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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 10 juillet 2018, n° 16-02523

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Renault (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Combes

Conseillers :

Mmes Jacob, Blatry

Avocats :

Mes Chateau, Payet, Colas, Serreuille

TGI Valence, du 10 mai 2016

10 mai 2016

EXPOSE DU LITIGE

Le 30 octobre 2011, M. X et Mme X ont acquis auprès de Y, exerçant sous l'enseigne M'Auto, un véhicule d'occasion Renault Scenic mis en circulation le 26 mai 2004 et affichant 113 000 kilomètres, au prix de 4 800 euros.

Le 30 décembre 2011, un bruit moteur a nécessité l'intervention d'un garagiste agent Renault, qui a procédé à un changement d'injecteur, avant de constater que l'avarie était plus grave.

Les époux X ont sollicité, le 8 mars 2012, une expertise en référé, au contradictoire du vendeur qui a appelé en cause la société Renault. L'expert a déposé son rapport le 21 janvier 2013.

Par acte du 9 janvier 2014, les époux X ont assigné Y et la société Renault devant le Tribunal de grande instance de Valence.

Par jugement du 10 mai 2016, le tribunal a :

- débouté les époux X de leurs demandes à l'encontre de la société Renault,

- prononcé la résolution de la vente du véhicule conclue entre Y et les époux X,

- condamné Y à restituer aux époux X la somme de 4 800 euros correspondant au prix de vente, en contrepartie de la restitution du véhicule, l'enlèvement du véhicule étant à la charge de Y,

- condamné en outre Y à payer aux époux X les sommes de :

• 69,37 euros au titre des frais de remorquage,

• 662,89 euros au titre des frais de recherche de panne/diagnostic,

• 73 euros au titre du contrôle technique,

• 1 000 euros au titre du préjudice de jouissance,

• 4 320 euros au titre des frais de gardiennage et 3 euros par jour à compter du jugement, jusqu'à l'enlèvement effectif du véhicule par Y,

- débouté les époux X du surplus de leur demande d'indemnisation,

- débouté Y de sa demande de garantie dirigée à l'encontre de la société Renault,

- condamné Y à payer aux époux X la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Y a relevé appel de cette décision le 27 mai 2016.

Par uniques conclusions du 25 août 2016, il demande à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement ;

subsidiairement, de dire que le vice caché existait à l'état de germe au moment de la mise sur le marché du véhicule par le constructeur et que la société Renault devra le relever et garantir de toute condamnation ;

en tout état de cause, de condamner les époux X à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Il expose avoir acquis le véhicule auprès d'un professionnel de l'automobile, le 28 septembre 2011, et n'avoir commis aucune faute.

Il considère qu'au vu des conclusions de l'expert judiciaire et du manquement du constructeur à son devoir de conseil, les époux X sont fondés en leur demande dirigée à l'encontre de la société Renault sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Il soutient subsidiairement qu'aucun vice caché n'est établi, l'analyse de l'expert n'étant aucunement étayée.

Très subsidiairement, il conteste les demandes d'indemnisation formulées par les époux X.

Dans leurs uniques conclusions du 21 juin 2016, les époux X demandent à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes à l'encontre de la société Renault ainsi que du surplus de leurs demandes indemnitaires,

- dire que la société Renault est à l'origine du préjudice occasionné par la détérioration du moteur ou, à tout le moins, d'une perte de chance d'éviter la panne,

- en conséquence, condamner la société Renault à réparer l'intégralité du préjudice subi à la suite de la panne du 30 décembre 2011, soit les sommes de :

• 7 471,72 euros au titre des travaux de remise en état, 285 euros au titre des frais de remise en route, 69,37 euros de frais de remorquage, 662,89 euros de frais de recherche de panne/diagnostic, 1 905 euros au titre de la perte de jouissance arrêtée au 31 janvier 2013, outre 4,80 euros par jour à compter du 1er février 2013 et jusqu'à règlement complet des condamnations,

• 3 euros par jour de frais de gardiennage du 1er juin 2012 jusqu'à règlement complet des condamnations,

- subsidiairement, dire que le véhicule est affecté d'un vice caché qui existait à l'état de germe au moment de la mise sur le marché du véhicule,

- condamner en conséquence la société Renault ou, à titre subsidiaire Y, à leur payer la somme de 4 800 euros en restitution du prix du véhicule et les sommes de :

• 69,37 euros de frais de remorquage, 662,89 euros de frais de recherche de panne/diagnostic, 1.905 euros au titre de la perte de jouissance arrêtée au 31 janvier 2013, outre 4,80 euros par jour à compter du 1er février 2013 et jusqu'à règlement complet des condamnations,

• 3 euros par jour de frais de gardiennage du 1er juin 2012 jusqu'à règlement complet des condamnations,

• 568,35 euros pour les frais engagés sur le véhicule en pure perte,

- condamner la société Renault ou Y à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Ils font valoir à titre principal que :

- en leur qualité de tiers au contrat de vente conclu entre la société Renault et les acquéreurs successifs, ils sont fondés à agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- ils sont également fondés à agir directement contre la société Renault, sur le fondement de la responsabilité contractuelle,

- les désordres constatés sur le véhicule proviennent de préconisations inadéquates du constructeur.

Ils sollicitent subsidiairement la garantie des vices cachés et soutiennent que le véhicule était atteint, au moment de la vente, d'une usure anormale et beaucoup trop précoce des coussinets de bielle ; que ce vice existait à l'état de germe dès la mise sur le marché du véhicule.

Dans ses dernières conclusions du 17 mai 2018, la société Renault demande à la cour de :

- dire que le fondement de la responsabilité délictuelle est irrecevable,

- dire qu'elle n'a pas failli à son obligation de conseil,

- déclarer l'action des époux X en garantie des vices cachés prescrite,

- subsidiairement, dire mal fondée l'action des époux X et de Y,

- très subsidiairement, dire que les prétendus préjudices sont injustifiés et ne sont pas en lien de causalité avec la panne,

- en conséquence, les débouter de l'ensemble de leurs demandes,

- en tout état de cause, condamner tout succombant à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Elle fait valoir que seul le régime de la responsabilité contractuelle est applicable ;

que le grief tiré d'un manquement à l'obligation de conseil n'est aucunement établi, l'hypothèse de l'expert n'étant pas techniquement étayée et les préconisations du carnet d'entretien en cas d'utilisation particulière du véhicule n'ayant pas été respectées ;

que l'action en garantie des vices cachés est prescrite : que les époux X recherchent sa garantie en tant que constructeur du véhicule, alors que la première mise en circulation est intervenue le 26 mai 2004 ; que le délai pour agir contre elle qui était initialement de 10 ans sur le fondement de l'article L. 110-4 du Code de commerce, a été ramené à cinq ans par la loi du 18 juin 2008 et qu'un nouveau délai de cinq ans a commencé à courir le 19 juin 2008 pour se terminer le 19 juin 2013 ; que l'assignation délivrée le 22 août 2012 par Y pour lui rendre commune les opérations d'expertise n'est pas de nature à interrompre le délai de prescription.

Subsidiairement, elle relève l'absence de démonstration de l'existence d'un vice caché, l'expert émettant seulement des hypothèses.

Très subsidiairement, elle discute les préjudices allégués.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

Les époux X qui concluent à l'infirmation du jugement, ne sollicitent la résolution de la vente qu'à titre subsidiaire, leur demande principale étant dirigée contre la société Renault.

Il ressort des éléments non contestés du litige que le 30 décembre 2011, le véhicule acquis par les époux X deux mois plus tôt a été définitivement immobilisé en raison d'une panne moteur.

L'expert judiciaire a constaté que la panne était due à la détérioration des coussinets de la bielle de la cylindrée n° 2, côté volant moteur, par arrachement de la matière tendre et dure.

Il indique que cette détérioration, constatée sur l'ensemble des coussinets des bielles, a débuté plusieurs dizaines de milliers de kilomètres avant la vente alors même qu'aucun défaut d'entretien ou d'utilisation ne peut être reproché aux époux X, l'entretien étant à jour et à réaliser dans 26 078 kilomètres.

Sur la demande des époux X à l'encontre de la société Renault

En vertu du principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, le sous-acquéreur qui exerce les droits de son vendeur ne peut agir à l'encontre du fabricant sur le fondement de la responsabilité de l'article 1382 devenu 1240 du Code civil, n'étant pas tiers au contrat, mais sur celui de la responsabilité contractuelle ou des garanties légales.

La demande principale fondée sur la responsabilité extra-contractuelle ne peut donc prospérer, ainsi que l'a justement retenu le tribunal.

En cause d'appel, les époux X invoquent un manquement de la société Renault à ses obligations contractuelles, lui reprochant d'avoir établi des préconisations insuffisantes sur l'entretien du véhicule.

Or, contrairement à ce qu'ils affirment, la cause de la détérioration des coussinets de bielle n'a pas pu être déterminée avec certitude.

En effet l'expert judiciaire n'est pas affirmatif lorsqu'il indique que " l'origine de la détérioration des coussinets des bielles peut provenir d'un espacement trop important des entretiens vidange résultant du programme préconisé par le constructeur (vidange tous les 30 000 kilomètres) ou d'un manque de stabilité du matériau les constituant ".

En l'état de ces seuls éléments et en l'absence d'analyse de l'huile et du matériau, les époux X ne rapportent pas la preuve d'une faute du constructeur de nature à engager sa responsabilité.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée à l'encontre de la société Renault.

Sur la demande des époux X à l'encontre de Y

Le vendeur est tenu, en application de l'article 1641 du Code civil, de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que la détérioration et l'usure des coussinets à l'origine de l'immobilisation du véhicule préexistaient à la vente du 30 octobre 2011, n'étaient pas décelables par un non-professionnel et rendent le véhicule impropre à sa destination.

La responsabilité de Y, vendeur, est dès lors engagée sur le fondement de l'article 1641 du Code civil.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la résolution de la vente et la restitution de la chose et du prix.

Y étant un vendeur professionnel, tenu à ce titre de connaître les vices de la chose vendue, il est également tenu de tous dommages intérêts envers les époux X.

Le jugement sera confirmé sur les sommes allouées aux époux X au titre des frais de remorquage, de recherche de panne, de contrôle technique et de gardiennage qui sont justifiés par les pièces produites.

Le préjudice de jouissance a également été justement évalué par le tribunal au regard du fait que les époux X ont dû acquérir un nouveau véhicule.

Sur la demande de Y à l'encontre de la société Renault

Y sollicite la garantie de la société Renault.

Il est de jurisprudence constante que l'action en garantie des vices cachés doit être engagée avant l'expiration du délai de la prescription de droit commun.

Le point de départ de la prescription se situe au jour de la naissance de l'obligation, c'est-à-dire à la date de la vente du véhicule au premier acheteur.

La société Renault rappelle à juste titre que lors de la première mise en circulation du véhicule en 2004, la prescription était de 10 ans. Elle a été ramenée à 5 ans par la loi du 18 juin 2008.

Par application des dispositions de l'article 2222 alinéa 2 du Code civil, un nouveau délai de 5 ans a commencé à courir à compter du 19 juin 2008 pour se terminer le 19 juin 2013.

La demande ayant été formée par voie de conclusions postérieurement à l'assignation du 9 janvier 2014, l'action contre la société Renault est prescrite.

Le jugement doit donc être confirmé, par substitution de motifs.

L'équité commande que Y verse aux époux X une indemnité de procédure pour les frais exposés en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, - Condamne Y à payer aux époux X la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Renault, - Condamne Y aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.