghalis de leur demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'exploitation et de leur demande subsidiaire d'expertise,
- condamner en conséquence la société Enedis à verser à la société Jalis et à la société Ghalis ou qui d'entre elles mieux le devra la somme de 178 065 au titre du préjudice d'exploitation,
- subsidiairement, ordonner une expertise comptable aux fins d'évaluer le préjudice d'exploitation de la société Jalis,
- désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec mission habituelle et notamment celle de :
- se faire remettre tous documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission,
- entendre les parties et recueillir leurs explications,
- dire si les sociétés Jalis et Ghalis ont subi un préjudice d'exploitation consécutif au sinistre survenu dans la nuit du 14 au 15 décembre 2014,
- chiffrer le préjudice d'exploitation,
Sur l'appel incident de la société Enedis :
- déclarer non fondé l'appel de la société Enedis,
- confirmer purement et simplement le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Enedis à verser à la société Jalis la somme de 14 299,60 outre 1 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
En tout état de cause :
- condamner la société Enedis à verser à la société Jalis et à la société Ghalis la somme de 3 000 chacune au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Enedis aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la Selarl A. B. & associés représentée par Maître Annie A..
Par conclusions déposées et notifiées le 14 novembre 2017 la société Enedis demande à la cour, vu les articles 1245 et suivants du Code civil, vu l'article 146 du Code civil, vu la Directive 85/374/CEE, de :
Sur l'appel formé par la sociétés Ghalis et Jalis :
- dire et juger que les sociétés Ghalis et Jalis sont défaillantes à rapporter la preuve du préjudice d'exploitation allégué,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Ghalis et Jalis de leur demande de dommages et intérêts au titre d'un prétendu préjudice d'exploitation,
- dire et juger qu'une mesure d'expertise ne peut en aucun cas être ordonnée pour suppléer la carence de la partie demanderesse sur laquelle repose la charge de la preuve,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Ghalis et Jalis de leur demande d'expertise judiciaire,
Sur l'appel incident :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société Enedis la somme de 920,80 au titre de la franchise appliquée à la garantie incendie, Enedis n'étant responsable que des seuls dommages électriques et non de l'incendie,
- dire et juger que lorsque le bien est détérioré, la réparation est égale à la somme nécessaire à la remise en état de la chose,
- dire et juger que les sociétés Jalis et Ghalis ont été indemnisées de leur entier préjudice par la société Enedis laquelle leur a d'ores et déjà payé les sommes de :
- 1 176 au titre des dommages subis par le système de vidéosurveillance, correspondant au coût de la réparation,
- 3 887 au titre des dommages subis par les portails, correspondant au coût de la réparation,
- par conséquent, réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Enedis à payer les compléments d'indemnisation réclamés au titre de la remise en état des portails (5 457 ) et de la vidéoprotection (7 501 ),
- si par extraordinaire la cour faisait droit en tout ou en partie aux demandes de condamnation des sociétés Ghalis et Jalis et/ou ne réformait pas le jugement en ce qu'il a condamné la société Enedis à payer les compléments d'indemnisation, dire et juger que la déduction de 500 s'applique au vu des dispositions de l'article 1245-1 (ancien 1386-2) du Code civil et du décret n° 2005-113 du 11 février 2005 en son article 1er,
- si par extraordinaire la cour faisait droit à la demande d'expertise formée par les sociétés Ghalis et Jalis, dire et juger que la mission sera la suivante :
- déterminer si le préjudice de perte d'exploitation est constitué (étant précisé que l'interruption de fourniture n'a duré que 48 heures),
- dans l'affirmative, déterminer son ampleur, par une démonstration comptable,
- enjoindre aux sociétés Jalis et Ghalis de communiquer toutes pièces comptables utiles,
- établir un pré-rapport auquel les parties auront la possibilité de répondre, avant l'établissement du rapport définitif,
- en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés Jalis et Ghalis à payer à la société Enedis la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS :
Sur le régime de responsabilité applicable :
Les sociétés Jalis et Ghalis concluent au visa de l'article 1382 ancien du Code civil.
Elles ne contestent cependant pas expressément le moyen soulevé par la société Enedis et retenu par les premiers juges, tiré de l'application des articles 1386-1 et suivants (anciens) du Code civil relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux comme seul fondement juridique susceptible d'être invoqué à l'appui de la demande d'indemnisation.
La législation spécifique sur la responsabilité du fait des produits défectueux prime sur l'application des régimes de responsabilité de droit commun lorsque les conditions de son application sont réunies.
Aux termes de l'article 1386-1 ancien du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
L'article 1386-3 ancien précise in fine que l'électricité est considérée comme un produit.
Il résulte du rapport d'expertise amiable versé aux débats que l'altération d'un câble d'alimentation électrique et la rupture du conducteur de neutre ont entraîné une surtension électrique dans les locaux sis [...], exploités par la société Jalis et appartenant à la société Ghalis, cette surtension ayant endommagé certains équipements.
La société Enedis qui ne conteste pas sa responsabilité considère à juste titre que la surtension ainsi produite constitue, au sens de l'article 1386-4 ancien du Code civil, une défectuosité de l'électricité qui n'offre pas la sécurité à laquelle l'utilisateur peut légitimement s'attendre.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a fait application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, et déduit du montant de l'indemnité la franchise légale de 500 prévue par les articles 1386-2 ancien du Code civil et 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005.
Il résulte des explications des parties et du rapport d'expertise amiable qu'outre les dommages causés aux équipements électriques, la surtension est à l'origine d'un incendie qui s'est déclaré à partir d'une cafetière électrique dans les locaux de la société DMB, situés dans le même immeuble.
La société Enedis conteste sa responsabilité dans la survenance de l'incendie au motif que selon les constatations des experts, la cafetière Magimix de la société DMB n'a pas résisté à la surtension alors que selon la norme NF 15-100 en vigueur elle aurait dû être protégée contre un tel incident. Elle considère en conséquence que la survenance de l'incendie est imputable à la défectuosité de la cafetière.
La société Enedis ne conteste cependant pas que c'est bien la surtension qui a provoqué l'incendie de la cafetière.
Le rapport d'expertise amiable rappelle d'ailleurs que l'incendie résulte d'un dysfonctionnement avéré du câble d'alimentation électrique de ERDF desservant le bâtiment.
Or il résulte des articles 1386-13 et 1386-14 anciens du Code civil que si la faute de la victime peut supprimer ou réduire la responsabilité du producteur, tel n'est pas le cas du fait d'un tiers ayant concouru à la responsabilité du dommage.
La cafetière électrique étant en possession de la société DMB, qui est tiers par rapport aux sociétés Ghalis et Jalis, le défaut de sécurité affectant cette cafetière ne peut être opposées aux appelantes par la société Enedis comme une cause d'exonération de sa responsabilité.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société Enedis à payer aux appelantes le montant de la franchise de 920,80 retenue par Groupama sur l'indemnisation des dommages consécutifs à l'incendie.
Sur la demande de complément d'indemnités au titre des portails et système de vidéo protection :
Il résulte du rapport d'expertise amiable que la surtension a endommagé des automatismes de portail, barrières, portes de garage ainsi que le système de vidéosurveillance.
La société Jalis justifie avoir fait procéder au remplacement de ces équipements suivant factures de la société Domoture d'un montant total de 9 344 HT pour les portails et de la société ACSE d'un montant de 8 677 HT pour le système de vidéo protection.
La société Groupama n'a cependant versé à la société Jalis à ce titre que les sommes de 3 887 et 1 176 sur la base d'un coût estimé de réparation et non d'un remplacement de ces équipements, l'expert ayant noté dans son rapport que le matériel avait été totalement remplacé sans son accord alors que d'après les vérifications effectuées a posteriori par la société Electronic 2000, le matériel était réparable.
Les appelantes et l'intimée rappellent, pour en tirer chacune des conclusions différentes, le principe de la réparation intégrale du préjudice, en vertu duquel la réparation doit permettre de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage n'était pas survenu, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.
En l'espèce, il ne peut être reproché à la société Jalis, en l'absence de toute mise en garde expresse de l'expert lors de la première visite du 16 décembre 2014, d'avoir fait procéder immédiatement à la mise en sécurité du bâtiment, l'expert précisant dans son rapport qu'il a été nécessaire, dans l'intervalle, de faire intervenir une entreprise de gardiennage pour sécuriser les lieux.
La société Jalis a donc légitimement fait intervenir rapidement des entreprises qui ont préconisé le remplacement des matériels, les factures de la société Domoture faisant référence aux " devis concernant les éléments qu'il faut remplacer car HS ".
Ce n'est que plusieurs semaines plus tard selon facture d'intervention du 5 mai 2015 que la société Electronic 2000 a procédé sur la demande de l'expert de ERDF à des vérifications sur certains des équipements démontés et affirmer qu'ils étaient réparables. Il n'est toutefois produit aucun détail des sommes de 3 887 et 1 176 retenues par l'expert au titre des réparations.
L'allocation de ces montants réduits et non justifiés ne permettrait pas de réparer intégralement le préjudice de la société Jalis qui a effectivement supporté des coûts supérieurs pour un résultat qui ne lui procure aucun profit puisqu'il n'est pas contesté qu'il s'agit d'un remplacement à l'identique.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société Enedis à payer un complément d'indemnité correspondant à la différence entre les coûts réellement supportés par la société Jalis au titre du remplacement des matériels et les montants versés par Groupama.
Sur les demandes au titre du préjudice d'exploitation :
Les appelantes, qui ne précisent pas pour quelles raisons la société Jalis n'a pas été indemnisée de sa perte d'exploitation alors qu'elles produisent un contrat AXA couvrant ce risque, sollicitent l'allocation d'une somme de 178 065 à ce titre et produisent à l'appui de cette demande un document de calcul non signé ni daté, qu'elles présentent comme un rapport établi par le cabinet d'expertise Galtier.
Ce document comporte en premier lieu un tableau destiné au calcul du pourcentage de marge brute sur l'exercice 2014, faisant ressortir un taux de 95,01 %.
L'auteur observe ensuite à l'aide de tableaux et graphiques les chiffres d'affaires mensuels de l'entreprise entre janvier 2012 et juin 2015, et détermine la tendance du chiffre d'affaires sur cette période par la méthode des moindres carrés, obtenant une tendance de 32,88 % arrondie à 32,90 %.
Il ressort de ces éléments que la société Jalis réalise depuis 2012 un chiffre d'affaires important en forte progression : 7 561 481 en 2012, 9 503 373 en 2013, 12 351 360 en 2014 et 7 988 316 sur les 6 premiers mois de 2015.
L'auteur détermine ensuite le chiffre d'affaires théorique du premier trimestre 2015 en appliquant ce coefficient de 32,90 % au chiffre d'affaires de l'année précédente et compare ce chiffre d'affaires théorique avec celui effectivement réalisé, pour en déduire une perte de chiffre d'affaires de 187 411 soit une perte de marge brute de 178 065 .
C'est à juste titre que les premiers juges ont dénié tout caractère probant à cette démonstration purement théorique, basée sur une tendance aléatoire et peu significative sur la période d'un trimestre, sans aucune explication sur le lien de causalité entre l'incident d'exploitation du 15 décembre 2014 et la baisse de progression du chiffre d'affaires sur le premier trimestre 2015, la cour ayant d'ailleurs relevé qu'en appliquant cette même méthode au deuxième trimestre 2015 on obtient également un chiffre d'affaire réalisé nettement inférieur au chiffre d'affaires théorique alors qu'aucun préjudice d'exploitation n'est allégué sur cette période, ce qui tendrait à établir que le fléchissement du taux de progression du chiffre d'affaires en 2015 est sans rapport avec le sinistre du 15 décembre 2014.
La société Jalis, qui indique seulement avoir été privée d'électricité pendant 48 heures et avoir dû cesser son activité pendant cette période, ne fournit aucune explication sur la nature de sa production, sur le nombre et le type de taches qui n'ont pu être réalisées du fait de la coupure d'électricité, et, le cas échéant, sur la perte définitive de chiffre d'affaires résultant directement de cet arrêt d'activité.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Ghalis et Jalis, défaillantes à rapporter la preuve qui leur incombe, de leur demande en dommages et intérêts ainsi que de leur demande d'expertise, une telle mesure ne pouvant être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
Parties succombantes, les sociétés appelantes seront condamnées aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, condamne in solidum la société Jalis et la société Ghalis à payer à la société Enedis la somme de 2 000 à titre d'indemnité pour frais irrépétibles d'appel, Condamne in solidum la société Jalis et la société Ghalis aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.