CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 19 juillet 2018, n° 16-01270
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chronopost (SAS), DPD France (SAS), La Poste (SA), Dachser France (SAS), Dachser Group SE & Co. KG (Sté), XPO Distribution France (SAS), XPO Logistics Europe (SA) , BMVirolle (SA), Schenker France (SAS) , Deutsche Bahn AG (Sté), DHL Express France (SAS), DHL Holding France (SAS), Deutsche Post AG (Sté), Gefco (SA), Peugeot (SA), General Logistics Systems France (SAS), General Logistics Systems BV (Sté), Royal Mail Group Ltd (Sté), Geodis (SA), SNCF Mobilités (Epic), Normatrans (SAS), Lotra Ltd (Sté), Alloin Holding (Sasu), Kuehne + Nagel Road (Sasu), Kuehne + Nagel International AG (Sté), TNT Express France (SAS), TNT Express NV (Sté), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel-Amsellem
Conseillers :
MM. Mollard, Douvreleur
Avocats :
Mes Boccon-Gibod, Calvet, Saint-Esteben, Vallette-Viallard, Condomines, Glatz, Hardouin, Thill-Tayara, de Maria, Morgan de Rivery, Teytaud, Wachsmann, Saleh Cherabieh, Hubert, Baechlin, Vogel, Boudailliez, Prodhomme Soltner, Alleaume, Autier, Viala, Gunther, Fisselier, Ninane
FAITS ET PROCÉDURE
1. La cour est saisie de plusieurs recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express.
Le secteur de la messagerie
2. Les pratiques en cause concernent, d'une part, le secteur de la messagerie traditionnelle et rapide et, d'autre part, le secteur de la messagerie express, et ce sur le territoire national.
3. Il convient de rappeler, tout d'abord, que les entreprises de messagerie assurent un service d'acheminement, par des moyens essentiellement routiers, de colis de moins de trois tonnes, provenant de différents chargeurs et adressés à différents destinataires. L'activité de messagerie se distingue du transport traditionnel en raison d'opérations intermédiaires de tri, groupage et dégroupage, consistant à réunir ou à scinder les envois de marchandises, en provenance de plusieurs expéditeurs et à l'adresse de plusieurs destinataires. À l'inverse, le transport routier concerne généralement des expéditions par lot et par camion complet.
Au sein de l'activité de messagerie, outre la distinction entre messagerie nationale et internationale (seule la première étant ici en cause), sont généralement distingués, sur le fondement du critère de la durée de la prestation, trois segments :
- la messagerie traditionnelle (délai de livraison de 24 à 72 heures sur le territoire national) ;
- la messagerie rapide (enlèvement avant 18 heures pour une livraison en principe le lendemain avant 18 heures sur le territoire national, mais les délais ne sont pas garantis) ;
- la messagerie express (enlèvement avant 18 heures pour une livraison le lendemain avant 12 ou 13 heures sur le territoire national avec différents niveaux de garantie sur les délais et une possibilité de suivi par le client).
4. La messagerie traditionnelle et la messagerie rapide (ci-après, ensemble, la " messagerie classique "), activités les plus importantes du secteur, s'adressent plus particulièrement à des envois lourds, groupés ou palettisés, avec des délais de livraison oscillant entre 24 et 72 heures pour la France, tandis que la messagerie express concerne les livraisons dans les 24 heures suivant l'heure de l'enlèvement chez le client, le poids moyen des colis étant d'environ 4 kilos.
5. Toutefois, malgré les distinctions ci-dessus évoquées quant aux poids, délais ou garanties, les différents segments de l'offre de messagerie ne font pas l'objet de délimitations strictes et tous conservent les caractéristiques fondamentales du secteur de la messagerie : organisation en réseau et recours à des opérations de groupage et de dégroupage au travers de plateformes de tri.
6. En 2008, le chiffre d'affaires en France du secteur de la messagerie classique et express s'élevait à 8,5 milliards d'euros.
7. Le chiffre d'affaires des entreprises de messagerie est marqué, depuis 2004, par une progression constante, à l'exception de l'année 2009, marquée par une baisse significative de la production manufacturière en France et, dans une moindre mesure, du commerce de gros, qui représentent les deux principaux débouchés du secteur de la messagerie comme indiqué ci-dessus. En 2010, le fort taux de croissance s'explique principalement par la reprise de la demande industrielle et des échanges extérieurs.
8. Le secteur de la messagerie est caractérisé, depuis plusieurs années, par une rentabilité très faible, voire négative. La faiblesse des marges a conduit à de nombreuses faillites et restructurations, en particulier au cours de l'année 2008, marquée par la disparition de 11 % des entreprises du secteur.
9. Il existe des surcapacités structurelles dans le secteur de la messagerie.
10. Les entreprises de messagerie sont structurées en réseau, par l'intermédiaire d'agences, afin de couvrir l'ensemble du territoire national ; elles ont pour principaux clients des sociétés issues de l'industrie manufacturière, du commerce de gros et de la vente à distance. S'agissant de la messagerie classique, si les réseaux les plus importants ont la capacité de réaliser toutes les étapes du transport de marchandises (collecte chez le client, tri à l'agence, transport vers une agence relais ou vers l'agence de destination, distribution), d'autres ont recours à la sous-traitance, s'adressant soit à des petites entreprises indépendantes, soit, plus rarement, à des concurrents directs. En revanche, s'agissant de la messagerie express, il est peu fait appel à la sous-traitance, les réseaux des entreprises actives sur ce segment étant généralement plus intégrés que dans la messagerie classique.
11. Les sociétés de la messagerie classique et express se sont dotées d'une organisation professionnelle représentative, la Fédération des entreprises de Transport et de Logistique de France (ci-après la " fédération TLF "). Celle-ci représente l'ensemble des métiers composant la chaîne de transport multimodal et s'organise en conseils de métiers et en commissions, parmi lesquels le Conseil de Métiers " Messagerie/Express " (ci-après le " Conseil de Métiers "), qui, à l'époque des faits, se réunissait quatre fois par an.
12. Dans le contexte de l'affaire, il est important de décrire les modalités de revalorisations tarifaires en œuvre dans le secteur de la messagerie.
13. Plusieurs postes de coûts des entreprises de messagerie classique et de messagerie express augmentent régulièrement. Ces augmentations concernent notamment les salaires, le carburant, les péages ou encore les loyers du foncier. Les entreprises de messagerie ont donc pris l'habitude de mettre en œuvre un processus de revalorisation tarifaire annuelle.
14. Il ressort de l'instruction que le même processus interne de détermination du taux de revalorisation tarifaire est généralement suivi par les entreprises de messagerie, et se décompose en cinq étapes :
(1) L'entreprise analyse dans le courant de l'été les augmentations subies sur ses principaux postes de coûts ;
(2) Elle détermine l'augmentation tarifaire globale dont elle a besoin pour consolider sa marge. Cette augmentation se fait sur une base annuelle ;
(3) L'entreprise établit une circulaire de revalorisation tarifaire, contenant le taux de hausse souhaité, et la transmet à ses clients pour information et en vue de la négociation commerciale. Cet envoi intervient généralement entre le début du mois de septembre et la fin du mois de novembre. Suivant les entreprises de messagerie, cette circulaire peut être envoyée à l'ensemble de la clientèle, ou bien uniquement à certaines catégories de clients.
Dans ce dernier cas, les clients les plus importants font généralement l'objet d'un démarchage individuel. Cette communication constitue le point de départ de la négociation tarifaire ;
(4) Les commerciaux visitent les clients pour négocier la revalorisation tarifaire qui sera effectivement appliquée l'année suivante. Ces négociations peuvent s'étaler du mois d'octobre au mois de mars de l'année suivante. L'argumentaire commercial est construit entièrement et systématiquement autour de la justification de ce taux ;
(5) Le résultat de cette négociation tarifaire produit ses effets sur l'ensemble de l'année qui suit, à compter du 1er janvier, du 1er février, voire du 1er mars, et jusqu'à l'application de la revalorisation tarifaire suivante.
15. Pour toutes les entreprises de messagerie classique et de messagerie express, les revalorisations annuelles constituent une étape essentielle de la négociation commerciale et leur permettent de rencontrer leurs clients afin de discuter non seulement des tarifs, mais également de la qualité des prestations et d'éventuelles nouvelles opportunités commerciales.
La procédure devant le Conseil puis l'Autorité de la concurrence
16. Par procès-verbal du 10 octobre 2008, le rapporteur général du Conseil de la concurrence a reçu une demande de mise en œuvre de la procédure de clémence sur le fondement du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce, présentée au bénéfice de la société Deutsche Bahn et de ses filiales, dont la société Schenker-Joyau SAS, devenue Schenker France (ci-après la " société Schenker ").
17. Ces sociétés, auxquelles le bénéfice conditionnel de la clémence a été accordé par avis de clémence n° 09-AC-03 du 3 février 2009, ont porté à la connaissance du Conseil de la concurrence - devenu l'Autorité de la concurrence (ci-après l'" Autorité ") - des informations pouvant faire soupçonner l'existence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la messagerie traditionnelle et de la messagerie rapide en France. D'après les déclarations de ces sociétés, ces pratiques auraient notamment vu le jour dans le cadre des réunions organisées par la fédération TLF.
18. Par décision n° 09-SO-03 du 4 novembre 2009, l'Autorité s'est saisie des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la messagerie classique.
19. Par procès-verbal du rapporteur général adjoint de l'Autorité, la société Deutsche Bahn et ses filiales ont dénoncé le 12 avril 2010 l'existence de pratiques dans le secteur de la messagerie express dans le cadre d'une deuxième procédure de clémence, dont le bénéfice conditionnel leur a été accordé par avis de clémence n° 10-AC-02 du 13 juillet 2010.
20. Par décision n° 10-SO-04 du 27 juillet 2010, l'Autorité s'est saisie des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la messagerie express.
21. Par décision du 13 septembre 2010, le rapporteur général de l'Autorité a procédé à la jonction des deux procédures engagées dans le secteur de la messagerie classique et dans le secteur de la messagerie express.
22. Le 29 septembre 2010, sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, l'Autorité a effectué des opérations de visites et saisies dans plusieurs entreprises des secteurs de la messagerie classique et de la messagerie express.
23. À la suite de ces opérations, la société Alloin Transports, devenue Kuehne + Nagel Road, a formulé auprès du rapporteur général adjoint de l'Autorité une demande de clémence de " type II ", dont le bénéfice conditionnel lui a été accordé par avis de clémence n° 11-AC-03 du 6 juillet 2011.
24. Le 20 juin 2014, le rapporteur général de l'Autorité a notifié deux griefs pour des pratiques prohibées au titre des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le " TFUE "). La plupart des entreprises se sont vu notifier les deux griefs, un petit nombre d'entre elles ne se voyant notifier que l'un des deux.
25. Le grief n° 1 était ainsi libellé : " Il est fait grief aux sociétés
Schenker-Joyau SAS et Deutsche Bahn AG,
Alloin Holding SAS,
Heppner Société de Transports, Lambert et Valette, XP France et Finaltra
Geodis Ciblex et Ciblex Financière,
Chronopost et La Poste,
Exapaq,
Dachser France et Dachser Holding GmbH & Co. KG,
Gefco et Peugeot SA,
GLS France, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group Limited,
Transports H Ducros,
DHL Express (France) SAS, DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post AG,
TNT Express France et TNT Express NV,
Ziegler France et Balspeed France,
Normatrans,
la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF),
d'avoir participé à une entente anticoncurrentielle sur le marché français de la messagerie classique et express, en mettant en œuvre dans le cadre des réunions du Conseil de Métiers Messagerie Express de la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF), ainsi qu'à l'occasion de contacts bilatéraux ou plurilatéraux, une pratique concertée visant à restreindre le jeu de la concurrence entre elles sur un élément de prix, dénommé "surcharge gazole", en convenant de la répercussion des variations du prix du gazole selon une méthode commune. Cette méthode commune comportait la mensualisation de la "surcharge gazole", le recours à des indices de référence communs (indices CNR), l'utilisation d'une grille de revalorisation à partir de coefficients multiplicateurs, la concomitance des dates de hausses et l'identification du montant de cette hausse spécifique en pied de facture.
Cette concertation avait pour objectif de présenter une approche et une méthodologie communes aux clients afin d'écarter le risque d'une réaction de refus de leur part et de ruptures contractuelles, alors même que l'environnement législatif, réglementaire et administratif, contemporain des faits, laissait toute liberté aux entreprises de transport quant à la méthode de répercussion des variations du prix du gazole dans leurs prix. Elle était donc de nature à faire obstacle au bon déroulement du processus concurrentiel dans le secteur.
Cette pratique relève d'actions anticoncurrentielles participant au même objectif commun : la maîtrise de la répercussion des variations du prix du gazole dans le prix final de la prestation de service de messagerie, soit la maîtrise d'un élément important du prix. En poursuivant cet objectif, les parties ont imposé sur le marché français de la messagerie classique et express un mode d'organisation substituant au libre jeu de la concurrence une concertation étendue à la majeure partie des entreprises actives sur ces marchés.
Cette pratique constitue donc une entente ayant un objet anticoncurrentiel, prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101 TFUE.
Cette entente a été mise en œuvre du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006.
Les griefs seront notifiés aux sociétés précitées, en considération de la durée de leur participation à l'entente.
Les griefs sont notifiés à Schenker-Joyau SAS et à Deutsche Bahn AG pour la période du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Alloin Holding SAS, pour la période du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Finaltra, Heppner Société de Transports, Lambert et Valette et XP France pour la période du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Geodis Ciblex et à Ciblex Financière pour la période du 22 septembre 2005 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Chronopost et La Poste, pour la période du 8 juin 2005 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Exapaq pour la période du 8 juin 2005 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Dachser France et Dachser Holding GmbH & Co. KG, pour la période du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Gefco et Peugeot SA, pour la période du 8 juin 2005 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à GLS France, General Logistics System BV et Royal Mail Group Limited, pour la période du 8 juin 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Transports H Ducros, pour la période du 8 juin 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à DHL Express (France) SAS, DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post AG, pour la période du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à TNT Express France et TNT Express NV, pour la période du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Ziegler France et Balspeed France, pour la période du 8 juin 2004 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à Normatrans, pour la période du 8 juin 2005 au 5 janvier 2006 ;
Les griefs sont notifiés à l'association TLF pour la période du 26 mai 2004 au 5 janvier 2006 ".
26. Le grief n° 2 était formulé comme suit : " Il est fait grief aux sociétés :
Schenker-Joyau SAS et Deutsche Bahn AG,
Alloin Holding SAS, Kuehne + Nagel Road et Kuehne + Nagel International AG,
Heppner Société de Transports, Lambert et Valette, XP France et Finaltra,
Geodis, EPIC SNCF, Geodis Ciblex et Ciblex Financière,
BMVirolle,
Chronopost et La Poste,
Exapaq,
Dachser France et Dachser Holding GmbH & Co. KG,
FedEx Express France,
Gefco et Peugeot SA,
GLS France, General Logistics Systems BV, Royal Mail Group Limited et Royal Mail plc,
Transports H Ducros,
DHL Express (France) SAS, DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post AG,
TNT Express France et TNT Express NV,
Ziegler France et Balspeed France,
Normatrans,
Norbert Dentressangle Distribution, Lotra Limited et Norbert Dentressangle,
Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF),
d'avoir participé à une entente anticoncurrentielle sur le marché français de la messagerie classique et express, en mettant en œuvre dans le cadre des réunions du Conseil de Métiers Messagerie Express de la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF), ainsi qu'à l'occasion de contacts bilatéraux ou plurilatéraux, une pratique concertée visant à réduire de façon drastique l'opacité relative aux stratégies commerciales en matière de hausse de prix de chacune des entreprises participant aux réunions et contacts. Cette pratique concertée reposait sur des échanges d'informations précises et individualisées sur les hausses tarifaires que les entreprises participantes envisageaient de demander à leurs clients dans le cadre des campagnes annuelles de revalorisation tarifaire.
Dans la plupart des cas, ces informations avaient un caractère futur puisqu'elles étaient échangées juste avant ou pendant les négociations commerciales.
Cette pratique relève ainsi d'actions anticoncurrentielles participant au même objectif commun : la maîtrise de l'augmentation annuelle des tarifs des prestations de messagerie classique et express, soit la maîtrise d'un élément essentiel de la négociation commerciale.
En poursuivant cet objectif, les parties ont imposé sur le marché français de la messagerie classique et express un mode d'organisation substituant au libre jeu de la concurrence une concertation étendue à la majeure partie des entreprises actives sur ces marchés.
Cette pratique constitue donc une entente ayant un objet anticoncurrentiel, prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101 TFUE.
Cette entente a été mise en œuvre du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2010.
Les griefs seront notifiés aux sociétés précitées, en considération de la durée de leur participation à l'entente.
Les griefs sont notifiés à Schenker-Joyau SAS et à Deutsche Bahn AG pour la période du 30 septembre 2004 au mois de mars 2009, puis du 16 septembre 2010 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à :
- Alloin Holding SAS, pour la période du 30 septembre 2004 au mois de mars 2009, puis du 16 septembre 2010 au 29 septembre 2010 ;
- Kuehne + Nagel Road, pour la période du 1er juillet 2007 au mois de mars 2009, puis du 16 septembre 2010 au 29 septembre 2010 ;
- Kuehne + Nagel International AG, pour la période du 6 janvier 2009 au mois de mars 2009, puis du 16 septembre 2010 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Finaltra, Heppner Société de Transports, Lambert et Valette et XP France pour la période du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à :
- Geodis, pour la période du 17 octobre 2005 au 29 septembre 2010 ;
- l'EPIC SNCF, pour la période de la fin du mois de juillet 2008 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Geodis Ciblex et à Ciblex Financière pour la période du 18 septembre 2008 au mois de mars 2009 ;
Les griefs sont notifiés à BMVirolle, pour la période du 28 septembre 2006 au mois de mars 2007, puis du 18 septembre 2008 au mois de mars 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Chronopost et La Poste, pour la période du 22 septembre 2005 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à :
- Exapaq pour la période du 22 septembre 2005 au mois de mars 2010 ;
- La Poste pour la période du mois de mars 2006 au mois de mars 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Dachser France et Dachser Holding GmbH & Co. KG, pour la période du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à FedEx Express France, pour la période du 28 septembre 2006 au mois de mars 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Gefco et Peugeot SA, pour la période du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à :
- GLS France et General Logistics Systems BV pour la période du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2010 ;
- Royal Mail Group Limited pour la période du 30 septembre 2004 au 31 décembre 2006 ;
- Royal Mail plc pour la période du 1er janvier 2007 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Transports H Ducros, pour la période du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à DHL Express (France) SAS, DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post AG, pour la période du 30 septembre 2004 au mois de mars 2010 ;
Les griefs sont notifiés à TNT Express France et TNT Express NV, pour la période du 30 septembre 2004 au mois de mars 2005, puis du 28 septembre 2006 au mois de mars 2009, puis du 16 septembre 2010 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Ziegler et Balspeed France, pour la période du 30 septembre 2004 au mois de mars 2009, puis du 16 septembre 2010 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à Normatrans, pour la période du 28 septembre 2006 au 29 septembre 2010 ;
Les griefs sont notifiés à :
- Norbert Dentressangle Distribution et à Lotra Limited, pour la période du 21 juin 2007 au mois de mars 2008 ;
- Norbert Dentressangle, pour la période du 17 décembre 2007 au mois de mars 2008 ;
Les griefs sont notifiés à l'association TLF pour la période du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2010 ".
27. Les sociétés Dachser France (ci-après la " société Dachser ") et Dachser Holding GmbH & Co. ; Chronopost, Exapaq et La Poste ; TNT Express France (ci-après la " société TNT ") et TNT Express NV ; Gefco et Peugeot ; Alloin Holding, Kuehne + Nagel Road (ci-après la " société Kuehne + Nagel ") et Kuehne + Nagel International ; ainsi que General Logistics Systems France (ci-après la " société GLS "), General Logistics Systems BV, Royal Mail Group et Royal Mail plc ont demandé à bénéficier de la procédure, prévue au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, de non-contestation des griefs qui leur avaient été notifiés.
28. Les rapporteurs ont déposé leur rapport le 15 avril 2015.
La décision attaquée
29. A la suite de la séance du 30 septembre 2015, l'Autorité a statué par la décision n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express (ci-après " la décision attaquée ").
30. D'une part, l'Autorité a considéré qu'il était établi que les sociétés Schenker et Deutsche Bahn ; Alloin Holding ; Heppner Société de Transports (ci-après la " société Heppner ") ; Lambert et Valette - Entreprise de Transports (ci-après la " société Lambert et Valette ") ; XP France ; Finaltra ; Chronopost et La Poste ; DPD France (ci-après la " société DPD ") ; Dachser et Dachser Group SE & Co. ; Gefco et Peugeot ; GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group ; Transports Henri Ducros ; DHL Express (France) (ci-après la " société DHL "), DHL Holding (France) et Deutsche Post ; TNT et TNT Express NV ; Ziegler France (ci-après la " société Ziegler ") et Balspeed France ; Normatrans ainsi que la fédération TLF avaient participé aux pratiques objet du grief n° 1, à savoir une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express visant à la mise en place selon une méthodologie commune d'une surcharge gazole.
31. L'Autorité a relevé, dans la décision attaquée, que la pratique visée au grief n° 1 est intervenue dans un contexte de très forte hausse du prix du carburant (en particulier en 2003 : augmentation de 14,8 % du poste carburant des entreprises de messagerie au cours du premier trimestre 2003 ; et en 2004 : augmentation de 18,07 % au cours de l'année), alors que, dans le secteur de la messagerie, le carburant constitue une composante importante du coût des prestations (évaluée par l'Autorité entre 12 et 15 %). Elle est également intervenue dans un contexte marqué par de nombreuses déclarations des pouvoirs publics quant à la nécessité d'intégrer cette hausse dans le prix des prestations de messagerie.
32. Selon l'Autorité, le grief n° 1 a pris fin le 5 janvier 2006, date de l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui, entendant répondre aux difficultés liées aux variations de prix des carburants en cours de contrat, a introduit des modalités de répercussion des hausses de prix des carburants en cours de contrat, en imposant la prise en compte séparée des charges de carburant et de leur variation, soit l'effet même recherché par la " surcharge gazole ".
33. D'autre part, l'Autorité a considéré qu'il était établi que les sociétés Schenker et Deutsche Bahn AG ; Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International ; Heppner ; Lambert et Valette ; XP France ; Finaltra ; Geodis et l'EPIC SNCF Mobilités ; Ciblex France et Ciblex Financière ; BMVirolle ; Chronopost ; DPD ; La Poste ; Dachser et Dachser Group SE & Co. ; FedEx Express France ; Gefco et Peugeot ; GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group ; Transports Henri Ducros ; DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post AG ; TNT et TNT Express NV ; Ziegler et Balspeed France ; Normatrans ; Norbert Dentressangle Distribution, devenue XPO Distribution France (ci-après la " société XPO "), Lotra Limited et Norbert Dentressangle, devenue XPO Logistics Europe, ainsi que la fédération TLF avait participé aux pratiques objet du grief n° 2, à savoir une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express visant à la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles.
34. Il peut être relevé que la durée globale du grief n° 2 correspond à sept " campagnes de revalorisation tarifaire ", de la campagne 2004-2005 à la campagne 2010-2011, et que les entreprises sanctionnées au titre de ce grief représentent la quasi-totalité des acteurs du secteur de la messagerie classique et de la messagerie express.
35. En conséquence, l'Autorité a infligé des sanctions pécuniaires, au titre du grief n° 1, à quinze entreprises et, au titre du grief n° 2, à vingt entreprises, pour un montant total de 672,3 millions d'euros. Ces sociétés ont également été condamnées à faire publier un encart résumant la décision attaquée dans le journal Les Echos et dans la revue l'Officiel des Transporteurs.
36. S'agissant de la procédure de clémence, les sociétés Schenker, anciennement Schenker-Joyau, et Deutsche Bahn, premiers demandeurs de clémence, ont obtenu une exonération totale de sanction au titre du grief n° 1. En revanche, considérant que la société Schenker avait manqué à l'une des obligations au respect desquelles était subordonné le bénéfice de la clémence concernant le grief n° 2 (obligation de coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction), elle l'a condamnée, ainsi que sa société mère Deutsche Bahn, à une sanction de 3 millions d'euros au titre de ce grief.
37. Les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuhne+Nagel International, demandeurs de clémence de second rang, ont bénéficié d'une réduction de 30 % des sanctions au titre des deux griefs.
38. S'agissant de la procédure de non-contestation des griefs, ont bénéficié d'une réduction des sanctions au titre des deux griefs les sociétés Dachser et Dachser Group GmbH & Co. KG, anciennement Dachser Holding GmbH & Co. KG ; TNT et TNT Express NV ; Gefco et Peugeot ; Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International ; GLS, General Logistic Systems et Royal Mail Group ; ainsi que Chronopost, DPD France, anciennement Exapaq, et La Poste.
MOTIVATION
I. SUR LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
A. Sur le désistement de la société Lotra
39. La société Lotra s'étant désistée sans réserve de son recours, par conclusions déposées au greffe de la cour le 11 octobre 2016, il y a lieu de constater l'extinction de l'instance à son égard, en application des articles 384 et 398 du Code de procédure civile.
B. Sur l'intervention de l'Autorité devant la cour
40. La société Geodis fait valoir que, si plusieurs dispositions réglementaires confèrent à l'Autorité le statut de partie à l'instance devant la cour, lors de l'examen du recours formé contre la décision dont elle est l'auteur, une telle faculté d'intervention méconnaît les exigences juridiques issues des principes d'égalité des armes, du respect des droits de la défense et d'impartialité objective de la juridiction, et constitue une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.
41. Selon la requérante, en effet, par ses observations, l'Autorité est en situation d'influencer la cour de manière disproportionnée par rapport au recours intenté par l'entreprise sanctionnée.
42. S'agissant du principe d'égalité des armes, la société Geodis soutient que celui-ci est défini par la Cour européenne des droits de l'Homme comme " un juste équilibre entre les parties ". Or selon elle, cet équilibre serait rompu par l'intervention de l'auteur de la décision attaquée, alors même que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) et l'avocat général sont déjà présents pour garantir l'application effective des règles du droit de la concurrence.
43. Par ailleurs, alors que l'Autorité peut invoquer, dans ses observations, des éléments nouveaux par rapport à la décision attaquée, les requérantes ne seraient pas juridiquement assurées de pouvoir apporter de nouvelles pièces pour la contredire, eu égard à l'exigence de production des pièces en même temps que leur déclaration de recours en application de l'article R. 463-13 du Code de commerce, ce qui constituerait une violation du droit à un procès équitable.
44. Violerait les mêmes principes le fait que les requérantes doivent produire leurs moyens dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée, tandis que l'Autorité dispose de plusieurs mois pour déposer ses observations en réponse, comme le fait qu'à l'audience, le temps de parole dévolu à l'Autorité, à la DGCCRF et à l'avocat général permet à l'accusation de réfuter trois fois en fin d'audience la défense des requérantes.
45. Enfin, la société Geodis fait valoir que, compte tenu de l'expertise, de la notoriété et de l'autorité morale de l'Autorité, son intervention devant la cour porterait atteinte à l'impartialité objective de cette juridiction. En effet, l'Autorité pourrait influencer la cour dans la mesure où elle est l'auteur de la décision attaquée, et non une partie dont le rôle serait seulement de garantir l'application effective du droit de la concurrence.
46. L'Autorité répond que la faculté de présenter des observations écrites et orales devant la cour lui est accordée par les articles R. 464-18 et R. 464-19 du Code de commerce et que tant la Cour de cassation (Com., 27 janvier 1998, n° 96-11. 080 ; Com., 20 février 2007, n° 06-13. 498) que la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, arrêt du 13 mars 2012, Bouygues Telecom c. France, req. n° 2324/08) ont jugé que cette faculté ne méconnaît aucune des exigences du procès équitable et de l'égalité des armes.
47. En premier lieu, une partie des arguments de la société Geodis repose sur l'idée erronée que le ministre chargé de l'Économie et l'avocat général auraient le devoir de soutenir la position de l'Autorité.
48. Tant le ministre chargé de l'Économie que le ministère public formulent leurs observations et avis, destinés à éclairer la cour, en toute indépendance et sont susceptibles, le cas échéant, de faire leurs tout ou partie des moyens d'annulation ou de réformation soulevés par les requérantes. Leur présence à l'instance ne prive donc pas de fondement celle de l'Autorité, de sorte qu'aucune rupture de l'égalité des armes ne saurait être constatée du fait que l'instance se déroule en présence des uns et de l'autre et qu'ils disposent chacun d'un temps de parole à l'audience.
49. La cour ajoute, surabondamment, s'agissant de l'audience, d'une part, que, dans la présente affaire, le temps de parole cumulé des conseils des vingt-six requérantes représentées, entièrement consacré à soutenir des moyens d'annulation ou de réformation de la décision attaquée, a été beaucoup plus important que le temps de parole cumulé du représentant de l'Autorité, de celui du ministre chargé de l'Économie et de l'avocat général, d'autre part, que les requérantes ont eu la parole en dernier.
50. En second lieu, il est vrai que l'article R. 464-12 du Code de commerce impose au demandeur au recours, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, de déposer l'exposé de ses moyens au greffe de la cour dans les deux mois qui suivent la notification de la décision attaquée. Toutefois, un tel recours fait suite à une procédure devant l'Autorité, généralement longue, au cours de laquelle le demandeur a eu tout le temps nécessaire pour appréhender le dossier, de sorte que le délai de deux mois est suffisant pour lui permettre de préparer son recours.
51. Au demeurant, la société Geodis ne soutient pas que ce délai aurait été trop court pour qu'elle puisse préparer son argumentation.
52. Quant au fait que l'Autorité a bénéficié d'un délai plus long pour déposer ses observations, la cour rappelle qu'aux termes de l'article R. 464-18 du Code de commerce, c'est le premier président ou son délégué qui fixe " les délais dans lesquels les parties à l'instance doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour ", " les délais dans lesquels l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'Economie, lorsqu'il n'est pas partie à l'instance, peuvent produire des observations écrites " et " la date des débats ".
53. En l'espèce, c'est par ordonnance du délégué du premier président du 29 mars 2016 qu'ont été fixés les délais impartis à l'Autorité pour faire connaître ses observations, ainsi qu'à la société Geodis pour déposer son mémoire en réplique.
54. Il s'agit d'une mesure d'administration judiciaire, prise en présence des parties, qui, conformément à l'article 537 du Code de procédure civile, n'est sujette à aucun recours.
55. La cour ajoute, surabondamment, que le fait que, dans la présente procédure, l'Autorité a disposé d'un délai de sept mois pour déposer ses observations en réponse se justifie par la nécessité où elle s'est trouvée de répondre aux dix-sept exposés des moyens - dont celui de la société Geodis, qui compte 182 pages -, déposés par les vingt-sept requérantes. Par ailleurs, elle rappelle que, outre le délai réglementaire de deux mois dont les requérantes ont disposé pour déposer leur exposé des moyens, le délégué du premier président leur a accordé deux mois et demi pour déposer leurs mémoires en réplique aux observations de l'Autorité et du ministre chargé de l'Économie.
56. En troisième lieu, il résulte de l'article R. 464-13 du Code de commerce, dans sa version résultant de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, applicable ratione temporis, que " [l]a déclaration de recours mentionne la liste des pièces et documents justificatifs produits " et que " [l]es pièces et documents mentionnés dans la déclaration sont remis au greffe de la cour d'appel en même temps que la déclaration ".
57. La société Geodis n'alléguant pas que cette disposition l'aurait, dans la présente affaire, empêchée de joindre à son mémoire en réplique des pièces nouvelles destinées à répondre à d'éventuels éléments nouveaux apportés par l'Autorité dans ses observations, son droit à un procès équitable n'a pas pu être violé.
58. Enfin, en dernier lieu, alors que la société Geodis n'établit pas que l'Autorité, le ministre chargé de l'Économie et le ministère public auraient été privilégiés de quelque façon que ce soit au cours de la procédure, ainsi que la cour vient de le constater, l'impartialité objective de la cour pour statuer sur les recours formés contre les décisions de l'Autorité n'est pas mise en cause par la présence de cette dernière à l'instance, comme la Cour européenne des droits de l'Homme l'a jugé (CEDH, arrêt du 13 mars 2012, Bouygues Telecom c. France, req. n° 2324/08, point 67).
59. L'ensemble des moyens de la société Geodis sont rejetés.
C. Sur la recevabilité des notes en délibéré
60. Aux termes de l'article 16 du Code de procédure civile, " [l]e juge doit, en toute circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ".
61. L'article 445 du Code de procédure civile précise qu' " [a]près la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 ".
62. À la suite des observations supplémentaires de la société Geodis et des observations complémentaires de l'Autorité, déposées en cours d'audience, relatives au moyen d'annulation pris de la violation de l'article L. 462-5 III du Code de commerce, et afin de faire respecter le principe du contradictoire, la cour a autorisé l'Autorité à produire une note en délibéré, le 16 mars 2017 au plus tard, et les sociétés XPO, XPO Logistics Europe et Geodis, seules parties requérantes à avoir soulevé ce moyen d'annulation, à produire une note en réplique en délibéré, le 31 mars 2017 au plus tard.
63. L'Autorité a déposé sa note en délibéré le 16 mars 2017, et les sociétés XPO, XPO Logistics Europe et Geodis les leurs le 31 mars 2017.
64. En revanche, l'ensemble des notes en délibéré produites par les autres requérantes, qui n'ont pas pour objet de répondre aux arguments du ministère public et n'ont été ni demandées ni autorisées par la cour, doivent être déclarées irrecevables.
II. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ EXTERNE
65. La cour précise que les moyens de légalité externe qui tendent à l'annulation, non pas de la décision attaquée tout entière, mais des chefs de son dispositif relatifs aux sanctions, seront examinés dans la partie IV du présent arrêt.
A. Sur la saisine d'office de l'Autorité
66. Les sociétés XPO et XPO Logistics Europe rappellent qu'aux termes de l'article L. 462-5 III du Code de commerce, " [l]e rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence de se saisir d'office des pratiques mentionnées aux I et II et à l'article L. 430-8 " et que, dans sa décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre [Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction], le Conseil constitutionnel a subordonné la saisine d'office de l'Autorité à une proposition du rapporteur général.
67. Elles font valoir qu'en l'espèce, aucun élément concret permettant d'attester de l'existence effective d'une telle proposition ne figure au dossier, les rapporteurs se contentant de faire référence à un " rapport oral ".
68. Selon elles, au regard de l'objet et des garanties légales induites par la proposition du rapporteur général de saisine d'office, celle-ci est un acte essentiel de la procédure dont la connaissance par les parties leur permet de vérifier les motivations et fondements qui sous-tendent la saisine d'office et d'assurer le respect du principe de séparation de l'instruction et du jugement. Elles considèrent que ladite proposition doit être communiquée aux parties, un vague renvoi à un " rapport oral " ne pouvant suffire.
69. Dans ses observations écrites, l'Autorité répond que le moyen manque en fait, dès lors qu'il ressort explicitement des décisions n° 09-SO-03 du 4 novembre 2009 et n° 10-SO-04 du 27 juillet 2010 que ces deux saisines d'office ont été proposées par M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint, représentant Mme Beaumeunier, la rapporteure générale.
70. Dans leurs mémoires en réplique, les sociétés XPO et XPO Logistics Europe objectent que, contrairement aux articles L. 463-2 et L. 463-7 du Code de commerce, qui autorisent, dans certaines circonstances, un rapporteur général adjoint à exercer les fonctions du rapporteur général, l'article L. 462-5 III du même code ne donne pas compétence au rapporteur général adjoint pour proposer, au nom du rapporteur général, la saisine d'office de l'Autorité.
71. Elles en concluent que la saisine de l'Autorité était irrégulière, de sorte que l'ensemble de la procédure en découlant, y compris la décision attaquée, doit être annulée.
72. À la demande de la cour, l'Autorité a, le 1er mars 2017, produit une décision de la rapporteure générale du 9 mars 2009 portant attribution de fonctions (ci-après la " délégation de fonctions du 9 mars 2009 "), publiée au Journal officiel (JORF n° 60 du 12 mars 2009, texte n° 77), dont l'article 1er est ainsi libellé : " Mme Nadine Mouy, M. Jean-Marc Belorgey, M. Pierre Debrock et M. Eric Cuziat, rapporteurs généraux adjoints de l'Autorité de la concurrence, reçoivent délégation pour exercer, en cas d'absence ou d'empêchement de la rapporteure générale, les attributions que cette dernière détient directement du livre IV du Code de commerce, à l'exception de celles mentionnées à l'article L. 461-4 ".
73. Dans ses observations complémentaires produites à l'audience, puis dans sa note en délibéré déposée le 16 mars 2017, conformément à l'autorisation que lui a donnée la cour, l'Autorité fait valoir, à titre principal, que, si une délégation de pouvoirs doit être prévue et autorisée par un texte, aucun principe ne prévoit que ce texte doive être de nature législative, de sorte que l'article R. 461-3 du Code de commerce a pu valablement prévoir que le rapporteur général délègue à un ou des rapporteurs généraux adjoints les attributions qu'il détient au titre du titre VI du Code de commerce, tant dans sa partie législative que dans sa partie réglementaire.
74. Elle ajoute que la délégation de fonctions du 9 mars 2009 est suffisamment précise quant à l'étendue des attributions déléguées aux rapporteurs généraux adjoints, en prévoyant une délégation de la totalité des attributions de la rapporteure générale, ainsi que l'y autorise l'article R. 461-3 du Code de commerce et que, chef du service concurrence 5 de l'Autorité, M. Cuziat avait vocation à faire les propositions de saisine d'office litigieuses en cas d'empêchement de la rapporteure générale, dès lors que les procédures en cause avaient été confiées depuis l'origine à ce service.
75. Elle conclut que la délégation de fonctions du 9 mars 2009 était régulière.
76. Quant à la forme prise par la proposition de saisine d'office faite par M. Cuziat, l'Autorité soutient qu'aucun texte n'exige que le rapporteur général établisse un rapport écrit pour proposer à l'Autorité de se saisir d'office. Une telle proposition, qui n'est pas une décision, ne serait soumise à aucun formalisme et pourrait donc être orale. Plus généralement, aucune disposition du Code de commerce n'imposerait à l'Autorité de rendre compte des circonstances dans lesquelles elle estime opportun de se saisir d'office (CA Paris, 27 novembre 2001, CNCA)
77. Dès lors que Mme Beaumeunier, la rapporteure générale, était empêchée les 4 novembre 2009 et 27 juillet 2010, M. Cuziat aurait valablement proposé à l'Autorité de se saisir d'office. À cet égard, invoquant la jurisprudence du Conseil d'État (CE, 10 décembre 1965, SA d'exploitation du nouveau casino de Menton ; 2 juillet 2010, Ministre de l'Intérieur, n° 325521), l'Autorité fait valoir qu'aucun texte ni aucun principe n'exige de l'Autorité qu'elle apporte la preuve de l'empêchement de Mme Beaumeunier les 4 novembre 2009 et 27 juillet 2010.
78. À titre subsidiaire, l'Autorité soutient qu'aucune délégation n'était nécessaire pour permettre à M. Cuziat de proposer à l'Autorité de se saisir d'office en cas d'empêchement de la rapporteure générale.
79. Elle rappelle que, selon une jurisprudence constante (CE, 25 juin 2004, Feind, n° 2322799 ; 3 avril 1991, Sté CIT Alcatel, n° 92950 ; 23 février 1983, Ministre du Travail, n° 41325 ; 27 juin 1947, Chambre syndicale nationale de l'habillement), même en l'absence de texte, la suppléance peut être assurée d'office par une autorité subordonnée si elle y a vocation par sa place dans la hiérarchie du service et par le rôle qu'elle y assume. Or selon l'Autorité, il est manifeste que le rapporteur général adjoint, compte tenu de sa place dans la hiérarchie des services d'instruction et du rôle qu'il y assume, peut assurer la suppléance du rapporteur général lorsqu'il s'agit de proposer à l'Autorité de se saisir d'office de pratiques anticoncurrentielles.
80. À titre infiniment subsidiaire, l'Autorité fait valoir que, à supposer établie l'absence de délégation régulière à M. Cuziat, cette circonstance n'a entraîné aucune conséquence sur la décision attaquée ni privé les entreprises mises en cause des garanties qui leur sont dues.
81. En effet, les principes d'impartialité et d'indépendance découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 auraient été pleinement respectés. D'une part, faisant suite à des demandes de clémence et à des propositions de saisine d'office émanant des services d'instruction, les décisions de saisine d'office ne porteraient pas atteinte au principe de séparation des fonctions d'instruction et de sanction. D'autre part, les décisions de saisine d'office ne visent aucune entreprise, n'évoquent ni le marché ni la nature des pratiques en cause et ne prennent pas parti sur leur qualification d'infraction ; partant, elles ne pourraient donner à penser que les faits étaient déjà établis, l'Autorité s'étant bornée à se saisir du fonctionnement concurrentiel du marché dans un secteur donné.
82. Dans leur note en délibéré déposée le 31 mars 2017, conformément à l'autorisation que leur a donné la cour, les sociétés XPO et XPO Logistics Europe font d'abord valoir que la délégation du 9 mars 2009 est irrégulière.
83. D'une part, dès lors que la compétence reconnue au rapporteur général de proposer à l'Autorité de se saisir d'office est prévue par un texte de valeur législative, seul un texte législatif pourrait l'autoriser à déléguer cette attribution, ce que n'est pas l'article R. 461-3 du Code de commerce (CA Avis, 13 fév. 2007, n° 373. 788 ; CE Sect. 6 nov. 2009, n° 297877).
84. Ce dernier article autoriserait seulement le rapporteur général à déléguer à un rapporteur général adjoint les attributions qui trouvent leur origine dans le titre VI du livre IV de la partie réglementaire du Code de commerce.
85. D'autre part, la délégation du 9 mars 2009, en tant qu'elle délègue concomitamment à quatre rapporteurs généraux adjoints les mêmes attributions, sans fixer un ordre de priorité, ne présenterait pas un degré de précision suffisant.
86. En effet, des motifs de sécurité juridique interdiraient une délégation de compétence simultanément à plusieurs personnes, dans la mesure où celles-ci pourraient prendre séparément des actes différents dans un même dossier (CAA Nantes, 28 mai 2002, n° 98BX00268 ; réponse du ministre de l'Intérieur à la question écrite n° 14630 du 18 novembre 2004, JO Sénat, 9 nov. 2006).
87. Invoquant la jurisprudence des juridictions de l'Union (CE, arrêt du 23 septembre 2011, Danthony, n° 335477), les requérantes font valoir que le vice affectant les propositions de saisine d'office faites par M. Cuziat, à raison de son incompétence pour les formuler, entraîne l'illégalité des décisions de saisine d'office de l'Autorité.
88. Ensuite, les sociétés XPO et XPO Logistics Europe soutiennent que, alors que la délégation de fonctions du 9 mars 2009 n'a été prévue qu'en cas d'absence ou d'empêchement de la rapporteure générale, l'Autorité ne prouve pas que cette condition était remplie. Elles font notamment valoir qu'il n'est pas concevable qu'entre la première demande de clémence, le 10 octobre 2008, et la date de la première proposition de saisine d'office, le 4 novembre 2009, la rapporteure générale n'ait été à aucun moment en situation de formuler une proposition de saisine d'office.
89. Enfin, les requérantes soutiennent que l'Autorité, sur qui pèse la charge de la preuve de l'existence d'une proposition du rapporteur général, et qui ne saurait s'abriter derrière l'oralité des échanges entre ses services, n'a pas rapporté cette preuve, de sorte que l'absence de rapport écrit proposant à l'Autorité de se saisir d'office doit être tenu pour établie.
90. Dans ses observations complémentaires déposées le 18 janvier 2017, ainsi que dans ses observations supplémentaires déposées les 2 et 3 mars 2017 et dans sa note en délibéré déposée le 31 mars 2017, la société Geodis a développé le même moyen d'annulation.
91. En premier lieu, le moyen, en tant qu'il est soulevé par la société Geodis, doit être d'office déclaré irrecevable.
92. En effet, aux termes de l'article R. 464-12, dernier alinéa, du Code de commerce, dans sa version résultant de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, applicable ratione temporis, " [l]orsque la déclaration [de recours] ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision de l'Autorité de la concurrence ".
93. Il découle de cette disposition, qui n'opère aucune distinction selon que les moyens soulevés sont ou non d'ordre public, que, lorsque le demandeur soulève un moyen qui ne figurait pas dans l'exposé de ses moyens, celui-ci n'est recevable que si le mémoire qui le contient est également déposé dans le délai de deux mois qui suit la notification de la décision attaquée.
94. Or, en l'espèce, le moyen pris de la violation de l'article L. 462-5 III du Code de commerce a été invoqué pour la première fois par la société Geodis dans ses observations complémentaires déposées au greffe de la cour le 18 janvier 2017, postérieurement à l'expiration du délai précité.
95. La cour souligne, en tant que de besoin, que la question de la recevabilité du moyen, en tant qu'il est soulevé par Geodis, était dans le débat, l'Autorité ayant, par sa note en délibéré déposée le 16 mars 2017, dont la cour avait expressément autorisé la production, invité la cour à déclarer d'office ce moyen irrecevable, et la société Geodis ayant pu répliquer par sa note en délibéré déposée le 31 mars 2017, dont la cour avait également autorisé la production, de sorte que le principe du contradictoire a été respecté.
96. Il convient, en second lieu, d'examiner le moyen, en tant qu'il est soulevé par les sociétés XPO et XPO Logistics Europe.
97. L'article L. 462-5 III du Code de commerce, dans sa version résultant de l'ordonnance du n° 2008-1161, applicable ratione temporis, dispose : " Le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence de se saisir d'office des pratiques mentionnées aux I et II et à l'article L. 430-8 ainsi que des manquements aux engagements pris en application des décisions autorisant des opérations de concentration intervenues avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence. "
98. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution du III de l'article L. 462-5 du Code de commerce, le Conseil constitutionnel a, au vingtième considérant de sa décision n° 2012-280 QPC, précitée, souligné " que si les dispositions du paragraphe III de l'article L. 462-5 du Code de commerce autorisent l'Autorité de la concurrence à se saisir "d'office" de certaines pratiques ainsi que des manquements aux engagements pris en application des décisions autorisant des opérations de concentration, c'est à la condition que cette saisine ait été proposée par le rapporteur général ".
99. Il se déduit du libellé même de l'article L. 462-5 III du Code de commerce ainsi que de l'interprétation qu'en a donné le Conseil constitutionnel dans la décision précitée, que l'Autorité ne peut se saisir d'office de pratiques anticoncurrentielles que si la proposition lui en est préalablement faite par le rapporteur général.
100. En revanche, aucune disposition légale ou réglementaire n'exige que la proposition adressée à l'Autorité de se saisir d'office prenne la forme d'un avis écrit, une recommandation orale, à condition qu'elle émane du rapporteur général, apparaissant suffisante, étant relevé que les parties peuvent, à la lecture des décisions de saisine d'office prises par l'Autorité, dont elles ont connaissance dans le cours de la procédure, et au plus tard lors de la notification de griefs, vérifier si les dispositions de l'article L. 462-5 III du Code de commerce ont ou non été respectées.
101. De même, aucune disposition légale ou réglementaire n'exige qu'une telle proposition soit communiquée aux parties. Au demeurant, il convient de souligner que la proposition de se saisir d'office adressée par le rapporteur général à l'Autorité, si elle est suivie par l'Autorité, ouvre une phase de la procédure qui n'est pas contradictoire et que, au travers de la notification des griefs, qui ouvre la phase contradictoire, et du rapport des rapporteurs, les parties sont pleinement informées de la position du rapporteur général ; aussi la non-communication de ladite proposition est-elle en tout état de cause insusceptible de porter atteinte à leurs droits.
102. En l'espèce, la décision n° 09-SO-03 du 4 novembre 2009 précise qu'il est " [d]élibéré sur [...] l'intervention de M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint ". De même, la décision n° 10-SO-04 du 27 juillet 2010 précise qu'il est " [d]élibéré sur proposition de M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint ".
103. Ces mentions établissent que les deux saisines d'office successives, qui sont à l'origine de la procédure ayant abouti à la décision attaquée, ont été faites sur proposition du rapporteur général adjoint, M. Cuziat, et non à l'initiative de l'Autorité.
104. Par ailleurs, M. Cuziat disposait d'une délégation de fonctions en cas d'absence ou d'empêchement, consentie par la rapporteure générale par la décision du 9 mars 2009, précitée, dont l'article 1er prévoit que " Mme Nadine Mouy, M. Jean-Marc Belorgey, M. Pierre Debrock et M. Eric Cuziat, rapporteurs généraux adjoints de l'Autorité de la concurrence, reçoivent délégation pour exercer, en cas d'absence ou d'empêchement de la rapporteure générale, les attributions que cette dernière détient directement du livre IV du Code de commerce, à l'exception de celles mentionnées à l'article L. 461-4 ".
105. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme Beaumeunier, rapporteure générale, n'aurait pas été absente ou empêchée les 4 novembre 2009 et 27 juillet 2010, dates auxquelles M. Cuziat a proposé à l'Autorité de se saisir d'office. Il est sans portée que, dans le délai qui s'est écoulé entre la première demande de clémence, le 10 octobre 2008, et la première proposition de saisine d'office, le 4 novembre 2009, et dans celui qui s'est écoulé entre la deuxième demande de clémence, le 12 avril 2010, et la seconde proposition de saisine d'office, le 27 juillet 2010, la rapporteure générale eût pu formuler une proposition de saisine d'office, dès lors que seule importe son absence ou son indisponibilité au jour où la proposition a été faite.
106. Le moyen des requérantes contestant la régularité de la délégation de fonctions du 9 mars 2009, qui ne soulève aucune difficulté sérieuse, sera écarté.
107. D'une part, il est certes constant qu'une autorité publique investie d'une compétence ne peut s'en déposséder, fût-ce temporairement et partiellement, que si la possibilité lui en a été expressément conférée par une disposition normative d'un niveau approprié.
108. Cependant, aucun texte ni aucun principe n'exigent que la possibilité de déléguer des compétences attribuées par un texte de valeur législative soit prévue par un texte de même valeur. À cet égard, la cour relève que, dans son arrêt du 6 novembre 2009, précité, le Conseil d'État a jugé, s'agissant des comptables publics des collectivités territoriales, que, bien qu'ils tiennent leur compétence en matière de recouvrement des recettes publiques de la loi, ils sont autorisés, en vertu du troisième alinéa de l'article 14 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique - texte de valeur réglementaire -, à déléguer leurs pouvoirs à un ou plusieurs mandataires ayant la qualité pour agir en leur nom et sous leur responsabilité.
109. À partir du moment où la loi elle-même prévoit la désignation d'adjoints au rapporteur général et en fixe les modalités (article L. 461-4 du Code de commerce), l'article R. 461-3 alinéa 5 du Code de commerce constitue une disposition normative de niveau approprié pour conférer au rapporteur général la possibilité de déléguer à un rapporteur général adjoint tout ou partie de ses attributions, fussent-elles attribuées au rapporteur général par un texte de loi.
110. Aux termes de cette disposition, qui figure au titre VI, " De l'Autorité de la concurrence ", du livre IV du Code de commerce, le rapporteur général " peut déléguer à un ou des rapporteurs généraux adjoints tout ou partie des attributions qu'il détient conformément au présent titre ".
111. L'article L. 462-5 du Code de commerce figurant dans ce même titre VI, il résulte de l'article R. 461-3 que le rapporteur général peut déléguer à un rapporteur général adjoint le pouvoir de proposer à l'Autorité de se saisir d'office.
112. D'autre part, ainsi qu'il résulte notamment de la réponse ministérielle n° 14630 du 18 novembre 2004, précitée, l'irrégularité des délégations de compétence simultanées à plusieurs délégataires, sans fixation d'un ordre de priorité, découle du risque que deux délégataires prennent séparément des actes différents pour une même affaire.
113. Ce risque est à la fois la cause et la mesure de l'irrégularité des délégations simultanées.
114. Or un tel risque est inexistant s'agissant de l'exercice du pouvoir de proposer à l'Autorité de se saisir d'office. En effet, la position d'un rapporteur général adjoint délégataire qui estimerait qu'il n'y a pas lieu de proposer à l'Autorité de se saisir d'office, ne se traduit pas par une décision, mais par une simple abstention. Par ailleurs, une fois que l'Autorité s'est, sur proposition d'un rapporteur général adjoint délégataire, saisie d'office, la question de l'opportunité de cette proposition ne se pose plus. Par conséquent, aucune contradiction n'est envisageable entre deux décisions prises par des rapporteurs généraux adjoints auxquels le rapporteur a délégué simultanément le pouvoir qu'il tient de l'article L. 462-5 III du Code de commerce, ni même entre deux prises de position de ces derniers.
115. Dès lors, la décision du 9 mars 2009 n'est pas nulle en tant qu'elle a délégué ce pouvoir simultanément aux quatre rapporteurs généraux adjoint, dont M. Cuziat.
116. La cour ajoute, à titre subsidiaire, que, comme le fait justement valoir l'Autorité, à supposer que la délégation de fonctions du 9 mars 2009 fût irrégulière, M. Cuziat n'en disposait pas moins, en l'espèce, du pouvoir de proposer à l'Autorité de se saisir d'office.
117. Il avait en effet vocation, tant par la place qu'il occupait dans la hiérarchie des services d'instruction de l'Autorité que par le rôle qu'il assumait dans ces services, à assurer d'office, faute de dispositions législatives ou réglementaires organisant la suppléance de la rapporteure générale, une telle suppléance, en cas d'absence ou d'empêchement de cette dernière, dans les dossiers ouverts à la suite des demandes de clémence présentées les 10 octobre 2008 et 12 avril 2010 par la société Deutsche Bahn et ses filiales.
118. D'une part, M. Cuziat était rapporteur général adjoint, c'est-à-dire, ainsi qu'il résulte des termes mêmes désignant cette fonction, l'adjoint du rapporteur général.
119. D'autre part, aux termes des informations fournies par l'Autorité dans sa note en délibéré déposée le 31 mars 2017 et que les sociétés XPO et XPO Logistics Europe n'ont pas contestées, M. Cuziat était chef du service concurrence 5 de l'Autorité, service auquel la rapporteure générale avait confié le traitement et le suivi des demandes de clémence qui ont été le point de départ des procédures ayant abouti à la décision attaquée.
120. Vainement les sociétés XPO et XPO Logistics Europe soutiennent-elles que la suppléance du rapporteur général est organisée par l'article R. 461-3 du Code de commerce, ce qui exclurait le recours à une suppléance assurée d'office.
121. Si l'article R. 461-3 dernier alinéa du Code de commerce précise qu' " [e]n cas de vacance du poste de rapporteur général, un intérim est assuré par le rapporteur général adjoint le plus ancien dans la fonction ", cette disposition ne régit pas l'hypothèse où l'absence ou l'empêchement du rapporteur général en poste nécessite d'assurer sa suppléance.
122. Quant à l'alinéa 5 du même article, aux termes duquel le rapporteur général " peut déléguer à un ou des rapporteurs généraux adjoints tout ou partie des attributions qu'il détient conformément au présent titre ", il se borne à autoriser le rapporteur général à déléguer ses attributions, mais n'organise pas sa suppléance. Contrairement à l'analyse des requérantes, le recours à une suppléance d'office n'est pas de nature à priver cette disposition de portée juridique et d'effet utile. En effet, la délégation de ses attributions n'étant qu'une simple faculté pour le rapporteur général, son absence ou son empêchement peuvent nécessiter sa suppléance lorsqu'il n'a délégué qu'une partie de ses attributions, a fortiori lorsqu'il ne les a pas déléguées ou lorsque la délégation qu'il en a faite est irrégulière. Au demeurant, même dans le cas où le rapporteur général a délégué toutes ses attributions par une délégation régulière, il peut s'avérer nécessaire d'organiser sa suppléance d'office, par exemple si la cessation des fonctions du rapporteur général adjoint bénéficiaire de la délégation met fin à celle-ci.
123. Le moyen des sociétés XPO et XPO Logistics Europe est rejeté.
B. Sur le défaut de notification des griefs et du rapport au ministre chargé des Transports
124. Les sociétés XPO et XPO Logistics Europe, les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post ainsi que la société Geodis font valoir que, bien que les articles L. 463-1 et R. 463-11 du Code de commerce le prévoient, l'Autorité n'a pas saisi le ministre des Transports pour avis, en dépit du caractère spécifique du secteur concerné par l'affaire et du fait que certaines problématiques évoquées par l'Autorité trouvaient directement leur source dans des décisions des pouvoirs publics.
125. Selon les requérantes, non éclairée par l'avis du ministre des Transports, l'instruction a abouti à une décision ne prenant en compte aucune des spécificités de la société XPO, de sorte que l'irrégularité relevée compromet à leur égard la légalité de la décision attaquée.
126. La société Geodis fait également valoir que, alors qu'aux termes de la décision attaquée (§ 1170 et 1173), " la concomitance des fortes hausses du prix du gazole avec les débats parlementaires et les interventions des pouvoirs publics en faveur d'une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transport a pu créer une certaine confusion dans l'esprit des professionnels ", il est contradictoire de nier, comme le fait l'Autorité, que le ministre des Transports ait pu, même indirectement, favoriser les pratiques.
127. Selon cette société, il aurait donc été essentiel que ce ministre donnât son avis sur les pratiques reprochées, compte tenu du contexte créé par les débats et les interventions des pouvoirs publics, et ce sur les deux griefs, compte tenu de leur étroite connexité.
128. L'Autorité répond qu'aux termes de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 17 janvier 1990 ; 3 mai 1990) et de la Cour de cassation (Com. 5 novembre 1991, pourvoi n° 90-11. 565), n'a pas la qualité de " ministre intéressé " le ministre qui n'est pas intervenu pour apprécier, favoriser ou condamner les pratiques d'ententes examinées par le Conseil de la concurrence ou celui dont le département ministériel n'est pas chargé d'appliquer un texte dont dépend la solution du litige.
129. Elle fait valoir qu'en l'espèce, le ministre chargé des Transports n'est pas intervenu pour apprécier, favoriser ou condamner les pratiques d'ententes examinées, de sorte qu'il n'avait pas à être consulté.
130. L'article L. 463-2, alinéas 1er et 2, du Code de commerce dispose : " Sans préjudice des mesures prévues à l'article L. 464-1, le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint désigné par lui notifie les griefs aux intéressés ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 et présenter leurs observations dans un délai de deux mois. [...] Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés. "
131. Aux termes de l'article R. 463-11 du même code, " [p]our l'application de l'article L. 463-2, la notification des griefs retenus par le rapporteur et la notification du rapport sont faites par le rapporteur général à l'auteur de la saisine, aux ministres intéressés, aux autres parties intéressées et au commissaire du Gouvernement ".
132. En premier lieu, la cour relève que les arguments soulevés par les requérantes concernent exclusivement le grief n° 1, de sorte qu'en tout état de cause, le défaut de notification au ministre chargé des Transports n'a pas pu vicier la procédure en tant qu'elle concerne le grief n° 2.
133. C'est en vain que la société Geodis invoque l'étroite connexité entre les deux griefs, alors que chacun de ces griefs est autonome.
134. En second lieu, s'agissant du grief n° 1, il n'est, d'une part, pas établi que le ministre chargé des Transports serait intervenu à un quelconque moment pour apprécier, favoriser ou condamner les pratiques d'entente examinées par l'Autorité ni, plus généralement, que ces pratiques mettent en cause la responsabilité des administrations relevant de l'autorité de ce ministre.
135. C'est en vain que la société Geodis soutient que l'Autorité a reconnu, dans la décision attaquée, que le ministre des Transports avait favorisé, même indirectement, les pratiques. En effet, au paragraphe 1170 de la décision attaquée, l'Autorité a au contraire souligné que " les pouvoirs publics n'ont jamais connu, autorisé ou encouragé les pratiques d'entente sur la surcharge gazole ". En admettant comme une circonstance atténuante la circonstance que les pouvoirs publics s'étaient exprimés en faveur d'une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transports, l'Autorité, qui ne s'est pas contredite, n'a nullement constaté que ces autorités, et en particulier le ministre chargé des Transports, avaient encouragé l'entente anticoncurrentielle objet du grief n° 1.
136. D'autre part, il est vrai qu'à l'époque des pratiques, les articles 3 de la loi n° 92-1445 du 31 décembre 1992 relative aux relations de sous-traitance dans le domaine du transport routier de marchandises et 23-1 de la loi n° 95-96 du 1er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d'ordre économique et commercial, imposaient déjà que les prix pratiqués pour une prestation de transport public routier de marchandises ne soient pas inférieurs au coût de la prestation de service, c'est-à-dire à l'ensemble des charges réellement supportées par l'entreprise de transport, au nombre desquelles les charges de carburant.
137. Mais, ainsi que l'a justement relevé l'Autorité, au paragraphe 170 de la décision attaquée, ces dispositions n'imposaient aucune méthodologie particulière de répercussion de l'évolution des charges sur le prix des prestations, et certainement pas une concertation entre entreprises en vue d'adopter une démarche commune à l'égard de leurs clients.
138. Par ailleurs, par le grief n° 1, l'Autorité n'a pas reproché aux entreprises d'avoir répercuté sur leurs clients les hausses du coût de carburant, de sorte que la question soulevée par ce grief n'est pas le principe même de cette répercussion, objet des articles précités, mais ses modalités pratiques, sur lesquelles le ministre chargé des Transports n'avait pas pris position à l'époque des faits.
139. Dès lors, les pratiques objet du grief n° 1 ne mettaient pas en cause l'application d'un texte relevant des missions spécifiques du ministre chargé des Transports.
140. Il s'ensuit que le ministre chargé des Transports n'avait pas, dans le cas de l'espèce, la qualité de ministre intéressé, au sens des articles L. 463-2 et R. 463-11 du Code de commerce, à qui la notification des griefs et le rapport auraient dû être notifiés par l'Autorité.
141. Le moyen est rejeté.
C. Sur la tardiveté de la prise de connaissance de la procédure et le défaut d'instruction
142. Les sociétés XPO et XPO Logistics Europe font valoir, d'une part, que la première n'a eu connaissance de l'affaire que très tardivement, à l'occasion de l'audition, le 31 janvier 2014, du responsable juridique du groupe Norbert Dentressange, soit plus de cinq ans après le début de la procédure.
143. Cette prise de connaissance tardive de la procédure pose, selon les requérantes, des difficultés au regard de l'application effective du principe d'égalité des armes entre les services d'instruction et elles, car elle a eu pour effet que, à la différence des autres entreprises, la société XPO n'a disposé que de peu de temps pour faire valoir ses droits.
144. D'autre part, les requérantes soutiennent que les services d'instruction, outre qu'ils n'ont effectué aucune étude économique sérieuse du secteur, n'ont pas cherché à comprendre la spécificité de la société XPO qui, à la différence des autres entreprises, transporte exclusivement des palettes et ne fournit pas des services de messagerie. Pourtant, depuis le début des investigations, la société XPO avait soutenu et démontré que le transport palettisé et la messagerie ne relèvent pas des mêmes marchés, de sorte qu'elle n'était pas dans un rapport de concurrence avec les autres entreprises.
145. Dès lors, les services d'instruction n'auraient pas instruit le dossier, se bornant à défendre leurs investigations, sans jamais entreprendre les actes d'instruction complémentaires nécessaires pour leur permettre de comprendre les activités de la société XPO ni parvenir à démontrer qu'il existait un rapport de concurrence entre ces activités et celles des autres entreprises.
146. Ce défaut d'instruction aurait privé la société XPO du moyen de se défendre, sur la base du dossier d'instruction, en ce qui concerne la spécificité de son activité.
147. L'Autorité répond que, dans le rapport, les services d'instruction se sont interrogés sur l'éventuelle distinction entre la messagerie classique et le transport palettisé ; qu'à cette fin, ils se sont fondés sur une étude réalisée en mars 2008 par le Service d'études techniques des routes et autoroutes du ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables (ci-après le " SÉTRA ") ; qu'ils ont répondu de façon détaillée à l'argumentation de la société XPO, y consacrant les paragraphes 127 à 153 du rapport.
148. D'une part, le principe d'égalité des armes n'a pas vocation à s'appliquer entre les services d'instruction et les entreprises au cours de la phase d'instruction, a fortiori avant que la procédure ne devienne contradictoire. C'est seulement devant le collège que le respect de ce principe doit être assuré entre les rapporteurs, qui portent l'accusation, et les entreprises.
149. Dès lors, il n'y a pas eu violation du principe d'égalité des armes.
150. La cour ajoute, en tant que de besoin, que la notification des griefs, qui marque le début de la phase contradictoire de la procédure, a été adressée à toutes les entreprises le même jour, 20 juin 2014. Le délai qui s'est écoulé entre cette notification et la séance du 30 septembre 2015, pendant lequel elles ont pu déposer par deux fois des observations écrites, a permis à l'ensemble des entreprises de faire valoir tous les éléments de droit et de fait et de produire toutes les pièces jugées utiles à leur défense, les requérantes ne soutenant d'ailleurs pas le contraire.
151. Aussi les requérantes ne peuvent-elles se prévaloir d'une violation des droits de la défense.
152. D'autre part, sous couvert d'une critique de l'instruction, les sociétés XPO et XPO Logistics Europe contestent en réalité le bien-fondé des conclusions auxquelles sont parvenus les rapporteurs quant à la participation de la société XPO aux griefs.
153. La cour rappelle que c'est à l'Autorité d'établir la réalité des griefs notifiés et que, s'il apparaissait, dans le cadre du présent recours, que la preuve n'en est pas rapportée à l'égard des requérantes, notamment en raison de l'insuffisance des éléments réunis par les services d'instruction, la cour ne pourrait qu'infirmer la décision attaquée.
154. Au demeurant, c'est à juste titre que l'Autorité fait valoir que les services d'instruction ont recherché si le transport palettisé constituait un marché distinct de celui de la messagerie classique.
155. Le moyen est rejeté.
D. Sur le défaut de communication des rapports sur les demandes de clémence et des avis de clémence
156. La société Geodis fait valoir que, contrairement à la pratique courante de l'Autorité, les rapports établis par les services d'instruction sur les demandes de clémence des sociétés Schenker-Joyau, devenue Schenker, et Alloin Transports, devenue Kuehne + Nagel, ainsi que les avis de clémence n'ont pas été communiqués aux parties.
157. Ce défaut de communication porterait atteinte au principe de l'égalité des armes, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, ainsi qu'aux droits de la défense, dans la mesure où ces documents contiennent des informations nécessaires aux parties mises en cause, en renseignant sur la portée des documents et informations soumis par les demandeurs de clémence. Selon la requérante, la communication des rapports et avis de clémence serait nécessaire pour permettre aux entreprises mises en cause de démontrer en quoi les informations et documents divulgués par les demandeurs de clémence sont critiquables ou ont mal été interprétés par les services d'instruction, ou encore d'identifier les éléments contenus dans les avis de clémence qui pourraient s'avérer utiles à leur défense, notamment les pratiques non retenues.
158. La société Geodis fait encore valoir que la non-communication par l'Autorité des rapports et avis de clémence sur les demandes de clémence de la société Schenker-Joyau a créé entre elle et cette société un déséquilibre incompatible avec le principe d'égalité des armes, dans la mesure où la société Schenker-Joyau a eu, dès le début de la procédure, accès aux avis de clémence la concernant et aux rapports rendus sur ses demandes de clémence et a pu s'appuyer sur ces documents dans ses observations en réponse à la notification des griefs, ce que la société Geodis n'a pas pu faire.
159. La requérante ajoute que le fait que l'article R. 464-2 IV du Code de commerce exclut la publication de l'avis de clémence vaut à l'égard des tiers, mais pas à l'égard des parties à la procédure.
160. L'Autorité répond que l'article R. 464-2 IV du Code de commerce garantit la confidentialité de la démarche de l'entreprise qui sollicite le bénéfice de la procédure de clémence, en ne prévoyant la transmission de l'avis de clémence qu'à l'entreprise demanderesse et au ministre, et en énonçant qu'il n'est pas publié.
161. Elle ajoute qu'en tout état de cause, la requérante a eu accès à l'ensemble des pièces de la procédure postérieurement à la notification des griefs, laquelle ne se fonde pas sur les rapports relatifs à la clémence et les avis de clémence, en sorte que le principe du contradictoire a été respecté.
162. L'article L. 463-1 du Code de commerce dispose que " [l]'instruction et la procédure sont pleinement contradictoires sous réserve des dispositions prévues à l'article L. 463-4 ".
163. Cette disposition impose à l'Autorité la communication de tous les éléments à charge sur lesquelles elle se fonde pour entrer en voie de condamnation, et de tous les éléments susceptibles d'être exploités à décharge par les entreprises mises en cause.
164. Or, si les éléments fournis par le demandeur de clémence (déclarations et pièces) sont de nature à fonder les poursuites et les sanctions à l'égard des autres entreprises mises en cause, tel n'est pas le cas du rapport sur la demande de clémence et de l'avis de clémence. Par ailleurs, de par leur nature même, lesdits rapport et avis ne sont pas susceptibles de fournir aux autres entreprises mises en cause d'autres éléments à décharge que ceux qu'elles trouvent dans les éléments fournis par le demandeur de clémence.
165. En effet, il ressort de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce que l'avis de clémence se borne à préciser les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée au profit du demandeur de clémence. Quant au rapport établi par le rapporteur préalablement à l'avis de clémence, et destiné à éclairer l'Autorité sur la demande d'exonération, il intervient à un stade très amont, où le rapporteur n'a qu'une vision incomplète du dossier, et n'a pas d'autre finalité que de se prononcer sur l'opportunité d'une telle exonération et les conditions auxquelles elle pourrait être accordée.
166. De fait, le rapport sur la demande de clémence et l'avis de clémence concernent exclusivement la relation entre le demandeur de clémence et l'Autorité. C'est ainsi que, s'agissant de la demande de clémence de premier rang, ce n'est ni cette demande, ni son examen par le rapporteur, ni même l'avis de clémence, qui marque le début de la procédure, mais la décision par laquelle l'Autorité se saisit d'office.
167. À l'égard des entreprises mises en cause autres que le demandeur de clémence, seule importe la communication à ces dernières des éléments de preuve présents au dossier, leur permettant d'en contester la recevabilité et le caractère probant, et d'en tirer des moyens de défense. En revanche, il est indifférent que ces éléments aient été fournis par un demandeur de clémence ou réunis par les services d'instruction dans le cadre de leurs investigations.
168. Il convient de souligner, en outre, que la procédure de clémence est, par nature, confidentielle. C'est ce caractère confidentiel qui explique, d'une part, que l'article L. 464-2 IV du Code de commerce dispose que l'avis de clémence n'est pas publié, d'autre part qu'à l'article R. 464-5 du même code, seule est prévue la communication du rapport sur la demande de clémence à l'entreprise demanderesse de clémence, outre le commissaire du Gouvernement. Aussi n'y a-t-il pas lieu de communiquer aux entreprises mises en cause des éléments de cette procédure inutiles à leur défense.
169. Il résulte des considérations qui précèdent que la non-communication spontanée par l'Autorité des rapports sur les demandes de clémence et des avis de clémence aux autres entreprises mises en cause ne constitue nullement une violation du principe du contradictoire, du principe d'égalité des armes et des droits de la défense.
170. Certes, par exception, un demandeur de clémence de rang inférieur peut justifier d'un intérêt légitime à contester l'avis de clémence concernant un demandeur de clémence d'un rang supérieur, en vue d'améliorer sa place dans l'ordre d'entrée dans la procédure de clémence et, partant, à obtenir communication de cet avis. Force est toutefois de constater que la société Geodis n'a pas demandé à bénéficier de la clémence.
171. La cour relève, au surplus, que cette société ne conteste pas que tous les éléments de preuves sur lesquels l'Autorité a fondé son analyse, et notamment ceux fournis par les demandeurs de clémence, lui ont été notifiés en même temps que la notification des griefs ou, le cas échéant, avec le rapport, et qu'elle a pu les discuter librement, fournir toutes explications et produire toutes preuves contraires. En outre, dès la notification des griefs, qui marque le début de la phase contradictoire de la procédure, l'ensemble des entreprises ont été informées des deux demandes de clémence de la société Deutsche Bahn et ses filiales, ainsi que de la demande de clémence de la société Alloin Transports. Dans ces conditions, la société Geodis a été pleinement en mesure de se défendre, nonobstant la non-communication des rapports sur les demandes de clémence et des avis de clémence.
172. C'est encore en vain que la société Geodis soutient que la non-communication de ces documents créerait entre elle et la société Schenker-Joyau, devenue Schenker, filiale de la société Deutsche Bahn et, à ce titre, demandeur de clémence, un déséquilibre incompatible avec le principe de l'égalité des armes. En effet, demandeur de clémence et destinataire de l'avis de clémence, cette société ne se trouvait pas placée dans la même situation qu'elle.
173. Il convient d'ajouter surabondamment que, ainsi que la société Geodis l'a reconnu, elle a reçu les avis de clémence concernant la société Deutsche Bahn et ses filiales, ceux-ci ayant été annexés par la société Schenker-Joyau à sa réponse à la notification des griefs.
174. Dès lors, il convient de rejeter le moyen.
E. Sur le rejet par le collège d'une note en délibéré de la société Geodis
175. La société Geodis soutient qu'en rejetant la note en délibéré qu'elle avait adressée au collège le 15 octobre 2015, l'Autorité a entaché la décision attaquée d'irrégularité.
176. Elle fait valoir que, lors de la séance du collège, le 30 septembre 2015, elle a été interrogée pour la première fois sur une pièce (cotes 2683-2686) qui n'avait jamais été discutée dans le cadre de la procédure écrite, et dont les rapporteurs n'avaient pas fait état lors de leur présentation orale en séance.
177. Selon la requérante, c'est en vertu du principe du contradictoire que, après avoir procédé aux vérifications nécessaires, elle a produit en délibéré une note complémentaire destinée à répondre aux questions qui lui avaient été posées en séance et portaient sur la question essentielle de sa représentation par M. Depraeter au Conseil de Métiers.
178. En effet, aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, la note en délibéré est une garantie du respect du principe du contradictoire (CEDH, arrêt du 7 juin 2001, Kress c. France, req. n° 39594/98). Par ailleurs, il ressort d'un arrêt du Conseil d'État du 12 juillet 2005, Leniau (n° 236125), que, lorsqu'il est saisi postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du commissaire du Gouvernement, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, le juge administratif doit en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision, et, si cette note contient l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, il doit rouvrir l'instruction à peine d'irrégularité de sa décision.
179. L'Autorité répond que, aux termes de l'article L. 463-2 du Code de commerce, les parties à la procédure administrative devant l'Autorité ont un délai de deux mois pour présenter leurs observations au rapport et un temps de parole en séance pour éclairer le collège. En revanche, aucune disposition légale ne prévoit que le collège doit accepter des notes en délibéré une fois les débats terminés, et le Code de justice administrative ne s'applique pas à l'Autorité.
180. Elle fait valoir qu'en l'espèce, la note litigieuse n'avait pas été demandée par le président de séance et que rien ne justifiait la production d'éléments complémentaires par rapport aux observations déposées par la société Geodis à l'issue du délai de deux mois prévu par l'article L. 463-2 du Code de commerce. De plus, la requérante avait eu le loisir de répondre à la question posée par le collège lors de la séance, qui portait sur une pièce présente au dossier et à laquelle elle avait eu accès dès la notification des griefs.
181. Il est constant que la pièce en cause n'a pas été ajoutée à la procédure lors de la séance du collège, mais faisait déjà partie du dossier d'instruction. Partant, il était loisible à la société Geodis de procéder, avant la séance, aux vérifications nécessaires afin de fournir spontanément toutes explications sur cette pièce - dont elle indique elle-même qu'elle a trait à la question " essentielle " de sa représentation par M. Depraeter - sans attendre d'être interrogée à son sujet.
182. Par ailleurs, le fait d'avoir posé des questions sur une pièce faisant partie intégrante de la procédure ne saurait être considéré comme une manœuvre déloyale ni comme une violation du principe du contradictoire de la part des membres du collège.
183. Dès lors, même à supposer que le régime de la note en délibéré devant le juge administratif soit applicable devant le collège de l'Autorité, ce dernier n'était pas tenu de rouvrir l'instruction alors que la société Geodis était en mesure de réunir les éléments de fait contenus dans sa note avant la clôture des débats.
184. Enfin, la Cour européenne des droits de l'Homme a certes dit, dans son arrêt Kress c. France, précité (§ 76), que, devant le Conseil d'État, la faculté donnée aux parties de répliquer, par une note en délibéré, aux conclusions du commissaire du Gouvernement dont elles ont pris connaissance lors de la séance, contribue au respect du contradictoire. Toutefois, même à supposer son enseignement transposable à la séance devant le collège de l'Autorité, son invocation est dépourvue de pertinence en l'espèce ; en effet, la société Geodis ne soutient pas que sa note en délibéré visait à répondre à des éléments ou arguments nouveaux développés par les rapporteurs ou par le commissaire du Gouvernement lors de la séance du 15 octobre 2015 et dont elle n'aurait pas eu auparavant connaissance.
185. La cour rappelle, d'une part, que le collège de l'Autorité est tenu de faire respecter devant lui le principe du contradictoire et le principe d'égalité des armes, d'autre part, qu'à l'issue de la séance, les débats sont clos. Ceci implique qu'après la séance, les parties ne peuvent, sans rompre l'égalité entre elles, ajouter des éléments ou arguments qui n'auraient pas été débattus, à moins que cette possibilité ait été envisagée en séance par le collège, qu'il ait donné une autorisation en ce sens et que le contradictoire soit respecté. En l'espèce, le collège ne pouvait donc accepter, sans violer ces principes, une note en délibéré dont il n'avait pas autorisé préalablement la production.
186. Le moyen est rejeté.
F. Sur le défaut de motivation de la décision attaquée
1. Sur le moyen des sociétés XPO et XPO Logistics Europe
187. Les sociétés XPO et XPO Logistics Europe font valoir que l'Autorité a balayé sans motivation les éléments détaillés et factuels qu'elles avaient produits aux fins de démontrer l'absence de rapport de concurrence entre la société XPO et les autres participants aux échanges d'informations allégués, n'y consacrant, dans la décision attaquée, que huit paragraphes qui ne répondent pas aux développements consacrés à cette question dans le mémoire en réponse au rapport déposé par la société XPO et dans l'étude économique qu'elle a versée au dossier.
188. Selon les requérantes, le défaut manifeste de motivation de la décision attaquée et de réponse aux éléments présentés par la société XPO concernant l'absence de rapport de concurrence entre elle et les autres entreprises justifient l'annulation pure et simple de cette décision.
189. L'Autorité répond qu'elle s'est penchée sur la question de la spécificité des activités de la société XPO dans la décision attaquée, en traitant, aux paragraphes 590 et suivants de celle-ci, la question des relations de concurrence entre la société XPO et les autres entreprises et en y expliquant les raisons pour lesquelles elle a écarté l'argumentation de la requérante.
190. Elle rappelle que l'obligation de motivation à laquelle elle est soumise ne lui impose pas de répondre à l'intégralité des arguments invoqués par les parties.
191. Ainsi que le rappelle l'Autorité, l'obligation de motivation à laquelle elle est soumise dans le prononcé de ses décisions impose un énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et permettent aux parties mises en cause de comprendre la nature de l'infraction retenue, et à la juridiction de recours d'en contrôler la légalité. Elle ne comporte pas, en revanche, l'obligation de répondre à l'intégralité des arguments invoqués, que les parties pourront, si elles les estiment opérants et nécessaires à leur défense, soumettre à la cour au soutien de leur recours de pleine juridiction.
192. En l'espèce, l'Autorité a motivé à suffisance de droit, aux paragraphes 590 à 598 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle a écarté l'argumentation de la société Norbert Dentressangle Distribution, devenue XPO, soutenant que l'activité de transport palettisé était distincte du secteur de la messagerie et de l'express et qu'elle n'était donc pas en relation de concurrence avec les autres entreprises.
193. L'Autorité s'est notamment fondée sur une étude réalisée en 2008 par le ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables pour conclure que les caractéristiques du transport palettisé ne différaient pas substantiellement de celles de la messagerie classique.
194. Elle a également souligné que d'autres entreprises participant aux pratiques dénoncées proposaient des offres dédiées aux palettes.
195. Le moyen est rejeté.
2. Sur les moyens des sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post
a) Sur la motivation relative au grief n° 1
196. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post font valoir que la motivation par laquelle l'Autorité a retenu la participation de la société DHL au grief n° 1 est à la fois infondée, en ce qui concerne la prétendue possibilité de ne pas répercuter intégralement la taxe gazole dans les prix, et contradictoire, en ce qui concerne la définition de ce qui est reproché aux entreprises mises en cause.
197. D'une part, aux points 206 et 229 de la décision attaquée, il est reproché aux entreprises d'avoir eu recours à un barème et à un pied de facture afin d'éviter d'amputer une partie de leur marge en cause de hausse du prix du gazole.
198. Or ce reproche n'aurait pas de sens dès lors que, aux paragraphes 186 et 187 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé qu' " [à] partir du début de l'année 2003, le prix du carburant en France a connu une très forte hausse ", ce qui démontrerait que l'alternative à une répercussion intégrale des hausses de prix du gazole dans les coûts de la messagerie, à savoir la réduction de la marge, était impossible.
199. Au demeurant, il ressortirait du paragraphe 1189 de la décision attaquée, que l'Autorité doutait elle-même de son raisonnement, puisqu'elle y admettait qu' " indépendamment de toute pratique anticoncurrentielle, la hausse des coûts entraînée par la hausse du prix du gazole aurait vraisemblablement été répercutée de manière significative aux clients des messagers ".
200. D'autre part, l'Autorité se serait contredite en considérant, au paragraphe 311 de la décision attaquée, que " le consensus dégagé le 26 mai 2004 a permis, en à peine quelques mois, de faire de la surcharge gazole un nouveau standard de marché, un complément de prix dans ce secteur " et, au paragraphe 681, qu' " il n'est pas reproché aux entreprises mises en cause d'avoir répercuté dans leurs prix les augmentations de coût du gazole ".
201. L'Autorité répond qu'aucune contradiction dans sa motivation ne peut résulter d'une comparaison entre des paragraphes qui figurent tous dans la partie " Constatations " de la décision attaquée et qui, par définition, ne contiennent que des constats décrivant objectivement, sans les qualifier, les comportements des entreprises.
202. S'agissant du caractère prétendument infondé de la motivation, la cour relève que le postulat sur lequel repose le moyen est erroné.
203. En effet, l'Autorité n'a ni reproché aux entreprises d'avoir cherché à répercuter intégralement la hausse du prix du gazole dans les prix ni pris position sur la possibilité de ne pas le faire, mais s'est bornée à constater que les entreprises se sont concertées pour convenir d'une méthode commune de répercussion des augmentations du prix du gazole.
204. S'agissant du caractère prétendument contradictoire de la motivation, il n'existe aucune contradiction entre les paragraphes 311 et 681 de la décision attaquée, l'Autorité ayant clairement exposé, dans le second de ces deux paragraphes, que ce n'est pas le fait pour les entreprises d'avoir répercuté dans leurs prix les augmentations de coût du gazole qui leur est reproché, mais l'entente qu'elles ont mise en place pour répercuter ces augmentations selon une méthode commune.
205. Le moyen, pris en ses deux branches, est rejeté.
b) Sur la motivation relative au grief n° 2
206. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post font valoir que l'Autorité n'a répondu aux moyens de défense développés par la société DHL dans sa réponse à la notification des griefs et dans son mémoire en réponse au rapport que pour les seules campagnes 2004-2005 et 2005-2006.
207. En revanche, la décision attaquée serait dépourvue de toute motivation concernant la participation de cette société aux campagnes 2006-2007 à 2009-2010.
208. C'est aux paragraphes 915 à 927 de la décision attaquée que l'Autorité a analysé la participation de la société DHL au grief n° 2.
209. Force est de constater que l'Autorité a exclusivement motivé la participation de cette société pour les campagnes 2004-2005 (décision attaquée, § 916 à 921) et 2005-2006 (décision attaquée, § 922 à 926), étant rappelé qu'il résulte des paragraphes 385 et 386 de la décision attaquée, que la campagne 2005-2006 s'est achevée en mars 2006.
210. Elle n'a pas en revanche recherché si cette société avait participé au grief n° 2 au titre des campagnes 2006-2007 à 2009-2010, la décision attaquée ne contenant, en tout état de cause, aucune motivation à ce sujet.
211. Dès lors, l'article 2 de la décision attaquée doit être annulé, mais uniquement en tant qu'il a dit qu'il est établi que les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post ont participé au grief n° 2 entre le 2 mars 2006 et le 1er mars 2010.
212. La cour examinera ci-après s'il ressort du dossier que la société DHL a participé aux pratiques objet de ce grief au cours des campagnes 2006-2007 à 2009-2010.
G. Sur la violation du principe de bonne administration de la justice
213. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soulignent que le principe de bonne administration de la justice est à la fois et un objectif de valeur constitutionnelle et un principe général du droit de l'Union garantissant le droit pour toute personne à ce que sa demande soit traitée d'une manière impartiale et équitable par l'autorité compétente.
214. Elles soutiennent, d'une part, que l'analyse finaliste adoptée par l'Autorité dans la décision attaquée s'inscrit en violation de l'exigence d'impartialité, et, d'autre part, que la légèreté de son analyse au regard de la gravité de l'infraction reprochée - une pratique anticoncurrentielle par objet - ne satisfait pas aux exigences de ce principe.
215. Le droit à une bonne administration, qui reflète un principe général du droit de l'Union, a été consacré à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, intitulé " Droit à une bonne administration ", dont le paragraphe 1 dispose : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. "
216. En l'espèce, rien, au cours de la procédure ayant abouti à la décision attaquée ou dans cette décision même, n'est de nature à remettre en cause l'impartialité de l'Autorité.
217. À supposer même que l'analyse de l'Autorité soit insuffisante, ainsi que le soutiennent les requérantes, ce que la cour vérifiera ci-après, cela n'impliquerait en rien qu'elle était partiale.
218. Le moyen est rejeté.
H. Sur le détournement de pouvoir
219. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post rappellent que constitue un détournement de pouvoir l'adoption, par une autorité, d'un acte dans le but exclusif, ou tout au moins déterminant, d'atteindre des fins autres que celles excipées ou d'éluder une procédure spécialement prévue pour parer aux circonstances de l'espèce.
220. Elles font valoir que, au vu de l'absence de preuve de la participation de la société DHL aux pratiques, des erreurs de droit commises par l'Autorité et du défaut de motivation de la décision attaquée à son égard, son implication et sa condamnation caractérisent un détournement de pouvoir par l'Autorité.
221. La cour constate que rien, dans la procédure devant l'Autorité ou dans la décision attaquée, n'est de nature à caractériser un détournement de pouvoir. Elle rappelle, d'abord, que la majorité des entreprises poursuivies n'ont pas contesté la réalité des griefs, ce qui suffit à démontrer la réalité des pratiques poursuivies. Ensuite, l'annulation partielle de la décision attaquée à l'égard de ces sociétés, faute de motivation, ne démontre nullement que l'Autorité poursuivait un autre but que la recherche et la sanction d'infractions au droit de la concurrence. Enfin, les autres critiques formulées par les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post relèvent de la contestation au fond de la décision attaquée et ne révèlent nullement un détournement de pouvoir de l'Autorité.
222. Le moyen est rejeté.
III. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ INTERNE
223. À titre liminaire, la cour rejette comme non fondés les arguments développés par les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutenant que l'Autorité aurait fait une présentation erronée et contradictoire du marché pertinent. La cour rappelle qu'il résulte de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et de la jurisprudence tant nationale que de l'Union que, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes ou des pratiques concertées, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en place.
224. L'Autorité s'est néanmoins employée, aux paragraphes 580 à 589 de la décision attaquée, à définir quel marché devait être retenu dans la présente affaire. Ainsi qu'elle l'avait déjà constaté dans sa décision n° 12-DCC-90 du 25 juin 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Tatex SAS par la société FedEx Corporation, l'Autorité a relevé que l'activité de messagerie se distingue du transport traditionnel en ce qu'elle consiste à acheminer des documents ou colis, de moins de trois tonnes, provenant de différents chargeurs et adressés à différents destinataires, de sorte qu'elle comporte des opérations intermédiaires de tri, groupage et dégroupage. Ce faisant, l'Autorité n'a pas ignoré les spécificités qui distinguent la messagerie classique de la messagerie express, qu'elle a décrites aux paragraphes 29 à 32, d'une part, et aux paragraphes 39 à 42 de la décision attaquée, d'autre part, mais elle a à juste titre constaté que les différents segments du secteur de la messagerie ne font pas l'objet de délimitations strictes, celles-ci pouvant varier en fonction de la structure et du contenu des offres des prestataires ainsi que de leurs politiques tarifaires, et qu'il en résulte une large substituabilité des prestations de messagerie classique et express, comme le Conseil de la concurrence l'avait déjà constaté dans son avis n° 95-A-18 du 17 octobre 1995 relatif aux problèmes soulevés par les activités de messagerie de la SNCF au regard de la concurrence. À cet égard, la cour constate qu'aucune des spécificités invoquées par les requérantes n'emporte la démonstration d'une absence de substituabilité entre lesdites prestations. C'est ainsi que les requérantes n'indiquent pas, et encore moins ne démontrent, en quoi les distinctions qu'elles opèrent, s'agissant de la messagerie monocolis ou multicolis, des envois " B to B " (" business to business ") ou " B to C " (" business to consumer "), du poids des colis ou de leur caractère ordinaire ou spécial, apporteraient la preuve que les prestations en cause ne sont pas substituables. Il en va de même des caractères particuliers de la messagerie classique et de la messagerie express concernant la densité du réseau d'agences ou la structure tarifaire, dont aucun ne traduit une absence de substituabilité des prestations en cause.
225. Par ailleurs, c'est de manière infondée que les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent que l'Autorité aurait procédé à une présentation trompeuse de la fédération TLF, du " tour de table conjoncture " et des participants à l'entente. S'agissant de la fédération TLF et de l'organisation par elle dudit " tour de table conjoncture ", le fait que ce syndicat professionnel joue un rôle utile et licite auprès des entreprises du secteur, ce qu'au demeurant l'Autorité n'a jamais contesté, est sans incidence sur l'appréciation des pratiques anticoncurrentielles objet des deux griefs, dont les réunions de son Conseil de Métiers ont, selon les constatations de l'Autorité, été le cadre. Quant au reproche fait à l'Autorité d'avoir présenté de façon trompeuse les participants à l'entente, il s'agit en réalité, pour les requérantes, de faire valoir que la société DHL était moins impliquée dans les pratiques qu'un " noyau dur " d'entreprises. Leurs arguments seront, en tant que de besoin, examinés dans le cadre de l'analyse de leurs moyens sur leur participation aux griefs.
A. Sur la participation au grief n° 1
226. Les sociétés Alloin Holding, Chronopost, DPD, Dachser, DHL, Gefco, GLS, Heppner, Normatrans, TNT, Transports Henri Ducros et Ziegler, ainsi que la fédération TLF ont été sanctionnées, au titre du grief n° 1, pour avoir enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE, en participant, entre le mois de mai 2004 et le mois de janvier 2006, à une concertation concernant la répercussion de la hausse du prix du gazole (décision attaquée, § 643 à 645 et 808 à 869).
227. En effet, sur la base des déclarations des demandeurs de clémence, des éléments produits avec ces demandes, des procès-verbaux d'audition de salariés ou d'anciens salariés des entreprises incriminées ainsi que des preuves documentaires qu'elle a réunies, l'Autorité a constaté que, le 26 mai 2004, plusieurs entreprises du secteur de la messagerie classique et express (les sociétés Graveleau - devenue Dachser -, Schenker-Joyau - devenue Schenker -, Transports Alloin - aux droits et obligations de laquelle a succédé Alloin Holding -, Gefco, DHL, Mory Team, Heppner et TNT) ont participé à une conférence téléphonique, organisée par Mme Laure I..., salariée permanente de la fédération TLF en charge du Conseil de Métiers. Lors de cette conférence téléphonique, les entreprises participantes ont discuté de la mise en place d'une " surcharge gazole " mensuelle, apparaissant en pied de facture, et ont convenu, de manière concertée, de répercuter les variations du prix du gazole dans le prix de leurs prestations, sans attendre les négociations tarifaires annuelles. À cette fin, ces entreprises, à l'exception de la société Gefco, ont adopté une méthode commune de répercussion afin d'éviter une réaction négative de leur clientèle, qui aurait pu considérer qu'une telle répercussion pouvait constituer une rupture contractuelle, et elles ont échangé leurs taux de hausse relatifs à une surcharge gazole (décision attaquée, § 197 à 323).
228. La méthode dite " surcharge gazole " présentait une méthodologie commune consistant à appliquer une grille tarifaire structurée de manière identique, et comportant des paliers d'augmentation des prix du gazole auxquels correspondait un pourcentage d'augmentation. Elle permettait ainsi d'homogénéiser les stratégies commerciales des entreprises concurrentes et leur présentation (décision attaquée, § 230 à 238). Ces discussions ont été suivies de la mise en place effective et quasi immédiate de cette surcharge mensualisée par toutes les entreprises présentes lors de la conférence téléphonique du 26 mai 2004, à l'exception de la société Gefco (décision attaquée, § 234 à 250), et la mise en œuvre de la méthode commune a fait l'objet d'un suivi régulier par les instances syndicales (décision attaquée, § 251 à 293).
229. Il convient de préciser que, pour l'ensemble des entreprises parties à la concertation, à l'exception de la société DHL, les paliers d'augmentation des prix du gazole s'appuyaient sur l'indice du Comité national routier (ci-après le " CNR "), tandis que ceux mentionnés par la grille de la société DHL s'appuyaient sur l'indice d'augmentation du prix du gazole communiqué par la Commission de l'Union européenne (ci-après la " Commission ") (décision attaquée, § 247).
230. L'Autorité a encore relevé que, par la suite, les entreprises Ziegler, GLS, Transports Henri Ducros, Sodimaine - aux droits et obligations de laquelle a succédé Heppner -, Exapaq - devenue DPD -, Chronopost, Normatrans et Gefco ont, au cours des années 2004 et 2005, progressivement mis en place une surcharge gazole suivant la même méthodologie et qu'ainsi, la pratique en cause a fini par couvrir la majorité des principaux acteurs des secteurs de la messagerie classique et de la messagerie express. Elle a ajouté que, dans le cadre du Conseil de Métiers, les entreprises participantes ont échangé, à partir du mois de juin 2004, des informations sur leur comportement passé et sur leurs intentions futures en relation avec la question de la surcharge gazole. Ces échanges sont intervenus à la fois au sein et en dehors des réunions du Conseil de Métiers, et ont continué jusqu'à l'adoption de la loi du 5 janvier 2006 (décision attaquée, § 253 à 303).
231. Selon l'Autorité, la convergence des comportements est illustrée par le fait que les hausses liées à la surcharge gazole annoncées ont pour la plupart été respectées, qu'il s'agisse de leur niveau ou de leur date, souvent concomitante (décision attaquée, § 644).
232. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, d'une part, la société Normatrans, d'autre part, contestent l'analyse de l'Autorité sur ces différents points.
1. Sur l'existence d'une pratique concertée
233. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post contestent l'existence d'une concertation. Elles font valoir, en premier lieu, que le principe d'une surcharge gazole aurait été imposé par le contexte législatif et réglementaire, conforté par les pouvoirs publics, dont il résultait l'obligation pour les entreprises de répercuter l'intégralité du coût du gazole dans leurs prix. Elles soulignent que, dès lors que le principe et la proportion de cet élément de coût à répercuter étaient définis par le cadre législatif et réglementaire, aucune incertitude et donc aucune marge de concertation ne persistaient sur ces points, et qu'en conséquence, le coût du gazole n'était pas un paramètre de concurrence entre elles.
234. Elles soutiennent, en second lieu, que l'analyse des éléments de méthodologie retenus appliqués par la société DHL pour répercuter les variations du coût du gazole, révèle que ces derniers étaient dictés par des considérations opérationnelles propres à cette entreprise, et n'étaient donc pas le résultat d'une hypothétique concertation qui n'aurait eu aucun sens pour elle, dans la mesure où elle disposait depuis 2002 d'une méthodologie propre appliquée à ses activités de transport aérien. Elles précisent que la société DHL se trouvait dans une situation spécifique résultant de ce qu'elle avait retenu un indice spécifique (l'indice du prix du gazole publié par la Commission et non celui du CNR), mais aussi des paliers d'augmentation spécifiques ainsi qu'une date de mise en œuvre de la surcharge gazole qui lui était propre.
235. En premier lieu, le dispositif légal et réglementaire applicable au moment des faits, décrit aux paragraphes 163 à 173 de la décision attaquée, imposait que les prix pratiqués pour une prestation de transport public routier de marchandises ne soient pas inférieurs au coût de la prestation de service, c'est-à-dire à l'ensemble des charges réellement supportées par l'entreprise de transport, au nombre desquelles " les charges de carburant ". Cependant, ainsi que le relève l'Autorité au paragraphe 170 de la décision attaquée, ce dispositif n'imposait aucune méthodologie particulière de répercussion de l'évolution des charges sur le prix des prestations. Il s'en déduit que, même si les augmentations du prix du gazole devaient être répercutées par les entreprises de messagerie dans les prix de leurs prestations, rien n'imposait que cela fût fait mensuellement, et présenté au moyen d'un " pied de facture " et selon une méthodologie commune à toutes les entreprises.
236. Si, comme le soulignent les requérantes, le coût du gazole n'était pas un paramètre de concurrence entre entreprises, la façon de répercuter ce coût était bien, pour elles, un instrument de concurrence, ce que révèle d'ailleurs leur souhait d'opérer ensemble, afin, pour chacune d'elles, d'écarter le risque que leurs clients s'adressent à leurs concurrents (voir décision attaquée, § 202, 227 et 228).
237. En conséquence, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n'est nullement contradictoire que l'Autorité ait constaté l'existence d'une nécessité économique et d'une obligation légale de répercussion, tout en retenant que la pratique ayant consisté à isoler le coût spécifique du gazole et à élaborer une méthodologie commune de répercussion était une pratique de concertation anticoncurrentielle.
238. En second lieu, il est exact que la société DHL avait élaboré, avant les pratiques, une méthodologie semblable à celle mise en œuvre en l'espèce, concernant la répercussion de la hausse du prix du kérosène dans le cadre de son activité de fret aérien, élaborée selon ses propres critères, et il n'est pas contesté qu'elle envisageait de l'appliquer avant la conférence téléphonique du 26 mai 2004. Il est également exact que l'indice qu'elle avait choisi n'était pas celui retenu par les autres entreprises et qu'elle avait prévu ses propres paliers d'augmentation. Cependant, ces circonstances ne font pas disparaître le caractère concerté de son comportement, contrairement à ce que soutiennent les requérantes.
239. En effet, la notification des griefs énonce que les parties ont " mis en œuvre dans le cadre des réunions du Conseil de Métiers Messagerie Express de la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF), ainsi qu'à l'occasion de contacts bilatéraux ou plurilatéraux, une pratique concertée visant à restreindre le jeu de la concurrence entre elles sur un élément de prix, dénommé "surcharge gazole", en convenant de la répercussion des variations du prix du gazole selon une méthode commune ". La notification des griefs précise que " cette méthode commune comportait la mensualisation de la "surcharge gazole", le recours à des indices de référence communs (indices CNR), l'utilisation d'une grille de revalorisation à partir de coefficients multiplicateurs, la concomitance des dates de hausses et l'identification du montant de cette hausse spécifique en pied de facture ".
240. Les rapporteurs ont, au paragraphe 335 de la notification des griefs, reproduit le tableau descriptif du calcul de la surcharge gazole que la société DHL a adressé à ses clients pour leur annoncer cette surcharge à compter du 1er juillet 2006. Ce tableau comporte, comme ceux adressés par les autres parties à la concertation, une grille de revalorisation à partir de coefficients multiplicateurs, c'est-à-dire des fourchettes de prix avec, en vis-à-vis, les pourcentages d'augmentation du prix de ses prestations que la société appliquerait, d'une part, pour la messagerie, d'autre part, pour le fret. De même que ses concurrents, la société DHL a commencé à appliquer la surcharge gazole à la suite de la réunion téléphonique du 26 mai 2004, soit le 1er juillet 2004. Elle ne conteste pas y avoir procédé mensuellement et l'avoir identifiée en pied de facture.
241. Ainsi, la société DHL a appliqué une répercussion des hausses du prix du gazole selon une méthode semblable à celle de ses concurrents précédemment décrits, et qui n'en différait que par la référence à un autre indice d'augmentation des prix, celui de la Commission au lieu de celui du CNR, mais qui, pour les autres éléments (présentation de fourchettes en regard de pourcentages, mensualisation, présentation en pied de facture), était identique. La cour observe que les tableaux des autres entreprises, reproduits dans la notification des griefs (§ 323, 330, 331, 333), comportent eux aussi des minima et maxima, ainsi que des pourcentages, différents selon les entreprises. Mais, au-delà de ces différences - au demeurant minimes - dans les paramètres de la méthodologie mise en place, les entreprises en cause, dont la société DHL, étaient, du fait des informations échangées lors des diverses réunions auxquelles elles ont participé, assurées du mouvement coordonné par lequel leurs concurrents allaient répercuter mensuellement la hausse du prix du gazole, par une mention en pied de facture et selon des paliers d'augmentation. De ce fait, elles se trouvaient à l'abri des éventuelles tentatives de leurs clients de trouver auprès de la concurrence une modalité de répercussion alternative qui leur serait plus favorable.
242. Il est, en conséquence, inopérant pour la qualification de concertation, d'une part, que la société DHL ait pu, avant la mise en place de l'entente, décider de transposer au gazole la méthodologie de répercussion de la hausse des coûts de kérosène qu'elle appliquait depuis 2002 à ses activités de transport aérien, d'autre part, qu'elle ait utilisé un indice d'augmentation des prix d'une autre origine que celui de ses concurrents, appliqué des paliers qui n'étaient pas totalement les mêmes que ceux de ses concurrents et fixé ses propres coefficients multiplicateurs, puisque, au sein de la même méthodologie, ces concurrents ont fait de même sans que ni l'une ni les autres se soient écartés de la méthodologie commune. La cour relève, sur ces deux derniers points, que les variations en cause étaient minimes et ne modifiaient nullement la portée de la méthode de répercussion.
243. De même, il est indifférent pour la qualification de l'existence d'une concertation que le CNR, chargé de procéder à l'observation des prix et des coûts des transports (décision attaquée, § 65), ait à plusieurs reprises préconisé la répercussion de la hausse du prix du gazole " par le jeu d'un pied de facture ", dès lors que rien n'obligeait les entreprises à procéder de la sorte et à convenir ensemble de le faire afin d'éviter les contestations de leurs clients.
244. Les moyens des requérantes contestant l'existence d'une pratique concertée sont en conséquence rejetés.
2. Sur la participation aux pratiques
a) Concernant la société DHL
245. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent que la participation de la société DHL aux échanges d'informations visés par le grief n° 1 n'est pas établie.
246. Elles font valoir, en premier lieu, que l'Autorité n'a pas rapporté la preuve de la participation des dirigeants de la société DHL à la conférence téléphonique du 26 mai 2004, dont ils ont reçu le compte-rendu. Elles ajoutent que le président de la société Schenker-Joyau ainsi que celui de la société Transports Alloin, organisateurs de la concertation et demandeurs de clémence, n'ont pas été en mesure d'affirmer ou de prouver leur présence.
247. Elles exposent, en deuxième lieu, que la participation à l'entente n'avait aucun intérêt pour la société DHL, puisque celle-ci avait déjà décidé, avant sa mise en œuvre de transposer au gazole la méthodologie de répercussion de la hausse des coûts de kérosène qu'elle appliquait depuis 2002 à ses activités de transport aérien.
248. Elles ajoutent, en troisième lieu, qu'aucune pratique concertée ne peut être retenue à leur encontre en raison des spécificités propres à la méthodologie utilisée par la société DHL. À ce titre, elles développent à nouveau les moyens précédemment exposés au paragraphe 234 du présent arrêt. Elles indiquent en outre que les seuls éléments communs entre la méthode de la société DHL et celle résultant de l'entente, soit, selon elles, la mensualisation et la répercussion en pied de facture, étaient imposés par la réalité économique et recommandés par les pouvoirs publics.
249. Le ministre chargé de l'Économie rappelle que la décision attaquée est à juste titre fondée sur le principe, consacré par la jurisprudence des juridictions de l'Union, selon lequel, lorsqu'une société participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participantes qu'elle souscrit au résultat des réunions et qu'elle s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle participe à l'entente résultant de ces réunions (TUE, arrêts du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, point 232 ; du 10 mars 1992, Solvay/Commission T-12/89, point 98 ; du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, points 85 et 86, et du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T-21/99, points 41 à 56). Il conclut en conséquence au rejet des moyens des requérantes.
250. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, si la preuve de la présence de représentants de la société DHL à la conférence téléphonique du 26 mai 2004 n'est pas directement rapportée, elle résulte toutefois d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, détaillés par l'Autorité aux paragraphes 211 et 854 de la décision attaquée, auxquels la cour renvoie. Il ressort, en effet, de ces éléments, d'abord, que le dirigeant de la société DHL France et directeur de la société DHL, ainsi que le dirigeant de la société DHL ont reçu le compte rendu de la conférence téléphonique du 26 mai 2004 par courrier électronique, ce qui n'est pas contesté, ensuite, que les destinataires de ce compte rendu étaient les personnes présentes à la conférence téléphonique, ainsi que l'ont indiqué les demandeurs de clémence et, enfin, que seules ces personnes, lesquelles ne représentaient pas tous les participants du Conseil de Métiers, avaient été destinataires de ce compte rendu à caractère secret et, de ce fait, à diffusion limitée.
251. Il importe peu, au regard de la concordance de ces indices et de leur caractère probant, que les organisateurs de la concertation et demandeurs de clémence n'aient pas nommément cité les participants à la conférence téléphonique du 26 mai 2004, ni apporté d'éléments de preuve directe de leur présence.
252. En outre, la cour relève que les requérantes ne contestent pas que la société DHL a participé aux réunions du Conseil de Métiers des 8 juin 2004, 30 septembre 2004, 8 juin 2005 et 22 septembre 2005, lors desquelles la surcharge gazole a été évoquée. Il n'est pas contesté non plus que cette société a participé aux échanges informels à la fin de l'été 2005, au cours desquels les entreprises participantes ont échangé des informations sur leur comportement passé et sur leurs intentions futures en relation avec cette surcharge.
253. Dans ces circonstances, et ainsi qu'il a déjà été retenu en conformité avec les principes jurisprudentiels rappelés par le ministre chargé de l'Économie, la société DHL était assurée du mouvement coordonné par lequel ses concurrents allaient, comme elle-même avait décidé de le faire, appliquer mensuellement la surcharge gazole par une mention en pied de facture et selon une méthodologie semblable à la sienne. Elle était donc assurée que les éventuelles tentatives de ses clients de trouver auprès de la concurrence une modalité de répercussion alternative qui leur soit plus favorable échoueraient. Il est, en conséquence, inopérant que cette société ait utilisé un indice d'augmentation des prix d'une autre origine que celui de ses concurrents, appliqué des paliers qui n'étaient pas exactement les mêmes et fixé ses propres coefficients multiplicateurs puisque, d'une part, la méthodologie employée était identique, d'autre part, les concurrents, eux non plus, n'ont pas adopté les mêmes paliers ou les mêmes coefficients, tous les faisant varier de façon marginale.
254. Pour le même motif que celui qui vient d'être exposé, il est indifférent que la société DHL ait pu, avant la mise en place de l'entente, décider de transposer au gazole la méthodologie de répercussion de la hausse des coûts de kérosène qu'elle appliquait depuis 2002 à ses activités de transport aérien, et donc que l'Autorité n'ait pas examiné les éléments de preuve présentés sur ce point par elle. À ce sujet, la cour observe que, si, comme les requérantes le soutiennent, l'Autorité a relevé que la société TNT avait, depuis 2003, mis en place un système de surcharge gazole aux prestations d'express international (décision attaquée, § 249), elle n'en a tiré aucune conséquence particulière, puisqu'elle a également sanctionné cette société au titre du grief n° 1, pour avoir, à partir de 2004, appliqué la surcharge gazole aux prestations de messagerie classique nationale.
255. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'Autorité a, par un faisceau d'indices précis, graves et concordants qui ne laisse pas de part au doute, et sans inverser la charge de la preuve, établi que la société DHL avait participé aux pratiques d'entente entre les entreprises du secteur de la messagerie classique et de la messagerie express visant à instaurer et appliquer la surcharge gazole. Leurs moyens sont en conséquence rejetés.
b) Concernant la société Normatrans
256. La société Normatrans conteste sa participation à l'infraction visée par le grief n°1.
257. Elle rappelle que, lorsqu'une concertation anticoncurrentielle se déroule au cours de réunions tenues dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle, la preuve de l'adhésion d'une entreprise à cette concertation exige des éléments allant au-delà de la seule participation auxdites réunions, comme une adhésion plus explicite, ou caractérisée par la diffusion des consignes, l'application des mesures décidées lors de la réunion ou la participation à d'autres réunions à objet anticoncurrentiel. Elle ajoute que le Conseil de la concurrence a déjà jugé que la participation à une seule réunion ne constitue pas en soi la preuve de l'adhésion aux projets anticoncurrentiels.
258. Elle fait valoir qu'il n'est pas contesté qu'elle n'a participé qu'à une seule réunion, celle organisée le 8 juin 2005 par la fédération TLF, qui est un syndicat professionnel, réunion à laquelle elle avait été invitée sans en connaître l'ordre du jour et que la seule raison de sa présence résultait de ce qu'il avait été considéré que les petites et moyennes entreprises (ci-après les " PME ") étaient sous-représentées au sein de la concertation.
259. Elle précise n'avoir jamais adhéré, ni donné effet aux décisions prises au cours de celle-ci concernant la mise en place d'une surcharge gazole, dans la mesure où elle pratiquait déjà de cette façon depuis 2004. Dans ces conditions, elle estime que son adhésion à l'accord litigieux ne pouvait être déduite du seul fait qu'elle ne s'en serait pas distanciée publiquement et qu'il incombait à l'Autorité de rapporter une preuve additionnelle de sa participation à l'entente.
260. La requérante fait également valoir que sa situation ne pouvait être appréciée de la même façon que celle des autres transporteurs, eu égard à la dimension locale et mono-produit de son activité, qui ne concerne que la messagerie traditionnelle à l'exclusion de la messagerie express et du transport de " mono-colis ".
261. Elle reproche, enfin, à l'Autorité d'avoir commis plusieurs erreurs de fait dans la décision attaquée. À ce titre, elle expose que celle-ci se serait fondée sur un motif erroné en jugeant qu'elle aurait appliqué une surcharge gazole à ses clients à la suite de la réunion du 8 juin 2005, alors qu'elle la pratiquait déjà avant cette réunion. Elle fait valoir qu'il est inexact de soutenir qu'elle aurait " progressivement adopté la même politique tarifaire " que les autres participants à la réunion litigieuse, puisqu'elle n'a fait que continuer sa pratique antérieure et n'a pas modifié son comportement. Elle indique qu'il ne peut être retenu que la réunion aurait été l'occasion de renouveler l'accord de volontés entre les parties, alors que son accord n'a jamais existé et ne pouvait donc être renouvelé. Elle oppose, enfin, qu'il ne peut lui être reproché de ne pas s'être distanciée explicitement des discussions puisque sa pratique de répercussion était la même que celle décidée dans le cadre de la concertation et qu'elle ne pouvait donc s'y opposer.
262. L'Autorité observe qu'en droit de l'Union, la participation passive à une seule réunion statutaire, sans distanciation publique, suffit à caractériser une infraction au droit de la concurrence. Elle fait valoir que l'application de ce droit ne dépend nullement de la situation individuelle de chacune des entreprises concernées, mais de là ou des pratiques en cause. Elle indique qu'elle a précisé, au paragraphe 572 de la décision attaquée, en quoi les pratiques affectaient sensiblement le commerce entre États membres, justifiant l'application du droit de l'Union, et relève que la requérante a reconnu avoir une " activité nationale au départ de la Basse-Normandie ", ce qui suffit à considérer que sa participation à l'entente était susceptible d'affecter les échanges entre États membres.
263. Le ministre chargé de l'Économie conclut à la confirmation de la décision attaquée sur ce point.
264. L'Autorité a, par une motivation pertinente que la cour adopte (décision attaquée, §572 à 579), retenu que les pratiques en cause étaient susceptibles d'affecter les échanges entre États membres. Elle en a, à juste titre, déduit que le droit de l'Union s'appliquait à ces pratiques, sans qu'importent les dimensions locales et, à la supposer établie - ce qui sera examiné ultérieurement -, la qualité d'entreprise " mono-produit " de la société Normatrans.
265. Or selon la jurisprudence du Tribunal de l'Union européenne (ci-après le " Tribunal de l'Union "), justement rappelée par le ministre chargé de l'Économie, citée au paragraphe 249 du présent arrêt, lorsqu'une société participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat des réunions et s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle a participé à l'entente résultant desdites réunions. La cour de cassation a statué dans le même sens (voir, notamment, Cass. com., 8 novembre 2016, pourvoi n° 14- 29. 542).
266. S'il existe, en application du droit national, une jurisprudence selon laquelle la participation à une seule réunion tenue dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle est insuffisante pour caractériser l'adhésion d'une entreprise à l'entente, une telle exception n'est pas admise en droit de l'Union dont relèvent les pratiques de l'espèce. Au contraire, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la " Cour de justice ") dans son arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C-8/08, point 61), " ce qui importe n'est pas tant le nombre de réunions entre les entreprises concernées que le fait de savoir si le ou les contacts qui ont eu lieu ont offert à ces dernières la possibilité de tenir compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur le marché considéré et de substituer sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence ".
267. En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Normatrans avait, dès 2004, soit avant sa participation à la réunion du 8 juin 2005, décidé et mis en place une répercussion de la hausse du gazole sous la forme d'une surcharge gazole. Il n'est pas contesté non plus que, lors de cette réunion, non seulement les adhérents présents ont échangé sur la façon dont ils pratiquaient par " pied de facture " et sur la réaction des clients à cet égard, mais ils ont également débattu de l'opportunité de réintégrer la " taxe carburant ", c'est-à-dire la surcharge gazole, dans le tarif général. Une position consensuelle, consistant à ne pas réintégrer la surcharge est ressortie de ces débats (décision attaquée, § 839).
268. Ces discussions n'ont pu que conforter la société Normatrans dans sa pratique et lui permettre d'acquérir la certitude que ses concurrents appliquaient la même politique qu'elle. À ce sujet, la cour relève que la société Normatrans a précisé avoir " commencé à appliquer une surcharge gasoil (...) à partir de 2004, et toujours en négociation de gré à gré, pour la généraliser à partir du décret l'imposant " (cote n° 51572, visée au § 280 de la décision attaquée), ce qui montre qu'elle n'avait pas encore, à la date de la réunion du 8 juin 2005, tenue antérieurement à la loi du 5 janvier 2006, généralisé cette pratique. De plus, sa participation à la réunion a renforcé, pour les autres participants, l'idée qu'une part substantielle des entreprises du secteur adhéraient à l'entente et substituaient leur concertation au risque concurrentiel. Il est, en conséquence, sans portée que la société Normatrans, d'une part, n'ait pas connu l'ordre du jour de la réunion du 8 juin 2005, d'autre part, n'ait pas modifié sa façon de procéder à la suite de cette réunion, et c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que, faute pour elle de s'être distanciée publiquement de l'entente, le fait qu'elle n'ait été présente qu'à une seule réunion n'était pas de nature à inverser la présomption de son adhésion.
269. En outre, et ainsi qu'il a déjà été dit concernant l'application du droit de l'Union, la situation individuelle de l'entreprise sur le marché, comme la dimension locale ou l'éventuel caractère " mono-produit " de son activité, n'ont pas d'influence sur la question de sa participation à l'entente mais seulement, le cas échéant, sur l'étendue de celle-ci et, donc, sur le niveau de la sanction.
270. Il s'ensuit que les moyens soutenant l'absence de participation aux pratiques du grief n° 1, développés par la société Normatrans, doivent être rejetés.
B. Sur la participation au grief n° 2
271. Les entreprises mises en cause ont été sanctionnées, au titre du grief n° 2, pour avoir enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE, en participant, entre le 30 septembre 2004 et le 29 septembre 2010, chacune dans la mesure indiquée dans la décision attaquée, à une entente sur le marché français de la messagerie classique et de la messagerie express, qui visait à la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles.
272. En effet, sur la base des déclarations des demandeurs de clémence et des autres pièces du dossier, l'Autorité a constaté que, durant cette période, les entreprises mises en cause avaient échangé, dans un cadre multilatéral, et notamment à l'occasion des réunions du Conseil de Métiers, des informations sensibles sur les hausses de leurs tarifs avant le début des négociations tarifaires menées avec leurs clients et qu'elles avaient ensuite, en cours de campagne, fait le point sur le résultat de ces négociations (décision attaquée, § 333). Elle a, plus précisément, relevé que ces pratiques se déroulaient selon le même schéma, ainsi décrit au paragraphe 336 de la décision attaquée :
" (1) pendant l'été et/ou l'automne de chaque année, les entreprises concernées s'échangent des informations par courriels, courriers et lors d'une ou plusieurs réunions ;
(2) les entreprises adoptent un comportement sur le marché en cohérence avec les informations préalablement échangées ;
(3) les entreprises surveillent le résultat des négociations tarifaires et la mise en œuvre effective auprès des clients de ce qui a été décidé en commun. "
273. L'Autorité a relevé le caractère précis, individualisé, futur et fiable des informations ainsi échangées, durant les sept campagnes de revalorisation tarifaire entre septembre 2004 et septembre 2010, par les entreprises mises en cause (décision attaquée, § 513). Elle a souligné que la transparence du marché en matière tarifaire s'en était trouvée particulièrement accrue, permettant aux participants à ces échanges, qui représentaient la quasi-totalité des acteurs du secteur de la messagerie classique et de la messagerie express, de renforcer leur position dans la négociation commerciale avec leurs clients en tenant compte des annonces faites par leurs concurrents (décision attaquée, § 516).
274. Les sociétés XPO, Normatrans, Geodis, DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, ainsi que BMVirolle développent devant la cour plusieurs moyens d'annulation ou de réformation relatifs à l'existence même d'une situation de concurrence entre elles et à leur participation aux pratiques en cause.
275. La cour examinera successivement chacun de ces moyens.
1. Sur l'existence d'une situation de concurrence
a) Concernant la société XPO
276. L'Autorité a, dans la décision attaquée, choisi de regrouper sous l'appellation commune de " messagerie classique ", distincte de la messagerie express qui concerne des livraisons dans un délai de 24 h de colis d'un poids moyen de 4 kilos environ, trois types de prestations, se rapportant à des envois lourds, groupés ou palettisés, dont les délais de livraison oscillent entre 24 et 72 heures pour la France (décision attaquée, § 29 à 35) :
- la messagerie " traditionnelle ", qui se rapporte à des livraisons dans un délai de 48 heures ou plus ;
- la messagerie " rapide ", utilisée pour des colis supérieurs à 30 kilos, livrés le lendemain par un enlèvement avant 18 heures et qui se distingue de la messagerie expresse en ce qu'elle ne garantit pas les délais ;
- la messagerie " palette ", qui se présente comme une prestation particulière de la messagerie classique et ne concerne que des colis posés sur des palettes dont le poids est plus important, d'au moins 200 kilos, avec un poids moyen d'une tonne.
277. Selon l'Autorité, un grand nombre d'entreprises du secteur proposent généralement une prestation standard de messagerie, qui peut éventuellement être complétée par des garanties supplémentaires ou un meilleur suivi, de sorte que, pour ces entreprises, la distinction entre messagerie " traditionnelle " et " rapide " ne serait pas opérante (décision attaquée, § 33). Il en serait de même de la messagerie " palette " qu'un grand nombre d'opérateurs ont inclus au sein de leurs prestations de messagerie classique, tandis que d'autres opérateurs se sont spécialisés dans ce type de transport (décision attaquée, § 34).
278. C'est dans le cadre de cette analyse que l'Autorité a infligé à la société Norbert Dentressangle Distribution, anciennement Darfeuille Services, devenue la société XPO, spécialisée dans le transport palettisé, une sanction pécuniaire pour avoir participé du 21 juin 2007 au 1er mars 2008, soit pendant une durée de huit mois correspondant à la campagne tarifaire 2007-2008, aux pratiques relevant du grief n° 2 (décision attaquée, § 1299 et 1300).
279. Au soutien de son recours, la société XPO fait valoir, à titre principal, que la qualification de restriction de concurrence par objet, sur laquelle l'Autorité a fondé le grief n° 2, suppose l'existence d'un lien de concurrence qui fait défaut en l'espèce.
280. En effet, contestant l'analyse de l'Autorité, elle soutient qu'elle n'était pas dans un rapport de concurrence avec les entreprises avec lesquelles elle a échangé des informations, car elle avait pour seule activité le transport palettisé, distinct de l'activité de messagerie exercée par les autres entreprises mises en cause. Elle affirme, à ce titre, que les services rendus, d'une part, par les entreprises de messagerie, d'autre part, par les entreprises spécialisées, comme elle, dans le transport palettisé, ne sont pas substituables en ce qu'ils ne répondent pas aux mêmes besoins du client et ne présentent pas les mêmes caractéristiques. Elle appuie cette analyse, notamment, sur un rapport du cabinet Rise Conseil, qu'elle verse au dossier (société XPO, pièce n° 5), selon lequel les prestations offertes au titre de la messagerie classique et celles offertes au titre de la messagerie palettisée ne sont pas substituables. Au soutien de cette affirmation, le cabinet Rise Conseil se réfère, dans son rapport, à plusieurs appels d'offres, dont la société Norbert Dentressangle Distribution a été destinataire, ne portant que sur du transport palettisé, à l'exclusion de tout autre mode de transport.
281. La requérante expose que la nature des objets transportés - d'un côté des " colis ", de l'autre des " palettes " - ainsi que leurs caractéristiques en termes de volume et de poids - entre 90 et 100 kilos pour la messagerie, contre plus de 350 kilos pour le transport palettisé - diffèrent, ce qui serait déterminant du point de vue de la demande. Elle indique que l'objet à transporter détermine, en effet, le choix du transporteur et que la préférence en faveur d'une organisation logistique par palettes est liée à une logique d'entreposage et non de transport. Elle précise également que la messagerie concerne essentiellement des expéditions de colis relativement légers en " B to B " (" business to business ") et " B to C " (" business to consumer ") auprès de plus d'une trentaine de clients par camion et comporte une garantie des délais, tandis qu'à l'inverse, le transport palettisé se rapporte à des charges lourdes, expédiées exclusivement en " B to B " auprès, généralement, d'une dizaine de clients par camion, nécessite des efforts spécifiques de manutention et se caractérise par une absence de garantie des délais.
282. Elle ajoute, enfin, que les deux activités se distinguent du point de vue de l'offre, en raison de l'application de structures de prix et de convention collectives différentes, qui ont un impact sur les coûts et les tarifs facturés aux clients.
283. Il en résulte, selon la requérante, qu'elle est active sur un marché distinct de celui des autres entreprises mises en cause, de sorte qu'aucune entente horizontale avec celles-ci ne saurait lui être reprochée.
284. En réponse, l'Autorité fait valoir que les spécificités de l'activité de la société XPO, par rapport à celles de la messagerie classique, ne permettent pas d'opérer une segmentation entre les deux services, mais conduisent plutôt à faire le constat d'une continuité entre ceux-ci. Elle expose, en effet, qu'en dépit de différences quant aux poids, délais ou garanties, le transport palettisé présente l'essentiel des caractéristiques des réseaux de messagerie, à savoir une organisation en réseau et le recours à des opérations de groupage et de dégroupage, au travers de plateformes de tri. Elle souligne que la messagerie classique concerne elle aussi des envois lourds, des livraisons uniquement en " B to B ", ainsi qu'une absence de garantie des délais. Elle ajoute qu'au regard de l'offre, les tarifs des prestations de messagerie classique sont également dégressifs et calculés suivant une grille construite en fonction de couples point de départ-point d'arrivée. Cette continuité serait, de surcroît, confirmée par la circonstance que plusieurs entreprises de messagerie, y compris certaines des entreprises mises en cause, proposent des palettes dans le cadre de leur offre standard de messagerie.
285. L'Autorité rappelle qu'au surplus, lorsque les pratiques sont examinées au titre de la prohibition des ententes ou des pratiques concertées, comme en l'espèce, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié, à l'inverse de ce qui est requis en matière d'abus de position dominante.
286. Elle en conclut que le transport palettisé appartient au secteur de la messagerie et que la requérante se trouvait donc dans un rapport de concurrence avec les autres participants à l'entente.
287. La cour rappelle, d'une part, qu'il résulte de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et de la jurisprudence tant nationales que de l'Union que, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes ou des pratiques concertées, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en place (voir en ce sens, notamment, Conseil de la concurrence, décision n° 09-D-17 du 22 avril 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil régional de l'ordre des pharmaciens de Basse-Normandie, § 40 ; CA Paris, arrêt du 11 octobre 2012, RG n° 2011/03298, statuant sur le recours contre la décision de l'Autorité n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques ; TUE, arrêts du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T-62/98, point 230, et du 27 septembre 2012, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, T-82/08, point 90).
288. En l'espèce, l'Autorité a choisi de regrouper, sous l'appellation commune de " messagerie classique ", trois types de prestations se rapportant à des envois lourds, groupés ou palettisés, dont les délais de livraison oscillent entre 24 et 72 heures pour la France (décision attaquée, § 29 à 35). La cour relève que la décision attaquée s'inscrit dans la continuité de la pratique antérieure de l'Autorité, selon laquelle l'activité de " messagerie de colis " désigne " l'acheminement de colis (ou de palettes) de marchandises de moins de trois tonnes " (décisions de l'Autorité n° 09-DCC-40 du 4 septembre 2009 relative à l'acquisition par Geodis d'agences commerciales de Cool Jet, § 5 ; n° 10-DCC-26 du 26 mars 2010 relative à l'acquisition par Geodis de Ciblex, § 5, et n° 12-DCC-90 du 25 juin 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Tatex SAS par la société Fedex Corporation, § 7). Cette définition est également celle à laquelle a recouru, dans la présente affaire, le demandeur de clémence dans ses déclarations et celle qu'utilise le SÉTRA, dont les travaux sont cités par l'Autorité dans ses observations devant la cour. Il apparaît ainsi que le critère déterminant de la délimitation du secteur de la messagerie de colis ne consiste pas dans le mode de conditionnement des colis (présence/absence de palettes), mais bien dans le poids total des colis transportés (inférieur à trois tonnes).
289. La cour constate, d'autre part, que plusieurs éléments démontrent le caractère substituable, au regard de la demande, des prestations de messagerie classique et de transport palettisé.
290. C'est ainsi que, contrairement à ce que soutient la société XPO, cette substituabilité est corroborée par un rapport du SÉTRA de mars 2008, intitulé " Transport de marchandises palettisées. Analyse de deux types d'offre en plein développement ", aux termes duquel le " transport par "messagerie palette" (...) se positionne en partie sur le marché de la messagerie classique et propose des services comparables avec la particularité que les envois se font sous forme de palettes ". Ce rapport précise, en effet, que " l'offre de transport "messagerie palette" se situe dans le continuum de taille et de poids d'envois, entre la messagerie classique et le lot partiel (...) Elle s'apparente à la messagerie classique avec un poids moyen de chargement de palettes de quelques centaines de kg, variable selon les entreprises prestataires et selon les clients à desservir (...) Le nombre maximal de palettes imposé pour ce service dépasse rarement 6, et le poids maximal reste inférieur à 3 tonnes " (p. 19). Ce rapport ajoute, en outre, qu' " à l'instar de la messagerie classique, la "messagerie palette" propose des délais courts d'acheminement (24 ou 48 à 72 heures) en s'appuyant sur un réseau de plates-formes de groupage-dégroupage. Le taux de remplissage du camion chez le chargeur n'est pas un critère intervenant dans le délai d'acheminement, contrairement au transport de lots, pour lequel le camion ne peut généralement partir qu'une fois rempli. Enfin, une des composantes communes des différentes offres est d'assurer un suivi de la marchandise et de garantir le délai de livraison " (p. 19 et 20).
291. La continuité entre les deux services se vérifie, par ailleurs, par la circonstance que nombre d'entreprises de messagerie proposent également des palettes dans le cadre de leur offre de messagerie. Il en allait ainsi, selon l'étude du cabinet Xerfi versée au dossier par les rapporteurs (cotes 47662 et s.), des sociétés Ducros, Schenker-Joyau et Mory (cotes 47730, 47732, 47736). De même, il ressort des pièces qu'elle a produites devant l'Autorité que, dès avant 2008, année au cours de laquelle elle a fait évoluer sa stratégie vers une messagerie de palettes industrielles lourdes, la société Dachser exploitait des services de messagerie multi-colis et palettes légères (cotes 77262 et 77463).
292. Il résulte de ces constatations que le transport palettisé de messagerie doit être considéré comme relevant du secteur de la messagerie classique. En conséquence, la société XPO, quoique n'offrant que des services de transport palettisé, n'en est pas moins dans une situation de concurrence avec les autres entreprises du secteur de la messagerie. Dès lors, le fait que certains appels d'offres excluent les modes de transport autres que le transport palettisé ne conduit pas à écarter le constat que les entreprises offrant ce type de prestations se trouvent en concurrence les unes avec les autres.
293. Le moyen de la société XPO est rejeté.
b) Concernant la société Normatrans
294. L'Autorité a sanctionné la société Normatrans pour avoir participé aux pratiques relevant du grief n° 2 du 28 septembre 2006 au 29 septembre 2010, soit pendant une durée de quatre ans (décision attaquée, § 1299 et 1300).
295. La société Normatrans soutient que le grief d'entente n'est pas constitué à son égard dans la mesure où on ne saurait lui reprocher d'avoir, dans le cadre des réunions du Conseil de Métiers, échangé des informations avec les autres participants, puisque ceux-ci n'étaient pas pour elle des concurrents, mais des clients, de tels échanges n'étant évidemment pas prohibés par le droit de la concurrence.
296. Elle expose, en effet, d'une part, qu'elle n'exerce que l'activité de messagerie classique - à l'exclusion de la messagerie express et de la messagerie monocolis - dans le seul territoire de la Basse-Normandie et, d'autre part, qu'elle intervient, pour 74 % de son chiffre d'affaires, en qualité de sous-traitante pour réaliser soit des opérations de distribution régionale, soit des opérations d'expédition nationale pour des clients bas-normands. Elle fait valoir, par ailleurs, que les autres participants aux réunions litigieuses n'étaient pas implantés en Basse-Normandie et qu'en conséquence, n'opérant ni sur le même marché ni sur le même territoire économique, elle n'était pas en concurrence avec eux, mais que ceux-ci étaient pour elle des clients dont elle était le sous-traitant. Sur ce point, elle soutient que le rapport des rapporteurs est erroné en ce qu'il a affirmé qu'elle n'était pas le seul opérateur implanté en Basse-Normandie et déplore que l'Autorité, faute de vérification, n'ait pas corrigé cette erreur.
297. Elle conclut de cette situation, qui lui serait particulière, qu'elle n'a pas communiqué d'informations sur l'évolution possible de ses prix à ses concurrents, mais à ses clients, qui représentaient entre 77 et 80 % de son chiffre d'affaires, ce qu'on ne saurait lui reprocher, ses concurrents, en revanche, n'ayant été ni présents ni représentés à ces réunions.
298. L'Autorité fait valoir que la société Normatrans ne démontre pas en quoi son activité ne se situerait pas sur le marché pertinent préalablement défini dans la présente affaire. Elle souligne que la circonstance qu'une grande partie de l'activité de cette société serait dédiée à la sous-traitance pour le compte d'autres opérateurs de messagerie ne permet pas de conclure qu'elle n'interviendrait pas sur le marché de la messagerie classique ou express.
299. La cour observe, au préalable, que les rapporteurs ont effectivement récusé l'affirmation de la société Normatrans selon laquelle, au moment des faits litigieux, les autres entreprises présentes aux réunions du Conseil de Métiers n'étaient pas implantées en Basse-Normandie. Il est en effet indiqué, au paragraphe 161 de leur rapport, que, " contrairement à ce qu'affirme Normatrans, plusieurs opérateurs étaient implantés ou se sont implantés en Normandie à l'époque des pratiques. C'est le cas d'Alloin, de Mory ou encore de Geodis. Geodis et Kuehne + Nagel Road disposent aujourd'hui d'agences en Basse-Normandie, comme indiqué par leurs sites Internet respectifs. " Dans ses observations devant la cour, la requérante soutient que le rapport est sur ce point erroné, car, à l'époque des faits litigieux, d'une part, elle était sous-traitante des sociétés Alloin et Mory et, d'autre part, la société Geodis n'était pas implantée dans les départements du Calvados et de la Manche, territoires sur lesquels elle confiait sa distribution à la société Noyon, et n'exploitait qu'une petite agence à Alençon à partir de laquelle elle desservait une petite partie du département de l'Orne, au seul départ de cette ville.
300. Mais, quoi qu'il en soit de l'exactitude de l'allégation des rapporteurs, contestée par la société Normatrans, il ressort de la lecture de la décision attaquée qu'elle n'a pas été reprise à son compte par l'Autorité. En effet, celle-ci a d'abord exposé, sans les mettre en doute, les explications que la requérante a données sur son activité, en rappelant, dans sa présentation des entreprises concernées par les pratiques en cause, que " Normatrans indique que, pour son activité de messagerie, l'essentiel de son chiffre d'affaires est réalisé en sous-traitance pour des groupes de messagerie qui ne sont pas installés en Basse-Normandie et qui utilisent Normatrans pour distribuer des colis dans cette région " (décision attaquée, § 123). Ensuite, afin de déterminer si, sur la base des éléments factuels constatés, il pouvait être reproché à la société Normatrans d'avoir pris part aux pratiques relevant du grief n° 2, l'Autorité s'est prononcée sur les arguments développés par cette société en ce qui concerne, en particulier, la faiblesse de son poids économique (décision attaquée, § 982 à 985), l'importance de la part de son chiffre d'affaires réalisée en sous-traitance pour les autres membres du Conseil de Métiers (décision attaquée, § 986 à 988) et son absence alléguée d'esprit anticoncurrentiel (décision attaquée, § 989 et 990). En revanche, force est de constater que, dans la décision attaquée, l'Autorité n'a nullement abordé la question de savoir si la société Normatrans se trouvait, sur le territoire de la Basse-Normandie, en concurrence avec certaines des entreprises ayant participé aux réunions litigieuses, de sorte qu'on ne saurait lui faire grief de s'être fondée sur les éléments en cause, prétendument erronés, figurant dans le rapport des rapporteurs.
301. La cour observe, en outre, qu'à supposer que, pour une part importante de son activité - représentant 77 à 80 % de son chiffre d'affaires -, la société Normatrans opère en qualité de sous-traitant pour les autres membres du Conseil de Métiers ayant participé aux réunions litigieuses, elle reste en situation de concurrence avec elles pour le reste de son activité, celle-ci s'exerçant sur le marché précédemment défini de la messagerie express et classique.
302. Il s'en déduit que le moyen de la société Normatrans doit être rejeté.
2. Sur la participation aux pratiques
a) Concernant la société XPO
303. L'Autorité a considéré que la participation au grief n° 2 de la société Norbert Dentressangle Distribution, anciennement société Darfeuille Services, devenue la société XPO, était établie relativement à la campagne 2007-2008, dans la mesure où son dirigeant avait participé aux réunions des 21 juin, 18 juillet et 13 septembre 2007 au cours desquelles avaient été échangées des informations sensibles sur les hausses tarifaires des entreprises du secteur de la messagerie (décision attaquée, § 979).
304. La société XPO soutient que sa participation à ces échanges n'est pas démontrée à suffisance de droit. Elle fait valoir, en effet, qu'en ce qui concerne le standard de preuve requis par la jurisprudence, la démonstration d'un tel grief doit résulter soit de preuves se suffisant à elles-mêmes, soit d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants. Or, selon elle, l'Autorité n'ayant retenu, à l'appui du grief qui lui est reproché, que la participation de la société Darfeuille Services aux trois réunions précitées, à l'exclusion de tout autre comportement, cette seule circonstance ne démontre pas qu'elle aurait pris part à des échanges d'informations avec les autres participants.
305. Si la requérante ne conteste pas que la société Darfeuille Services a participé aux réunions du Conseil de Métiers des 21 juin, 18 juillet et 13 septembre 2007, cette participation étant d'ailleurs établie par leurs feuilles de présence, elle souligne, d'une part, que ces trois réunions se sont tenues dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle - la fédération TLF -, dont l'ordre du jour n'était pas anticoncurrentiel. Elle fait valoir, d'autre part, qu'il ne ressort pas des relevés de conclusions que des informations d'ordre tarifaire auraient été échangées entre les participants, l'Autorité n'ayant déduit l'existence de tels échanges que des mentions portées sur d'autres documents, dont la requérante conteste la valeur probante en ce qui concerne chacune de ces réunions.
à. Sur la réunion du 21 juin 2007
306. L'Autorité a considéré que les premières discussions tarifaires relatives à la campagne 2007-2008 s'étaient tenues lors de la réunion du Conseil de Métiers du 21 juin 2007. Elle s'est fondée sur des notes manuscrites saisies dans les locaux de la société Heppner, intitulées " 21/06 " et ainsi rédigées :
" Joyau : a mis en place un tarif spécial Nord Sud. Le fait maintenant. Avancer la date des delta tarifaire au 1er octobre ? => prévoir réunion en juillet (TLF) 18 juillet 10h00 " (cote 978).
307. La société XPO conteste qu'on puisse tirer de ce document quelque conséquence que ce soit en ce qui la concerne, soulignant que le moment précis de cet échange d'informations n'est pas avéré, de sorte qu'il a pu avoir eu lieu en marge de la réunion du 21 juin 2007.
308. Mais la cour observe que ces notes manuscrites portent, en en-tête, la mention " 21/06 ", qui correspond, à l'évidence, à la réunion du même jour du Conseil de Métiers et que, de surcroît, elles ont été saisies dans la chemise contenant l'ordre du jour de cette réunion. Par ailleurs, comme les rapporteurs l'ont relevé dans leur rapport (§ 1044), les questions évoquées dans lesdites notes manuscrites et l'ordre dans lequel elles y sont abordées correspondent à cet ordre du jour, tel qu'il ressort du relevé de conclusions de cette réunion (cotes 45461 à 45465), de sorte qu'il convient d'écarter l'hypothèse selon laquelle elles rendraient compte de discussions tenues en marge de la réunion du 21 juin 2007.
ß. Sur la réunion du 18 juillet 2007
309. La réunion du Conseil de Métiers du 18 juillet 2007, dont la tenue avait été décidée lors de la précédente réunion du 21 juin 2007, a donné lieu à un courrier électronique interne de la société Graveleau, adressé à plusieurs de ses cadres. Daté du 27 juillet 2007 et ayant pour objet " Dernière réunion TLF ", ce courrier électronique est ainsi rédigé (cote 1907) :
" Au cours de cette réunion, l'unanimité s'est faite pour constater le "désastre" de la messagerie nationale, et beaucoup de participants ont exposé leurs arguments (augmentation prochaine du gazole, pénurie de personnel, etc... etc...).
Certains d'entre eux ont décidé, au 1er octobre, une augmentation généralisée allant de 4,5 % à 5,0 %.
Géodis a déjà lancé sa circulaire fin juillet, pour annoncer une augmentation de ses tarifs de 5 % et de l'express de 2 %. Joyau a fait 4,5 %, et tous les autres sont entre 4,5 % et 5,0 %. Mory a également lancé une circulaire pour dire qu'il allait, en plus de cela, augmenter sensiblement ses tarifs entre le Nord et le Sud compte tenu des déséquilibres de véhicules en aller et retour.
J'aimerais que nous discutions de ce sujet à notre réunion de mercredi, de façon à ce que nous puissions aussi lancer nos circulaires au plus vite ".
310. La société XPO fait valoir que la société Darfeuille Services n'est pas citée dans ce compte rendu, qui ne contient aucune information tarifaire la concernant, et, en particulier, qu'on ne saurait considérer qu'elle est visée par l'expression " tous les autres sont entre 4,5 % et 5,0 % ".
311. Sans doute ce document ne fait-il pas état du taux de hausse envisagé par la société XPO, mais il en ressort que d'autres participants à cette réunion, telles les sociétés Geodis, Schenker-Joyau et Mory, ont communiqué des informations tarifaires précises et que cette communication s'est faite en présence de la société XPO, qui ne conteste pas ce point.
ã. Sur la réunion du 13 septembre 2007
312. La réunion du Conseil de Métiers du 13 septembre 2007 a été précédée de l'envoi par la fédération TLF, le 10 septembre précédent, d'un courrier électronique à plusieurs des membres du Conseil de Métiers, dont l'objet était " URGENT mémo atelier messagerie " et auquel était joint un " projet de mémo qui met en avant les demandes de la profession " (cote 1706, reproduite dans la décision attaquée, § 441). Une copie imprimée de ce courrier électronique a été saisie dans les locaux d'un de ses destinataires, la société TNT. Elle portait des annotations manuscrites, se présentant sous la forme de trois colonnes dans lesquelles étaient inscrits, pour la première, des pourcentages (5 %, 4,5 %, -> 5,5 %, 5 %, 4,7 %, 3,9 %, 4,5 %, 5,4 %), pour la deuxième, des dates (1er octobre 2007, 1er décembre 2007, 1er janvier 2008) et, pour la troisième, des noms d'entreprises ayant participé à la réunion du Conseil (Heppner, Joyau, Gefco, Kuhn, Darfeuille, Exapaq, Geodis) (décision attaquée, § 441).
313. Ces annotations doivent, à l'évidence, être lues comme correspondant au taux de hausse tarifaire envisagé par chacune des sociétés visées, avec la date de sa mise en application, et elles démontrent, en conséquence, que les participants à la réunion en cause ont échangé des informations tarifaires dont, au paragraphe 442 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé, à juste titre, qu'elles étaient " précises, stratégiques et futures ".
314. La société XPO soutient, cependant, que ce document ne contient, en ce qui la concerne, aucun élément probant, dans la mesure où les annotations manuscrites ne feraient apparaître de façon lisible ni son nom ni une hausse de prix et où elle ne figure pas dans le tableau récapitulatif dressé par l'Autorité, qui figure au paragraphe 443 de la décision attaquée, cette absence valant, selon elle, reconnaissance implicite que sa participation aux pratiques en cause n'est pas démontrée.
315. Mais, d'une part, la simple lecture de ces annotations conduit à écarter cet argument, puisqu'en ressort clairement, parmi d'autres sociétés ayant participé à la réunion, la mention " Darfeuille ", à laquelle correspondent la date du 1er décembre 2007 et un taux de hausse. Sans doute, comme les rapporteurs l'ont relevé dans leur rapport (§ 1054), n'est-il pas possible, par simple manque de lisibilité, de déterminer avec certitude si ce taux est de 4,2 % ou de 4,7 % ; mais il n'en demeure pas moins que le rédacteur de ces annotations avait connaissance du taux de hausse tarifaire envisagé par la société Darfeuille Services, aujourd'hui XPO, et qu'il l'a reporté, avec le taux des autres sociétés, sur le compte rendu qu'il a dressé de cette réunion.
316. D'autre part, aucun argument ne peut être tiré du constat que la requérante n'est pas mentionnée dans le tableau figurant au paragraphe 443 de la décision attaquée. La société XPO, en effet, se méprend sur le sens de ce tableau qui, intitulé " Cohérence entre informations échangées et comportement sur le marché (campagne 2007-2008) ", a pour objet, non de récapituler les échanges d'informations pouvant être reprochés aux membres du Conseil de Métiers, mais d'apprécier la mesure dans laquelle les orientations tarifaires envisagées par chaque entreprise lors des différentes réunions de ce conseil ont été ultérieurement mises en œuvre Dès lors, la circonstance que la société XPO n'y figure pas est sans effet sur la preuve de sa participation aux pratiques en cause.
317. L'ensemble des constatations qui précèdent établissent que les réunions du Conseil de Métiers des 21 juin, 18 juillet et 13 septembre 2007 ont donné lieu à des échanges d'informations relatives aux hausses tarifaires à appliquer en vue de la campagne tarifaire 2007-2008. Sans doute n'est-il pas démontré, pour les deux premières de ces trois réunions, que la société XPO aurait elle-même communiqué de telles informations, pas plus qu'il n'est démontré, ni même allégué, qu'elle aurait participé aux échanges d'informations intervenus entre ces réunions, durant l'été 2007, et que l'Autorité a relevés à la charge, notamment, des sociétés Schenker-Joyau, Graveleau et Mory (décision attaquée, § 433 et s.).
318. Mais, conformément au principe consacré de façon constante par la jurisprudence tant nationale que de l'Union rappelée au paragraphe 265 du présent arrêt, la présence de la société XPO à ces réunions, même passive, suffit à caractériser sa participation aux pratiques en cause, dès lors qu'elle ne s'en est pas publiquement distanciée, puisqu'elle a ainsi laissé entendre aux autres participants qu'elle y souscrivait et s'y conformerait.
319. À cet égard, la circonstance que l'ordre du jour des réunions du Conseil de Métiers, qui se tenaient dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle, ne présentait aucun caractère anticoncurrentiel, est sans effet sur l'application de ce principe ; en effet, il appartenait à la société XPO, dans le cas où elle aurait été surprise par la survenance d'un débat non prévu par cet ordre du jour et présentant un caractère anticoncurrentiel, de s'en distancier à l'égard des autres participants.
320. Ses moyens doivent en conséquence être rejetés.
b) Concernant la société Geodis
321. L'Autorité a sanctionné la société Geodis pour avoir participé aux pratiques relevant du grief n° 2 du 17 octobre 2005 au 29 septembre 2010, soit pendant une durée de quatre ans et onze mois (décision attaquée, § 1299 et 1300).
322. La société Geodis rappelle qu'il lui est reproché, selon les termes mêmes du grief qui lui a été notifié, d'avoir pris part à une " pratique concertée ", consistant en des échanges d'informations relatifs aux hausses tarifaires envisagées par les entreprises mises en cause. Elle souligne qu'un tel grief, s'il ne suppose pas nécessairement, comme l'Autorité l'a rappelé au paragraphe 608 de la décision attaquée, l'existence d'une " convention proprement dite ", requiert à minima l'adhésion de l'entreprise à cette concertation. Or, elle soutient que la preuve d'une adhésion de sa part aux pratiques pour lesquelles elle a été sanctionnée n'est rapportée ni pour la campagne 2005-2006 ni pour les campagnes 2009-2010 et 2010-2011.
323. En revanche, elle ne développe pas dans ses écritures de moyen qui tendrait à contester sa participation aux pratiques concernant les campagnes tarifaires 2006-2007, 2007-2008 et 2008-2009. En tant que de besoin, la cour juge que les constatations de l'Autorité, aux paragraphes 387 à 486 de la décision attaquée, permettent d'établir la participation de la société Geodis aux pratiques pendant lesdites campagnes.
á. Sur la campagne tarifaire 2005-2006
324. Dans la décision attaquée, l'Autorité a constaté que la société Geodis, si elle n'avait participé, au cours de la campagne 2005-2006, à aucune des réunions visant à une collusion, figurait néanmoins au nombre des destinataires des circulaires de revalorisation tarifaire qu'avaient diffusées les sociétés Graveleau, Schenker-Joyau, Mory et Alloin entre le 18 octobre et le 4 novembre 2005. Elle en a conclu qu'elle avait " reçu des informations sensibles dont elle a pu tenir compte dans l'élaboration de sa propre politique tarifaire " et que sa participation au grief n° 2 était dès lors établie (décision attaquée, § 932 à 937).
325. La société Geodis soutient que cette analyse n'est pas conforme au standard de preuve fixé par la jurisprudence et conteste qu'on puisse ainsi déduire sa participation aux pratiques en cause de la seule réception par elle des circulaires tarifaires de ses concurrents.
326. Elle rappelle, d'abord, qu'à l'époque des faits, elle n'était pas membre de la fédération TLF et qu'elle n'a pas participé aux réunions des 22 septembre 2005 et 16 mars 2006, au cours desquelles les entreprises présentes auraient décidé d'échanger leurs circulaires de revalorisation, puis auraient fait le point sur leurs hausses tarifaires respectives. Elle considère, pour cette raison, que la présomption de participation à une entente fondée sur l'absence de distanciation publique qui lui est reprochée, et que les rapporteurs ont, à tort, retenu dans la notification de griefs (§ 992) et dans leur rapport (§ 916), est " hors de propos ".
327. Elle fait valoir, ensuite, qu'elle a été destinataire des circulaires en cause sans l'avoir sollicité, et qu'elle n'a elle-même pas communiqué sa propre circulaire de revalorisation tarifaire. Elle précise que ces circulaires lui ont été adressées au moyen de courriers électroniques reçus, " parmi de nombreux e-mails ", sur la boîte électronique de son directeur général, qui n'y a pas répondu ni ne les a fait suivre en interne à ses collaborateurs. Elle considère que, dans ces conditions, la réception par elle de ces circulaires a été purement passive et qu'elle ne saurait démontrer, en l'absence d'autres indices, sa participation aux pratiques reprochées d'échanges d'informations sensibles.
328. La requérante soutient que, dès lors, c'est à tort que l'Autorité, dans le rappel des principes gouvernant " [l]a preuve de la participation d'une entreprise à une pratique concertée " auquel elle a procédé aux paragraphes 766 et suivants de la décision attaquée, a invoqué la jurisprudence communautaire en se référant, en particulier, aux arrêts de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C-49/92 P) et du Tribunal de l'Union du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission (T-202/98). Elle fait valoir, en effet, que ces références ne sont pas pertinentes au regard du cas d'espèce, dans la mesure où il n'est pas préalablement démontré qu'elle aurait participé aux pratiques en cause ou aux réunions collusoires.
329. Elle souligne qu'en revanche, le Tribunal de l'Union a jugé, dans un arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission (T-25/95), que la démonstration d'une pratique concertée supposait " l'existence de contacts caractérisés par la réciprocité ", comme, par exemple, lorsque la divulgation par un concurrent de ses intentions ou de son comportement futur a été " sollicitée ou, à tout le moins, acceptée ", tandis que la Cour de justice a rappelé, dans un récent arrêt, que la démonstration de la participation à une entente ne peut résulter d'un simple envoi de messages et qu'il convient de s'appuyer sur " d'autres indices objectifs et concordants " (CJUE, arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C-74/14).
330. Dans ses observations devant la cour, l'Autorité réplique que la société Geodis fait une interprétation erronée de la jurisprudence et dénature la réalité des faits de la présente affaire. Se fondant sur la jurisprudence de l'Union, elle fait valoir que, si la distanciation publique n'est pas l'unique moyen dont dispose une société impliquée dans une entente pour prouver la cessation de sa participation à cette entente, elle constitue néanmoins un fait important susceptible d'établir la cessation d'un comportement anticoncurrentiel et que, dans le cas où des réunions collusoires se sont tenues sans la participation de la société concernée, il convient alors de fonder son appréciation sur d'autres éléments de preuve. Elle considère qu'en l'espèce, plusieurs éléments du dossier attestent de la participation de la société Geodis à l'entente. D'une part, cette société a compté parmi les destinataires des circulaires de hausse que les sociétés Graveleau, Schenker-Joyau, Mory et Heppner ont envoyé à certains de leurs concurrents. D'autre part, les sociétés Graveleau et Alloin ont eu connaissance des hausses envisagées par cette société, puisqu'elles en ont fait état dans des courriers électroniques internes en date, respectivement, des 21 et 24 octobre 2005.
331. La cour rappelle, au préalable, que, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence tant nationale que de l'Union citée au paragraphe 265 du présent arrêt, la présomption de participation à une entente, sauf distanciation publique de la part de l'entreprise en cause, trouve à s'appliquer lorsque celle-ci a assisté, même passivement, c'est-à-dire sans avoir communiqué elle-même d'informations sensibles à ses concurrents, à une ou plusieurs réunions de mise en œuvre de cette entente. En effet, l'entreprise, par sa seule présence, a donné à penser aux autres participants qu'elle souscrivait au résultat de ces réunions et s'y conformerait, manifestant ainsi qu'elle adhérait à l'entente, tandis que les autres participants voyaient se réduire l'incertitude relative au comportement futur de leurs concurrents.
332. En revanche, l'absence de distanciation ne saurait être opposée à l'entreprise qui, n'ayant assisté à aucune réunion collusoire, aurait reçu de ses concurrents des informations sensibles qu'elle n'a ni sollicitées ni acceptées, et dont il n'est pas démontré qu'elle aurait tiré parti.
333. En l'espèce, il est constant qu'aucun élément susceptible de démontrer la participation de la société Geodis à l'entente n'est invoqué par l'Autorité avant la réception des courriers électroniques par lesquels les sociétés Graveleau, Schenker-Joyau, Mory et Heppner ont diffusé leurs circulaires de hausse tarifaire. Notamment, il n'est pas allégué qu'elle avait déjà participé à une réunion anticoncurrentielle.
334. Dès lors, le seul constat que la société Geodis a figuré, avec d'autres entreprises, parmi les destinataires de ces courriers électroniques ne peut suffire, nonobstant l'absence de manifestation de distanciation de sa part, à caractériser sa participation à l'entente reprochée, à défaut de démonstration qu'elle aurait sollicité ces envois ou préalablement donné son accord pour les recevoir, ou que son comportement sur le marché en aurait été modifié.
335. Les autres éléments que l'Autorité invoque devant la cour n'apportent pas davantage la preuve de cette participation. En effet, si les courriers électroniques internes adressés par les sociétés Graveleau et Alloin à leurs collaborateurs, respectivement, les 21 et 24 octobre 2005, compilaient des taux de hausse de plusieurs sociétés, dont la société Geodis, il ne ressort pas de ces courriers électroniques que les informations qui y figurent concernant la société Geodis auraient été communiquées par celle-ci, étant rappelé que sa circulaire de hausse tarifaire ayant été diffusée le 22 septembre 2005, ses clients et donneurs d'ordre étaient en possession depuis un mois de ces mêmes informations, lesquelles étaient donc susceptibles d'être portées à la connaissance d'autres entreprises dans le cadre de leur veille concurrentielle.
336. Il ressort donc de ces constatations que la participation de la société Geodis au grief n° 2 n'est pas établie en ce qui concerne la campagne 2005-2006.
337. Il convient donc d'annuler l'article 2 de la décision attaquée, mais uniquement en tant qu'il a dit que la société Geodis avait participé au grief n° 2 entre le 17 octobre 2005 et le 27 septembre 2006. Il en sera tenu compte dans le calcul de la sanction infligée à ces sociétés.
ß. Sur les campagnes tarifaires 2009-2010 et 2010-2011
338. S'agissant de la campagne 2009-2010, l'Autorité a relevé que la société Geodis, représentée par M. Depraeter, avait participé à la réunion du Conseil de Métiers du 17 septembre 2009, au cours de laquelle des informations tarifaires avaient été échangées, ainsi qu'aux réunions de suivi des négociations tarifaires qui s'étaient tenues les 28 janvier et 20 mai 2010 (décision attaquée, § 487 à 490, 495 à 498 et 944 à 950). Elle a constaté, au vu de notes saisies dans les locaux de la société Heppner, que ces deux dernières réunions avaient donné lieu à un tour de table, au cours duquel les participants avaient fait le bilan de leurs hausses tarifaires respectives, et à des échanges d'informations. S'agissant de la société Geodis, ces notes, pour la réunion du 28 janvier 2010, portent les mentions " l'express continue de souffrir " et " l'activité reste bénéficiaire mais dégradation du résultat " et, pour la réunion du 20 mai 2010, font état de données relatives à l'évolution du chiffre d'affaires et à l' " effet prix " (décision attaquée, § 951 à 953).
339. S'agissant de la campagne 2010-2011, l'Autorité a fait un constat identique. Elle s'est fondée, d'abord, sur un courrier électronique interne de la société Dachser, daté du 1er septembre 2010, dans lequel son auteur indiquait être allé " à la pêche aux informations chez nos confrères sur leur volonté d'augmentation tarifaire en fin d'année ", et qui comportait des données tarifaires de plusieurs entreprises, parmi lesquelles la mention " Geodis : 2,9 % au 1er octobre " (décision attaquée, § 499 à 501 et 954). Elle a relevé, ensuite, un compte rendu manuscrit de la réunion du Conseil de Métiers du 16 septembre 2010, saisi dans les locaux de la société Heppner, comportant, pour chacun des participants, dont la société Geodis, des données tarifaires relatives à la campagne 2010-2011 (décision attaquée, § 502 à 504 et 955). Enfin, elle a observé que toutes ces informations étaient cohérentes avec les circulaires effectivement adressées par les entreprises mises en cause, et notamment la société Geodis, à leurs clients (décision attaquée, § 505).
340. La société Geodis conteste cette analyse au motif que M. Depraeter avait pris sa retraite au mois de mars 2009 et que, ne faisant plus partie de ses effectifs depuis cette date, il ne participait aux réunions du Conseil de Métiers qu'en sa qualité de président de celui-ci, mais qu'il ne la représentait pas ni n'agissait pour son compte. Elle soutient, par ailleurs, qu'il n'est pas établi que les informations la concernant auraient été communiquées, au cours des réunions litigieuses, par M. Depraeter et qu'en toute hypothèse, le dossier ne contient aucun élément de preuve d'où il ressortirait qu'elle les aurait elle-même transmises à M. Depraeter. Enfin, elle fait valoir que ces informations ne présentaient aucun intérêt stratégique.
341. L'Autorité rappelle, au paragraphe 942 de la décision attaquée, que, selon la pratique décisionnelle et la jurisprudence nationales, ni la signature d'un contrat de travail ni l'existence d'un mandat ou d'une autorité particulière confiée à la personne qui représente l'entreprise ne sont nécessaires pour retenir l'implication de celle-ci dans des pratiques anticoncurrentielles. Elle souligne qu'en l'espèce, les comptes-rendus des réunions du Conseil de Métiers désignaient M. Depraeter comme représentant de la société Geodis après mars 2009 et pendant l'année 2010, et que la société n'a pris aucune mesure pour rompre le lien de représentation l'unissant à lui, pas plus qu'elle n'a nommé un nouveau représentant pour lui succéder au Conseil de Métiers.
342. En premier lieu, concernant la participation de la société Geodis aux réunions du Conseil de Métiers des 17 septembre 2009, 28 janvier, 20 mai et 16 septembre 2010, dont l'Autorité a considéré qu'elles avaient été le cadre d'échanges d'informations sensibles relatives aux campagnes tarifaires 2009-2010 et 2010-2011, il n'est pas contesté que M. Depraeter a participé à ces réunions, lesquelles se sont tenues sous sa présidence.
343. Par ailleurs, la cour tient pour acquis que M. Depraeter ayant pris sa retraite au mois de mars 2009, il n'était, à partir de cette date, plus salarié de la société Geodis.
344. Ce constat laisse cependant entière la question de savoir si M. Depraeter a participé à ces réunions, non seulement en sa qualité de président du Conseil de Métiers, mais aussi, comme il le faisait jusqu'à son départ en retraite, en tant que représentant de la société Geodis, de sorte que ses agissements au sein de ce conseil, s'ils étaient avérés, devraient être imputés à celle-ci.
345. En effet, ainsi que l'Autorité le rappelle à juste titre, l'existence d'un tel lien de représentation s'apprécie d'une façon purement factuelle et ne fait l'objet d'aucune exigence formelle ; en particulier, n'est pas requise la démonstration de l'existence d'un contrat de travail, d'un mandat spécifique ou d'une responsabilité particulière conférée aux fins de cette représentation.
346. Dès lors, au cas d'espèce, le fait que M. Depraeter ait pris sa retraite au mois de mars 2009 et l'absence au dossier d'élément d'où il ressortirait que la société Geodis lui aurait formellement demandé de continuer à siéger en son nom au sein du Conseil de Métiers ne permettent pas d'exclure que M. Depraeter la représentait encore.
347. En revanche, il ressort des circonstances de l'espèce que M. Depraeter doit être considéré comme ayant effectivement continué à représenter la société Geodis au sein des réunions du Conseil de Métiers, puisque c'est en cette qualité, outre celle de président du Conseil de Métiers, qu'il était mentionné sur les comptes rendus des réunions litigieuses.
348. La société Geodis conteste qu'on puisse en tirer une telle conclusion et fait valoir que " c'était sans doute par erreur ou par habitude que le nom de M. Depraeter figurait au côté de celui de Geodis sur certains feuilles de présence ou d'émargement ". Mais cette explication ne peut qu'être écartée. En effet, la société Geodis, en sa qualité de membre de la fédération TLF, était nécessairement destinataire de ces comptes rendus, ainsi que de tous les documents relatant les travaux du Conseil de Métiers, sur lesquels M. Depraeter était désigné comme la représentant. Il eût, dès lors, été inconcevable qu'elle n'ait pas réagi à l'époque des faits en faisant savoir à la fédération TLF et à ses membres que M. Depraeter ne la représentait pas, si tel avait été le cas.
349. Au demeurant, la teneur des informations qui, ainsi qu'il sera relevé ci-après, ont été communiquées par M. Depraeter lors des réunion du Conseil de Métiers, démontre qu'elles ne pouvaient provenir que de la société Geodis elle-même.
350. La société Geodis verse certes aux débats une attestation de M. Depraeter, par laquelle celui-ci affirme qu'à partir de mars 2009, il ne siégeait plus au sein de la fédération TLF qu'en tant que président du Conseil de Métiers, et non plus en qualité de représentant de Geodis (cote 59939) ; mais les liens étroits unissant M. Depraeter et la société Geodis conduisent à accueillir avec circonspection ce témoignage qui ne suffit pas à combattre les preuves contraires figurant au dossier. De même, la circonstance que, comme l'expose la société Geodis, M. Depraeter avait créé son propre cabinet de conseil et que, dans ce cadre, il assistait certains de ses concurrents ou fournisseurs, n'empêchait nullement qu'il continue à la représenter, dès lors qu'il considérait que cette situation ne portait pas atteinte à ses obligations contractuelles et à ses devoirs à l'égard de chacun de ses clients.
351. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que c'est en qualité de représentant de la société Geodis que M. Depraeter a participé aux réunions du Conseil de Métiers des 17 septembre 2009, 28 janvier, 20 mai et 16 septembre 2010, dont il assurait par ailleurs la présidence.
352. Dans la mesure où il ressort de plusieurs éléments du dossier, ainsi que des développements qui suivent, concernant la participation des sociétés DHL et BMVirolle à l'entente au cours de la campagne 2009-2010, que des informations sensibles ont été échangées, à tout le moins par d'autres participants à ces réunions, le constat qui précède suffit à caractériser, à défaut de distanciation de sa part, la participation de la société Geodis à l'entente au cours des campagnes 2009-2010 et 2010-2011.
353. En deuxième lieu, concernant la source des informations relatives à la société Geodis échangées au cours des réunions du Conseil de Métiers des 28 janvier, 20 mai et 16 septembre 2010, il ne peut être sérieusement soutenu, pour les raisons exposées ci-après dans le cadre de l'examen des notes manuscrites saisies dans les locaux de la société Heppner, que les informations dont il est fait état dans ces notes n'auraient pas été communiquées par M. Depraeter, mais l'auraient été par une société concurrente, membre du Conseil de Métiers. D'ailleurs, si, dans ses écritures devant la cour, la société Geodis envisage quelquefois cette hypothèse - désignant, à propos des comptes rendus des réunions du Conseil de Métiers des 28 janvier et 20 mai 2010, " la personne dont les propos auraient été rapportés " et " les propos prêtés à M. Jean Depraeter " (Geodis, observations complémentaires, § 141 et 144) -, elle évoque aussi de façon explicite des " informations fournies par M. Jean Depraeter pendant les réunions du Conseil de Métiers ", pour en contester le caractère stratégique (Geodis, observations complémentaires, § 153).
354. En dernier lieu, il convient d'analyser la teneur des informations communiquées par la société Geodis au cours des réunions du Conseil de Métiers des 28 janvier, 20 mai et 16 septembre 2010, ainsi que les éventuels échanges bilatéraux ou multilatéraux impliquant cette société.
355. S'agissant de la réunion du Conseil de Métiers du 28 janvier 2010, l'Autorité a considéré qu'elle avait donné lieu à un tour de table au cours duquel les participants avaient fait le bilan de leurs hausses tarifaires respectives et échangé des informations commercialement sensibles (décision attaquée, § 495 et 496). Elle a fondé ce constat sur des notes, saisies dans les locaux de la société Heppner, se rapportant à cette réunion et dans lesquelles figuraient des mentions relatives aux hausses tarifaires et aux prix des sociétés DHL (" hausse tarifaire dure (visée à 1 % avec crainte sur AO) "), Sernam (" hausse passe bien (1,6) sauf cas difficiles "), Normatrans (" hausse 1,9 % "), Gefco (" pas perception sur hausse "), Ducros (" baisse tarif " et " AO difficiles en cours ") et Exapaq (" effet prix 0,9 % "). En ce qui concerne la société Geodis, ces notes comportaient les mentions suivantes :
" Geodis : activité = 2009. L'express continue de souffrir. L'activité reste bénéficiaire mais dégradation du résultat. Cool Jet confirmation de prix bas et fret en baisse. Effet massification réel [mot illisible] les salaires avec crise). NAO discussion dans 15 filiales à compter de mars " (cote 1018).
356. La société Geodis dénie toute force probante à ce document et soutient que les propos rapportés ont été tenus par une personne " de toute évidence peu informée " et " guère au fait des décisions et de la stratégie de Geodis s'agissant de son activité de messagerie ", mais ne pouvaient en aucun cas provenir d'elle-même. En effet, elle expose qu'elle avait acquis le 30 septembre 2009 le fonds de commerce de la société Cool Jet, citée dans ces propos, de sorte que les activités de messagerie de cette société et les siennes propres ne pouvaient plus être distinguées.
357. Cet argument est cependant démenti par les termes mêmes des mentions ci-dessus reproduites. À l'inverse de ce que prétend la requérante, ces mentions rapportent des informations individualisées et spécifiques, qui, au vu leur teneur, ne pouvaient provenir d'une veille concurrentielle puisqu'elles portaient sur le niveau d'activité de la société Geodis et sur ses résultats et émanaient donc d'une source interne à cette société. À cet égard, le fait que les informations en cause aient individualisé la situation de la société Cool Jet - par la simple mention " Cool Jet confirmation de prix bas et fret en baisse. Effet massification réel [mot illisible] les salaires avec crise) " - est indifférent, puisque l'acquisition de son fonds de commerce ayant été réalisée le 30 septembre 2009, elle ne rendait pas impossible de distinguer son activité et ses résultats de ceux de la société Geodis, au moins pour la plus grande partie de l'année 2009.
358. S'agissant de la réunion du Conseil de Métiers qui a suivi, tenue le 20 mai 2010, l'Autorité a relevé que les entreprises présentes avaient échangé de nombreuses informations tarifaires et commerciales, relatives en particulier à l'évolution de leur chiffre d'affaires, comme en attestaient des notes, également saisies dans les locaux de la société Heppner (cote 997), contenant des informations relatives aux sociétés SVP Transport (" + 2 % en avril CA. Pression AO "), Normatrans (" +7 % en arrivage, + 1,3 client "), DHL (" en ligne [par rapport à] 2009. Baisse en mai. Vente finalisée avant l'été "), Exapaq (" maintien du prix de vente "), Ducros (" +5 % CA. Amélioration [illisible]. Tarifs en baisse "), Schenker-Joyau (" +5 % Très bon mois de mars. Prix de vente Nat mai [baisse] "), Chronopost (" +5 % Chronopost prix de vente entre -8/-10 %. Mai en demi-teinte. Inquiétude 2ème semestre ") et au Syndicat National des Transports Légers (" [environ] 0 % difficulté sur GO ").
359. En ce qui concerne la société Geodis, ces notes comportaient les mentions suivantes : " messagerie + 4,5 % CA. + 2,5 % Express. 12 % trafic européen. Effet prix + 1 % ".
360. La société Geodis soutient que les informations la concernant ne présentaient pas d'intérêt et, de surcroît, étaient erronées, de sorte qu'elles ne pouvaient provenir d'elle-même. Elle souligne, en effet, que ces notes font état d'un chiffre d'affaires en hausse de 4,5 % pour la messagerie, de 2,5 % pour l'express et d'un effet prix de 1 %, alors que, comme en atteste sa note de gestion interne du 14 mai 2010, son volume d'affaires n'était en hausse que de 1,9 % et l'effet prix était de - 2 %, se décomposant en - 0,8 % pour la messagerie et - 3,3 % pour l'express.
361. Mais, il convient ici, non d'apprécier la fiabilité des données qui ont été divulguées, mais de déterminer si la société Geodis a, au cours de cette réunion, participé à des échanges d'informations sensibles. Or la nature des informations effectivement échangées démontre que tel a bien été le cas puisque ces informations, d'une part, portaient sur les hausses tarifaires des entreprises en cause et l'évolution de leur chiffre d'affaires et présentaient donc le caractère d'informations sensibles et, d'autre part, ayant trait à l'activité de la société Geodis, ne pouvaient émaner que de celle-ci. La circonstance que ces informations se seraient finalement avérées inexactes ne peut infirmer le constat, tiré de leur nature même, qu'elles ont été communiquées par la société Geodis.
362. S'agissant de la campagne 2010-2011, l'Autorité s'est fondée, comme la cour l'a déjà rappelé, d'une part, sur un courrier électronique interne de la société Dachser en date du 1er septembre 2010, d'autre part, sur un compte rendu manuscrit de la réunion du Conseil de Métiers du 16 septembre 2010, saisi dans les locaux de la société Heppner.
363. Le courrier électronique de la société Dachser contenait les mentions suivantes :
" P.S. : Je viens juste d'aller à la pêche aux informations chez nos confrères sur leur volonté d'augmentation tarifaire en fin d'année :
- Géodis : 2,9 % au 1er octobre
- Mory : 2,5 %
- Schenker : pas d'info pour le moment
Si vous avez de votre côté d'autres informations, merci de me les transmettre.
Bien entendu, si nous lançons de notre côté 5 % en moyenne et si la qualité n'est pas au rendez-vous en septembre et octobre et que nos confrères font moins de 3 %... "
364. L'Autorité a noté que ces mentions consistaient en des taux d'augmentation et des dates d'entrée en application et elle a considéré que l'expression " pêche aux informations chez nos confrères " attestait que des échanges bilatéraux avaient eu lieu entre les entreprises concernées.
365. La société Geodis considère que ce courrier électronique ne peut en aucune façon constituer la preuve d'une quelconque concertation ou d'un échange bilatéral d'informations qui l'impliquerait, lesquels ne sont pas démontrés par d'autres pièces du dossier. Elle ajoute que sa circulaire de hausse tarifaire avait déjà été diffusée, depuis le 31 août 2010 au moins, et que, la société Dachser comptant parmi ses clients, elle l'avait donc nécessairement reçue.
366. Mais cette explication n'est pas corroborée par les termes du courrier électronique de la société Dachser, dont le membre de phrase annonçant les données chiffrées recueillies - " Je viens juste d'aller à la pêche aux informations chez nos confrères sur leur volonté d'augmentation tarifaire en fin d'année " - démontre clairement que cette société ne se positionnait pas en tant que client, mais en tant que concurrent des autres entreprises, auprès desquelles elle avait obtenu des informations sur leurs hausses tarifaires.
367. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que la société Geodis avait été impliquée dans un échange bilatéral avec la société Dachser, à laquelle elle a communiqué la hausse tarifaire projetée pour la campagne 2010-2011.
368. En toute hypothèse, la preuve de la participation de la société Geodis aux échanges d'informations en cause n'est pas rapportée par ce seul courrier électronique, mais également par les notes manuscrites se rapportant à la réunion du Conseil de Métiers du 16 septembre 2010, saisies dans les locaux de la société Heppner.
369. Ces notes relatent des échanges d'informations d'ordre tarifaire entre les entreprises présentes, l'Autorité ayant relevé que dix d'entre elles avaient communiqué " des informations précises et individualisées sur leurs hausses tarifaires (...) ". C'est le cas de la société Geodis, puisque ces notes comportaient les indications suivantes : " Geodis : 1er semestre + supérieure aux prévisions. Difficulté de qualité à chaque pointe de trafic. Ciblex : activité en hausse et conforme aux prévisions. Tarif = 2,9 % sur toutes activités ".
370. La société Geodis fait valoir que l'augmentation de 2,9 % mentionnée avait été annoncée à ses clients par la circulaire qu'elle avait diffusée le 31 août 2010, et que cette information n'avait plus de caractère sensible ou confidentiel. Elle en conclut que cette information avait pu être communiquée, au cours de la réunion du 16 septembre 2010, non par M. Depraeter, mais par des entreprises qui étaient ses clients.
371. Mais il ressort des notes manuscrites saisies dans les locaux de la société Heppner que les informations relatives à la société Geodis, qui ont été communiquées lors de la réunion du Conseil de Métiers du 16 septembre 2010, ne consistaient pas seulement dans le taux de hausse tarifaire - 2,9 % - annoncé dans la circulaire précédemment diffusée par cette société, mais portaient également sur son activité, puisque lesdites notes font état, la concernant, d'un premier semestre " supérieur[e] aux prévisions " et de " difficulté de qualité à chaque pointe de trafic ". De telles informations ne pouvant, par définition, être en possession que de la société Geodis elle-même, et non d'un de ses clients destinataire de sa circulaire, elles n'ont pu être communiquées que par elle aux participants à la réunion.
372. De l'ensemble de ces constatations, il résulte que la société Geodis a participé aux échanges d'informations en cause dans le cadre des campagnes 2006-2007, 2007-2008, 2008-2009, 2009-2010 et 2010-2011, soit du 28 septembre 2006 au 29 septembre 2010.
c) Concernant la société DHL
373. La société DHL a été sanctionnée, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) et Deutsche Post pour avoir participé aux pratiques relevant du grief n° 2 du 30 septembre 2004 au 1er mars 2010, soit pendant une durée de cinq ans et cinq mois (décision attaquée, § 1299 et 1300).
374. Ces trois sociétés ont formé un recours contre la décision attaquée, dont elles demandent l'annulation ou la réformation " pour défaut de preuve en ce qu'elle implique DHL dans le grief n° 2 " aux motifs, d'une part, que la société DHL s'est publiquement distanciée des pratiques en cause et, d'autre part, que sa participation, notamment, aux campagnes 2004-2005 et 2005-2006 n'est pas établie.
375. Par ailleurs, la cour ayant annulé, pour défaut de motivation, la décision attaquée en ce qu'elle avait retenu que la société DHL avait participé aux pratiques en cause au cours des campagnes 2006-2007 à 2009-2010, il lui incombe de déterminer, au vu des pièces du dossier, si elle a participé aux pratiques pendant ces campagnes.
á. Sur la distanciation publique de la société DHL
376. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent que, si la société DHL a, durant cette période, pris part à certaines réunions du Conseil de Métiers, on ne saurait présumer, pour ce seul motif, qu'elle a participé aux pratiques en cause. Elles prétendent, en effet, que cette société s'est distanciée de ces pratiques, publiquement et sans ambiguïté, et cela dès le premier tour de table auquel il a été procédé lors de la réunion du Conseil de Métiers du 30 septembre 2004.
377. Elles font valoir que la société DHL n'est jamais revenue sur cette distanciation initiale, qui a été comprise comme telle par les autres participants, comme le démontre le fait que, contrairement à d'autres opérateurs, elle n'a, après s'être ainsi distanciée, pas été menacée d'exclusion ni de mesures de rétorsion. Elles ajoutent que sa participation aux réunions ultérieures du Conseil de Métiers s'explique par leur ordre du jour, qui portait sur l'examen de problèmes communs à la profession.
378. Elles soutiennent que cette distanciation ayant pour effet d'écarter toute présomption de participation de la société DHL aux pratiques en cause, l'Autorité ne pouvait se dispenser, comme elle l'aurait fait, d'apporter la preuve d'une telle participation. Elles ajoutent que la concertation entre les membres du " noyau dur ", auquel la société DHL n'appartenait pas, ne pouvait avoir aucune incidence sur le comportement de cette dernière société, dont la structure tarifaire, la situation financière et la stratégie la distinguaient radicalement des autres participants. Elles considèrent que l'Autorité a ainsi procédé par amalgame en étendant à la société DHL les échanges et décisions intervenus entre les membres du " noyau dur ".
379. La distanciation à l'égard des pratiques en cause, publique et non ambiguë, que la société DHL aurait manifestée lors de la réunion du Conseil de Métiers du 30 septembre 2004 et qu'elle aurait ensuite maintenue est, selon les requérantes, démontrée par le compte rendu de cette réunion figurant dans un courrier électronique, en date du 6 octobre 2004, adressé par le dirigeant de la société Graveleau à certains de ses cadres (cotes 1916 et 1917). Il ressortirait de ce courrier électronique que la société DHL " a indiqué sans ambiguïté qu'elle entendait se positionner d'une façon totalement libre et indépendante qui lui permette de mettre en œuvre sa propre politique de reconquête du marché ".
380. Mais, force est de constater que les termes du courrier électronique de la société Graveleau en date du 6 octobre 2004, précité, ne confirment pas que, lors de la réunion du Conseil de Métiers du 30 septembre 2004, la société DHL se serait publiquement et clairement distanciée des pratiques en cause et aurait maintenu cette position par la suite.
381. En effet, ce courrier électronique, dont l'objet est intitulé " AUGMENTATION TARIFS 1/11/2004 / CONFIDENTIEL ", comprend, pour certaines des sociétés ayant participé à cette réunion, dont la société DHL, des informations relatives, d'une part, à la " surcharge gazole " appliquée à l'été 2004, d'autre part, aux hausses tarifaires envisagées pour l'année 2005 (cotes 1916 et 1917). Ces informations sont présentées sous la forme d'un tableau, précédé de la mention " En ce qui concerne les augmentations générales, je vous livre les résultats d'un tour de table qui a été fait dans la Profession ", et suivi de la conclusion suivante : " Compte tenu de ces éléments, j'ai demandé à Bruno Goulet de partir sur une augmentation générale à 3,6 % + surcharge gazole séparée. " (notification des griefs, § 473).
382. S'agissant de la société DHL, ce tableau comporte les indications suivantes : " Excessivement sur la défensive. Surcharge gazole à fin août : 1,9 % pour la messagerie et 5 % pour l'express. Leur stratégie 2005 sera la suivante : utiliser leurs 280 commerciaux et attaquer les marchés en fonction de leurs besoins de fret avec des grilles tarifaires comprenant tout (style Express), avec l'intention de reconquérir les pertes de marché importantes constatées à ce jour ".
383. Il est exact que ces annotations ne comportent pas d'éléments chiffrés et précis portant sur les hausses tarifaires envisagées par la société DHL pour l'année 2005, contrairement aux annotations concernant les autres sociétés ayant participé à cette réunion. De ce point de vue, le constat, fait par l'Autorité au paragraphe 340 de la décision attaquée, selon lequel, " [o]utre la question de la surcharge gazole évoquée plus haut, des informations précises et individualisées portant sur les hausses tarifaires futures pour l'année 2005 ont été échangées entre les entreprises présentes lors de la réunion du 30 septembre 2004 lors d'un "tour de table". Ces échanges ont porté sur des pourcentages de hausse, à la fois précis et relativement similaires (3,4 % à 4 % pour la plupart des entreprises et environ 5 % pour Gefco et Mory) ", ne peut à l'évidence s'appliquer à la société DHL, qui, à l'inverse des autres participants, n'a fourni aucune indication chiffrée en ce qui concerne sa stratégie. Pour autant, il n'en ressort nullement que cette société aurait fait connaître à ses concurrents qu'elle entendait ne pas leur communiquer d'informations d'ordre tarifaire ni en recevoir de leur part et qu'elle se serait ainsi distanciée de leurs pratiques. Au contraire, la société DHL a, au cours de ce tour de table, indiqué à ses concurrents qu'elle envisageait de développer une politique commerciale agressive afin de reconquérir des parts de marché et elle leur a ainsi fourni des informations à caractère sensible sur sa stratégie tarifaire à venir pour la campagne 2004-2005, les mettant ainsi en mesure d'adapter leur propre comportement en fonction de ces données.
384. La distanciation alléguée par les requérantes n'est pas davantage démontrée par l'autre pièce du dossier sur laquelle l'Autorité s'est fondée et qui consiste dans une note interne de la société Alloin, en date du 25 octobre 2004, présentant un argumentaire destiné à ses forces commerciales pour la négociation des hausses tarifaires 2004/2005. En effet, en page 7 de ce document, intitulé " Hausse 20004 - Informations " (cote 51248), figurent, dans une rubrique intitulée " La hausse chez nos concurrents ", les indications suivantes :
" Premières informations :
XP - Heppner : 3. 5 %
BMV - Calberson : 3. 9 %
DHL : 4 %
Gefco : 5 % (y compris gazole)
Graveleau : 3. 6 %
Joyau : entre 3. 5 et 4 %
GLSExtand : 4. 1 %
TNT : 3. 9 % "
385. Ainsi que le soulignent les requérantes, il ressort de l'instruction que la mention concernant la société DHL est erronée en ce qu'elle fait état d'un taux de hausse de 4 %. En effet, les rapporteurs ont, à propos de ce document, noté dans la notification de griefs que " la seule "erreur" identifiable concerne les informations sur DHL contenues dans la note interne d'Alloin. Le taux de 4 % mentionné n'est retrouvé nulle part dans les informations fournies par DHL. À cette exception près, toutes les informations échangées sur les taux de hausse sont confirmées et revêtent dès lors une très grande fiabilité (...) " (notification des griefs, § 480). Ils ont confirmé ce constat dans leur rapport, en y indiquant que, " [c]omme indiqué par la notification de griefs (point 480), ce taux semble être une erreur, et n'est retrouvé nulle part " (rapport, § 832).
386. Mais la question ici en jeu est, non d'apprécier la force probante de ce document en ce qui concerne la réalité de la participation de la société DHL aux pratiques - c'est-à-dire de savoir s'il permet de déterminer si elle a communiqué des informations et si elle en a reçu -, mais de vérifier s'il en ressort que cette société se serait distanciée. Or, il ne résulte nullement de cette erreur, pas plus que d'autres mentions du document, que la société DHL aurait fait connaître aux autres participants qu'elle entendait ne pas leur communiquer d'informations d'ordre tarifaire ni en recevoir de leur part et qu'elle se serait ainsi distanciée des pratiques en cause.
387. C'est encore à tort que les requérantes prétendent que les rapporteurs auraient reconnu cette distanciation dans la notification des griefs et dans leur rapport. En effet, si les rapporteurs ont, dans les termes ci-dessus rappelés, observé que la mention du taux de hausse de 4 % était erronée, ils n'en ont nullement conclu, pas plus dans la notification des griefs que dans leur rapport, que la société DHL se serait distanciée des pratiques en cause.
388. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette distanciation ne peut pas être déduite du fait que la société DHL n'a pas été l'objet, à la différence de la société Mory, également présente à la réunion du Conseil de Métiers du 30 septembre 2004, de menaces d'exclusion ou de rétorsion. Ainsi que l'Autorité l'a relevé au paragraphe 921 de la décision attaquée, la société DHL ayant, lors de cette réunion, clairement fait savoir qu'elle entendait faire preuve d'agressivité commerciale et reconquérir des parts de marché, ses concurrents " n'avaient aucune raison de la rappeler à l'ordre, dès lors qu'elle suivait effectivement cette politique contrairement à la société Mory, qui n'avait pas suivi la stratégie qu'elle avait annoncée en réunion ".
389. Enfin, les requérantes reprochent à l'Autorité d'avoir, pour établir l'absence de distanciation de la société DHL, procédé par amalgame en affirmant, au paragraphe 340 de la décision attaquée, que les échanges d'informations intervenus dans le cours de la réunion du 30 septembre 2004 avaient " porté sur des pourcentages de hausse, à la fois précis et relativement similaires ", alors qu'il ressort du compte rendu de cette réunion que tel n'a pas été le cas s'agissant de la société DHL.
390. Certes, selon ce compte rendu, la société DHL n'a pas, contrairement aux autres participants, communiqué de données chiffrées et précises sur sa stratégie tarifaire concernant la campagne à venir. Mais, ainsi que la cour l'a dit au paragraphe 383 du présent arrêt, cette circonstance n'établit nullement qu'elle se serait distanciée du contenu de la réunion à laquelle elle participait. En effet, la société DHL, loin de signifier aux autres participants à cette réunion qu'elle n'entendait pas leur communiquer d'informations sur sa future campagne ni en recevoir de leur part, leur a exposé son intention de mener une politique commerciale agressive et de récupérer des parts de marché, leur fournissant ainsi des informations à caractère sensible sur sa stratégie tarifaire à venir.
391. Il résulte de l'ensemble de ces constatations qu'il n'est nullement démontré que la société DHL se serait distanciée des pratiques d'échanges d'informations mises en œuvre en vue de la campagne 2004-2005, lors de la réunion du Conseil de Métiers du 30 septembre 2004.
392. C'est donc vainement que les requérantes font valoir que la société DHL n'est jamais revenue sur sa position initiale et que, si elle a continué de participer aux réunions du Conseil de Métiers, c'était pour discuter de problèmes communs à la profession, faute d'avoir démontré cette prétendue distanciation initiale.
ß. Sur la campagne tarifaire 2004-2005
393. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent qu'aucun élément du dossier ne démontre la participation de la société DHL aux échanges d'informations reprochés, puisqu'elle s'en est publiquement distanciée, comme en attesterait le compte rendu de la réunion du 30 septembre 2004 établi par la société Graveleau (cote 1916) et la note interne de la société Alloin.
394. Mais la cour ayant examiné la teneur de ces documents aux paragraphes 379 à 392 du présent arrêt, elle a constaté qu'il n'en ressortait pas que la société DHL se serait distanciée publiquement des pratiques mises en œuvre par les participants à la réunion du Conseil de Métiers. Au contraire, le compte rendu diffusé par le courrier électronique de la société Graveleau en date du 6 octobre 2004, rendant compte de la réunion du Conseil de Métiers du 30 septembre 2004, fait, ainsi qu'il vient d'être relevé, état d'informations à caractère sensible concernant la stratégie tarifaire à venir de la société DHL et relatives au développement d'une politique commerciale agressive en vue de la reconquête de parts de marché. Ces informations, qui ne peuvent, par définition, émaner que de cette société elle-même, ont mis ses concurrents en mesure d'adapter leur propre comportement en fonction de ces données.
395. Par ailleurs, la société DHL a eu connaissance des informations données par les autres participants sur leur stratégie tarifaire pour la campagne à venir. Ces informations étaient précises, puisqu'elles comprenaient l'objectif chiffré de hausse pour 2005 que chacun d'entre eux visait ; c'est ainsi que cet objectif, selon le compte rendu, s'établissait entre 3,4 % et 4 % pour les sociétés Alloin et Heppner, à 3,8 % pour la société Schenker-Joyau, à 3,5 % pour la société Ducros, à 3,6 % pour la société Ziegler, entre 5 % et 5,5 % pour la société Mory et à 5,2 % pour la société Gefco.
396. Ces constatations établissent que la société DHL a pris part aux échanges d'informations tarifaires auxquels il a été procédé dans le cadre de la campagne 2004-2005.
ã. Sur la campagne tarifaire 2005-2006
397. L'Autorité a relevé que, par plusieurs courriers électroniques expédiés entre le 17 octobre et le 16 novembre 2005, plusieurs des entreprises mises en cause s'étaient échangées leur circulaire de revalorisation tarifaire pour la campagne 2005-2006 et a considéré que la décision de procéder à ces échanges avait été prise lors de la réunion du Conseil de Métiers tenue le 22 septembre 2005, à laquelle la société DHL avait participé. C'est ainsi qu'elle a noté l'envoi de leur circulaire, le 17 octobre 2005, par la société Graveleau aux sociétés Mory, Gefco, Alloin, Schenker-Joyau, Geodis et Heppner, le 25 octobre 2005, par la société Schenker-Joyau aux sociétés Mory, Gefco, Alloin, Graveleau, Geodis et Heppner, le même jour, par la société Mory aux sociétés Schenker-Joyau, Gefco, Alloin, Geodis, Heppner et Graveleau, le 4 novembre 2005, par la société Alloin aux sociétés Mory, DHL (sous le nom de Ducros), Heppner, Graveleau et Schenker-Joyau et, le 16 novembre 2005, par la société Heppner aux sociétés Mory, Gefco, Alloin, Geodis et Graveleau (décision attaquée, § 364 à 373). Elle a ensuite relevé que les sociétés Graveleau et Alloin avaient adressé à plusieurs de leurs directeurs régionaux et collaborateurs des courriers électroniques, en date, respectivement des 21 et 24 octobre 2005, présentant à leurs destinataires une compilation d'informations tarifaires concernant leurs concurrents (décision attaquée, § 374 à 378). Enfin, l'Autorité a constaté que ces informations étaient cohérentes avec le comportement sur le marché des entreprises mises en cause et qu'en outre, celles-ci avaient procédé à un suivi de leurs négociations tarifaires lors d'une réunion du Conseil de Métiers tenue le 16 mars 2006 (décision attaquée, § 379 à 381).
398. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent qu'aucune de ces constatations n'établit que la société DHL aurait participé aux échanges d'informations en cause. Elles soulignent que cette société, qui n'a pas communiqué sa propre circulaire de revalorisation tarifaire, n'a reçu de ses concurrents qu'une seule circulaire, cet envoi résultant, selon elles, " très vraisemblablement [d']une erreur de destinataire ", et qu'à cette date, elle avait " très probablement " déjà informé sa propre clientèle de sa revalorisation tarifaire. Elles font valoir, s'agissant des compilations tarifaires figurant dans les courriers électroniques des sociétés Graveleau et Alloin, qu'il n'est pas établi que les informations concernant la société DHL ont été fournies par celle-ci et qu'au demeurant, elles sont contradictoires entre elles. Elles soutiennent, par ailleurs, que le critère de la cohérence entre les informations échangées et le comportement sur le marché fait défaut en ce qui concerne la société DHL, laquelle, enfin, n'a pas participé à la réunion, prétendument " de suivi ", du Conseil de Métiers du 16 mars 2006.
399. La cour relève, d'abord, que la plupart des entreprises ayant participé à la réunion du Conseil de Métiers du 22 septembre 2005 n'ont pas contesté le constat, fait par l'Autorité au paragraphe 373 de la décision attaquée, que des échanges d'informations sur les revalorisations tarifaires futures ont eu lieu entre les participants au cours de cette réunion.
400. Dans la mesure où les requérantes ne contestent pas que la société DHL était présente à la réunion du 22 septembre 2005, le constat qui précède suffit à caractériser la participation de cette société à l'entente au cours de la campagne 2005-2006, quand bien même elle n'aurait pas, pour sa part, communiqué des informations sur sa propre politique de hausse tarifaire au cours de cette réunion, puisqu'elle a ainsi reçu des informations qui lui étaient utiles dans le cadre des négociations avec sa clientèle.
401. Ensuite, il avait également été convenu entre les participants à la réunion du Conseil de Métiers du 22 septembre 2005, de se transmettre mutuellement leurs circulaires de hausse tarifaire, ce que confirment les déclarations du président de la société Schenker-Joyau, qui, à propos de ces échanges intervenus à partir du 17 octobre suivant, a précisé : " je pense que c'était lors d'une réunion qu'ils ont décidé de s'échanger les circulaires. C'est possible que ce soit lors de cette réunion " (décision attaquée, § 372).
402. Il est exact que la société DHL n'a pas diffusé sa propre circulaire et n'a reçu, parmi les cinq envois identifiés par l'Autorité, que la seule circulaire émanant de la société Alloin. Mais ce constat ne suffit pas à établir que, comme le soutiennent les requérantes, cet envoi unique résulterait d'une " erreur de destinataire " et, moins encore, à exonérer la société DHL de toute participation aux échanges d'informations, lesquels sont démontrés par les autres éléments du dossier. Au demeurant, la présence de la société DHL à la réunion du 22 septembre 2005, au cours de laquelle les participants ont décidé d'échanger leurs circulaires, exclut que la réception par cette société de la circulaire de la société Alloin ait résulté d'une telle erreur.
403. Par ailleurs, la société DHL figure dans les compilations tarifaires auxquelles les sociétés Graveleau et Alloin ont procédé et qu'elles ont diffusées à leurs collaborateurs.
404. En effet, par son courrier électronique interne du 21 octobre 2005, précité, la société Graveleau a adressé, à ses directeurs régionaux et à plusieurs de ses cadres, un courrier électronique précédemment reçu de la société Schenker-Joyau et comportant les mentions :
" En ce qui nous concerne, je te confirme ce que je t'avais dit précédemment : Nous allons circulariser l'ensemble de notre clientèle avec un taux de 4,6 % applicable au 1er décembre (...) ". Elle a accompagné cet envoi du message suivant :
" Vous trouverez ci-dessous le message qui indique les conditions de revalorisation de Joyau.
A titre d'information, ci-après également les informations qui ont été portées à notre connaissance de la part de certains confrères :
(...)
DHL : se situerait entre 3 et 3. 5 % au 1er janvier
(...)
Nous pouvons constater que certains confrères ont une forte volonté de revalorisation ; cela doit d'autant plus nous amener, dans nos démarches, à maintenir notre fermeté pour défendre notre taux d'augmentation, même s'il y a des clients qui viendront toujours nous faire remarquer que les autres transporteurs ont moins, etc... " (décision attaquée, § 374).
405. De son côté, la société Alloin a adressé, le 24 octobre 2005, le courrier électronique interne, précité, qui était ainsi rédigé :
" Je vous informe que les circulaires de hausse partent ce jour.
Un tableau récap des taux de hausse vous parviendra cette semaine.
J'en profite pour vous communiquer les hausses de nos principaux concurrents.
(...)
DHL 3. 9 CGV IDEM (GAS OIL) 3 % SOUS RESERVE
(...) " (décision attaquée, § 377).
406. Si les requérantes soutiennent que ces informations n'ont pas été fournies par la société DHL et qu'elles sont " le fruit de simples enquêtes et/ou de compilations internes propres à Alloin et Graveleau ", cette hypothèse ne peut être sérieusement retenue, ne serait-ce que parce qu'elle est contredite par les termes mêmes du courrier électronique de la société Graveleau, qui fait état des informations " qui ont été portées à notre connaissance de la part de certains confrères ".
407. Cette hypothèse n'est pas davantage démontrée par le fait que le courrier électronique de la société Graveleau indique, pour la société DHL, non un seul taux de hausse, mais une fourchette " entre 3 et 3. 5 % ". L'indication d'une fourchette plutôt que d'un pourcentage signifie simplement qu'à cette date, la société n'avait pas encore fixé avec précision et d'une façon définitive le taux qu'elle envisageait d'appliquer, à l'instar d'ailleurs des autres sociétés dont le taux est toujours présenté en forme conditionnelle : " GEODIS : augmenterait de 3. 9 % (...) HEPPNER : augmenterait de 4. 8 % (...) MORY : appliquerait une majoration de 3. 9 % (...) ALLOIN : s'oriente sur 5. 6 % ". Il en va de même de la mention " sous réserve " figurant dans le courrier électronique de la société Alloin à côté de la mention " 3. 9 CGV IDEM ", qui ne diminue pas l'intérêt que cette information pouvait présenter pour les concurrents de la société DHL.
408. C'est, par ailleurs, à tort que les requérantes font valoir que les compilations tarifaires figurant dans ces deux courriers électroniques seraient contradictoires et affectées d'une " absence de cohérence ". En effet, le fait que le taux de 3,9 % figurant dans le second courrier électronique se situe légèrement au-dessus de la fourchette annoncée dans le premier courrier électronique - entre 3 et 3,5 % - est conforme au caractère explicitement conditionnel et non encore définitif des taux qui y figurent. Il en va d'ailleurs de même s'agissant de la société Heppner, pour laquelle le courrier électronique de la société Graveleau fait état d'une augmentation de 4,8 %, et celui de la société Alloin d'une augmentation de 4 %.
409. S'agissant de la cohérence entre les informations échangées et le comportement des entreprises sur le marché, il est de fait que la société DHL a communiqué à ses clients un taux de hausse de 2,5 %, donc inférieur aux taux, ci-dessus mentionnés, dont ses concurrents avaient eu connaissance. Il est également avéré, ainsi que cela ressort du tableau récapitulatif figurant au paragraphe 379 de la décision attaquée, que cette situation est propre à la société DHL, puisque le taux communiqué à leurs clients par les autres sociétés est toujours celui qu'elles avaient indiqué dans leurs échanges, à l'exception, toutefois, de la société Heppner, dont le taux communiqué à la clientèle est de 4,8 % alors que le taux figurant dans la compilation établie par la société Alloin est de 4 %.
410. Cette disparité, cependant, ne démontre pas que les informations tarifaires compilées par les sociétés Graveleau et Alloin ne proviendraient pas de la société DHL elle-même, mais doit être comprise en ce sens que celle-ci, dans la ligne de la politique de reconquête de parts de marché qu'elle avait engagée l'année précédente, avait choisi d'obtenir de ses clients un taux de hausse moins important que celui qu'elle avait initialement envisagé.
411. Enfin, il est effectivement avéré que la société DHL n'a pas participé à la réunion du Conseil de Métiers du 16 mars 2006, au cours de laquelle les participants ont fait le point des résultats de leurs négociations tarifaires, et qu'elle n'est pas mentionnée dans les notes de la société TNT qui comportent des indications sur les hausses pratiquées par certains de ces participants.
412. Mais, si ce constat témoigne de ce que, au cours de la campagne tarifaire 2005-2006, la participation de la société DHL à l'entente a été moins intense que celle des entreprises qui, a posteriori et d'une manière concertée, ont suivi la mise en œuvre des revalorisations tarifaires, il ne remet pas en cause la réalité même de cette participation.
ä. Sur la campagne tarifaire 2006-2007
413. S'agissant de la campagne 2006-2007, l'Autorité a, dans le cadre de ses constatations figurant aux paragraphes 387 et suivants de la décision attaquée, d'abord relevé que plusieurs des entreprises mises en cause, et parmi elles la société DHL, s'étaient échangées des informations tarifaires dès le mois de juillet 2006 puis lors de la réunion du Conseil de Métiers du 28 septembre 2006, et qu'entre le 17 octobre et le 13 novembre 2006, les sociétés Graveleau, Alloin, Schenker-Joyau, Heppner, BMVirolle et Perronet avaient adressé leur circulaire de revalorisation tarifaire à certains de leurs concurrents (décision attaquée, § 405 à 414). Elle a ensuite noté que les informations ainsi échangées étaient cohérentes avec le comportement sur le marché des entreprises concernées (décision attaquée, § 415 à 420), lesquelles, enfin, avaient ultérieurement procédé ensemble à un suivi de leurs négociations tarifaires (décision attaquée, § 421 à 426).
414. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post contestent toute participation à l'entente au cours de cette campagne.
415. En premier lieu, la décision attaquée fait état, au titre des échanges d'informations qui auraient débuté dès l'été 2006, du compte rendu, déjà cité, fait par la société Graveleau d'une réunion interne tenue le 21 juillet de cette année. Intitulé " Présentation générale du marché ", ce document, reproduit au paragraphe 388 de la décision attaquée, mentionnait des informations commerciales et tarifaires relatives aux concurrents de ladite société et était ainsi libellé :
" XP/Heppner
A pris des dispositions drastiques depuis le 1er juin, notamment concernant l'application du tarif interne Heppner de manière à aider à un rééquilibrage : les bénéfices d'Heppner sont aujourd'hui absorbés par les mauvais résultats d'XP.
GEFCO
Limite son activité messagerie à 30 % et concentre toute son action sur l'Europe, qui devient son "cheval de bataille".
JOYAU
Schenker Allemagne, qui rencontre plus ou moins les mêmes problématiques (pénurie de camions, très forte augmentation des volumes), a décidé d'appliquer une hausse de 5 % sur ses tarifs nationaux (ce qui semblerait être général en Allemagne, en anticipation de la prochaine augmentation, de manière à maîtriser ses volumes).
MORY
Inquiet de ses résultats, dit vouloir augmenter ses tarifs.
DHL
Considère impératif de procéder à une augmentation tarifaire.
[...]
Globalement, dans la Profession :
- des résultats en baisse
- un réseau aujourd'hui confronté à une pénurie de camions
- la volonté d'appliquer une hausse tarifaire de 5 % à partir de septembre ou d'octobre ".
416. L'Autorité a considéré que ce compte rendu " atteste du recueil d'informations commercialement sensibles échangées entre six entreprises au moins " et que " [c]es informations ne peuvent manifestement provenir que des entreprises elles-mêmes " (décision attaquée, § 392).
417. Les requérantes contestent qu'on puisse tirer une telle conclusion en ce qui concerne la société DHL. Elles reprochent en effet à l'Autorité d'avoir " tronqué " la mention correspondant à cette société, dont le texte complet est le suivant :
" DHL
Considère impératif de procéder à une augmentation tarifaire.
Il semble, indique Daniel Lucas, que la qualité dans le réseau DHL soit actuellement très mauvaise ".
418. Elles en déduisent que l'information concernant la société DHL provenait, non de celle-ci, mais de la veille concurrentielle exercée par la société Graveleau, dont M. Lucas était le directeur des transports terrestres.
419. Cette argumentation ne peut qu'être écartée. En effet, d'une part, le fait que l'information sur la mauvaise qualité du réseau de la société DHL ait été rapportée au rédacteur de ce compte rendu par un autre collaborateur de la société Graveleau laisse entière la question de savoir d'où celui-ci tenait cette information et est donc sans effet sur la détermination de son origine. D'autre part, s'agissant de l'information relative à la politique tarifaire de cette société, sa teneur et son libellé même, et notamment l'emploi du verbe " considérer " et la référence au caractère " impératif " de la hausse envisagée, montrent qu'il s'agit non d'une donnée factuelle qui aurait pu être collectée sur le marché, mais d'une appréciation subjective, inspirée par la situation particulière de la société DHL à cette époque et de ses perspectives immédiates et qui, en conséquence, ne peut provenir que de cette société.
420. À la lumière des constatations exactes de l'Autorité, la cour considère comme établi que la société DHL a participé à un échange bilatéral avec au moins la société Graveleau, à laquelle elle a communiqué des informations commercialement sensibles sur sa politique de hausse tarifaire.
421. En deuxième lieu, s'agissant de la poursuite des échanges durant l'automne 2006, l'Autorité a examiné des notes manuscrites, intitulées " TLF " et rédigées par le représentant de la société TNT, qui exerçait, par ailleurs, les fonctions de vice-président du Conseil de Métiers. Elle a observé que ce document, qui se rapportait " vraisemblablement " à la réunion du Conseil de Métiers du 28 septembre 2006 (décision attaquée, § 396), comprenait de nombreuses informations chiffrées sur plusieurs des entreprises présentes à cette réunion, attestant ainsi de l'organisation d'un " tour de table ", dont elle a souligné qu'il était une pratique habituelle du Conseil de Métiers (décision attaquée, § 398). Ces informations étaient présentées sous la forme d'un tableau à cinq colonnes, dont la première listait des entreprises et les suivantes, selon l'interprétation qu'en a donnée l'Autorité, correspondaient à des données tarifaires et d'activité, ainsi qu'à des dates d'entrée en application (décision attaquée, § 398 à 403). S'agissant de la société DHL, ces notes comportent la mention manuscrite :
" DHL : 3,2 net 4,5 - Pas option exempté
12 % [illisible] 12 % - Top 1000 revisité ".
422. Les requérantes font valoir qu'on ne peut tirer de ce document aucune conclusion concernant la société DHL. Elles soulignent que, comme l'Autorité l'a elle-même relevé au paragraphe 415 de la décision attaquée, la circulaire de la société DHL a été appliquée à partir du 1er octobre 2006 et en concluent qu'elle avait été précédemment envoyée à ses clients, de sorte que l'information en cause était déjà disponible sur le marché et offerte à la veille concurrentielle de ses concurrents.
423. Il ressort effectivement du tableau figurant au paragraphe 415 de la décision attaquée que la circulaire de la société DHL était applicable au 1er octobre 2006, alors que celles de ses concurrents ne sont entrées en application que plus tardivement, à des dates s'échelonnant entre le 1er novembre et le 1er décembre 2006. Il y a donc lieu de conclure qu'elle avait été adressée aux clients de cette société plusieurs jours auparavant, et vraisemblablement avant même la réunion du Conseil de Métiers du 28 septembre 2006.
424. Cependant, il ressort des mentions portées sur les notes manuscrites de la société TNT, ci-dessus visées, que les informations concernant la société DHL ne peuvent avoir été communiquées que par cette société elle-même. En effet, ces informations ne consistent pas seulement dans le taux de hausse figurant dans la circulaire déjà diffusée aux clients de cette dernière, et donc susceptible d'être le cas échéant détecté par la veille concurrentielle d'autres entreprises ; elles fournissent également des indications sur le déroulement des négociations menées par la société DHL avec ses clients. C'est ainsi, comme l'Autorité l'a relevé au paragraphe 402 de la décision attaquée, que la mention " Pas option exempté " renvoie au fait que de nombreux clients demandent, lors des négociations, à être exemptés de la hausse et que la mention " Top 1000 revisité " correspond au fait que les clients importants et moyens font généralement l'objet d'une visite d'un commercial au moment de la hausse tarifaire. De telles informations, absentes par définition de la circulaire de hausse diffusée, ne peuvent, par leur nature même, avoir été communiquées aux participants à la réunion du 28 septembre 2006 que par la société DHL, aucune autre société ayant participé à cette réunion n'ayant été à même d'en avoir connaissance.
425. En revanche, s'il ressort des constatations de l'Autorité que la société Graveleau avaient transmis sa circulaire de hausse tarifaire le 17 octobre 2006 aux sociétés Alloin, Geodis, Schenker-Joyau, Gefco et Heppner, que la société Alloin avait transmis la sienne les 24 octobre et 2 novembre 2006 aux sociétés Graveleau, Heppner, BMVirolle, Darfeuille, Geodis, Schenker-Joyau, Mory et Peronnet, tout en réclamant à ces sociétés qu'elles lui adressent les leurs, et que les société Schenker-Joyau, Heppner et Perronet avaient communiqué leurs circulaires, respectivement, les 2 et 13 novembre 2006 à la société Alloin, la société BMVirolle ayant par ailleurs transmis le 8 novembre 2006 à la société Graveleau la circulaire de la société Mory (décision attaquée, § 405 à 413), force est de relever que la société DHL n'est pas en cause dans ces échanges d'informations sensibles puisqu'elle n'a pas transmis sa propre circulaire à ses concurrents ni n'a été destinataire de celles de ses concurrents.
426. En ce qui concerne, enfin, la cohérence des informations échangées par les entreprises avec leur comportement sur le marché, le tableau figurant au paragraphe 415 de la décision attaquée récapitule les comparaisons auxquelles l'Autorité a procédé. S'agissant de la société DHL, ce tableau comporte les indications suivantes :
<TABLEAU>
427. L'Autorité a considéré que ce tableau " montre que les entreprises présentes à la réunion du 28 septembre 2006 ont pu obtenir, de manière anticipée, des informations précises sur le comportement futur de plusieurs de leurs concurrents en matière de hausse tarifaire. En effet, les entreprises en cause ont toutes envoyé leurs circulaires de revalorisation tarifaire aux clients postérieurement au 28 septembre 2006 (ou pour certaines, le même jour) " (décision attaquée, § 416).
428. Force est de constater que, comme les requérantes le soulignent, ce dernier constat ne peut s'appliquer à la société DHL, dont la circulaire était applicable au 1er octobre 2006 et, par conséquent, a été adressée à ses clients plusieurs jours avant, et très vraisemblablement avant le 28 septembre 2006. En effet, d'après les indications figurant dans le tableau précité, le délai séparant l'envoi aux clients des circulaires de revalorisation et la date d'application de celles-ci s'échelonne entre quinze jours pour le plus court (société Graveleau) et cinq semaines pour le plus long (société Heppner). Il n'est donc pas plausible que la circulaire de la société DHL, entrée en application le 1er octobre 2006, n'ait été adressée à ses clients que le 28 septembre précédent.
429. En troisième lieu, l'Autorité a considéré que les entreprises en cause avaient, jusqu'à la fin de la campagne 2006-2007, continué à échanger des informations tarifaires afin de suivre et de contrôler la mise en œuvre de leurs revalorisations (décision attaquée, § 421 à 426). Elle a fondé ce constat sur des notes, saisies dans les locaux de la société Heppner, se rapportant à une réunion du Conseil de Métiers du 18 janvier 2007 et contenant de nombreuses mentions relatives aux hausses tarifaires de ces entreprises, ainsi que sur un courrier électronique de la société Graveleau du 4 avril 2007, se rapportant à une réunion du 29 mars précédent, contenant des informations, quelquefois très précises, sur les revalorisations effectivement obtenues.
430. Les requérantes soutiennent que ces documents ne peuvent leur être opposés, au motif qu'il n'est pas établi que les informations qu'ils contiennent, relatives à la société DHL, proviendraient de celle-ci.
431. Cet argument, cependant, ne peut qu'être écarté, compte tenu du libellé même de ces informations. C'est ainsi que les notes saisies dans les locaux de la société Heppner, qui relatent les débats de la réunion du Conseil de Métiers du 18 janvier 2007, comportent, parmi des données tarifaires chiffrées relatives à plusieurs participants, la mention suivante concernant la société DHL : " delta tarifaire : devrait obtenir les 4,5 % " (décision attaquée, § 421). Cette information ayant trait aux chances de la société DHL d'obtenir de ses clients qu'ils acceptent l'augmentation de 4,5 % qu'elle souhaitait, elle ne peut à l'évidence provenir que de cette société elle-même. De la même façon, les termes mêmes du courrier électronique du 4 avril 2007, dans lequel le dirigeant de la société Graveleau a rendu compte à certains de ses collaborateurs de la réunion du 27 mars précédent, en faisant état de données précises sur les revalorisations obtenues par les participants, démontrent que les informations concernant la société DHL avaient été communiquées par celle-ci ; ce courrier électronique, en effet, comporte, en annonce de ces informations, la mention suivante : " Je vous livre les chiffres communiqués par nos confrères présents, sur la résultante des augmentations tarifaires 2007 ".
432. En dernier lieu, la cour souligne qu'en tout état de cause, la majorité des entreprises ayant participé aux réunions du Conseil de Métiers des 28 septembre 2006 et 18 janvier 2007 n'ont pas contesté le constat, fait par l'Autorité aux paragraphes 404 et 424 de la décision attaquée, que des échanges d'informations sur les revalorisations tarifaires futures ont eu lieu entre les participants au cours de cette réunion.
433. Dans la mesure où les requérantes ne contestent pas que la société DHL était présente aux réunions des 28 septembre 2006 et 18 janvier 2007, le constat qui précède suffit à caractériser la participation de cette société à l'entente au cours de la campagne 2006-2007, quand bien même elle n'aurait pas, pour sa part, communiqué des informations sur sa propre politique de hausse tarifaire au cours de cette réunion, puisqu'elle a ainsi reçu des informations qui lui étaient utiles dans le cadre des négociations avec sa clientèle.
434. Il résulte de l'ensemble de ces constatations qu'il est établi que la société DHL, même si elle n'a pas transmis sa circulaire à ses concurrents ni n'a été destinataire des leurs, a participé aux échanges d'informations auxquels il a été procédé durant l'été 2006 puis au cours de la réunion du Conseil de Métiers du 28 septembre 2006, et au suivi du résultat des négociations tarifaires consécutives.
435. Dès lors, la cour constate que la participation de la société DHL aux pratiques au cours de la campagne 2006-2007 est établie.
g. Sur la campagne tarifaire 2007-2008
436. Suivant les constatations faites par l'Autorité aux paragraphes 427 et suivants de la décision attaquée, s'agissant de la campagne tarifaire 2007-2008, les premiers échanges d'informations sensibles entre les entreprises mises en cause sont intervenus lors de deux réunions du Conseil de Métiers, des 21 juin et 10 juillet 2007 (décision attaquée, § 427 à 432), et se sont poursuivis durant l'été et l'automne 2007, notamment lors d'un " atelier messagerie " tenu le 13 septembre 2007 (décision attaquée, § 433 à 442). L'Autorité a procédé à une comparaison entre les hausses préalablement échangées et les hausses communiquées aux clients, dont elle a présenté les résultats dans un tableau, et en a conclu que les premières étaient cohérentes avec le comportement des entreprises sur le marché (décision attaquée, § 443 à 450). Enfin, elle a relevé que ces entreprises avaient poursuivi leurs échanges d'informations jusqu'au printemps 2008, afin de suivre leurs négociations tarifaires respectives et d'en dresser le bilan (décision attaquée, § 451 à 456).
437. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post dénient tout caractère probant à ces constatations, en ce qui concerne la société DHL, et soutiennent qu'aucune pièce du dossier ne démontre que celle-ci aurait participé auxdits échanges.
438. De fait, les éléments réunis par les services d'instruction de l'Autorité ne mettent pas en cause la société DHL, à l'exception de l'un d'entre eux.
439. C'est ainsi que la société DHL n'est pas mentionnée par les pièces du dossier comme ayant participé aux réunions des 21 juin et 18 juillet 2007, qui auraient été le cadre de premiers échanges d'informations entre les participants.
440. Cette société, par ailleurs, n'est pas mentionnée dans le courrier électronique interne de la société Graveleau en date du 27 juillet 2007, dont il ressort, selon l'Autorité, que " les entreprises ont révélé à leurs concurrents leur stratégie commerciale pour les mois à venir en étant très précis sur l'orientation à la hausse, la date de la hausse et le niveau de la hausse " (décision attaquée, § 430). En effet, ce courrier électronique fait état d'informations tarifaires précises, mais qui concernent d'autres entreprises que la société DHL : " Geodis a déjà lancé sa circulaire fin juillet pour annoncer une augmentation de ses tarifs de 5 % et de l'express de 2 %. Joyau a fait 4,5 %, et tous les autres sont entre 4,5 % et 5,0 %. Mory a également lancé une circulaire pour dire qu'il allait, en plus de cela, augmenter sensiblement ses tarifs entre le Nord et le Sud compte tenu des déséquilibres de véhicules en aller et retour " (décision attaquée, § 429).
441. En outre, la société DHL n'a pas été destinataire de la circulaire de la société Mory que la société Schenker-Joyau a adressée le 27 juillet 2007 à la société Graveleau, permettant à cette dernière, ainsi que l'Autorité l'a relevé, " de connaître la stratégie adoptée par plusieurs de ses concurrents (dont Schenker-Joyau, Geodis et Mory, de façon plus précise) en matière de différenciation tarifaire nord/sud ou d'augmentation de tarifs au 1er octobre 2007 ", et n'est pas davantage citée dans les autres courriers électroniques internes de la société Graveleau, en date des 3 et 31 août 2007 (décision attaquée, § 433 à 436). De même, elle n'a pas participé à la réunion du Conseil de Métiers du 29 novembre 2007, ni à celle du 27 mars 2008, au cours desquelles les participants se sont livrés à un suivi de leurs négociations et en ont dressé le bilan. En effet, elle n'est pas mentionnée dans les notes de la société Heppner se rapportant à la première de ces réunions, qui contenaient des informations précises relatives aux hausses tarifaires passées par les sociétés Ziegler, Gefco, Normatrans, Exapaq, Chronopost, Schenker-Joyau, Graveleau, TNT et Geodis, dont aucune ne concernait la société DHL (décision attaquée, § 452).
442. Enfin, la société DHL ne figure pas dans le tableau inséré au paragraphe 443 de la décision attaquée, par lequel l'Autorité a vérifié la cohérence des informations échangées par les sociétés Graveleau, Geodis, Heppner, Schenker-Joyau, Alloin, TNT, Exapaq, Gefco, GLS et Mory avec leur comportement sur le marché.
443. Il reste, en revanche, la participation de la société DHL à la réunion du Conseil de Métiers du 13 septembre 2007, dite " atelier messagerie ".
444. Les requérantes ne contestent pas que la société DHL a participé à cette réunion, mais soutiennent qu'il n'est pas établi que des informations tarifaires auraient été échangées à cette occasion. À cet égard, elles font valoir que les notes manuscrites saisies dans les locaux de la société TNT (cote 1706, reproduite dans la décision attaquée, § 441) ne rapportent pas la preuve de ces échanges. Selon les requérantes, en effet, si ces notes manuscrites relatent des échanges d'informations tarifaires, rien ne permet d'affirmer que ceux-ci auraient eu lieu durant la réunion du 13 septembre 2007, tandis que plusieurs éléments démontrent, au contraire, qu'ils sont intervenus plusieurs jours avant cette réunion, en vue de sa préparation.
445. Comme la cour l'a relevé au paragraphe 312 du présent arrêt, ces notes manuscrites figurent sur la copie imprimée d'un courrier électronique adressé le 10 septembre 2007, en vue de la réunion du 13 septembre suivant, par la fédération TLF, notamment, au président et aux deux vice-présidents du Conseil de Métiers, qui étaient par ailleurs, respectivement, président de la société Heppner, directeur-général adjoint de la société Geodis et président de la société TNT. À ce courrier électronique, dont l'objet était " URGENT mémo "atelier messagerie" ", était joint un " projet de mémo qui met en avant les demandes de la profession " (décision attaquée, § 441). Le texte de ce courrier électronique était le suivant :
" Bonjour,
Ci-joint un projet de mémo qui met en avant les demandes de la profession.
Ce texte que je soumets à vos corrections, pourrait faire l'objet d'une distribution en fin d'atelier.
Cordialement
(...) "
446. Sur la copie imprimée de ce courrier électronique figurent deux séries d'annotations manuscrites, formellement séparées. La première est ainsi rédigée : " êtes-vous d'accord sur ce texte? oui non ". La deuxième série d'annotations manuscrites se présente sous la forme de trois colonnes dans lesquelles sont inscrits, pour la première, des pourcentages (5 %, 4,5 %, -> 5,5 %, 5 %, 4,7 %, 3,9 %, 4,5 %, 5,4 %), pour la deuxième, des dates (1er octobre 2007, 1er décembre 2007, 1er janvier 2008) et, pour la troisième, les noms de certaines des entreprises ayant participé à la réunion du Conseil (Heppner, Joyau, Gefco, Kuhn, Darfeuille, Exapaq, Geodis). L'Autorité a considéré que ces annotations devaient être regardées comme correspondant au taux de hausse tarifaire envisagé par chacune des sociétés visées, avec la date de sa mise en application, et qu'elles démontraient, en conséquence, que les participants à la réunion du 13 septembre 2007 avaient échangé des informations tarifaires dont, dans la décision attaquée, l'Autorité avait relevé, à juste titre, qu'elles étaient " précises, stratégiques et futures " (décision attaquée, § 442).
447. Les requérantes contestent qu'il en soit ainsi. Elles soulignent, en premier lieu, que la mention " êtes-vous d'accord avec ce texte ? oui non " avait pour objet de déterminer si les destinataires du courrier électronique approuvaient le " projet de mémo " qui était joint et qu'en conséquence, les annotations manuscrites ne pouvaient avoir été prises lors de la réunion du 13 septembre 2007.
448. Mais l'affirmation des requérantes selon laquelle la mention " êtes-vous d'accord avec ce texte ? oui non " n'aurait pas été portée au cours de la réunion est manifestement infondée, eu égard au caractère manuscrit de cette mention. En effet, celle-ci n'aurait pas pu figurer sur le courrier électronique par lequel son auteur aurait fait connaître son accord avec le texte du projet de mémo. Il est au contraire tout à fait évident qu'elle a été inscrite sur le document durant la réunion, au cours d'un tour de table portant sur le mémo distribué aux participants, comme cela avait été annoncé dans le courrier électronique.
449. En tout état de cause, cette mention est formellement distincte des mentions tarifaires également manuscrites figurant dans le document, puisque l'une a été portée à gauche du texte du courrier électronique, tandis que les autres sont sous ce texte. Ces mentions tarifaires ne peuvent avoir été prises qu'au cours de la réunion, puisque c'est à cette occasion seulement que la société TNT, destinataire du courrier électronique qu'elle avait reçu trois jours avant et dont elle avait une copie imprimée, s'est trouvée en présence des sociétés dont elle a noté les hausses qu'elles envisageaient.
450. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que, si les annotations manuscrites en cause avaient été portées sur le document à la suite d'un tour de table au cours de la réunion du 13 septembre 2007, toutes les entreprises présentes, y compris la société DHL, devraient être mentionnées, et non certaines d'entre elles seulement.
451. Cette explication à caractère hypothétique ne peut, cependant, qu'être écartée ; il est au contraire parfaitement plausible que certaines des entreprises n'étaient pas encore en mesure de faire état, au cours de la réunion, de taux de hausse précis et qu'en conséquence le rédacteur des annotations n'ait noté que les seuls taux déjà chiffrés.
452. En troisième lieu, les requérantes rappellent que la réunion du 13 septembre 2007 n'était pas, " à proprement parler ", une réunion du Conseil de Métiers, mais un " mini Conseil " qui avait pour seul objet d'annoncer la succession du président de la fédération TLF, de sorte qu'il ne se prêtait nullement à un tour de table sur les hausses envisagées par les entreprises présentes.
453. Mais, à supposer même que cette réunion n'ait eu pour ordre du jour que l'annonce de la succession du président de la fédération TLF - cette supposition étant, au demeurant, fortement discutable dans la mesure où elle a été précédée de l'envoi d'un " projet de mémo qui met en avant les demandes de la profession " -, rien ne conduit à considérer que les participants se seraient interdits, pour ce seul motif, d'évoquer d'autres sujets durant leurs débats.
454. Dès lors, l'argument des requérantes selon lequel les annotations manuscrites relatant des échanges d'informations n'ont pas été prises lors de la réunion du 13 septembre 2007 et ont probablement été portées sur le document avant celle-ci, ne peut être retenu.
455. Ces annotations ne font certes pas mention de la société DHL, puisqu'elles rapportent les hausses tarifaires envisagées, non par l'ensemble des dix-neuf entreprises présentes, mais par les seules sociétés Heppner, Schenker-Joyau, Gefco, Kuehne + Nagel, Darfeuille, Exapaq et Geodis. Mais il ressort seulement de cette constatation que la société DHL n'a participé que passivement aux échanges d'informations en cause, sans communiquer les hausses qu'elle-même envisageait.
456. Dès lors, il y a lieu de considérer que sa participation aux pratiques mises en œuvre au cours de la réunion du 13 septembre 2007 est établie, faute d'éléments au dossier démontrant qu'elle s'en serait distanciée.
457. En conséquence, la cour constate que la participation de la société DHL aux pratiques au cours de la campagne 2007-2008 est établie.
æ. Sur la campagne tarifaire 2008-2009
458. Suivant les constatations faites par l'Autorité dans la décision attaquée, la préparation de la campagne 2008-2009 avait donné lieu, lors de réunions tenues les 14 mars et 5 juin 2008, à des discussions portant sur la question particulière des suppléments de prix pour la prise des rendez-vous imposés aux transporteurs par la grande distribution. L'Autorité a constaté que, dans le cadre de ces discussions, certaines entreprises avaient échangé des informations sur leurs coûts moyens par rendez-vous et sur leurs hausses tarifaires à venir (décision attaquée, § 457 à 464). Elle a ensuite considéré que ces échanges s'étaient poursuivis durant l'été et l'automne 2008, en particulier lors d'une réunion du Conseil de Métiers du 18 septembre 2008 (décision attaquée, § 465 à 478). Enfin, elle a vérifié la cohérence entre les informations échangées et le comportement sur le marché des entreprises en cause (décision attaquée, § 479 à 484), lesquelles avaient procédé à un bilan ex post des négociations avec leurs clients respectifs, lors d'une réunion du Conseil de Métiers du 15 janvier 2009 (décision attaquée, § 485 et 486).
459. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent qu'aucun des éléments sur lesquels l'Autorité a fondé son analyse ne peut être retenu à la charge de la société DHL, dont, en conséquence, la participation au grief n'est pas établie relativement à la campagne 2008-2009.
460. De fait, les éléments de preuve relatifs aux réunions des 14 mars et 5 juin 2008 ainsi qu'aux échanges intervenus à l'été et à l'automne 2008, jusqu'à la réunion du Conseil de Métiers du 18 septembre 2008, ne mettent pas en cause la société DHL. Cette société, en effet, n'est pas mentionnée dans les pièces du dossier comme ayant participé auxdites réunions, aux cours desquelles certaines entreprises auraient échangé des informations, pas plus qu'elle n'est citée dans les courriers électroniques internes de la société Graveleau datés du 22 juillet 2008, d'où il ressort que celle-ci a reçu des informations de la part des sociétés Heppner, Geodis, Cool Jet et Schenker-Joyau relatives aux majorations tarifaires, aux dates de leur mise en application et d'envoi des circulaires aux clients ainsi qu'à l'intégration d'une augmentation pour les prises de rendez-vous avec la grande distribution (décision attaquée, § 468). Au demeurant, l'Autorité n'a pas impliqué la société DHL dans ces échanges d'informations et a, au contraire, expressément indiqué que les éléments de preuve qu'elle retenait démontraient que plusieurs entreprises du secteur de la messagerie, " à tout le moins Heppner, Geodis, Cool Jet, Schenker-Joyau et Graveleau ", avaient échangé des informations sensibles et futures sur les montants de hausse qu'elles souhaitaient demander à leurs clients respectifs (décision attaquée, § 471).
461. La cour observe, par ailleurs, que les données figurant dans le tableau que l'Autorité a consacré à la cohérence entre les informations échangées et le comportement des entreprises sur le marché ne comportent logiquement aucune indication relative aux hausses échangées, en ce qui concerne la société DHL (décision attaquée, § 479 - tableau 18).
462. En revanche, il n'est pas contesté que la société DHL a participé à la réunion du Conseil de Métiers du 18 septembre 2008. Or, l'Autorité a justement constaté qu'à cette occasion, les participants avaient, de nouveau, échangé des informations commerciales sensibles (décision attaquée, § 473).
463. Ce constat résulte en effet, sans équivoque possible, d'un courrier en date du 23 décembre 2008, adressé par le directeur des affaires juridiques et réglementaires de la société FedEx, qui était représentée à cette réunion, au président de la fédération TLF, dont une copie a été saisie dans les locaux de celle-ci (cotes 4039 et 4040). Ce courrier était ainsi rédigé :
" Je vous écris au nom de FedEx Express ('FedEx") suite à la réunion "Conseil Messagerie Express" du 18 septembre 2008.
Il m'a été communiqué que lors d'un tour de table entre membres de TLF concernant la situation du marché en général (Agenda partie 1 "Conjoncture"), un nombre de membres de TLF ont pu divulguer et/ou discuter d'informations particulières à leur société, qui pourraient être considérées comme sensibles selon les règles du droit de la concurrence. "
464. Certes, par un courrier en date du 28 janvier 2009 (cotes 4048 et 4049), le président de la fédération TLF a apporté la réponse suivante :
" (...) le tour de table auquel vous faites référence et qui est initié lors des travaux de notre Conseil "Messagerie/Express" est un point de conjoncture ou d'analyse de quelques indices repères qui ne porte que sur des éléments d'évolution passés et mené à partir de documents officiels et publics élaborés notamment par les services du ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de l'Aménagement du Territoire (MEEDDAT). Une telle pratique ne saurait être qualifiée d'anticoncurrentielle, s'agissant d'un simple dialogue que nous organisons entre nos entreprises visant à leur fournir des éléments d'étude de gestion et une meilleure connaissance des postes de coût des activités qu'elles exercent ".
465. Mais, compte tenu, notamment, de leur généralité, les dénégations contenues dans cette réponse ne suffisent pas à retirer toute force probante au courrier du 23 décembre 2008, d'où il ressort que son auteur avait entendu réagir à des échanges d'informations intervenus lors de la réunion du 18 septembre 2008 et, conscient de leur caractère anticoncurrentiel, s'en démarquer.
466. Les requérantes considèrent, cependant, qu'on ne peut déduire l'échange d'informations incriminé que de ce seul courrier, dont l'auteur n'avait pas personnellement participé à la réunion du 28 septembre 2008, et qui, selon elles, ne constitue qu'une preuve hypothétique.
467. Mais, si le signataire de ce courrier n'a effectivement pas participé personnellement à la réunion en cause, cette circonstance est sans incidence, dès lors qu'il s'exprimait au nom de la société FedEx, qui y était représentée et qui était dépourvue de tout intérêt à se démarquer sans fondement des pratiques qui ne lui seraient pas clairement apparues comme anticoncurrentielles. De plus, la preuve que la réunion du Conseil de Métiers du 13 septembre 2008 a été l'occasion d'échanges anticoncurrentiels résulte d'autres éléments que ledit courrier : d'une part, les demandeurs de clémence ont indiqué que les pratiques qu'ils dénonçaient avaient eu cours également pendant l'année 2008 ; d'autre part, l'utilisation de cette réunion pour des échanges d'informations sensibles sur la politique tarifaire est cohérente avec les pratiques précédemment relevées depuis l'année 2004, dont les réunions du Conseil de Métiers constituaient pareillement le cadre.
468. Enfin, il n'est pas davantage contesté par les requérantes que la société DHL a participé à la réunion du Conseil de Métiers du 15 janvier 2009. Or il résulte de notes manuscrites saisies dans les locaux de la société Heppner (cotes 998 à 1002) que cette réunion a donné lieu à des échanges d'informations et à un bilan ex post des négociations menées par les entreprises présentes avec leurs clients respectifs. En effet, ces notes comportaient des mentions relatives à des hausses tarifaires ou aux prix des sociétés DHL (" hausse tarifaire pas simple "), Ziegler (" hausse difficile depuis fin oct. "), BMVirolle (" campagne de hausse très difficile "), Gefco (" hausse [illisible] "), Schenker-Joyau (" contribution sécurité passée à moitié en septembre ") et Geodis (" stagnation des prix de vente ").
469. Les requérantes soutiennent que ces éléments ne démontrent pas que la société DHL aurait participé, au cours de la réunion du 15 janvier 2009, à des échanges d'informations à caractère anticoncurrentiel. Elles font valoir que les informations relatées par ces différentes mentions n'ont aucun caractère stratégique, dans la mesure où le secteur de la messagerie traversait à l'époque une grave crise, marquée par la flambée de certains coûts, et que, pour maintenir leur rentabilité, les entreprises devaient toutes procéder à une revalorisation de leurs tarifs.
470. Mais, en dépit de leur généralité, les informations communiquées par la société DHL comme par les autres participants, n'en étaient pas moins individualisées et spécifiques. De surcroît, la participation à cette réunion a été retenue par l'Autorité, non comme la preuve, à elle seule, de la réalité des pratiques anticoncurrentielles d'échanges d'informations sensibles, mais en ce qu'elle traduit la continuité de l'adhésion des participants à ces pratiques.
471. Dès lors, la cour constate que la participation de la société DHL aux pratiques au cours de la campagne 2008-2009 est établie.
ç. Sur la campagne tarifaire 2009-2010
472. Dans le cadre des constatations figurant aux paragraphes 487 à 498 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé que les échanges d'informations ressortaient, d'abord, de la tenue de la réunion du Conseil de Métiers du 17 septembre 2009, laquelle avait été précédée de l'envoi, par la représentante de la fédération TLF, de son ordre du jour à ses participants. L'un d'entre eux, la société Sernam a alors réagi auprès de la fédération TLF par le courrier électronique suivant, en date du 10 septembre 2009 :
" Concerne : ordre du jour de la Commission "Messagerie-Express" (...) Je suis surpris de ne pas voir à l'ordre du jour la hausse tarifaire 2010. Nous avions convenu en juin, d'aborder ce sujet (...) Merci de faire part de cette demande à M. S.... Je profite de la présente pour vous confirmer ma présence à cette réunion " (décision attaquée, § 330).
473. La responsable du Conseil de Métiers a, le même jour, répondu par le message suivant :
" (...) J'ai pris connaissance de votre mail. Comme vous le savez, je me dois d'être vigilante dans l'intitulé des points visés à l'ordre du jour. Ceci pour éviter à la fois à TLF comme aux entreprises membres du conseil présentes les risques de contrôles et de sanctions financières de la part du Conseil de la concurrence d'où ma prudence. Cet aspect est traité dans un point 1 dit conjoncture...etc. à l'oral les participants évoquent les thèmes qu'ils souhaitent " (décision attaquée, § 331).
474. L'Autorité a souligné que ces courriers électroniques démontraient que la fédération TLF avait, à tout le moins, conscience du caractère risqué des échanges sur les hausses tarifaires annuelles (décision attaquée, § 489 et 490). Elle a, par ailleurs, relevé que la réalité des échanges d'informations ayant eu pour cadre cette réunion était confirmée par les termes d'un courrier électronique interne de la société Dachser, en date du 21 octobre 2009, qui comportait en introduction la mention suivante : " L'ensemble de nos confrères veut avancer d'une façon "prudente" entre 2 % et 6 % pour les petits clients ". Elle a considéré que, bien que la société Dachser n'ait pas participé à la réunion du 17 septembre 2009, son courrier électronique attestait de l'existence d'échanges bilatéraux sur les hausses tarifaires envisagées par ses concurrents (décision attaquée, § 491 et 493).
475. L'Autorité a ensuite noté que la plupart des circulaires de revalorisation tarifaire avaient été envoyées après la tenue de cette réunion (décision attaquée, § 492).
476. Enfin, l'Autorité a constaté que les entreprises mises en cause avaient continué à échanger des informations sur leur politique tarifaire et commerciale, dans le cadre d'un suivi et d'un bilan ex post des négociations avec leurs clients respectifs. Elle a fondé ce constat sur des notes saisies dans les locaux de la société Heppner, se rapportant à une réunion du Conseil de Métiers du 28 janvier 2010 et contenant des informations relatives aux hausses tarifaires et aux prix des sociétés DHL [" hausse tarifaire dure (visée à 1 % avec crainte sur AO) "], Sernam [" hausse passe bien (1,6) sauf cas difficiles "], Normatrans (" hausse 1,9 % "), Gefco (" pas perception sur hausse "), Ducros (" baisse tarif " et " AO difficiles en cours ") et Exapaq (" effet prix 0,9 % ") (décision attaquée, § 495 et 496).
477. Sur la base d'autres notes, également saisies dans les locaux de la société Heppner, l'Autorité a considéré que des échanges d'informations tarifaires avaient à nouveau eu lieu lors d'une réunion du Conseil de Métiers du 20 mai 2010 (décision attaquée, § 497 et 498). Ces notes comportent des indications sur l'évolution des chiffres d'affaires et des tarifs des sociétés SVP Transport (" + 2 % en avril CA. Pression AO "), Normatrans (" + 7 % en arrivage, + 1,3 client "), DHL (" en ligne [par rapport à] 2009. Baisse en mai. Vente finalisée avant l'été "), Exapaq (" maintien du prix de vente "), Ducros (" + 5 % CA. Amélioration [illisible]. Tarifs en baisse "), Schenker-Joyau (" + 5 % Très bon mois de mars. Prix de vente Nat mai [baisse] "), Chronopost (" + 5 % Chronopost prix de vente entre -8/-10 %. Mai en demi-teinte. Inquiétude 2ème semestre "), Geodis (" messagerie + 4,5 % CA. +2,5 % Express. 12 % trafic européen. Effet prix +1 % ") et le SNTL (" [environ] 0 % difficulté sur GO ") (notification des griefs, § 746).
478. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent qu'aucun de ces éléments n'établit la participation de la société DHL à ces échanges d'informations sensibles relativement à la campagne 2009-2010, celle-ci ayant d'ailleurs été pour elle la dernière, puisqu'elle a cessé toute activité dans ce domaine à compter du mois de mai 2010. Elles reprochent ainsi à l'Autorité de ne s'être fondée que sur le courrier électronique de la société Sernam adressé à la fédération TLF le 10 septembre 2009, qui ne concerne nullement la société DHL, et d'en avoir " déduit automatiquement, sans autre élément pour corroborer sa thèse ", que des échanges d'informations avaient eu lieu lors de la réunion du Conseil de Métiers du 17 septembre 2009.
479. Mais le caractère anticoncurrentiel de la réunion du 17 septembre 2009, à laquelle la société DHL ne conteste pas avoir participé, est clairement démontré par l'échange de courriers électroniques qui a précédé celle-ci. En effet, en réponse à son correspondant qui s'étonnait de ne pas voir figurer à l'ordre du jour " la hausse tarifaire 2010 ", la représentante de la fédération TLF lui a explicitement indiqué que " [c]et aspect [serait] traité dans un point 1 dit conjoncture (...) ", et expliqué que son absence de l'ordre du jour était destiné à " éviter à la fois à TLF comme aux entreprises membres du conseil présentes les risques de contrôles et de sanctions financières de la part du conseil de la concurrence d'où ma prudence ". De surcroît, il convient de noter que ces constatations sont confirmées par les déclarations des demandeurs de clémence et qu'elles démontrent que l'échange d'informations sur les hausses tarifaires dans le cadre du Conseil de Métiers était une pratique habituelle, connue et attendue par les participants (notification des griefs, § 133).
480. Par ailleurs, les requérantes font valoir qu'il n'est pas établi que la société DHL aurait elle-même fourni les informations la concernant qui figurent dans les notes manuscrites saisies dans les locaux de la société Heppner.
481. Cette simple dénégation ne peut qu'être écartée compte tenu, en particulier, du caractère précis et chiffré des données concernant la société DHL qui figurent dans ces notes, s'agissant tant de la réunion du 28 janvier 2010 [" hausse tarifaire dure (visée à 1 % avec crainte sur AO] "], que de celle du 20 mai 2010 (" en ligne [par rapport à] 2009. Baisse en mai. Vente finalisée avant l'été "). Au demeurant, la seule participation de la société DHL aux réunions anticoncurrentielles des 17 septembre 2009, 28 janvier et 20 mai 2010, au cours desquelles elle a recueilli des informations sensibles, suffit à caractériser sa participation à l'entente.
482. La cour juge donc établi que la société DHL a participé aux échanges d'informations sensibles intervenus avec ses concurrents dans le cadre de la campagne 2009-2010.
483. Elle ajoute que l'argument des requérantes selon lequel la situation économique très dégradée de la société DHL, selon elles " au bord de la faillite ", rendait nécessaires des mesures de restructuration de sa politique tarifaire, de sorte que la participation de cette société aux échanges d'informations en cause était " improbable " et " sans intérêt ni sens ", ne diminue en rien la force probante des éléments relevés par la cour, qui établissent la réalité de cette participation de 2004 à 2010.
484. En conclusion, la cour juge que la participation de la société DHL aux pratiques s'est étendue sur les campagnes 2004-2005 à 2009-2010, soit du 30 septembre 2004 au 1er mars 2010.
d) En ce qui concerne la société Normatrans
485. L'Autorité a considéré que la participation de la société Normatrans au grief n° 2 était établie relativement aux campagnes 2006-2007, 2007-2008, 2008-2009 et 2009-2010, dans la mesure où elle avait participé aux différentes réunions du Conseil de Métiers au cours desquelles les participants avaient échangé des informations sensibles sur leurs hausses tarifaires.
486. La société Normatrans ne conteste pas avoir participé à ces réunions, mais, soulignant que les autres participants aux réunions litigieuses représentaient 77 à 80 % de son chiffre d'affaires, elle soutient que cette situation particulière justifie d'écarter le grief qui lui est reproché, dans la mesure où elle constituait pour elle une contrainte économique devant conduire la cour à juger qu'elle ne s'est pas " entendue " avec les autres participants.
487. Par ailleurs, la société Normatrans fait valoir que sa participation aux réunions litigieuses n'était inspirée par aucun esprit anticoncurrentiel, puisqu'elle était motivée, non par le projet d'obtenir des informations sur les probabilités d'évolution des prix des autres participants, mais par son souhait d'accéder à des informations générales sur son métier et son secteur d'activité (veille réglementaire, veille juridique, veille technologique, etc.).
488. S'agissant, en premier lieu, de la contrainte économique alléguée par la requérante, la cour rappelle, d'une part, que le fait qu'une entreprise soit dans une situation de contrainte économique, au motif, notamment, qu'elle dépend économiquement des participants à une entente anticoncurrentielle, ne suffit pas à justifier son adhésion aux pratiques. Aussi, même à supposer établie la situation de dépendance économique de la société Normatrans vis-à-vis des autres entreprises mises en cause, tenant à la part élevée de la sous-traitance dans son chiffre d'affaires, cette circonstance est sans conséquence sur le constat qui a été fait par l'Autorité de sa participation aux échanges d'informations litigieux.
489. D'autre part, d'éventuelles pressions pour contraindre une entreprise à entrer dans l'entente ne font pas disparaître le caractère illicite, au regard des règles de concurrence, de la participation de cette entreprise aux pratiques, et peuvent seulement, le cas échéant, être prises en compte à titre de circonstance atténuante, dans le cadre de la détermination du montant de la sanction pécuniaire susceptible de lui être infligée.
490. Au demeurant, la société Normatrans, qui n'a pas fait état d'actes positifs de contrainte émanant des autres participants aux réunions du Conseil de Métiers, n'expose pas les raisons qui l'ont convaincue que ces derniers exerceraient sur elle des pressions au cas où elle entreprendrait de se distancier du contenu des discussions anticoncurrentielles en cause et, a fortiori, n'établit pas le bien-fondé de ses craintes. À cet égard, le seul fait que les participants aux réunions litigieuses aient représenté 77 à 80 % de son chiffre d'affaires ne saurait suffire à rapporter cette preuve, faute de tout élément dans le dossier de nature à laisser penser qu'ils la priverait de leur clientèle au seul motif de sa distanciation de l'entente.
491. En second lieu, il est de jurisprudence constante qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte, dans la qualification de pratiques au regard des règles de la concurrence, l'intention subjective des entreprises mises en cause. C'est ainsi que la Cour de justice juge que, pour déterminer si un accord est anticoncurrentiel, il convient de s'attacher à la teneur de ses dispositions et aux objectifs poursuivis, et que le fait que les parties à cet accord aient agi sans aucune intention subjective de restreindre la concurrence n'est pas pertinent pour procéder à cette qualification (CJUE, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development et Barry Brothers, C-209/07, point 21). Telle a été la démarche suivie dans la présente affaire par l'Autorité qui, aux paragraphes 657 et suivants de la décision attaquée, a examiné " [l]a teneur et la finalité des pratiques " et a relevé qu'elles consistaient " en une concertation sur des éléments de prix grâce à des échanges fréquents de données précises, individualisées et stratégiques couvrant des paramètres du prix futur " et avaient pour objectif " de réduire la part d'incertitude inhérente à toute négociation commerciale, sur les déterminants du prix, afin d'améliorer la position de négociation des transporteurs ". Dès lors, il n'y avait pas lieu pour l'Autorité, ni, sur recours, pour la cour, de déterminer si, à l'occasion de sa participation aux réunions du Conseil de Métiers, la société Normatrans était animée d'un esprit anticoncurrentiel.
492. Il est donc établi que la société Normatrans a participé aux échanges d'informations relevant du grief n° 2 et les moyens par lesquels elle conteste sa participation sont rejetés.
e) Concernant la société BMVirolle
493. L'Autorité a sanctionné la société BMVirolle pour avoir participé aux pratiques relevant du grief n° 2, du 28 septembre 2006 au 1er mars 2007, puis du 18 septembre 2008 au 1er mars 2010, soit pendant une durée d'un an et dix mois correspondant aux campagnes 2006-2007, 2008-2009 et 2009-2010 (décision attaquée, § 1299 et 1300).
494. La société BMVirolle conteste toute participation de sa part à l'entente et demande en conséquence à la cour d'annuler ou, " à tout le moins ", de réformer la décision attaquée en la mettant hors de cause.
á. Sur les campagnes tarifaires 2006-2007 et 2008-2009
495. La société BMVirolle fait valoir que les contrats passés avec certains de ses clients contenaient des clauses d'indexation, qu'elle avait fixé définitivement ses taux de hausse avant les échanges d'informations reprochés et que ces hausses étaient publiques, que la transmission de la circulaire tarifaire de la société Mory ne peut être retenue contre elle, pas plus que la teneur des notes de la société Heppner relatives à la réunion du Conseil de Métiers du 11 janvier 2009.
496. La cour examinera ci-après chacun de ces arguments.
- Sur l'existence de clauses contractuelles d'indexation
497. La société BMVirolle expose d'abord qu'elle avait mis en place un processus interne de revalorisation tarifaire, tenant compte des indices du CNR et de ceux de l'INSEE, de l'inflation, du prix du carburant et de l'évolution législative et explique que ses clients étaient répartis en trois catégories : les " comptes clé ", les " grands comptes " - ces catégories représentant, chacune, 40 à 50 clients et, ensemble, plus de la moitié de son chiffre d'affaires - et les " autres comptes ", au nombre d'environ 3 000. Elle précise que les relations avec les comptes clé et les grands comptes étaient régies par des contrats pluriannuels qui comportaient des clauses d'indexation déconnectées des circulaires tarifaires annuelles et qu'en revanche, s'agissant des autres comptes, les hausses étaient soit négociées chaque année, soit appliquées sans négociation. Elle en conclut que le grief pour lequel elle a été sanctionnée ne concerne que les seules hausses appliquées aux clients avec lesquels aucune indexation n'était contractuellement prévue et que les relations avec les autres clients doivent être exclues du champ des pratiques qui lui sont imputées. Elle reproche à l'Autorité de ne traiter cet argument, dans ses observations devant la cour, qu'à propos du calcul de la valeur des ventes, et elle soutient qu' " il appartient désormais à la cour de l'apprécier ".
498. À ce stade de l'analyse du dossier, il s'agit pour la cour de déterminer si, comme cela lui est reproché, la société BMVirolle a pris part à l'entente en cause, mais non d'apprécier dans quelle mesure cette participation, si elle était établie, a concerné l'activité commerciale de la requérante. Or, l'argumentation ici développée par la société BMVirolle n'a pas pour objet d'établir qu'elle n'a pas participé aux échanges d'informations en cause, mais à démontrer que ces échanges n'ont pu avoir d'incidence que sur certains de ses contrats, à l'exclusion de ceux contenant des clauses d'indexation. Elle est donc sans effet sur la question que la cour doit ici trancher, qui est celle de la participation de cette société aux pratiques relevant du grief n° 2.
499. Il y aura lieu en revanche, au cas où la cour jugerait que cette participation est démontrée, d'examiner cette argumentation dans le cadre de la détermination de la sanction qui serait prononcée. C'est, au demeurant, ce à quoi s'attache la requérante elle-même, qui, aux paragraphes 112 et suivants de son mémoire déposé le 19 janvier 2017, conteste le mode de calcul de la sanction qui lui a été infligée et demande à la cour de déduire de la valeur de ses ventes le chiffre d'affaires résultant des contrats passés avec certains clients.
500. Il s'ensuit que le moyen est, à ce stade, inopérant et doit être rejeté.
- Sur la fixation définitive des taux de hausse avant les échanges
501. La société BMVirolle fait valoir qu'elle avait définitivement fixé ses taux de hausse en interne et publié ses circulaires avant chacun des évènements retenus par les services d'instruction pour caractériser sa participation à des échanges anticoncurrentiels, et donc indépendamment du comportement de ses concurrents.
502. C'est ainsi que, s'agissant de la campagne 2006-2007, elle indique qu'elle n'avait reçu aucune information de ses concurrents avant la réunion du Conseil de Métiers du 28 septembre 2006, et avait envoyé sa circulaire de hausse tarifaire à ses clients le 17 septembre 2006, soit plus de dix jours avant, et qu'elle n'a ensuite pas diffusé de circulaire modificative. De même, s'agissant de la campagne 2008-2009, elle expose qu'elle avait diffusé sa circulaire de hausses tarifaires le 12 septembre 2008, soit avant la réunion du Conseil de Métiers du 18 septembre 2008 et souligne qu'elle n'a pas non plus adressé de circulaire modificative.
503. Mais, d'une part, il n'est pas reproché aux entreprises mises en cause d'avoir arrêté en commun un même taux de hausse tarifaire. En revanche, l'entente a apporté à chacun des participants une certitude quant à leurs intentions réciproques en matière de fixation des prix, grâce à laquelle chacun d'entre eux pouvait être certain, sinon du niveau exact des prix des autres participants, du moins de leur volonté de maintenir une stratégie commune visant à la fixation de prix plus élevé, et n'avait donc plus à craindre d'agressions concurrentielles ou de rupture de contrat de la part de leurs clients. De surcroît, compte tenu de la durée de l'entente, une entreprise arrêtant son taux de hausse avant les réunions du Conseil de Métiers pouvait mettre sa confiance dans le fait que ses concurrents poursuivraient une même politique de hausse tarifaire, de sorte que la fixation par cette entreprise du taux de hausse annuel restait influencée par sa participation à l'entente. En tout état de cause, la société BMVirolle ne s'est pas contentée de recevoir des informations sensibles sur la politique tarifaire de ses concurrents, mais en a communiqué sur sa propre politique tarifaire, y compris à des entreprises qui, à cette date, n'avaient pas encore adressé leur circulaire de hausse tarifaire à leur clientèle.
504. D'autre part, quelle que soit la date à laquelle les échanges d'informations ont eu lieu - avant ou après l'envoi de la circulaire de hausse tarifaire -, leur caractère anticoncurrentiel procédait également de l'exploitation de ces informations par chaque entreprise dans le cadre des négociations avec sa clientèle. En effet, comme les rapporteurs l'ont souligné dans leur rapport (§ 979), un tel partage d'informations a été reproché aux entreprises mises en cause en ce qu'il avait pour objectif la " maîtrise de l'augmentation annuelle des tarifs des prestations ", neutralisant ainsi la négociation commerciale avec la clientèle, puisque la connaissance, le plus tôt possible, d'informations sur les concurrents permettait à chaque participant de renforcer sa confiance dans la négociation, en lui permettant de s'assurer que sa propre demande était cohérente avec le reste du marché.
505. Ainsi, le fait que la société BMVirolle n'ait participé aux échanges d'informations qu'après avoir fixé le taux de hausse annuelle qu'elle entendait réclamer à sa clientèle, ne prive pas ces échanges de leur caractère anticoncurrentiel.
506. Au demeurant, la société BMVirolle reconnaît elle-même (mémoire récapitulatif, § 191) que, pour la campagne 2009-2010, elle a diffusé sa circulaire de hausse tarifaire après la réunion du Conseil de Métiers du 17 septembre 2009, à laquelle elle a participé.
507. Son moyen sera donc rejeté.
- Sur le caractère public des hausses
508. La société BMVirolle rappelle d'abord qu'elle entretient des relations de sous-traitance avec certains de ses concurrents, lesquels, en conséquence, se trouvent inclus dans son fichier clients. Elle fait valoir ensuite qu'elle avait communiqué ses hausses tarifaires à ses clients avant les réunions litigieuses du Conseil de Métiers et en conclut que les informations échangées au cours de ces réunions étaient déjà publiques, de sorte que leur connaissance par une autre entreprise relevait d'une simple " veille concurrentielle " et qu'en conséquence les échanges ultérieurs n'avaient aucun caractère anticoncurrentiel. Elle invoque, à l'appui de cette argumentation, les Lignes directrices de la Commission européenne sur l'applicabilité de l'article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale, la jurisprudence européenne (TUE, arrêts Tate & Lyle e.a./Commission, précité, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191/98, T-212/98 à T-214/98) et la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence (décision n° 07-D-16 du 9 mai 2007 relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales), qui auraient consacré le principe selon lequel les échanges d'informations appartenant au domaine public n'ont aucun objet anticoncurrentiel.
509. La communication par une entreprise d'informations tarifaires déjà publiques à ses concurrents ne constitue pas, par définition, une infraction aux règles de concurrence ; mais, ainsi que la jurisprudence l'a régulièrement rappelé, et en particulier le Tribunal de l'Union dans son arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, précité, le caractère public des informations en cause doit s'apprécier eu égard à la difficulté et au coût de leur acquisition, de sorte que le caractère anticoncurrentiel de l'échange de telles informations procède de " l'augmentation artificielle de la transparence du marché " qui est susceptible d'en résulter.
510. Au cas d'espèce, la connaissance par les entreprises mises en cause des circulaires de hausse de leurs concurrents, obtenues au moyen d'une veille concurrentielle, dépendait par définition de la bonne volonté des clients qui en étaient les destinataires directs et de l'idée qu'ils se faisaient de leurs intérêts dans la négociation, puisqu'ils pouvaient être tentés de ne faire connaître à leurs partenaires que les circulaires comportant des taux de hausse qui leur étaient favorables. Cette connaissance avait donc nécessairement un caractère aléatoire que, précisément, les échanges d'information ont fait disparaître, de sorte que la transparence du marché s'en est trouvée artificiellement augmentée. De surcroît, en portant elle-même à la connaissance de ses concurrents le contenu des circulaires adressées aux clients, l'entreprise leur fournissait une information précieuse sur sa détermination à obtenir les hausses tarifaires projetées. Il est sans effet sur ce point que certains concurrents aient été ses clients dans le cadre de la sous-traitance, dès lors que tous ces concurrents n'étaient pas ses clients.
511. Le moyen est en conséquence rejeté.
- Sur la transmission à la société Graveleau de la circulaire tarifaire de la société Mory
512. Parmi les éléments factuels démontrant, selon elle, que les entreprises mises en cause avaient échangé des informations tarifaires relatives à la campagne 2006-2007, l'Autorité a relevé que le dirigeant de la société BMVirolle avait, le 8 novembre 2006, adressé au président de la société Graveleau une copie de la circulaire de hausse de la société Mory qu'il venait de recevoir (décision attaquée, § 411 et 893 à 897).
513. La société BMVirolle conteste le caractère probant de cette transmission en faisant valoir, en premier lieu, que la circulaire de la société Mory avait été précédemment diffusée le 5 octobre 2006 et que, par conséquent, elle avait depuis cette date un caractère public.
514. Mais la simple antériorité de la diffusion de sa circulaire tarifaire par la société Mory à ses clients ne suffit pas, à elle seule, à établir que cette circulaire était à ce point publique que sa transmission ultérieure par la société BMVirolle à la société Graveleau était dépourvue de tout caractère anticoncurrentiel. Il ressort, en effet, du dossier que cette transmission a artificiellement augmenté la transparence du marché, dans la mesure où tous les concurrents n'étaient pas, à cette date, déjà informés de cette circulaire. C'est ainsi que la société Graveleau, l'ayant reçue de la société BMVirolle, l'a faite suivre par courrier électronique à plusieurs de ses cadres dans les termes suivants : " Je vous invite à prendre connaissance de la circulaire adressée par Monsieur G..., PDG de MORY TEAM. Elle conforte la position que nous avons prise concernant nos revalorisations et l'accent que nous avons mis sur les frets Nord / Sud. S'agissant des lots et charges complètes, la position de Monsieur G... me paraît très pragmatique. Je considère que nous devrons nous en inspirer concernant la majoration pendant la période juin à septembre (...) " (décision attaquée, § 895). Les termes mêmes de ce courrier électronique démontrent que pas plus son auteur que ses destinataires n'avaient déjà connaissance de la circulaire de la société Mory, dont, par ailleurs, il n'est nullement établi qu'ils auraient pu se la procurer autrement.
515. En deuxième lieu, la société BMVirolle souligne que cette circulaire lui avait été communiquée par la société Mory dans le cadre du partenariat qu'elle entretenait avec celle-ci, dont elle était sous-traitante. Elle ajoute qu'elle était également sous-traitante de la société Graveleau, et qu'en conséquence, la transmission de cette circulaire ne peut être retenue contre elle à titre d'élément à charge, comme l'a fait l'Autorité, alors que celle-ci a elle-même exclu les relations de sous-traitance des pratiques reprochées.
516. Mais la cour observe, d'une part, que l'Autorité a retenu, à titre d'éléments de preuve établissant la réalité des échanges d'informations reprochés à la société BMVirolle, non pas que celle-ci avait reçu la circulaire de hausse tarifaire de la société Mory, mais qu'elle l'avait ensuite communiquée à la société Graveleau. D'autre part, si les relations de sous-traitance entre les sociétés BMVirolle et Graveleau ne sont pas discutées, la requérante se méprend sur les conséquences que l'Autorité en a tirées : celle-ci, ainsi qu'elle l'indique dans ses observations (§ 186), n'a exclu les prestations réalisées dans le cadre d'une sous-traitance que pour le calcul de la valeur des ventes, afin d'éviter d'intégrer dans cette valeur deux fois le même chiffre d'affaires. L'exclusion des relations de sous-traitance n'a donc été opérée que pour la détermination du montant de la sanction, mais pas au stade de la caractérisation des pratiques.
517. En troisième lieu, la société BMVirolle soutient qu'en tout état de cause, cette communication avait pour cadre une relation verticale, étrangère, par conséquent, à l'entente horizontale qui est l'objet du grief n° 2.
518. Mais cette assertion est démentie par l'usage même que la société Graveleau a fait de la circulaire que lui avait transmise la société BMVirolle. Cette circulaire a en effet été ensuite communiquée à plusieurs de ses cadres, par un courrier électronique dont les termes ont été rappelés plus haut et qui démontrent qu'elle a tiré profit de la connaissance qu'elle avait de la politique tarifaire de ses concurrents.
519. Au demeurant, la communication par la société BMVirolle de la circulaire de la société Mory s'inscrit dans une série de nombreux échanges des circulaires de revalorisation tarifaire auxquels plusieurs entreprises mises en cause ont procédé en octobre et novembre 2006 (décision attaquée, § 405 à 412). Ces échanges ont permis aux entreprises destinataires de prendre connaissance des hausses tarifaires proposées par leurs concurrents alors que les négociations avec leurs propres clients étaient en cours.
- Sur le compte rendu par la société Heppner de la réunion du 15 janvier 2009
520. S'agissant de la campagne 2008-2009, l'Autorité a considéré que les échanges d'informations durant l'été 2008 et lors de la réunion du Conseil de Métiers du 18 septembre 2008, cohérentes avec le comportement sur le marché des entreprises mises en cause, avaient ensuite donné lieu à un suivi de leur part. Elle a fondé ce constat sur des notes manuscrites, saisies dans les locaux de la société Heppner, se rapportant " très probablement " à une réunion du Conseil de Métiers du 15 janvier 2009 (décision attaquée, § 485). Ces notes comportent des mentions relatives aux hausses tarifaires ou prix des sociétés DHL, Ziegler, Gefco, Schenker-Joyau, Geodis et BMVirolle.
521. S'agissant de cette dernière société, il est indiqué : " BMV : dec. difficile dont on sort honorablement du fait des plans d'économie. Campagne de hausse très difficile. Jusqu'à présent beaucoup d'autonomie des centres de décision -> centralisation + forte avec tableaux de bord à la journée. Pb social " (pièce n° 6 de la société BMVirolle).
522. L'Autorité en a conclu que les entreprises, dont la société BMVirolle, ayant participé à la réunion du 15 janvier 2009 avaient continué à échanger sur l'évolution de la campagne tarifaire 2008-2009 après l'envoi de leurs circulaires et effectué ensemble un bilan ex post des négociations avec leurs clients respectifs (décision attaquée, § 486).
523. La société BMVirolle conteste qu'il en soit ainsi. Elle fait valoir qu'elle n'a pas communiqué de données chiffrées, mais qu'elle n'a livré, au vu notamment du déficit qu'elle avait subi sur son activité de messagerie express, qu'un commentaire très général qu'on ne saurait considérer comme une communication d'informations sensibles. Elle souligne qu'il ressort d'ailleurs des notes de la société Heppner que les préoccupations des participants à la réunion du 15 janvier 2009 portaient plus sur l'état général du marché que sur les taux de hausse tarifaire, dans le contexte de crise qui affectait à cette époque l'ensemble du secteur de la messagerie.
524. Mais, ainsi que l'Autorité l'a relevé au paragraphe 901 de la décision attaquée, les notes manuscrites saisies dans les locaux de la société Heppner comportent plusieurs mentions relatives aux résultats des négociations tarifaires des entreprises présentes, ce dont il se déduit que la société BMVirolle a eu connaissance de ces informations stratégiques pour ses négociation futures. Par ailleurs, celle-ci a communiqué à ses concurrents des données se rapportant à sa propre situation relativement à la mise en œuvre des hausses tarifaires précédemment décidées. L'ensemble de ces échanges ont faussé le jeu de la concurrence.
ß. Sur la campagne tarifaire 2009-2010
525. L'Autorité a considéré que la réunion du Conseil de Métiers du 17 septembre 2009 avait été le cadre d'échanges d'informations sur les hausses tarifaires des participants (décision attaquée, § 487 à 494).
526. La société BMVirolle, qui souligne que sa participation à l'entente en cause n'a été retenue que sur la base d'un seul élément, la présence d'un de ses représentants à cette réunion, fait valoir qu'elle n'a pu divulguer à cette occasion aucune information, puisque ses taux de hausse n'étaient pas encore fixés à cette date. Elle ajoute qu'elle n'a pas pu profiter des informations dont elle aurait eu connaissance puisqu'elle a reporté la date de révision annuelle de ses tarifs, habituellement fixée au 1er octobre de chaque année, au 1er janvier 2010, afin de tenir compte des conséquences de la loi, alors en discussion au Parlement, instituant la " taxe carbone ".
527. Mais, ainsi qu'il a été précédemment rappelé au paragraphe 265 du présent arrêt, il est de jurisprudence constante, tant nationale que de l'Union, que la participation d'une entreprise à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel suffit, sauf si elle s'en est distanciée publiquement, à considérer qu'elle a participé à l'entente en résultant, quand bien même elle n'aurait pas communiqué d'informations aux autres participants, puisque par cette simple participation passive, l'entreprise donne à penser qu'elle souscrit aux résultats de la réunion et qu'elle s'y conformera.
528. La société BMVirolle conteste, cependant, que ces principes puissent être appliqués en l'espèce, car elle soutient que le caractère anticoncurrentiel de la réunion du 17 septembre 2009 n'est nullement démontré.
529. Mais force est de constater que cette allégation est démentie par les pièces du dossier qui, à l'inverse, établissent le caractère anticoncurrentiel des discussions qui ont eu lieu lors de cette réunion. En effet, son ordre du jour ayant été précédemment diffusé aux participants, l'un d'entre eux, la société Sernam, a envoyé le 10 septembre 2009 à la responsable du Conseil de Métiers un courrier électronique ainsi rédigé :
" Concerne : ordre du jour de la Commission "Messagerie-Express" (...) Je suis surpris de ne pas voir à l'ordre du jour la hausse tarifaire 2010. Nous avions convenu en juin, d'aborder ce sujet (...) Merci de faire part de cette demande à M. S.... Je profite de la présente pour vous confirmer ma présence à cette réunion " (décision attaquée, § 330).
530. La responsable du Conseil a, le même jour, répondu par le courrier électronique suivant :
" (...) J'ai pris connaissance de votre mail.
Comme vous le savez, je me dois d'être vigilante dans l'intitulé des points visés à l'ordre du jour. Ceci pour éviter à la fois à TLF comme aux entreprises membres du conseil présentes les risques de contrôles et de sanctions financières de la part du conseil de la concurrence d'où ma prudence. cet aspect est traité dans un point 1 dit conjoncture... etc.
à l'oral les participants évoquent les thèmes qu'ils souhaitent " (décision attaquée, § 331).
531. Les termes mêmes de ces échanges attestent, sans doute possible, comme la cour l'a déjà relevé, du caractère anticoncurrentiel des discussions auxquelles la réunion du Conseil de Métiers a donné lieu. Dès lors, la présence de la société BMVirolle à cette réunion établit, faute de s'être publiquement distanciée de son contenu, sa participation à l'entente qui a eu pour objet la campagne 2009-2010, même s'il n'est pas démontré qu'elle aurait, à l'occasion de cette réunion, communiqué des informations aux autres participants. La circonstance que cette société aurait repoussé dans le temps la date de la révision annuelle de ses tarifs et qu'elle n'aurait informé que le 1er décembre 2009 ses collaborateurs des taux à appliquer au 1er janvier 2010 est sans incidence sur cette démonstration. En effet, n'ayant pas encore, à la date de la réunion du Conseil de Métiers, déterminé le taux de ses hausses, elle était à même de tenir compte, pour cette détermination à venir et pour ses négociations avec ses clients, des informations que les autres participants y ont divulguées relativement aux tarifs qu'ils envisageaient d'appliquer.
532. En conclusion, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que la société BMVirolle avait participé à l'entente au cours des campagnes tarifaires 2006-2007, 2008-2009 et 2009-2010 et les moyens par lesquels elle les conteste sont rejetés.
C. Sur la nature d'infraction par objet des griefs n° 1 et n° 2
533. L'Autorité a relevé que les pratiques visées par les griefs n° 1 et n° 2 avaient eu pour objectif de réduire la part d'incertitude, inhérente à toute négociation commerciale, sur les déterminants du prix, afin d'améliorer la position de négociation des entreprises de messagerie et avaient consisté en une concertation sur des éléments du prix grâce à des échanges fréquents de données précises, individualisées et stratégiques couvrant des paramètres du prix futur (décision attaquée, § 657 à 659).
534. Au terme d'un examen du contexte économique et juridique ainsi que des objectifs des réunions de la fédération TLF (décision attaquée, § 666 à 700), l'Autorité a retenu que les concertations portant sur un élément de prix (décision attaquée, § 701 à 704 et § 726 à 729) constituaient des pratiques dont l'objet était anticoncurrentiel et qui étaient contraires aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce (décision attaquée, § 764).
535. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, Geodis, ainsi que XPO contestent l'analyse de l'Autorité.
1. Sur l'erreur de méthodologie alléguée
536. Rappelant les termes de la pratique décisionnelle de la Commission, de la jurisprudence de la Cour de justice, notamment, son arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C-67/13 P, dit " arrêt Groupement des Cartes bancaires "), ainsi que les conclusions de l'avocat général dans cette affaire et dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de cette Cour du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C-413/14 P), les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post contestent la qualification de restriction de concurrence par objet des pratiques sanctionnées.
537. Elles reprochent à l'Autorité d'avoir procédé à une application erronée de ce concept juridique aux éléments factuels relevés au titre des deux griefs.
538. Elles font valoir que l'Autorité a fondé la caractérisation de la nocivité des pratiques non sur la teneur des pratiques, les objectifs des entreprises et le contexte économique et juridique dans lequel elles se sont inscrites, mais sur des références jurisprudentielles, de surcroît inopérantes, et, lorsque les références étaient pertinentes, de ne pas avoir suivi la démarche préconisée dans les affaires citées, puisqu'elle a caractérisé la nature " par objet " de l'infraction en se référant au simple type d'infraction (une prétendue entente horizontale sur les prix).
539. Elles rappellent que, par principe, le droit de la concurrence ne sanctionne pas la forme des pratiques, mais leurs effets anticoncurrentiels, ce qui implique que, pour qu'une autorité de poursuite puisse conclure qu'une pratique sous examen est nocive par nature, cette autorité doit démontrer, avec une probabilité supérieure à une simple potentialité, qu'un comportement donné puisse restreindre la concurrence.
540. Ainsi, selon elles, la question qui se pose face à une pratique est de savoir si, dans le contexte juridique et économique donné de cette pratique, celle-ci possède un degré de nocivité manifeste, car elle est à même de restreindre la possibilité de choix de l'acheteur et/ou de barrer l'accès au marché aux concurrents. Elles déduisent de cette affirmation que l'Autorité ne pouvait, sans inverser la logique de l'analyse à tenir, débuter celle-ci en présumant qu'elle était nocive, avant même d'analyser l'ensemble du contexte juridique et économique, analyse qui pouvait seule lui permettre d'aboutir à cette conclusion.
541. Dès lors, l'Autorité en s'appuyant sur sa conclusion a priori, énoncée au paragraphe 668 de la décision attaquée, selon laquelle les pratiques ont un objet anticoncurrentiel " dès lors qu'elles visent à fausser l'évolution normale des prix sur le marché ", aurait commis une erreur de droit qui se traduirait notamment au paragraphe 700 de la décision attaquée, dans lequel l'Autorité réserve l'analyse du contexte à la définition de la sanction et non à l'analyse du caractère manifeste ou non de la nocivité des pratiques visées.
542. La société Geodis critique elle aussi la méthode adoptée par l'Autorité et soutient que celle-ci a, de façon erronée, qualifié les pratiques en cause de restriction de concurrence " par objet " en se fondant sur la simple constatation que les informations échangées auraient porté sur des éléments de prix.
543. Afin d'éclairer le jugement de la cour, les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post l'invitent à poser à la Cour de justice les quatre questions préjudicielles suivantes portant sur l'interprétation de l'arrêt Groupement des Cartes bancaires, précité :
" Premièrement, l'arrêt Carte Bancaire (...) doit-il être interprété comme exigeant que dans tous les cas où l'on s'interroge sur la violation éventuelle de l'article 101§1 TFUE (...), une interprétation restrictive de la notion de restriction par objet soit faite en menant une analyse de (i) l'objectif, et (ii) du contexte économique et juridique desdites mesures, sans qu'il soit suffisant pour faire application de l'article 101§1 TFUE de faire une simple référence sans aucune analyse telle que susvisées à des jurisprudences qualifiées de " comparables " ? ;
Deuxièmement, (...) une telle analyse ne devrait-elle pas être obligatoire lorsqu'il résulte des faits de l'espèce que le contexte économique et juridique des mesures examinées est (...) par exemple, l'autorité nationale de concurrence doit se départir de ses propres règles de fixation des amendes du fait d'une intervention des pouvoirs publics ayant provoqué et encadré très précisément la mesure qualifiée d'anticoncurrentielle et créé au minimum (...) une " confusion " dans l'esprit des particuliers, ou encore qu'un même élément de coût s'est retrouvé répercuté en totalité dans les prix de chacun des concurrents essentiellement du fait que les taux de marges réduites ou négatives de l'industrie considérée ne permettaient pas (...) qu'ils soient absorbés de manière spécifique par chaque opérateur, ou encore que le contre-pouvoir des acheteurs reconnu par les autorités publiques, forçait les opérateurs à répercuter simultanément de telles hausses ? ;
Troisièmement, peut-il être considéré qu'une pratique d'échange d'informations portant directement ou indirectement sur des éléments de prix caractérise, " de façon automatique ", une restriction de concurrence par objet ? ;
Quatrièmement, dans l'hypothèse d'une réponse positive, " la Cour de justice pourrait-elle donner des éléments d'information sur la façon de caractériser une situation comparable ? Notamment quel serait le rôle du contexte économique et juridique des deux situations comparées ".
544. L'Autorité estime que ces moyens ne sont pas fondés.
545. Elle expose que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, elle a fait une exacte application de la notion de pratiques concertées anticoncurrentielles par objet au sens de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, telle qu'interprétée par la jurisprudence de l'Union.
546. À ce titre, elle rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante que les pratiques concertées, prenant la forme d'échanges d'informations sur les éléments de détermination du prix payé par le client, constituent des restrictions de concurrence par objet, même en l'absence de lien direct avec les prix à la consommation. Elle souligne également que la Cour de justice a jugé que " l'échange d'informations entre concurrents poursuit un objet anticoncurrentiel lorsqu'il est susceptible d'éliminer les incertitudes quant au comportement envisagé par les entreprises concernées " (CJUE, arrêts T-Mobile Netherlands e.a., précité, points 36 à 43 et 63, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C-286/13 P, points 123 à 125).
547. Elle fait valoir qu'elle ne s'est pas arrêtée à une approche purement formelle des échanges en cause pour démontrer la nature anticoncurrentielle de leur objet, mais qu'au contraire, elle a examiné en détail la teneur et la finalité des pratiques, avant d'apprécier leur nocivité, le contexte économique lié aux hausses du prix du carburant, ainsi que le contexte juridique relatif à la réaction des pouvoirs publics à cette hausse de prix.
548. L'Autorité soutient encore qu'il n'y a pas lieu de poser les questions préjudicielles proposées par les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post. Elle fait valoir que celles-ci seraient dépourvues de pertinence, puisqu'elle n'a nullement, dans la décision attaquée, qualifié les pratiques concertées des griefs n°1 et 2 de pratiques anticoncurrentielles par objet sans analyser leurs objectifs et le contexte économique et juridique dans lequel elles s'insèrent.
549. Le ministre chargé de l'Économie conclut au rejet des moyens des sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post. Il estime qu'au regard de la jurisprudence et des caractéristiques des pratiques, la démarche de l'Autorité doit être validée et qu'elle a pu valablement considérer que les pratiques en cause présentaient intrinsèquement un degré suffisant de nocivité sur le jeu de la concurrence. Il estime que les questions préjudicielles proposées sont dénuées de pertinence et qu'il n'y a donc pas lieu de les poser.
550. Le Ministère public partage cette analyse.
551. La Cour de justice a rappelé, aux points 49 à 51 de son arrêt Groupement des Cartes bancaires, précité, les principes commandant l'existence d'une restriction par objet en ces termes :
" 49. [...] il ressort de la jurisprudence de la Cour que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts [du 30 juin 1966], LTM, 56/65, [...] points 359 et 360 ; [du 20 novembre 2008, Beef Industry Development et Barry Brothers, C-209/07], point 15 ; ainsi que [du 14 mars 2013,] Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11,[...] point 34 et jurisprudence citée).
50. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (voir en ce sens, notamment, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a. [...] point 35 ainsi que jurisprudence citée).
51. Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu'il peut être considéré inutile, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché (voir en ce sens, notamment, arrêt [du 30 janvier 1985,] Clair, 123/83, [...] point 22). En effet, l'expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs. "
552. Aux points 57 et 58 du même arrêt, la Cour de justice a rappelé que " la notion de restriction de concurrence "par objet" ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire " et elle a précisé que le caractère de nocivité en soi à l'égard de la concurrence de la coordination en cause était le " critère juridique essentiel " pour déterminer que l'examen des effets n'était pas nécessaire.
553. Enfin, elle a précisé, au point 53 dudit arrêt que, " [s]elon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d'apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d'association d'entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par "objet" au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE [devenu article 101, paragraphe 1, du TFUE] de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère. Dans le cadre de l'appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (voir, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., [...] point 36 ainsi que jurisprudence citée) ".
554. Il ressort de l'énoncé de ces principes, d'une part, que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence et que les comportements collusoires tels que ceux conduisant à une fixation horizontale des prix sont tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs, en particulier sur les prix, qu'il n'est pas nécessaire d'en rechercher les effets concrets, d'autre part, qu'en tout état de cause, la nocivité d'une pratique ne peut être établie sans un examen de la teneur de l'accord ou de la coordination en cause, des objectifs poursuivis ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel la concertation s'est inscrite.
555. Au regard de ces précisions, le fait pour l'Autorité d'avoir rappelé un certain nombre de références jurisprudentielles dans lesquelles des pratiques de concertation, en particulier portant sur des éléments de prix, ont été considérées comme ayant un objet anticoncurrentiel (décision attaquée, § 619 à 633) ne constitue pas une erreur de méthode de sa part ni ne permet de considérer, comme le font les requérantes, qu'elle aurait statué a priori. En effet, l'Autorité ne s'est pas bornée à ce rappel de jurisprudence, puisqu'ensuite, après avoir souligné l'importance de l'examen du contexte économique et juridique des pratiques (décision attaquée, § 634 à 640), elle a examiné de manière concrète et pour chacun des griefs, le contenu des pratiques concernées (décision attaquée, § 643 à 647), leur teneur et leur finalité (décision attaquée, § 657 à 659) et enfin, la conscience des objectifs anticoncurrentiels poursuivis (décision attaquée, § 660 à 662).
556. C'est à juste titre que l'Autorité a relevé, au paragraphe 668 de la décision attaquée, qu'il résulte de la jurisprudence qu'elle a précédemment citée que les pratiques portant sur des éléments du prix ont un objet anticoncurrentiel, dès lors qu'elles visent à fausser l'évolution normale des prix sur le marché. Ce rappel des analyses de la jurisprudence antérieure ne constitue pas une analyse a priori des pratiques de l'espèce, mais une étape de l'analyse à laquelle l'Autorité devait procéder. Si elle a ajouté, au même paragraphe, que les pratiques d'échanges d'informations précises portant sur les prix futurs sont qualifiées par la jurisprudence d'ententes horizontales sur les prix et donc d'anticoncurrentielles par leur objet même, elle ne s'est toutefois pas limitée à cette affirmation et elle a bien examiné en l'espèce le contexte économique et juridique dans lequel les pratiques reprochées ont été mises en œuvre afin de vérifier si ce contexte conduisait à la confirmation du principe précédemment énoncé. Le bien-fondé de cette analyse sera examiné par la cour dans les développements qui suivent.
557. Enfin, si, au terme de son examen des arguments des parties sur le contexte économique et juridique, l'Autorité conclut, au paragraphe 700 de la décision attaquée, qu' " [a]insi l'objet anticoncurrentiel des pratiques reprochées ne peut qu'être constaté " et que " [l]es éléments précités du contexte seront pris en compte au stade de l'appréciation de la sanction ", il ne se déduit nullement de cette formulation, contrairement à ce que soutiennent les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, que le contexte économique et juridique n'a pas été pris en compte, mais seulement que, tout en considérant que les éléments invoqués par ces sociétés n'étaient pas de nature à atténuer le constat de la nocivité des pratiques, l'Autorité a estimé qu'ils méritaient d'être examinés dans le cadre de la détermination du montant de la sanction.
558. Il s'ensuit que l'Autorité n'a pas commis d'erreur de droit dans la méthode d'analyse de l'existence d'infractions par objet.
2. Sur la caractérisation de pratiques anticoncurrentielles par objet concernant le grief n° 1
559. Ainsi qu'il a été relevé précédemment, les pratiques ont consisté en une concertation entre entreprises. Elles ont porté sur un élément de coût, à savoir la répercussion de la hausse du prix du gazole, ce dernier constituant une composante importante du coût des prestations de messagerie (décision attaquée, § 184) puisqu'il représente le deuxième poste de coût des entreprises de messagerie (décision attaquée, § 186). Par ailleurs, cette concertation a concerné la majorité des principaux acteurs des secteurs de la messagerie classique et de la messagerie express (décision attaquée, § 319), lesquels ont adressé une ou plusieurs circulaires à la quasi-totalité de leurs clients pour les informer de la répercussion et de la méthode commune employée. Elle visait à opposer un front commun aux clients des entreprises de messagerie afin que ceux-ci ne recherchent pas auprès d'autres prestataires une offre ne répercutant pas la hausse du gazole (décision attaquée, § 226 à 229).
560. Ces pratiques se sont inscrites dans un contexte juridique, exposé aux paragraphes 166 à 170 et analysé aux paragraphes 688 à 699 de la décision attaquée, se caractérisant par une obligation pour les entreprises de transport public routier de marchandises de pratiquer des prix qui ne soient pas inférieurs au coût de la prestation de services, c'est-à-dire à l'ensemble des charges réellement supportées, au nombre desquelles celles de carburant. Cependant, ainsi que l'Autorité l'a justement relevé au paragraphe 183 de la décision attaquée, ces dispositions n'imposaient aucune méthodologie particulière de répercussion de l'évolution des charges sur les prix des prestations.
561. Par ailleurs, ces pratiques se sont déroulées dans un contexte économique, analysé aux paragraphes 679 à 687 de la décision attaquée, notamment marqué par une forte hausse du prix du gazole qui a duré pendant toute la période de leur mise en œuvre
562. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les pratiques d'entente ont concerné un élément de coût qui devait être répercuté par les entreprises de messagerie dans leurs prix et qui en constituait un élément particulièrement important. Cependant, ainsi que l'a retenu à juste titre l'Autorité et comme il sera précisé ci-dessous, ce coût pouvait être répercuté d'autres façons que celle dont les parties ont convenu et selon d'autres méthodes, ce qui aurait permis que leurs clients puissent discuter de cette répercussion et de son montant dans le cadre des discussions tarifaires, situation que les parties voulaient justement éviter.
563. De telles pratiques, généralisées à la quasi-totalité des entreprises du secteur et qui, dans le contexte d'augmentation du prix du gazole, faisaient obstacle à ce que les entreprises se fassent concurrence quant à la méthode et au moment de répercussion de cette hausse, instauraient entre les entreprises un climat de concurrence atténuée. Elles ne pouvaient, en outre, qu'avoir des conséquences sur les prix et favoriser leur hausse.
564. La cour observe à ce sujet que, même si cette concertation n'a pas directement concerné le prix des prestations, elle entre néanmoins dans la catégorie des pratiques concertées ayant pour objet la fixation des prix, car elles faussent le jeu de la concurrence et ont les mêmes effets nocifs d'augmentation des prix ou d'entrave à leur baisse.
565. Il est connu et reconnu par l'expérience acquise et la science économique que les accords ou les pratiques concertées visant à maintenir les équilibres entre opérateurs en concurrence sur un marché sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, en ce qu'ils aboutissent à amoindrir le degré de concurrence entre eux et à figer le marché.
566. De même, les comportements consistant pour les opérateurs d'un marché à se concerter et fixer ensemble un élément de leurs prix sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, car ils font obstacle à la libre fixation des prix qui doit prévaloir sur les marchés. Ainsi, au point 21 des lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité (2004/C 101/08), la Commission cite les pratiques de fixation des prix comme exemple des comportements qui, au regard des objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence, sont tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs sur la concurrence, qu'il est inutile, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE (devenu l'article 101, paragraphe 3, du TFUE), de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché. Dans un arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission (C-469/15 P, point 107), la Cour de justice a rappelé que, pour les accords de prix ou les accords ayant pour objet la fixation des prix, " qui constituent des violations particulièrement graves de la concurrence, l'analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s'insère peut [...] se limiter à ce qui s'avère strictement nécessaire en vue de conclure à l'existence d'une restriction de la concurrence par objet ".
567. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent que l'Autorité a commis deux erreurs manifestes d'appréciation des faits.
568. La première, en assimilant, au paragraphe 682 de la décision attaquée, la situation de l'espèce à une entente secrète (du type de celle rencontrée dans l'arrêt T-Mobile Netherlands e.a., précité) en réaction à une situation économique pour laquelle les pouvoirs publics n'ont offert aucune indication ou conseil, alors que les parties ont, de façon transparente, appliqué une répercussion intégrale de la taxe gazole selon une méthodologie utilisant les éléments principaux recommandés à plusieurs reprises " et dans un contexte pénal par les pouvoirs publics (i.e. la mensualisation et le pied de facture) ".
569. La seconde, en prétendant aux paragraphes 683 à 700 de la décision attaquée, contre toute analyse objective de la situation, que d'autres solutions existaient, qui représentaient des alternatives à une répercussion intégrale des coûts du gazole ainsi qu'à l'usage d'une méthodologie incluant en particulier une répercussion mensuelle et un pied de facture, cependant que le contre-pouvoir reconnu à la clientèle est écarté de l'analyse du contexte économique (décision attaquée, § 687) pour être réduit à une simple circonstance atténuante.
570. Ces requérantes soutiennent, à l'inverse, que le contexte économique, marqué par une marge quasi nulle des opérateurs, et juridique, caractérisé par une pression de la législation et des pouvoirs publics en faveur d'une répercussion uniforme et intégrale par les entreprises des augmentations du prix du gazole, ne permettait pas de conclure que l'accord en cause présentait un degré suffisant de nocivité pour être analysé comme une restriction de concurrence par objet.
571. Ces reproches ne sont pas fondés.
572. En effet, en premier lieu, la prétendue assimilation erronée, au paragraphe 682 de la décision attaquée, des faits de l'espèce à l'affaire T-Mobile Netherlands e.a., précitée, dans laquelle l'entente avait été secrète et mise en œuvre en réaction à un contexte où les pouvoirs publics n'avaient prodigué aucun conseil ni donné aucune indication, n'est pas constituée. L'Autorité, dans ce paragraphe, a seulement rappelé le motif d'une décision de la Commission [décision n° 2005/566/CE du 9 décembre 2004 relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire C.37. 533 - Chlorure de choline)], qui ne concerne d'ailleurs pas ladite affaire, par lequel la Commission a précisé que le fait qu'une entreprise puisse ne pas réaliser de profits avec une activité commerciale donnée ne l'autorise pas à conclure une entente secrète avec les concurrents en vue de tromper les clients et les autres concurrents. Une telle citation, qui ne fait que rappeler un principe constant du droit de la concurrence national et de l'Union, n'assimile en rien deux affaires qui ne seraient pas comparables. Au demeurant, et concernant d'autres parties de la décision attaquée, dans lesquelles l'Autorité a fait référence à l'arrêt T-Mobile Netherlands e.a., précité, la cour relève, d'une part, que les différences entre cette affaire et celle de l'espèce n'interdisent nullement que les principes qui sont énoncés par la Cour de justice dans sa motivation puissent être cités par l'Autorité, dès lors qu'ils constituent des principes de portée générale, d'autre part, que l'entente par laquelle les parties en cause en l'espèce ont convenu de répercuter le seul coût du gazole de manière individualisée et selon une méthodologie commune, n'était pas dévoilée aux clients et était bien secrète à leur égard.
573. En second lieu, l'Autorité n'a pas non plus commis d'erreur d'appréciation en retenant que, face à l'augmentation du prix du gazole, les entreprises de messageries pouvaient adopter d'autres solutions que celle de procéder à une répercussion en pied de facture de ce seul coût et selon une méthode d'évaluation commune. En effet, avant de s'entendre sur ce point plusieurs entreprises de messagerie procédaient d'autres façons et, d'ailleurs, les participantes ont, lors de la réunion du Conseil de Métiers du 8 juin 2005, envisagé de réintégrer la " taxe carburant ", c'est-à-dire la surcharge gazole, dans le tarif général.
574. C'est encore à juste titre que l'Autorité a considéré que le contre-pouvoir des clients des entreprises de messageries n'était pas de nature à diminuer la nocivité des pratiques en cause. En effet, si ce contre-pouvoir était une réalité, les pratiques avaient précisément pour objet de le limiter. D'ailleurs, ainsi que le relève l'Autorité aux paragraphes 264 et 275 de la décision attaquée, le procédé n'a pas, ou peu, été discuté par les clients, qui auraient pourtant pu le faire, ce qui montre que le contre-pouvoir ainsi invoqué n'a pas fonctionné et atteste qu'il s'est trouvé particulièrement amoindri par l'entente.
575. Par ailleurs, la circonstance selon laquelle certains opérateurs réalisaient une marge quasi nulle, invoquée par les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, est inopérante dans le cadre de l'appréciation du caractère particulièrement nocif des pratiques en cause. Elle ne permet pas, en effet, d'atténuer cette nocivité à l'égard du jeu de la concurrence qui doit s'effectuer entre elles. De même, le fait que la pratique de prix inférieurs à l'intégralité des coûts soit susceptible de faire l'objet de poursuites pénales ne saurait justifier que les entreprises de messagerie puissent s'entendre sur une méthode de répercussion d'un élément de coût afin de faire obstacle au jeu de la concurrence entre elles. L'Autorité n'a donc pas commis d'erreur d'appréciation en ne tenant pas compte de cet élément dans le contexte juridique des pratiques en cause.
576. Enfin, l'éventuel défaut d'intérêt pour la société DHL de participer à l'entente ne relève pas de la qualification des pratiques, mais de la question de sa participation à celles-ci. Il ne saurait en conséquence être reproché à l'Autorité de ne pas avoir fait état de cette situation particulière, invoquée par la requérante, dans le cadre de son appréciation de la nature de restriction par objet du grief n° 1.
577. C'est en conséquence à juste titre qu'au regard de l'ensemble de ce qui précède, l'Autorité a considéré que les pratiques visées par le premier grief constituaient une pratique anticoncurrentielle par leur objet et les moyens contestant cette analyse doivent être rejetés.
3. Sur la caractérisation de pratiques anticoncurrentielles par objet concernant le grief n°2
578. Les pratiques relevant du grief n° 2 ont, ainsi qu'il a été décrit précédemment, consisté pour les entreprises en cause, durant la période écoulée entre le 30 septembre 2004 et le 29 septembre 2010, d'une part, en des échanges annuels d'informations commerciales sur les hausses de tarifs qu'elles projetaient d'appliquer à leurs clients, avant le début des négociations tarifaires menées avec eux, d'autre part, en cours de campagne tarifaire, en des échanges sur le résultat de ces négociations qui ont permis un suivi des informations échangées précédemment et, enfin, en un rappel à l'ordre d'une entreprise déviante, afin qu'elle respecte le taux d'augmentation qu'elle avait annoncé, lors de la réunion précédente.
579. Ces pratiques ont été mises en œuvre par la quasi-totalité des acteurs du secteur de la messagerie classique et de la messagerie express et permis ainsi une transparence renforcée des tarifs du secteur.
580. Elles étaient destinées à permettre aux participants de négocier à leur avantage l'augmentation des prix des prestations de messagerie, de situer leurs hausses dans une fourchette de taux préalablement arrêtée entre concurrents et de communiquer des dates de hausses dans une période restreinte, connue à l'avance, ceci, sans avoir à craindre d'agressions concurrentielles ou de rupture de contrat de la part de leurs clients.
581. De plus, les pratiques ont été secrètes, les organisateurs de l'entente prévoyant expressément de rédiger des ordres du jour et des comptes-rendus dans lesquels les concertations n'apparaissent pas, dans l'objectif exprimé d'éviter des poursuites de l'Autorité (décision attaquée, § 516).
582. Le contexte économique et juridique de mise en œuvre de ces pratiques est le même que celui dans lequel se sont développées les pratiques objet du grief n° 1.
583. Il résulte de ce qui précède que les pratiques d'entente ont concerné les hausses globales de tarifs que les entreprises de messageries souhaitaient appliquer lors de la prochaine négociation avec leurs clients et ont été suivies d'autres échanges sur la façon dont s'étaient déroulées ces négociations et sur les hausses finalement appliquées.
584. De telles pratiques, généralisées à la quasi-totalité des entreprises du secteur et qui avaient pour objet de réduire de façon considérable l'opacité relative aux stratégies commerciales en matière de hausse de prix de chacune d'elles, ne pouvaient qu'avoir des conséquences sur les prix et favoriser leur hausse de façon artificielle. La cour observe à ce sujet que, même si ces concertations n'ont pas directement concerné le prix des prestations, elles entrent néanmoins dans la catégorie des accords ayant pour objet la fixation des prix, car, ainsi qu'il a été précisé aux paragraphes 564 à 566 du présent arrêt, elles faussent le jeu de la concurrence et ont les mêmes effets nocifs d'augmentation des prix ou d'entrave à leur baisse. Ainsi que l'a pertinemment précisé l'Autorité, aux paragraphes 739 et 740 de la décision attaquée, le taux de hausse tarifaire, " [...] fondement des négociations commerciales avec l'ensemble de la clientèle, [...] permettait de cristalliser la situation acquise, de mobiliser toutes les forces commerciales d'une entreprise autour de cet objectif commun et enfin de simplifier l'analyse des résultats d'un cycle de négociation annuel [....]. En outre, compte tenu du nombre de clients gérés par un même prestataire, de la diversité des prestations offertes donnant lieu à autant de tarifs spécifiques et de la complexité inhérente au fonctionnement d'un réseau de transport, le taux de hausse tarifaire était le seul élément sur lequel il était possible de mettre en place une coordination entre concurrents ". Il est donc sans portée, contrairement à ce que soutient la société Geodis, que les prix de base des prestations de chaque entreprise de messagerie soient restés ignorés des autres opérateurs et n'aient pu être reconstitués. En effet, par leur concertation, les entreprises étaient assurées, d'une part du taux de hausse de leurs concurrents ou de la fourchette de ce taux, d'autre part, que leurs clients seraient dissuadés de négocier les hausses proposées, voire placés dans l'impossibilité de trouver auprès de nombre de leurs concurrents des taux de hausse moindre.
585. Ainsi, les pratiques en cause n'ont pas concerné un simple comportement futur, comme le prétend la société Geodis, mais des taux de hausses à appliquer aux tarifs des parties à la concertation. Si, comme cette société le fait valoir, il ne peut, en théorie économique, être affirmé qu'un échange d'informations portant sur un comportement futur est systématiquement anticoncurrentiel, il n'en demeure pas moins que, si ce comportement futur est l'application d'une hausse de prix à un taux sur le montant duquel les parties échangent au préalable et peuvent s'aligner entre elles, la pratique comporte un degré de nocivité particulier pour le jeu de la concurrence. Tel était bien le cas en l'espèce.
586. Cette analyse est confirmée par l'arrêt du Tribunal de l'Union du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission (T-655/11), qui, notamment, énonce aux points 456 à 458 que : " 456 [...] même à supposer que les prix réels facturés par la suite n'aient pas correspondu aux intentions de prix échangées par les parties, le fait qu'une pratique concertée n'a pas d'incidence directe sur le niveau des prix n'empêche pas de constater qu'elle a limité la concurrence entre les entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêts [du Tribunal du 20 mars 2002] Dansk Rørindustri/Commission, [T-21/99,] point 140, et [du 14 mars 2013,] Dole Food et Dole Germany/Commission, [T-588/08,] point 546).
457 Il convient, à cet égard, de relever que les prix effectivement pratiqués sur un marché sont susceptibles d'être influencés par des facteurs externes, hors du contrôle des membres d'une entente, tels que l'évolution de l'économie en général, l'évolution de la demande dans ce secteur particulier ou le pouvoir de négociation des clients (arrêt Dole Food et Dole Germany/Commission, [précité,] point 547).
458 Ainsi, la fixation d'un prix, même simplement indicatif, affecte le jeu de la concurrence par le fait qu'elle permet à tous les participants à l'entente de prévoir avec un degré raisonnable de certitude quelle sera la politique de prix poursuivie par leurs concurrents. Plus généralement, de telles ententes comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné. En effet, en exprimant une volonté commune d'appliquer un certain niveau de prix à leurs produits, les producteurs concernés ne déterminent plus de manière autonome leur politique sur le marché, portant ainsi atteinte à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence (voir arrêt [du Tribunal du 8 juillet 2008,] BPB/Commission, [T-53/03,] point 310, et la jurisprudence citée). [...] "
587. La société Geodis reproche encore à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte, dans son appréciation du contexte économique des pratiques et de leur nocivité, d'une part, de ce que, au moment où les réunions du Conseil de Métiers avaient lieu, une partie des informations divulguées était déjà passée et publique, d'autre part, du fait qu'aucune négociation n'intervenait entre les entreprises de messagerie et nombre de leurs clients et, enfin, de ce que, compte tenu des rapports de sous-traitance qui existent entre les entreprises de messagerie, le secteur se caractérise par une " particulière transparence ".
588. Ces critiques, qui font abstraction de la réalité des objectifs et de la portée des pratiques, sont inopérantes. En effet, en échangeant sur les taux de hausse qu'elles projetaient de réclamer à leurs clients ou qu'elles avaient déjà communiqués à ceux-ci, les entreprises mises en cause s'assuraient ainsi, pour celles n'ayant pas envoyé leurs circulaires tarifaires à leurs clients, des taux appliqués par les autres entreprises et, pour celles qui les avaient déjà adressées, de leur positionnement par rapport aux autres. Les unes et les autres se sont ainsi prémunies contre le risque que leurs clients rompent leurs contrats pour contracter avec un concurrent auprès duquel ils auraient trouvé des taux inférieurs d'augmentation. À tout le moins, elles ont été en mesure d'apprécier l'importance de ce risque, et ce à un moment crucial, celui de la négociation des taux de hausse avec leurs clients.
589. Si, à la suite des réunions annuelles initiales, les participantes à la concertation ont échangé des informations passées et en partie publiques sur les hausses finalement retenues et acceptées par certains clients, ces informations provenant des entreprises elles-mêmes leur permettaient de s'assurer de la fiabilité de celles précédemment échangées et leur évitaient d'avoir à réaliser un travail de veille concurrentielle complexe, fastidieux et incertain. Les échanges constatés ont ainsi accru la transparence du marché et diminué significativement l'incertitude qui résulte du jeu normal de la concurrence.
590. S'agissant de l'absence de négociations alléguée concernant certains clients, la cour observe qu'en ce qui concerne les petits clients, qui se voient appliquer automatiquement les hausses, les pratiques de concertation sur le taux de hausse ne pouvaient qu'avoir une influence sur le montant des prestations qui n'était pas discuté ; quant aux clients grands comptes, lesquels, au contraire, négociaient le principe et l'ampleur des hausses, ces négociations étaient nécessairement faussées par la connaissance qu'avaient les entreprises de messagerie de la volonté de leurs concurrents d'obtenir de ce type de clients des hausses dont ils connaissaient de surcroît le montant.
591. La société Geodis fait aussi valoir que les pratiques d'échanges en cause ne pouvaient avoir aucun effet sur le marché, car, en ce qui la concerne, ses taux d'augmentation étaient fixés avant les réunions et elle ne les modifiait pas ensuite et, lorsque ses concurrents modifiaient leurs propres taux, ils le faisaient à la baisse. Elle ajoute que les informations étaient dépourvues d'effet stratégique du fait de la transparence du marché et que le contre-pouvoir de négociation des clients a neutralisé les effets éventuels des pratiques reprochées.
592. Cependant, comme il vient d'être rappelé au paragraphe 588 du présent arrêt, les échanges permettaient aux parties participantes à la concertation de s'assurer des taux d'augmentation de leurs concurrents et de se prémunir contre les réactions des clients qui auraient souhaité faire jouer la concurrence entre les entreprises. Il s'ensuit que le fait que la société Geodis ait pu transmettre à ses clients les augmentations qu'elle envisageait avant les réunions de concertation est sans effet sur le constat de la nocivité des pratiques en cause, de même qu'est sans portée le fait que certains participants aient finalement réduit le montant de la hausse envisagée ou communiquée lors des réunions. Contrairement à ce que soutient cette société, le montant du taux de hausse envisagé était bien une information stratégique, la veille concurrentielle invoquée par elle étant fastidieuse et coûteuse à accomplir et, en tout état de cause, moins fiable que des informations émanant directement des concurrents. Il en est de même de l'information à laquelle les entreprises en cause auraient pu accéder, dans le cadre des activités de sous-traitance développées entre elles. Ces activités, en effet, ne leur permettaient pas de connaître à l'avance les taux de hausse de tarifs que leurs concurrents envisageaient de proposer ou d'appliquer à leurs clients, ni de renforcer leur position de négociation vis-à-vis de ceux-ci. Enfin, le contre-pouvoir de certains clients, invoqué par la société Geodis, n'était pas de nature à faire obstacle à la nocivité des pratiques en cause dans la mesure où, grâce à leurs échanges, les entreprises de messagerie se trouvaient en position de contrebalancer le pouvoir de négociation de leurs clients et d'y résister.
593. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent que l'Autorité a commis trois erreurs manifestes d'appréciation des faits.
594. La première résulterait de l'assimilation entre la veille concurrentielle généralisée chez les opérateurs et les informations ciblées et spécifiques qu'ont échangées les membres du " noyau dur " des participants à l'entente. La deuxième serait une contradiction entre, d'un côté, l'indication que la société DHL opérait sur le segment de la messagerie classique, pour lequel il n'existe pas de tarif standard, celui-ci étant négocié avec les clients (décision attaquée, § 50), de l'autre, l'affirmation qu'il serait possible de s'entendre avec des opérateurs de messagerie express sur une hausse de prix (décision attaquée, § 53). La troisième erreur d'appréciation de l'Autorité résulterait de l'absence de réponse aux arguments de ces requérantes, d'une part, sur la distanciation de la société DHL, d'autre part, sur l'absence d'intérêt pour elle, compte tenu de sa situation financière, de n'augmenter ses tarifs que de quelques points, alors que seules des mesures d'augmentation de 12 à 15 % auraient été pertinentes.
595. Cependant, même à les supposer démontrées, ces trois erreurs alléguées, propres à la société DHL, sont sans portée pour la qualification d'infraction par objet qui vise les seules pratiques dans leur contexte économique et juridique et ne dépend pas de la situation individuelle de telle ou telle entreprise qui y aurait pris part.
596. À titre surabondant, la cour relève qu'aucun de ces reproches n'est fondé.
597. En effet, il a déjà été constaté, aux paragraphes 379 à 392 du présent arrêt, qu'il n'est pas démontré que la société DHL se serait distanciée des pratiques en cause. Il est, par ailleurs, inexact de prétendre que l'Autorité aurait reconnu que l'activité de la société DHL n'était que de messagerie classique. La cour renvoie à ce sujet aux paragraphes 81 et 82 de la décision attaquée, dont il résulte que l'activité de cette société concernait les activités de messageries classique et express.
598. Il n'est, en outre, pas contradictoire, ainsi qu'il a été dit précédemment, de retenir à la charge de la société DHL une concertation sur les taux d'augmentation qui étaient réclamés à la clientèle au début de chaque campagne tarifaire, tout en relevant que les taux effectivement appliqués étaient négociés le plus souvent client par client, puisque les taux réclamés étaient, de ce fait même, le seul élément sur lequel il était possible de mettre en place une coordination entre concurrents (voir paragraphe 584 du présent arrêt).
599. Enfin, la prétendue absence d'intérêt de la société DHL pour l'entente compte tenu de sa situation financière, quand bien même serait-elle établie, ne constituerait qu'un élément à prendre en compte dans le cadre de la démonstration de sa participation aux pratiques, mais cet élément n'a aucune portée sur la qualification d'infraction par objet. Au demeurant, au paragraphe 483 du présent arrêt, la cour a rejeté cet argument.
600. Compte tenu de ce qui précède, et contrairement à ce que font valoir encore les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, il était inopérant de relever que les concertations se sont déroulées au sein de la fédération TLF, et il est inexact de prétendre que les réunions ne pouvaient avoir d'impact sur la concurrence puisqu'elles ne concernaient qu'une fraction des réunions organisées au sein de cette organisation professionnelle. De même, il est sans portée, pour les motifs déjà exposés, que la concertation ait porté sur les taux de hausse des tarifs et non directement sur les prix.
601. Enfin, concernant le moyen que tirent ces requérantes de l'absence de réunions de suivi et de la non-participation à des réunions bilatérales, il y a lieu de relever, d'une part, que, contrairement à ce qu'elles soutiennent et ainsi que l'a relevé l'Autorité aux paragraphes 382 à 386, 421 à 426, 451 à 456, 485 à 486 et 495 à 498 de la décision attaquée, il est démontré que des réunions de suivi ont été tenues au sein du Conseil de Métiers à l'occasion de chaque campagne et que la société DHL a participé à celles des 18 janvier 2007, 15 janvier 2009 ainsi que 28 janvier et 20 mai 2010. D'autre part, qu'elle a, ainsi qu'il a été retenu précédemment, participé à des réunions bilatérales. En tout état de cause, la cour rappelle que l'appréciation de la nocivité de pratiques d'entente s'apprécie globalement, et non séparément pour chaque participant.
602. La société XPO soutient qu'en l'absence de rapports de concurrence entre elle-même et les participants à l'entente, l'Autorité ne pouvait se satisfaire, tout au moins la concernant, des effets possibles des échanges d'information. Cette société oppose que les appels d'offres auxquels elle participe ne donnent pas lieu à des négociations qui l'impliqueraient en même temps que des entreprises de messagerie. Elle ajoute que les clients ne passent pas d'une entreprise de messagerie à un transporteur de palettes pour les mêmes prestations. Elle soutient que le fait qu'elle commercialise des services différents de ceux des participants aux échanges et à des prix substantiellement différents, n'a pas été pris en compte.
603. Cependant, ainsi qu'il a été relevé aux paragraphes 287 à 293 du présent arrêt l'activité de transport par palettes de la société XPO est bien incluse dans le marché de la messagerie classique et express et le moyen ainsi soutenu manque par le fait même qui lui sert de base. Il ne peut en conséquence être reproché à l'Autorité de ne pas avoir recherché si les pratiques visées par le grief n° 2 étaient susceptibles de produire un effet sur le marché prétendument distinct du transport par palettes.
604. C'est en conséquence à juste titre qu'au regard de leur contenu, de leur portée, ainsi que de leur contexte économique et juridique, l'Autorité a considéré que les pratiques de concertation visées par les deux griefs notifiés constituaient, les unes et les autres, des pratiques anticoncurrentielles par objet, sans qu'il soit nécessaire de demander à la Cour de justice des éclaircissements complémentaires sur l'interprétation de l'arrêt Groupement des Cartes bancaires, précité. Dès lors, il n'y a pas lieu de poser les questions préjudicielles suggérées par les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post.
605. Il s'ensuit que l'ensemble des moyens contestant la qualification de pratiques anticoncurrentielles par objet sont rejetés.
606. Il se déduit par ailleurs de l'ensemble de ce qui précède que l'Autorité n'avait pas à rechercher l'étendue des effets concrets des pratiques sur le jeu de la concurrence et qu'il n'y a pas lieu pour la cour d'examiner, au-delà de ce qu'elle a fait dans les développements qui précédent, les moyens des parties relatifs aux effets.
D. Sur la durée des pratiques
607. La société XPO, anciennement Norbert Dentressangle Distribution, fait valoir, à titre subsidiaire, que la durée de sa participation n'est que de trois mois, du 21 juin au 13 septembre 2007, date de la dernière réunion du Conseil de Métiers à laquelle elle a participé, le dossier ne faisant état d'aucune pratique illicite postérieure à cette date la concernant.
608. Au paragraphe 1299 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé que la participation de la société Norbert Dentressangle Distribution, anciennement Darfeuille Service, s'était étendue du 21 juin 2007 au 1er mars 2008. Il résulte des paragraphes 427, 512 et 955 à 968 que la date du 21 juin 2007 est celle de la première réunion du Conseil de Métiers à laquelle a participé la société Darfeuille Services. Il ressort des paragraphes 787 à 794 de la décision attaquée que le 1er mars 2008 correspond à la fin des négociations tarifaires menées entre les entreprises de messagerie et leurs clients au titre de la campagne 2007-2008.
609. La société XPO conteste l'analyse de l'Autorité figurant au paragraphe 1152 de la décision attaquée, selon laquelle " [l]a participation de [la société Norbert Dentressangle Distribution] à l'infraction relative aux hausses tarifaires pour la campagne 2007-2008 n'est donc pas uniquement liée à la participation à des réunions anticoncurrentielles, mais également à l'utilisation qu'elle a pu faire de ces informations jusqu'à la fin de la campagne en cours " et " [c]ette utilisation des informations fait partie intégrante des comportements poursuivis ".
610. Selon la requérante, en effet, d'abord, les discussions tarifaires conduites avec ses clients de septembre 2007 à mars 2008 n'ont pas pu être influencées par les échanges d'informations reprochées, puisque ses clients ne la mettent pas en concurrence avec les entreprises de messagerie qui participaient aux réunions. Les informations échangées lors de ces réunions ne lui auraient donc pas permis de renforcer sa position de négociation et d'améliorer le résultat global de ses hausses tarifaires jusqu'en mars 2008.
611. Ensuite, dans la mesure où les pratiques qui lui sont reprochées ne s'étendaient qu'à une seule campagne, il appartenait à l'Autorité de démontrer que les échanges qui lui sont reprochés auraient eu, ou auraient pu avoir, des effets jusqu'en mars 2008, sans se borner à lui opposer le constat que les campagnes de négociations auraient suivi des cycles annuels de septembre à mars, constat tiré d'une analyse globale des pratiques des entreprises de messagerie de 2004 à 2010. La société XPO soutient à cet égard que, dès l'instant où l'Autorité a fait le choix procédural de retenir une durée d'infraction qui ne soit pas fondée sur les seuls comportements des entreprises (la participation à des échanges), mais sur les effets de ces comportements dans le temps, elle aurait dû vérifier comment les effets des pratiques s'étaient manifestés et jusqu'à quelle date, ce qui aurait supposé d'interroger la requérante sur son mode de négociation des contrats en 2007-2008, ce que l'Autorité n'a pas fait, de sorte qu'il n'est nullement établi, en ce qui la concerne, que ses propres négociations se seraient prolongées tout au long de cette période.
612. Elle ajoute qu'en toute hypothèse l'Autorité se contredit puisqu'en fixant au 1er mars 2008 la cessation de l'infraction, au motif qu'elle aurait bénéficié des échanges d'informations pendant toute la campagne, elle a déterminé la durée de l'infraction en fonction de ses effets, alors qu'elle a choisi de ne la caractériser que par son objet
613. Enfin, n'ayant assuré aucune réunion de suivi des hausses de prix, de l'automne 2007 à mars 2008, elle ne pouvait pas être traitée de la même manière que les entreprises y ayant participé.
614. La société BMVirolle conteste également l'analyse de l'Autorité selon laquelle les pratiques alléguées prenaient fin au mois de mars de chaque année.
615. Elle fait en effet valoir, d'une part, que, ne s'étant livrée à aucune pratique de convergence de ses taux de hausse, dans la mesure où ceux-ci avaient été fixés de façon autonome avant les échanges prétendument anticoncurrentiels, ses négociations tarifaires n'ont pu être impactées par un éventuel phénomène de maintien des taux de hausse à un niveau artificiellement élevé.
616. Elle souligne, d'autre part, que pour les campagnes tarifaires pendant lesquelles elle est censée avoir pris part aux pratiques, l'ensemble des opérateurs avait déjà diffusé leurs hausses tarifaires courant novembre (le 28 novembre 2006, pour la campagne 2006-2007) ou courant décembre (le 14 décembre 2008, pour la campagne 2008-2009, et le 7 décembre 2009, pour la campagne 2009-2010), rendant publics les taux de hausse. Or, dans la mesure où un impact sur les négociations tarifaires ne pouvait, selon elle, avoir lieu que tant que les taux de hausse n'étaient pas publics, les pratiques n'ont pu se poursuivre au-delà, respectivement, du 29 novembre 2006, du14 décembre 2008 et du 7 décembre 2009.
617. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post invitent la cour à tirer les conséquences de ses constatations sur l'absence de participation de la société DHL au grief n° 2 pour tout ou partie des campagnes tarifaires.
618. La société Geodis soutient également que le constat que fera la cour qu'elle n'a pas participé aux pratiques au cours des campagnes tarifaires 2005-2006, 2009-2010 et 2010-2011 l'amènera à retenir une durée de participation au grief n° 2 de deux ans deux mois, entre le 28 septembre 2006 et le 22 décembre 2008, et, partant, à réduire le coefficient lié à la durée de l'infraction à 1,58.
619. Le grief n° 2, tel que notifié, s'il " repos[e] sur des échanges d'informations précises et individualisées sur les hausses tarifaires que les entreprises participantes envisageaient de demander à leurs clients dans le cadre des campagnes annuelles de revalorisation tarifaire ", consiste en " une pratique concertée visant à réduire de façon drastique l'opacité relative aux stratégies commerciales en matière de hausse de prix de chacune des entreprises participant aux réunions et contacts ", dans un objectif de " maîtrise de l'augmentation annuelle des tarifs des prestations de messagerie classique et express, soit la maîtrise d'un élément essentiel de la négociation commerciale (...) substituant au libre jeu de la concurrence une concertation étendue à la majeure partie des entreprises actives " sur les marchés de la messagerie classique et express (décision attaquée, § 517). Par conséquent, l'utilisation des informations recueillies lors des réunions anticoncurrentielles fait partie intégrante des comportements poursuivis.
620. Chacune des entreprises ayant pris part aux échanges d'informations se trouvait en mesure d'exploiter celles-ci dans le cadre de ses négociations avec ses clients, sa position à leur égard s'en trouvant renforcée. La date de fin des pratiques ne correspond donc pas à la date de la dernière réunion à laquelle a participé une entreprise, mais coïncide avec à la fin du cycle annuel de négociations, à l'issue duquel elle a cessé d'exploiter les informations obtenues lors de cette dernière réunion.
621. Quant à la société XPO, anciennement Darfeuille puis Norbert Dentressangle Distribution, en premier lieu, la cour a déjà rejeté, aux paragraphes 287 à 293 du présent arrêt, l'argument de cette requérante selon lequel ses clients ne la mettaient pas en concurrence avec les autres entreprises de messagerie participant aux réunions du Conseil de Métiers.
622. En deuxième lieu, l'Autorité ayant établi à suffisance de droit, en se fondant sur les déclarations concordantes des entreprises en cause et de l'Association nationale des utilisateurs de transport de fret (décision attaquée, § 790 à 793), que la pratique suivie dans le secteur de la messagerie consiste, pour chaque campagne tarifaire annuelle, à négocier les hausses tarifaires avec la clientèle entre septembre et mars de l'année suivante - constat dont, au demeurant, la société XPO ne conteste pas l'exactitude -, il appartenait à cette dernière, qui était seule à même de pouvoir le faire, de rapporter la preuve qu'en ce qui la concerne, et pour la campagne 2007-2008, les négociations avec sa clientèle s'étaient achevées avant le mois de mars. Or, force est de constater que la requérante n'allègue pas, et a fortiori ne démontre pas, que tel aurait été le cas.
623. Par ailleurs, dès lors qu'elle avait recueilli, lors des réunions du Conseil de Métiers des 21 juin, 18 juillet et 13 septembre 2007, des informations sur la politique de hausses tarifaires des autres participants à ces réunions, il était impossible qu'elle n'en tienne pas compte dans le cadre des négociations menées avec ses clients (en ce sens, TUE, arrêts du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, points 122 et 123, et Tate & Lye e.a./Commission, précité, point 58).
624. À cet égard, il n'y a aucune contradiction entre la qualification du grief n° 2 de pratique anticoncurrentielle par objet - qui a dispensé l'Autorité de démontrer, dans la partie de son analyse consacrée à l'établissement des pratiques, qu'elles avaient eu, réellement ou potentiellement, des effets anticoncurrentiels -, et le fait de retenir que la participation de la société XPO aux pratiques avait pris fin à l'issue du cycle de négociation tarifaire de la campagne 2007-2008, fondé sur l'évidence du constat rappelé au paragraphe précédent.
625. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que la participation de la société XPO à l'entente s'était achevée en mars 2008, la cour relevant que l'Autorité a retenu la date du 1er mars et non celle du 31 mars 2008 faute, sans doute, de pouvoir précisément déterminer à quel moment, dans le courant de ce mois, s'étaient achevées les négociations avec la clientèle.
626. Enfin, en dernier lieu, il est indifférent, aux fins de la détermination de la durée de la participation de la société XPO aux pratiques, que celle-ci n'ait pas participé aux réunions de suivi des négociations, tenues les 29 novembre 2007 et 27 mars 2008, dès lors qu'en tout état de cause, et pour les raisons exposées ci-dessus, sa participation aux pratiques s'est poursuivie au travers de l'exploitation qu'elle a faite, dans le cadre des négociations avec ses clients, des informations recueillies lors des réunions des 21 juin, 18 juillet et 13 septembre 2007.
627. Le moyen de la société XPO pris du caractère erroné de la durée des pratiques prise en compte est donc rejeté.
628. Quant à la société BMVirolle, d'une part, ainsi que l'a cour l'a déjà indiqué, à supposer même que la requérante ait fixé ses taux de hausse avant les réunions du Conseil de Métiers et ne les aient pas ensuite modifiés, les échanges d'informations, intervenant en tout état de cause avant l'achèvement des négociations tarifaires avec ses propres clients, lui fournissaient des informations très utiles sur la politique de hausses tarifaires de ses concurrents et améliorait donc nécessairement sa position de négociation individuelle dans ses rapports avec sa propre clientèle.
629. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que, pour la société BMVirolle également, l'utilisation des informations échangées, qui faisait partie intégrante des comportements poursuivis, s'était achevée à la fin du cycle de négociations avec ses propres clients. À cet égard, la cour relève que la société BMVirolle ne conteste pas que ce cycle s'étendait, pour chaque campagne tarifaire, du mois de septembre au mois de mars de l'année suivante.
630. D'autre part, pour les raisons exposées aux paragraphes 509 et 510 du présent arrêt, l'envoi par les entreprises mises en cause de leurs circulaires de hausse tarifaire à leurs clients au cours du cycle annuel de négociations, s'étendant de septembre à mars, n'a pas empêché que la communication de leurs taux de hausses à leur concurrents augmente artificiellement la transparence du marché jusqu'à la fin de ce cycle, de sorte que l'exploitation des informations échangées s'est bien poursuivie chaque année, jusqu'à la fin des négociations.
631. S'agissant de la société DHL, au paragraphe 484 du présent arrêt, la cour a jugé que la participation de la société DHL s'était étendue sur les campagnes 2004-2005 à 2009-2010, soit du 30 septembre 2004 au 1er mars 2009.
632. Enfin, pour ce qui concerne la société Geodis, au paragraphe 372 du présent arrêt, la cour a jugé que la participation de la société Geodis s'était étendue sur les campagnes 2006-2007, 2007-2008, 2008-2009, 2009-2010 et 2010-2011, soit du 28 septembre 2006 au 29 septembre 2010. Cette durée étant inférieure à celle retenue par l'Autorité, il en sera tenu compte dans le calcul de la sanction.
E. Sur l'exemption invoquée au titre du grief n° 1
633. Aux termes des articles 101, paragraphe 3, du TFUE et L. 420-4 I 2° du Code de commerce, les accords entre entreprises qui relèvent des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce peuvent faire l'objet d'une exemption s'ils satisfont aux quatre conditions cumulatives suivantes, prévues par ces dispositions, dont les parties doivent rapporter la preuve : l'accord doit contribuer au progrès économique, il doit être nécessaire et proportionné à la réalisation de gains d'efficacité, il doit réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit en résultant et il ne doit pas donner aux entreprises la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.
634. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, auxquelles l'Autorité a refusé le bénéfice de cette exemption (décision attaquée, § 712 à 725), contestent l'analyse au terme de laquelle leur demande a été rejetée et maintiennent que les conditions d'application de ces dispositions sont, en l'espèce, réunies.
635. Elles soutiennent que les pratiques en cause ont permis la réalisation d'un progrès économique résultant de ce que la répercussion du gazole avait pour objectif de permettre aux entreprises de couvrir leurs coûts et de se maintenir sur le marché, favorisant de ce fait le maintien de l'emploi dans une conjoncture économique particulièrement défavorable à l'ensemble du secteur.
636. Cependant, ainsi que l'a rappelé la Cour de justice dans son arrêt Intel/Commission, précité (point 134), " [p]ar définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l'innovation (voir, notamment, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, [...] point 22 et jurisprudence citée) ". Il s'ensuit que l'objectif de permettre aux entreprises de couvrir leurs coûts et de se maintenir sur le marché, favorisant de ce fait le maintien de l'emploi, ne peut, à soi seul et par principe, constituer un progrès économique. Tel est encore moins le cas en l'espèce, dès lors qu'il n'est pas contesté que le secteur connaissait, à l'époque des pratiques et durablement, des surcapacités. En outre, les difficultés du secteur, qui sont anciennes et multiples (voir, sur ce point, les paragraphes 24 et suivants de la décision attaquée), ne sauraient se réduire à l'augmentation du prix du carburant et il ne peut être sérieusement soutenu que l'entente sur la répercussion de la surcharge gazole selon une méthodologie commune aux entreprises du secteur était de nature à sauvegarder l'emploi et la concurrence dans ce secteur.
637. La contribution au progrès économique n'étant pas démontrée, il n'y a pas lieu d'examiner si les autres conditions, qui sont cumulatives, étaient remplies.
638. À titre surabondant, la cour relève qu'en tout état de cause, tel n'était pas le cas.
639. Concernant la troisième condition, les sociétés requérantes font valoir que les utilisateurs ont tiré un bénéfice des pratiques résultant, d'une part, du maintien d'un nombre élevé d'opérateurs sur le marché et donc d'une plus vive concurrence, d'autre part, de l'application d'une méthodologie claire, appliquée de manière individualisée, mensuellement et en pied de facture, qui a permis aux clients de bénéficier de prestations transparentes et objectives.
640. Or, ainsi qu'il a été relevé précédemment, les pratiques avaient justement pour objectif d'empêcher que les clients des entreprises de messagerie se tournent vers la concurrence pour tenter d'obtenir d'autres conditions tarifaires plus favorables. Les sociétés requérantes ne sauraient, dans ces circonstances, légitimement invoquer le maintien de la concurrence comme un bénéfice tiré par leurs clients des pratiques. De plus, ces sociétés n'apportent aucun élément permettant de vérifier que l'application d'une méthodologie commune et selon une grille d'appréciation commune permettait aux clients de bénéficier de conditions qui leur soient favorables et de profiter du progrès économique qu'elles invoquent.
641. Sur la deuxième condition, selon laquelle la pratique doit être nécessaire et proportionnée à la réalisation de gains d'efficacité, les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent que la méthodologie de répercussion appliquée était la seule envisageable et la moins restrictive en ce qu'elle ne faisait que répondre à des contraintes opérationnelles. Elles exposent, à ce sujet, que le fait d'isoler le coût de l'augmentation du gazole par la mention en pied de facture était la solution la plus simple techniquement et que la mensualisation était une exigence économique nécessaire pour s'adapter à la pratique de facturation mensuelle du secteur, le législateur ayant par la loi du 5 janvier 2006, consacré cette méthodologie.
642. Cependant, si la solution adoptée était effectivement simple et d'autant plus pratique qu'elle était adoptée par l'ensemble des membres de la concertation, aucun élément produit par les requérantes ou tiré du dossier ne permet d'affirmer que seul ce procédé permettait d'accéder au progrès économique prétendu, à savoir le maintien des entreprises sur le marché.
643. Il suit de ce qui précède que, à supposer même que la concertation n'ait pas abouti à l'élimination de la concurrence, les conditions d'octroi du bénéfice de l'exemption n'étaient pas remplies concernant le premier grief. C'est donc à juste titre que l'Autorité a refusé ce bénéfice aux sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post dont les moyens sur ce point sont rejetés.
F. Sur l'imputation du grief n° 2 aux sociétés mères
644. L'Autorité a, aux paragraphes 1040 et suivants de la décision attaquée, exposé les principes qui gouvernent l'imputabilité à une société mère des pratiques anticoncurrentielles dont sa filiale est l'auteur. Elle a rappelé qu'en droit interne comme en droit de l'Union, le comportement d'une filiale peut être imputé à sa société mère, notamment, lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Elle a également rappelé que dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur du comportement infractionnel, une présomption réfragable s'applique selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. La société mère est alors tenue solidairement au paiement de la sanction pécuniaire infligée à sa filiale, sauf si elle parvient à renverser la présomption, en démontrant que celle-ci s'est comportée de façon autonome sur le marché.
645. Au cas d'espèce, l'Autorité a considéré que l'application de ces principes conduisait à retenir que plusieurs sociétés et entité mères avaient exercé une influence déterminante sur leur filiale auteur des pratiques et, en conséquence, les a condamnées solidairement avec cette dernière.
646. Deux d'entre elles, l'EPIC SNCF Mobilité, entité mère de la société Geodis, et la société XPO Logistics Europe, société mère de la société XPO, contestent que les pratiques reprochées à leur filiale puissent leur être imputées, faute d'avoir exercé une influence déterminante sur leur comportement.
1. Sur l'imputation à l'EPIC SNCF Mobilité des pratiques reprochées à la société Geodis
647. Depuis son offre publique d'achat (ci-après l'" OPA ") sur la société Geodis en juillet 2008, l'EPIC SNCF Mobilités détient la totalité du capital de cette société.
648. Ayant établi la participation de la société Geodis aux pratiques objet du grief n° 2, l'Autorité a, aux paragraphes 1079 et suivants de la décision attaquée, examiné si la responsabilité solidaire de SNCF Mobilités devait être retenue. Elle a considéré qu'aucun élément du dossier ne permettait d'écarter la présomption selon laquelle l'EPIC SNCF Mobilités exerçait une influence déterminante sur sa filiale Geodis, dont l'autonomie commerciale alléguée n'était pas démontrée et qui était unie à lui par des liens organisationnels, juridiques et économiques. Elle a, en conséquence, décidé que la sanction pécuniaire de 96 062 000 euros prononcée contre la société Geodis, auteur des faits, serait supportée solidairement par l'EPIC SNCF Mobilités à hauteur de 88 899 000 euros, compte tenu de la date à partir de laquelle il en a détenu l'intégralité du capital.
649. L'EPIC SNCF Mobilités conteste cette décision et prétend démontrer qu'en dépit des liens organisationnels, économiques et juridiques l'unissant à sa filiale Geodis, il n'exerçait pas sur celle-ci une influence déterminante qui justifierait qu'il soit solidairement condamné avec elle.
650. Il rappelle, au préalable, que le groupe Geodis est né en 1995 du regroupement de plusieurs entreprises (Bourgey Montreuil, Sceta Transport, Sceta International, Compagnie Générale Calberson) contrôlées par la SNCF et que celle-ci, autorisée par un décret du 20 août 1996 à céder au secteur privé la majorité du capital de ce groupe, en était actionnaire avec, jusqu'en juillet 2008, une participation au capital et des droits de vote toujours inférieurs à 50 %. Il expose que durant cette période, la société Geodis, à la tête d'un groupe de près de 300 filiales, s'était dotée d'une structure organisationnelle propre et autonome par rapport à la SNCF, son actionnaire de référence, et qu'aucun de ses dirigeants opérationnels ni aucun membre de son comité exécutif n'était issu de la SNCF, et elle précise que le conseil d'administration de la société Geodis, composé de douze membres, comptait entre cinq et six administrateurs seulement issus de la SNCF ou désignés par elle.
651. L'EPIC SNCF Mobilités soutient ensuite que l'OPA lancée en juillet 2008, à l'issue de laquelle il a détenu tout le capital de la société Geodis, n'a eu aucun impact sur l'autonomie de celle-ci, dont ni les dirigeants, ni la structure de gouvernance, ni l'organisation fonctionnelle, ni le " business model " n'ont été modifiés. Il précise que la stratégie commerciale de la société Geodis ne relevait pas du conseil d'administration de celle-ci, mais de deux autres organes - son Comité exécutif (Comex) et son Comité des opérations - totalement déconnectées de lui-même. Il produit plusieurs attestations d'administrateurs et dirigeants affirmant que la société Geodis était, sur le plan commercial, autonome par rapport à lui.
652. Enfin, l'EPIC SNCF Mobilités fait valoir que sa nature juridique particulière, qui l'amène à faire face à des missions de service public, ainsi que la multiplicité de ses participations et la taille du groupe Geodis, font obstacle à l'exercice effectif d'une influence déterminante sur celui-ci.
653. Dans ses observations devant la cour, l'Autorité affirme que les éléments avancés par l'EPIC SNCF Mobilités sont insuffisants à renverser la présomption d'influence déterminante et renvoie aux paragraphes 1079 et suivants de la décision attaquée, dans lesquels elle a considéré que l'autonomie commerciale de la société Geodis n'était pas démontrée, compte tenu, en particulier, des liens organisationnels, économiques et juridiques l'unissant à l'établissement public.
654. Aucun des éléments avancés par l'EPIC SNCF Mobilités, et parmi eux les attestations qu'il produit, ne suffit à renverser la présomption selon laquelle il exerçait une influence déterminante sur sa filiale Geodis, pour la période postérieure à l'OPA de 2008.
655. En effet, et ainsi que l'Autorité l'a relevé dans la décision attaquée, l'OPA de 2008 a entraîné la mise en place de procédures visant au contrôle par l'EPIC SNCF Mobilités des engagements de la société Geodis présentant des enjeux financiers importants et au suivi de ses performances financières. Par ailleurs, l'EPIC SNCF Mobilités entretenait avec sa filiale des liens de gouvernance, dont témoigne, notamment, la composition du conseil d'administration de celle-ci. Enfin, comme l'Autorité l'a rappelé à juste titre dans la décision attaquée, il ressort des pièces versées au dossier par l'EPIC que celui-ci entendait, au moyen de l'OPA lancée en 2008, " regrouper à terme tous les moyens et toutes les compétences existant dans le groupe SNCF " et attendait de cette opération " un renforcement de son contrôle c'est-à-dire la possibilité de constituer avec Geodis, voire autour de Geodis, la Branche Transport et Logistique ", de sorte qu'il " bénéficierait de la forte complémentarité de son portefeuille clients avec celui de Geodis, du réseau commercial de Geodis en Europe et du savoir-faire de cette dernière en matière de gestion de contrats de logistique et de système d'information " (décision attaquée, § 1106).
656. L'ensemble de ces liens organisationnels, économiques et juridiques établit ainsi, faute pour le requérant de renverser la présomption résultant de la détention par lui de la totalité du capital de la société Geodis, qu'il exerçait sur celle-ci une influence déterminante, qui justifie qu'il supporte solidairement le paiement de la sanction pécuniaire prononcée, dans la mesure correspondant à la durée de cette détention.
2. Sur l'imputation à la société XPO Logistics Europe des pratiques reprochées à la société XPO Distribution France
657. Depuis le 17 décembre 2007, la société Norbert Dentressangle, devenue XPO Logistics Europe, détient 100 % du capital de la société Darfeuille Services, successivement renommée Norbert Dentressangle Distribution puis XPO (décision attaquée, § 116 à 121 et 1146).
658. Aux paragraphes 1145 à 1159 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu la responsabilité solidaire de la société Norbert Dentressangle à compter du 17 décembre 2007. Elle a souligné que cette société ne fournissait aucun élément qui démontrerait l'absence d'influence déterminante de sa part sur la société auteur des pratiques devenue, à cette date, sa filiale. Elle a, en conséquence, décidé que la sanction pécuniaire de 9 718 000 euros prononcée contre la société Norbert Dentressangle Distribution, devenue la société XPO, auteur des faits, serait supportée solidairement par la société Norbert Dentressangle, devenue la société XPO Logistics Europe, à hauteur de 2 876 000 euros, compte tenu de la date à partir de laquelle elle en a détenu l'intégralité du capital.
659. La société XPO Logistics Europe rappelle, en préambule, qu'afin de garantir les droits de la défense et l'accès à la justice de la société mère, la jurisprudence a consacré le caractère réfragable de la présomption selon laquelle la société détenant la totalité du capital de sa filiale exerce une influence déterminante sur le comportement de celle-ci.
660. Elle soutient, à titre principal, qu'aucun comportement répréhensible ne peut, en l'espèce, être reproché à la société XPO après le 13 septembre 2007, date de la dernière des trois réunions du Conseil de Métiers au cours desquelles des informations sensibles relatives à la campagne 2007-2008 auraient été échangées.
661. Elle en conclut que, puisqu'elle n'a pris le contrôle de sa filiale qu'en décembre 2007, elle ne saurait se voir imputer la moindre responsabilité solidaire, quand bien même la présomption d'influence déterminante serait jugée applicable.
662. À titre subsidiaire, la société XPO Logistics Europe fait valoir qu'au cas où la cour considérerait que les pratiques reprochées à la société XPO se sont prolongées jusqu'au mois de mars 2008, il conviendrait alors de constater qu'elles ne résultent que du comportement passé de cette société, lequel a consisté dans sa participation aux trois réunions du Conseil de Métiers des 21 juin, 18 juillet et 13 septembre 2007, puisqu'il est établi qu'elle n'a ensuite pris part, même d'une façon passive, à aucun échange d'informations, en particulier lors des réunions des 27 novembre 2007 et 27 mars 2008 auxquelles elle n'était pas présente.
663. Elle soutient que, dans ces conditions, et quand bien même il serait admis qu'elle exerçait sur la société XPO une influence déterminante depuis le 17 décembre 2007, elle n'avait aucun moyen d'influencer ou de faire cesser le comportement de cette dernière, à laquelle aucun agissement répréhensible n'était plus reproché. Selon la requérante, la solution contraire aboutirait à faire peser sur elle une responsabilité sans faute, en violation des principes de la présomption d'innocence et de la personnalité des peines, énoncés, respectivement, à l'article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
664. En premier lieu, il est constant que la société Darfeuille Services, devenue Norbert Dentressangle Distribution puis XPO, n'a participé aux échanges d'informations en cause que jusqu'au 13 septembre 2007, date de la dernière des réunions du Conseil de Métiers auxquelles elle ait assisté. En outre, il ne lui est pas reproché de s'être livrée, ultérieurement, à des échanges d'informations en dehors du cadre de ces réunions.
665. Mais, ainsi que la cour l'a jugé aux paragraphes 619 à 627 du présent arrêt, sa participation aux pratiques doit cependant être considérée comme s'étant prolongée jusqu'au mois de mars 2008, date de la fin des négociations tarifaires engagées avec sa clientèle puisqu'elle a pu, dans le cadre de ces négociations, exploiter les informations sensibles qui avaient été portées précédemment à sa connaissance, renforcer sa position à l'égard de ses clients et ainsi améliorer le résultat global de ses hausses tarifaires, qui n'est définitivement appréciable qu'à la fin de chaque campagne.
666. Le moyen développé à titre principal par la société XPO Logistics Europe doit donc être rejeté.
667. En second lieu, il n'est pas reproché à la société XPO Logistics Europe, au titre de l'influence déterminante qu'elle exerçait sur la société XPO, anciennement Darfeuille Services, depuis le 17 décembre 2007, d'avoir personnellement pris part aux pratiques en cause ou d'en avoir été complice. Toutefois, la société XPO exerçant, du 17 décembre 2007 au mois de mars 2008, une influence déterminante sur sa filiale XPO, elle formait avec celle-ci une unité économique unique, cette seule circonstance justifiant de lui imputer, pour cette période, les pratiques anticoncurrentielles en cause.
668. Par ailleurs, contrairement à ce qu'elle soutient, la société XPO Logistics Europe aurait pu agir pour mettre fin, fût-ce partiellement, aux conséquences des échanges d'informations intervenus entre sa filiale et ses concurrents. En effet, il lui incombait, au titre de son influence déterminante, d'exiger de sa filiale qu'elle se distancie des pratiques concertées auxquelles celle-ci avait précédemment pris part, en faisant ainsi savoir aux autres participants à cette concertation qu'ils ne devaient plus escompter qu'elle s'efforcerait d'obtenir de ses clients les taux de hausse qu'elle avait initialement envisagés et qu'elle recouvrait une totale liberté dans les négociations avec sa clientèle. Une telle démarche aurait rétabli, dans toute la mesure du possible et jusqu'à la fin des négociations menées par les concurrents, une opacité, que l'entente avait précisément pour objet de faire disparaître, concernant le comportement de sa filiale.
669. C'est donc à juste titre que l'Autorité a solidairement sanctionné la société Norbert Dentressangle, devenue la société XPO Logistics Europe, au prorata de la durée pendant laquelle elle a été la société mère de la société Norbert Dentressangle Distribution, anciennement Darfeuille Services, devenue la société XPO.
IV. SUR LE CALCUL DES SANCTIONS PÉCUNIAIRES
A. Sur la sanction du grief n° 1
670. Aux paragraphes 1166 à 1173 de la décision attaquée, l'Autorité a exposé les raisons pour lesquelles, conformément au point 7 de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le " communiqué sanctions "), et au vu des circonstances très particulières de l'espèce, elle s'écarterait de la méthode décrite dans ce communiqué pour préférer un mode de fixation forfaitaire de la sanction.
671. Considérant que la gravité des pratiques objet du grief n° 1 devait être relativisée (décision attaquée, § 1174 à 1179) et que le dommage qu'elles avaient pu causer à l'économie était limité (décision attaquée, § 1180 à 1190), l'Autorité a jugé plus pertinent d'appliquer une sanction forfaitaire, soulignant qu'un tel mode de calcul est plus favorable aux entreprises (décision attaquée, § 1191).
672. L'Autorité a alors regroupé les entreprises en trois catégories " pour refléter le poids économique respectif de chacune d'entre elles " et appliqué trois niveaux de sanction, de respectivement 50 000 euros, 100 000 euros et 200 000 euros (décision attaquée, § 1192).
1. En ce qui concerne la société DHL
673. L'Autorité a fixé la sanction encourue par la société DHL, anciennement Ducros Euro Express, à 200 000 euros (décision attaquée, § 1192). C'est à ce montant que cette société a été condamnée, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) et Deutsche Post, ses sociétés mères, par l'article 3 de la décision attaquée.
674. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post font valoir, d'une part, que la décision attaquée est insuffisamment motivée en ce qui concerne la méthode de calcul de la sanction, ne permettant pas de comprendre sur quels critères l'Autorité s'est fondée pour définir les trois tranches de montants forfaitaires retenus.
675. D'autre part, les requérantes soutiennent qu'en infligeant à la société DHL une amende de 200 000 euros au titre du grief n° 1, l'Autorité a violé les principes d'individualisation de la sanction et de proportionnalité. Elles soulignent, notamment, qu'il n'a été tenu aucun compte du fait que l'instruction a révélé l'existence de nombreux contacts bilatéraux et multilatéraux entre les entreprises impliquées, autres que la société DHL.
676. Les requérantes demandent donc à la cour, à titre principal, d'annuler la décision attaquée en tant qu'elle leur a infligé une sanction de 200 000 euros au titre du grief n° 1.
677. Subsidiairement, elles lui demandent de réformer la sanction et de juger que, au vu des circonstances très particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu d'imposer une amende ou, si une sanction est infligée, elle doit être à tout le moins d'un montant symbolique.
678. L'Autorité répond qu'elle a fixé le montant des sanctions forfaitaires en fonction de la position relative de chaque entreprise, c'est-à-dire de son poids économique, sur le marché concerné. Elle précise qu'elle a classé les entreprises sanctionnées en trois catégories en fonction de la valeur de leurs ventes au cours de l'année 2005, année de référence, et communique un tableau explicitant la méthode suivie, dans lequel apparaît notamment la valeur des ventes pour chaque entreprise.
679. En réponse aux observations de l'Autorité, les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post font valoir qu'il est inacceptable pour une autorité de concurrence de n'informer les justiciables qu'a posteriori de la motivation réelle de sa décision. Elles ajoutent que la valeur des ventes attribuée, dans le tableau communiqué par l'Autorité, à la société DHL en 2005 - 328 427 972 euros - ne correspond pas au montant communiqué par cette société à l'Autorité.
680. Force est de constater que la décision attaquée, en tant qu'elle a déterminé les montants des sanctions forfaitaires infligées au titre du grief n° 1, est insuffisamment motivée.
681. En effet, au paragraphe 1192 de la décision attaquée, l'Autorité s'est bornée à dire qu'elle regrouperait les entreprises en trois catégories " pour refléter le poids économique respectif de chacune d'entre elles ", la lecture du tableau figurant au même paragraphe permettant de comprendre qu'en fonction de leur appartenance à l'une ou l'autre de ces trois catégories, les entreprises se sont vu infliger une sanction de 50 000, 100 000 ou 200 000 euros.
682. Il était donc impossible, à la lecture de la décision attaquée, de comprendre que, pour classer les entreprises en trois catégories, l'Autorité s'était fondée sur la valeur des prestations en relation avec le grief n° 1 réalisées par chacune d'elles en 2005.
683. Ce défaut de motivation ayant fait obstacle à la compréhension par les requérantes de la façon dont leur sanction a été calculée par l'Autorité, il y a lieu d'annuler l'article 3 de la décision attaquée, en tant qu'il inflige à la société DHL, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) et Deutsche Post, ses sociétés mères, une sanction pécuniaire de 200 000 euros au titre du grief n° 1.
684. Il appartient dès lors à la cour de procéder elle-même à la fixation de la sanction encourue par ces sociétés.
685. La cour considère que, pour les raisons exposées aux paragraphes 1166 à 1191 de la décision attaquée, qu'elle fait expressément siennes, il n'y a pas lieu de faire application de la méthode énoncée dans le communiqué sanctions - qu'elle peut décider de suivre, mais n'y est pas obligée - et qu'il est plus adapté d'infliger une sanction forfaitaire. Au demeurant, les requérantes n'ont pas contesté le choix de l'Autorité d'appliquer une sanction forfaitaire, dont l'Autorité a justement souligné qu'il est plus favorable aux entreprises.
686. En revanche, aucun élément du dossier ne conduit à n'imposer qu'une sanction symbolique, laquelle ne permettrait pas, en l'espèce, d'atteindre l'objectif recherché par le droit de la concurrence, qui est de dissuader les entreprises de nouer des ententes anticoncurrentielles.
687. Le respect des principes d'individualisation de la peine, d'égalité et de proportionnalité s'impose, même lorsqu'il est fait le choix d'appliquer une sanction forfaitaire.
688. La cour considère qu'en l'espèce, la valeur des prestations de messagerie réalisées en 2005, qui est l'unique année complète de participation à l'infraction, constitue un critère pertinent d'individualisation des sanctions. Il est en effet constant que la part du chiffre d'affaires de l'entreprise qui provient des produits ou services faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci (en ce sens, CJUE, arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission, C-231/14 P, point 47 et jurisprudence citée).
689. En revanche, n'est pas fondée la demande des requérantes de voir réduire la sanction infligée à la société DHL à raison de sa non-participation aux contacts bilatéraux et multilatéraux révélés entre les entreprises impliquées dans le grief n° 1. En effet, d'une part, ainsi que la cour l'a relevé au paragraphe 250 du présent arrêt, cette société a participé à au moins un contact multilatéral, puisqu'elle a participé à la conférence téléphonique du 26 mai 2004, laquelle s'est tenue en marge des réunions du Conseil de Métiers, et a été destinataire du courrier électronique du même jour qui résumait les conclusions de cette conférence. D'autre part, cette conférence et ce courrier électronique ont arrêté les éléments essentiels de l'entente, tandis qu'à l'inverse, les rares autres échanges bilatéraux et multilatéraux, auxquels il n'est pas établi que la société DHL ait participé, étaient d'une importance secondaire : s'agissant des échanges bilatéraux et multilatéraux s'étant déroulés fin mai 2004 (décision attaquée, § 216 à 225), l'Autorité les a principalement évoqués aux fins d'établir l'adhésion au grief n° 1 de la société Geodis, entreprise n'ayant pas participé à la conférence téléphonique du 26 mai 2004, et, s'agissant de ceux s'étant déroulés courant septembre 2005 (décision attaquée, § 294 à 303), elle a souligné que, compte tenu de la proximité avec la réunion du Conseil de Métiers du 22 septembre 2005, " il est probable que [ces échanges] furent préparatoires à la réunion du 22 septembre 2005 ", à laquelle la société DHL a participé.
690. Suivant le tableau reproduit au point 207 des observations de l'Autorité, en 2005, la valeur des ventes des entreprises auxquelles a été infligée une sanction de 50 000 euros, était inférieure à 20 millions d'euros, la valeur des ventes des entreprises auxquelles a été infligée une sanction de 100 000 euros, était comprise entre 70 et 170 millions d'euros et la valeur des entreprises auxquelles a été infligée une sanction de 200 000 euros, dont la société DHL, était comprise entre 200 et 450 millions d'euros.
691. De telles différences justifient à la fois le regroupement des entreprises en trois catégories et le doublement du montant de sanction retenu entre chaque catégorie.
692. Eu égard à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie, tels qu'appréciés par l'Autorité aux paragraphes 1174 à 1190 de la décision attaquée, - appréciation ne faisant pas l'objet de contestations -, il convient de fixer la sanction encourue par les entreprises appartenant à la catégorie supérieure à la somme de 200 000 euros, montant bien inférieur au résultat auquel aurait abouti l'application du communiqué sanctions.
693. S'agissant en particulier de la société DHL, même en prenant en compte la valeur des ventes sur les marchés de la messagerie classique et express pour 2005 qu'elle a communiquée à l'Autorité, soit 305 062 689 euros (cote 84 312), celle-ci représente près du double de la valeur des ventes de la société Alloin Holding, elle-même la plus élevée de celles des entreprises appartenant à la catégorie intermédiaire, constatation suffisant à justifier l'application d'une sanction de 200 000 euros à la première et 100 000 euros à la seconde.
694. Certes, la société DHL s'est vu infliger la même sanction que la société TNT, dont la valeur des prestations de messagerie en relation avec l'infraction en 2005 était de 453 070 000 euros. Néanmoins, les valeurs des ventes de ces deux entreprises sont du même ordre de grandeur, de sorte que le principe d'égalité n'est pas violé par l'application à l'une et l'autre de la même sanction forfaitaire.
695. Dès lors, il y a lieu de condamner la société DHL, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) et Deutsche Post, à une sanction de 200 000 euros au titre du grief n° 1.
2. En ce qui concerne les sociétés Alloin Holding, Dachser et Gefco
696. L'Autorité a fixé les sanctions encourues par les sociétés Alloin Holding, successeur juridique de Transports Alloin, Dachser, anciennement Graveleau, et Gefco, avant individualisation, à la somme de 100 000 euros chacune (décision attaquée, § 1192).
697. Les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International font valoir qu'en fixant les sanctions au titre du grief n° 1, l'Autorité a méconnu, à l'égard de la société Alloin Holding, les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement.
698. En effet, selon les requérantes, il ressort du rapprochement des tableaux figurant aux paragraphes 1184 et 1192 de la décision attaquée que, à l'exception de la société Alloin Holding, toutes les entreprises dont la part de marché en 2008 était inférieure ou égale à 2,9 % se sont vu infliger une sanction de 50 000 euros. Quant aux entreprises ayant été sanctionnées par une amende forfaitaire de 100 000 ou 200 000 euros, leur part de marché était supérieure à 3,4 %.
699. Dès lors, le principe d'égalité de traitement aurait dû conduire l'Autorité à infliger à la société Alloin Holding, dont la part de marché n'était que de 2,9 % - identique à celle de la société Ziegler -, une sanction de 50 000 euros, et non de 100 000 euros.
700. Les sociétés Gefco et Peugeot font valoir que le principe fondamental d'égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié, et soutiennent que c'est en violation de ces principes que l'Autorité a imposé à la société Gefco une sanction forfaitaire deux fois plus élevée que celle qu'elle a infligée aux sociétés Lambert et Valette, Normatrans, Transports Henri Ducros et Ziegler, alors même qu'elle se trouvait dans une sanction foncièrement similaire à celle de ces quatre entreprises.
701. En effet, en premier lieu, la participation de la société Gefco au grief n° 1 aurait été moins longue et d'une intensité moindre que celle desdites quatre entreprises. En second lieu, l'Autorité n'expliquerait pas, dans la décision attaquée, pourquoi la prise en compte des parts de marché respectives des entreprises en cause serait un facteur pertinent d'individualisation des sanctions.
702. Les sociétés Gefco et Peugeot ajoutent qu'en tout état de cause, en 2008, la société Gefco occupait sur le marché de la messagerie une position comparable à celle de la société Ziegler, puisqu'elle détenait 3,7 % de parts de marché, et la société Ziegler 2,9 %.
703. Elles demandent donc à la cour de réduire le montant de la sanction qui leur a été infligée, y compris la réduction de 19 % accordée au titre de la non-contestation des griefs, à la somme de 40 500 euros.
704. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. font valoir, d'une part, que, tout en constatant que les pratiques objet du grief n° 1 s'inscrivaient dans un contexte très particulier (décision attaquée, § 1169 à 1171), l'Autorité n'en a pas tiré les conséquences en refusant de suivre les recommandations du ministre chargé de l'Économie l'invitant à prononcer une sanction purement symbolique, et considèrent que, dans ces conditions, la sanction prononcée à leur encontre est disproportionnée.
705. D'autre part, les requérantes soulignent que la décision attaquée n'apporte aucune précision quant à la méthodologie retenue par l'Autorité pour aboutir aux différentes catégories d'entreprises.
706. Elles invitent en conséquence la cour à réformer la décision attaquée afin que ne leur soit infligée qu'une sanction symbolique.
707. Le ministre chargé de l'Économie relève, d'une part, les sociétés Ziegler et Alloin Holding ont participé aux deux campagnes " surcharge gazole " et avaient en 2008 une part de marché identique, de 2,9 %. De même, il constate que la société Gefco n'a participé qu'à la seconde campagne " surcharge gazole ", tandis que la société Ziegler a participé aux deux campagnes, et que ces deux sociétés disposaient d'une part de marché similaire. Considérant que l'analyse de l'Autorité ne permet pas de comprendre les raisons pour lesquelles les sanctions infligées aux sociétés Alloin Holding et Gefco sont plus élevées que celle appliquée à la société Ziegler, le ministre s'en remet à la sagesse de la cour.
708. D'autre part, le ministre considère que, même si les sanctions prononcées au titre du grief n° 1 ne sont pas " symboliques ", les montants finaux, réduits pour de nombreuses sociétés après la prise en considération de circonstances atténuantes et des ajustements finaux, demeurent proportionnés eu égard à la gravité des pratiques. Il conclut donc au rejet de la demande des sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co.
709. L'Autorité fournit les mêmes explications que celles données aux sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, résumées au paragraphe 678 du présent arrêt.
710. En réponse aux observations de l'Autorité, les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International font valoir que le tableau figurant au paragraphe 207 desdites observations n'avait pas été porté à la connaissance des requérantes dans le cadre de la procédure administrative, que les explications de l'Autorité constituent donc une motivation nouvelle, à ce titre irrecevable.
711. Elles font subsidiairement valoir que lesdites explications sont incohérentes avec la motivation figurant aux paragraphes 1182 à 1184 de la décision attaquée, dans lesquels, pour décrire l'ampleur de la pratique objet du grief n° 1, l'Autorité s'est référée aux parts de marché détenues en 2008 par les entreprises ayant participé à ce grief.
712. En réponse aux observations de l'Autorité, les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. font valoir que les explications fournies par l'Autorité sur la méthode de calcul des sanctions infligées au titre du grief n° 1, quoique bienvenues, sont tardives. En outre, l'Autorité n'expliquerait toujours pas à partir de quel montant de la valeur des ventes une entreprise bascule dans telle ou telle catégorie.
713. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., l'Autorité a tenu compte du contexte particulier dans lequel se sont inscrites les pratiques objet du grief n° 1, en décidant, au paragraphe 1173 de la décision attaquée, de s'écarter de la méthode décrite dans le communiqué sanction pour lui préférer un mode de fixation forfaitaire, dont les requérantes ne contestent pas le caractère avantageux pour les entreprises sanctionnées. L'Autorité n'était, par ailleurs, pas tenue de suivre l'invitation du ministre chargé de l'Économie de n'infliger que des sanctions symboliques.
714. En deuxième lieu, ainsi que le font justement valoir les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, l'explication fournie par l'Autorité dans ses observations devant la cour concernant la répartition des entreprises ayant participé au grief n° 1 en trois catégories, opérée au paragraphe 1192 de la décision attaquée, ne figure pas dans cette décision. La cour constate toutefois que les requérantes ne demandent pas l'annulation de la décision attaquée pour défaut de motivation.
715. En troisième lieu, aux paragraphes 1182 à 1184 de la décision attaquée, l'Autorité s'est certes appuyée sur les parts de marché détenues en 2008 par les entreprises ayant participé au grief n° 1 pour apprécier l'ampleur de ce grief, mais ces paragraphes n'avaient pas vocation à déterminer le mode de calcul de la sanction encourue et rien, dans la motivation du paragraphe 1192 de la décision attaquée, n'est de nature à laisser penser que l'Autorité y a pris en compte le poids économique respectif desdites entreprises en 2008.
716. Les pratiques objet du grief n° 1 se sont déroulées entre le 26 mai 2004 et le 5 janvier 2006. L'Autorité ayant indiqué, au paragraphe 1192 de la décision attaquée, qu'aux fins du calcul des sanctions infligées au titre de ce grief, elle regrouperait les entreprises participantes " en plusieurs catégories pour refléter le poids respectif de chacune d'entre elles ", il lui appartenait de se référer au poids respectif de chacune des entreprises à l'époque des pratiques. Dès lors, le choix de retenir comme année de référence l'année 2005 apparaît parfaitement logique, dans la mesure où il s'agit de l'unique année complète de participation au grief n° 1.
717. À l'inverse, si l'Autorité avait fondé le calcul des sanctions sur le poids respectif des entreprises à une période postérieure de plusieurs années aux pratiques, sans aucune explication, les entreprises sanctionnées auraient été en droit de demander la réformation de ce calcul comme étant contraire au principe de proportionnalité des sanctions, rien ne justifiant qu'en cas d'évolution des parts de marché respectives des entreprises au cours des années, une entreprise voie, sans raison dûment motivée, sa sanction calculée sur la base d'une part du marché supérieure à ce qu'elle était à l'époque des pratiques.
718. Il se déduit des considérations qui précèdent que les explications fournies par l'Autorité dans ses observations ne relèvent pas d'une construction a posteriori destinée à justifier un classement incohérent, mais explicitent le raisonnement effectivement suivi par l'Autorité au paragraphe 1192 de la décision attaquée. Au demeurant, ni les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. ni les sociétés Gefco et Peugeot ne le contestent.
719. C'est en vain que les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. soutiennent que l'Autorité n'explique toujours pas à partir de quel montant de la valeur des ventes une entreprise bascule dans telle ou telle catégorie, alors qu'il ressort du tableau reproduit au point 207 des observations de l'Autorité, dont l'exactitude des données n'est pas contestée par les requérantes, que la valeur des ventes des entreprises classées dans la première catégorie était inférieure à 20 millions d'euros, la valeur des ventes des entreprises classées dans la deuxième catégorie, dont la société Dachser, était comprise entre 70 et 170 millions d'euros et la valeur des entreprises classées dans la troisième catégorie était comprise entre 200 et 450 millions d'euros.
720. En quatrième lieu, la cour constate qu'ayant fait le choix, non contesté par les requérantes, d'appliquer une sanction forfaitaire, l'Autorité a respecté le principe d'égalité en appliquant la même méthode de calcul pour l'ensemble des entreprises, fondée sur la valeur des ventes sur le marché de la messagerie en 2005, qui est l'unique année complète de participation à l'infraction.
721. À cet égard, ainsi que la cour l'a rappelé au paragraphe 688 du présent arrêt, il est constant que la part du chiffre d'affaires de l'entreprise qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci, ce qui en fait un critère légitime d'individualisation des sanctions. Le choix, fait par l'Autorité, de se référer à la valeur des ventes sur le marché de la messagerie en 2005 pour la détermination du montant forfaitaire des sanctions infligées au titre du grief n° 1, n'est donc pas critiquable.
722. En cinquième lieu, l'écart relevé entre les valeurs des ventes des entreprises appartenant à la catégorie inférieure et celles des entreprises appartenant à la catégorie intermédiaire suffit à justifier le choix de l'Autorité d'appliquer à la deuxième catégorie une sanction forfaitaire égale au double de celle infligée aux entreprises de la première catégorie. La cour souligne en particulier que la prétention de la société Alloin Holding à bénéficier de la même sanction que la société Ziegler, dont la valeur des ventes était, à l'époque des pratiques, trente-neuf fois moins élevée que celle de la société Transports Alloin, est manifestement dénuée de sérieux. De même, la société Gefco n'est pas fondée à comparer sa situation à celle de la société Ziegler, dont la valeur des ventes était, à l'époque des pratiques, trente-cinq fois moins élevée que la sienne.
723. En sixième lieu, il est exact que les entreprises appartenant à une même catégorie se voient appliquer la même sanction, alors même que les unes ont participé à l'entente pendant les deux campagnes tarifaires concernées par le grief, tandis que les autres, telle la société Gefco, n'ont participé qu'à une seule campagne.
724. La cour souligne toutefois que le choix d'appliquer une sanction forfaitaire, favorable aux entreprises en cause et d'ailleurs non contesté par elles, implique, par définition, une approche plus globale que la méthode définie dans le communiqué sanctions.
725. Dans ce contexte, et au regard des spécificités de la présente espèce, notamment caractérisée par la relative brièveté des pratiques objet du grief n° 1, le choix de retenir le chiffre d'affaires comme unique critère d'individualisation, à l'exclusion de la durée de participation à l'entente, ne constitue pas une violation du principe d'individualisation.
726. La cour ajoute, surabondamment, qu'une réduction de moitié de la sanction de la société Gefco, au motif que cette société n'a participé qu'à une unique campagne tandis que les sociétés Dachser et Transports Alloin ont participé aux deux campagnes, égalerait sa sanction à celles des sociétés Ziegler France, Normatrans, Transports Henri Ducros et Lambert et Valette, alors que son chiffre d'affaires représente, respectivement, 3 600 %, 1 730 %, 910 % et 845 % de celui de ces sociétés, de sorte que la participation de la société Gefco à l'entente pendant une unique campagne a causé un dommage plus important à l'économie que la participation des quatre autres pendant deux campagnes.
727. En dernier lieu, les sanctions de 50 000, 100 000 et 200 000 euros infligées - avant éventuelle réduction au titre de la clémence et/ou de la non-contestation des griefs - aux entreprises mises en cause ne sont pas seulement proportionnées aux situations individuelles de chacune d'elles, mais également à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie, tels qu'appréciés par l'Autorité - appréciation dont la cour a déjà souligné qu'elle ne fait pas l'objet de contestations.
728. En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande de réduction de la sanction présentée, respectivement, par les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., et la société Gefco.
3. En ce qui concerne la société Normatrans
729. L'Autorité a fixé la sanction encourue par la société Normatrans à 50 000 euros (décision attaquée, § 1192). C'est à ce montant qu'elle a été condamnée par l'article 3 de la décision attaquée.
730. La société Normatrans fait valoir que, compte tenu de sa participation insignifiante au grief n° 1 - une participation à une seule réunion -, de la durée de sa participation à l'entente - six mois - et du caractère symbolique de sa part de marché (0,3 %), le montant de la sanction qui lui a été infligée est à la fois disproportionné et discriminatoire.
731. Elle souligne notamment que la même sanction a été prononcée à son encontre et à l'encontre de la société Ziegler, qui avait pourtant participé aux deux campagnes " surcharge gazole " et détenait en 2008 une part de marché de 2,9 %. Elle fait encore valoir que sa sanction représente la moitié de celle prononcée à l'encontre de la société Alloin Holding, alors même que cette dernière société a également participé aux deux campagnes " surcharge gazole " et détenait en 2008 une part de marché de 2,9 %.
732. Considérant qu'une sanction de 50 000 euros a frappé des entreprises détenant près de 3 % du marché, il aurait été proportionné de n'infliger qu'une sanction d'un montant très inférieur à une entreprise détenant une part de marché dix fois inférieure.
733. En réponse, l'Autorité fournit les mêmes explications que celles données aux sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, résumées au paragraphe 678 du présent arrêt.
734. Il convient de relever liminairement que la société Normatrans ne conteste pas l'exactitude des explications fournies par l'Autorité dans ses observations quant à la méthode suivie pour classer les entreprises dans l'une ou l'autre des trois catégories. Subsidiairement, la cour souligne de nouveau que lesdites observations explicitent le raisonnement effectivement suivi par l'Autorité au paragraphe 1192 de la décision attaquée.
735. La cour constate qu'ayant fait le choix, non contesté par la société Normatrans, d'appliquer une sanction forfaitaire, l'Autorité a respecté le principe d'égalité en recourant à la même méthode de calcul pour l'ensemble des entreprises, fondée sur la valeur des ventes sur le marché de la messagerie en 2005, qui est l'unique année complète de participation à l'infraction.
736. À cet égard, et ainsi qu'il a déjà été souligné au paragraphe 721 du présent arrêt, la part du chiffre d'affaires de l'entreprise qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci, ce qui en fait un critère légitime d'individualisation des sanctions. Le choix, fait par l'Autorité, de se référer à la valeur des ventes sur le marché de la messagerie en 2005 pour la détermination du montant forfaitaire des sanctions infligées au titre du grief n° 1, n'est donc pas critiquable.
737. Suivant le tableau reproduit au point 207 des observations de l'Autorité, dont l'exactitude des données n'est pas contestée par la requérante, en 2005, la valeur des ventes des entreprises auxquelles a été infligée une sanction de 50 000 euros - les sociétés Lambert et Valette, Normatrans, Transports Henri Ducros et Ziegler - était inférieure à 20 millions d'euros.
738. La cour relève que la valeur des ventes réalisées par la société Normatrans en 2005 était d'environ 8 millions d'euros, soit le double de la valeur des ventes réalisées par la société Ziegler, et la moitié de la valeur des ventes réalisées par la société Transports Henri Ducros ou par la société Lambert et Valette. Dans ces conditions, leur classement dans la même catégorie aux fins du calcul de la sanction apparaît justifié, eu égard au choix fait par l'Autorité et non contesté par la requérante, de fixer forfaitairement les sanctions.
739. Enfin, pour les raisons déjà exposées aux paragraphes 723 à 725 du présent arrêt, l'Autorité n'a pas manqué à son obligation d'individualisation en choisissant de retenir le chiffre d'affaires comme unique critère d'individualisation, à l'exclusion de la durée de participation à l'entente.
740. En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande de réduction de la sanction présentée par la société Normatrans.
B. Sur la sanction du grief n° 2
741. Après avoir examiné les moyens visant à contester le principe même de l'application du communiqué sanctions (1. ), la cour appréciera les moyens remettant en cause le montant de base des sanctions retenu par l'Autorité (2. ), avant de vérifier si l'Autorité a bien procédé à l'individualisation des sanctions (3. ) et aux ajustements finaux (4. ).
1. Sur la mise en œuvre de la méthode exposée dans le communiqué sanctions
742. L'article L. 464-2 I troisième alinéa du Code de commerce dispose :
" Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. "
743. La cour relève que, afin de mettre en œuvre les critères légaux énoncés ci-dessus dans le cadre de la détermination des sanctions infligées aux entreprises mises en cause, l'Autorité a appliqué les modalités exposées dans son communiqué sanctions, par lequel elle explique la démarche qu'elle entend suivre en pratique lorsqu'elle détermine les sanctions pécuniaires qu'elle impose au cas par cas en vertu du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, et synthétise les principaux aspects de sa pratique décisionnelle en matière de sanctions pécuniaires.
744. Ce communiqué, qui vise à accroître la transparence, en faisant connaître par avance la façon concrète dont l'Autorité exerce son pouvoir de sanction, a notamment pour finalité de faciliter la prévisibilité des sanctions encourues par les entreprises, lorsqu'elles envisagent de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles, et, ainsi, de renforcer leur caractère dissuasif.
745. Plusieurs requérantes contestent le principe même de l'application du communiqué sanctions.
746. La société Geodis soutient que, s'agissant de la méthodologie de détermination de la sanction, l'Autorité aurait dû, à l'instar du grief n° 1, en écarter l'application pour le grief n° 2.
747. Selon la requérante, eu égard aux liens de connexité matérielle et temporelle entre les griefs n° 1 et 2, l'Autorité aurait dû appliquer la même méthode de calcul de la sanction pour l'un et l'autre grief. À cet égard, la société Geodis rappelle que les deux griefs ont fait l'objet d'une instruction commune, que les pratiques incriminées se sont déroulées dans le même secteur, qu'elles ont eu lieu dans le cadre de la fédération TLF et du Conseil de Métiers, qu'elles ont été initiées à des périodes très proches et portaient sur des composantes du prix dans le même contexte de baisse de rentabilité du fait de l'augmentation des coûts du pétrole, pour le grief n° 1, et de surcapacités structurelles, pour le grief n° 2, que les participants aux pratiques étaient pour la plupart les mêmes et que les indices de leur commission figuraient dans les mêmes documents.
748. La requérante souligne que l'application, sans justification objective, de deux méthodes de sanctions différentes a conduit l'Autorité à prononcer, au titre du grief n° 2, des sanctions qui, prises globalement, sont 89 fois plus élevées que celles infligées au titre du grief n° 1, et ce à durée et à nombre de participants comparables. Elle en déduit que le montant d'amende prononcé au titre du grief n° 2 est totalement disproportionné, en violation de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
749. La société Geodis rappelle qu'en tout état de cause, la cour a jugé que, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, elle n'est pas liée par le communiqué sanctions et peut s'en écarter, et elle l'invite à le faire, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce.
750. Eu égard aux caractéristiques de l'infraction, la société Geodis considère que la sanction qu'elle encourt, déterminée en dehors de l'application du communiqué sanctions, ne saurait, en tout état de cause, dépasser 25 millions d'euros.
751. Les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group soulignent qu'aux termes mêmes du communiqué sanctions, la méthode de base du calcul de l'amende qui y est décrite ne saurait s'appliquer de façon mécanique, mais, au contraire, de façon individualisée, afin de satisfaire l'exigence légale d'individualisation des sanctions.
752. Or, selon elles, les caractéristiques juridiques, réglementaires et économiques du secteur de la messagerie comme la situation particulière de la société GLS constituaient des " circonstances particulières " au sens du communiqué sanctions, justifiant une adaptation de la méthode prévue par celui-ci et l'octroi d'une réduction d'amende spécifique à cette société, indépendamment de sa capacité contributive.
753. Quant aux caractéristiques du secteur, les requérantes invoquent le fait que le secteur de la messagerie se trouve dans une situation économique particulièrement fragile et vulnérable, et qu'il est fortement réglementé, notamment, au niveau des prix du transport routier.
754. Quant aux spécificités de la société GLS, les requérantes font valoir que cette société est, à leur connaissance, la seule entreprise active sur le marché de la messagerie à avoir une activité exclusive de commissionnaire de transport, ce qui signifie qu'elle ne fournit pas elle-même de prestations de services de transport routier, ne disposant d'ailleurs d'aucun camion, mais sous-traite l'ensemble de ces activités à des entreprises de transport tierces.
755. En sa qualité exclusive de commissionnaire de transport, la société GLS, qui est traitée à la fois comme un transporteur, dans ses relations avec ses clients, et comme un client de transporteurs, dans ses relations avec ses sous-contractants, serait soumise à une double contrainte. En effet, en cas d'augmentation des coûts de transport, elle se trouverait prise entre l'obligation légale d'accepter l'augmentation du prix par ses sous-contractants et l'impossibilité de répercuter cette augmentation auprès de ses propres clients expéditeurs, qui sont d'importants donneurs d'ordre et qui disposent d'un fort pouvoir de négociation leur permettant de résister à toute tentative des transporteurs de répercuter des hausses de coûts.
756. Il en résulterait pour elle des marges négatives sur un certain nombre de ses contrats clients, affirmation que confirmerait l'étude du cabinet d'économiste BPIE (annexe 9) d'où il ressort qu'elle a la marge opérationnelle la plus basse, comparé à ses principaux concurrents.
757. Les requérantes soulignent encore que la société GLS a été très affectée par la crise qui a touché le secteur de la messagerie, et qu'elle continue de l'être de façon significative ; que, dans ce contexte défavorable, elle n'a pu maintenir son activité que grâce à des recapitalisations annuelles et des facilités d'emprunts consenties par le groupe auquel elle appartient, et ce pour des montants considérables ; qu'il est peu probable que sa situation économique s'améliore à court ou moyen terme ; que, suivant l'étude BPIE, indépendamment de toute amende, la probabilité qu'elle fasse l'objet d'une procédure collective s'élève à 10,44 %, ce qui la distingue de toutes les autres entreprises du secteur.
758. Elles font valoir que, pour surmonter ces difficultés, la société GLS a mis en place une stratégie ambitieuse de redressement, laquelle exige toutefois des investissements significatifs du groupe ; que ce soutien n'est toutefois pas acquis d'avance, en particulier au vu du montant de l'amende qui a été infligée à cette société ; qu'en effet, s'élevant à plus de 50 millions d'euros, soit l'équivalent de plusieurs années d'investissements, cette amende apparaît colossale au regard des difficultés de la société GLS et pourrait conduire le groupe à fermer l'entreprise et à recourir, sur le territoire français, à la sous-traitance, ce qui conduirait à moins de concurrence sur le marché de la messagerie ; que, d'ailleurs, pour la première fois depuis les huit dernières années, le groupe n'a consenti aucune recapitalisation de la société GLS en 2016.
759. Les requérantes demandent donc à la cour d'adapter la méthode du communiqué sanctions et d'octroyer à la société GLS une réduction d'amende spécifique, nonobstant le fait que le groupe auquel elle appartient est en mesure de payer l'amende infligée, afin d'assurer la survie de cette société.
760. A cet égard, elles contestent, comme contraire au principe d'individualisation des sanctions, l'affirmation de l'Autorité selon laquelle le communiqué sanctions ne lui permettrait de réduire une sanction que dans l'hypothèse où celle-ci n'est pas en mesure de s'acquitter d'un paiement d'un tel montant.
761. L'Autorité répond à la société Geodis que les hausses de prix du gazole et les positions prises par les pouvoirs publics, qui ont l'ont conduite à écarter l'application du communiqué sanctions dans le cas du grief n° 1, ne peuvent être invoquées s'agissant du grief n° 2, qui concerne des échanges d'informations confidentielles entre concurrents.
762. Elle oppose aux sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, d'une part, qu'aux termes de l'article 61 du communiqué sanctions, les éventuelles difficultés générales du secteur concerné par les infractions ne figurent pas parmi les critères énumérés par l'article L. 462-4 du Code de commerce, et n'ont donc pas à être pris en considération, d'autre part, que la société GLS n'invoque aucune difficulté financière qui l'empêcherait de s'acquitter de la sanction prononcée par la décision attaquée.
763. Si, aux termes du point 7 du communiqué sanctions, il est toujours loisible à l'Autorité de s'en écarter, " sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné ", en l'espèce, rien ne justifiait que l'Autorité ne mette pas en œuvre la méthode exposée dans le communiqué sanctions pour calculer les sanctions appliquées au titre du grief n° 2.
764. En premier lieu, l'argument de la société Geodis tiré de ce qu'une sanction forfaitaire a été infligée au titre du grief n° 1, est dépourvu de pertinence.
765. De façon générale, lorsque l'Autorité sanctionne, par une même décision, des infractions différentes, elle n'a nullement l'obligation d'appliquer la même méthode de calcul pour établir les sanctions infligées au titre des unes et des autres, eussent-elles été commises par les mêmes entreprises et sur le même marché.
766. Ainsi, aucun principe ne lui interdit, en fonctions des spécificités de l'affaire, de sanctionner une infraction, en appliquant la méthode énoncée dans son communiqué sanctions, et de sanctionner l'autre, en déterminant la sanction forfaitairement. Tel sera le cas si elle constate que, pour la première infraction, aucune circonstance particulière ou raison d'intérêt général ne justifie qu'elle s'écarte du communiqué sanctions, tandis que, pour la seconde infraction, une telle circonstance particulière ou raison d'intérêt général existe.
767. Dans la présente espèce, les circonstances, exposées aux paragraphes 1168 à 1173 de la décision attaquée, qui ont persuadé l'Autorité de ne pas faire application du communiqué sanctions pour le calcul des sanctions infligées au titre du grief n° 1 - choix qui n'est pas contesté par la société Geodis -, ne sont pas transposables au grief n° 2.
768. En effet, ce ne sont pas les difficultés générales que connaît le secteur de la messagerie qui ont conduit l'Autorité à appliquer une sanction forfaitaire pour le grief n° 1, mais, de façon plus spécifique, la conjonction d'une très forte hausse du prix du gazole au cours de la période 2004-2005 et de prises de positions des pouvoirs publics favorables à une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transport. De fait, ces circonstances n'ont pu qu'avoir une incidence sur les pratiques objet du grief n° 1, dont la cour rappelle qu'elles ont consisté en une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express visant à la mise en place d'une surcharge gazole selon une méthodologie commune.
769. En revanche, si la hausse du prix du gazole a sans conteste aggravé les difficultés des entreprises de transport actives sur ce marché, d'une part, ces difficultés s'expliquent par de nombreux autres facteurs, d'autre part, ladite hausse et les prises de position des pouvoirs publics quant à sa répercussion dans les contrats de transports n'ont pas eu la même incidence sur les pratiques visées par le grief n° 2, dont l'objet, plus large que celui du grief n° 1, était la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express.
770. Le fait que les sanctions infligées au titre du grief n° 2 soient plus élevées que celles prononcées au titre du grief n° 1 n'est en rien discriminatoire : d'abord, la nature des infractions et leur durée ne sont pas les mêmes ; ensuite, la situation des entreprises n'ayant participé qu'au grief n° 2 et celle des entreprises ayant participé aux deux griefs ne sont pas les mêmes ; enfin, toutes les entreprises ayant participé au grief n° 2 ont vu leur sanction au titre de ce grief calculée selon la même méthode.
771. Dans ces conditions, l'Autorité a, à juste titre, considéré que rien ne justifiait d'écarter la méthode énoncée dans le communiqué sanctions pour déterminer les sanctions infligées au titre du grief n° 2.
772. En second lieu, la cour rappelle que les difficultés rencontrées par les entreprises mises en cause, fussent-elles la conséquence du fonctionnement du marché sur lequel elles sont actives, ne sauraient ni obliger l'Autorité à renoncer à appliquer la méthode de détermination des sanctions exposée dans le communiqué sanctions, en vue d'aboutir à de moindres sanctions, ni interdire à la cour de mettre cette même méthode en œuvre lorsqu'elle statue après annulation de la décision attaquée.
773. En effet, une telle analyse reviendrait à admettre que des opérateurs économiques peuvent trouver dans les dysfonctionnements du marché des motifs légitimes de contrevenir aux principes et règles du droit de la concurrence. Ce résultat priverait le droit de la concurrence de l'essentiel de son effet de prévention des infractions, en laissant espérer aux entreprises actives sur un secteur rencontrant des difficultés générales qu'elles pourraient échapper à des sanctions dissuasives.
774. De plus, un tel résultat serait contraire à l'article L. 464-2 du Code de commerce, qui, s'il précise que les sanctions pécuniaires sont notamment proportionnées à la gravité des faits et à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné, ne met pas au nombre des critères de proportionnalité de la sanction les éventuelles difficultés générales du secteur concerné par l'infraction.
775. En l'espèce toutefois, les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group ne se bornent pas à évoquer les difficultés des entreprises du secteur, mais soutiennent que, eu égard aux spécificités de la société GLS, seule entreprise sur le marché de la messagerie à n'être qu'un commissionnaire de transport, elle aurait été davantage affectée que les autres par ces difficultés.
776. À supposer que tel soit le cas, la cour constate que c'est le groupe auquel appartient la société GLS qui a fait le choix de n'être actif sur le marché français de la messagerie qu'au travers d'une société ayant la qualité de commissionnaire de transport, tenue de sous-traiter tous les contrats de transport qui lui sont attribués. Cette circonstance ne saurait donc justifier que les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group se voient appliquer une méthode de calcul de la sanction différente de celle mise en œuvre à l'égard des autres entreprises sanctionnées, avec lesquelles la société GLS est en concurrence, en vue d'aboutir à un montant de sanction moindre.
777. Un tel traitement différencié constituerait une violation du principe d'égalité et de non-discrimination.
778. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité a refusé d'écarter, pour les seules sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, le communiqué sanctions pour le calcul de la sanction encourue au titre du grief n° 2.
779. La cour rappelle, en tant que de besoin, que la méthode exposée dans le communiqué sanctions permet à l'Autorité - et, sur recours, à la cour - de tenir compte des difficultés que rencontrent les entreprises mises en cause. En effet, dans le cadre de cette méthode, l'Autorité peut, au titre des ajustements finaux, prendre en considération les difficultés financières particulières des entreprises, pouvant aller jusqu'à l'imposition d'une sanction pécuniaire symbolique (points 62 à 66 du communiqué sanctions). Force est toutefois de constater que les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group n'allèguent pas que l'entreprise qu'elles forment, et qui est l'entité supportant la sanction, rencontrerait des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive, une telle hypothèse apparaissant, de fait, hautement improbable, alors que la société Royal Mail Group est la société faîtière d'un groupe international.
780. Les moyens de la société Geodis et des sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group tendant à voir écarter la méthode énoncée dans le communiqué sanctions sont rejetés.
2. Sur la détermination du montant de base des sanctions
a) Sur la référence à la valeur des ventes de prestations de messagerie et de messagerie express domestique
781. Le point 23 du communiqué sanctions prévoit que, " [p]our donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause ".
782. Le point 24 du même communiqué précise que, " [s]i la valeur de ces ventes est donc prise comme référence pour déterminer, dans un premier temps, le montant de base de la sanction pécuniaire en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, elle ne doit pas revêtir une importance disproportionnée par rapport à d'autres éléments à prendre en considération pour en fixer le montant définitif ".
783. Enfin, aux termes du point 39 dudit communiqué, " [l]a méthode décrite ci-dessus peut être adaptée dans les cas particuliers où l'Autorité estime que la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part ". Il est précisé, au même point, qu' " [i]l peut par exemple en être ainsi lorsque [...] l'infraction consiste à s'entendre sur des commissions par lesquelles des entreprises se rémunèrent à l'occasion de la vente de certains produits ou services, auquel cas l'Autorité peut retenir ces commissions comme référence ".
784. Au paragraphe 1195 de la décision attaquée, l'Autorité a indiqué qu'elle ferait application du communiqué sanctions pour arrêter les sanctions infligées au titre du grief n° 2.
785. Elle a considéré que, les pratiques poursuivies concernant les prestations de messagerie et de messagerie express domestique sur le territoire français, il y avait lieu de retenir le chiffre d'affaires lié à ces activités au titre de la valeur des ventes (décision attaquée, § 1199).
786. Elle en a toutefois déduit le chiffre d'affaires réalisé lorsque les entreprises ont agi exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur, le chiffre d'affaires réalisé lors de prestations intragroupe et le chiffre d'affaires réalisé lors de prestations internationales (décision attaquée, § 1204 et 1205).
á. Sur le moyen des sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group Ltd
787. Les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group font valoir qu'en raison de l'activité exclusive de commissionnaire de transport de la société GLS, son revenu réel ne correspond pas à la valeur des ventes, mais aux commissions, c'est-à-dire au revenu intermédiaire qui équivaut à la différence entre les ventes réalisées et les coûts de transport payés aux sous-contractants.
788. Invoquant tant le point 39 du communiqué sanctions que la pratique décisionnelle de l'Autorité en matière d'intermédiaires de commerce (décisions de l'Autorité n° 12-D-27 du 20 décembre 2012 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la billetterie de spectacles ; n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires, et n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire), les requérantes considèrent que seules les commissions perçues par la société GLS au titre de ses activités de messagerie et de messagerie express en France pour l'année 2009-2010 - soit un montant de 32 363 814 euros - doivent être prises en compte, afin de refléter exactement les ventes de cette société affectées par l'entente ainsi que sa position économique.
789. Le ministre chargé de l'Économie observe que, pour le type d'infractions auquel appartient le grief n° 2, la référence à la valeur des ventes est généralement appropriée, dans la mesure où elle permet de proportionner, au cas par cas, l'assiette à l'ampleur économique de l'infraction en cause, d'une part, et au poids relatif, sur le secteur ou marché concerné, de chaque entreprise qui y a participé, d'autre part. Tel est le cas en l'espèce, selon le ministre.
790. La cour rappelle qu'il est constant que la part du chiffre d'affaires de l'entreprise qui provient des produits ou services faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci (en ce sens, CJUE, arrêt InnoLux/Commission, précité, point 47 et jurisprudence citée).
791. Le choix, aux points 33 et suivants du communiqué sanctions, de se référer, pour la détermination du montant de base de la sanction, à la valeur des ventes des produits ou des services en relation avec l'infraction, n'est donc pas en soi critiquable, et ne saurait être remis en cause que s'il apparaît que, par exception, cette valeur est impropre à constituer une référence pertinente.
792. Une telle hypothèse a été prévue au point 39 du communiqué sanctions, dont il ressort que l'Autorité renonce à se référer à la valeur des ventes des produits ou des services en relation avec l'infraction lorsque cette référence " aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part ".
793. Mais, en l'espèce, la circonstance que, s'agissant de la société GLS, celle-ci soit exclusivement commissionnaire de transport, dépourvue de tout moyen de transport et obligée de sous-traiter à des entreprises de transport les contrats de transport qu'elle passe avec ses clients, ne prive pas de pertinence la référence à son chiffre d'affaires lié à ces activités pour le calcul du montant de base de la sanction.
794. En effet, ce chiffre d'affaires reflète exactement la capacité de la société GLS à remporter, sur un marché où elle est en concurrence avec des entreprises de messagerie, des contrats de messagerie, ainsi que les parts de marchés qui sont les siennes, c'est-à-dire son poids relatif sur le marché affecté par l'infraction.
795. Plus généralement, il ne saurait être contesté que la valeur des prestations de messagerie facturées aux clients traduit exactement l'ampleur de l'infraction, sous réserve de la prise en compte, dans un second temps, de la gravité intrinsèque de la pratique et de l'importance du dommage causé à l'économie.
796. C'est en vain que les requérantes se prévalent de la pratique décisionnelle de l'Autorité.
797. D'une part, il est constant que la pratique décisionnelle antérieure de l'Autorité, si elle peut apporter des points de comparaison, pour autant que les questions d'espèce soient comparables, ne sert pas de cadre juridique applicable à la détermination des sanctions pécuniaires en droit de la concurrence.
798. D'autre part, et en tout état de cause, la situation de la société GLS n'est pas comparable à celle des entreprises objet des décisions n° 12-D-27 et n° 12-D-09, précitées. En effet, dans ces décisions, les entreprises concernées n'étaient actives ni en tant que producteurs ni en tant que prestataires, mais en tant que structures de commercialisation : les ventes qu'elles effectuaient étant réalisées pour le compte de tiers et elles ne se rémunéraient effectivement qu'en prélevant des commissions proportionnelles au montant de ces ventes, le restant de leur chiffre d'affaires étant reversé aux producteurs (décisions n° 12-D-27, § 224, 225 et 348, et n° 12-D-09, § 781).
799. À l'inverse, la société GLS n'est pas une structure de commercialisation, mais un concurrent direct des entreprises de transport sur le marché de la messagerie et de la messagerie express. En effet, à l'époque des pratiques - et aujourd'hui encore -, cette société exerçait bien une activité de prestataire de services de messagerie, facturant, pour son propre compte, aux clients avec lesquels elle contractait les services qu'elle leur fournissait. Dans ces conditions, il importe peu qu'elle ait fait le choix de ne pas avoir de camions et de recourir systématiquement à la sous-traitance pour remplir les engagements contractés envers ses clients.
800. Quant à la décision n° 09-D-05, précitée (§ 164 à 168), le Conseil de la concurrence y a expressément refusé de retenir comme assiette du calcul de la sanction, la marge brute des entreprises de travail temporaire au lieu de leur chiffre d'affaires, admettant seulement de se référer à la marge brute pour s'assurer que la sanction était proportionnée à la faculté contributive de l'entreprise.
801. C'est également à tort que les requérantes soutiennent que la situation de la société GLS correspond à l'hypothèse, prévue au point 39 du communiqué sanctions, d'une infraction qui " consiste à s'entendre sur des commissions par lesquelles des entreprises se rémunèrent à l'occasion de la vente de certains produits ou services ", hypothèse dans laquelle, selon ce même point, " l'Autorité peut retenir ces commissions comme référence ". En effet, les pratiques objet du grief n° 2 ne visaient pas à s'entendre sur le montant de commissions par lesquelles les entreprises participantes se rémunéreraient, mais consistaient dans la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles facturées aux clients, c'est-à-dire sur les prix mêmes des prestations de messagerie.
802. La cour ajoute surabondamment que ne retenir, pour le calcul de la sanction de la société GLS, que la différence entre les prix facturés par cette société à ses clients pour des prestations de messagerie et les prix qu'elle-même verse à ses sous-contractants chargés de l'exécution effective de ces prestations, ne permettrait pas d'appréhender l'ensemble des ventes de produits et services en relation avec l'infraction. En effet, ainsi qu'il résulte du paragraphe 1204 de la décision attaquée, l'Autorité a déduit de la valeur des ventes le chiffre d'affaires réalisé lorsque les entreprises agissent exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur, et donc, notamment, le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises de messagerie au titre de leur activité de sous-traitance des prestations de messagerie commercialisées par la société GLS.
803. La cour juge donc que l'Autorité a justement pris pour assiette de la sanction infligée aux sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group le chiffre d'affaires de la société GLS lié aux prestations de messagerie et de messagerie express domestique sur le territoire français au titre de la valeur des ventes.
804. Le moyen des requérantes est rejeté.
ß. Sur le moyen de la société Geodis
805. La société Geodis fait valoir qu'en retenant la valeur des ventes comme assiette du montant de base de la sanction, sans la pondérer avec d'autres éléments d'individualisation de la sanction, l'Autorité a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce.
806. Il ressortirait de la pratique décisionnelle de l'Autorité que, dans des cas particuliers où le recours à la valeur des ventes aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction, elle s'est réservée la possibilité de recourir à une autre assiette ou d'en adapter les modalités de prise en compte.
807. Or, selon la société Geodis, en se référant à la valeur des ventes de son activité messagerie, et en lui appliquant un coefficient unique de 9 %, censé tenir compte de la gravité et du dommage à l'économie, sans lui reconnaître de motifs d'individualisation de sa sanction, la décision attaquée aboutit au prononcé d'un montant d'amende totalement disproportionné.
808. L'application du coefficient retenu à la valeur des ventes de la société Geodis refléterait certes l'importance économique de l'entreprise (une valeur des ventes importante entraînant automatiquement le prononcé d'une amende importante), mais ne refléterait, en revanche, ni la faible gravité, ni l'ampleur non établie, et en tout état de cause limitée de l'infraction, ni la participation individuelle de l'entreprise à l'infraction.
809. Ce faisant, l'Autorité aurait donné une importance disproportionnée à la valeur des ventes par rapport aux autres critères de détermination de l'amende, contrairement au point 24 du communiqué sanctions et violé l'obligation d'individualisation et de proportionnalité de la sanction énoncée à l'article L. 464-2 du Code de commerce.
810. La cour constate que, sous couvert d'une critique du choix de la valeur des ventes comme montant de base de la sanction et de l'importance disproportionnée qui aurait été accordée à ce paramètre, la société Geodis conteste en réalité, d'une part, le pourcentage de 9 % appliqué aux fins de tenir compte de la gravité du grief n° 2 et du dommage qu'il a causé à l'économie, d'autre part, l'insuffisante prise en compte des éléments d'individualisation de la sanction la concernant, éléments qu'elle ne précise d'ailleurs pas.
811. Mais ces questions seront examinées ci-après, conformément à la méthode décrite dans le communiqué sanctions, qui consiste en premier lieu à déterminer la valeur des ventes de produits ou services en relation avec la pratique incriminée, à retenir un pourcentage de cette valeur au titre de la gravité et du dommage à l'économie et à appliquer à ce pourcentage un coefficient de durée, pour aboutir au montant de base de la sanction, puis, en second lieu, à procéder à l'individualisation des sanctions.
812. La société Geodis n'invoquant aucun autre argument de nature à démontrer qu'en l'espèce, la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part, son moyen doit être rejeté.
b) Sur le montant de la valeur des ventes prise en compte
á. Sur les erreurs de calcul alléguées
813. Ainsi qu'il a été rappelé aux paragraphes 785 et 786 du présent arrêt, pour la détermination de l'assiette des sanctions, l'Autorité a retenu, au titre de la valeur des ventes, le chiffre d'affaires lié aux prestations de messagerie et de messagerie express domestique sur le territoire français, dont elle a déduit le chiffre d'affaires réalisé lorsque les entreprises ont agi exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur, le chiffre d'affaires réalisé lors de prestations intragroupe et le chiffre d'affaires réalisé lors de prestations internationales (décision attaquée, § 1199, 1204 et 1205).
814. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post font valoir que l'Autorité a commis une erreur en retenant, au paragraphe 1211 de la décision attaquée, la somme de 281 124 000 euros au titre de la valeur des ventes de la société DHL.
815. En effet, d'une part, cette somme correspondrait à la totalité des activités de la société DHL, y compris des activités telles que le fret et les " Spécialités ", étrangères aux seules activités de messagerie et de messagerie express mentionnées aux paragraphes 1199 et 1203 de la décision attaquée ; d'autre part, elle inclurait les activités internationales et intragroupe de la société DHL, en contradiction avec les paragraphes 1204 et 1205 de la décision attaquée.
816. Les requérantes invitent la cour à réformer la décision attaquée en retenant, pour assiette de la sanction qui leur sera infligée, un montant de 242 621 663 euros.
817. Les sociétés TNT et TNT Express NV font valoir que l'Autorité a, d'une part, commis une erreur de saisie en mentionnant, au paragraphe 1211 de la décision attaquée, un chiffre d'affaires de la société TNT de 459 502 000 euros, au lieu de 459 509 000 euros, et a, d'autre part, en contradiction avec le paragraphe 1204 de la décision attaquée, omis de déduire de ce montant le chiffre d'affaires résultant des activités de sous-traitance de ladite société, d'un montant de 6 158 000 euros.
818. Elles invitent la cour à réformer l'assiette de la sanction retenue en la ramenant à 453 351 000 euros (459 509 000 - 6 158 000) et, par voie de conséquence, de réduire la sanction finale à 57 513 000 euros.
819. La société XPO, anciennement Norbert Dentressangle Distribution, fait valoir qu'au paragraphe 1211 de la décision attaquée, l'Autorité a, en contradiction avec le paragraphe 1204 de la même décision, omis de déduire de son chiffre d'affaires les ventes intragroupe, d'un montant de 1 683 594 euros.
820. La société Chronopost soutient qu'au paragraphe 1211 de la décision attaquée, l'Autorité a, en contradiction avec les paragraphes 1204 et 1205 de la décision attaquée, omis d'exclure de la valeur des ventes servant d'assiette au calcul de la sanction, les ventes que cette société a réalisées dans le cadre de contrats de sous-traitance avec des postes étrangères pour livrer les colis de leurs clients en France.
821. Elle fait valoir, d'une part, que, dans le cadre de ces prestations, elle a, d'une part, agi exclusivement en qualité de sous-traitante, n'ayant eu aucune relation commerciale avec les clients ni la moindre influence sur les prix établis et facturés, sur lesquels les pratiques incriminées n'ont donc pu avoir aucun effet. D'autre part, elle souligne que lesdites prestations correspondent à des ventes effectuées sur des marchés étrangers, auprès de clients étrangers, alors que les pratiques incriminées concernent uniquement le marché français.
822. L'Autorité reconnaît le bien-fondé des moyens des sociétés TNT (observations de l'Autorité, § 53 à 56) et DHL (observations de l'Autorité, § 57 à 60) et conclut au rejet de l'ensemble des autres moyens soulevés par l'ensemble des requérantes (observations de l'Autorité, § 53 à 60 et 347).
823. Le ministre chargé de l'Économie invite la cour à faire droit aux demandes des sociétés TNT et TNT Express NV, des sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, et de la société Chronopost.
824. Les moyens par lesquels les sociétés TNT et TNT Express NV, d'une part, et les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, d'autre part, invoquent des erreurs de calcul lors de la détermination de la valeur de leurs ventes, sont fondés, ainsi que l'Autorité le reconnaît. Il convient d'y faire droit.
825. S'agissant de la société XPO, anciennement Norbert Dentressangle Distribution, elle produit un tableau de ses ventes, dont son directeur financier atteste l'exactitude, d'où il ressort que, pour l'année de référence 2007/2008, retenue par l'Autorité, la part du chiffre d'affaires résultant de ses activités intragroupe s'est élevée à 1 683 594 euros, en retenant, pour assiette de sa sanction, la somme de 180 112 816 euros [193 697 850 euros (chiffre d'affaires HT France 2007/2008) - 11 901 440 euros (montant déjà écarté par l'Autorité) - 1 683 594 euros (montant à écarter)], arrondie à 180 112 000 euros.
826. Dès lors que l'Autorité, qui ne conteste pas l'exactitude du chiffre fourni à cet égard par la société XPO, a, au paragraphe 1204 de la décision attaquée, indiqué qu'elle déduirait de la valeur des ventes le chiffre d'affaires réalisé lors de prestations intragroupe, il convient de faire droit à la demande de cette société.
827. Enfin, quant à la société Chronopost, il est constant que l'Autorité a exclu de la valeur des ventes le chiffre d'affaires réalisé lors de prestations internationales " dans la mesure où l'Autorité ne retient que les ventes réalisées en France " (décision attaquée, § 1205).
828. À cet égard, c'est à juste titre que la société Chronopost, soutenue par le ministre chargé de l'Économie, fait valoir que les contrats conclus entre des clients établis dans d'autres États et les postes de ces États en vue de transporter leur colis à destination de la France ne constituent pas des " ventes réalisées en France ", de sorte que l'Autorité aurait dû déduire de la valeur des ventes retenue pour le calcul de la sanction de la société Chronopost, le chiffre d'affaires réalisé par cette société lorsqu'elle a agi exclusivement comme sous-traitant desdites postes étrangères.
829. La société Chronopost produit une note économique d'un cabinet d'expertise économique (pièce n° 4), d'où il ressort que, pour l'année 2009, année de référence retenue par l'Autorité, la sous-traitance pour le compte des postes étrangères a représenté 22 277 325 euros, chiffre dont l'exactitude n'est pas contestée par l'Autorité.
830. Il convient donc d'accueillir sa demande en retenant, pour assiette de sa sanction, la somme de 474 675 594 euros [632 270 961 euros (chiffre d'affaires HT France 2009) - 135 318 042 euros (montant déjà écarté par l'Autorité) - 22 277 325 euros (montant à écarter)], arrondie à 474 675 000 euros.
831. En conséquence, la valeur des ventes servant de base au calcul de la sanction sera ramenée :
- s'agissant de la société TNT, de 459 502 000 euros à 453 351 000 euros ;
- s'agissant de la société DHL, de 281 124 000 euros à 242 621 000 euros ;
- s'agissant de la société XPO, de 181 796 000 euros à 180 112 000 euros.
- s'agissant de la société Chronopost, de 496 952 000 euros à 474 675 000 euros.
832. Le montant de la sanction de ces sociétés sera réformé en conséquence par le présent arrêt.
ß. Sur l'assiette de la sanction
833. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, TNT et TNT Express NV, Gefco et Peugeot, XPO, Dachser et Dachser Group SE & Co., Chronopost et DPD, Geodis, GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, ainsi que BMVirolle contestent la valeur des ventes retenue par l'Autorité comme base de calcul de leurs sanctions.
834. Les requérantes rappellent qu'aux termes du point 23 du communiqué sanctions, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction, " une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ".
835. Il existerait de nombreux précédents tant nationaux qu'européens faisant état de l'exclusion du périmètre de la valeur des ventes prise en compte pour le calcul du montant de base de la sanction des ventes pour lesquelles la preuve existe qu'elles n'ont pas été affectées par l'infraction.
836. En l'espèce, dès lors que les pratiques portaient uniquement sur les évolutions de prix concrétisées par les circulaires de revalorisation tarifaire envoyées annuellement aux clients, et non sur les niveaux de prix, les entreprises mises en cause n'ont pas réalisé, avec les clients non destinataires de ces circulaires, pour lesquels l'évolution des conditions contractuelles était régie par d'autres mécanismes (stipulations contractuelles ou négociations bilatérales), des ventes " en relation avec l'infraction ".
837. Subsidiairement, selon les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, lorsque le marché en relation avec l'infraction est trop large, l'Autorité doit restreindre le périmètre des ventes prises en considération pour déterminer le montant de base de façon à ce qu'il reflète l'ampleur économique de l'infraction, conformément aux objectifs du communiqué sanctions (en ce sens, décision de l'Autorité n° 15-D-01 du 5 février 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre en outre-mer, § 235 à 237).
838. Selon ces requérantes, en retenant en l'espèce la valeur des ventes à des clients non destinataires des circulaires, l'Autorité s'écarterait de sa volonté proclamée dans le communiqué sanctions, de rendre les amendes proportionnelles à l'ampleur économique de l'infraction.
839. Selon les requérantes, la décision attaquée ne saurait trouver aucune justification dans la jurisprudence des juridictions de l'Union. D'une part, les questions de procédure et les sanctions relèvent exclusivement du droit national, en vertu du principe d'autonomie procédurale. D'autre part, et en tout état de cause, il résulte seulement de la jurisprudence de la Cour de justice que la Commission, en sa qualité d'autorité européenne de concurrence, n'est pas obligée de prouver quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par l'entente (CJUE, arrêt du 23 avril 2015, LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C-227/14 P, point 57) ; en revanche, cette jurisprudence ne priverait pas les parties de la possibilité de démontrer que telle ou telle catégorie de ventes de biens ou de services n'est pas en relation avec l'infraction, car elle n'a pas pu être matériellement, financièrement ou économiquement affectée par les pratiques.
840. Les requérantes soulignent qu'en l'espèce, les services d'instruction eux-mêmes avaient préconisé de procéder à des abattements et retraitement des chiffres d'affaires des entreprises pour déterminer la valeur des ventes effectivement affectées par l'entente et que c'est contre toute attente que le collège s'est borné à déduire du chiffre d'affaires les ventes intragroupe, la sous-traitance et les ventes internationales, aux motifs, pour les deux premiers abattements, qu'il convenait d'éviter une double prise en compte et, pour le troisième, que le grief notifié ne concernait que les ventes réalisées en France.
841. Les requérantes demandent donc à la cour de déduire de leur chiffre d'affaires, aux fins d'établir l'assiette de la sanction :
- les ventes aux petits clients (sociétés Geodis, TNT, ainsi que BMVirolle) ;
- les ventes au comptant et les ventes " one shot " (sociétés Chronopost et DPD, TNT, Alloin Holding et Kuehne + Nagel, ainsi que Dachser) ;
- les nouveaux contrats (sociétés Chronopost et DPD, Dachser, Gefco, Geodis ainsi que Alloin Holding et Kuehne + Nagel)
- les contrats dont les prix n'ont fait l'objet d'aucune hausse sur la période des pratiques (sociétés Chronopost et DPD, Gefco, GLS, ainsi que Alloin Holding et Kuehne + Nagel) ;
- les contrats " hors cycle ", dont les prix ont fait l'objet de hausses en dehors des cycles de hausse habituels (sociétés Chronopost et DPD, Gefco, Geodis, ainsi que Alloin Holding et Kuehne + Nagel) ;
- les clients dits " atypiques ", qui, n'ayant pas tenus leurs engagements de volumes, subissent de très fortes hausses pour des raisons de rentabilité des contrats (sociétés Chronopost et DPD) ;
- les contrats pluriannuels (sociétés Chronopost et DPD, Dachser, BMVirolle, GLS, Geodis ainsi que Alloin Holding et Kuehne + Nagel) ;
- les contrats objet de négociations individuelles ou " grands comptes " ou " top 100 " (sociétés Dachser, Gefco, DHL, TNT, ainsi que Alloin Holding et Kuehne + Nagel).
842. Plusieurs requérantes demandent encore de déduire de leur chiffre d'affaires, quel que soit le contrat dans le cadre duquel ils ont été payés, les options et frais supplémentaires, soutenant, en substance, qu'ils font l'objet de conditions tarifaires particulières et différenciées pour lesquelles les évolutions tarifaires sont déconnectées des hausses figurant dans les circulaires annuelles (sociétés Chronopost et DPD, XPO, BMVirolle, DHL, GLS, Geodis, ainsi que TNT).
843. Enfin deux requérantes demandent de déduire de leur chiffre d'affaires la surcharge gazole perçue pour tous les contrats, en faisant valoir que, outre qu'elle n'est pas affectée par les hausses annuelles, elle vise à compenser une perte liée aux prix du gazole, et non à rémunérer un service (sociétés XPO et TNT).
844. S'agissant des options et frais supplémentaires, dont la taxe gazole, les requérantes font valoir qu'elles font l'objet de conditions tarifaires particulières et différenciées pour lesquelles les évolutions tarifaires sont déconnectées des hausses figurant dans les circulaires annuelles.
845. L'Autorité expose qu'aux termes des points 23 et 33 du communiqué sanctions, l'ensemble des ventes réalisées sur le marché pertinent, en relation avec le champ d'application de l'entente telle que qualifiée par la décision de sanction, entrent dans le périmètre de la sanction, ces ventes reflétant tout à la fois l'ampleur économique de l'infraction et la part respective de chaque entreprise dans celle-ci.
846. Elle considère que cette analyse rejoint celle de la Commission, dont la pratique est validée par la jurisprudence des juridictions de l'Union (CJUE, arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission, précité). Elle souligne notamment que ces juridictions ont jugé à plusieurs reprises que ce serait donner une signification trop étroite à la notion de " ventes " que de n'y faire figurer que celles dont il est établi qu'elles se faisaient à des prix influencés par l'entente.
847. L'Autorité fait valoir que les hausses tarifaires envisagées par les participants à l'entente et qui faisaient l'objet de leurs échanges ne concernaient aucun type de contrat ou de prestation de messagerie en particulier, mais l'ensemble du marché de la messagerie classique et express sur le territoire français, justifiant de retenir, au titre de la valeur des ventes, le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises participantes sur ces marchés. Elle précise qu'elle a écarté les ventes liées à des prestations internationales dans la mesure où elles n'ont pas été réalisées sur les marchés concernés, ainsi que les prestations intragroupes et les prestations de sous-traitance pour ne pas les prendre deux fois en compte.
848. Elle ajoute que le champ d'application de l'entente ne dépendait pas de l'importance des clients, puisque les hausses tarifaires concernaient aussi bien les " grands comptes " (les opérateurs de messagerie pouvant négocier plus sereinement avec eux grâce la connaissance qu'ils avaient des intentions de leurs concurrents) que les petits clients (qui se voyaient appliquer unilatéralement les revalorisations tarifaires prévues par les circulaires de hausse tarifaire), de sorte qu'il n'y avait pas davantage lieu d'en tenir compte dans la détermination de la valeur des ventes. Elle considère de même qu'il n'y avait pas lieu d'opérer une distinction selon que les clients avaient reçu ou non les circulaires, l'augmentation de la transparence du marché produite par les pratiques ne dépendant pas de la réception d'une circulaire.
849. Elle soutient enfin qu'il n'y a pas lieu d'écarter les contrats pluriannuels, dans la mesure où ils ont pu être conclus ou renouvelés sous l'empire de l'entente ; les frais et options, car ils font partie des prestations de messagerie ; et les ventes au comptant, puisqu'elles entrent dans le périmètre des pratiques sanctionnées.
850. Le ministre chargé de l'Économie rappelle liminairement que, s'agissant de la détermination des sanctions pécuniaires, l'Autorité n'est pas liée par la pratique décisionnelle de la Commission ni par la jurisprudence des juridictions de l'Union, mais qu'elle peut s'en inspirer, dans le respect de l'article L. 464-2 du Code de commerce et de son communiqué sanctions.
851. A cet égard, il rappelle que, selon la jurisprudence constante des juridictions de l'Union, la notion de " valeur des ventes " dans les lignes directrices 2006 ne vise pas que le chiffre d'affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu'elles ont réellement été affectées par cette entente, mais renvoie aux ventes réalisées sur le marché concerné par l'infraction.
852. Le ministre considère que l'Autorité pouvait pareillement retenir la valeur des ventes de tous les biens ou services réalisés sur les marchés affectés, une telle délimitation ne violant pas les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, dans la mesure où elle n'excède pas le marché des prestations de messagerie en France.
853. Il convient, à titre liminaire, d'écarter la demande d'annulation de la décision attaquée pour défaut de motivation présentée par plusieurs requérantes.
854. L'obligation de motivation à laquelle l'Autorité est soumise dans le prononcé de ses décisions impose un énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et permettent aux parties mises en cause de comprendre la nature de l'infraction retenue, et à la juridiction de recours d'en contrôler la légalité. Elle ne comporte pas, en revanche, l'obligation de répondre à l'intégralité des arguments invoqués, que les parties pourront, si elles les estiment opérants et nécessaires à leur défense, soumettre à la cour au soutien de leur recours de pleine juridiction.
855. En l'espèce, en expliquant, aux paragraphes 1201 à 1203 de la décision attaquée, pourquoi elle considérait devoir prendre en compte le chiffre d'affaires lié aux prestations de messagerie commercialisées en France, sans autres déductions que le chiffre d'affaires réalisé en sous-traitance et celui réalisé lors de prestations intragroupe - déductions uniquement justifiées par le souci de ne pas prendre deux fois en compte le même chiffre d'affaires -, l'Autorité, qui a permis aux requérantes de comprendre les raisons de sa décision et de les contester, a motivé à suffisance de droit son refus des exclusions supplémentaires de chiffre d'affaires qu'elles réclamaient.
856. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne découle ni du communiqué sanctions ni de la pratique décisionnelle antérieure de l'Autorité que les ventes de produits ou services devraient être " affectées " par l'infraction pour que leur valeur soit prise en compte pour le calcul du montant de base de la sanction.
857. D'une part, le point 23 du communiqué sanctions est ainsi libellé :
" Pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause (2). La valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d'en proportionner au cas par cas l'assiette à l'ampleur économique de l'infraction ou des infractions en cause, d'une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d'autre part. Elle est donc retenue par l'Autorité, à l'instar d'autres autorités de concurrence européennes, de préférence au chiffre d'affaires total de chaque entreprise ou organisme en cause, qui peut ne pas être en rapport avec l'ampleur de ces infractions et le poids relatif de chaque participant sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s). " (souligné par la cour).
858. Le point 33 du communiqué sanctions précise :
" 33. La référence prise par l'Autorité pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci, [...]. La qualification de l'infraction ou des infractions effectuée par l'Autorité, au regard de leur objet ou de leurs effets anticoncurrentiels, détermine ces catégories de produits ou de services. " (souligné par la cour).
859. Il ressort de ces points du communiqué sanctions que, dès l'instant où une catégorie de produits ou de services est " en relation avec l'infraction ", la valeur des ventes de cette catégorie de produits ou de services doit être prise en compte. Ainsi que le précise le point 33 du communiqué sanctions, c'est la qualification de l'infraction, effectuée au regard de son objet ou de ses effets, qui permet de déterminer les catégories de produits ou de services en relation avec cette infraction. Il n'est, en revanche, fait aucune référence à une nécessaire affectation des ventes de ces catégories de produits ou services par l'infraction pour pouvoir prendre en compte leur valeur.
860. D'autre part, dans plusieurs décisions, l'Autorité a, comme le soulignent les requérantes, effectivement écarté de la valeur des ventes prise en compte aux fins du calcul du montant de base de la sanction, les ventes de certaines catégories de produits réalisées sur le marché pertinent - c'est-à-dire le marché défini par l'Autorité préalablement à l'examen des pratiques, afin qu'il lui serve de cadre d'analyse - au motif que ces catégories de produits n'étaient pas en relation avec l'infraction :
- dans sa décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires, après avoir défini le marché pertinent comme " celui de la commercialisation de farine de blé tendre en sachets à destination du grand public en France " (§ 415), elle a uniquement pris en compte la valeur des ventes de farine en sachet " aux seules enseignes du hard discount en France " (§ 890) ;
- dans sa décision n° 13-D-03 du 13 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du porc charcutier, après avoir défini le marché pertinent comme " celui de la vente de viande de porc à destination des enseignes de la grande distribution en France " (§ 224), l'Autorité a pris en compte la valeur des seules ventes " réalisées [...] auprès des magasins de l'enseigne Auchan " (§ 431) ;
- dans sa décision n° 15-D-04 du 26 mars 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la boulangerie artisanale, après avoir défini " le marché concerné par les pratiques [...] comme celui de la commercialisation aux boulangeries artisanales de la farine de blé tendre livrée en vrac ou en conditionnement de plus de 20 kg et des mixes destinés à la production de viennoiserie ou autre pâtisserie vendue en boulangeries à destination d'une consommation effectuée principalement en France " (§ 284), l'Autorité a finalement exclu de la valeur des ventes prise en compte " les mixes destinés à la production de viennoiseries ou de pâtisseries " (§ 367).
861. Mais, par ces décisions, l'Autorité a, en identifiant les catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction au regard de l'objet ou des effets anticoncurrentiels des pratiques analysées, procédé de fait à une délimitation du marché concerné par l'entente, qui s'est trouvée être, dans ces trois espèces, plus étroit que le marché pertinent initialement défini. Une fois délimité le marché sur lequel l'entente se déployait, l'Autorité a bien retenu la valeur de l'ensemble des ventes des produits et services réalisées sur ce marché, sans vérifier si ces ventes avaient ou non été affectées par l'entente.
862. Lesdites décisions peuvent d'ailleurs être rapprochées des décisions dans lesquelles l'Autorité ayant été en mesure de définir finement le marché pertinent par référence à une catégorie de produits et/ou de clients, a constaté, à l'issue de son analyse des pratiques, que ce marché était bien celui concerné par l'entente et retenu pour assiette de la sanction l'ensemble des ventes réalisées sur ledit marché (décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en France métropolitaine, § 373 ; décision n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques, § 586 et 587 ; décision n° 15-D-17 du 30 novembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la téléphonie mobile à destination de la clientèle non résidentielle à La Réunion et à Mayotte, § 24 et 84).
863. Ainsi, il ne ressort pas de la pratique décisionnelle de l'Autorité que celle-ci aurait renoncé à prendre en compte la valeur des ventes de produits ou services dont elle aurait constaté qu'ils étaient en relation avec l'infraction, au motif que ces ventes n'avaient pas été affectées par l'infraction.
864. Le choix fait par l'Autorité, tant dans sa pratique décisionnelle que dans son communiqué sanctions, de ne pas prendre en compte le critère de l'affectation des ventes par l'infraction, apparaît justifié.
865. En effet, outre que l'exigence de proportionnalité ne l'impose pas, l'obligation de mettre un tel critère en œuvre contraindrait l'Autorité, non certes pas à démontrer, pour chaque catégorie de produits ou services, que leurs ventes ont été réellement affectées par l'entente - les requérantes admettant le bien-fondé d'une présomption simple d'" affectation " -, mais à vérifier l'affirmation des entreprises incriminées selon laquelle les ventes de certaines catégories de produits ou services n'ont pas pu être affectées. Or une telle exigence, en obligeant les services d'enquête de l'Autorité à consacrer un temps important à de telles vérifications, limiterait très sensiblement l'efficacité de son action. À cet égard, la présente affaire illustre parfaitement les dérives qu'entraînerait l'approche défendue par les requérantes : sous couvert de catégories de prestations, celles-ci en arrivent en effet à réclamer la déduction d'une partie du chiffre d'affaires décomposé contrat individuel par contrat individuel.
866. Surtout, ladite obligation priverait largement d'effet dissuasif les sanctions que prononce l'Autorité, puisque chaque entreprise pourrait espérer, en cas de poursuites, voir sa sanction calculée sur la base d'un chiffre d'affaires très inférieur à celui qu'elle réalise sur le marché sur lequel se déroule l'entente. À l'inverse, l'approche retenue par l'Autorité est plus conforme à l'exigence de prévisibilité de la sanction, et donc à son caractère dissuasif, toute entreprise se livrant à des pratiques anticoncurrentielles sur un marché donné étant d'emblée en mesure de savoir que la sanction qu'elle encourt sera, en principe, calculée sur la totalité du chiffre d'affaires qu'elle réalise sur ledit marché.
867. Enfin, si, conformément au principe d'autonomie procédurale, l'Autorité n'est pas liée par les règles de droit de la concurrence de l'Union relatives au calcul des sanctions, la cour juge opportun de souligner que la détermination de la valeur des ventes est arrêtée de la même façon au niveau européen. C'est ainsi que, dans son arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission, précité, la Cour de justice a approuvé, dans les termes suivants, le Tribunal d'avoir retenu l'ensemble des ventes réalisées sur le marché concerné par l'infraction :
" 56. En l'espèce, le Tribunal a donc jugé à bon droit, au point 97 de l'arrêt attaqué, que "la possibilité pour la Commission d'inclure dans la valeur des ventes pertinentes aux fins du calcul du montant de l'amende les ventes de LCD cartellisés faites par les requérantes à LGE et à Philips dépend non pas de la question de savoir si ces ventes se faisaient à des prix influencés par l'entente, mais du simple fait que celles-ci étaient réalisées sur un marché affecté par l'existence d'une entente à laquelle les requérantes participaient".
[...]
58. En conséquence, ayant constaté, au point 69 de l'arrêt attaqué, dans le cadre de son appréciation souveraine des faits, sans que les requérantes invoquent la moindre dénaturation, que les ventes de LCD cartellisés effectuées par ces dernières à LGE et à Philips ont été réalisées sur le marché concerné par l'infraction, c'est sans commettre d'erreur de droit que le Tribunal a estimé, aux points 71 et 72 de cet arrêt, que la Commission était en droit de tenir compte desdites ventes pour calculer le montant de l'amende à leur infliger, sans qu'il importe de savoir si LGE et Philips leur ont effectivement payé des prix majorés en raison de l'entente et si elles ont répercuté cette éventuelle majoration sur le prix des produits finis intégrant les LCD cartellisés qu'elles ont vendus aux consommateurs dans l'EEE.
59. Dans ces conditions, le Tribunal n'était tenu ni de préciser les raisons pour lesquelles les ventes desdits LCD réalisées par LGD auprès de LGE et de Philips, en dépit des clauses contractuelles liant LGD à ces dernières dans le cadre de leur accord d'entreprise commune, auraient pu fausser la concurrence sur le marché pertinent, ni d'examiner les preuves fournies par les requérantes à cette fin.
[...]
Contrairement à ce que font valoir les requérantes, le Tribunal n'a, ce faisant, nullement fait prévaloir une présomption irréfragable selon laquelle toutes les ventes réalisées sur le marché pertinent ont été affectées par l'infraction en cause. En revanche, le Tribunal a considéré, par une motivation qui, ainsi qu'il résulte des points 48 à 59 du présent arrêt, n'est entachée d'aucune erreur de droit, que, même en l'absence de toute preuve que les ventes des LCD cartellisés par les requérantes à leurs sociétés mères ont été affectées par cette infraction, ces ventes peuvent néanmoins être prises en compte aux fins du calcul du montant de l'amende à infliger aux requérantes, dès lors qu'elles ont été réalisées sur le marché concerné par l'infraction. [...] " (souligné par la cour).
868. Il s'ensuit que, à supposer établi par l'Autorité que l'ensemble des prestations de messagerie classique et express sont en relation avec le grief n° 2, c'est en vain que les requérantes cherchent à démontrer que telle ou telle catégorie de contrats n'a pas pu être affectée par l'entente, puisque, même à supposer cette preuve rapportée, un tel critère est inopérant.
869. En deuxième lieu, c'est à juste titre que l'Autorité a constaté que l'ensemble des prestations de messagerie classique et express réalisées sur le marché français étaient en relation avec le grief n° 2.
870. À cet égard, il y a lieu de constater qu'une différence fondamentale distingue la présente espèce des décisions de l'Autorité, citées au paragraphe 860 du présent arrêt, dans lesquelles le marché affecté a été délimité par référence à une catégorie de clients. Dans les cas évoqués, l'entente avait été cantonnée par les participants eux-mêmes à la relation entre ces derniers et tel client ou telle catégorie de clients.
871. Rien de tel en l'espèce, où les informations échangées concernaient un aspect de la politique tarifaire générale qu'entendaient suivre les entreprises participantes - le taux de hausse qu'elles souhaitaient obtenir -, sans distinction selon la nature des services ou selon les caractéristiques des clients. Notamment, ce n'est pas parce qu'elles n'envoyaient pas leurs circulaires de hausse tarifaire à leurs clients les plus importants, qu'elles ne s'efforçaient pas, dans les négociations avec ces derniers, de faire passer les taux de hausses qu'elles avaient annoncés lors des réunions du Conseil de Métiers.
872. L'Autorité fait à raison valoir, dans ses observations, que, dès lors que les hausses tarifaires envisagées et échangées par les entreprises de messagerie ne concernaient aucun type de contrat particulier et aucune prestation de messagerie particulière, mais l'ensemble du marché domestique de la messagerie classique et express, la totalité des prestations réalisées sur ce marché était en relation avec l'infraction au sens des points 23 et 33 du communiqué sanctions.
873. C'est donc à juste titre, et dans le strict respect du communiqué sanctions, que l'Autorité a refusé de distinguer selon les clients et/ou les contrats et a retenu le chiffre d'affaires réalisé par chaque entreprise participante sur le marché domestique de la messagerie classique et express.
874. Eu égard aux considérations qui précèdent, ce n'est que de façon surabondante que la cour examinera ci-après les arguments avancés spécifiquement par les requérantes pour chacune des catégories de contrats et/ou de clients dont elles demandent l'exclusion.
875. S'agissant des petits clients, d'une part, aux paragraphes 417 à 420 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé que, lors de la campagne tarifaire 2006-2007, certaines entreprises - Schenker-Joyau, Alloin et Gefco - avaient, postérieurement à la réunion du Conseil de Métiers du 28 septembre 2006, demandé à leur clientèle un taux de hausse plus élevé que celui qu'elles avaient annoncé lors de cette réunion, ce dont l'Autorité a justement déduit que les échanges anticoncurrentiels du 28 septembre 2006 avaient produit un effet d'alignement sur le taux le plus élevé annoncé au cours de cette réunion, à savoir celui de la société Graveleau. Dans la mesure où les requérantes s'accordent généralement sur le fait que les hausses figurant dans les circulaires s'appliquaient sans négociation aux petits clients, il apparaît qu'en tout état de cause, les ventes à ces derniers ont bien été en relation avec l'infraction.
876. S'agissant des clients " grands comptes ", non destinataires des circulaires de hausse, et des clients " hors cycle ", pour lesquels les négociations intervenaient en dehors de la période habituelle de négociation, entre octobre et mars de l'année suivante, ainsi que des clients " atypiques ", les négociations que les opérateurs de messagerie engageaient avec eux ne pouvaient pas être totalement déconnectées des prix pratiqués sur le marché à l'égard de tous les autres clients, le constat d'une hausse généralisée des prix favorisant l'acceptation de hausses, y compris par les clients disposant d'un important contre-pouvoir. Il en va de même des relations avec les clients à conquérir (nouveaux clients et ventes au comptant), un environnement marqué par une hausse des prix étant de nature à leur faire accepter, au début de la relation contractuelle ou à l'occasion de chaque vente au comptant, un prix plus élevé que ce qu'il aurait été sans les pratiques.
877. Dès l'instant où les pratiques, en augmentant la transparence du marché, étaient de nature à entraîner des hausses supérieures à ce qu'elles auraient été sans l'entente, elles ont aussi eu pour effet, réellement ou potentiellement, de favoriser artificiellement les entreprises dans leurs négociations avec leurs plus grands clients, leurs clients atypiques et leurs clients " hors cycle ", comme avec leurs nouveaux clients et, par voie de conséquence, de renforcer la possibilité de leur faire accepter des taux de hausse plus élevés.
878. S'agissant des clients liés à un opérateur de messagerie par des contrats pluriannuels, la cour relève, d'une part, qu'un nombre certainement important de ces contrats n'ont pu manquer d'arriver à échéance au cours des six années qu'ont duré les pratiques, de sorte que leur renégociation est intervenue au cours et sous l'influence des pratiques. D'autre part, à supposer même que, pour certains de ces contrats pluriannuels, aucune échéance ne soit intervenue pendant la durée de la participation aux pratiques, il convient de constater que, si la société Deutsche Bahn et ses filiales n'avaient pas informé l'Autorité de l'existence de cette entente, dans le cadre d'une demande de clémence, celle-ci se serait poursuivie, de sorte que l'exclusion desdits contrats ne permettrait pas de tenir compte de l'ampleur des pratiques, et notamment de leur vocation à se prolonger.
879. La même observation peut être faite à l'égard des clients n'ayant fait l'objet d'aucune hausse au cours de la durée de participation de l'entreprise à l'entente. Au surplus, il ne peut être exclu que, sans les pratiques, certains de ces clients, dotés d'un fort pouvoir de négociation, auraient pu obtenir des baisses de tarifs, le contexte de hausse les ayant seulement dissuadés d'exiger une baisse.
880. Enfin, la cour constate, plus généralement, que l'entente - dont la cour rappelle qu'elle s'est prolongée de campagne tarifaire en campagne tarifaire pendant environ six années - a en tout état de cause créé un contexte favorable aux hausses, chaque entreprise étant confiante dans le fait que ses concurrents chercheraient, comme elle, à obtenir les taux de hausses communiqués en réunion du Conseil de Métiers, et a donc été de nature à influer sur leur taux dans la relation des entreprises participantes avec l'ensemble de leurs clients.
881. En conclusion, la facilitation des hausses de prix par les pratiques objet du grief n° 2 s'est nécessairement faite sentir sur l'ensemble des ventes réalisées sur le marché de la messagerie classique et express. À tout le moins les requérantes sont-elles impuissantes à rapporter la preuve contraire.
882. En troisième lieu, le reproche fait par les requérantes à l'Autorité de ne pas avoir écarté de la valeur des ventes, d'une part, les options et frais supplémentaires, d'autre part, la surcharge gazole, y compris lorsqu'ils sont payés au titre de contrats ayant été affectés par l'entente, au motif que leur montant serait déterminé indépendamment des circulaires de hausses tarifaires, n'est pas fondé.
883. Une telle exigence ne trouve, là encore, aucun fondement dans le communiqué sanctions et dans la pratique de l'Autorité.
884. En outre, elle n'aboutirait pas seulement à contraindre celle-ci à vérifier, pour chaque contrat, s'il a été réellement affecté par l'entente ou, à l'inverse, s'il peut être exclu qu'il l'ait été, mais irait au-delà encore, en l'obligeant, pour chaque vente de produit ou service appartenant à une catégorie de produits ou services en relation avec l'infraction, à distinguer ceux des éléments constitutifs du prix global de vente qui ont été affectés, qui seuls pourraient entrer dans la valeur des ventes, de ceux qui ne l'ont pas été, qu'il conviendrait d'écarter. Or, pour les raisons déjà exposées aux paragraphes 865 et 866 du présent arrêt, la nécessité de garantir l'efficacité de l'action de l'Autorité, et notamment de ses services d'instruction, ainsi que la prévisibilité et le caractère dissuasif des sanctions qu'elle prononce, s'opposent à un tel degré d'exigence.
885. En dernier lieu, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, le périmètre des ventes retenu pour déterminer le montant de base des sanctions reflète exactement l'ampleur économique de l'infraction.
886. Plus généralement, la prise en compte, comme assiette des sanctions, de la valeur de l'ensemble des ventes de produits et services en relation avec l'infraction, n'est pas contraire au principe de proportionnalité des peines. Il convient en effet de rappeler, d'une part, qu'aux fins de déterminer le montant de base de la sanction, il est appliqué à la valeur des ventes retenue un coefficient fixé en fonction de la gravité des faits et du dommage causé à l'économie ainsi qu'un coefficient traduisant la durée de la participation individuelle de chaque entreprise à l'entente, d'autre part, que le montant de base ainsi obtenu peut encore faire l'objet d'une individualisation en fonction des circonstances aggravantes et atténuantes propres à chaque entreprise, et d'ajustements finaux pour tenir compte de ses éventuelles difficultés.
887. Dès lors, c'est à juste titre, et sans encourir aucun des griefs soulevés par les requérantes, que l'Autorité a retenu, au titre de la valeur des ventes, le chiffre d'affaires lié aux prestations de messagerie et de messagerie express sur le territoire français, déduction faite du chiffre d'affaires réalisé lors de prestations internationales - lesquelles ne sont pas en relation avec l'infraction - ainsi que du chiffre d'affaires réalisé lorsque les entreprises ont agi exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur et du chiffre d'affaires réalisé lors de prestations intragroupe - afin de ne pas prendre deux fois en compte le même chiffre d'affaires.
888. Les moyens précédemment examinés sont en conséquence rejetés.
c) Sur la proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie
889. Après analyse de la gravité des faits (décision attaquée, §1212 à 1239) et de l'importance du dommage causé à l'économie (décision attaquée, § 1240 à 1294), l'Autorité a conclu qu'il y avait lieu de retenir, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises mises en cause au titre du grief n° 2, une proportion de 9 % de la valeur retenue comme assiette du montant des sanctions pécuniaires (décision attaquée, § 1295).
890. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., Geodis, Chronopost et DPD, GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Goup, DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, XPO ainsi que BMVirolle contestent tout ou partie des appréciations de l'Autorité et demandent à la cour de réduire à la baisse ce pourcentage.
891. Il convient de souligner que la gravité des faits comme l'importance du dommage causé à l'économie, critères prévus par la loi, s'apprécient de façon globale, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément.
892. Doivent donc d'emblée être écartés les arguments par lesquels la société XPO fait valoir que les faits qui lui sont reprochés sont d'une moindre gravité que ceux imputables aux autres entreprises mises en cause et n'ont pu causer un dommage à l'économie.
á. Sur la gravité des faits
893. Aux termes de l'article 25 du communiqué sanctions, " [l]'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce ".
894. Le point 26 du même communiqué précise :
" Pour apprécier la gravité des faits, l'Autorité tient notamment compte des éléments suivants, en fonction de leur pertinence :
- la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser (entente entre concurrents, qui peut elle-même revêtir un degré de gravité différent selon qu'il s'agit, par exemple, d'un cartel de prix ou d'un simple échange d'informations; entente entre deux acteurs d'une même chaîne verticale, comme une pratique de prix de revente imposés par un fournisseur à des distributeurs; abus de position dominante, qu'il s'agisse d'abus d'éviction ou d'exploitation), ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés (prix, clientèle, production, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison; ces éléments revêtent une importance centrale dans le cas des pratiques anticoncurrentielles expressément visées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et 101 et 102 TFUE, en considération de leur gravité intrinsèque ;
- la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, marché public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ;
- la nature des personnes susceptibles d'être affectées (petites et moyennes entreprises [PME], consommateurs vulnérables, etc.), et
- les caractéristiques objectives de l'infraction ou des infractions (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d'une législation, etc.) ".
895. La cour fera siens ces critères, qu'elle juge pertinents pour apprécier la gravité de pratiques anticoncurrentielles reprochées aux requérantes.
896. En l'espèce, s'agissant de la nature de l'infraction, l'Autorité a souligné qu'il résulte de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence nationale et de l'Union qu'une entente horizontale portant sur des prix futurs constitue une infraction très grave (décision attaquée, § 1214 à 1220).
897. Elle a considéré que les pratiques objet du grief n° 2 constituaient une entente horizontale de concertation sur les prix futurs, au motif que les entreprises avaient échangé sur leurs hausses tarifaires futures avant que celles-ci ne soient envoyées aux clients ou, dans certains cas, au moment de leur transmission ou peu après, mais en tout état de cause avant l'achèvement des négociations tarifaires avec leurs clients ; que les pratiques avaient donc concouru, directement ou indirectement, à la fixation de hausses tarifaires à un niveau supérieur à celui qui aurait résulté d'une situation de concurrence non faussée, en diminuant significativement l'incertitude lors de chaque campagne de négociation annuelle, et qu'in fine, les pratiques avaient permis aux participants d'améliorer leur position de négociation individuelle, en substituant au jeu de la concurrence, une fixation concertée, directe ou indirecte, des revalorisations tarifaires des prestations de messagerie classique et de messagerie express. Elle en a conclu qu'elles devaient donc, en première analyse, être considérées comme très graves (décision attaquée, § 1221 à 1224).
898. Elle a toutefois relevé que les requérantes ne s'étaient pas concertées, au moins de manière systématique, sur le détail des négociations avec leur clientèle, ce qui était de nature à minorer la gravité des pratiques (décision attaquée, § 1225).
899. S'agissant des personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques, l'Autorité a souligné que c'est une large majorité des PME du tissu industriel français qui ont le plus souffert des pratiques poursuivies, puisqu'elles se sont vu appliquer directement les hausses tarifaires qui faisaient l'objet de la concertation, élément de nature à renforcer la gravité des pratiques (décision attaquée, § 1226 à 1230).
900. Enfin, s'agissant des caractéristiques objectives des pratiques, l'Autorité a considéré que celles-ci avaient revêtu un caractère secret (décision attaquée, § 1231 à 1234), que, s'agissant des deux étapes du processus d'entente et de négociation tarifaire, à savoir les intentions de revalorisation tarifaire et l'envoi des hausses tarifaires aux clients par le biais de circulaires, la capacité qu'avaient les entreprises de récupérer auprès de leurs clients les circulaires de leurs concurrents leur permettait de mettre en place une veille concurrentielle et donc de vérifier que les hausses annoncées en réunion du Conseil de Métiers avaient bien été mises en œuvre dans lesdites circulaires (décision attaquée, § 1236 et 1237), et qu'un exemple de menace de représailles a été identifié, la menace ayant d'ailleurs eu les effets escomptés (décision attaquée, § 1238).
901. En revanche, l'Autorité a reconnu que la sophistication des pratiques était limitée (décision attaquée, § 1235) et que, s'agissant de la dernière étape du processus d'entente et de négociation tarifaire, relative au suivi et au bilan des négociations tarifaires annuelles, si les entreprises mises en cause procédaient bien à un suivi et un bilan global des hausses tarifaires obtenues à l'issue de chaque campagne, il n'y avait pas, à proprement parler, de véritable système organisé de surveillance et encore moins de police (décision attaquée, § 1239).
902. En premier lieu, concernant la nature de l'infraction, la société Geodis soutient, premièrement, que l'Autorité a considéré à tort que les pratiques reprochées pouvaient être assimilées à des pratiques d'accord de fixation de prix futurs entre concurrents, alors qu'il s'agissait de pratiques d'échanges d'informations, d'une part, et que la plupart des informations échangées avaient porté sur des informations passées et publiques, d'autre part. Les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., les sociétés Chronopost et DPD ainsi que les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group font également valoir que, selon la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et la jurisprudence tant nationale qu'européenne, les pratiques concertées d'échanges d'informations, telles celles objet du grief n° 2, sont d'une moindre gravité que les véritables accords sur les prix, ce que l'Autorité aurait entériné au point 26 du communiqué sanctions.
903. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. soulignent que les exemples jurisprudentiels invoqués par l'Autorité portaient sur des pratiques à plusieurs égards plus graves que la présente espèce. Selon les sociétés Chronopost et DPD, tous les exemples jurisprudentiels cités par l'Autorité concernaient des accords sur les prix, dans le cadre desquels les échanges d'informations n'étaient que le support de l'entente, soit des pratiques d'une particulière gravité et considérées comme des restrictions de concurrence par objet, alors que les échanges d'informations objet du grief n° 2 ne revêtaient aucun caractère intrinsèque de gravité au regard de leur nature. De la même façon, les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group soutiennent que lesdits exemples jurisprudentiels concernaient tous des cas d'échanges d'informations très particuliers, aboutissant en réalité à une fixation des prix entre les participants à la pratique.
904. Deuxièmement, la société Geodis fait valoir que l'Autorité a considéré à tort que les informations échangées avaient un caractère " tangible " et " effectif ", alors que, pour la plupart des clients, les taux annoncés avaient un caractère purement indicatif par rapport aux prix réellement négociés. La société BMVirolle souligne également la dichotomie existant entre les taux de hausses annoncés dans les circulaires et ceux effectivement appliqués aux clients, et fait valoir que, dans l'affaire Fresh del Monte, la Commission, approuvée par le Tribunal, a considéré que la même dichotomie entre les prix de référence, sur lesquels portaient les échanges d'informations, et les prix réels constituait un élément d'atténuation de la gravité de la pratique (Commission, décision C (2008) 5955 du 15 octobre 2008 relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] (affaire COMP/39188 - Bananes) ; TUE, arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission, T-587/08, point 766).
905. Troisièmement, la société Geodis reproche à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte du fait que les informations échangées ne portaient que sur une partie très limitée de la politique commerciale des entreprises. De même, selon les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, les pratiques ne portaient pas sur des prix futurs, mais sur le niveau des hausses de prix futures.
906. Quatrièmement, la société Geodis soutient que l'Autorité n'a pas tenu compte du fait que la plupart des entreprises n'avaient participé qu'aux réunions du Conseil de Métiers, et non à des échanges bilatéraux en dehors de ces réunions, alors qu'il s'agissait d'un élément crucial d'appréciation de la gravité des pratiques.
907. Cinquièmement, la société Geodis reproche à l'Autorité d'avoir apprécié la gravité des pratiques sur la base d'une mauvaise évaluation de leur impact supposé. En particulier, l'Autorité aurait sous-estimé la transparence naturelle du marché, laquelle aurait très fortement limité l'impact des échanges d'informations. Au surplus, l'Autorité n'aurait pas tenu compte du fait que seuls les échanges intervenus avant la diffusion des circulaires de hausses tarifaires ont pu potentiellement renforcer la transparence du marché. Selon la société Geodis, les pratiques n'ont eu ni effet de " convergence " des taux de hausses ni impact sur le pouvoir de négociation des transporteurs.
908. Enfin, sixièmement, la société Geodis soutient que la gravité des pratiques est fortement atténuée compte tenu de la situation particulièrement difficile du secteur, En effet, de manière générale, la gravité d'une infraction potentielle ne pourrait qu'être moindre lorsqu'elle est mise en œuvre par des entreprises en proie à des difficultés économiques réelles et afin de les surmonter, et non pour maximiser leurs profits.
909. En deuxième lieu, concernant les personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques, les sociétés Chronopost et DPD soutiennent, d'une part, que, si les PME ont un pouvoir de négociation réduit par rapport aux grands clients, le marché de messagerie est si compétitif qu'il assure à tous les clients, y compris les PME, un fort pouvoir de négociation de fait, puisqu'ils peuvent rapidement changer d'opérateur de messagerie. Selon les requérantes, l'Autorité aurait postulé l'absence de tout pouvoir de négociation des PME sans avoir mené, comme elle l'aurait dû, une analyse concrète et objective des effets des pratiques sur cette catégorie de clients.
910. Selon les sociétés Chronopost et DPD, il ne serait, en tout état de cause, pas établi que les PME étaient susceptibles d'être affectées par principe par les pratiques ; en effet, les hausses tarifaires étaient décidées individuellement par chaque opérateur de messagerie, non seulement lorsque les circulaires étaient envoyées à la clientèle avant les réunions du Conseil de Métiers, mais également lorsqu'elles l'étaient après, les entreprises demanderesses de clémence ayant elles-mêmes souligné qu'elles n'avaient jamais modifié leurs taux de hausse après lesdites réunions.
911. D'autre part, les sociétés Chronopost et DPD soulignent que l'Autorité a implicitement admis que les consommateurs n'ont pas été impactés par les pratiques en cause, ce qui conduit à relativiser leur gravité.
912. En troisième lieu, sur les caractéristiques objectives des pratiques, les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. font valoir que le caractère secret des pratiques, relevé par l'Autorité, était en réalité extrêmement peu élaboré, aucun moyen spécifique pour garantir la confidentialité des échanges n'ayant été constaté. De même, l'Autorité n'aurait caractérisé ni une volonté manifeste de conserver le caractère secret des pratiques ni l'existence d'efforts particuliers des participants pour garantir la discrétion de leurs échanges.
913. Selon les sociétés Chronopost et DPD, l'Autorité a déjà admis que des pratiques organisées sous l'égide d'une association professionnelle ne sont pas secrètes (décision de l'Autorité n° 115-D-08 du 5 mai 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de la viande de volaille, point 328 : " Par ailleurs, [les pratiques] ne revêtaient pas un caractère sophistiqué et secret. En effet, les échanges litigieux entre industriels avaient lieu à l'occasion de réunions et contacts organisés par la FIA, qui n'impliquaient pas toujours les mêmes participants et qui, très souvent, donnaient lieu aussi à des discussions plus générales sur l'état de la filière avicole ") et a au contraire considéré que le fait que la pratique reprochée ait lieu dans le cadre de réunions organisées par une telle association est un facteur de nature à atténuer sa gravité (décision de l'Autorité n° 12-D-02 du 12 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'ingénierie des loisirs, de la culture et du tourisme, point 180).
914. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. reprochent par ailleurs à l'Autorité d'avoir considéré que la sophistication des pratiques était " relativement limitée ", alors que ses propres constatations (décision attaquée, § 1235) auraient dû la conduire à retenir le caractère extrêmement limité voire l'absence de sophistication des pratiques.
915. En outre, les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. et les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group considèrent que l'Autorité aurait dû constater l'absence pure et simple de mécanismes de surveillance et de représailles. D'une part, une simple veille concurrentielle légitime, qui ne se confond pas avec la mise en œuvre de moyens spécifiques de surveillance ou de vérification du comportement des participants et n'est pas fondée sur le contenu des informations échangées, ne serait pas un mécanisme de surveillance de nature à renforcer l'appréciation de la gravité des pratiques. À cet égard, l'Autorité n'établirait pas que la veille concurrentielle, pratiquée par toutes les entreprises actives sur le marché, aurait eu pour seul et unique objectif de mettre en place un système de surveillance. D'autre part, un seul cas de menace de rétorsion sur une entente d'une durée globale de près de six ans ne permettrait pas de conclure à la mise en place d'un mécanisme de représailles. Les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group ajoutent que, à le supposer établi, ce cas est survenu dans le cadre d'échanges bilatéraux entre les sociétés Graveleau et Mory, auxquels la société GLS n'aurait pas pris part et dont elle n'avait même pas connaissance.
916. De même, les sociétés Chronopost et DPD font valoir qu'un unique prétendu cas de menace de rétorsion, en 2004, à une époque où elles n'étaient pas encore entrées dans l'entente, n'a pas pu suffire à décourager les éventuels comportements déviants des participants jusqu'en septembre 2010, et en concluent que l'Autorité aurait dû constater qu'aucun mécanisme de surveillance collective, même non formalisé, n'avait été mis en place.
917. Les sociétés Chronopost et DPD ajoutent que l'Autorité n'avait, jusqu'à la décision attaquée, pris en compte l'existence d'un système de surveillance pour la détermination des sanctions que dans des affaires dans lesquelles était établie l'existence de mesures de rétorsion dans un contexte d'entente expresse et de cartels, et non de simples échanges d'informations (décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012, précité, § 795) ou dans lesquelles les échanges d'informations permettaient aux entreprises d'assurer une surveillance efficace des politiques de prix des participants aux échanges, nonobstant l'absence de système formel de représailles (décision de l'Autorité n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d'hygiène et de soins pour le corps, § 1299 et s.)
918. Enfin, les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. reprochent à l'Autorité d'avoir retenu que les échanges avaient été réguliers et fréquents (décision attaquée, § 326, 659 et 676). Selon les requérantes, la fréquence des échanges était limitée. D'une part, les réunions du Conseil de Métiers auraient été relativement limitées et leur fréquence extrêmement faible, quatre par an au maximum, dont deux seulement servant de cadre aux échanges d'informations sur les hausses tarifaires. D'autre part, les échanges en dehors de ces réunions auraient procédé d'initiatives ponctuelles réunissant une partie des entreprises seulement, et d'une fréquence particulièrement faible lors des quatre dernières campagnes tarifaires.
919. Les sociétés Chronopost et DPD concluent que " les pratiques en cause ne revêtent aucun caractère particulier de gravité ", la société Geodis, que " le degré de gravité qui doit être retenu en l'espèce ne peut qu'être très faible ", les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, que " les pratiques poursuivies ne revêtaient, au vu de leurs caractéristiques et mise en œuvre pratique, qu'un faible degré de gravité ", les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., que l'Autorité aurait dû retenir " une qualification moins sévère de la gravité des faits ". Quant aux sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, elles invoquent " la moindre gravité des pratiques sanctionnées ".
920. L'Autorité rappelle que les difficultés économiques du secteur, alléguées par certaines sociétés requérantes, ne comptent pas au nombre des critères de détermination du montant des sanctions fixés par l'article L. 464-2 du Code de commerce et que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, seules les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises peuvent être prises en compte au titre de l'examen de leurs capacités contributives. Elle fait valoir que, loin d'avoir surestimé la gravité des pratiques en cause, comme le prétendent certaines requérantes, elle a, au contraire, procédé à une analyse nuancée de cette gravité, en relevant que ces pratiques étaient certes très graves eu égard à leur nature et à leur caractère secret, qui, contrairement aux allégations de certaines sociétés requérantes, est établi, mais qu'elles ne portaient pas sur le détail des négociations avec les clients, étaient faiblement sophistiquées et ne comportaient pas de dispositif de surveillance ou de police, et en retenant, en conséquence, une proportion de la valeur des ventes particulièrement faible pour ce type de pratiques.
921. En ce qui concerne l'argument de la société Geodis, relatif à la nature des informations échangées, qui seraient passées, publiques et peu stratégiques, l'Autorité observe qu'il relève non de la détermination de la sanction, mais de la qualification même des pratiques.
922. Enfin, elle soutient que l'absence de participation de certaines entreprises aux échanges bilatéraux ou multilatéraux est inopérant en ce qui concerne l'appréciation de la gravité de l'infraction, qui ne dépend pas de l'intensité de cette participation.
923. Le ministre chargé de l'Économie fait valoir que les éléments présentés par les sociétés requérantes en ce qui concerne la gravité de l'infraction ont été pris en compte par l'Autorité. Il rappelle que les pratiques horizontales, secrètes et délibérées sont graves par nature et que l'Autorité a relativisé cette gravité en relevant que les mises en cause ne s'étaient pas concertées de manière systématique sur les détails de leurs négociations et n'avaient pas mis en place un système organisé de surveillance ou de police. Enfin, le ministre souligne que les difficultés financières alléguées par plusieurs sociétés requérantes, ainsi que la crise du secteur de la messagerie, ne sont pas des éléments d'analyse objective de la gravité de l'infraction, mais peuvent, le cas échéant, être prises en compte au titre des ajustements finaux du montant des sanctions.
924. Le ministère public fait valoir qu'en l'espèce, l'Autorité a procédé à une analyse nuancée de la gravité des pratiques. Ainsi il rappelle que, si l'Autorité a, dans une première approche, considéré que les pratiques en cause étaient très graves, en ce qu'elles constituaient une entente horizontale portant sur les prix et qu'elles avaient un caractère secret, elle a relevé que ces mêmes pratiques ne portaient pas sur le détail des négociations avec les clients, étaient faiblement sophistiquées et ne comportaient pas de système organisé de surveillance et qu'en conséquence, cette gravité devait être relativisée. S'agissant des caractéristiques objectives de l'infraction, le ministère public souligne que les arguments avancés par les sociétés requérantes ont été analysés et pris en compte par l'Autorité dans la décision attaquée. S'agissant des arguments avancés par la société Geodis et relatifs à la nature des informations échangées, qui ne concerneraient que des données publiques et passées, il considère qu'ils ont trait non à la gravité de l'infraction, mais à la qualification même des pratiques, déjà examinée par la cour. Enfin, selon le ministère public, les arguments relatifs à la moindre participation de certaines entreprises aux pratiques en cause, à l'absence d'impact de celles-ci ainsi qu'aux difficultés du secteur ne sont pas à prendre en considération au titre de l'individualisation des sanctions.
925. Il convient d'emblée d'écarter l'argument de la société Geodis pris des difficultés économiques du secteur de la messagerie. En effet, les difficultés générales du secteur sur lequel se déploient les pratiques ne font pas partie des critères en considération desquels il y a lieu d'apprécier la gravité des faits. L'interprétation contraire aboutirait à reconnaître la légitimité des violations des principes et règles du droit de la concurrence en cas de difficultés dans le secteur où elles se produisent.
926. Sera de même écarté l'argument de la société Geodis pris de ce que l'Autorité aurait mal évalué l'impact supposé des pratiques, ainsi que celui des sociétés Chronopost et DPD selon lequel l'Autorité aurait implicitement admis que les consommateurs n'ont pas été impactés par les pratiques, ces questions relevant, non pas de l'appréciation de leur gravité, mais de l'importance du dommage qu'elles ont pu causer à l'économie.
927. Enfin, la gravité des pratiques s'appréciant globalement, seront écartés l'argument des sociétés Geodis, Chronopost et DPD pris de l'absence de participation de certaines des entreprises mises en cause aux échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, celui de la société BMVirolle pris du caractère public d'une partie des informations qu'elle a transmises sur ses hausses tarifaires et celui de la société Chronopost, de la société DPD et des sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, pris de ce qu'elles n'étaient pas encore parties à l'entente au moment des menaces adressées à la société Mory ou n'auraient pas participé aux échanges bilatéraux entre les sociétés Graveleau et Mory à l'occasion desquelles ces menaces avaient été formulées.
928. La cour examinera ci-après les arguments des requérantes concernant, d'abord, la nature de l'infraction, ensuite les personnes affectées par les pratiques, enfin les caractéristiques objectives des pratiques.
929. En premier lieu, s'agissant de la nature de l'infraction, ainsi que la cour l'a souligné au paragraphe 578 du présent arrêt, les pratiques relevant du grief n° 2 ont consisté pour les entreprises mises en cause, durant la période écoulée entre le 30 septembre 2004 et le 29 septembre 2010, d'une part, en des échanges annuels d'informations commerciales sur les hausses de tarifs qu'elles projetaient d'appliquer à leurs clients, avant le début des négociations tarifaires menées avec eux, d'autre part, en cours de campagne tarifaire, en des échanges sur le résultat de ces négociations qui ont permis un suivi des informations échangées précédemment et, enfin, en un rappel à l'ordre, lors de la campagne tarifaire 2004-2005, d'une entreprise déviante, pour ne pas avoir circularisé le taux de hausse qu'elle avait annoncé à ses concurrents.
930. Certes, il ne ressort pas du dossier que les pratiques allaient jusqu'à arrêter en commun un même taux de hausse tarifaire, ce que démontrent les divergences de taux entre entreprises pour une même campagne tarifaire. Toutefois, l'entente a apporté à chacun des participants une certitude quant à leurs intentions réciproques en matière de fixation des prix, grâce à laquelle chacun d'entre eux pouvait être certain, sinon du niveau exact des prix des autres participants, du moins, d'une part, de leur volonté de maintenir une stratégie commune visant à la fixation de prix plus élevés, d'autre part, du taux de hausse - ou de la fourchette dans laquelle ce taux se situerait - réclamé par leurs concurrents à leur clientèle. De ce fait, ils n'avaient plus à craindre d'agressions concurrentielles ou de rupture de contrat de la part de leurs clients.
931. Or une telle certitude était d'autant plus importante que, sur le marché de la messagerie, le taux de hausse tarifaire annuelle - dont le caractère tangible et effectif ne saurait être contesté - est le paramètre essentiel d'évolution des prix : il l'est à l'évidence pour les petits clients, qui ne négocient pas la hausse que leur adresse l'entreprise de messagerie, mais également pour les autres clients, qui sont en mesure de négocier, pour lesquels ce taux représente à la fois le point de départ de la négociation et le plafond de hausse.
932. Les effets sur la hausse des prix de la certitude ainsi acquise quant à la politique tarifaire de la concurrence sont parfaitement illustrés par le phénomène de déviation à la hausse des taux qui s'est produit, au cours de la campagne tarifaire 2006-2007, entre la réunion du Conseil de Métiers au cours de laquelle ont été échangées des informations sur les hausses tarifaires projetées et l'envoi des circulaires de hausse tarifaire. Ainsi que l'a justement analysé l'Autorité, c'est la connaissance des intentions des autres participants à la réunion qui a incité plusieurs entreprises à augmenter le taux initialement arrêté (décision attaquée, § 417 à 420).
933. Compte tenu de la durée de l'entente, qui s'est étendue sur sept campagnes tarifaires, il ne fait aucun doute que la certitude, renouvelée d'année en année, que les concurrents poursuivraient une politique de hausse tarifaire, a exercé, avant même les réunions du Conseils de Métiers, une influence à la hausse sur le taux arrêté par chacune des entreprises participantes. D'une part, chacune d'elles pouvait avoir confiance dans le fait que ses concurrents suivraient une même politique agressive de hausse tarifaire, quand bien même elle ne connaissait pas encore leurs taux de hausse ; d'autre part, au cas où il se serait avéré que le taux de hausse arrêté était excessif comparé à ceux des concurrents, l'entreprise savait qu'elle pourrait en tenir compte en acceptant plus aisément d'y renoncer dans le cadre de ses négociations avec ses clients.
934. Dès lors, l'entente objet du grief n° 2 a bien consisté en une stratégie de collaboration destinée à neutraliser, dans toute la mesure du possible, le contre-pouvoir des clients en vue de la fixation de prix plus élevés que si le libre jeu de la concurrence s'était pleinement exercé, et c'est, dès lors, à juste titre que l'Autorité l'a qualifiée d'entente horizontale portant sur la fixation de prix futurs, type d'ententes dont tant la théorie économique que la pratique enseignent qu'elles doivent être considérées comme particulièrement nuisibles.
935. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les arrêts des juridictions de l'Union cités par l'Autorité aux paragraphes 1216 à 1220 de la décision attaquée confirment le bien-fondé de cette qualification. Dans l'affaire Tate & Lyle e.a./Commission, précitée, la Commission avait constaté, au point 193 de sa décision 1999/210/CE du 14 octobre 1998 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (Affaire IV/F-3/33. 708 - British Sugar plc, affaire IV/F-3/33. 709 - Tate & Lyle plc, affaire IV/F-3/33. 710 - Napier Brown & Company Ltd, affaire IV/F-3/33. 711 - James Budgett Sugars Ltd) que, " bien que la collusion ait consisté en une stratégie de collaboration en vue de la fixation de prix plus élevés, il n'existe pas d'éléments suffisants permettant d'établir que des prix minimaux, ou des prix facturés à des clients particuliers, aient été fixés conjointement " ; or ce constat n'a pas empêché le Tribunal de l'Union de valider la qualification d'entente horizontale portant sur la fixation des prix. Dans l'arrêt Fresh Del Monte Produce/Commission, précité, le Tribunal de l'Union a approuvé cette même qualification, alors que la coordination des prix incriminée ne portait que sur des prix de référence, et non sur les prix facturés aux clients des entreprises participant à l'entente. Dans l'une et l'autre affaires, l'infraction s'était matérialisée par des échanges d'informations sur les prix futurs. Par ailleurs, à supposer même que les infractions sanctionnées dans ces deux affaires aient été plus graves que l'entente objet du grief n° 2, cela n'exclut nullement la qualification de cette dernière d'entente horizontale portant sur la fixation des prix : il existe, en effet, des degrés de gravité différents au sein de cette catégorie d'infractions aux règles de la concurrence.
936. C'est en vain que les requérantes soutiennent que le grief n° 2 ne consisterait qu'en une simple pratique d'échange d'informations, généralement publiques et passées. D'abord, pour les entreprises qui n'avaient pas encore adressé leurs circulaires de hausse tarifaire à leur clientèle, les informations qu'elles ont communiquées lors des réunions du Conseil de Métiers n'étaient pas publiques ; quant à celles qui avaient déjà envoyé leurs circulaires à leurs clients, les informations qu'elles ont communiquées au cours desdites réunions, n'en ont pas moins, pour les raisons exposées aux paragraphes 509 et 510 du présent arrêt, accru artificiellement la transparence du marché. Ensuite, les réunions du Conseil de Métiers ayant eu lieu le plus souvent avant le début des négociations tarifaires de chacune des entreprises participantes avec leurs clients, et en tout état de cause avant la fin de ces négociations, les informations échangées au cours de ces réunions constituaient bien des informations futures. Enfin, ainsi que la cour vient de le rappeler, les entreprises ne se bornaient pas à échanger des données techniques, mais, au travers de ces échanges, se concertaient sur une politique tarifaire agressive de hausse qu'elles s'engageaient à suivre.
937. Il est de même indifférent que l'entente n'ait porté que sur une partie seulement de la politique tarifaire des entreprises mises en cause. Il est en effet constant qu'est qualifiée d'entente horizontale portant sur la fixation des prix, une concertation ne portant que sur un élément de la composition du prix final (en ce sens, CJUE, arrêt T-Mobile Netherlands e.a., précité, point 37 ; TUE, arrêt du 29 septembre 2016, UTi Worldwide e.a./Commission, T-264/12, points 186 et 225).
938. Le constat, exact, que les taux de hausses annoncés dans les circulaires n'étaient pas ceux effectivement appliqués aux clients, du moins ceux jouissant d'un contre-pouvoir de négociation, ne remet pas davantage en cause ladite qualification, puisque la fixation des prix peut être directe ou indirecte (en ce sens, CJUE, arrêt T-Mobile Netherlands e.a., précité, point 36 et 37 ; TUE, arrêt FSL e.a./Commission, précité, points 456 et 458).
939. La cour relève, enfin, que l'Autorité a tenu compte du fait que les requérantes ne s'étaient pas concertées, au moins de manière systématique, sur le détail des négociations avec leur clientèle, et que cette circonstance était de nature à minorer la gravité des pratiques (décision attaquée, § 1225). Ce constat n'ayant pu être fait que dans la mesure où, ainsi que le fait valoir la société BMVirolle, il existe une dichotomie entre les taux de hausses annoncés dans les circulaires et ceux effectivement appliqués aux clients, l'Autorité a implicitement retenu cette circonstance comme élément de minoration de la gravité des pratiques.
940. En deuxième lieu, s'agissant des personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques, c'est à juste titre que l'Autorité a souligné que c'est une large majorité des PME du tissu industriel français, relevant de la catégorie des " petits clients ", qui ne peut se passer des services de messagerie, qui ont le plus souffert des pratiques poursuivies, puisqu'elles se sont vu appliquer directement les hausses tarifaires qui faisaient l'objet de la concertation.
941. À cet égard, il ne saurait être sérieusement soutenu que les PME jouissaient d'un fort contre-pouvoir de négociation. Quant à la faculté qui aurait été la leur de changer rapidement d'opérateur de messagerie, eu égard aux surcapacités constatées sur le marché de la messagerie classique et express, la cour constate que l'entente, en garantissant aux entreprises de messagerie que leurs concurrents appliqueraient également des hausses tarifaires, avait précisément pour objet et pour effet de priver d'efficacité ce seul moyen à la disposition des PME pour tenter d'échapper aux hausses imposées par leur cocontractant habituel.
942. Par ailleurs, ainsi que la cour l'a déjà souligné, à supposer même qu'aucune des entreprises participantes n'ait jamais tenu compte des échanges d'information pour fixer son propre taux de hausse dans sa circulaire de hausse tarifaire - le reproche d'en avoir tenu compte n'étant, au demeurant, pas fait aux entreprises mises en cause -, cela est indifférent, car l'entente, qui a duré environ six années, a en tout état de cause créé un contexte favorable aux hausses et a donc été de nature à influer sur leur taux, fût-il fixé de façon autonome par les entreprises participantes.
943. En dernier lieu, s'agissant des caractéristiques objectives des pratiques, il y a lieu, premièrement, de souligner que le fait qu'une entente entre concurrents se produise dans le cadre de réunions organisées sous l'égide d'un syndicat professionnel n'est pas de nature à exclure, en toutes circonstances, son caractère secret. En l'espèce, ainsi que l'Autorité l'a exactement souligné, il résulte de l'échange de courriers électroniques, le 10 septembre 2009, entre le directeur général de Sernam et la responsable du Conseil de Métiers que c'est de façon délibérée que les organes de la fédération TLF ont veillé, tout au long de l'entente, à ne pas faire apparaître les échanges anticoncurrentiels dans l'ordre du jour des réunions de ce Conseil (décision attaquée, § 1232). L'Autorité a également constaté, à juste titre, que les comptes rendus desdites réunions étaient pareillement muets sur les échanges incriminés et que les différents contacts bilatéraux ou multilatéraux entre certains participants à l'entente étaient qualifiés, en interne, d'" [i]nformation confidentielle " (décision attaquée, § 1232 et 1233). Dès lors, le caractère secret des pratiques est démontré à suffisance de droit, même s'il est vrai que les modalités de maintien du secret n'ont présenté aucun caractère sophistiqué.
944. Deuxièmement, ainsi que le font valoir plusieurs requérantes, la veille concurrentielle, mise en place par les entreprises actives dans le secteur de la messagerie classique et de la messagerie express, est une pratique légitime. Ce n'en est pas moins à juste titre que l'Autorité a souligné que, dans le contexte d'une entente portant sur les hausses tarifaires appliquées annuellement par ces entreprises, cette veille concurrentielle a fourni à chaque participant à l'entente le moyen de vérifier si les hausses de prix annoncées lors des réunions du Conseil de Métiers donnaient bien lieu à l'envoi d'une circulaire de hausse tarifaire, garantissant ainsi un suivi efficace de la mise en œuvre des engagements pris par chacune d'elle (décision attaquée, § 1237). La veille concurrentielle a donc objectivement renforcé l'efficacité de l'entente, puisque toutes les entreprises savaient que les autres membres de l'entente seraient en mesure de déceler le décalage entre les hausses annoncées à la concurrence et les hausses demandées aux clients, ce qui en fait un élément d'aggravation des pratiques.
945. Au demeurant, l'Autorité a souligné qu'aucun mécanisme de surveillance ne s'étendait à l'étape des négociations avec ceux des clients qui disposaient d'un contre-pouvoir de négociation, dont dépendait la hausse qui leur serait effectivement appliquée (décision attaquée, § 1239).
946. Troisièmement, il est certes exact que l'Autorité n'a découvert qu'un seul cas de menace de représailles, à l'encontre de la société Mory, à la suite du non-respect de ce qu'elle avait annoncé en réunion (décision attaquée, § 356 à 362 et 1238). Mais, d'une part, ce cas permet d'établir le caractère contraignant, aux yeux mêmes des participants à l'entente, des annonces de hausse tarifaire faites lors des réunions du Conseil de Métiers, ainsi que l'efficacité de la surveillance du comportement de chaque participant à l'entente par les autres, au travers de la veille concurrentielle. D'autre part, la circonstance, justement relevée par l'Autorité, que, tout au long des pratiques, les hausses demandées dans les circulaires ont été très largement cohérentes avec les hausses annoncées aux concurrents (décision attaquée, § 346 et 347 ; 379 et 380 ; 415 ; 443 ; 479 à 482 ; 505 à 508), suffit à expliquer qu'aucun autre exemple de représailles ou de menace de représailles n'ait été découvert.
947. Enfin, la cour considère que les pratiques objet du grief n° 2 ne présentaient aucun caractère de sophistication, divergeant donc sur ce point de l'Autorité qui a considéré qu'elles étaient d'une sophistication " relativement limitée " (décision attaquée, § 1235). Elle précise toutefois d'emblée que cette différence d'appréciation, minime, ne saurait avoir de conséquence sur l'analyse, considérée dans sa globalité, qu'a faite l'Autorité de la gravité des pratiques.
948. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, dans son appréciation de la gravité des pratiques objet du grief n° 2, l'Autorité n'a pas commis d'erreur susceptible de remettre cette appréciation en cause.
ß. Sur le dommage causé à l'économie
949. Après avoir rappelé que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie au regard de l'action cumulée de tous les participants à la pratique, que ce dommage ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes de la pratique en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale apportée par la pratique à l'économie, et qu'elle n'est pas tenue de le chiffrer précisément, mais ne saurait présumer son existence, l'Autorité indique que, conformément à une jurisprudence établie et synthétisée dans le communiqué sanctions, elle analysera l'ampleur de l'infraction, les caractéristiques économiques objectives du secteur et les conséquences conjoncturelles de l'infraction afin de déterminer l'incidence économique des pratiques objet du grief n° 2 (décision attaquée, § 1240 à 1244).
950. Concernant, en premier lieu, l'ampleur de l'infraction, l'Autorité souligne, d'une part, que celle-ci a concerné l'ensemble du territoire français, d'autre part, que les participants à l'infraction ont représenté une part de marché cumulée allant, selon les campagnes tarifaires, de 52 % à 87 %, cette part de marché cumulée dépassant 75 % pendant quatre des sept campagnes affectées (décision attaquée, § 1245 et 1246).
951. Concernant, en deuxième lieu, les caractéristiques économiques objectives du secteur, l'Autorité relève, premièrement, que le secteur de la messagerie est relativement peu concentré, mais que l'entente a réuni les principaux opérateurs de ce secteur (décision attaquée, § 1248 et 1249).
952. Deuxièmement, l'Autorité souligne l'existence de surcapacités structurelles, de nature à amplifier l'intensité de la concurrence, et conclut que, lors de la phase de négociation qui s'ouvre postérieurement à l'envoi des circulaires de hausse tarifaire, de telles surcapacités ont pu inciter les membres de l'entente à dévier des revalorisations tarifaires annoncées (décision attaquée, § 1250 et 1251).
953. Troisièmement, l'Autorité considère que l'élasticité-prix de la demande est faible, eu égard à l'externalisation des services de transport par les industriels et à la gestion en flux tendus de leurs stocks, qui ont créé une forme de dépendance des industriels envers les entreprises de messagerie (décision attaquée, § 1252 à 1257).
954. Quatrièmement, l'Autorité reconnaît l'existence d'un contre-pouvoir de négociation réel des clients des entreprises de messagerie, compte tenu notamment de la capacité des clients à changer rapidement de prestataire. Elle juge que son importance doit cependant être relativisée, dans la mesure où, d'abord, chaque grand client ne représente individuellement qu'une part relativement faible du chiffre d'affaires d'une entreprise de messagerie, de sorte que la perte d'un tel client ne fragilisera pas la situation financière de celle-ci, réduisant ainsi le contre-pouvoir de négociation de ce client, ensuite, les petits clients, qui représentent 20 % du chiffre d'affaires des entreprises de messagerie, ont un pouvoir de négociation très limité, voire nul, enfin, une concertation entre fournisseurs a précisément pour effet d'empêcher leurs clients de les mettre en concurrence. Elle conclut que le contre-pouvoir de négociation, s'il n'est pas aussi élevé que le soutiennent les entreprises mises en cause, n'en est pas moins significatif, et a pu encourager des déviations par rapport aux hausses convenues et ainsi limiter, par rapport aux revalorisations initialement décidées, l'ampleur des hausses de prix finalement mises en œuvre (décision attaquée, § 1258 à 1266).
955. Enfin, cinquièmement, l'Autorité considère que le secteur de la messagerie classique et express présente des barrières à l'entrée, d'une part, parce que les investissements nécessaires pour se doter d'un réseau d'agences couvrant tout le territoire national sont conséquents et longs à déployer, d'autre part, parce que les investissements physiques pour construire un réseau d'agences s'avèrent difficilement redéployables (décision attaquée, § 1267 à 1272).
956. Concernant, en dernier lieu, les conséquences conjoncturelles des pratiques, l'Autorité considère, premièrement, que, grâce aux pratiques, les entreprises de messagerie connaissaient les revalorisations que leurs concurrents allaient annoncer à leurs clients et pouvaient s'y adapter en proposant des revalorisations d'ampleur similaire ; la systématisation des échanges a rendu les hausses de prix moins risquées dans la mesure où elles avaient plus de chance d'être suivies par les concurrents et, in fine, acceptées par les clients ; l'accroissement de la transparence entraînée par les pratiques a donc été de nature à élever le niveau des revalorisations tarifaires. L'Autorité souligne que, même lorsque l'entreprise adresse ses circulaires de hausses tarifaires à sa clientèle avant de recevoir celles de ses concurrents, le seul fait de savoir qu'un échange de circulaires aura lieu est de nature à l'inciter à élever ses prix au-delà de leur niveau concurrentiel, l'entreprise pouvant espérer que ses concurrents s'aligneront sur ses hausses et conservant, dans le cas contraire, la possibilité, lors des négociations individuelles, de modifier à la baisse les revalorisations demandées dans ses circulaires (décision attaquée, 1273 à 1275).
957. Deuxièmement, l'Autorité reconnaît que l'absence de surveillance des prix effectivement négociés avec les clients, combinée au contre-pouvoir de négociation de certains d'entre eux et à l'existence de surcapacités structurelles, a pu empêcher les participants à l'entente d'obtenir le niveau de revalorisation tarifaire initialement décidé. Elle juge toutefois que cet argument doit être relativisé, dans la mesure où, d'abord, les écarts entre les hausses annoncées dans les circulaires et celles effectivement pratiquées ne démontrent pas l'absence d'effet des pratiques, ensuite, tous les clients ne négocient pas les hausses tarifaires figurant dans les circulaires, enfin, l'identité entre les taux de hausse communiqués aux concurrents lors des échanges d'informations et les taux figurant dans les circulaires envoyées aux clients pouvait, elle, faire l'objet d'une surveillance (décision attaquée, § 1276 à 1281).
958. Troisièmement, s'agissant de la nature des informations échangées, l'Autorité récuse l'argument de plusieurs entreprises mises en cause selon lequel ces informations auraient été trop générales et, de surcroît aisément disponibles sur le marché, et ne portaient pas sur le prix de base des prestations de messagerie, mais seulement sur les montants de hausse, enfin, n'incluaient pas les autres paramètres de la négociation commerciale avec les clients. Selon elle, les taux de hausses échangés informaient les participants à l'entente de la politique tarifaire qu'entendait suivre chacun de leurs concurrents, et leur communication était, par nature, susceptible d'influer sur les stratégies de négociations ; il ne s'agissait pas d'informations " agrégées ", puisque les échanges portaient sur les hausses tarifaires décidées individuellement par chaque entreprise ; même si la relative transparence du marché a été de nature à atténuer les effets des échanges litigieux, les informations échangées n'avaient pas de caractère " public ", en ce que les pratiques ont permis une communication des taux de hausse envisagés plus rapide, plus exhaustive et plus fiable que celle résultant d'une simple veille concurrentielle ; enfin, peu importe que les participants à l'entente n'aient pas échangé sur les prix de base sur lesquels les hausses tarifaires devaient s'appliquer, ni sur d'autres paramètres tels que la qualité des services, le nombre et la capacité des camions ou les conditions de paiement, car ce qui importe n'est pas la précision des informations échangées, mais le lien entre la nature de ces informations et la possibilité pour les opérateurs de surveiller l'impact de leur politique commerciale, et de celle de leurs concurrents, sur leurs ventes, ce qui, selon l'Autorité, a bien été le cas, puisque les informations échangées étaient de nature à révéler l'évolution des prix visée par les messagers et à vérifier dans quelle mesure elle était suivie par les concurrents (décision attaquée, § 1282 à 1286).
959. Quatrièmement, l'Autorité récuse l'argument de plusieurs entreprises mises en cause selon lequel les difficultés rencontrées par le secteur durant les pratiques démontrent leur absence d'effets, en faisant valoir que l'absence de contrefactuel pertinent ne permet pas d'isoler le prix ou le niveau de rentabilité qui aurait résulté du même contexte économique difficile en l'absence de toute pratique anticoncurrentielle (décision attaquée, § 1287 à 1288).
960. Cinquièmement, l'Autorité récuse l'argument de plusieurs entreprises mises en cause selon lequel les pratiques n'ont pu avoir d'effet que sur les clients négociant les hausses de prix après réception de la circulaire de hausse tarifaire et sur ceux recourant à plusieurs messagers : d'une part, les échanges informant chaque participant des objectifs des concurrents, ils ont influencé les négociations se déroulent avec les clients " grands comptes ", qu'ils aient été ou non destinataires des circulaires ; d'autre part, les clients ne recourant qu'à un seul messager qui décidaient de se tourner vers la concurrence en cas de hausse de prix demandée trop élevée, s'adressaient à des opérateurs qui, informés du niveau de revalorisation exigée, pouvaient adapter leur propre offre tarifaire (décision attaquée, § 1289 et 1290).
961. Enfin, sixièmement, s'agissant de la mesure des effets réels des pratiques sur les prix, l'Autorité juge que les analyses des sociétés Geodis, Chronopost et Exapaq constatant que le taux d'acceptation des hausses obtenues n'est pas plus élevé pendant la période des pratiques, n'ont qu'une portée très limitée, car elles ne concernent que trois des opérateurs engagés dans l'entente, que celle produite par la société Geodis n'analyse que les seules données relatives aux clients de la région Île-de-France renégociant effectivement leurs contrats, et que celles produites par les sociétés Chronopost et Exapaq ne tiennent pas compte d'autres facteurs susceptibles d'expliquer la variation des taux d'acceptation (décision attaquée, § 1291 et 1292).
962. D'autre part, s'agissant des études économétriques produites par les sociétés Chronopost et Exapaq, Gefco, GLS, Dachser ainsi que TNT, et visant à estimer le surprix engendré par les pratiques, l'Autorité relève que l'ensemble de ces études ne couvre en moyenne que 39 % de l'activité cumulée de tous les participants à l'entente, part diminuée à 31 % en tenant compte des limites des données utilisées dans les études produites par les sociétés Gefco et TNT, ce qui ne permet pas une extrapolation de résultats obtenus à la globalité de l'entente. Elle souligne toutefois que, lors de la présentation commune de ces études lors de la séance, les entreprises les ont résumées en concluant qu'elles mettaient en évidence " l'existence d'effets très limités sur les prix pratiqués ", ce qui confirme la réalité d'un effet des pratiques sur les prix.
963. En premier lieu, concernant l'ampleur des pratiques, la société Geodis fait valoir que les parts de marché cumulées des participants aux pratiques ont été surestimées par l'Autorité. D'une part, la revue professionnelle Logistiques Magazine (cote 10247), de laquelle l'Autorité a extrait les données lui ayant servi à apprécier l'ampleur des pratiques, aurait commis des erreurs de calcul dans le calcul des parts de marché, ce que démontrerait l'incohérence de ses chiffres. D'autre part, les chiffres d'affaires seraient surestimés. Selon la société Geodis, en tenant compte de données corrigées, la part de marché cumulée des participants à l'entente serait comprise entre 30 % en 2004-2005 et 51 % en 2007-2008, et non de 87 % comme l'a calculé l'Autorité. Se fondant sur les données concernant la société DHL, les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post concluent également à l'incohérence des données exploitées par l'Autorité.
964. La société BMVirolle conteste la pertinence, à son égard, du constat de l'Autorité selon lequel l'entente a porté sur l'ensemble du territoire français, faisant valoir qu'elle n'est qu'un opérateur régional. S'agissant de l'appréciation de la part de marché cumulée des participants à l'entente, la société BMVirolle fait valoir que celle-ci dépasse rarement 60 %.
965. De même, les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., font valoir que, pour six des sept campagnes tarifaires couvertes par l'entente, les entreprises participantes représentaient moins de 65 % du chiffre d'affaires du marché français de la messagerie classique et express. Selon les requérantes, une part de marché cumulée inférieure à 65 % est loin d'être significative au regard de la pratique décisionnelle de l'Autorité.
966. Elles ajoutent que la société UPS, qui est le septième acteur le plus important du marché (4,2 % de parts de marché), n'a à aucun moment été impliquée dans l'entente et que d'autres concurrents importants n'ont participé que pendant des durées limitées, telles les sociétés Mory (6,20 % de parts de marché) et Tatex (2,20 % de parts de marché), qui n'ont participé aux pratiques que pendant trois ans et cinq mois, ou les sociétés TNT (7,20 % de parts de marché), BMVirolle, Transport Perronnet, Sernam, Norbert Dentressangle, Ciblex et Mory Ducros, qui ont participé aux pratiques pendant moins de la moitié de leur durée totale, parfois pendant quelques semaines ou mois seulement. Les requérantes en concluent que les clients pouvaient aisément se tourner vers un certain nombre d'entreprises concurrentes de taille significative ne prenant pas part aux pratiques.
967. Par ailleurs, selon la société BMVirolle et les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., l'Autorité n'aurait pas assez tenu compte du fait que le nombre d'entreprises a beaucoup varié pendant la durée des pratiques. Or la soutenabilité d'une concertation est difficile lorsque le nombre de participants varie intensément. En l'espèce, les nombreux mouvements d'entreprises rejoignant ou quittant l'entente révèlent un manque de stabilité de la coordination.
968. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. invitent donc la cour à constater l'ampleur limitée des pratiques en cause et la société BMVirolle à nuancer l'appréciation du dommage à l'économie auquel elle aurait participé.
969. En deuxième lieu, concernant les caractéristiques économiques du secteur, les sociétés Chronopost et DPD ainsi que DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post font valoir que l'Autorité n'a pas tiré toutes les conséquences du constat qu'elle a fait de l'absence de concentration sur le secteur de la messagerie, alors qu'il est constant que, plus le nombre d'acteurs sur un marché est important, plus il est difficile, sinon impossible, de mettre en place une stratégie de coordination de nature à conduire à des prix supra-concurrentiels. Selon les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, le marché serait si fragmenté, voire atomisé, qu'il peut en être déduit l'absence de risques d'effets négatifs sensibles des pratiques sur la concurrence. La société Geodis, quant à elle, conteste le constat de l'Autorité quant au caractère " relativement peu concentré " du secteur au motif qu'elle n'invoque aucun élément lui permettant d'apprécier le degré de concentration du secteur.
970. Par ailleurs, les sociétés Chronopost, DPD et Geodis, considèrent que l'Autorité a insuffisamment pris en compte les surcapacités structurelles constatées sur le secteur, alors qu'elles incitaient inévitablement les messagers à dévier des revalorisations tarifaires annoncées, et ce d'autant qu'il n'existait ni coordination sur un niveau de prix ni mécanisme de surveillance et de représailles adéquat s'agissant des prix négociés. La société Geodis ajoute que l'observation de l'Autorité qu'une entente sur un marché avec des surcapacités serait susceptible de générer un surprix plus élevé, aurait dû être écartée au vu de la rentabilité très basse des entreprises du secteur à l'époque des pratiques, l'existence de surcapacités structurelles étant indifférente lorsque les entreprises ne disposent d'aucune marge de manœuvre pour baisser leurs prix.
971. S'agissant de l'élasticité-prix de la demande, les sociétés Chronopost, DPD et Geodis contestent le constat de sa faiblesse fait par l'Autorité.
972. Selon les sociétés Chronopost et DPD, pour aboutir à ce constat, l'Autorité s'est fondée sur l'hypothèse d'un industriel qui aurait externalisé ses services de transports et opérerait une gestion en flux tendus, sans démontrer en quoi cet exemple serait représentatif de l'ensemble des clients des opérateurs de messagerie. Au surplus, les clients susceptibles de correspondre à un tel exemple figurent par définition parmi les plus gros clients, c'est-à-dire ceux-là mêmes qui ne sont pas concernés par les échanges d'informations, puisqu'ils font l'objet de politiques tarifaires spécifiques, décorrélées des hausses standards.
973. Selon la société Geodis, d'abord, aucun élément n'étaye le constat d'une faible élasticité-prix de la demande. Ensuite, l'analyse de l'élasticité-prix de la demande globale ne permettrait pas de déterminer les effets de l'entente sur le surprix, a fortiori lorsque, comme en l'espèce, la totalité de l'offre n'est pas concernée par les pratiques. Enfin, si l'Autorité a reconnu que l'élasticité-prix croisée influence positivement le niveau de surprix causé par l'entente, c'est à tort qu'elle aurait limité son analyse à l'élasticité-prix croisée entre les seuls participants à l'entente, omettant d'apprécier la possibilité pour les clients de ces derniers de se tourner vers les entreprises de messagerie n'ayant pas participé à l'entente. Selon la société Geodis, si l'élasticité-prix croisée est élevée, comme permet de le penser le caractère relativement similaire des offres de prestations des entreprises du secteur, et si, de ce fait, les clients pouvaient substituer aux prestations dont les prix étaient susceptibles d'être affectés par l'entente des prestations dont les prix ne l'étaient pas, lesdites pratiques n'ont pu avoir d'effets significatifs.
974. Plusieurs requérantes contestent encore le constat de l'Autorité quant au fait que le secteur de la messagerie classique et express présente des barrières à l'entrée.
975. Les sociétés Chronopost et DPD, la société Geodis ainsi que les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post objectent que l'entrée sur le marché d'un opérateur ne résulte pas nécessairement de la création ex nihilo d'un réseau entier de messagerie, mais peut se faire par le biais d'acquisitions d'entreprises à des prix très compétitifs, permettant de se constituer un réseau national sans avoir à consentir des investissements conséquents et longs à déployer. La société Geodis ajoute qu'en tout état de cause, l'importance des investissements exigés ne suffit pas à caractériser l'existence de barrières à l'entrée, mais doit être appréciée par rapport à la profitabilité attendue des activités, et reproche à l'Autorité de n'avoir pas procédé à cette analyse.
976. Les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International contestent l'appréciation de l'Autorité selon laquelle un nouvel entrant devrait disposer d'une couverture nationale, alors qu'existent sur le marché des acteurs régionaux, telle la société Normatrans, ou la société Colizen, nouvel entrant qui est principalement un opérateur local.
977. Selon ces requérantes, la mise en place d'un réseau ne se heurte en réalité pas à l'existence de barrières à l'entrée, mais à la situation de surcapacités du secteur, qui suffit à expliquer pourquoi, pendant la durée des pratiques, aucun opérateur - à l'exception de la société Colizen - n'est entré sur le marché en développant son propre réseau.
978. Quant aux sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, elles soutiennent que le constat de barrières à l'entrée n'avait pas sa place en l'espèce, dès lors qu'un grand nombre d'acteurs - dont au moins douze entreprises à la tête d'un réseau national - ne participaient pas aux pratiques, de sorte que seule était pertinente la question des barrières à l'expansion pour les entreprises déjà présentes sur le marché.
979. A cet égard, elles font valoir qu'il n'existait pas de barrières significatives à l'expansion des entreprises existantes, d'une part, parce que l'existence de surcapacités structurelles leur permettait de répondre aisément à une demande supplémentaire, d'autre part, parce que les grands clients, qui diversifient leurs sources d'approvisionnement, auraient été en mesure de financer l'expansion d'opérateurs alternatifs si les prix avaient dû augmenter significativement.
980. L'appréciation du contre-pouvoir de négociation des clients par l'Autorité est pareillement critiquée.
981. Selon la sociétés Chronopost, la société DPD, la société Geodis, les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, ainsi que les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, c'est à tort que l'Autorité a prétendu relativiser le constat d'un fort contre-pouvoir des grands clients.
982. Les sociétés Chronopost et DPD ainsi que la société Geodis font valoir que le secteur connaissant des coûts fixes à la fois importants et largement majoritaires par rapport aux coûts variables, ainsi qu'une rentabilité très limitée, les volumes individuels des grands clients peuvent être d'une importance majeure pour la profitabilité d'un opérateur de messagerie, a fortiori pour la profitabilité d'une agence de cet opérateur, de sorte que les plus grands clients disposent de la capacité d'obtenir des tarifs extrêmement compétitifs auprès des opérateurs de messagerie souhaitant obtenir leurs volumes. La société Geodis ajoute que l'absurdité de l'argument selon lequel la perte d'un seul grand client peut ne pas être problématique se révèle si on l'étend à l'ensemble des grands clients.
983. Quant aux petits clients, les sociétés Chronopost et DPD font valoir qu'ils ne subissent pas automatiquement la hausse, certains refusant l'augmentation et changeant de prestataire. Selon les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, les petits clients disposent d'une certaine marge de manœuvre lors des négociations et ont la faculté de résister aux hausses tarifaires, ce que démontrerait le fait que, même pour les petits clients, la proportion des taux de hausse envisagées que la société GLS a en pratique réussi à imposer pendant la durée des pratiques était très loin des 100 %.
984. Plus généralement, les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International relèvent qu'en plusieurs passages de la décision attaquée (§ 1273 et 1277), l'Autorité a implicitement reconnu l'existence d'un contre-pouvoir de négociation très élevé des clients. Selon les sociétés Chronopost et DPD, l'importance du contre-pouvoir dont disposent les clients serait mis en évidence par le fait que de nombreux clients ne se voient pas appliquer la hausse standard. Quant au fait, invoqué par l'Autorité, que la participation des principaux opérateurs du secteur à l'entente, aurait privé les clients de la faculté de recourir à des prestataires hors entente, les sociétés Chronopost et DPD objectent que l'entente n'a jamais porté sur la détermination commune de la stratégie commerciale à adopter à l'égard des différents clients ni sur les conditions de négociations individuelles, de sorte que les pratiques n'ont pas pu entraver le processus de négociation individuel des opérateurs de messagerie avec leurs clients.
985. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co., sans critiquer les appréciations de l'Autorité, lui reprochent de ne pas avoir pris en compte d'autres paramètres relatifs aux caractéristiques économiques du secteur, de nature à tempérer l'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie. Selon ces requérantes, la forte hétérogénéité de la demande - colis légers, express tous poids, messagerie classique - rend une éventuelle surveillance plus coûteuse et, partant, des possibilités de déviations plus fréquentes ; en outre, quand la demande est hétérogène, il est plus difficile pour les entreprises de coordonner leurs comportements pour chaque type de clientèle.
986. De même, la saisonnalité de la demande - avec des pics de demande - comme la faible profitabilité du secteur, sont des facteurs déstabilisateurs des pratiques car, d'une part, les bénéfices potentiels d'une déviation, lors des pics de demande, excéderont les pertes potentielles causées par les mesures de rétorsion des autres parties à l'entente, d'autre part, la coordination des comportements est plus difficile à maintenir sur un marché en déclin, où les profits des acteurs diminuent d'une année sur l'autre, ce qui fait d'une déviation une option séduisante.
987. Enfin, la forte concurrence locale couplée à l'hétérogénéité des tarifs entre agences d'un même réseau, rendaient peu efficaces les échanges d'informations sur la hausse tarifaire moyenne globale en France que pratiquaient les mises en cause visées par le grief n° 2.
988. En dernier lieu, concernant les conséquences conjoncturelles des pratiques, plusieurs requérantes contestent que les pratiques aient pu avoir des effets potentiels sur les prix, à tout le moins des effets sensibles, pour les motifs suivants :
- les participants à l'entente déterminaient leurs taux de hausse tarifaire en toute autonomie, avant que les échanges reprochés aient lieu, et aucune discussion consistant à se coordonner sur un taux commun (ou des taux similaires) à l'ensemble des entreprises n'avait lieu lors desdites échanges, de sorte qu'ils n'ont pas été de nature à élever le niveau des revalorisations tarifaires annoncées, a fortiori lorsque les circulaires étaient envoyées aux clients avant les échanges reprochés (sociétés Geodis et GLS) ;
- eu égard à la transparence du marché, lorsqu'une entreprise envoyait ses circulaires de hausse tarifaire à ses clients avant les réunions du Conseil de Métiers, les informations qu'elle pouvait communiquer lors de ces réunions étaient des informations passées, que ses concurrents avaient déjà pu se procurer au travers de leur veille concurrentielle, et non des informations futures ; en tout état de cause à supposer même que les échanges d'informations aient donné un avantage aux entreprises participantes dans le cadre de la négociation avec la clientèle, la transparence du marché permettait aux entreprises de connaître très rapidement et facilement le contenu des circulaires de hausse tarifaire adressées par la concurrence à leurs clients et à leurs sous-traitants, de sorte que cet avantage expirait au plus tard en décembre, une fois envoyées toutes les circulaires de hausse tarifaire, soit avant la fin des négociations qui s'achevaient en mars de l'année suivante (société Geodis) ;
- de par leur nature, les échanges d'informations en cause ne permettaient pas de réduire l'opacité du marché et n'ont donc pu avoir qu'un effet potentiel extrêmement limité sur les relations entre les opérateurs de messagerie et leurs clients dans la mesure où :
les informations étaient trop agrégées par rapport à la complexité de la politique tarifaire et à l'hétérogénéité des services de messagerie, y compris au sein d'une même entreprise, pour permettre de connaître la stratégie d'un opérateur (sociétés Dachser, Chronopost et DPD, ainsi que DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post) ;
les informations échangées portaient uniquement sur des taux de hausses, et pas sur les prix pratiqués, et les entreprises participantes n'avaient pas la moindre information sur le processus de négociation individuelle de leurs concurrents avec chaque client et sur les prix finalement pratiqués (sociétés Chronopost et DPD) ;
les hausses appliquées étaient quasi-systématiquement plus faibles que celles annoncées, ce qui tendrait à démontrer que les circulaires de hausse tarifaire n'ont pas vraiment d'effet sur les négociations commerciales (sociétés Dachser, Chronopost, DPD et XPO) ;
en tout état de cause, eu égard au contre-pouvoir de négociation significatif des clients, les informations échangées ne pouvaient avoir de conséquences importantes sur le déroulement des négociations (société GLS).
989. Quant aux effets réels des pratiques sur les prix, la société Geodis, qui soutient que les entreprises mises en cause n'ont nullement admis, au cours de la séance, l'existence d'un effet réel des pratiques, considère que l'Autorité n'a pas établi le caractère certain du dommage à l'économie, se bornant à évoquer des effets potentiels. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post fait grief à l'Autorité de n'avoir effectué aucune analyse contrefactuelle.
990. Par ailleurs, plusieurs requérantes reprochent à l'Autorité d'avoir écarté les six études économétriques produites par, respectivement, les sociétés Chronopost et Exapaq (étude Compass Lexecon), la société Gefco (étude CRA), la société GLS (étude Oxera), la société Dachser (étude MAPP), la société TNT (étude RBB) et la société Geodis (étude CRA).
991. Elles font valoir que ces études, qui sont basées sur des données de prix individuelles et comparent les prix facturés pendant les pratiques à ceux facturés avant et/ou après, couvrent, ensemble, 60 % en valeur des ventes de tous les participants à l'entente - représentant elles-mêmes 87 % du marché de la messagerie classique et express - pour 2008, pourcentage qui garantissait à ces études, prises ensemble, une représentativité suffisante, l'Autorité n'ayant d'ailleurs pas expliqué en quoi les effets des pratiques pouvaient avoir été sensiblement plus importants sur la proportion des ventes affectées par les pratiques non analysée (40 %) (société Geodis).
992. De même les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group considèrent que, quand bien même les études produites ne couvraient pas l'ensemble du marché, elles offraient une évaluation précise, fiable et notablement concordante des effets réels des pratiques.
993. Selon la société Geodis, bien que les six études économétriques aient été réalisées à partir de données différentes (prix issus de données de facturation, prix d'un colis type calculé à partir de la grille tarifaire, revenus, pass-through) et suivant différentes méthodes de comparaison (analyse avant/après, méthode de la double différence), les résultats obtenus sont très cohérents, concluant à l'absence d'effet des pratiques sur les négociations avec les clients (étude Géodis) et sur les prix pratiqués (études Chronopost/Exapaq, Dachser, Gefco, GLS et TNT).
994. Selon les sociétés Chronopost et DPD, les six études économétriques reposaient sur des données fiables et aboutissaient à des résultats remarquablement convergents, concluant toutes à des effets très limités, situés dans une fourchette de 0 à 1,9 %. Les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group soulignent également que lesdites études aboutissent à un faible surprix compris entre 0 et 1,6 %, soulignant qu'un tel surprix est très inférieur à celui habituellement constaté par les autorités de concurrence, ce qui confirme que les pratiques se sont limitées à de simples échanges d'informations.
995. L'Autorité soutient, s'agissant de l'ampleur de l'infraction, que les arguments des requérantes ne remettent pas en cause ses constatations selon lesquelles le grief a porté sur l'ensemble du territoire français et, exception faite de la campagne 2004-2005, a couvert au moins 66 % en valeur du marché concerné, cette proportion ayant dépassé 75 % pendant quatre des sept campagnes affectées.
996. S'agissant des caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, l'Autorité rappelle que, dans la décision attaquée, elle n'a pas contesté la réalité du contre-pouvoir de négociation des clients, qualifié de significatif, et qu'elle a admis que, combiné à l'asymétrie entre les participants aux pratiques, à l'absence de mécanisme de surveillance et de représailles exhaustif jusqu'au tarif finalement négocié ainsi qu'à l'existence de surcapacités structurelles, ce contre-pouvoir avait pu limiter l'ampleur des hausses de prix finalement mises en œuvre Elle ajoute qu'elle n'a pas davantage contesté que les clients dotés d'un pouvoir de négociation obtenaient une hausse inférieure à celle qui avait été l'objet des échanges d'informations, mais que cette situation résultait du fonctionnement même de l'entente, dans le cadre de laquelle les entreprises s'échangeaient les taux de hausse sur la base desquels elles engageaient les négociations avec leurs clients. Toutefois, selon l'Autorité, il n'est pas contestable qu'une concertation permet à des fournisseurs confrontés à des clients dotés d'un pouvoir de négociation élevé d'empêcher ces derniers de les mettre en concurrence comme ils le feraient en son absence, et rappelle qu'au cas d'espèce, l'entente a réuni les plus importantes entreprises de messagerie du secteur. À l'égard des petits clients, dont de pouvoir de négociation était faible, l'entente aurait permis aux participants de pratiquer des hausses tarifaires qu'une concurrence libre et non faussée aurait empêchée.
997. L'Autorité réitère son analyse concernant les barrières à l'entrée, soulignant que, durant les pratiques, l'entrée de nouveaux opérateurs s'est uniquement réalisée par l'acquisition de réseaux existants, dont la plupart étaient de taille modeste. Quant aux barrières à l'expansion, elle soutient qu'elle a examiné cette question au paragraphe 1271 de la décision attaquée, dans lequel elle a constaté que les rachats d'entreprises existantes par des entreprises déjà présentes sur le marché avaient été fréquemment le fait de participants à l'entente et, en tout état de cause, n'avaient pas été des acquisitions d'une taille suffisante pour accroître significativement la pression concurrentielle sur les membres de l'entente.
998. Elle maintient également son analyse concernant l'élasticité-prix de la demande, jugeant que l'argument de la société Geodis qui tend à écarter une catégorie de contrats - ceux passés avec les grands clients - a déjà été écarté. Elle fait valoir qu'elle a tenu compte du rôle joué par les non-participants à l'entente aux paragraphes 1246 et 1249 de la décision attaquée.
999. Enfin, concernant les conséquences conjoncturelles des pratiques, l'Autorité considère que, dès l'instant où les entreprises étaient informées des objectifs de leurs concurrents en matière de hausse tarifaires, leurs négociations avec la clientèle en ont nécessairement été affectées, un tel constat n'étant pas remis en cause par la complexité et l'hétérogénéité des offres de messagerie proposées aux clients, puisque les hausses tarifaires échangées étaient générales et indépendantes des offres.
1000. L'Autorité réaffirme que les études économétriques produites par plusieurs requérantes manquent de représentativité, chacune d'entre elles ne représentant qu'une part très limitée du marché et, pour certaines, ne prenant pas en compte des facteurs importants de détermination du prix. Elle relève qu'en tout état de cause, ces études concluent à l'existence d'un surprix, quoique limité, imputable aux pratiques.
1001. Le ministre chargé de l'Économie fait valoir que les éléments avancés par les requérantes, en particulier le contre-pouvoir de négociation des clients, l'absence de surveillance des pratiques ou l'existence d'un effet limité des pratiques sur les prix, ont été expressément pris en compte par l'Autorité, qui a considéré, au paragraphe 1295 de la décision attaquée, que l'importance du dommage à l'économie était " certaine, mais limitée ". Selon le ministre, de nombreux arguments développés par les requérantes ne remettent pas véritablement en cause les constats opérés par l'Autorité.
1002. Quant au pourcentage de 9 % de la valeur des ventes retenu par l'Autorité, le ministre le considère approprié, rappelant que, aux termes du point 40 du communiqué sanctions, l'Autorité peut fixer un tel taux dans un fourchette comprise entre 0 et 30 % et que, aux points 41 du même communiqué, ce taux est normalement compris entre 15 et 30 % pour les accords et pratiques anticoncurrentiels horizontaux portant notamment sur les prix.
1003. Le ministère public conclut au rejet des moyens.
1004. À titre liminaire, la cour constate que l'Autorité, qui a apprécié l'importance du dommage causé à l'économie aux paragraphes 1240 à 1294 de la décision attaquée, a motivé son analyse à suffisance de droit.
- Sur l'ampleur des pratiques
1005. La cour souligne que l'exploitation de données chiffrées provenant de revues professionnelles est une pratique habituelle qui n'est pas, en tant que telle contestable. Le recours fait par l'Autorité aux données figurant dans la revue Logistiques Magazine, relatives aux chiffres d'affaires et aux parts de marché des principales entreprises du secteur de la messagerie, doit donc être approuvée. Par ailleurs, le fait que ces données portent sur l'année 2008, alors que l'année de référence était 2009, est sans conséquence, dès lors qu'aucune des requérantes n'a soutenu ou, en tout état de cause, n'a démontré qu'entre 2008 et 2009, ses parts de marché auraient significativement évolué, à la hausse ou à la baisse, ou que le marché total se serait significativement élargi ou rétréci.
1006. Quant à la cohérence des chiffres figurant dans la revue Logistiques Magazine, exploités par l'Autorité pour apprécier l'ampleur des pratiques, il y a lieu de constater, d'une part, que celle-ci a arrondi les pourcentages de parts de marché au dixième ou centième, et les chiffres d'affaires au million ou à la centaine de milliers d'euros, de sorte que le recalcul du marché total à partir de ces données conduit nécessairement, selon l'entreprise dont les chiffres sont pris en compte, à une taille de marché totale différente, sans que les divergences en découlant soient significatives.
1007. D'autre part, il est exact que, au-delà des effets d'arrondis, des approximations doivent être constatées dans les chiffres fournis par la revue Logistiques Magazine. Toutefois, elles ne remettent pas en cause l'ordre de grandeur du marché total et de la part de marché cumulée détenue par les participants à l'entente. Suivant le tableau présenté par la société Geodis (observations complémentaires, § 320), le recalcul du marché total à partir des données individuelles propres à chaque entreprise aboutit toujours, à trois exceptions près, au même ordre de grandeur, autour de 8,5 milliards d'euros. Les seules exceptions à la constatation qui précède concernent les données relatives aux sociétés Gefco, Dachser et Tatex, à partir desquelles le recalcul du marché global aboutit respectivement à 8,895 milliards, 7,566 milliards et 7,059 milliards. Mais ces déviations à la hausse et à la baisse, qui ne concernent que trois entreprises, et se compensent partiellement, ne remettent pas en cause l'exactitude de l'appréciation globale.
1008. Par ailleurs, pour démontrer l'inexactitude des chiffres d'affaires des entreprises fournis par la revue Logistiques Magazine, la société Geodis a comparé ces chiffres d'affaires avec la valeur des ventes prise en compte pour la détermination de la sanction. Or une telle façon de procéder est à l'évidence erronée, dans la mesure où l'Autorité a déduit du chiffre d'affaires de chacune des entreprises sanctionnées, celui réalisé lorsque les entreprises agissent comme sous-traitant d'un autre transporteur et celui réalisé lors des prestations intragroupe. La comparaison ainsi opérée ne pouvait donc qu'aboutir au constat que la valeur des ventes retenue par l'Autorité était inférieure au chiffre d'affaires indiqué dans la revue Logistiques Magazine.
1009. L'argumentation des sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post, qui souffre des mêmes biais, doit être pareillement écartée.
1010. Par ailleurs, même à supposer établie l'inexactitude, alléguée par les mêmes sociétés, des données concernant la société DHL qui figurent dans les tableaux 4 et 6, sous les paragraphes 38 et 43 de la décision attaquée, la cour constate que ces tableaux, établis à partir d'une étude du cabinet Xerfi de février 2011 relative au secteur de la messagerie et du fret express (cotes 47662 à 47765) (ci-après l'" étude Xerfi de février 2011 "), n'avaient pas pour finalité d'établir la part de marché cumulée détenue par les participants à l'entente, et n'ont d'ailleurs pas été exploités à cette fin.
1011. Dès lors, les requérantes échouent à remettre en cause le constat que le marché total était de 8,5 milliards et les parts de marché cumulées des participants à l'entente (hors international) de 87 % de ce marché en 2008 (décision attaquée, § 20).
1012. Quant à la société BMVirolle, elle ne précise pas comment elle parvient à une part de marché cumulée des participants à l'entente " dépass[ant] rarement 60 % ".
1013. La cour considère donc comme exacte l'évaluation que l'Autorité a faite, au paragraphe 1246 de la décision attaquée, de la part de marché cumulée qu'ont représentée, pour chacune des campagnes tarifaires, les participants à l'entente.
1014. Cette part de marché cumulée a été supérieure à 75 % pendant quatre des sept campagnes (2005-2006 à 2008-2009), culminant à 87 % au cours des campagnes 2006-2007 et 2007-2008, ce qui permet de qualifier les pratiques de grande ampleur.
1015. Il est certes vrai que, pour les campagnes 2004-2005, 2009-2010 et 2010-2011, la part de marché cumulée qu'a représentée l'entente était plus faible, ce qui a nécessairement eu un effet sur l'aptitude des participants à passer des hausses de prix élevées. Par ailleurs, la variation du nombre de participants a affecté la capacité de l'entente à se maintenir (" sustainability "), la cour relevant toutefois que cette variation a été beaucoup plus faible pendant les campagnes 2005-2006 à 2008-2009. Ces constatations ne remettent toutefois pas en cause la validité de l'analyse de l'Autorité, prise dans sa globalité, quant à l'ampleur des pratiques.
- Sur les caractéristiques économiques du secteur concerné
1016. Afin d'apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, il y a lieu de prendre en compte les caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, dans la mesure où ces dernières sont de nature à avoir une influence sur les conséquences conjoncturelles ou structurelles des pratiques. En l'espèce, il convient d'apprécier successivement l'existence de barrières à l'entrée, l'élasticité-prix de la demande et le contre-pouvoir des distributeurs.
1017. Au préalable, il convient d'écarter les arguments pris de ce que le secteur de la messagerie classique et express - que l'Autorité a justement retenu, à l'issue d'une analyse suffisante, comme le marché pertinent - serait un marché si atomisé, ou du moins si fragmenté, qu'en découlerait l'absence de risque d'effets négatifs sensibles sur la concurrence.
1018. D'une part, il ressort de l'étude Xerfi de février 2011, qu'en 2009, les dix principales entreprises du secteur de la messagerie classique (" top 10 ") détenaient 70 % de ce marché, et que les dix principales entreprises du secteur de la messagerie express détenaient 80 % de ce marché (cote 47715). Le postulat de départ d'un marché atomisé, ou très fragmenté, est donc faux. Au surplus, ainsi que l'Autorité l'a souligné au paragraphe 1249 de la décision attaquée, les quatre principales entreprises, membres de l'entente, représentaient, en 2008, 50,6 % du marché et les huit principaux membres de l'entente - Geodis, Geopost, DHL, TNT, Mory, Dachser, Heppner et GLS - plus de 71 % du marché, les entreprises extérieures à l'entente, y compris celles d'envergure nationale, représentant donc au mieux 29 % de la totalité du marché en 2008.
1019. D'autre part, le fait que l'indice Herfindahl-Hirschmann (" IHH ") des dix premières entreprises du secteur était inférieur à 1000 en 2008 (décision attaquée, § 1248) ne permet nullement de contester la possibilité d'un effet des pratiques sur les prix. En effet, l'indice Herfindahl-Hirschmann est utilisé dans les opérations de concentration pour apprécier le degré de concentration du marché ; il ne s'agit donc pas d'un outil permettant de conclure qu'une collusion serait plus ou moins susceptible d'engendrer des effets sur les prix. En outre, si, selon les lignes directrices de l'Autorité relatives au contrôle des concentrations, " il est peu probable qu'une opération soulève des problèmes de concurrence horizontaux sur un marché dont l'IHH à l'issue de la concentration sera inférieur à 1 000 ", un tel constat postule un fonctionnement du marché respectueux des règles de concurrence. Or, en l'espèce, les entreprises mises en cause se sont exonérées de ces règles en mettant en œuvre l'entente incriminée.
1020. L'existence de barrières à l'entrée n'est pas sérieusement contestée par les requérantes, qui, au demeurant, reconnaissent qu'hormis la société Colizen, acteur de dimension locale, aucun nouvel opérateur n'est apparu pendant le temps des pratiques. À cet égard, il est indifférent qu'un nouvel opérateur puisse entrer sur le marché par le biais d'acquisition d'entreprises déjà établies, une telle opération n'augmentant pas l'offre sur le marché. Il est certes plus facile de construire ex nihilo un réseau local plutôt que national, mais un nouvel opérateur local est bien moins en mesure de concurrencer les participants à une entente - a fortiori quand la plupart d'entre eux sont à la tête d'un réseau national, comme en l'espèce - qu'un opérateur de dimension nationale. Par ailleurs, l'Autorité ayant relevé la rentabilité très faible, voire négative, qui caractérise le secteur de la messagerie (décision attaquée, § 24), situation rendant plus difficile l'entrée sur le marché d'un nouvel opérateur, les requérantes ne sauraient lui reprocher de ne pas avoir apprécié l'existence de barrières à l'entrée par rapport à la profitabilité attendue du secteur. Enfin, l'existence de surcapacités n'est pas de nature à remettre en cause le constat de barrières à l'entrée, de telles surcapacités étant en revanche de nature à dissuader un nouvel opérateur d'entrer.
1021. En revanche, l'Autorité n'a pas tenu pleinement compte de ce que les barrières à l'expansion, à savoir la capacité d'un opérateur déjà présent sur le marché à conquérir des parts de marché supplémentaires, n'étaient pas significatives. Un tel constat découle naturellement de l'existence de surcapacités structurelles, du caractère relativement homogène des prestations fournies par les entreprises de messagerie, du fait que les contrats sont facilement résiliables et les coûts de changement de fournisseurs limités (décision attaquée, § 1250, 1251, 1259 et 1260). Il convient toutefois de relativiser la possibilité pour les opérateurs extérieurs à l'entente de détourner à leur profit une partie de la clientèle des participants à l'entente compte tenu, d'une part, de l'ampleur de l'entente, notamment lors des campagnes 2005-2006 à 2008-2009, d'autre part, du fait qu'un grand nombre des entreprises extérieures à l'entente étaient de toutes petites entreprises (décision attaquée, § 21) et à ce titre aptes à ne satisfaire qu'une infime partie des besoins des grands clients.
1022. Le constat d'une faible élasticité-prix de la demande n'est pas utilement combattu par les requérantes.
1023. La cour rappelle que l'Autorité s'est fondée sur une étude du cabinet Xerfi d'octobre 2013 relative au secteur de la messagerie et du fret express (ci-après l' " étude Xerfi d'octobre 2013 "), d'où il ressort notamment que l'industrie manufacturière est le premier débouché de la profession et que les industries de biens d'équipement, de biens intermédiaires et de biens de consommation ont régulièrement recours aux services des sociétés de messagerie dans le cadre de leur stratégie d'externalisation, de sous-traitance et de gestion des stocks en flux tendus (cote 57409). Elle a pu déduire de ces caractéristiques du marché de la messagerie l'impossibilité pour les clients, et notamment les plus grands - dont la cour a déjà indiqué qu'ils étaient également concernés par les pratiques, même lorsqu'ils n'étaient pas destinataires des circulaires de hausse tarifaire -, de se passer des services des entreprises de messagerie et, en conséquence, la faible élasticité-prix de cette demande. Par ailleurs, ainsi que le souligne l'étude Xerfi d'octobre 2013 (cote 57409), le développement de l'e-commerce a ouvert, depuis déjà plusieurs années, d'immenses perspectives aux entreprises de messagerie, le recours à leurs services apparaissant incontournable.
1024. En revanche, l'Autorité n'a pas suffisamment pris en compte l'élasticité-prix croisée, en cantonnant son analyse aux services proposés par les membres de l'entente (décision attaquée, § 1256 et 1257 de la décision attaquée), alors que la question se posait également de savoir dans quelle mesure les clients des participants à l'entente étaient susceptibles de se tourner vers les services proposés par des entreprises de messagerie extérieures à l'entente. Certes, l'Autorité fait valoir à juste titre que, eu égard à son ampleur, l'entente a pu réduire la possibilité pour les clients-chargeurs de recourir à des prestataires hors entente et proposant une offre similaire (décision attaquée, § 1265), mais la cour considère qu'eu égard aux caractéristiques du secteur, cette éventualité restait importante ; en effet, l'Autorité a elle-même souligné que, outre l'existence de surcapacités structurelles, les prestations fournies par les entreprises de messagerie sont relativement homogènes, le nombre d'opérateurs élevé, les contrats facilement résiliables et les coûts de changement de fournisseurs limités, et que le secteur se caractérise d'ailleurs par une certaine volatilité de la clientèle (décision attaquée, § 1259 et 1260). Mais, pour les raisons déjà exposées, il convient de relativiser la possibilité pour les opérateurs extérieurs à l'entente de détourner à leur profit une partie de la clientèle des participants à l'entente. La cour relève notamment que, s'agissant la société UPS, seul opérateur d'envergure ayant été absent de l'ensemble des pratiques (cote 47739), il ressort de l'étude Xerfi de février 2011, que cette société reconnaissait disposer d'un réseau insuffisant en France pour assurer partout des livraisons express en J+1 avant 8h ou 9h (cote 47723). Aussi est-ce à juste titre que l'Autorité a constaté, au paragraphe 1246 de la décision attaquée, que la société UPS ne représentait pas à l'époque des pratiques une alternative crédible pour les clients chargeurs.
1025. S'agissant du contre-pouvoir des clients, l'Autorité a, par une motivation suffisante que la cour adopte, constaté que le secteur de la messagerie était relativement peu concentré - même si elle a à juste titre rappelé que cette caractéristique était partiellement compensée par l'ampleur de l'entente, à laquelle appartenaient nombre des entreprises de dimension nationale -, retenu l'existence de surcapacités structurelles sur ce marché à l'époque des pratiques et admis l'existence d'un contre-pouvoir de négociation réel des clients des entreprises de messagerie - qualifié de " significatif " dans le chef des grands clients, qui représentent 80 % du chiffre d'affaires des entreprises de messagerie, mais de " très limité, voire nul " dans le chef des petits clients qui n'en représentent que 20 % -, compte tenu notamment de leur capacité à changer rapidement de prestataire.
1026. Le reproche fait par plusieurs requérantes à l'Autorité d'avoir ignoré ou insuffisamment pris en compte ces caractéristiques, apparaît injustifié, l'Autorité ayant expressément conclu qu'elles avaient pu inciter, au moment des négociations avec leur clientèle, les membres de l'entente à dévier des revalorisations tarifaires annoncées et ainsi limiter l'ampleur des hausses de prix finalement mises en œuvre
1027. Certes, l'argument invoqué par l'Autorité, selon lequel le pouvoir de négociation des grands clients serait limité au motif que chacun d'eux ne représente individuellement qu'une part relativement faible du chiffre d'affaires d'une entreprise de messagerie, est légitimement critiqué par les requérantes, dans la mesure où la politique tarifaire d'une entreprise est susceptible d'avoir les mêmes effets sur l'ensemble des clients présentant les mêmes caractéristiques. Cela ne remet toutefois pas en cause l'analyse de l'Autorité, considérée dans sa globalité.
1028. Enfin, s'agissant des paramètres, que les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. reprochent à l'Autorité de ne pas avoir pris en considération, ils ne sont pas pertinents. La forte hétérogénéité de la demande est établie, mais les hausses tarifaires envisagées et échangées par les entreprises de messagerie ne concernaient aucun type de contrat particulier et aucune prestation de messagerie particulière, mais l'ensemble du marché domestique de la messagerie classique et express. La saisonnalité de la demande n'est pas non plus contestée (décision attaquée, § 1720), mais, d'une part, elle n'a pu influencer qu'à la marge les négociations, dans la mesure où, ainsi qu'il résulte des constatations de l'Autorité (décision attaquée, § 58), le calendrier et le processus de revalorisation étaient très similaires d'une entreprise à l'autre, le cycle de négociation intervenant de septembre - parfois octobre ou novembre - à mars de l'année suivante et les prix étant fixés pour l'année entière, voire, pour les contrats pluriannuels, pour plusieurs années ; d'autre part, dans un contexte de très faible rentabilité des entreprises, l'intérêt à long terme que représentait l'entente a pu contrebalancer la tentation d'une déviation lors des pics de demande, ce que la durée de l'entente est de nature à confirmer. Quant au déclin allégué du marché, il ne ressort nullement de l'évolution des chiffres d'affaires des entreprises du secteur : si la crise mondiale débutant en 2007 a effectivement entraîné un fort recul en 2008 et surtout 2009 - respectivement quatre et cinq ans après le début des pratiques -, les chiffres d'affaires sont ensuite repartis à la hausse ; de plus, la vente à distance n'a jamais cessé de progresser (décision attaquée, § 16 à 18). Enfin, l'hétérogénéité des tarifs n'a pas empêché les entreprises de se communiquer les hausses déjà adressées à leur clientèle ou qu'elles envisageaient de lui adresser.
- Sur les conséquences conjoncturelles des pratiques
1029. La cour a déjà constaté que, nonobstant l'absence de fixation en commun d'un même taux de hausse tarifaire, les échanges anticoncurrentiels sur les taux de hausse adressés à la clientèle, en renforçant la transparence du marché, et notamment en donnant aux participants l'assurance que leurs concurrents mèneraient la même politique agressive de hausse des prix qu'eux, avaient été, d'une part, de nature à les inciter à demander des taux de hausse plus élevés et avaient renforcé, d'autre part, leur position dans la négociation des hausses avec les clients. L'ensemble des arguments des requérantes visant à mettre de nouveau en doute ces constatations seront donc écartés.
1030. Ni le caractère agrégé des informations échangées, ni le fait qu'elles portaient uniquement sur des taux de hausse, ni l'absence d'échanges et de contrôle sur la teneur des négociations individuelles de chaque entreprise avec ses clients ne sont de nature à démontrer que l'entente n'aurait pu avoir qu'un effet potentiellement limité.
1031. D'abord, ainsi que la cour l'a relevé au paragraphe 584 du présent arrêt, les taux de hausse arrêtés au début du cycle de revalorisation tarifaire et adressés à la clientèle par circulaire étaient le seul élément sur lequel il était possible de mettre en place une coordination entre concurrents. Ensuite, les contrats aussi étaient agrégés, notamment dans les circulaires de hausse tarifaire adressées annuellement aux clients, ce qui n'empêchait pas ces circulaires d'être une étape essentielle de l'évolution des prix pour toutes les entreprises de messagerie. Enfin, ainsi qu'il a déjà été relevé à plusieurs reprises, le taux de hausse annoncé dans la circulaire annuelle était, pour les petits clients (20 % du chiffre d'affaires en moyenne) le taux appliqué. Pour les clients disposant d'un pouvoir de négociation (80 % du chiffre d'affaires en moyenne), ce taux était à la fois le point de départ de la négociation et le plafond de hausse que pouvait espérer l'entreprise ; dès lors, dans le contexte d'une entente ayant incité les entreprises à demander un taux de hausse plus élevé et leur ayant donné un avantage dans la négociation grâce à la connaissance de la politique tarifaire des concurrents, l'absence de système organisé de surveillance, et encore moins de police sur l'étape des négociations individuelles (décision attaquée, § 1239), n'était pas de nature à empêcher que les échanges incriminés produisent un effet à la hausse sur les prix négociés avec ces clients. La cour relève qu'au demeurant, les entreprises veillaient conjointement au résultat desdites négociations, au travers des réunions de suivi qui avaient lieu chaque année à la fin du cycle de négociations, la prolongation de l'entente dans le temps étant de nature à confirmer que les participants constataient un effet sur les prix effectivement appliqués après négociations.
1032. Pour autant, ainsi que l'Autorité l'a expressément reconnu, l'absence de surveillance des prix effectivement négociés combinée au contre-pouvoir des clients, n'a pu que limiter les taux de hausse que les entreprises mises en cause ont finalement pu faire passer, étant de nouveau rappelé qu'un tel effet n'a pas pu se produire à l'égard des petits clients, pour lesquels le taux annoncé dans la circulaire annuelle de hausse tarifaire était le taux appliqué.
1033. Il se déduit de l'ensemble des éléments d'appréciations analysés dans les développements qui précèdent, que les échanges anticoncurrentiels ont eu nécessairement un effet à la hausse sur les prix. Le fait que, pour les clients dotés d'un pouvoir de négociation, les hausses appliquées étaient systématiquement inférieures aux hausses demandées n'est pas de nature à infirmer ce constat, puisque l'effet de l'entente ne se mesure pas à la différence entre la hausse demandée et la hausse obtenue, mais entre la hausse obtenue dans le cadre de l'entente et celle qui aurait été obtenue en l'absence d'entente.
1034. C'est en vain qu'il est reproché à l'Autorité de ne pas avoir procédé à une étude économétrique sur les conséquences conjoncturelles, celle-ci pouvant mesurer ces conséquences à partir d'une analyse de la nature et l'ampleur de l'infraction ainsi que du contexte dans lequel elle se déploie et des caractéristiques économiques objectives du secteur concerné.
1035. C'est également à tort que les requérantes reprochent à l'Autorité de ne pas avoir pris en considération les cinq études économétriques produites par les sociétés Gefco, GLS, TNT, Chronopost et Exapaq, ainsi que Dachser visant à estimer le surprix causé par les pratiques.
1036. Pour évaluer le dommage causé à l'économie par une entente, des données de prix agrégées doivent naturellement être privilégiées. Or, toutes les études économétriques versées par ces six requérantes se fondent sur les données propres à l'entreprise qui a commandé l'étude. En l'espèce, l'extrapolation à l'ensemble du marché des résultats obtenus à partir des données individuelles de six entreprises seulement, ne peut avoir qu'une valeur très limitée.
1037. Cette extrapolation paraît d'autant moins légitime que, ainsi que l'Autorité l'a exactement souligné, au paragraphe 1294 de la décision attaquée, l'ensemble de ces études ne couvre, en moyenne, que 39 % de l'activité cumulée de tous les participants à l'entente, part encore diminuée à 31 % si sont prises en compte les limites des données utilisées par les études produites par les sociétés TNT et Gefco.
1038. Au surplus, si les cinq études ont toutes fait le choix de la méthode " avant-après " - l'étude produite par la société TNT proposant en outre une évaluation du surprix à partir de la méthode de la " double différence " -, l'interprétation globale de leurs résultats est biaisée par l'inclusion, dans certaines d'entre elles, d'une période affectée par l'entente dans la période contrefactuelle. En effet, dans leur étude, les entreprises Chronopost et Exapaq, devenue DPD, ont notamment retenu pour contrefactuel la période de septembre 2004 à septembre 2005 où, certes, elles n'étaient pas encore parties à l'entente, mais où l'entente était déjà active.
1039. L'Autorité n'a donc pas commis d'erreur en considérant qu'il y avait lieu d'écarter les estimations économétriques de surprix proposées par les sociétés Gefco, GLS, TNT, Chronopost et Exapaq, ainsi que Dachser.
1040. La cour relève qu'en tout état de cause, hormis l'étude produite par la société GLS, qui estime aboutir à des coefficients non statistiquement significatifs et refuse de se prononcer, toutes les autres aboutissent à des résultats très similaires, concluant de façon convergente à l'existence d'un surprix causé par les pratiques compris entre 0 % et 1,9 %. Aussi, et comme l'Autorité l'a constaté au paragraphe 1294 de la décision attaquée, l'effet des pratiques sur les prix, quoique limité, s'en trouve confirmé.
1041. La société Geodis a également produit une étude économétrique, visant à estimer, au travers de deux mesures, le taux de transformation (" pass-through ") et le taux de remise, l'effet des pratiques sur son pouvoir de négociation vis-à-vis des clients qui négocient la révision de leurs tarifs. Mais une telle analyse a nécessairement pour point de départ le taux de hausse figurant dans les circulaires de hausse tarifaire. Dès lors, si ce taux a atteint un niveau supérieur à ce qu'il aurait été en l'absence des pratiques, les taux effectivement appliqués après négociations sont susceptibles d'être supra-concurrentiels, quand bien même les clients obtiendraient, pendant l'entente, des remises plus importantes qu'après la fin des pratiques. Or la cour a déjà constaté que les taux de hausse fixés dans les circulaires avaient été influencés à la hausse par les pratiques. Aussi ladite étude apparaît-elle dépourvue de pertinence.
ã. Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte
1042. En conclusion, la cour juge que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré, au paragraphe 1295 de la décision attaquée, que le dommage causé à l'économie par les pratiques était certain, mais qu'il avait été limité, notamment par le contre-pouvoir de négociation des grands clients, qui représentent en moyenne 80 % du chiffre d'affaires des entreprises de messagerie. À cet égard, le fait que, faute d'une analyse suffisante des barrières à l'expansion et de l'élasticité-prix croisée, l'Autorité n'a pas pleinement pris en compte la possibilité pour les opérateurs extérieurs à l'entente de détourner à leur profit une partie de la clientèle des participants à l'entente, ne conduit pas la cour à porter une appréciation globale différente de la sienne, l'Autorité ayant déjà admis que le dommage à l'économie avait été limité.
1043. Quant à la gravité des pratiques, la cour rappelle que leur appartenance à la catégorie des ententes horizontales portant sur les prix, qui constituent les infractions les plus graves aux règles de concurrence, justifiait, en principe, aux termes du point 41 du communiqué sanctions, de retenir, pour le calcul du montant de base de la sanction, un pourcentage de la valeur des ventes d'au moins 15 %. Toutefois, et eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, tenant notamment à l'absence de fixation en commun d'un même taux de hausse et à l'absence de mécanisme de surveillance de l'étape des négociations avec la clientèle, l'Autorité a, à juste titre, renoncé à appliquer un tel pourcentage. Pour autant, la nécessité de dissuader les entreprises de manipuler directement ou indirectement les prix reste entière.
1044. Dans ces conditions, la cour considère que l'Autorité a fait une exacte appréciation de la gravité des faits et du dommage à l'économie en retenant un pourcentage de 9 % de la valeur retenue comme assiette de la sanction.
d) Sur la prise en compte de la durée des pratiques
1045. Aux termes du point 42 du communiqué sanctions, dans le cas des infractions qui se sont prolongées plus d'une année, leur durée est prise en considération selon les méthodes suivantes. La proportion de la valeur des ventes retenue est appliquée, au titre de la première année complète de participation de chaque entreprise ou organisme en cause à l'infraction, à la valeur des ventes réalisées pendant l'exercice comptable de référence, et, au titre de chacune des années suivantes, à la moitié de cette valeur. Au-delà de la dernière année complète de participation à l'infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.
1046. Cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques, et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.
1047. Afin de garantir l'individualisation et la proportionnalité des sanctions en l'espèce, il y a lieu de déterminer la durée de participation aux infractions de chacune des entreprises concernées.
1048. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post ainsi que Geodis invitent la cour à tirer les conséquences de ses constatations sur l'absence de participation ou la moindre participation au grief n° 2.
1049. La société XPO, anciennement Norbert Dentressangle Distribution, et la société BMVirolle contestent la durée de participation retenue à leur encontre par l'Autorité.
1050. Au paragraphe 484 du présent arrêt, la cour a jugé que la participation de la société DHL s'était étendue du 30 septembre 2004 au 1 mars 2010. Il n'y a er donc pas lieu de réformer le coefficient de durée de 3,20 retenu par l'Autorité, qui a été calculé sur cette même durée (décision attaquée, § 1299 et 1300).
1051. Au paragraphe 372 du présent arrêt, la cour a jugé que la participation de la société Geodis s'était étendue du 28 septembre 2006 au 29 septembre 2010, ce qui représente une durée de quatre ans. Aussi le coefficient de durée à appliquer pour le calcul du montant de base de la sanction s'établit-il à 2,50.
1052. Aux paragraphes 619 à 630 du présent arrêt, la cour a écarté les arguments des sociétés XPO et BMVirolle tendant à contester la durée de leur participation aux pratiques. C'est donc à juste titre que l'Autorité a appliqué à la société XPO, sous le nom de Norbert Dentressangle Distribution, un coefficient de durée de 0,66, et à la société BMVirolle, un coefficient de durée de 1,41 (décision attaquée, § 1300).
1053. La cour constate, en tant que de besoin, que les autres requérantes ne contestent pas le coefficient de durée qui leur a été appliqué par l'Autorité.
e) Sur l'abattement au titre de la participation inégale au grief n° 2
1054. Aux paragraphes 1301 à 1305 de la décision attaquée, réunis sous le titre " La prise en compte de la participation inégale selon les entreprises ", l'Autorité a accordé aux sociétés Norbert Dentressangle Distribution - devenue XPO -, Transports Henri Ducros, Ziegler, Chronopost, Exapaq - devenue DPD -, Ciblex, Normatrans, FedEx, TNT et GLS, un abattement de 10 % sur le montant de base de leur amende respective au motif que ces sociétés, si elles avaient participé aux réunions anticoncurrentielles du Conseil de Métiers, n'avaient en revanche participé à aucun des contacts bilatéraux ou multilatéraux qui ont complété et renforcé les pratiques concertées.
1055. Même si cet abattement a été accordé sur la base de ce critère exclusif, il ne fait aucun doute, à la lecture de la décision attaquée, que l'Autorité a considéré qu'en l'accordant, elle épuisait la question de l'individualisation de la sanction au titre de l'inégale participation des entreprises au grief n° 2.
1056. Plusieurs entreprises reprochent à l'Autorité d'avoir manqué à son obligation d'individualisation des sanctions en ne prenant pas en considération, comme elle l'aurait dû, d'autres critères de mesure de l'intensité de leur participation aux pratiques.
á. Concernant la société Dachser
1057. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. rappellent qu'au titre de l'individualisation de la sanction, l'Autorité a tenu compte de la participation inégale de certaines mises en cause, en accordant un abattement de 10 % sur le montant de base de la sanction des entreprises n'ayant participé à aucun des contacts bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers.
1058. Les requérantes font valoir que, ainsi que l'a rappelé l'Autorité elle-même au paragraphe 1302 de la décision attaquée, l'assiduité plus ou moins grande d'une entreprise à ces réunions, la durée de sa participation à l'entente ainsi que la mise en œuvre plus ou moins complète des mesures convenues peuvent avoir des conséquences sur l'étendue de sa responsabilité et donc sur le niveau de la sanction. Elles considèrent qu'en l'espèce, afin d'assurer le caractère proportionné de la sanction, l'Autorité aurait également dû tenir compte de la participation inégale des entreprises aux réunions du Conseil de Métiers.
1059. Or, selon les requérantes, la présence de la société Dachser aux réunions du Conseil de Métiers - six réunions sur les dix-sept retenues par l'Autorité - a été moins importante que celles d'autres entreprises, et notamment de celles ayant bénéficié de l'abattement de 10 %. Elles considèrent donc que cette dernière doit elle-même bénéficier d'un abattement du montant de base de la sanction d'au moins 10 %.
1060. Le ministre chargé de l'Économie répond qu'en ayant examiné la participation de la société Dachser aux échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, l'Autorité a suffisamment tenu compte de sa situation individuelle au regard de l'intensité de sa participation au grief n° 2.
1061. En premier lieu, l'abattement de 10 % accordé par l'Autorité au paragraphe 1305 de la décision attaquée vise exclusivement à tenir compte du fait que certaines des entreprises participantes se sont bornées à participer aux échanges organisés dans le cadre du Conseil de Métiers, sans y ajouter des échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors de ce cadre.
1062. Or, les requérantes ne contestent pas que la société Dachser a participé à des échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers.
1063. C'est par conséquent à juste titre que l'Autorité ne les a pas fait bénéficier de cet abattement.
1064. Mais, en second lieu, les requérantes sont fondées à souligner que la participation de la société Dachser aux réunions du Conseil de Métiers a été relativement faible. En effet, il ressort du tableau n° 20 figurant au paragraphe 512 de la décision attaquée, qu'entre 2004 et 2010 - durée de la participation de la société Dachser aux pratiques - celle-ci n'a participé qu'à six des dix-sept réunions au cours desquelles les entreprises participantes ont échangé des informations commerciales sur les prix, soit à peine un tiers d'entre elles.
1065. La cour considère que cette constatation justifie que soit accordée une réduction de la sanction, dans la mesure où, ainsi que l'a souligné l'Autorité dans la décision attaquée (§ 1303), les réunions du Conseil de Métiers ont constitué le " cœur " des pratiques.
1066. Il sera appliqué, sur le montant de base de la sanction de la société Dachser, un abattement de 10 %.
ß. Concernant la société Geodis
1067. La société Geodis fait valoir, en premier lieu, qu'il n'existe aucune preuve au dossier qu'elle aurait participé, d'une manière ou d'une autre, à des contacts bilatéraux ou multilatéraux hors du Conseil de Métiers.
1068. Selon elle, d'une part, le fait que des concurrents lui aient spontanément adressé des circulaires qu'elle n'avait pas sollicitées ne suffirait pas à établir l'existence de contacts bilatéraux, faute de démontrer une quelconque réciprocité de comportement à son initiative. D'autre part, aucun élément du dossier ne démontrerait qu'elle a communiqué une circulaire ou quelque information que ce soit à un concurrent, en dehors de la diffusion régulière de ses hausses à son fichier clients ainsi qu'à ses sous-traitants. À cet égard, elle soutient que les informations sur les hausses qu'elle pratiquait figurant dans des veilles de marché opérées par certains de ses concurrents, ont été recueillies sur le marché et ne proviennent pas d'elle.
1069. Elle considère donc que le refus de la faire bénéficier de l'abattement de 10 % sur le montant de base de la sanction est discriminatoire et demande l'annulation, subsidiairement la réformation de la décision attaquée.
1070. En deuxième lieu, la société Geodis fait valoir que sa non-participation au grief n° 1 aurait dû être prise en compte lors de la détermination de la sanction du grief n° 2, eu égard au caractère connexe des deux griefs, ainsi que le contexte très particulier d'encouragement par les autorités publiques dans lequel lesdits griefs se sont inscrits.
1071. En troisième lieu, la société Geodis considère que l'Autorité n'aurait pas dû se borner à faire bénéficier d'un abattement les entreprises ne s'étant pas engagées dans des contacts bilatéraux ou multilatéraux hors du Conseil de Métiers, mais aurait dû, plus généralement, prendre en considération la participation inégale des entreprises au grief n° 2.
1072. À cet égard, la société Geodis allègue que la décision attaquée n'a relevé aucune circonstance de nature à démontrer sa participation à l'entente au titre des campagnes 2005-2006, 2009-2010 et 2010-2011. Subsidiairement, elle soutient que sa participation a été très limitée lors de la campagne 2005-2006 - la société Geodis n'ayant participé à aucune réunion du Conseil de Métiers - et des campagnes 2009-2010 et 2010-2011 - M. Depraeter, ancien salarié de la société Geodis, ayant seul pris part aux réunions du Conseil de Métiers et n'y ayant transmis aucune information stratégique.
1073. En dernier lieu, la société Geodis reproche à l'Autorité de ne pas avoir retenu, à titre de circonstance atténuante, le fait qu'elle n'a eu qu'un comportement " suiveur ".
1074. En premier lieu, aux paragraphes 331à 336 du présent arrêt, la cour a jugé que la réception par la société Geodis d'informations sensibles de ses concurrents au cours de la campagne 2005-2006 ne suffisait pas à caractériser sa participation au grief n° 2 pour cette campagne.
1075. En revanche, la cour a constaté, au paragraphe 367 du présent arrêt, que la société Geodis avait été impliquée dans un échange bilatéral avec la société Dachser, à laquelle elle a communiqué la hausse tarifaire projetée pour la campagne 2010-2011.
1076. Cette circonstance est suffisante pour constater que la participation de la société Geodis ne s'est pas limitée à sa participation aux réunions du Conseil de Métiers.
1077. Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'Autorité a exclu la requérante du bénéfice de l'abattement de 10 % accordé au paragraphe 1305 de la décision attaquée.
1078. En deuxième lieu, les deux griefs notifiés ayant fait l'objet de sanctions distinctes, la non-participation de la société Geodis au grief n° 1, au titre duquel aucune sanction ne lui a évidemment été appliquée, n'avait pas à entrer en ligne de compte aux fins de l'individualisation de la sanction infligée au titre du grief n° 2. Par ailleurs, les interventions des pouvoirs publics ayant été strictement cantonnées à la question de la répercussion des hausses du prix du gazole, n'ont en aucun cas été de nature à inciter les entreprises du secteur à se livrer aux pratiques objet du grief n° 2, qui sont étrangères à cette question.
1079. En dernier lieu, il résulte des développements figurant aux paragraphes 321 à 372 que la société Geodis a participé aux pratiques objet du grief n° 2 au cours des campagnes 2006-2007 à 2010-2011. Il en ressort également que sa participation, appréciée sur toute sa durée, ne peut pas être qualifiée de " limitée ".
1080. Par ailleurs, il ressort du tableau n° 20, figurant au paragraphe 512 de la décision attaquée, que la société Geodis a participé à douze des quatorze réunions du Conseil de Métiers s'étant déroulées entre le 28 septembre 2006 et le 29 septembre 2010, période au cours de laquelle elle a participé aux pratiques (décision attaquée, § 1299, tableau 25), ce qui démontre qu'elle y a été assidue.
1081. Enfin, cette assiduité aux réunions du Conseil de Métiers, aux cours desquelles étaient échangées des informations commerciales sur les prix, exclut de qualifier la société Geodis de " suiveur ".
1082. En conséquence, sa demande d'abattement est rejetée.
ã. Concernant la société Gefco
1083. Les sociétés Gefco et Peugeot font valoir que l'Autorité a violé le principe constitutionnel de l'égalité de traitement en leur refusant le bénéfice de l'abattement de 10 %, alors que la société Gefco a participé de manière limitée aux pratiques reprochées.
1084. En effet, selon les requérantes, d'une part, la société Gefco n'a pris aucune part active aux contacts bilatéraux et multilatéraux noués entre concurrents en dehors des réunions du Conseil de Métiers, d'autre part, plus généralement, sa participation aux pratiques reprochées a été limitée.
1085. Elles soulignent que la société Gefco n'a jamais communiqué d'informations à ses concurrents et n'a fait que recevoir passivement des circulaires de hausses de ces derniers. Elles ajoutent que la société FedEx a participé à des échanges multilatéraux avec des concurrents le 14 mars 2008, et que la société Norbert Dentressangle Distribution a reçu une circulaire d'Alloin Transports le 2 novembre 2006, participant donc passivement à un contact bilatéral, sans que ces circonstances les aient empêchées de bénéficier de l'abattement de 10 %, et demandent à bénéficier du même traitement.
1086. L'Autorité répond que la réunion du 14 mars 2008 s'est tenue dans le cadre d'un groupe de travail au sein de la fédération TLF, de sorte que la participation de la société FedEx à cette réunion ne la privait pas du bénéfice de l'abattement de 10 %, réservé aux entreprises qui ont pris part à l'entente dans le seul cadre de la fédération TLF, sans s'engager dans d'autres échanges multilatéraux ou bilatéraux.
1087. Quant à la réception d'une circulaire de hausse par la société Norbert Dentressangle Distribution, le 2 novembre 2006, l'Autorité fait valoir qu'il ne peut en être tenu compte dès lors que la participation au grief n° 2 n'a été retenue qu'à compter du 21 juin 2007 et jusqu'au mois de mars 2008 (décision attaquée, § 980).
1088. Le ministre chargé de l'Économie s'en remet à la sagesse de la cour, tout en considérant que la circonstance que la société Gefco a reçu des circulaires de hausse sur deux campagnes justifie que l'Autorité ne lui ait pas accordé l'abattement de 10 %. Il ajoute qu'en ayant examiné la participation de la société Gefco aux échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, l'Autorité a suffisamment tenu compte de sa situation individuelle au regard de l'intensité de sa participation au grief n° 2.
1089. Dans leurs mémoires récapitulatifs, les sociétés Gefco et Peugeot répliquent que, quand bien même la réunion du 14 mars 2008 a eu lieu au sein de la fédération TLF, il s'agissait d'une réunion à laquelle n'ont participé qu'un petit nombre d'entreprises - les sociétés Graveleau, Schenker-Joyau et FedEx -, à la différence des réunions des 18 septembre 2008 et 15 janvier 2009, qui réunissaient respectivement dix-huit et dix-neuf entreprises. De plus, postérieurement à la réunion du 14 mars 2008, la société FedEx aurait reçu des informations commerciales sensibles, relatives au coût moyen par rendez-vous, transmises par la société Schenker-Joyau par courrier électronique du 19 mars 2008, et par la société Heppner, par courrier électronique du 2 avril 2008. En outre, la société FedEx aurait elle-même transmis à ces deux sociétés, par courrier électronique en date du 19 avril 2008, son coût moyen par rendez-vous.
1090. En premier lieu, l'abattement de 10 % accordé par l'Autorité au paragraphe 1305 de la décision attaquée vise exclusivement à tenir compte du fait que certaines des entreprises participantes se sont bornées à participer aux échanges organisés dans le cadre du Conseil de Métiers, sans y ajouter des échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors de ce cadre.
1091. Ainsi que l'admettent les requérantes, la société Gefco a reçu à plusieurs reprises des circulaires de hausse tarifaire de la part de ses concurrents (voir décision attaquée, § 364, 367, 368 et 370, § 390 et 392, enfin, § 405 et 407), circonstance suffisante pour constater qu'elle a été engagée dans des contacts à tout le moins bilatéraux, en dehors des réunions du Conseil de Métiers.
1092. En effet, il importe peu que ne soient rapportées ni la preuve que ces transmissions avaient été sollicitées par la société Gefco ni la preuve que cette dernière a elle-même adressé à des concurrents ses propres circulaires, car, en n'adoptant pas une position claire de nature à persuader ses concurrents qu'elle refusait de faire partie de l'entente et à les dissuader de lui adresser leurs circulaires et, de ce fait, en acceptant, fût-ce implicitement, de recevoir ces circulaires, lesquelles lui fournissaient des informations utiles dans ses relations avec sa propre clientèle, la société Gefco a bien entretenu des échanges bilatéraux à visée anticoncurrentielle. À cet égard, la cour souligne que les réceptions par la société Gefco de circulaires de hausse tarifaire de la part de ses concurrents sont intervenues à des dates auxquelles cette société avait déjà participé à des réunions anticoncurrentielles du Conseil de Métiers, de sorte que les entreprises lui ayant adressé leurs circulaires, la savaient membre de l'entente.
1093. C'est à juste titre que l'Autorité fait valoir que la société Norbert Dentressangle Distribution n'a pas bénéficié d'un traitement plus favorable : la réception par cette société d'une circulaire de hausse adressée par un concurrent est intervenue avant le début de sa participation au grief n° 2 et ne devait donc pas être prise en considération.
1094. De même, la réunion du 14 mars 2008, à laquelle a participé la société Tatex, devenue FedEx, était bien une réunion du Conseil de Métiers, même réduit à un groupe restreint d'entreprises - les sociétés Heppner, Graveleau et Schenker-Joyau (décision attaquée, § 457 à 459 et tableau 20 figurant après le § 579). C'est donc à juste titre que l'Autorité n'a pas considéré que la participation à cette réunion était intervenue en marge du Conseil de Métiers. Par ailleurs, si cette réunion a effectivement été suivie d'échanges de courriers électroniques entre les mêmes entreprises portant sur des informations commerciales sensibles (décision attaquée, § 459), il s'avère que ces échanges étaient indissociables de ladite réunion, les informations communiquées étant l'objet même du groupe restreint. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que la société Tatex, devenue FedEx, n'avait pas participé à des échanges bilatéraux ou multilatéraux en marge des réunions du Conseil de Métiers.
1095. En tout état de cause, à supposer même que la société Tatex ait participé à de tels échanges et que ce soit par erreur que l'Autorité lui a accordé l'abattement de 10 % normalement réservé aux entreprises n'ayant participé à aucun des contacts bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers (décision attaquée, § 1303), une telle erreur n'ouvrirait pas droit à la société Gefco au bénéfice de cet abattement, puisque celle-ci ne remplit pas les conditions pour en bénéficier, ayant elle-même été impliquée dans des échanges bilatéraux. Ce serait en vain que les requérantes invoqueraient la violation à leur égard du principe de non-discrimination : la discrimination résiderait dans l'octroi à la société Gefco d'un abattement auquel elle n'a pas droit alors que, hormis la société FedEx, par suite de l'erreur susmentionnée, toutes les autres entreprises ayant participé à des échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, se le sont vu refuser.
1096. Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'Autorité a exclu la société Gefco, et, par voie de conséquence, sa société mère Peugeot, du bénéfice de l'abattement de 10 % accordé au paragraphe 1305 de la décision attaquée.
1097. En second lieu, il ressort du tableau n° 20 figurant au paragraphe 512 de la décision attaquée, qu'entre 2004 et 2010 - durée de sa participation aux pratiques - la société Gefco a participé à treize des dix-sept réunions du Conseil de Métiers au cours desquelles les entreprises participantes ont échangé des informations commerciales sur les prix, de sorte qu'elle est mal fondée à soutenir que sa participation aurait été limitée.
1098. La demande des sociétés Gefco et Peugeot de bénéficier d'un abattement sur le montant de base de la sanction est donc rejetée.
ä. Concernant la société DHL
1099. Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post font valoir, d'abord, que la décision attaquée ne comporte aucune explication qui leur permettrait de comprendre les raisons pour lesquelles la société DHL ne figure pas parmi les entreprises bénéficiaires de l'abattement de 10 %.
1100. Elles soutiennent, ensuite, que la preuve de la participation de cette société à des contacts bilatéraux ou multilatéraux en dehors du cadre des réunions du Conseil de Métiers n'est nullement rapportée, de sorte que le refus d'accorder à la société DHL ledit abattement constitue une violation du principe d'individualisation des peines et de proportionnalité.
1101. Enfin, elles soulignent que la société DHL ne fait pas partie des entreprises nommément identifiées au paragraphe 1011 de la notification des griefs comme ayant participé à des échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, et qu'un tel reproche ne leur a été adressé ni dans le rapport ni lors de la séance.
1102. Elles en déduisent que, s'il ne s'agit pas d'une simple erreur que la cour devrait rectifier, mais d'une exclusion intentionnelle du bénéfice de l'abattement de 10 %, l'Autorité, en retenant à l'encontre de la société DHL la participation à des échanges bilatéraux et multilatéraux, a soulevé une question de fait et de droit non débattue avant l'adoption de la décision attaquée et sur laquelle DHL n'a pu utilement se défendre, en violation des droits de la défense et du principe du contradictoire.
1103. Elle relève encore que l'Autorité n'a pas daigné répondre dans son mémoire devant la Cour.
1104. Le ministre chargé de l'Économie considère qu'en l'absence d'échanges bilatéraux relatifs aux hausses tarifaires annuelles, rien ne s'oppose à ce que la société DHL bénéficie également de l'abattement de 10 % appliqué au montant de base de la sanction.
1105. En premier lieu, la cour rappelle qu'ayant annulé l'article 1er de la décision attaquée en tant qu'il dit établie la participation des sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post au grief n° 2 entre le 30 septembre 2004 et le 1er mars 2010, et son article 4, en tant qu'il a infligé à ces sociétés une sanction de 80 963 000 euros au titre de leur participation au même grief, la question de savoir si la décision attaquée est motivée en tant qu'elle a refusé à la société DHL l'abattement de 10 % au titre de la prise en compte de la participation inégale selon les entreprises, est sans objet.
1106. En second lieu, il convient de rappeler que ni le collège de l'Autorité ni la cour, saisie sur recours, ne sont tenues par les appréciations des rapporteurs, sous réserve de ne pas étendre le champ des griefs notifiés. En l'espèce, la cour n'est donc pas liée par l'appréciation des rapporteurs quant à l'absence de participation de la société DHL à des échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers.
1107. En troisième lieu, les requérantes ne contestent pas que la société Ducros Euro Express, devenue DHL, a reçu, le 4 novembre 2005, de la société Alloin sa circulaire de hausse tarifaire.
1108. Pour les raisons déjà exposées au paragraphe 1092 du présent arrêt, cette réception suffit à caractériser l'implication de la société DHL dans un échange bilatéral, peu important que ne soient rapportées ni la preuve que cette transmission avait été sollicitée par cette société ni la preuve qu'elle a elle-même adressé à des concurrents ses propres circulaires.
1109. La cour constate qu'il ne s'agit pas là d'un élément nouveau qui n'aurait pas été porté à la connaissance des requérantes ou dont il n'aurait pas été débattu. Il est en effet fait mention de cet envoi au paragraphe 521 de la notification des griefs et au paragraphe 842 du rapport. De surcroît, il résulte de ce dernier paragraphe que la société DHL a expressément fait valoir qu'un tel envoi ne suffisait pas à l'incriminer, ce qui suffit à démontrer que cette question était dans le débat.
1110. Au surplus, ainsi que l'a jugé la cour au paragraphe 420 du présent arrêt, la société DHL a eu un échange bilatéral en marge des réunions du Conseil de Métiers avec au moins la société Graveleau, à laquelle elle a, à l'été 2006, communiqué des informations commercialement sensibles sur sa politique de hausse tarifaire.
1111. Là encore, il ne s'agit pas d'un élément nouveau, puisqu'il était déjà mis en exergue dans la notification des griefs (§ 475 à 477 et § 557 à 567). Certes, les rapporteurs n'ont pas tiré les conséquences de leurs propres observations relativement à ce compte rendu (rapport, § 850 à 853). Il ne saurait toutefois être reproché à la cour de tirer une conclusion inverse des éléments factuels soumis au débat.
1112. Au surplus, les requérantes ont eu tout loisir, dans le cadre de leur recours devant la cour, de développer tous les moyens de défense à leur disposition concernant les conclusions susceptibles d'être tirées - comme l'Autorité l'avait fait dans la décision attaquée - dudit compte rendu, de sorte que, devant la cour, ni le principe du contradictoire ni les droits de la défense n'ont été lésés.
1113. Dès lors, la demande des sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post tendant à obtenir, à l'instar de plusieurs autres entreprises mises en cause, un abattement de 10 % sur le montant de base de la sanction doit être rejetée.
g. Concernant les sociétés Chronopost et DPD
1114. Les sociétés Chronopost et DPD approuvent l'Autorité d'avoir pris en compte la participation inégale des entreprises mises en cause aux pratiques et d'avoir accordé à ce titre un abattement de 10 % à celles - dont elles-mêmes - qui n'avaient participé à aucun des contacts bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers.
1115. Les deux requérantes considèrent toutefois, d'une part, qu'un abattement de 10 % est largement en deçà de ceux dont ont bénéficié pour des motifs similaires certaines entreprises sanctionnées dans la décision de l'Autorité 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d'hygiène et de soins pour le corps.
1116. D'autre part, les sociétés Chronopost et DPD font valoir qu'un tel abattement, dont ont bénéficié la moitié des mises en cause, est insuffisant pour proportionner les sanctions à la situation individuelle de chaque entreprise. Selon elles, il ne tiendrait pas suffisamment compte des différences extrêmement importantes dans l'intensité de la participation des entreprises aux réunions du Conseil de Métiers.
1117. Elles arguent de ce que leur " taux de participation " était, respectivement de 30 % pour la société Chronopost et de 42 % pour la société DPD, tandis que, par exemple, le " taux de participation " des sociétés Schenker-Joyau, Alloin ou Heppner s'élevait à plus de 60 %.
1118. La modestie de leur participation aux pratiques serait encore renforcée par le fait que les entreprises ayant le plus participé étaient des opérateurs de messagerie traditionnelle n'exerçant pas leurs activités en concurrence avec des opérateurs de messagerie rapide et express, telles les deux requérantes.
1119. La société Chronopost ajoute que sa participation aux pratiques était d'autant plus modeste qu'elle a souvent adressé ses circulaires de hausses à ses clients avant même la tenue des réunions du Conseil de Métiers.
1120. Le ministre chargé de l'Économie répond qu'en ayant examiné la participation des sociétés Chronopost et DPD aux échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, l'Autorité a suffisamment tenu compte de leur situation individuelle au regard de l'intensité de sa participation au grief n° 2.
1121. En premier lieu, la cour rappelle que la pratique décisionnelle antérieure de l'Autorité ne sert pas de cadre juridique à la détermination des sanctions pécuniaires en droit de la concurrence. C'est donc en vain que les sociétés Chronopost et DPD prétendent tirer la preuve du caractère insuffisant de l'abattement de 10 %, dont elles ont bénéficié en l'espèce, de la décision 14-D-19 de l'Autorité, d'ailleurs rendue dans un tout autre contexte.
1122. En deuxième lieu, c'est à tort que les sociétés Chronopost et DPD qualifient de " modeste " leur participation auxdites pratiques.
1123. Il ressort du tableau n° 20, figurant au paragraphe 512 de la décision attaquée, que la société Chronopost a assisté à quinze des seize réunions du Conseil de Métiers s'étant déroulées entre le 22 septembre 2005 et le 29 septembre 2010, période de sa participation aux pratiques (décision attaquée, § 1299, tableau 25). De même, la société DPD a été présente à neuf des quatorze réunions du Conseil de Métiers s'étant déroulées entre le 22 septembre 2005 et le 1 mars 20 er 10, période de sa participation aux pratiques.
1124. Ayant l'une et l'autre participé à plus de la moitié des réunions, elles ne peuvent prétendre à un abattement supplémentaire au titre de la prétendue faiblesse de leur participation.
1125. En dernier lieu, la cour constate que l'Autorité n'a nullement reproché à tout ou partie des entreprises participant aux réunions du Conseil de Métiers, de n'avoir arrêté leur taux de hausse qu'au cours de ces réunions et en fonction des échanges avec leurs concurrents. Certes, aux paragraphes 417 à 420 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé que, lors de la campagne tarifaire 2006-2007, certaines entreprises - Schenker-Joyau, Alloin et Gefco - avaient, postérieurement à la réunion du Conseil de Métiers du 28 septembre 2006, demandé à leur clientèle un taux de hausse plus élevé que celui qu'elles avaient annoncé lors de cette réunion, ce dont l'Autorité a justement déduit que les échanges anticoncurrentiels du 28 septembre 2006 avaient produit un effet d'alignement sur le taux le plus élevé annoncé au cours de cette réunion, à savoir celui de la société Graveleau. Mais cette circonstance, qui aurait pu être retenue à titre de circonstance aggravante à l'égard de ces entreprises, ne saurait justifier de considérer comme une circonstance atténuante le fait d'avoir arrêté avant les réunions du Conseil de Métiers le taux de hausse annoncé lors de ces réunions, puisque toutes les entreprises mises en cause sont dans ce cas.
1126. La cour ajoute, surabondamment, que l'affirmation selon laquelle la société Chronopost aurait généralement adressé ses circulaires de hausse à sa clientèle avant les réunions du Conseil de Métiers est inexacte. Il résulte en effet du dossier (cotes 51347 à 51441) que les circulaires de hausses tarifaires ont été adressées par la société Chronopost à sa clientèle, respectivement, le 28 septembre 2005, le 29 septembre 2006, le 28 septembre 2007, le 6 octobre 2008, le 21 août 2009 et le 5 juillet 2010. Une comparaison de ces dates avec celles des réunions du Conseil de Métiers auxquelles la société Chronopost a participé lors des campagnes tarifaires 2005/2006 à 2010/2011 (décision attaquée, § 512, tableau 20), suffit à révéler que les circulaires de hausse tarifaire ont été adressées à la clientèle après la (les) première(s) réunion(s) du Conseil de Métiers lors des campagnes 2005/2006, 2006/2007, 2007/2008 et 2008/2009. C'est donc uniquement lors des deux dernières campagnes que la société Chronopost a adressé sa circulaire avant les réunions du Conseil de Métiers.
1127. La demande des requérantes de bénéficier d'un abattement supplémentaire est rejetée.
æ. Concernant la société TNT
1128. Les sociétés TNT et TNT Express NV font valoir que l'Autorité a l'obligation de prendre en compte, au stade de la détermination des sanctions, tout élément d'individualisation pertinent et rappelle que telle est la pratique décisionnelle constante de l'Autorité (décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d'hygiène et de soins pour le corps).
1129. Elles soutiennent que, nonobstant l'abattement de 10 % sur le montant de base de la sanction accordé à la société TNT, l'Autorité n'a pas suffisamment individualisé la sanction infligée à cette société.
1130. En premier lieu, les requérantes font valoir que la société TNT a moins participé aux échanges incriminés que d'autres entreprises mises en cause.
1131. Sur les cinquante-cinq échanges recensés par la notification des griefs entre 2004 et 2010, cette société n'aurait participé qu'à seize échanges, soit un taux de participation inférieur à 30 %. S'agissant des seules réunions du Conseil de Métiers, elle n'aurait participé qu'à seize d'entre elles, sur un total de vingt-quatre réunions incriminées.
1132. Dès lors, l'octroi d'un même abattement de 10 % à la société TNT et à des entreprises ayant davantage participé aux échanges violerait l'obligation d'individualisation des sanctions.
1133. En deuxième lieu, les requérantes considèrent que, dans la décision attaquée, l'Autorité a identifié quatre principaux éléments permettant de qualifier la gravité des pratiques sanctionnées au titre du grief n° 2 : le caractère futur des informations échangées ; l'affectation du taux de hausse tarifaire - base de l'ensemble du processus de négociation - par les échanges d'informations ; le placement des transporteurs dans une meilleure position de négociation vis-à-vis de leurs clients, en raison de leur connaissance du taux de revalorisation annuelle envisagé par leurs concurrents ; enfin, l'accroissement de la transparence du marché en matière tarifaire.
1134. Elles soutiennent que, sur ces quatre points, la société TNT se trouvait dans une situation spécifique, la distinguant des autres entreprises mises en cause :
- les informations qu'elle communiquait ne portaient pas sur des données tarifaires futures, dans la mesure où elle adressait ses circulaires de hausse tarifaire à sa clientèle avant les réunions de septembre du Conseil de Métiers au cours desquelles les hausses tarifaires étaient évoquées entre concurrents ;
- dans la mesure où ses circulaires de hausse tarifaire étaient adressées à sa clientèle avant lesdites réunions, les hausses tarifaires étaient arrêtées par la société TNT en toute autonomie, sans être influencées par les échanges d'informations entre concurrents ;
- le calendrier de négociation avec ses clients commençant et s'achevant plus tôt que celui de la majorité de ses concurrents, l'accès de la société TNT aux informations communiquées par ses concurrents n'a que marginalement pu affecter ces négociations ;
- la société TNT n'a que très marginalement contribué à l'accroissement de la transparence du marché, dans la mesure où les informations qu'elles communiquaient aux réunions de septembre du Conseil de Métiers étaient déjà potentiellement et facilement accessibles sur le marché par d'autres moyens.
1135. En troisième lieu, les requérantes font valoir que la société TNT s'est significativement écartée de la position de ses concurrents pour la campagne tarifaire 2008-2009. Elle n'a pas participé au sous-groupe de travail restreint ayant, de mars à juin 2008, échangé sur des suppléments pour prise de rendez-vous avec la grande distribution, ni à la réunion du 5 juin 2008 tenue au sein de la fédération TLF, mais hors du Conseil de Métiers, au cours de laquelle plusieurs entreprises ont échangé des informations tarifaires, ni aux échanges de courriers électroniques de juillet 2008 sur les hausses tarifaires envisagées. En outre, elle a circularisé, dès le 25 août 2008, une hausse tarifaire de 3,9 %, très inférieure à celle - d'environ 6 % - des participants à ces échanges multilatéraux. Enfin, elle n'a pas davantage participé à la réunion de suivi des négociations tarifaires du Conseil de Métiers du 15 janvier 2009.
1136. Les requérantes en déduisent que la participation de la société TNT s'est, pour la campagne tarifaire 2008-2009, limitée à sa présence à la seule réunion du Conseil de Métiers du 18 septembre 2008, et alors, au surplus, qu'aucune précision n'a pu être fournie sur la nature précise des informations échangées à cette occasion, la fédération TLF ayant contesté que des informations aient été échangées lors de cette réunion.
1137. En conclusion, les requérantes demandent à la cour une réduction supplémentaire de la sanction infligée à la société TNT au titre du principe d'individualisation, par un accroissement du pourcentage d'abattement reflétant son moindre degré de participation à l'infraction.
1138. L'Autorité répond que les requérantes ne fournissent aucun argument juridique sérieux qui pourrait justifier une réformation de la sanction.
1139. D'une part, la seule circonstance que le comportement d'une entreprise sur le marché n'a pas été conforme au comportement convenu ou annoncé n'affecte en rien son adhésion à l'accord de volontés et, par suite, sa responsabilité dans la violation de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE (CJUE, arrêts du 16 novembre 2000, Sarrió, C-291/98 P, point 50, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P).
1140. D'autre part, la société TNT ayant participé à onze réunions du Conseil de Métiers, elle aurait pleinement adhéré à l'entente et ne pourrait recevoir un traitement particulier lors de la détermination des sanctions. L'Autorité souligne notamment que le degré de participation des entreprises à l'entente ne s'apprécie pas campagne par campagne, mais globalement.
1141. En premier lieu, l'abattement de 10 % dont la société TNT a bénéficié avait précisément pour objet de tenir compte de sa non-participation - notamment au cours de la campagne tarifaire 2008-2009 - aux échanges bilatéraux et multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers.
1142. La cour considère qu'il n'y a pas lieu d'accorder un abattement supplémentaire à ce titre, dans la mesure où, ainsi que l'Autorité l'a souligné, ce sont les réunions du Conseil de Métiers, au cours desquelles les entreprises échangeaient des informations sur leur politique de hausses tarifaires, qui constituaient le cœur des pratiques, et non pas les échanges bilatéraux et multilatéraux en dehors de ces réunions.
1143. À cet égard, il ressort du tableau n° 20 figurant au paragraphe 512 de la décision attaquée, que la société TNT a assisté à dix des douze réunions du Conseil de Métiers s'étant déroulées entre le 30 septembre 2004 et le 1er mars 2005, puis entre le 28 septembre 2006 et le 1er mars 2009 et, enfin, entre le 16 septembre 2010 et le 29 septembre 2010, périodes au cours desquelles elle a participé aux pratiques (décision attaquée, § 1299, tableau 25).
1144. Ayant participé à presque toutes les réunions du Conseil de Métiers, elle ne saurait prétendre que sa participation a été faible et ne peut bénéficier donc d'un abattement supplémentaire à ce titre.
1145. La cour ajoute que, s'agissant de la durée de la participation de la société TNT aux pratiques - de 2 ans et 10 mois -, moins longue que celle de la majorité des autres entreprises, celle-ci est déjà prise en compte au travers du coefficient de durée - de 1,91 - qui lui a été appliqué (décision attaquée, § 1300, tableau 26).
1146. En deuxième lieu, pour les raisons exposées au paragraphe 1125 du présent arrêt, le fait d'avoir arrêté avant les réunions du Conseil de Métiers le taux de hausse annoncé lors de ces réunions, ne peut être retenu à titre de circonstance atténuante.
1147. La cour ajoute surabondamment que l'affirmation selon laquelle la société TNT aurait systématiquement adressé ses circulaires de hausse à sa clientèle avant les réunions du Conseil de Métiers est inexacte. S'il est vrai que la société TNT a toujours adressé ses circulaires de hausse tarifaire à la fin du mois d'août (cotes 47222 à 47277), force est de constater que, s'agissant de la campagne 2007-2008, la circulaire de hausse tarifaire, adressée par la société TNT à sa clientèle le 31 août 2007, avait été précédée de deux réunions du Conseil de Métiers, les 21 juin et 18 juillet 2007, dont les requérantes ne contestent ni que la société TNT y a participé ni leur caractère anticoncurrentiel.
1148. Par ailleurs, les requérantes ne sauraient soutenir que les informations échangées lors des réunions du Conseil de Métiers des 30 septembre 2004, 28 septembre 2006, 18 septembre 2008 et 16 septembre 2010, tenues postérieurement à l'envoi de ses circulaires de hausse tarifaire à ses clients, ne portaient pas sur des données tarifaires futures. En effet, les hausses figurant dans les circulaires adressées fin août par la société TNT à ses clients, n'entraient en vigueur que le 1er octobre suivant (décision attaquée, § 346, 443, 479 et 505), de sorte qu'à la date à laquelle elle les a communiquées à ses concurrents, lors des réunions du Conseil de Métiers tenues en septembre, il s'agissait bien d'informations sur les prix futurs.
1149. En revanche, il est vrai que, compte tenu de l'envoi anticipé, par rapport à ses concurrents, de ses circulaires de hausse, marquant le début des négociations tarifaires avec ses clients, une partie sensible de ces négociations se déroulaient et s'achevaient alors que la société TNT ne disposait d'aucune information précise sur les intentions de ses concurrents. C'est ainsi que, selon les explications des requérantes, non contestées par l'Autorité, en moyenne 46 % des négociations menées avec sa clientèle étaient terminées au 1er octobre.
1150. Il convient toutefois de relativiser le constat qui précède, d'abord, en rappelant qu'il ne vaut pas pour la campagne 2007-2008, pour laquelle la société TNT a participé à des échanges anticoncurrentiels avant l'envoi de sa circulaire de hausse tarifaire, ensuite, en soulignant que, pour 54 % de sa clientèle en moyenne, les informations obtenues de ses concurrents lors des réunions du Conseil de Métiers de septembre lui parvenaient alors qu'elle négociait encore les prix, ce qui renforçait sa position face à ses clients, puisqu'elle était en mesure d'apprécier le risque qu'ils l'abandonnent pour la concurrence, et qu'en outre, il est vraisemblable qu'il s'agissait de ses plus gros clients, représentant la majeure partie de son chiffre d'affaires, enfin, en relevant que, même pour les 46 % restant, la société TNT, impliquée dans une entente reconduite d'année en année, pouvait légitimement s'attendre à ce que ses concurrents poursuivent leur politique de hausse concertée.
1151. Il résulte de l'analyse qui précède, que c'est de façon réelle, mais limitée, que la spécificité du calendrier des hausses tarifaires suivi par la société TNT a produit un effet sur les pratiques.
1152. La cour considère, dans ces conditions, qu'il convient d'en tenir compte au titre de l'individualisation des sanctions, en accordant à la société TNT un abattement supplémentaire de 5 %.
1153. En dernier lieu, s'agissant spécifiquement de la participation de la société TNT à l'entente pendant la campagne tarifaire 2008-2009, d'une part, l'Autorité fait justement valoir que l'intensité de la participation à l'entente s'apprécie globalement et non campagne par campagne. Par ailleurs, il a déjà été tenu compte, par l'octroi d'un abattement de 10 % par l'Autorité, et d'un autre de 5 % par le présent arrêt, à la fois de l'absence de participation de la société TNT aux échanges bilatéraux et multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, et de la spécificité du calendrier suivi par cette société, d'où il résultait qu'elle arrêtait ses propres hausses tarifaires avant de connaître celles de ses concurrents, et qui explique qu'elle ait appliqué lors de cette campagne une hausse tarifaire nettement inférieure à celle des autres participants à l'entente.
ç. Concernant la société BMVirolle
1154. La société BMVirolle fait valoir, d'abord, que l'Autorité n'a retenu à son encontre aucune participation à des échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, à l'exception d'un unique envoi à la société Graveleau, le 8 novembre 2006, d'une circulaire de hausse tarifaire émanant de la société Mory, envoi qui est la seule justification du refus de lui accorder l'abattement de 10 % sur le montant de base de la sanction.
1155. À cet égard, la requérante soutient que l'envoi de la circulaire de la société Mory, non seulement est intervenu à une date à laquelle celle-ci était déjà diffusée depuis plus d'un mois et était donc accessible à la société Graveleau en tant qu'information publique, mais s'inscrivait, en outre, dans le cadre d'un partenariat de sous-traitance entre transporteurs.
1156. L'activité de sous-traitance ayant été extraite par l'Autorité de la valeur des ventes visées par la présente procédure, la société BMVirolle dénonce la contradiction qu'il y a, selon elle, à fonder le refus de lui octroyer une réduction d'amende à raison d'un comportement s'inscrivant dans le cadre de cette même activité.
1157. Ensuite, la requérante reproche à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte, dans le calcul des sanctions, de la durée de participation à l'entente, de l'assiduité plus ou moins grande aux réunions du Conseil de Métiers ainsi que la mise en œuvre plus ou moins complète des mesures convenues. Elle soutient qu'elle-même n'a participé que de manière épisodique aux réunions du Conseil de Métiers, et de façon passive.
1158. Enfin, elle soutient que constitue également une circonstance atténuante le fait que, à l'exception de la campagne 2009-2010, elle a toujours diffusé ses circulaires de hausse tarifaire avant les réunions du Conseil de Métiers. Selon elle, en effet, il en est résulté l'absence de conséquence de sa participation à l'entente sur son comportement sur le marché.
1159. Dès lors, elle invite la cour à corriger l'absence d'égalité de traitement dont elle a été victime, à tout le moins pour les campagnes 2008-2009 et 2009-2010, en lui appliquant également l'abattement de 10 % sur le montant d'amende qui lui serait, le cas échéant, infligé.
1160. Le ministre chargé de l'Économie considère que la circonstance que la société BMVirolle a envoyé à la société Mory une circulaire de hausse tarifaire reçue de la société Graveleau, justifie que l'Autorité ne lui ait pas accordé l'abattement de 10 %. Il ajoute qu'en ayant examiné la participation de la société BMVirolle aux échanges bilatéraux ou multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers, l'Autorité a suffisamment tenu compte de sa situation individuelle au regard de l'intensité de sa participation au grief n° 2.
1161. En premier lieu, la société BMVirolle ne conteste pas avoir transmis à la société Graveleau, le 8 novembre 2006, une circulaire de hausse tarifaire qu'elle avait reçue de la société Mory (décision attaquée, § 411 et 893 à 897).
1162. Or, d'une part, la cour a jugé, aux paragraphes 512 à 519 du présent arrêt, qu'il ne s'agissait pas d'un document à ce point public que cette transmission était dépourvue de tout caractère anticoncurrentiel et qu'un tel envoi ne trouvait pas sa justification dans l'existence éventuelle d'une relation de sous-traitance entre les sociétés BMVirolle et Graveleau, mais s'expliquait par le souhait de la première de renforcer la transparence générale du marché en partageant les informations tarifaires dont elle disposait.
1163. D'autre part, ainsi que l'a cour l'a déjà souligné au paragraphe 516 du présent arrêt, si l'Autorité a exclu de la valeur des ventes le chiffre d'affaires réalisé lorsque les entreprises agissent exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur, ce n'est qu'afin d'éviter que soit pris deux fois en compte le même chiffre d'affaires, au niveau de l'entreprise mandante et au niveau de l'entreprise sous-traitante (décision attaquée, § 1204), de sorte qu'elle a pu, sans contradiction, retenir l'envoi de la circulaire Mory comme un élément de la participation de la société BMVirolle aux pratiques.
1164. La transmission de la circulaire Mory constitue donc bien un échange bilatéral en marge des réunions du Conseil de Métiers.
1165. En outre, contrairement à ce que soutient la société BMVirolle, sa participation à de tels échanges s'est également concrétisée par la réception par la société BMVirolle de la circulaire de hausse tarifaire que lui a adressée la société Transports Alloin le 2 novembre 2006 (décision attaquée, § 408 et 892). En n'adoptant pas une position claire de nature à persuader ses concurrents qu'elle refusait de faire partie de l'entente et à les dissuader de lui adresser leurs circulaires et, de ce fait, en acceptant, fût-ce implicitement, de recevoir la circulaire de la société Transports Alloin, laquelle lui fournissait des informations utiles dans ses relations avec sa propre clientèle, la société BMVirolle a bien eu un second échange bilatéral à visée anticoncurrentielle.
1166. Dès lors que la société BMVirolle a participé, à deux reprises, à des échanges bilatéraux anticoncurrentiels en dehors des réunions du Conseil de Métiers, c'est à juste titre que l'Autorité lui a refusé le bénéfice de l'abattement de 10 %.
1167. En second lieu, il ressort du tableau n° 20 figurant au paragraphe 512 de la décision attaquée, que la société BMVirolle a participé à cinq des six réunions du Conseil de Métiers s'étant déroulées entre le 29 septembre 2006 et le 1er mars 2007 puis entre le 18 septembre 2008 et le 1er mars 2010, périodes aux cours desquelles elle a participé aux pratiques (décision attaquée, § 1299, tableau 25).
1168. Une telle assiduité exclut de qualifier d' " épisodique " sa participation pendant ces deux périodes, alors que les réunions du Conseil de Métiers, au cours desquelles les entreprises participantes s'échangeaient des informations commerciales sur les hausses de prix, ont constitué le cœur des pratiques. Par ailleurs, à le supposer démontré, le fait qu'elle n'ait pas été active lors des discussions ayant lieu pendant ces réunions ne justifie pas une réduction de sa sanction, alors qu'elle a contribué, par sa seule présence, à un renforcement de l'entente.
1169. La cour ajoute que, s'agissant de la durée de la participation de la société BMVirolle aux pratiques - de 1 an et 10 mois -, objectivement plus courte que celle de nombreuses autres entreprises, celle-ci est déjà prise en compte au travers du coefficient de durée - de 1,41 - qui lui a été appliqué (décision attaquée, § 1300, tableau 26).
1170. En dernier lieu, pour les raisons exposées au paragraphe 1125 du présent arrêt, le fait d'avoir arrêté avant les réunions du Conseil de Métiers le taux de hausse annoncé lors de ces réunions, ne peut être retenu à titre de circonstance atténuante.
1171. La cour ajoute, surabondamment, que, ainsi que la société BMVirolle le reconnaît elle-même, elle a, lors de la campagne 2009-2010, diffusé sa circulaire de hausse tarifaire après la réunion du Conseil de Métiers à laquelle elle a participé.
1172. Au surplus, s'agissant des campagnes 2006-2007 et 2008-2009, la requérante ne saurait soutenir que les informations qu'elle a reçues de ses concurrents lors des réunions du Conseil de Métiers des 28 septembre 2006 et 18 septembre 2008, n'ont pas eu de conséquences sur son comportement sur le marché. En effet, la société BMVirolle, qui, lors de ces deux campagnes, avait diffusé sa circulaire de hausse les 17 septembre 2006 et 12 septembre 2008 (cotes 60930 et 60939), soit respectivement onze et six jours avant les réunions du Conseil de Métiers des 28 septembre 2006 et 18 septembre 2008, et qui ne conteste pas que la période de négociation avec ses clients s'achevait en mars de l'année suivante, a bénéficié, alors qu'elle entamait à peine les négociations avec sa clientèle, d'informations sur les projets de hausses tarifaires de ses concurrents, lesquelles ont renforcé sa position face à ses clients, puisqu'elle était en mesure d'apprécier le risque qu'ils l'abandonnent pour la concurrence.
1173. Il résulte de l'analyse qui précède, que le calendrier des hausses tarifaires suivi par la société BMVirolle ne présente pas une spécificité telle qu'il ait pu avoir un effet sur les pratiques.
1174. La demande de la requérante de bénéficier d'un abattement supplémentaire est rejetée.
è. Concernant la société Normatrans
1175. La société Normatrans soutient qu'elle n'a bénéficié d'aucune appréciation individuelle dans le calcul de la sanction, et ce, en violation du point 44 du communiqué sanctions comme du point 29 des lignes directrices de 2006 de la Commission européenne sur le calcul des amendes, qui prévoient que le montant de base de l'amende peut être réduit lorsqu'est constatée l'existence de circonstances atténuantes.
1176. Invoquant la jurisprudence des juridictions de l'Union européenne, la requérante fait valoir qu'elle est notamment en mesure de se prévaloir de son rôle passif et que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d'une entreprise au sein d'une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l'entente, de même que son entrée tardive sur le marché ayant fait l'objet de l'infraction, indépendamment de la durée de sa participation à celle-ci, ou encore l'existence de déclarations expresses en ce sens émanant de représentants d'entreprises tierces ayant participé à l'infraction.
1177. Elle soutient qu'en l'espèce son rôle passif dans l'entente objet du grief n° 2 découle sans conteste du caractère ponctuel et sporadique de ses participations aux réunions ; de son arrivée tardive dans l'entente - 2006 -, de la faible durée de sa participation, de sa très faible part de marché - 0. 3 % -, dont il peut être déduit qu'elle a eu une influence insignifiante tant sur le rythme que sur le contenu ou les objectifs des réunions incriminées.
1178. Elle estime par ailleurs que la réduction de sanction dont elle a bénéficié au titre de sa non-participation aux échanges bilatéraux et multilatéraux en dehors des réunions du Conseil de Métiers méritait d'être plus importante.
1179. En premier lieu, une entreprise peut être active dans une entente tout en ne détenant qu'une faible part de marché. Au surplus, dès lors que le cœur de l'entente était constitué par les réunions du Conseil de Métiers, la part de marché respective des entreprises participantes apparaît secondaire aux fins d'apprécier l'intensité de leur participation, dans la mesure où les organes de la fédération TLF intervenaient dans le choix du contenu et de la fréquence des réunions organisées en son sein.
1180. De même, la brièveté de la participation d'une entreprise à l'entente n'empêche pas que, pendant ce délai, elle y soit très active. Au demeurant, ayant participé à l'entente du 28 septembre 2006 au 29 septembre 2010, soit pendant quatre ans (décision attaquée, § 1299, tableau 25, et § 1300, tableau 26), la société Normatrans est mal fondée à soutenir que sa participation a été brève.
1181. Enfin, entrée dans l'entente quatre ans avant la fin des pratiques - lesquelles ont duré moins de six ans au total -, elle ne saurait davantage prétendre que cette entrée a été " tardive ".
1182. Ces éléments ne sauraient donc être retenus aux fins d'établir le rôle passif de la société Normatrans
1183. En second lieu, il est constant que, à la différence de plusieurs des entreprises mises en cause, la société Normatrans n'a participé à aucun échange bilatéral ou multilatéral en dehors des réunions du Conseil de Métiers. Toutefois, l'Autorité en a suffisamment tenu compte en lui accordant à ce titre un abattement de 10 %, calculé de surcroît sur le montant de base de la sanction (décision attaquée, § 1305).
1184. Par ailleurs, il ressort du tableau n° 20 figurant au paragraphe 512 de la décision attaquée, que la société Normatrans a participé à onze des quatorze réunions du Conseil de Métiers s'étant déroulées entre le 28 septembre 2006 et le 29 septembre 2010, durée de sa participation aux pratiques. Une telle assiduité exclut de qualifier de " ponctuelle et sporadique " sa participation auxdites réunions, au cours desquelles les entreprises participantes s'échangeaient des informations commerciales sur les prix, et qui constituaient le cœur des pratiques.
1185. La demande de la société Normatrans est rejetée.
f) Conclusion sur le montant de base des sanctions
1186. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, le montant de base de la sanction s'établit comme suit pour chaque requérante :
<TABLEAU>
3. Sur l'individualisation des sanctions
1187. La cour rappelle que, l'Autorité ayant fait le choix, non contesté par les requérantes, de prendre en compte la participation inégale au grief n° 2 selon les entreprises au stade de la détermination du montant de base de la sanction, l'ensemble des moyens relatifs à cette circonstance atténuante ont déjà été examinés ci-dessus.
a) Sur la coopération procédurale
1188. La société Normatrans, qui invoque les lignes directrices 2006 de la Commission, fait valoir qu'elle a coopéré avec l'Autorité dès la notification des griefs, puis à chaque étape de la procédure, ce qui justifie une réduction de sa sanction.
1189. Le ministre chargé de l'Économie objecte que le communiqué sanctions ne prévoit pas de réduction de sanction pour les entreprises qui coopèrent avec l'Autorité en dehors de la procédure de clémence. Au surplus, la société Normatrans n'aurait apporté aucun élément que l'Autorité ignorait.
1190. La cour constate qu'en tout état de cause, à supposer que la société Normatrans ait coopéré avec l'Autorité, sa coopération n'a pas apporté de plus-value significative à l'enquête, la requérante n'alléguant même pas qu'elle aurait fourni des éléments ignorés des services d'instruction de l'Autorité.
1191. Sa demande de réduction à ce titre ne peut donc qu'être rejetée.
b) Sur l'encouragement par les autorités publiques
1192. La société Geodis fait valoir que la connexité temporelle et matérielle entre les pratiques reprochées au titre des grief n° 1 et n° 2 est telle que les secondes n'auraient probablement pas eu lieu si les premières ne s'étaient pas déroulées.
1193. Dès lors que l'Autorité a reconnu et pris en compte, aux fins du calcul de la sanction des pratiques objet du grief n° 1, le contexte très particulier dans lequel ces pratiques ont été initiées, tenant à la confusion que les interventions des pouvoirs publics en faveur d'une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transports a pu créer dans l'esprit des transporteurs, elle aurait dû, selon la société Geodis, en tenir également compte dans le cadre du grief n° 2.
1194. Mais, d'abord, les pratiques objet du grief n° 1 et celles objet du grief n° 2, nonobstant le fait qu'elles se sont déroulées dans le même contexte et, pour partie, à la même époque, sont très différentes, de sorte qu'aucun lien de connexité ne saurait être relevé.
1195. Ensuite, à supposer même établi un tel lien de connexité, ainsi que la cour l'a déjà relevé au paragraphe 1078 du présent arrêt, le grief n° 2 ne s'est nullement inscrit dans un contexte d'encouragement par les autorités publiques.
1196. Enfin, en tout état de cause, la non-participation de la société Geodis au grief n° 1 suffit à démontrer qu'en ce qui la concerne, aucune confusion dans son esprit n'a été provoquée par les pouvoirs publics.
1197. Le moyen est rejeté.
c) Sur le caractère d'entreprise mono-produit
1198. Au titre des " autres éléments d'individualisation ", le point 48 du communiqué sanctions précise que le montant de base peut être adapté à la baisse pour tenir compte du fait que " l'entreprise mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction (entreprise "mono-produit") ".
1199. La prise en compte du caractère d' " entreprise mono-produit " a pour finalité d'éviter que l'application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutisse à des montants disproportionnés.
1200. Conformément au communiqué sanctions (point 23), le montant de base de la sanction pécuniaire représente une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise concernée, de produits ou de services en relation avec l'infraction. Or, pour une entreprise dont la valeur de ces ventes est proche de son chiffre d'affaires, parce que ce dernier est réalisé pour l'essentiel au travers des ventes de produits ou de services en relation avec l'infraction (entreprise mono-produit), la méthode normale de détermination de la sanction peut conduire à lui infliger une sanction représentant un pourcentage très élevé de son chiffre d'affaires.
1201. Pourtant, le caractère dissuasif d'une sanction s'apprécie davantage au regard du pourcentage du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée que représente la sanction qu'au regard du montant de cette sanction.
1202. Ainsi, la prise en compte du caractère d'entreprise mono-produit, prévu au point 48 du communiqué sanctions, s'analyse comme un exemple de mise en œuvre de la volonté, exprimée par l'Autorité au point 24 du même communiqué, de ne pas accorder une importance disproportionnée à la valeur des ventes par rapport à d'autres éléments à prendre en considération, tel le chiffre d'affaires.
1203. C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'apprécier les moyens des parties revendiquant la qualité d'entreprise mono-produit.
á. Concernant la société Kuehne + Nagel
1204. Les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International font valoir que le caractère d'entreprise mono-produit s'apprécie à l'époque des pratiques ; que l'entreprise Alloin n'a été acquise par le groupe Kuehne + Nagel qu'en janvier 2009, soit trois mois avant la fin des pratiques, lesquelles ont duré quatre ans et cinq mois ; que, dans ces conditions il convenait d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit de la société Alloin Transports, devenue Kuehne + Nagel, au regard de son seul chiffre d'affaires, et non au regard du chiffre d'affaires du groupe Kuehne + Nagel ; qu'il apparaît que le chiffre d'affaires de cette société réalisé dans le secteur d'activité de la messagerie classique et de la messagerie express représentait, en 2009, plus de 85 % de son chiffre d'affaires total ; qu'elle avait donc bien la qualité d'entreprise mono-produit.
1205. Les requérantes considèrent donc que le refus de l'Autorité de leur accorder à ce titre un abattement d'au moins 70 % de la sanction est discriminatoire et emporte le caractère disproportionné de la sanction prononcée à leur encontre
1206. L'Autorité répond que la société Kuehne + Nagel International ayant été sanctionnée en qualité de société mère à laquelle les pratiques de la société Alloin Transports, depuis dénommée Kuehne + Nagel, ont été imputées, les conditions d'une minoration du montant de base de la sanction au titre du caractère mono-produit ne sont pas réunies à son égard dès lors que l'activité du groupe Kuehne + Nagel est diversifiée et que la sanction infligée, d'un montant de 32 millions d'euros, représente moins de 0,2 du chiffre d'affaires de ce groupe.
1207. Invoquant la jurisprudence nationale (CA Paris, 16 avril 2016, n° RG 2015/01855), le ministre chargé de l'Économie objecte que l'examen du caractère mono-produit d'une entreprise, a fortiori lorsque les pratiques de la filiale sont imputées à la société mère, porte nécessairement sur la proportion entre la part de l'activité concernée par la pratique sanctionnée et l'activité globale du groupe ; qu'en l'espèce, le groupe Kuehne + Nagel n'exerce qu'une part réduite de son activité sur les marchés de la messagerie classique et de la messagerie express en France ; qu'il n'est donc pas une entreprise mono-produit.
1208. Il ressort de la décision attaquée que, d'une part, pour la période du 30 septembre 2004 au 30 juin 2007, a été retenue la responsabilité de la société Alloin Holding, à la fois en tant que successeur juridique et société mère de la société Transports Alloin, auteur de la pratique pendant cette même période, d'autre part, pour la période du 1er juillet 2007 au 29 septembre 2010, a été retenue la responsabilité de la société Kuehne + Nagel, anciennement dénommée Alloin Transports, en tant qu'auteur de la pratique, ainsi que celle des sociétés Alloin Holding et Kuehne + Nagel International, sociétés mère et grand-mère de la société Kuehne + Nagel, pour la durée pendant laquelle elles ont détenu cette filiale, soit du 1er juillet 2007 au 29 septembre 2010, pour la société Alloin Holding, et du 6 janvier 2009 au 29 septembre 2010, pour la société Kuehne + Nagel International (décision attaquée, § 1047 à 1049 et § 1388). Ni devant l'Autorité ni dans le cadre du présent recours, les requérantes n'ont contesté cette analyse.
1209. Il s'ensuit que l'" entreprise ", au sens tant de l'article L. 464-2 du Code de commerce que du communiqué sanctions, notamment son point 48, a été successivement constituée, du 30 septembre 2004 au 30 juin 2007, de l'entité formée par la société Alloin Transport et sa société mère Alloin Holding, du 1er juillet 2007 au 5 janvier 2009, par l'entité formée de la société Transport Alloin, devenue Kuehne + Nagel, et de sa société mère Alloin Holding et, du 6 janvier 2009 au 29 septembre 2010, de la société Kuehne + Nagel et de ses sociétés mère Alloin Holding et grand-mère Kuehne + Nagel International.
1210. Il appartenait donc aux requérantes d'établir que ces entités, ou l'une d'entre elles, avait le caractère d'entreprise mono-produit.
1211. Force est de constater qu'elles ne soutiennent pas, et a fortiori ne démontrent pas, que tel aurait été le cas. À cet égard, la circonstance, à la supposer établie, que la société Kuehne + Nagel, considérée isolément, a le caractère d'entreprise mono-produit ne suffit pas à rapporter cette preuve.
1212. La demande de réduction formée à ce titre doit donc être rejetée.
ß. Concernant la société Normatrans
1213. La société Normatrans fait valoir qu'elle réalise plus de 76 % de son activité sur le seul secteur de la messagerie. Elle produit un tableau d'où il ressort que cette activité a toujours représenté les deux tiers de son chiffre d'affaires, et jusqu'aux trois quarts certaines années.
1214. Invoquant la pratique décisionnelle de l'Autorité (décisions n° 13-D-03 du 13 février 2013 et n° 16-D-09 du 12 mai 2016) et la jurisprudence de la cour, (CA Paris, 14 avril 2016, n° RG 2015/01855 ; 25 septembre 2014, n° RG 2013/05595) elle souligne que la qualité d'entreprise mono-produit a déjà été reconnue aux produits d'entreprise dont 72 % et 75 % de l'activité était réalisée sur le marché concerné par l'entente.
1215. Soulignant qu'elle est une PME, qu'elle n'emploie que 310 salariés, que son marché est exclusivement régional et qu'elle réalise un chiffre d'affaires annuel compris entre 28 et 31 millions d'euros, elle estime être en droit de bénéficier d'un traitement différencié par rapport aux autres contrevenants et considère que ces éléments spécifiques ne font que renforcer la nécessité de prendre en compte le caractère mono-produit de son activité.
1216. Elle réclame à ce titre un abattement compris entre 65 et 70 %.
1217. C'est à la date de l'année de référence, en l'espèce 2009, qu'il convient de se placer pour apprécier le caractère d'entreprise mono-produit de l'entreprise sanctionnée.
1218. Aux fins de reconnaître un tel caractère, seul compte le pourcentage du chiffre d'affaires global de l'entreprise sanctionnée que représente la valeur des ventes en relation avec l'infraction, la taille de l'entreprise étant indifférente.
1219. En l'espèce, d'une part, l'Autorité a indiqué, au paragraphe 1204 de la décision attaquée, qu'aux fins de déterminer la valeur des ventes en relation avec l'infraction, elle déduirait du chiffre d'affaires réalisé sur le marché de la messagerie classique et express, " le chiffre d'affaires réalisé lorsque les entreprises agissent exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur ". Or la société Normatrans n'allègue pas que l'Autorité aurait omis de procéder à cette déduction en ce qui la concerne.
1220. D'autre part, la société Normatrans indique qu'en 2009, le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé sur le seul secteur de la messagerie a représenté 68,13 % de son chiffre d'affaires global, mais précise que, cette même année, la sous-traitance a représenté 55,68 % du chiffre d'affaires réalisé dans le secteur de la messagerie (Normatrans, mémoire en réplique, § 131).
1221. Il s'ensuit que la valeur des ventes de la société Normatrans en relation avec l'infraction, qui n'intègre pas le chiffre d'affaires de cette société réalisé dans la sous-traitance, représentait, en 2009, environ 30 % du chiffre d'affaires global de cette société.
1222. Un tel pourcentage exclut de lui reconnaître le caractère d'entreprise mono-produit.
d) Sur l'infériorité économique
1223. La société BMVirolle fait valoir que doit être retenu à titre de circonstance atténuante le fait qu'elle est un acteur mineur du secteur de la messagerie, détenant des parts de marché inférieures à 0,2 % sur le segment de la messagerie classique et à 1,8 % sur celui de la messagerie express. Selon elle, en lui appliquant le même pourcentage de la valeur des ventes - 9 % - qu'aux autres entreprises mises en cause, alors que certaines sont d'une taille et d'une puissance sans commune mesure, l'Autorité a manqué à son obligation d'individualisation de la sanction.
1224. La société Normatrans soutient que sa qualité de PME, avec de faibles moyens, intervenant sur un territoire restreint, le fait qu'elle intervient sur le seul marché de la messagerie classique, sa situation de dépendance économique, ainsi que le fait qu'elle était sous-traitante de la majorité des autres mises en cause, constituent autant de circonstances atténuantes justifiant une réduction de sa sanction au titre de l'individualisation des sanctions.
1225. L'Autorité répond que, dans la mesure où la valeur des ventes liées aux activités de sous-traitance de la société Normatrans a été déduite de l'assiette de la sanction, celle-ci ne peut utilement soutenir qu'elle devrait obtenir, au titre de l'importance desdites activités dans son chiffre d'affaires, une diminution de sanction.
1226. Le ministre chargé de l'Économie objecte que la société Normatrans ne fait état d'aucune menace ni mesures de représailles de la part des autres entreprises mises en cause susceptibles de matérialiser le caractère contraint de sa participation à l'entente.
1227. La cour rappelle, d'abord, que le pourcentage appliqué à la valeur des ventes afin de déterminer le montant de base de la sanction, est déterminé à la suite d'une appréciation globale de l'entente, sans qu'il y ait lieu, à ce stade, d'opérer une distinction entre les entreprises participantes.
1228. Ensuite, la modestie des parts de marchés détenues par la société BMVirolle et, en conséquence, l'importance relativement moindre de sa participation à l'entente, ont déjà été prises en compte, dans la mesure où elles se traduisent par une valeur des ventes de services en relation avec l'infraction, qui a servi de base au calcul de la sanction de la requérante, très faible, notamment en comparaison avec celle de nombreuses autres entreprises mises en cause. De la même façon, la qualité de PME de la société Normantrans, la faiblesse de ses moyens, le caractère restreint de son territoire d'intervention et la limitation de son activité au secteur de la messagerie classique, ont été pareillement pris en compte au travers de la valeur de ses ventes ayant servi d'assiette au calcul de sa sanction.
1229. Au surplus, dans la mesure où a été écarté de la valeur des ventes le chiffre d'affaires réalisé lorsque les entreprises agissent exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur (décision attaquée, § 1204), il a déjà été tenu compte du fait que la société Normatrans consacre une part notable de son activité à la sous-traitance.
1230. Enfin, la société Normatrans reconnaît qu'elle n'a pas fait l'objet de pressions des autres participants à l'entente pour en faire partie. S'il est exact que l'importance de la part de son chiffre d'affaires réalisé en sous-traitance, la plaçait dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des grands acteurs du marché de la messagerie, elle ne démontre pas que son refus de participer à l'entente aurait pu donner lieu à des représailles susceptibles de lui faire perdre son chiffre d'affaires.
1231. Il n'y a donc pas lieu d'octroyer une réduction de sanction aux sociétés BMVirolle et Normatrans au titre de l'infériorité économique qu'elles allèguent.
4. Sur les ajustements finaux
a) Sur la vérification du respect du maximum légal
1232. Les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International reprochent à l'Autorité d'avoir apprécié le respect du plafond légal par rapport au chiffre d'affaires mondial du groupe Kuehne + Nagel, alors même que le groupe Alloin n'a été acquis par ce dernier que trois mois avant la fin des pratiques.
1233. Selon elles, à l'instar de ce qu'elle a fait au stade de l'imputation des pratiques, l'Autorité aurait dû prendre en compte le chiffre d'affaires de la société Alloin Holding, société mère de la société Alloin Transport, auteur des pratiques, pour apprécier le respect du plafond légal par la sanction infligée au titre de la période antérieure au 6 janvier 2009, date du rachat du groupe Alloin par le groupe Kuehne + Nagel.
1234. Les requérantes font valoir, d'une part, que, dans son arrêt du 4 septembre 2014, YKK e.a./Commission (C-408/12 P, points 55 à 68), la Cour de justice a jugé qu'en cas d'acquisition d'une entreprise au cours de sa participation à une entente, la Commission doit appliquer deux maximums légaux : un premier pour la période antérieure à l'acquisition, correspondant à 10 % de chiffre d'affaires mondial du groupe auquel appartenait alors l'entreprise acquise, un second pour la période postérieure à l'acquisition, correspondant au chiffre d'affaires mondial du groupe acquéreur.
1235. Elles invitent la cour à interpréter dans le même sens les dispositions de droit national, nonobstant le principe d'autonomie procédurale en matière de fixation des sanctions. Selon elles, en effet, adopter une solution différente porterait préjudice à l'efficacité de l'application du droit de l'Union et mettrait en péril la cohérence des politiques de concurrence au sein de l'Union européenne
1236. D'autre part, les requérantes soutiennent que la décision n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015 du Conseil constitutionnel, qui a jugé l'article L. 464-2 du Code de commerce conforme à la Constitution, vient au soutien de l'interprétation qu'elles défendent.
1237. Elles ajoutent que l'approche retenue par l'Autorité, qui dissocie les règles applicables à l'imputabilité et au maximum légal, aboutit à la violation du principe de proportionnalité, principe de valeur constitutionnelle et conventionnelle, obligeant à écarter toute norme contraire, ainsi que des principes de la responsabilité personnelle et d'individualisation des sanctions.
1238. En conséquence, les requérantes invitent la cour à réduire le montant intermédiaire de la sanction à 17 804 192, compte tenu du plafond légal 14 727 663 euros (correspondant à 5 % du chiffre d'affaires consolidé de la société Alloin Holding en 2008) applicable à la partie de la sanction correspondant à la période de commission des pratiques antérieure au 6 janvier 2009.
1239. L'Autorité rappelle, d'abord, que chaque État membre de l'Union jouit d'une autonomie procédurale en matière de droit de la concurrence, englobant la détermination des sanctions.
1240. Elle relève, ensuite, que les dispositions de L. 464-2 du Code de commerce, qui précisent le mode de calcul de la sanction, et celles de l'article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, sont rédigées différemment, ce qui suffit à expliquer que la détermination du plafond légal de la sanction ne soit pas la même en droit national et en droit de l'Union.
1241. Enfin, elle fait valoir que, dans sa décision n° 2015-489 QPC, précitée, le Conseil constitutionnel a validé l'interprétation de l'article L. 464-2 du Code de commerce qu'elle a retenue dans la décision attaquée.
1242. Le ministre chargé de l'Économie considère que la solution retenue par la Cour de justice dans son arrêt YKK e.a./Commission, précité, est en parfaite convergence avec la jurisprudence récente de la présente cour qui, dans un arrêt récent (CA Paris, 28 mai 2015, n° RG 2014/09272), a retenu comme plafond de la sanction le chiffre d'affaires réalisé par les seules sociétés sanctionnées, et non celui du groupe auquel elles appartenaient et dont la responsabilité avait été écartée.
1243. Il s'en remet à la sagesse de la cour.
1244. À titre liminaire, l'Autorité relève que, si les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International reprochent à l'Autorité de ne pas avoir suffisamment motivé son analyse du respect du plafond légal par la sanction qui leur a été infligée, elles n'en tirent aucune conséquence de droit.
1245. L'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (ci-après la " loi NRE "), dispose :
" Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante. "
1246. Par ailleurs, le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose qu'en cas de non-contestation de grief " le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié ".
1247. La cour rappelle, en premier lieu, que, dans son ordonnance du 28 juin 2008, Italsempione - Spedizioni Internazionali, (C-450/15, points 17 et 18), la Cour de justice a jugé qu'en ce qui concerne les amendes infligées aux entreprises ou aux associations d'entreprises pour infraction aux règles de concurrence de l'Union, l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 prévoit des règles uniquement pour des situations dans lesquelles de telles amendes sont imposées par la Commission, et rappelé qu'aux termes de l'article 5 du même règlement, les autorités de la concurrence des États membres infligent des amendes selon leur droit national.
1248. Ainsi, le calcul de la sanction doit être effectué en application des seules règles de droit national, plus précisément l'article L. 464-2 du Code de commerce.
1249. La référence à l'arrêt YKK e.a./Commission, précité, dans lequel la Cour de justice se borne à interpréter l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, est donc dépourvue de pertinence.
1250. En deuxième lieu, il résulte tant des travaux parlementaires que du libellé de l'article L. 464-2 I quatrième alinéa, du Code de commerce que, si la loi NRE a cherché à éviter la fraude consistant à vider l'entreprise auteure des pratiques afin de réduire le chiffre d'affaires servant de base au plafond de la sanction et s'assurer ainsi que la sanction sera faible, voire dérisoire, elle a une autre finalité, plus générale, qui est d'inciter l'Autorité à, et lui donner les moyens de, rehausser le niveau des sanctions prononcées.
1251. Ce second objectif, qui doit être poursuivi en dehors de toute hypothèse de fraude, est notamment atteint par le doublement du plafond (10 % du chiffre d'affaires et non plus 5 %), par la prise en compte du chiffre d'affaires mondial (et non plus national) et, en cas de consolidation des comptes, par la prise en compte du chiffre d'affaires de l'entreprise consolidante.
1252. Dès lors, tant le rehaussement du plafond de 5 à 10 % que la prise en compte du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise consolidante dans le calcul du plafond légal doivent s'appliquer aussitôt que les comptes de l'entreprise auteure des pratiques anticoncurrentielles sont consolidés.
1253. En troisième lieu, il résulte de la dernière phrase de l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce que, lorsque les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte pour le calcul du plafond légal est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.
1254. À cet égard, premièrement, la prise en compte du chiffre d'affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante n'est pas subordonnée au constat que cette dernière a exercé une influence déterminante sur le comportement de l'entreprise sanctionnée. Le plafond légal sera donc calculé par rapport à ce chiffre d'affaires, même lorsque l'entreprise sanctionnée a agi de façon autonome et que la pratique n'a donc pas été imputée à sa société mère ni, a fortiori, à la société faîtière du groupe auquel elle appartient.
1255. Deuxièmement, la prise en compte du chiffre d'affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante n'est pas davantage subordonnée, par l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce, au constat préalable que l'appartenance de l'entreprise sanctionnée à un groupe a joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ou est de nature à influer sur l'appréciation de leur gravité, de sorte que ledit chiffre d'affaires doit servir de base au calcul du plafond légal, que la sanction ait ou non été majorée en raison de l'appartenance de l'entreprise sanctionnée à un groupe.
1256. Troisièmement, ladite disposition n'exige pas que l'entreprise sanctionnée ait été, au moment des pratiques anticoncurrentielles, filiale de l'entreprise consolidante ou combinante, seul important le fait que ses comptes ont été consolidés ou combinés au titre de l'exercice au cours duquel a été réalisé le chiffre d'affaires retenu pour le calcul du plafond légal.
1257. En dernier lieu, dans sa décision n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015 (considérants 9 à 22), le Conseil constitutionnel a dit que les deuxième et troisième phrases du quatrième alinéa de l'article L. 464-2 I du Code de commerce ne méconnaissent ni les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ni le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait, ni le principe d'individualisation des peines.
1258. Il convient, notamment, de souligner que le Conseil constitutionnel a statué en ce sens alors même que l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité faisait valoir devant lui que, " dans la mesure où [l]es dispositions [de l'article L. 464-2 I du Code de commerce] permettent de prendre en considération le chiffre d'affaires consolidé d'un groupe alors même qu'il est étranger à l'infraction commise par l'entreprise, soit qu'aucune autre entreprise de ce groupe n'a contribué à l'infraction, soit que l'entreprise ayant commis l'infraction a intégré le groupe postérieurement à la commission de celle-ci, elles méconnaîtraient également les principes d'individualisation et de personnalité des peines " (décision n° 2015-489 QPC, considérant 11).
1259. Ainsi, aucun principe ne s'oppose à ce que le maximum légal soit calculé par référence au chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxe du groupe Kuehne + Nagel, y compris pour la partie de la sanction correspondant à la participation à la pratique antérieurement au 6 janvier 2009, date d'acquisition par ce groupe du groupe Alloin.
1260. L'ensemble des arguments des sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International seront rejetés.
b) Sur l'exonération de sanction au titre de la procédure de clémence
á. Concernant la société Schenker
1261. Par deux avis de clémence des 3 février 2009 et 13 juillet 2010, l'Autorité a accordé à la société Deutsche Bahn et à ses filiales le bénéfice conditionnel de la clémence.
1262. Considérant qu'en participant à la réunion du Conseil de Métiers du 16 septembre 2010, au cours de laquelle des informations sensibles avaient été échangées entre concurrents, la société Schenker, anciennement Schenker-Joyau, n'avait pas pleinement respecté son obligation de coopération telle qu'imposée par les avis de clémence, l'Autorité a refusé à cette société et à sa société mère Deutsche Bahn le bénéfice de l'exonération totale de sanction au titre du grief n° 2 et a mis à leur charge une sanction de 30 millions d'euros (décision attaquée, § 1322 à 1339).
1263. À titre principal, les sociétés Schenker et Deutsche Bahn demandent l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle a constaté un manquement de leur part à au moins une des conditions prévues dans leurs avis de clémence et leur a infligé une sanction de 30 millions d'euros au titre du grief n° 2.
1264. Elles font valoir, en premier lieu, que les avis de clémence ne leur imposaient pas, comme condition pour bénéficier de l'immunité totale, une obligation de cessation de participation aux pratiques dénoncées, de sorte que la présence de M. Guénec, président de la société Schenker-Joyau, à la réunion du 16 septembre 2010, ne saurait justifier de les priver de l'exonération totale de sanction.
1265. Elles expliquent, en second lieu, que M. Guénec n'était pas dans la salle de réunion au moment où les discussions sur les hausses tarifaires ont eu lieu, s'étant absenté plusieurs minutes pour téléphoner ; que n'ayant pas assisté au moindre échange anticoncurrentielle, la société Schenker-Joyau n'avait aucune information à transmettre à l'Autorité, de sorte qu'aucune négligence ne peut lui être reprochée.
1266. Les requérantes n'ont certes pas été en mesure de produire des relevés téléphoniques ou un compte rendu de la conversation téléphonique alléguée, éléments qui auraient permis d'établir l'absence de M. Guénec au moment des échanges anticoncurrentiels, ce qui ne saurait leur être reproché, près de cinq ans après les faits. En revanche, il ressort des propres constatations des services d'instruction de l'Autorité qu'aucune mention concernant les hausses tarifaires de la société Schenker-Joyau n'apparaît dans les notes manuscrites prises par la société Heppner, preuve de l'absence de son représentant au moment des échanges anticoncurrentiels.
1267. Selon les requérantes, eu égard au doute quant à leur participation réelle ou non auxdits échanges, elles auraient dû bénéficier de la présomption d'innocence, droit fondamental à caractère constitutionnel et reconnu par l'article 6, § 2, de la Convention des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ainsi que par l'article 48, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, d'autant que c'est à l'Autorité de démontrer la participation de la société Schenker-Joyau aux pratiques alléguées.
1268. À supposer même que M. Guénec ait été présent lors des échanges anticoncurrentiels, les requérantes soulignent que son attitude a été passive, puisqu'aucune information concernant d'éventuelles hausses tarifaires envisagée par cette société ne figurent dans les notes manuscrites prises lors de cette réunion. En outre, ainsi que l'ont admis les rapporteurs, il est probable qu'il n'ait pas perçu la nécessité impérieuse d'informer l'Autorité (rapport, §), alors qu'il n'avait pris la présidence de la société Schenker-Joyau que depuis un an, postérieurement à la cessation des pratiques par cette société, et assistait pour la première fois à une réunion du Conseil de Métiers.
1269. Les requérantes insistent sur l'irrationalité qu'aurait un refus conscient de communiquer à l'Autorité des informations utiles à l'enquête au risque de perdre le bénéfice de la clémence.
1270. Elles en concluent qu'elles auraient dû faire tout au plus l'objet d'un rappel à l'ordre pour négligence.
1271. À titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour refuserait d'annuler la décision attaquée en tant qu'elle les a privées du bénéfice de l'immunité totale, les requérantes invoquent, d'une part, un défaut de motivation, faute pour l'Autorité d'avoir précisé selon quelle méthodologie elle a calculé l'amende, d'autre part, une violation du principe de proportionnalité.
1272. Selon elles, en effet, aux termes de l'article L. 464-2 I alinéa 3 du Code de commerce, les sanctions pécuniaires prononcées par l'Autorité " sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
1273. Invoquant la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 19 janvier 2010, n° RG 2009/00334) et de la Cour de cassation (Cass. Com., 4 mars 2015, pourvoi n° 14-40. 052), elles font valoir qu'en matière de clémence, l'obligation de motivation qui incombe à l'Autorité lui impose notamment de tenir compte de critères objectifs pour fixer le montant de l'amende et de faire apparaître clairement l'abattement qu'elle entend accorder au demandeur de clémence, en tenant compte de sa situation individuelle.
1274. Selon les requérantes, l'Autorité n'a pas justifié, dans la décision attaquée, la manière dont a été calculée l'amende de 3 millions d'euros qui leur a été imposée, pas plus qu'elle n'a fait clairement apparaître le pourcentage de réduction d'amende qui leur a été appliqué.
1275. L'Autorité fait valoir que la présence de M. Guénec, président de la société Schenker-Joyau, à la réunion du 16 septembre 2010 est établie et que les requérantes n'apportent aucune preuve de ce qu'il se serait absenté et n'aurait pas eu connaissance des échanges anticoncurrentiels.
1276. Par ailleurs, en réponse à l'argument selon lequel M. Guénec aurait pu ne pas percevoir le caractère anticoncurrentiel des échanges lors de la réunion du 16 septembre 2010, l'Autorité rappelle que ceux-ci ont suivi la méthode habituellement employée lors des réunions du Conseil de Métiers, et décrite par les requérantes dans leur demande de clémence, et qu'au demeurant, en droit de la concurrence, les intentions des participants ne sont pas prises en compte, pas plus que leur connaissance du droit de la concurrence.
1277. Dans ces conditions, la preuve serait rapportée que la société Schenker-Joyau a manqué à la première des quatre conditions au respect desquels était subordonnée l'exonération totale de sanction, l'Autorité précisant que la violation de la quatrième condition n'a, quant à elle, pas été prise en compte.
1278. Rappelant que l'octroi du bénéfice de la clémence est conditionnel, l'Autorité soutient qu'une simple négligence suffit à priver le demandeur de clémence de l'exonération de sanction, quand bien même elle n'aurait pas empêché, retardé ou rendu plus difficiles l'établissement et la caractérisation des faits et des responsabilités par les services d'instruction. Elle souligne à cet égard qu'en l'espèce, c'est par hasard que ses services d'instruction ont découvert la réunion du 16 septembre 2010 et que la sanction du non-respect des conditions de l'avis de clémence ne saurait dépendre des découvertes que font les rapporteurs sans l'aide du demandeur de clémence.
1279. S'agissant du montant de la sanction infligée aux requérantes, l'Autorité fait valoir que la décision attaquée est suffisamment motivée.
1280. Quant au caractère proportionné ou non de cette sanction, l'Autorité souligne que les requérantes ont bénéficié d'une exonération de sanction à hauteur de 95,63 % de la sanction encourue, qui était de 68 550 786 euros, de sorte que leurs contributions effectives au cours de l'enquête ont été " rémunérées " à très juste proportion.
1281. Le ministre chargé de l'Économie répond que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que les sociétés Schenker et Deutsche Bahn n'étaient plus éligibles à la clémence, faute d'avoir respecté leur obligation de coopération pleine et entière fixée par l'avis de clémence, en n'informant pas l'Autorité de l'existence de la réunion à caractère anticoncurrentiel du 16 septembre 2010 et de la teneur des échanges.
1282. En premier lieu, l'article L. 464-2 IV du Code de commerce dispose :
" Une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 s'il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'administration ne disposaient pas antérieurement. À la suite de la démarche de l'entreprise ou de l'organisme, l'Autorité de la concurrence, à la demande du rapporteur général ou du ministre chargé de l'Economie, adopte à cette fin un avis de clémence, qui précise les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée, après que le commissaire du Gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné ont présenté leurs observations ; cet avis est transmis à l'entreprise ou à l'organisme et au ministre, et n'est pas publié. Lors de la décision prise en application du I du présent article, l'Autorité peut, après avoir entendu le commissaire du Gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné sans établissement préalable d'un rapport, et si les conditions précisées dans l'avis de clémence ont été respectées, accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction. "
1283. Aux termes de cette disposition, l'exonération totale de sanction est subordonnée au respect, par le demandeur de clémence de premier rang, des conditions énoncées dans l'avis de clémence.
1284. Il est constant que le bénéfice conditionnel de la clémence accordé le 13 juillet 2010 à la société Deutsche Bahn et ses filiales, dont la société Schenker-Joyau, était subordonné à quatre conditions, dont la première consistait dans l'engagement de ces sociétés à apporter à l'Autorité une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction et lui fournir tout élément de preuve qui viendrait en leur possession ou dont elles disposent sur les infractions suspectées (décision attaquée, § 1324).
1285. Il est établi que la société Schenker-Joyau a assisté à la réunion du Conseil de Métiers du 16 septembre 2010, y étant représentée par M. Guénec, son président, et que des échanges anticoncurrentiels ont eu lieu au cours de cette réunion.
1286. S'il ne saurait leur être reproché d'avoir continué de participer aux réunions du Conseil de Métiers, puisque l'avis de clémence ne le leur interdisait pas, en revanche, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que les requérantes avaient manqué à la première condition rappelée ci-dessus, en ne l'informant pas de la participation de la société Schenker-Joyau à la réunion du 16 septembre 2010 et de la teneur des échanges potentiellement prohibés qui s'y sont déroulés.
1287. C'est en vain que les requérantes soutiennent, d'une part, que la preuve de la présence de M. Guénec au moment des échanges anticoncurrentiels n'est pas rapportée, d'autre part, que son absence peut être déduite de ce que la note manuscrite prise lors de cette réunion par la société Heppner ne comporte aucune indication quant aux hausses tarifaires projetées par la société Schenker-Joyau.
1288. En effet, dès lors que les services d'instruction ont établi la participation de la société Schenker-Joyau à cette réunion, c'est aux requérantes de démontrer que M. Guénec aurait été absent de la salle de réunion dès avant et pendant toute la durée des échanges litigieux, ce qu'elles ne font pas. Par ailleurs, s'il est possible de déduire de l'absence, dans la note manuscrite prise au cours de la réunion par la société Heppner, de toute information sur les hausses tarifaires projetées par la société Schenker-Joyau la preuve que de telles informations n'ont pas été communiquées par cette dernière, elle ne démontre en rien que M. Guénec n'était pas été présent à ce moment précis de la réunion. La cour relève, à cet égard, que ladite note manuscrite ne comporte pas non plus d'information sur les hausses tarifaires projetées par la société Transports Henri Ducros, bien que cette dernière n'ait contesté ni sa participation à la réunion du 16 septembre 2010 ni sa présence au moment des échanges litigieux.
1289. L'Autorité n'a donc pas violé le principe de la présomption d'innocence.
1290. Quant au fait que M. Guénec aurait pu ne pas comprendre le caractère anticoncurrentiel des échanges d'information sur les hausses tarifaires, cette hypothèse est manifestement erronée, eu égard à la teneur des informations échangées, sans même qu'il soit besoin de rappeler que la société Deutsche Bahn et ses filiales avaient dénoncé l'existence d'échanges identiques dans le cadre de leurs demandes de clémence.
1291. Enfin, ainsi que le fait justement valoir l'Autorité, il est indifférent que le manquement des requérantes aux engagements qu'elles avaient pris aux fins de l'octroi du bénéfice conditionnel de la clémence procède, ainsi qu'il est vraisemblable, davantage d'une négligence que d'une volonté de se soustraire auxdits engagements. À cet égard, la cour rappelle que le bénéfice de la clémence, en particulier pour le demandeur de clémence de premier rang, confère à son bénéficiaire l'avantage exorbitant d'échapper aux lourdes sanctions qu'il encourt et fait donc peser sur lui une obligation de vigilance particulièrement forte. Dans ce contexte, toute négligence de l'intéressé apparaît fautive.
1292. Il est, de même, indifférent que le manquement des requérantes aux engagements pris dans le cadre de la demande de clémence n'ait pas affecté significativement l'enquête. Ainsi que le fait valoir l'Autorité, toute interprétation contraire ferait dépendre la sanction d'un tel manquement de la diligence des services d'instruction, le demandeur de clémence conservant ou perdant le bénéfice de l'exonération de sanction selon que l'enquête permet ou non de pallier la rétention d'informations dont il s'est rendu coupable.
1293. Dès l'instant où elle a constaté le manquement des requérantes à la première des conditions auxquelles était subordonné le bénéfice de la clémence, à savoir une obligation de coopération totale, permanente et rapide, l'Autorité ne pouvait, conformément à l'article L. 464-2 IV du Code de commerce, leur accorder une exonération totale de sanction.
1294. En second lieu, tout manquement à l'obligation de coopération n'implique pas nécessairement la perte intégrale de l'exonération conditionnelle de sanction envisagée au stade de l'avis de clémence rendu par l'Autorité. Si la violation d'une obligation essentielle pesant sur le demandeur de clémence à ce titre, ou un manquement irrémédiable de sa part (tel le fait de prévenir les autres participants à l'entente de l'imminence de vérifications ou de visites et de saisie) justifierait le non-octroi pur et simple de l'exonération de sanction envisagée dans l'avis de clémence, un manquement plus limité à l'obligation de coopération véritable, totale, permanente et rapide appelle une réponse proportionnée aux faits caractérisant celui-ci, consistant, pour un demandeur de premier rang, à ne lui accorder qu'une exonération partielle.
1295. Lorsque l'Autorité examine la question d'un éventuel manquement au devoir de coopération pesant sur un demandeur de clémence, au vu de la position exprimée le cas échéant par les services d'instruction et des observations subséquentes de l'entreprise en cause, elle doit se déterminer de façon objective et concrète.
1296. Telle a été l'approche de l'Autorité en l'espèce.
1297. L'Autorité, qui a motivé sa décision à suffisance de droit, a souligné, au paragraphe 1337 de la décision attaquée, que le manquement constaté à l'obligation de fourniture de tout élément de preuve en relation avec l'infraction suspectée n'avait pas empêché, retardé ou rendu plus difficiles l'établissement et la caractérisation des faits et des responsabilités par les services d'instruction, puis, tenant compte de ce constat, a accordé aux requérantes une réduction de 95,63 % - qu'il était facile aux requérantes de calculer au regard de l'ensemble des données figurant dans la décision - de la sanction encourue.
1298. L'importance de ce pourcentage suffit à démontrer le caractère proportionné de la sanction finalement infligée, laquelle ne représente donc que 4,37 % de la sanction qui aurait pu être appliquée aux requérantes au titre de leurs agissements anticoncurrentiels. Une moindre réduction du pourcentage d'exonération ne permettrait pas - ou très difficilement - de dissuader les demandes de clémence de manquer à leurs engagements. À l'inverse, dans la présente espèce, le pourcentage de réduction retenu à la fois prend en compte l'importance - nullement contestée par l'Autorité - de la contribution des requérantes et conserve à la procédure de clémence son caractère attractif.
1299. La demande des sociétés Schenker, anciennement Schenker-Joyau, et Deutsche Bahn est rejetée.
ß. Concernant les sociétés Alloin Holding et Kuehne + Nagel
1300. À titre principal, les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International font valoir qu'au regard de la valeur ajoutée des éléments qu'elles ont produits et du caractère exemplaire de leur coopération tout au long de la procédure, la réduction de sanction de 30 % qui leur a été accordée est insuffisante et devrait être augmentée jusqu'à concurrence de 50 %.
1301. À titre subsidiaire, elles demandent l'octroi d'une réduction au titre des circonstances atténuantes, afin de tenir compte du fait qu'elles sont les seules à avoir coopéré pleinement à l'enquête, la société Schenker, anciennement Schenker-Joyau, demandeur de clémence de premier rang, n'ayant, quant à elle, pas mis fin à sa participation à l'infraction ni coopéré de manière totale, permanente et rapide avec l'Autorité.
1302. L'Autorité répond que, si les éléments fournis par les requérantes ont permis de corroborer et préciser plusieurs éléments de preuve, d'apporter une meilleure compréhension de l'affaire et de prouver certains échanges, ils n'ont pas apporté une valeur ajoutée telle que le collège aurait dû s'écarter de la fourchette qu'il a lui-même fixé dans l'avis de clémence n° 11-AC-03.
1303. Elle ajoute que le respect de l'ensemble des obligations imposées par l'avis de clémence ne justifie pas l'octroi d'une réduction supplémentaire de la sanction.
1304. Le ministre chargé de l'Économie considère que la réduction de 30 % accordée aux requérantes au titre de la clémence, correspondant au taux maximal fixé par l'avis de clémence, est proportionnée à la valeur ajoutée de leur coopération, rappelant que leur demande de clémence n'a été formulée qu'après les opérations de visites et saisies.
1305. Il rappelle par ailleurs que les manquements du demandeur de clémence de premier rang n'ont jamais justifié une revalorisation des réductions accordées aux demandeurs de clémence de second rang.
1306. En premier lieu, il n'est pas contesté que les documents relatifs aux pratiques produits par les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, éclairés par leurs déclarations, ont permis aux services d'instruction de corroborer et de préciser plusieurs éléments de preuve et d'apporter une meilleure compréhension du fonctionnement du secteur et des pratiques reprochées.
1307. Il convient toutefois, aux fins d'apprécier leur valeur ajoutée, de rappeler, d'une part, que la société Deutsche Bahn et ses filiales, demandeurs de clémence de premier rang, avaient déjà fourni de très nombreux éléments de preuve quant à l'existence, la nature et l'étendue des pratiques, d'autre part, que la demande de clémence a été présentée par les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International après les opérations de visites et saisies, qui avaient également permis aux enquêteurs de réunir des preuves essentielles, telles les notes manuscrites prises au cours des réunions du Conseil de Métiers.
1308. Par ailleurs, si certaines des pièces produites par les requérantes ont constitué des preuves directes d'échanges d'informations bilatérales entre concurrents, en dehors des réunions du Conseil de Métiers, sur des hausses tarifaires passées ou futures, il convient de rappeler que le cœur de l'entente est constitué par lesdites réunions.
1309. Dans ces conditions, l'Autorité a suffisamment tenu compte du gain procédural qu'a représenté la coopération des requérantes en leur accordant une réduction de 30 %, correspondant au haut de la fourchette précisée dans leur avis de clémence. La cour souligne qu'une telle réduction est déjà importante.
1310. En second lieu, l'exonération de 30 % accordée au titre de la clémence visant notamment à récompenser les requérantes pour leur coopération véritable, totale, permanente et rapide à l'enquête, rien ne justifie de leur accorder une exonération supplémentaire pour le même motif. Il est, à cet égard, parfaitement indifférent que les sociétés Schenker et Deutsche Bahn, demandeurs de clémence de premier rang, aient, quant à elles, manqué à leur obligation de coopération.
1311. La demande des sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International sera rejetée.
c) Sur la réduction de sanction au titre de la procédure de non-contestation des griefs
1312. L'article L. 464-2 III du Code de commerce permet au rapporteur général de proposer à l'Autorité de tenir compte, dans le cadre de la détermination de la sanction, du fait qu'une entreprise ou un organisme choisit de ne pas contester les griefs qui lui ont été notifiés. Le rapporteur général peut, par ailleurs, lui proposer de tenir compte du fait que l'intéressé s'engage, en outre, à modifier son comportement pour l'avenir.
1313. En application du point 53 du communiqué sanctions, le montant définitif de la sanction, une fois vérifié le respect du maximum légal, intègre, le cas échéant, la réduction accordée au titre de la non-contestation des griefs. Le point 61 du même communiqué renvoie, pour les modalités de cette réduction, au communiqué de procédure pertinent publié par l'Autorité, en l'occurrence son communiqué de procédure du 10 février 2012 relatif à la non-contestation des griefs (ci-après le " communiqué non-contestation des griefs ").
1314. Celui-ci distingue la renonciation à contester les griefs (points 14 à 17), condition nécessaire à la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, de la prise d'engagements comportementaux ou structurels (points 18 à 22), qui est facultative. Il précise, aux points 34 et 35, que la réduction accordée à l'entreprise qui ne conteste pas les griefs est de 10 % et qu'une réduction supplémentaire peut être accordée lorsqu'elle souscrit un engagement. Cette réduction supplémentaire est comprise entre 5 % et 15 % lorsque l'engagement consiste en la mise en œuvre d'un programme de conformité aux règles de concurrence.
1315. S'agissant plus particulièrement des engagements éventuellement pris, le point 21 du communiqué non-contestation des griefs prévoit que l'approche de l'Autorité vis-à-vis des programmes de conformité aux règles de concurrence est présentée dans le document-cadre de l'Autorité du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, publié sur le site Internet de l'Autorité (ci-après le " document-cadre ").
1316. L'Autorité a fait application de ces dispositions au bénéfice des sociétés Dachser, TNT, Gefco, GLS, Alloin Holding et Kuehne + Nagel, ainsi que Chronopost, Exapaq, devenue DPD, et La Poste (décision attaquée, § 1350 à 1356 et 1363 à 1387).
1317. Les sociétés Chronopost, DPD et La Poste, GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International, ainsi que Dachser et Dachser Group SE & Co. contestent le taux de réduction du montant de la sanction qui leur a été accordé et qu'elles estiment insuffisant au regard de la valeur et de la portée des engagements qu'elles ont proposés.
1318. Leurs moyens seront examinés tour à tour.
1319. À titre liminaire, l'Autorité observe, de façon générale, que, s'il ne fait pas de doute que les programmes de conformité, les démarches de sensibilisation et la mise en place de mesures spécifiques aux associations professionnelles proposés par les requérantes vont contribuer sur le long terme à diffuser une culture de concurrence, force est, cependant, de constater que leur contenu et leur objectif restent très conventionnels et qu'ils ne sont assortis d'aucun engagement ambitieux ou innovant.
1320. Le ministre chargé de l'Économie, qui s'en remet à la sagesse de la cour, soutient, toutefois, qu'il serait justifié que celle-ci augmente le taux de réduction accordé à la société La Poste et ses filiales.
á. Concernant les sociétés Chronopost, DPD et La Poste
1321. L'Autorité a accordé aux sociétés Chronopost, Exapaq et La Poste un taux de réduction de 18 %. Elle a relevé les mesures consistant dans l'amélioration du programme de conformité en construction au sein du groupe La Poste, soulignant le mécanisme d'alerte, l'élargissement du périmètre, non pas à la totalité, mais à plusieurs sociétés du groupe, la mise en place de responsables du programme de conformité ainsi que d'actions de formation et la mention de sanctions dans le règlement intérieur. Elle indique valoriser tout particulièrement les mesures spécifiques aux associations professionnelles (décision attaquée, § 1384 à 1386).
1322. Les sociétés Chronopost, DPD, anciennement Exapaq, et La Poste soulignent l'ampleur de l'élargissement du périmètre des mesures prises, qui vont au-delà du périmètre de l'activité concernée par les pratiques et touchent plus de 200 000 collaborateurs. Elles insistent sur la qualité, l'importance et l'originalité de leur programme de conformité qu'elles estiment abouti, sophistiqué, conforme au document-cadre et adapté aux activités et aux publics concernés par la formation. Elles font valoir l'importance de l'effort fourni en raison de leur grande taille, tant en termes de chiffre d'affaires qu'en termes de salariés, et elles reprochent à l'Autorité de méconnaître, dans ses observations, le fonctionnement d'une entreprise et les conséquences que la souscription de tels engagements peut impliquer pour un groupe d'une taille aussi importante que La Poste.
1323. Elles rappellent qu'elles ont mis en œuvre leur programme à grande échelle de façon anticipée, avant même que la décision attaquée ne le rende obligatoire.
1324. Elles font valoir l'originalité de leur engagement relatif à la participation et au fonctionnement de la fédération TLF, particulièrement adapté aux pratiques faisant l'objet de la notification des griefs, puisqu'elles ont pris place dans le cadre de cette association professionnelle, consistant à instaurer une procédure d'habilitation de leurs représentants au sein de la Commission de la Messagerie Express et de Transport Léger (MELT) de la fédération TLF, procédure intégrant une formation obligatoire et l'obligation de quitter une réunion donnant lieu à des pratiques anticoncurrentielles. Elles s'engagent encore à s'efforcer de faire adopter des résolutions visant à garantir la conformité du fonctionnement de ladite fédération au droit de la concurrence (mémoire du 23 février 2016, § 154 et s.). Elles ajoutent avoir déployé un outil de sensibilisation sous la forme d'un guide pratique des comportements à adopter en présence de concurrents, guide disponible sur leur intranet, selon elles, insuffisamment valorisé par la décision attaquée dans la mesure où, ayant fait l'objet d'un oubli par les services d'instruction, il n'a pas été mentionné au rapport.
1325. La société La Poste, société mère, rappelle que sa responsabilité n'est retenue qu'en raison de ses liens capitalistiques avec ses filiales, mais qu'elle a néanmoins elle-même souscrit des engagements d'une ampleur exceptionnelle, afin que celles-ci filiales bénéficient d'une réduction de leurs sanctions et s'est, de plus, portée garante de l'exécution des engagements de ces dernières.
1326. Le ministre chargé de l'Économie constate que le groupe La Poste a mis en place des engagements qui vont au-delà du secteur de la messagerie et couvrent pratiquement la totalité des activités du groupe, à l'exception des services bancaires, qui disposaient déjà d'un programme de conformité. Il relève que les engagements sont entrés en vigueur avant l'adoption de la décision attaquée et que la société mère La Poste s'est portée garante de la mise en œuvre effective des engagements par ses filiales Chronopost et DPD.
1327. Il est exact qu'ainsi que le relève l'Autorité dans ses observations, les engagements pris par les sociétés Chronopost, Exapaq, devenue DPD, et La Poste, qui visent toutes les activités du groupe, à l'exception des activités bancaires, qui disposaient déjà d'un programme de conformité, quelque vastes et détaillés qu'ils soient, reprennent les préconisations exposées par l'Autorité dans le document-cadre.
1328. Par ailleurs, les mesures spécifiques aux associations professionnelles, qui sont une déclinaison de l'engagement général et permanent de " respecter les règles de concurrence et de soutenir le programme mis en place dans le but d'inciter l'ensemble des dirigeants, ainsi que les cadres et les autres salariés ou agents concernés, à se conformer à ces règles, de prévenir les infractions, de les détecter et d'y remédier aussi rapidement que possible " (souligné par la cour) prévu au point 22, 1, b du document-cadre, ont été valorisées par l'Autorité dans la décision attaquée, de même que l'engagement consistant à faire adopter des résolutions visant à garantir la conformité du fonctionnement de la fédération TLF au droit de la concurrence, qui ne figure pas dans ce document. Il convient de relever, à ce sujet, que le fait que l'Autorité ait retenu le montant de taux le plus bas de la fourchette proposée par le rapporteur général ne signifie pas qu'elle n'ait pas valorisé cet élément mais seulement qu'elle ne l'a pas fait au taux le plus élevé. Par ailleurs, la valeur de cet engagement et la récompense qui s'y attache doivent être relativisées, compte tenu du caractère pédagogique qu'a nécessairement déjà eu la décision attaquée auprès des organisations professionnelles du secteur.
1329. Le fait que la mise en œuvre de ces engagements soit coûteuse financièrement et qu'elle le soit davantage pour les sociétés Chronopost, DPD et La Poste, compte tenu de la taille du groupe et de ses filiales ainsi que de la diversité de ses activités, n'est pas opérant pour le calcul de la réduction, dans la mesure où la mise en place d'un programme de conformité au droit de la concurrence se fait certes dans l'intérêt de l'ordre public économique, mais aussi de l'entreprise qui y procède. En effet, celle-ci ne peut qu'y trouver un bénéfice à titre individuel en ce qu'un tel programme démontrant une démarche respectueuse de la légalité, ne peut qu'être favorable à son positionnement sur les marchés. Par ailleurs, la mise en place et le respect des programmes de conformité devraient à l'avenir dissuader la société de réitérer les pratiques en cause et lui éviteront d'en subir les multiples désagréments.
1330. Toutefois, il y a lieu de relever que les sociétés Chronopost, DPD et La Poste ont été seules à s'astreindre à mettre en œuvre leurs engagements immédiatement, sans attendre de connaître l'opinion du rapporteur général sur le montant de réduction qu'il proposerait, ni de savoir si la décision récompenserait leurs efforts, ce qui témoigne d'un engagement véritable pour mettre en place leur programme de conformité. Cette circonstance, qui ne paraît pas avoir été valorisée par l'Autorité, justifie que le taux de réduction accordé à ces sociétés soit augmenté d'un point.
1331. Par ailleurs l'Autorité relève au paragraphe 1385 que les propositions du programme de conformité prévoient, notamment, " un périmètre des engagements élargi non pas à la totalité, mais à plusieurs sociétés du groupe La Poste ". Or ainsi que les requérantes et le ministre chargé de l'Économie le font valoir, sans que l'Autorité le conteste, le programme de conformité est étendu à toutes les activités du groupe, à l'exception de l'activité financière, qui disposait déjà de son programme propre. Il s'en déduit que le programme adopté en l'espèce permet que l'intégralité des activités du groupe La Poste soient concernées par un programme de conformité particulièrement volontaire, ainsi qu'il a été précédemment relevé. Or ayant, au contraire, minimisé dans la décision attaquée l'extension du périmètre ainsi opérée, l'Autorité n'a pu l'apprécier dans sa véritable ampleur. Il convient, en conséquence, d'augmenter le taux de réduction accordé à ces sociétés d'un autre point.
1332. Le taux de réduction accordé aux sociétés Chronopost, DPD et La Poste sera donc porté à 20 %.
1333. Les autres éléments invoqués par les requérantes ne conduisent pas à constater que l'Autorité n'aurait pas apprécié la valeur des engagements à leur juste mesure. Il n'est, à ce sujet, pas démontré que l'Autorité n'a pas pris en compte le guide pratique des comportements à adopter en présence de concurrents, disponible sur intranet, dès lors que, s'il a été omis par le rapporteur général dans son rapport, le collège disposait des documents par lesquels les entreprises ont proposé leurs engagements, lesquels sont annexés à la décision attaquée.
1334. Le montant de la sanction sera réformé en conséquence de ce qui précède.
ß. Concernant la société GLS
1335. L'Autorité a accordé à la société GLS un taux de réduction de 18 %. Elle a relevé les mesures consistant en l'amélioration du programme de conformité actuel, soulignant le renforcement du mécanisme d'alerte, la mise en place d'audits tous les deux ans sur certaines activités, un périmètre des engagements élargi à toutes les activités, la mise en place de responsables du programme de conformité et de formations obligatoires au droit de la concurrence, ainsi que la possibilité de sanctions pour le non-respect du programme, inscrites dans le règlement intérieur. Elle a estimé qu'il convenait tout particulièrement de valoriser la mise en place de mesures spécifiques aux associations professionnelles (décision attaquée, § 1380 à 1383).
1336. Les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group exposent que les engagements souscrits par la société GLS sont en tous points conformes au document-cadre et qu'en outre, les engagement additionnels proposés en séance ont un caractère innovant.
1337. Elles reprochent à l'Autorité d'ajouter des conditions qui ne sont pas prévues par le document-cadre lorsqu'elle explique, dans ses observations, qu'une " analyse concrète peut conduire le collège à ne pas accorder la réduction maximale proposée par le rapporteur général, bien que les engagements respectent les exigences du document-cadre, afin d'éviter notamment une perte d'efficacité et d'innovation ". Selon elles, ce document est opposable à l'Autorité et celle-ci ne peut s'en écarter que par une motivation spéciale relevant des circonstances particulières ou reposant sur l'intérêt général.
1338. Elles font valoir que la réduction maximale de 10 % doit être accordée dès lors que le programme mis en place remplit les critères posés par le document-cadre, lequel exige seulement des engagements " substantiels, crédibles et vérifiables " et ne pose aucune exigence d'efficacité ou d'innovation.
1339. Elles soulignent l'extension du périmètre des engagements, qui concernent toutes les activités nationales et internationales, au-delà des pratiques sanctionnées par la décision attaquée. Selon elles, si cette extension a été prise en compte par l'Autorité, elle ne l'a pas été à la mesure de son ampleur.
1340. Dans la mesure où les engagements initiaux étaient conformes au document-cadre, elles estiment que la société GLS aurait dû bénéficier de la réduction supplémentaire maximum prévue, soit 10 %, ce qui devrait porter la réduction à au moins 20 %.
1341. Subsidiairement, les requérantes demandent que soit octroyée à la société GLS une réduction au moins identique à celle accordée aux sociétés Dachser et Gefco, soit 19 %. Elles soutiennent que, pour ces deux sociétés, l'Autorité a manifestement valorisé l'insertion de sanctions disciplinaires directement dans le contrat de travail, et font valoir que la société GLS a modifié son règlement intérieur en prévoyant des sanctions disciplinaires pour tout manquement aux engagements de conformité ou au droit de la concurrence. Or, selon elles, la modification du règlement intérieur est juridiquement plus efficace que la modification directe des contrats de travail, car elle s'applique immédiatement à tous les salariés et ne nécessite pas leur accord.
1342. L'Autorité observe que, si les engagements, tant initiaux que complémentaires, sont effectivement substantiels, crédibles et vérifiables, ils ne justifient pas pour autant la réduction maximale de 20 % proposée par le rapporteur général. Elle souligne que les engagements additionnels ne représentent pas de valeur ajoutée significative par rapport aux engagements initiaux et que l'ensemble n'excède pas significativement les exigences et attentes de l'Autorité.
1343. Si, comme le soulignent les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group, l'Autorité a énoncé, au point 6 du document-cadre, que celui-ci présente son approche à l'égard des programmes de conformité et qu'il lui est opposable, il convient de relever qu'il ne comporte aucun engagement de l'Autorité à accorder automatiquement 10 % de réduction de sanction dès lors que les entreprises en cause adoptent un programme de conformité respectant les cinq piliers d'engagements qu'elle estime indispensables à l'efficacité d'un tel programme. Au contraire, elle a pris soin de préciser, dans l'introduction du document-cadre, que les entreprises qui s'engagent à mettre en place un programme de conformité ou à améliorer un tel programme préexistant, dans le cadre de la procédure de non-contestation des griefs " pourront se voir accorder, une réduction, susceptible de s'élever jusqu'à 10 %, dans les conditions décrites par le présent document-cadre " (souligné par la cour). Cette indication est confirmée au point 31 du document-cadre, qui reprend les mêmes termes. Il s'en déduit que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'Autorité n'a pas l'obligation d'accorder une réduction de 10 % supplémentaire du seul fait qu'une entreprise mise en cause s'engage à adopter un programme de conformité respectant toutes les préconisations du document-cadre, mais qu'elle dispose d'un pouvoir d'appréciation de la valeur des engagements proposés, notamment, au regard du contexte dans lequel ceux-ci s'inscrivent. À ce titre, le fait que l'Autorité ait écrit, dans ses observations, que le collège peut ne pas accorder la réduction maximale proposée par le rapporteur général, bien que les engagements respectent les exigences du document-cadre, afin d'éviter notamment une perte d'efficacité et d'innovation, n'ajoute pas d'exigence supplémentaire au document-cadre, mais exprime les préoccupations au regard desquelles elle apprécie la valeur des engagements. Il est, en tout état de cause, légitime pour l'Autorité d'inciter, par une appréciation particulièrement exigeante de la valeur des engagements, les entreprises à prendre les résolutions les plus efficaces et les plus innovantes.
1344. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'inscription de l'obligation de respecter le programme de conformité, sous peine de sanction, dans le règlement intérieur de la société, n'est pas un engagement de valeur égale ou supérieure à l'introduction dans les contrats de travail des salariés de sanctions pour violation du droit de la concurrence. En effet, une telle précision dans le règlement intérieur de la société est un outil important et efficace en ce qu'il s'applique immédiatement à tous, mais la mention dans les contrats des salariés de l'obligation de respecter spécifiquement les dispositions du droit de la concurrence les implique nécessairement davantage. Il s'en déduit que la société GLS n'a pas fait l'objet d'une inégalité de traitement et que l'Autorité n'a pas commis d'erreur d'appréciation à ce sujet.
1345. Pour ce qui concerne les engagements initiaux, détaillés par les sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail Group au paragraphe 289 de leurs observations, il convient de relever qu'ils sont conformes aux exigences du document-cadre. À ces engagements, au demeurant classiques, sont ajoutées l'extension du programme à toutes les activités de la société GLS dans un périmètre national et international, plusieurs actions de sensibilisation à l'égard des sous-traitants incluant la modification sur ce point des conditions générales utilisées dans le cadre des relations avec ceux-ci, la mise en place de mesures d'encadrement des activités de lobbying reposant sur une formation ad hoc des salariés et, enfin, la publication par la société Royal Mail Group, sur son site Internet, d'une déclaration publique insistant sur la gravité des pratiques sanctionnées par l'Autorité, la nécessité de respecter les règles nationales et européennes du droit de la concurrence et la mise en œuvre d'instruments internes au sein même de la société GLS, afin de minimiser tout risque de violation de ces règles. L'ensemble de ces éléments, appréhendés dans toute leur ampleur, a été justement pris en compte par l'Autorité par l'octroi à la société GLS d'une réduction de sanction de 18 %.
1346. Il n'existe, enfin, pas de contradiction entre l'indication par l'Autorité, dans ses observations, que les engagements additionnels pris en séance n'apportaient pas de réelle valeur ajoutée et le fait qu'elle les ait néanmoins rendus obligatoires. En effet, quand bien même ces engagements additionnels n'ont fait que compléter ceux qui étaient déjà inscrits dans les engagements initiaux, dès lors qu'ils étaient pris par les sociétés en cause, c'est à raison que l'Autorité les a rendus obligatoires.
1347. Les demandes des sociétés GLS, General Logistics Systems BV et Royal Mail concernant la réduction de sanction au titre des engagements sont, en conséquence de ce qui précède, rejetées.
ã. Concernant les sociétés Alloin Holding et Kuehne + Nagel
1348. La décision attaquée a accordé aux sociétés Alloin Holding et Kuehne + Nagel un taux de réduction de 16 %. Elle a relevé des améliorations du programme de conformité dont ces sociétés disposaient déjà, notamment une extension totale de ce programme aux filiales françaises (décision attaquée, § 1375 à 1379).
1349. Les sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International contestent ce pourcentage, qu'elles jugent inférieur à celui accordé à d'autres entreprises qui ont pris des engagements équivalents. Elles soutiennent que les leurs sont en tous points conformes au document-cadre et qu'elles subissent une inégalité de traitement par rapport aux autres entreprises, sans que la décision ne soit spécifiquement motivée sur ce point.
1350. Elles soulignent que le fait que le programme de conformité repose sur une extension du programme déjà mis en œuvre au sein du groupe ne doit pas les exclure du bénéfice de la réduction maximale, faute de dissuader les entreprises de mettre en place spontanément de tels programmes.
1351. Cependant, et ainsi qu'il a été relevé précédemment, l'Autorité dispose d'un pouvoir d'appréciation de la valeur des engagements au regard de ses préoccupations de concurrence et du contexte dans lequel ils sont pris, sans que les entreprises soient en droit d'obtenir une réduction automatique de 10 % supplémentaire dès l'instant où elles proposent un programme de conformité conforme à celui du document-cadre.
1352. En outre, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, leurs engagements ne sont pas d'une ampleur identique à ceux des entreprises ayant obtenu une réduction de 18 % sur les deux points qu'elles invoquent elles-mêmes.
1353. Ainsi, si les sociétés Alloin Holding et Kuehne + Nagel ont pris des engagements relatifs à la participation aux organisations professionnelles et à leurs réunions (procédure d'approbation et de contrôle de l'adhésion, inventaire des collaborateurs ayant le droit de participer à ces réunions et réduction de leur nombre, développement de leur formation), ceux-ci sont objectivement de moindre ampleur que ceux pris, par exemple, par la société GLS, consistant, notamment, à faire revoir les règles de fonctionnement, critères d'adhésion et mission des associations professionnelles pour s'assurer que ces règles ne sont pas, en elles-mêmes, anticoncurrentielles, à vérifier l'ordre du jour de toutes les réunions des associations professionnelles auxquelles un représentant de la société sera amené à participer, mais aussi les procès-verbaux des réunions, avec signalement des " erreurs " au Responsable conformité de la société et, si nécessaire, au comité de conformité et, surtout, à donner une formation aux salariés participant aux réunions professionnelles lors de laquelle il leur sera indiqué qu'en cas d'échanges anticoncurrentiels, ils devront quitter immédiatement la réunion, après avoir demandé que mention de l'incident soit portée au procès-verbal de la réunion, et communiquer cet incident au Responsable conformité. La cour relève qu'en outre, des engagements similaires ont été pris par les sociétés Chronopost, Exapaq et La Poste.
1354. Par ailleurs, et ainsi que le fait observer l'Autorité, les mesures spécifiques aux associations professionnelles, outre qu'elles étaient moins développées que les mesures proposées par d'autres entreprises mises en cause, existaient déjà au sein de la société Kuehne + Nagel avant la prise d'engagements. C'est en conséquence à juste titre qu'elles n'ont donc pas conduit l'Autorité à les valoriser autant qu'elle l'a fait pour les autres entreprises.
1355. Enfin, ainsi qu'il a été précisé précédemment, si le code de conduite dont s'est doté le groupe Kuehne + Nagel " fait partie des contrats de travail " de ses salariés, cet engagement est de moindre ampleur que celui qui consiste à inscrire dans les contrats de travail l'obligation de respecter le droit de la concurrence, et non pas seulement le code de conduite, pris par d'autres entreprises, auxquelles se comparent les sociétés requérantes. À ce sujet, le fait que le responsable qui a personnellement participé aux réunions ne travaille plus au sein du groupe est inopérant, dans la mesure où les raisons de cette séparation ne sont ni précisées ni démontrées.
1356. Les demandes des sociétés Alloin Holding, Kuehne + Nagel et Kuehne + Nagel International concernant la réduction de sanction au titre des engagements sont, en conséquence de ce qui précède, rejetées.
ä. Concernant la société Dachser
1357. L'Autorité a accordé à la société Dachser un taux de réduction de 19 %. Elle a relevé les mesures consistant en un mécanisme d'alerte avec un audit tous les deux ans, un périmètre des engagements élargi à d'autres activités de la société et la mise en place de responsables du programme de conformité et de formations obligatoires. Elle a particulièrement souligné la mise en place de mesures spécifiques aux associations professionnelles et l'inscription de sanctions dans les contrats de travail (décision attaquée, § 1363 à 1366).
1358. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. soutiennent que cette réduction de sanction est insuffisante et demandent à la cour de la porter à 20 %.
1359. Elles font valoir que le programme de conformité au droit de la concurrence de la société Dachser est conforme au document-cadre. Se référant à la décision n° 14-D-19 de l'Autorité relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d'hygiène et de soins pour le corps, elles soulignent que la réduction la plus élevée a été accordée aux entreprises ayant pris trois catégories d'engagements qui sont la réalisation d'audits de droit de la concurrence et d'audits du programme de conformité, la création d'un dispositif d'alerte permettant de préserver l'anonymat du lanceur d'alerte et l'extension du périmètre des engagements à toutes les activités du groupe au-delà de celles visées dans la notification de griefs, ce qui correspond en tous points aux propositions de la société Dachser.
1360. Elles ajoutent qu'à deux reprises, par le passé, l'Autorité a accordé un taux de 20 % de réduction : dans la décision n° 12-D-10 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'alimentation pour chiens et chats, dans laquelle elle a valorisé l'extension du périmètre du programme de la société concernée, et dans la décision n° 14-D-16 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement des militaires en Martinique, dans laquelle elle a souligné le dispositif de sensibilisation et de formation, ainsi que la mise en place d'un mécanisme de contrôle, de prévention et d'alerte. Or, précisent-elles, le programme d'engagements de la société Dachser comporte des dispositifs similaires.
1361. Elles indiquent que ces précédents ont, à tout le moins, " une valeur indicative en ce qui concerne l'existence de discriminations ", comme l'ont jugé le Tribunal de l'Union, dans son arrêt du 13 janvier 2004, JCB Service/Commission (T-67/01, point 187 et 188), et, sur pourvoi contre cet arrêt, la Cour de justice, dans son arrêt du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission (C-167/04 P, point 205).
1362. Enfin, elles soulignent que le ministre chargé de l'Économie a estimé approprié que soit appliquée une réduction de 21 % aux sociétés du groupe La Poste, et que le même pourcentage doit leur être accordé, puisque le programme de la société Dachser comporte des caractéristiques similaires. Elles précisent, à ce sujet, que les engagements de cette société ont vocation à s'appliquer, au-delà de ses seules activités de messageries, à ses activités d'affrètement et de fret aérien et maritime, et qu'elle s'est engagée à réaliser périodiquement un audit de conformité portant spécifiquement sur le respect du droit de la concurrence ainsi qu'à organiser, tous les deux ans, une évaluation de son programme de conformité pour l'adapter et le faire évoluer. En outre, la société Dachser a pris un engagement consistant en la création d'un dispositif confidentiel et anonyme d'alerte. Enfin, la garantie de la société mère à l'égard de ses filles existe également pour elle, car elle découle naturellement des relations mère/fille au sein du groupe Dachser.
1363. L'Autorité observe que les juridictions de l'Union et la cour d'appel de Paris rejettent avec constance les moyens par lesquels les parties invoquent la pratique décisionnelle et la jurisprudence antérieure pour contester les sanctions prononcées. Elle soutient qu'une entreprise n'est pas fondée à comparer la sanction qui lui a été infligée avec celles imposée aux autres entreprises sanctionnées par la même décision et a fortiori avec celles infligées dans d'autres décisions. Elle ajoute que, si les engagements pris par la société Dachser ont été considérés comme " qualitatifs ", ils ne justifient pas pour autant une réduction maximale.
1364. Les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. ne sont pas fondées à comparer les taux de réduction de sanction appliqués dans la décision attaquée avec ceux déterminés dans d'autres décisions de l'Autorité. En effet, chaque affaire faisant l'objet d'une décision de l'Autorité correspond à des pratiques qui, si elles peuvent être similaires, n'en sont pas moins différentes et sont mises en œuvre dans des contextes économiques et juridiques eux aussi différents. Il n'est donc pas opérant de se référer à des taux de réductions accordés par l'Autorité dans des circonstances qui ne sont pas celles de l'affaire en cause, et ce d'autant que l'intérêt desdits engagements peut varier selon les périodes, ou selon ce qui a déjà été expérimenté au fil du temps.
1365. Par ailleurs, les engagements de réalisation d'audits, de création d'un dispositif d'alerte permettant de préserver l'anonymat du lanceur d'alerte, d'extension du périmètre des engagements à toutes les activités des filiales du groupe, invoqués par les sociétés requérantes, s'ils représentent une valeur ajoutée par rapport au programme de conformité existant, ainsi que le retient l'Autorité dans la décision attaquée, ont justement été appréciés par elle dans toute leur ampleur.
1366. Les requérantes ne sont pas non plus fondées à comparer leur situation avec celle des sociétés Chronopost, Exapaq et La Poste, auxquelles l'Autorité a accordé une réduction inférieure à celle dont elles ont bénéficié. À ce sujet, il convient de rappeler que, si ce taux a été augmenté de deux points par le présent arrêt, c'est, d'une part, pour remédier à une erreur manifeste d'appréciation quant au périmètre des engagements pris par celles-ci, d'autre part, parce que l'Autorité n'a pas pris en compte la mise en œuvre immédiate des engagements, ce que les sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. n'ont elles-mêmes pas proposé, puisqu'elles ont indiqué que leurs engagements seraient exécutés dans un délai courant à partir de la notification de la décision attaquée et sous réserve d'obtenir une réduction de l'amende s'ajoutant à celle accordée au seul titre de la non-contestation des griefs.
1367. Les demandes des sociétés Dachser et Dachser Group SE & Co. concernant la réduction de sanction au titre des engagements sont, en conséquence de ce qui précède, rejetées.
d) Sur la réduction de sanction au titre des difficultés financières des entreprises
á. Concernant la société BMVirolle
1368. La société BMVirolle fait valoir que, même si elle n'a pas répondu au " questionnaire sur les capacités contributives " que lui avaient adressé les rapporteurs, elle est en droit de demander une réduction de sa sanction, en raison des difficultés particulières et actuelles qu'elle rencontre et qui affectent ses capacités contributives.
1369. Elle souligne qu'elle est une entreprise familiale de petite taille, dont l'activité est de dimension régionale, que sa rentabilité dans l'activité messagerie est toujours restée négative sur la période d'infraction supposée, et ce malgré une adaptation des moyens avec une baisse des effectifs, et qu'elle a été contrainte de développer des activités complémentaires pour contrebalancer le caractère déficitaire du secteur de la messagerie et pouvoir continuer ses activités de messagerie.
1370. Selon elle, le paiement de la sanction de 4 938 000 euros, infligée par l'Autorité, entraîne un déficit déjà enregistré dans les comptes de l'entreprise - avec, en 2015, un résultat net déficitaire de plus d'un million d'euros -, ce qui montre que ce montant d'amende affecte très sérieusement ses comptes, se répercute sur son activité commerciale et l'expose à des difficultés particulières bien réelles.
1371. Au surplus, compte tenu du montant très élevé de la sanction qui lui a été infligée au regard de ses capacités contributives - celle-ci représentant deux années de résultat net et 40 % des capitaux propres de l'entreprise, et son paiement ayant entraîné une réduction à zéro son fonds de roulement net -, elle aurait dû reporter des investissements pourtant essentiels à une activité normale de messagerie (renouvellement de son parc de camions, logiciel d'exploitation, entrepôts). Sa cotation aurait également été moins bonne auprès des banques, ce qui serait nécessairement pénalisant pour une entreprise familiale.
1372. La société BMVirolle ajoute que sa situation est à tout le moins similaire à celle de la société Heppner, à laquelle l'Autorité a accordé une réduction de sanction de 90 % pour tenir compte de ses difficultés économiques. Elle souligne en particulier qu'elle est une entreprise de plus petite taille que la société Heppner et présente un résultat d'exploitation largement inférieur à celui de cette dernière.
1373. Elle en conclut que le principe d'égalité de traitement commande de la faire bénéficier de la même réduction de sanction que celle accordée à la société Heppner et aux " autres mises en cause ayant bénéficié d'une réduction d'amende significative ".
1374. L'Autorité fait valoir que le montant de la sanction a été déterminé au regard des comptes de la société BMVirolle, qui ne révélaient, à la date de la décision attaquée, aucune difficulté financière pour le paiement de la sanction.
1375. Elle considère que les éléments transmis à la cour par la requérante sont incomplets, faute de données comptables et financières complètes, récentes et objectives et constate, en outre, l'absence manifeste de difficultés réelles pour payer la sanction, qui a déjà été réglée au Trésor public.
1376. Le ministre chargé de l'Économie répond que, si le compte de résultat de la société BMVirolle fait apparaître, pour l'année 2015, un résultat net en perte de 1 052 710 euros, en raison des charges exceptionnelles, d'un montant de 4 410 948 euros, correspondant à la provision constituée pour payer la sanction pécuniaire, en revanche, le montant des bénéfices cumulés au cours des quatre précédents exercices s'est élevé à plus de 10 millions d'euros, de sorte que sa capacité contributive ne semble pas irrémédiablement compromise.
1377. Aux termes du point 47 du communiqué sanctions " [a]fin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, l'Autorité peut ensuite adapter, à la baisse ou à la hausse, le montant de base en considération d'autres éléments objectifs propres à la situation de l'entreprise ou de l'organisme concerné ". Le point 48 du même communiqué indique que peut être retenu à ce titre le fait que " l'entreprise ou l'organisme concerné rencontre des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive ".
1378. Le point 62 du communiqué sanctions précise que, " [s]i les éventuelles difficultés générales du secteur concerné par les infractions ne figurent pas parmi les critères énumérés par l'article L. 464-2 du Code de commerce, les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises ou organismes peuvent être prises en compte dans le cadre de la détermination de leur sanction, si ceux-ci rapportent la preuve, chacun en ce qui le concerne, de leurs difficultés contributives ".
1379. Il est constant qu'il appartient à l'entreprise de justifier l'existence de ses difficultés contributives en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive. Dans le cadre d'un recours, la cour doit examiner la situation des entreprises à la date où elle statue. Il s'ensuit qu'une entreprise qui ne s'est pas prévalue de ses difficultés contributives devant l'Autorité, peut toujours les invoquer devant la cour.
1380. La cour souligne que la capacité contributive s'apprécie au regard de l'actif mobilisable pour le paiement de la sanction et de la capacité de l'entreprise à générer des ressources pour en assurer le paiement. Dès lors, l'appréciation de la capacité contributive de la société BMVirolle ne saurait se cantonner à son résultat d'exploitation ou à sa trésorerie ou encore à la rentabilité de sa seule activité de messagerie, mais doit se faire au regard de toutes les composantes de son compte de résultat, toutes activités confondues, et de l'intégralité de son patrimoine.
1381. En premier lieu, concernant la situation de la société BMVirolle, la cour observe au préalable que les comptes sociaux les plus récents produits par cette société sont ceux de l'exercice clos le 31 décembre 2015. Dans la mesure où ses dernières conclusions ont été déposées le 19 janvier 2017 et que l'audience s'est tenue le 3 mars 2017, il n'est pas certain qu'elle aurait pu produire ses comptes sociaux les plus récents, à savoir ceux de l'exercice clos le 31 décembre 2016.
1382. Analysant les comptes sociaux produits, la cour relève que, si le résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2015 s'est soldé par un déficit d'un million d'euros, cela n'est dû qu'à un résultat exceptionnel déficitaire de 4,5 millions d'euros, intégrant la sanction de 4,938 millions d'euros infligée par l'Autorité, le résultat courant avant impôt de cet exercice étant, quant à lui, bénéficiaire de 5,6 millions d'euros et supérieur à celui de l'exercice antérieur, clos le 31 décembre 2014, qui était de 5 millions d'euros. L'aptitude de l'activité de la société BMVirolle à générer du bénéfice n'est donc pas obérée et s'avère suffisante à elle seule pour assumer le paiement de la sanction prononcée, le résultat courant avant impôts étant supérieur au montant de celle-ci.
1383. Par ailleurs, la bonne santé économique de la société BMVirolle se trouve corroborée par l'examen du haut de son bilan, qui comporte des capitaux propres de plus de 10 millions d'euros, montant supérieur au capital social. Ainsi, malgré l'enregistrement de l'amende dans les comptes de la société BMVirolle clos le 31 décembre 2015, ses capitaux propres sont restés à un niveau très satisfaisant pour une entreprise de cette taille. En outre, au regard de ces capitaux propres, les emprunts et dettes auprès des établissements de crédit, inférieurs à 4 millions d'euros, apparaissent très modérés, de sorte que la capacité d'emprunt pour investissements reste substantielle.
1384. L'analyse de l'actif de la société BMVirolle montre également que celle-ci, bien qu'elle ait déjà payé la sanction, détient des ressources nécessaires pour assumer des investissements. Outre des immobilisations financières mobilisables de plusieurs centaines de milliers d'euros et des disponibilités du même ordre de grandeur, la société BMVirolle détient à son actif des créances clients et comptes rattachés de plus de 10 millions d'euros qui peuvent être partiellement mobilisés pour le paiement de la sanction. Elle détient également à son actif d'autres créances pour plus de 10 millions d'euros qui peuvent également être partiellement mobilisées pour le paiement de la sanction prononcée (BMVirolle, pièce n° 8, annexe 2).
1385. Surtout, il ressort des annexes aux comptes sociaux de l'exercice clos le 31 décembre 2014 - annexes qui ne sont pas produites pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 -, que ces autres créances sont essentiellement constituées de comptes courants groupe. En effet, pour l'exercice clos le 31 décembre 2014, les autres créances incorporaient des comptes courants groupe d'un montant représentant plus du triple de la sanction prononcée. Or, les créances sur le groupe sont d'autant plus mobilisables qu'elles s'inscrivent dans un contrat de centralisation de trésorerie visant à optimiser la gestion de la trésorerie des sociétés adhérentes à cette centralisation, BMVirolle SA, Cogip SAS et Créneau Mercier SAS (pièce n°8, annexe 1/2). Il s'en déduit que, si la société BMVirolle avait un besoin spécifique en fonds de roulement, elle pourrait aisément mobiliser les créances qu'elle détient sur le groupe.
1386. Dès lors, la preuve n'est pas rapportée que la société BMVirolle rencontre des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive.
1387. En second lieu, concernant la violation alléguée du principe d'égalité de traitement au regard de la réduction de sanction accordée à la société Heppner et aux " autres mises en cause s'étant vu significativement réduire leur amende à raison des difficultés liées à leurs capacités contributives ", la cour rappelle au préalable que la société BMVirolle ne peut reprocher à l'Autorité une violation de ce principe, dans la mesure où elle n'a pas formulé de demande devant elle au titre de ses éventuelles difficultés contributives.
1388. L'invocation du principe d'égalité de traitement par la société BMVirolle est inopérant. En effet, dès l'instant où, ainsi que la cour vient de le constater, celle-ci ne justifie d'aucune difficulté affectant sa capacité contributive, elle ne peut prétendre à une réduction de sanction à ce titre, quel que soit par ailleurs le bien-fondé de la réduction octroyée par l'Autorité à plusieurs des entreprises mises en cause.
1389. La cour ajoute, surabondamment, d'une part, que la situation des sociétés Heppner et BMVirolle n'est pas comparable, de sorte que le refus d'octroyer à la seconde une réduction de sanction ne saurait, en tout état de cause, constituer une violation du principe d'égalité.
1390. En effet, selon les derniers comptes sociaux de la société Heppner produits par la société BMVirolle, les comptes clôturés au 31 décembre 2014 (BMVirolle, pièce n° 8, annexe 3), il s'avère que la sanction initiale infligée à la société Heppner, d'un montant de 34,112 millions d'euros, était très largement supérieure à son résultat courant avant impôt, puisqu'elle représentait à peu près huit fois le résultat courant avant impôts de cette société. Or tel n'est pas le cas de la société BMVirolle, dont la sanction (4,938 millions d'euros) est inférieure au dernier résultat courant avant impôts qu'elle produit (5,6 millions d'euros). L'analyse comparative des fonds propres des deux sociétés et des sanctions prononcées à leur encontre conduit au même constat : la sanction initiale de la société Heppner (34,112 millions) était largement supérieure à ses fonds propres, ce qui n'est pas le cas de la société BMVirolle, ainsi qu'il a déjà été relevé. Enfin, la situation financière de la société Heppner était particulièrement obérée au regard de son endettement, d'un montant très largement supérieur à ses fonds propres et sans commune mesure avec l'endettement de la société BMVirolle.
1391. Il s'ensuit que les situations des sociétés Heppner et BMVirolle ne sont pas comparables. Tandis que la société Heppner n'avait pas la capacité financière pour assumer le paiement de l'amende initialement prononcée sans mettre en danger sa continuité d'exploitation, la société BMVirolle a pu, quant à elle, payer l'amende prononcée sans obérer sa situation financière.
1392. D'autre part, concernant l'égalité de traitement invoquée au regard des " autres mises en cause ayant bénéficié d'une réduction d'amende significative ", force est de constater que la société BMVirolle ne précise pas quelles sont les sociétés auxquelles elle entend se référer, de sorte que cet argument est trop imprécis pour que la cour puisse y répondre. En tout état de cause, à supposer qu'elle ait entendu viser la totalité des autres mises en cause ayant bénéficié d'une réduction de sanction au titre de leur capacité contributive, à savoir les sociétés Ciblex, Lambert et Valette, XP France, Transport Henri Ducros et Ziegler, ainsi que la fédération TLF, elle ne fournit aucun élément permettant à la cour de comparer leur situation à la sienne.
1393. La demande de la société BMVirolle de réduction de sa sanction au titre de sa capacité contributive est rejetée.
ß. Concernant la société Normatrans
1394. Invoquant les points 47 et 48 du communiqué sanctions, la société Normatrans fait valoir que les difficultés individuelles qu'elle rencontre justifient une réduction de sa sanction.
1395. Elle rappelle qu'elle est une PME exerçant sur un marché difficile et sur un territoire désindustrialisé, que la sanction qui lui a été infligée l'a privée d'une grande partie de sa trésorerie, ce qui l'expose considérablement en cas de réalisation de risques.
1396. Elle fait valoir que sa dimension exclusivement régionale et son activité de sous-traitance sont des éléments d'individualisation qui auraient dû conduire l'Autorité à prononcer une moindre sanction.
1397. L'Autorité répond que le droit de la concurrence n'a pas à prendre en compte la taille de l'entreprise, mais la position respective de l'entreprise sur le marché concerné, c'est-à-dire son poids économique, de sorte que la qualité de PME de la société Normatrans est indifférente.
1398. Elle rappelle que cette société n'a fait état d'aucune difficulté financière justifiant une réduction de sanction au stade de la procédure administrative.
1399. Ainsi que la cour l'a rappelé au paragraphe 1379 du présent arrêt, une entreprise qui ne s'est pas prévalue de ses difficultés contributives devant l'Autorité, peut toujours les invoquer lors de son recours. Il lui appartient alors de justifier devant la cour, qui doit examiner la situation des entreprises à la date où elle statue, l'existence de ses difficultés contributives en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive.
1400. Force est de constater que la société Normatrans ne produit pas de données comptables et financières complètes, récentes et objectives, et ne rapporte donc pas la preuve qu'elle rencontre des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive.
1401. Cette preuve ne saurait résulter de sa qualité de PME de dimension régionale, de son implantation dans une région désindustrialisée ou encore de l'importance de la sous-traitance dans son activité. Elle ajoute en tant que de besoin que, l'Autorité ayant écarté de la valeur des ventes le chiffre d'affaires réalisé lorsque l'entreprise agit exclusivement comme sous-traitant d'un autre transporteur (décision attaquée, § 1204), il a été déjà tenu compte, à l'avantage de la société Normatrans, du fait qu'une part importante de son activité est une activité de sous-traitant, au moment de la détermination de l'assiette de la sanction.
1402. Sa demande de réduction de sa sanction au titre de sa capacité contributive est rejetée.
5. Conclusion sur le calcul des sanctions
1403. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient, selon l'entreprise considérée, soit de confirmer la sanction prononcée par l'Autorité dans la décision attaquée, soit de la réformer, de telle sorte que les sanctions infligées soient les suivantes :
<TABLEAU>
1404. La société Lotra ayant été condamnée, en sa qualité de société mère, solidairement avec la société XPO, anciennement Norbert Dentressangle Distribution, la réduction de sanction prononcée par le présent arrêt au bénéfice de cette dernière, lui bénéficiera également, nonobstant le désistement de son recours.
1405. La réduction de sanction dont bénéficie la société Geodis tenant à ce que sa participation à l'entente n'a pas été retenue antérieurement au 28 septembre 2006, l'EPIC SNCF Mobilités, qui a pris le contrôle de cette société en juillet 2008, n'en tire aucun avantage.
1406. L'ensemble de ces sanctions est proportionné à la fois à la gravité des faits, à l'importance du dommage à l'économie, ainsi qu'à la situation individuelle de chacune des entreprises sanctionnées.
1407. Il y a lieu de rappeler que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en surplus au titre de l'exécution de la décision attaquée, partiellement annulée et réformée, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de cet arrêt avec, s'il y a lieu, capitalisation dans les termes de l'article 1154 du code civil.
1408. En application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, le présent arrêt sera transmis à la Commission de l'Union européenne.
V. SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS
1409. Il n'y a pas lieu de prononcer des condamnations en application de l'article 700 du code de procédure civile.
1410. Les requérantes sont condamnées aux dépens du présent recours.
Par ces motifs, LA COUR, Constate, à la suite de son désistement, l'extinction de l'instance à l'égard de la société Lotra Limited ; Rejette la demande de la société Geodis SA tendant à voir constater que l'intervention de l'Autorité de la concurrence devant la cour constitue une violation du droit à un procès équitable ; Déclare irrecevables les notes en délibéré produites par les sociétés requérantes autres que les sociétés XPO Distribution France SAS, XPO Logistics Europe SA et Geodis SA ; Déclare irrecevable le moyen pris du défaut de proposition du rapporteur général à l'Autorité de la concurrence de s'auto-saisir, en tant qu'il est soulevé par la société Geodis SA ; Annule l'article 2 de l'Autorité de la concurrence n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express, mais seulement en ce qu'il a dit établi que : - les sociétés DHL Express (France) SAS, DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post A.G. ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en participant, entre le 2 mars 2006 et le 1er mars 2010, à une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express, qui visait à la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles ; - la société Geodis SA a enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en participant, entre le 17 octobre 2005 et le 27 septembre 2006, à une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express, qui visait à la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles ; Annule l'article 3 de la décision n° 15-D-19, mais seulement en ce qu'il a condamné la société DHL Express (France) SAS, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post A.G., à une sanction de 200 000 euros ; Réforme l'article 4 de la décision n° 15-D-19 en tant qu'il a infligé les sanctions pécuniaires de : - 99 022 000 euros à la société Chronopost SAS, solidairement avec la société La Poste SA ; - 44 767 000 euros à la société DPD France SAS, dont 40 315 000 euros solidairement avec la société La Poste SA ; - 33 330 000 euros à la société Dachser France SAS, solidairement avec la société Dachser Group SE & Co. KG ; - 80 963 000 euros à la société DHL Express (France) SAS, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post SA ; - 196 062 000 euros à la société Geodis SA, dont 88 899 000 euros solidairement avec l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités ; - 9 718 000 euros à la société Norbert Dentressangle Distribution, solidairement avec la société Lotra Limited, dont 2 876 000 euros solidairement avec la société Norbert Dentressangle ; - 58 293 000 euros à la société TNT Express France SAS, solidairement avec la société TNT Express NV ; Statuant de nouveau, Inflige à la société DHL Express (France) SAS, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post A.G., une sanction de 200 000 euros au titre des pratiques visées à l'article 1er de la décision n° 15-D-19 ; Dit qu'il est établi que les sociétés DHL Express (France) SAS, DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post A.G. ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en participant entre le 30 septembre 2004 et le 1er mars 2010, à une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express, qui visait à la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles ; Inflige, au titre des pratiques visées à l'article 2 de la décision n° 15-D-19, les sanctions pécuniaires suivantes : - à la société Chronopost SAS, solidairement avec la société La Poste SA, une sanction de 92 276 000 euros ; - à la société DPD France SAS, une sanction de 43 675 000 euros, dont 39 331 000 euros solidairement avec la société La Poste SA ; - à la société Dachser France SAS, solidairement avec la société Dachser Group SE & Co. KG, une sanction de 29 997 000 euros ; - à la société DHL Express (France) SAS, solidairement avec les sociétés DHL Holding (France) SAS et Deutsche Post A.G., une sanction de 69 874 000 euros ; - à la société Geodis SA, une sanction de 166 154 000 euros, dont 88 899 000 euros solidairement avec l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités ; - à la société XPO Distribution France SAS, anciennement Norbert Dentressangle Distribution, solidairement avec la société Lotra Limited, une sanction de 9 628 000 euros, dont 2 849 000 solidairement avec la société XPO Logistics Europe SA, anciennement Norbert Dentressangle ; - à la société TNT Express France SAS, solidairement avec la société TNT Express NV, une sanction de 54 317 000 euros ; Rappelle que les sommes payées excédant les montants ci-dessus fixés devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil ; Rejette tous autres moyens d'annulation ou de réformation de la décision n° 15-D-19 ; Dit qu'en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le présent arrêt sera transmis par la cour à la Commission de l'Union européenne ; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne les sociétés requérantes aux dépens du recours.