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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 3 juillet 2018, n° 17-01832

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Producteurs de Mailly Champagne (Sté)

Défendeur :

LVC Diffusion (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mmes Maussire, Mathieu

Avocats :

Selas Fidal, SCP Badre Hyonne Sens Salis Denis Roger

T. com. Reims, du 13 juin 2017

13 juin 2017

La société de producteurs de Mailly Champagne a passé contrat commercial le 7 janvier 2015 avec la société LVC Diffusion, représentée par son président, M. X, en vue de la représenter et vendre en son nom certains de ses produits.

Après quelques mois d'activité, la société de producteurs de Mailly Champagne a résilié le contrat d'agent commercial pour faute grave le 16 octobre 2015.

Par acte d'huissier du 27 janvier 2016, la Sasu LVC Diffusion a assigné la société de producteurs de Mailly Champagne devant le Tribunal de commerce de Reims aux fins de voir déclarer abusive la résiliation du contrat et solliciter à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :

- préavis : 3 078,33 euros,

- perte de chance de revente de la carte : 60 000 euros,

- préjudice moral : 20 000 euros.

La société de producteurs de Mailly Champagne s'est opposée à ces demandes.

Par jugement du 13 juin 2017, le tribunal :

- a condamné la société de producteurs de Mailly Champagne à payer à la Sasu LVC Diffusion :

* la somme de 3 078,33 euros au titre de l'indemnité de préavis

* la somme de 23 991 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat

- a condamné la société de producteurs de Mailly Champagne à payer à la Sasu LVC Diffusion la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- a condamné la société de producteurs de Mailly Champagne aux dépens.

Le tribunal a considéré :

- qu'il n'y avait pas de faute grave justifiant la résiliation du contrat sans indemnité,

- que l'indemnité de préavis à hauteur de trois mois devait être fixée à la somme de 3 078,33 euros,

- que l'indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial devait être évaluée à deux années de commissions, soit 23 991 euros.

Par déclaration reçue le 3 juillet 2017, la société de producteurs de Mailly Champagne a formé appel de cette décision.

Par conclusions du 29 janvier 2018, elle demande à la cour :

- d'infirmer la décision rendue par le Tribunal de commerce de Reims,

- de débouter la société LVC Diffusion de l'intégralité de ses demandes et de son appel incident,

- de condamner la société LVC Diffusion à payer à la société de producteurs de Mailly Champagne une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Subsidiairement et si la cour estimait néanmoins que la rupture du contrat d'agent commercial donne lieu à indemnité, elle considérerait alors que l'indemnité de rupture ne peut excéder six mois de commissions et l'indemnité de préavis un mois de commissions,

- de condamner la société LVC Diffusion aux dépens avec recouvrement direct.

Par conclusions du 28 novembre 2017, la société LVC Diffusion demande à la cour :

- de déclarer l'appel recevable mais mal fondé,

- de débouter la société de producteurs de Mailly Champagne de toutes demandes, fins et prétentions,

- de confirmer le jugement rendu le 13 juin 2017 par le Tribunal de commerce de Reims, en ce qu'il a condamné la société de producteurs de Mailly Champagne au paiement de la somme de 3 078,33 € au titre de l'indemnité de préavis,

- de déclarer la société LVC Diffusion recevable et bien fondée en son appel incident,

Y faisant droit,

- d'infirmer le dit jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- de déclarer la société LVC Diffusion recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes,

Y faisant droit,

- de dire et juger que la résiliation effectuée est non fondée et abusive,

- de dire et juger que la société de producteurs de Mailly Champagne a engagé de ce fait sa responsabilité

contractuelle vis-à-vis de la société LVC Diffusion,

En conséquence,

- de condamner la société de producteurs de Mailly Champagne à payer à la société LVC Diffusion à titre de dommages et intérêts, les sommes suivantes :

- Indemnité de rupture : 60 000 €

- Préjudice moral : 20 000 €

- de condamner la société de producteurs de Mailly Champagne à payer à la société

LVC Diffusion la somme de 3 637,80 € au titre des frais irrépétibles de première instance et la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de condamner la société de producteurs de Mailly Champagne en tous les dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION :

La résiliation du contrat d'agent commercial de la société LVC Diffusion :

Aux termes de l'ancien article 1134 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Il ressort de l'article 14 du contrat signé entre les parties le 7 janvier 2015 qu'outre la possibilité de mettre fin au contrat dans les conditions prévues à l'article 3 (résiliation amiable), chacune des parties pourra résilier le contrat avec effet immédiat par lettre recommandée avec accusé de réception en cas de faute grave commise par l'autre partie dans l'exécution des obligations résultant du présent contrat, la lettre recommandée avec accusé de réception devant indiquer la faute grave reprochée ainsi que la volonté de résiliation qui en est la conséquence.

L'appelante soutient à titre principal :

- que les fautes reprochées à la société LVC Diffusion sont clairement évoquées dans le courrier de résiliation et que les motifs de rupture qui y sont indiqués sont parfaitement justifiés, soit :

* l'absence d'information du mandant sur le marché et son activité, et ce, contrairement à l'article 8.6 du contrat

* l'absence de rapport d'activité adressé au mandant dans les 15 jours suivant chaque trimestre

* le fait pour M. X d'avoir utilisé, dès le 31 juillet de l'année, la totalité de la dotation de bouteilles gratuites et de promotions

* le fait d'avoir dénigré la société de producteurs de Mailly Champagne sur la page Facebook de la société LVC Diffusion

L'intimée soutient de son côté que le contrat fait obligation aux parties qui souhaiteraient le résilier par anticipation de justifier d'une faute grave qui doit être indiquée dans la lettre de rupture, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et qu'aucune faute grave n'est, en tout état de cause, caractérisée.

S'agissant des trois premiers griefs qui sont invoqués par la société de producteurs de Mailly Champagne dans ses écritures, force est de constater que la lettre de résiliation du 16 octobre 2015 (pièce n° 8 de l'appelante) est totalement muette sur ce point dans la mesure où elle évoque un certain nombre d'obligations stipulées à l'article 8, notamment en ce qui concerne le respect de nos conditions commerciales, la défense des intérêts de notre société et l'information sur le marché et votre activité, obligations qui n'ont pas été respectées.

Cette société ne précise pas quelle serait la teneur de la faute grave qui serait reprochée à son cocontractant dans le cadre de l'article 8, et ce, en violation des dispositions contractuelles contenues à l'article 14, qui fait la loi entre les parties.

La faute grave n'est pas identifiée dans la lettre de rupture, ce qui peut suffire à considérer qu'elle n'est pas un juste motif à la résiliation du contrat.

En tout état de cause, les reproches cette fois-ci circonstanciés qui figurent dans les écritures de l'appelante à l'encontre de l'agent commercial ne constituent pas une faute grave dans la mesure où :

* le contrat ne mentionne aucune utilisation particulière des bouteilles gratuites, aucune remarque n'ayant d'ailleurs jamais été faite à la société LVC Diffusion sur ce point

* l'absence de transmission des rapports trimestriels d'activité tels qu'ils figurent au contrat n'a jamais fait l'objet de la moindre remarque ou rappel de la société de producteurs de Mailly Champagne, préalable indispensable à la caractérisation d'une faute de la part de son cocontractant

* l'absence d'information du mandant par son mandataire n'est pas davantage explicitée

Aucun de ces éléments ne peut donc être retenu pour imputer à faute à la société LVC Diffusion la résiliation du contrat.

La lettre de résiliation précise également que l'article 9 du contrat - qui prévoit que l'agent commercial doit agir en parfaite loyauté avec son mandant - a été violé, la société de producteurs de Mailly Champagne ayant été dénigrée sur la page Facebook de la société LVC Diffusion.

A la différence des griefs concernant l'article 8, ce grief est circonstancié dans la lettre de rupture.

Le message " dont la teneur est précisée dans la pièce n° 3 de l'appelante " émane de M. X et a été diffusé sur son compte Facebook personnel le 25 septembre 2015 ; dans la mesure où il est le président de la société LVC Diffusion, il peut être considéré que ce message engage également son entreprise.

Néanmoins, le nom de " l'incompétent qui pense être le nombril du monde " n'est pas cité ; il apparaît également que ce message a été retiré très rapidement par M. X et que cette expression, certes indélicate, ne peut, en tout état de cause, être considérée comme constituant un comportement déloyal de la société LVC Diffusion de nature à entrer dans le cadre de l'article 9-2 du contrat, de sorte qu'aucune faute grave de nature à justifier la résiliation du contrat sans indemnité ne peut lui être imputée de ce chef.

C'est par conséquent à bon droit que les premiers juges ont considéré que la société de producteurs de Mailly Champagne engageait sa responsabilité dans la rupture abusive du contrat.

La décision sera confirmée sur ce point.

Les préjudices :

L'indemnité de préavis :

L'appelante soutient à titre subsidiaire que c'est à tort que le tribunal a accordé une indemnité correspondant à trois mois de préavis alors que le contrat a été rompu au cours de sa première année d'exécution, de sorte que cette indemnité ne peut excéder un mois de commissions par application de l'article L. 134-11 du Code de commerce.

L'intimée sollicite la confirmation du jugement sur ce point, considérant que cet article prévoit aussi que le délai de préavis contractuel peut être plus long que celui prévu par la loi dès lors qu'il est identique pour les deux parties, ce qui est le cas dans le présent contrat.

L'article L. 134-11 du Code de commerce dispose que lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis.

La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil.

Les parties ne peuvent convenir de délais plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui qui est prévu pour l'agent.

En l'espèce, il ressort de l'article 3 du contrat que le délai de préavis est de trois mois au moins et qu'il est le même pour l'une et l'autre des parties qui souhaite mettre fin au contrat.

Le délai de préavis prévu pour le mandant n'étant donc pas plus court que celui qui est prévu pour l'agent, la clause contractuelle est parfaitement licite et il convient d'en faire application.

C'est par conséquent à bon droit que les premiers juges ont condamné la société de producteurs de Mailly Champagne à payer à la société LVC Diffusion la somme de 3 078,33 euros au titre de l'indemnité de préavis.

La décision sera confirmée sur ce point.

L'indemnité de rupture :

Le tribunal a considéré que bien qu'il n'était pas justifié du montant attendu du chiffre d'affaires sur la période postérieure à la résiliation du contrat, il convenait de considérer les commissions réalisées comme représentatives de l'activité future de la société LVC Diffusion et il a fixé le montant des commissions sur deux ans à la somme de 23 991 euros.

L'appelante soutient que ce montant est démesuré par rapport à la durée du contrat et l'intimée que le montant alloué n'est pas suffisant dans la mesure où il ne tient pas compte de la perte des commissions auxquelles elle pouvait prétendre dans le cadre de la poursuite de son contrat.

L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Cette indemnité répare le préjudice subi du fait de la privation des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier.

Elle doit être modulée en fonction de la durée du contrat.

En l'espèce, le contrat a été signé le 7 janvier 2015 et a été rompu le 16 octobre 2015.

Il a donc eu une durée de neuf mois.

La durée limitée du contrat justifie que l'indemnité de rupture due à la société LVC Diffusion soit fixée à une année de commissions et non deux suivant le calcul qui a été fait par le tribunal de commerce, soit :

- montant du chiffre d'affaires journalier réalisé du 7 janvier au 16 octobre 2015 :

soit 9 235,01/281 = 32,8648 euros

- multiplié par le nombre de jours de commissions (365),

soit 11 995 euros.

La décision sera par conséquent infirmée sur ce point et la société de producteurs de Mailly Champagne sera condamnée à payer à la société LVC Diffusion la somme de 11 995 euros à ce titre.

Le préjudice moral :

C'est à bon droit que les premiers juges ont débouté la société LVC Diffusion de sa demande, celle-ci n'étant pas en mesure de justifier d'un préjudice distinct de celui qui a été précédemment indemnisé.

La décision sera confirmée sur ce point.

L'article 700 du Code de procédure civile :

La décision sera confirmée.

L'équité ne justifie pas qu'il soit fait droit aux demandes formées à ce titre.

Les dépens :

La décision sera confirmée.

Succombant à titre principal en son appel, la société de producteurs de Mailly Champagne sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.

Par ces motifs : Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; Confirme le jugement rendu le 13 juin 2017 par le Tribunal de commerce de Reims en toutes ses dispositions à l'exception de celle concernant le montant de l'indemnité de rupture. Statuant à nouveau sur ce seul point ; Condamne la société de producteurs de Mailly Champagne à payer à la société LVC Diffusion la somme de 11 995 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d' agent commercial. Déboute les parties de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société de producteurs de Mailly Champagne aux dépens de l'instance d'appel.