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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 23 août 2018, n° 16-03789

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Otech (SAS)

Défendeur :

CVH International (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Janson, M. Darracq

Avocats :

Mes Bordenave, Coasnes Pellet, Duale, Hardouin

T. com. Pau, du 20 sept. 2016

20 septembre 2016

EXPOSE DU LITIGE

Faits et procédure

La société Otech, société du groupe Irrimec, est une entreprise qui a pour activité la fabrication et la commercialisation de matériel d'irrigation à destination de l'agriculture.

M. X est en relation de travail avec la société Otech depuis juin 2009, date à laquelle il a débuté dans cette entreprise dans le cadre d'un contrat de volontariat international en entreprise (VIE) de deux années en Ukraine.

Depuis la fin du contrat VIE, M. X occupe des fonctions d'agent commercial indépendant pour la société Otech, selon contrat de représentation commerciale du 1er juin 2011. Pour l'exercice de son activité et conformément aux stipulations du contrat l'y autorisant, M. X a constitué la société CVH International en septembre 2011, société à responsabilité limitée dont il est l'unique associé et gérant.

Le contrat de représentation commerciale initial a été complété par un avenant en date du 1er octobre 2012.

Aux termes de ce contrat, la société CVH International est chargée de représenter la société Otech sur des territoires définis (la Roumanie, l'Ukraine, la Russie, la Moldavie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, la Géorgie, et la Biélorussie), avec pour mission de négocier tout contrat avec des clients potentiels et de faire parvenir à son mandant toute information nécessaire au développement de son activité.

Invoquant de nombreux manquements contractuels du mandant, la société CVH International et M. X ont assigné la société Otech par acte du 11 juin 2015 devant le Tribunal de commerce de Pau aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat d'agent commercial à ses torts exclusifs, et la voir condamner à lui payer la somme de 220 306 € à titre d'indemnité de résiliation.

Par jugement du 20 septembre 2016, le tribunal a :

- pris acte du désistement d'instance de M. X,

- retenu sa compétence, conformément à la clause attributive de compétence,

- prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial,

- condamné la société Otech à payer à la société CVH International une indemnité d'un montant de 163 988 € avec intérêts de droit à compter de l'assignation,

- condamné la société Otech à payer à la société CVH International la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Otech aux dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 7 novembre 2016, la société Otech a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du magistrat de la mise en état du 14 mars 2018, la clôture de l'instruction de l'affaire a été déclarée.

Prétentions des parties

Selon dernières conclusions du 22 février 2018, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société Otech demande à la cour de :

Vu l'article 123 du Code de procédure civile ; Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce,

In limine litis

- acter du désistement d'instance de M. X,

Au fond

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu la violation d'un engagement d'exclusivité par la société Otech,

- juger que la société Otech n'a concédé à la société CVH International aucune exclusivité sur le Territoire,

- juger qu'en conséquence aucune violation d'un engagement d'exclusivité ne peut être reprochée à la société Otech,

- débouter la société CVH International de ses demandes sur le fondement de la violation d'un engagement d'exclusivité,

- confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu la faute de la société Otech pour défaut de paiement de commissions à la société CVH International,

- juger que la société Otech apporte la preuve du paiement des commissions dues à la société CVH International sur le fondement de l'article L. 134-6 du Code de commerce,

- débouter la société CVH International de ses demandes sur le fondement du défaut de paiement de commissions,

- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu une faute en l'encontre de la société Otech pour rétention d'informations et absence de réponses à des demandes répétées de la société CVH International,

- juger que la société Otech n'a commis à l'égard de la société CVH International aucune rétention d'informations,

- débouter la société CVH International de ses demandes sur le fondement de la rétention d'informations,

- juger que la société Otech a répondu aux demandes d'informations de la société CVH International,

- débouter la société CVH International de ses demandes sur le fondement de l'absence de réponses aux demandes répétées de la société CVH International,

- juger que la société Otech n'a pas eu de comportement déloyal envers la société CVH International,

- débouter la société CVH International de ses demandes sur le fondement du comportement déloyal de la société Otech,

- juger que la demande de résiliation du contrat de représentation commerciale est imputable à la société CVH International,

- prononcer la résiliation du contrat de représentation commerciale sur demande de la société CVH International dans le délai d'un mois à compter de la date du " jugement " à intervenir,

- en conséquence rejeter la demande d'indemnité de fin de contrat de la société CVH International,

- condamner la société CVH International aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- juger que la société CVH International a commis une faute grave en ne prospectant pas une partie substantielle du territoire (la Russie, le Kazakhstan, la Moldavie, l'Ouzbékistan, la Géorgie, la Biélorussie) qui lui a été concédé,

- juger que la société CVH International a commis une faute grave en n'envoyant à la société Otech aucune information sur la situation dans le Territoire,

- juger que ces manquements constituent des fautes graves dans l'exécution du contrat de représentation commerciale,

- prononcer la résiliation du contrat de représentation commerciale pour fautes graves de la société CVH International dans le délai d'un mois à compter de la date du "jugement" à intervenir,

- rejeter toute demande d'indemnité de fin de contrat de la société CVH International,

- condamner la société CVH International aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

A titre très subsidiaire,

- si la cour jugeait la rupture du contrat de représentation commerciale imputable à la société Otech,

- juger que la société CVH International a commis des fautes dans l'exécution du contrat de représentation commerciale,

- prononcer la résiliation du contrat de représentation commerciale aux torts partagés dans le délai d'un mois à compter de la date du jugement à intervenir,

- fixer le montant de l'indemnité compensatrice à la somme de 81 994 € portant intérêt à compter de la date du jugement prononçant la résiliation judiciaire du contrat de représentation commerciale,

- rejeter toute demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société CVH International aux entiers dépens,

A titre très très subsidiaire,

- si la cour jugeait la rupture du contrat de représentation commerciale imputable exclusivement à la société Otech,

- fixer le montant de l'indemnité compensatrice à la somme de 163 988 € portant intérêt à compter de la date du jugement prononçant la résiliation judiciaire du contrat de représentation commerciale,

- rejeter toute demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société CVH International aux entiers dépens.

Selon dernières conclusions du 16 janvier 2018, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société CVH International demande à la cour de :

Vu l'article 1184 (ancien) du Code civil , en sa version applicable au présent litige, Vu l'article L. 134-4 du Code de commerce,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

o constaté le désistement d'instance de M. X,

o jugé que le contrat de représentation commerciale liant la société Otech à la société CVH International a été consenti avec exclusivité sur les territoires concédés,

o jugé que la société Otech a violé ses obligations contractuelles à l'égard de la société CVH International,

o prononcé la résiliation du contrat d'agence commerciale liant la société CVH International et la société Otech aux torts exclusifs de la société Otech à la date de la décision à intervenir,

- infirmer le jugement déféré sur le quantum de l'indemnité de résiliation du contrat allouée à la société CVH International à hauteur de 163 988 €,

- à ce titre allouer à la société CVH International la somme de 220 306 € avec intérêt au taux légal à compter du 11 juillet 2015,

- condamner la société Otech aux entiers dépens, en ce compris les frais éventuels d'exécution forcée de la décision à intervenir, ainsi qu'au paiement de la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIVATION

Il convient, à titre liminaire, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a pris acte du désistement d'instance de M. X.

Les parties ont conclu un contrat de représentation commerciale le 1er juin 2011, d'une durée de 15 mois, renouvelable par tacite reconduction pour une durée d'un an. Aux termes de ce contrat, modifié par avenant du 1er octobre 2012, l'agent représente la société Otech sur tous les pays suivants (le Territoire) : la Roumanie, l'Ukraine, la Russie, la Moldavie, le Kazakhstan, l'Ouzbekistan, la Géorgie, et la Biélorussie.

Ce contrat expirait en principe le 30 août 2013, bien qu'aucune des parties ne soulève ce point. Il doit par conséquent être considéré, en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, que le contrat est réputé transformé en un contrat à durée indéterminée.

Les deux parties sollicitent la résiliation du contrat. La société CVH international demande qu'il soit résilié aux torts exclusifs du mandant, et que ce dernier soit condamné à lui payer une indemnité de résiliation d'un montant de 220 306 €. La société Otech considère quant à elle que la résiliation est imputable à l'agent, de sorte que celui-ci n'a droit à aucune indemnité. Elle invoque à titre subsidiaire l'existence d'une faute grave de la société CVH international, excluant également tout droit à indemnité.

I. Sur l'initiative de la rupture et sur son imputabilité

Les parties présentent des analyses opposées quant aux raisons qui les conduisent à solliciter la rupture du contrat.

La société Otech soutient que les relations entre les parties se sont déroulées normalement entre 2011 et 2014 ; qu'en 2014, la société CVH International a demandé à réduire son territoire d'intervention, sans invoquer aucun grief ; que le mandant lui a proposé de conserver l'Ukraine, en l'absence de ventes dans les autres pays ; que l'agent a alors souhaité mettre fin au contrat et a demandé une indemnité, ce qu'elle a refusé puisque l'initiative de la rupture venait de ce dernier ; que ce n'est qu'en 2015, après avoir mandaté un avocat, que la société CVH International a commencé à lui opposer des griefs. Elle relève que le contrat est toujours en vigueur aujourd'hui et qu'il se poursuit dans des conditions normales. Elle conteste tout manquement à ses obligations.

La société CVH International fait valoir qu'un changement de direction est intervenu au sein de la société Otech en octobre 2013, conduisant à une modification de la stratégie de commercialisation, et qu'elle a alors subi les manœuvres du mandant " pour se débarrasser d'elle à moindres frais ", en l'amenant à résilier elle-même le contrat ; que ces difficultés de collaboration ont entraîné des discussions et que c'est bien la société Otech qui a souhaité modifier les contours du contrat, et non elle-même qui en a pris l'initiative ; qu'en septembre 2014 la société Otech lui a annoncé que le contrat continuait sur l'Ukraine uniquement, ce qui n'était pas pas viable économiquement pour elle, compte tenu des nombreux investissements qu'elle avait réalisés ; qu'elle lui a alors indiqué qu'elle préférait une résiliation totale du contrat, ce à quoi le mandant n'a jamais répondu. Elle invoque de nombreuses fautes de la société Otech, qui justifient que le contrat soit résilié à ses torts. Elle conteste toute violation de ses propres obligations.

Aux termes de l'article 1184 (ancien) du Code civil, la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Selon l'article L. 134-12 alinéa 1er du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Selon l'article L. 134-13 du même code, la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit

justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

Les parties admettent que les relations se sont bien déroulées jusqu'en 2013. Aucun élément du dossier ne vient étayer la thèse selon laquelle les rapports entre elles se seraient dégradés à compter d'octobre 2013, date à laquelle un changement de direction est intervenu au sein de la société Otech.

Des mails ont été échangés à l'automne 2014. Il en ressort qu'un entretien a eu lieu en août 2014, sans qu'il soit possible à la simple lecture des messages de déterminer qui en a été à l'initiative. Il a manifestement été question au cours de ce rendez-vous des conditions dans lesquelles le contrat allait se poursuivre, notamment concernant l'étendue du territoire confié à l'agent, et les modalités exactes de son intervention. Il ressort en effet de l'historique des chiffres d'affaires réalisés par la société CVH international entre 2012 et 2016 que l'agent concentrait l'essentiel de son activité sur l'Ukraine, la Roumanie, et la Russie (dans une moindre mesure), et que les ventes étaient nulles dans les autres pays.

Dans le cadre de ces échanges, la société Otech a proposé à son agent de poursuivre la collaboration essentiellement en Ukraine. Arguant de ce qu'il avait effectué des investissements importants et qu'il n'était pas possible pour lui de ne conserver qu'un seul pays, M. X a demandé la résiliation du contrat moyennant le paiement d'une indemnité compensatrice de 75 947 €, et la signature d'un nouveau contrat le mandatant exclusivement sur l'Ukraine. La société Otech a refusé cette proposition et a invité son agent à un entretien pour "réfléchir à une stratégie commerciale à adopter sur les pays dans lesquels il n'y avait pas ou peu de chiffre d'affaires". Il n'est pas précisé si cet entretien a eu lieu.

Il en ressort que les parties ont engagé des négociations à l'automne 2014, qui n'ont pas abouti. M. X était d'accord pour poursuivre sa collaboration sur l'Ukraine exclusivement, à condition d'être indemnisé. La société Otech a préféré poursuivre le contrat dans les mêmes conditions.

Contrairement à ce que soutient la société Otech, il ne résulte pas de ces différents échanges que l'agent aurait expressément demandé à résilier le contrat, de manière unilatérale.

Il n'en ressort pas non plus, contrairement à ce que la société CVH international fait valoir, que le mandant aurait délibérément laissé son agent sans réponse à ses interrogations, dans le but de le déstabiliser et de le pousser à la faute. En effet la réponse de la société CVH international a au contraire été claire ; elle s'est positionnée en faveur de la poursuite du contrat, dans les mêmes conditions.

Les relations se sont du reste poursuivies et se poursuivent à ce jour, même si l'activité de la société CVH international s'est nettement réduite en termes de chiffre d'affaires (113 953,86 € de commissions en 2013/2014, 29 680,48 € en 2014/2015, et 19 824,88 € en 2015/2016), et s'est restreinte géographiquement (Ukraine et Roumanie).

Après avoir adressé un courrier d'avocat à sa cocontractante le 10 février 2015 lui reprochant divers manquements contractuels, la société CVH International l'a assignée en résiliation du contrat.

Elle lui reproche différents griefs, qu'il convient d'examiner successivement.

Sur la violation du droit d'exclusivité

La société CVH international prétend qu'elle bénéficie d'un droit d'exclusivité sur les pays qui lui ont été attribués en vertu du contrat, et que son mandant a violé ce droit à plusieurs reprises en concluant indirectement un certain nombre de ventes, notamment en Russie, via sa société mère, la société Irrimec. La société Otech conteste l'existence même d'un droit d'exclusivité de l'agent.

L'existence d'un droit d'exclusivité ne peut jamais être implicite et doit nécessairement résulter d'une manifestation expresse de volonté.

Le contrat ne comporte aucune clause d'exclusivité au bénéfice de M. X.

L'intimée soutient que ce droit se déduit néanmoins de manière non équivoque du contrat ; qu'en effet, l'article II du contrat relatif au secteur de compétence de l'agent est rédigé ainsi : " L'agent représentera les produits Otech surtout les pays ci-après... Concernant la Russie, l'agent devra tenir compte de la position de la société Agrotechnica (région Kazan et Moscou), importateur dans ces régions des produits du groupe Irrimec dont dépend la société Otech et devra se rapprocher d'Irrimec avant de prospecter de nouveaux importateurs " ; que cette mention concernant la société Agrotechnica n'a de raison d'être que parce qu'elle constitue une exception à l'exclusivité dont M. X bénéficie ; que par ailleurs, il est assigné à l'agent des objectifs chiffrés et qu'il est stipulé un droit à commission sur toutes les ventes réalisées sur le secteur octroyé, ce qui suppose nécessairement l'existence d'un droit d'exclusivité.

Ainsi que le relève l'appelante, la seule existence d'objectifs chiffrés ne suffit pas à caractériser l'existence d'un droit d'exclusivité sur un secteur donné. Par ailleurs le droit à commission sur toutes les ventes du secteur concédé, qu'elles soient directes ou indirectes, résulte de l'application de l'article L. 134-6 du Code de commerce et s'applique même si l'agent ne bénéficie pas d'un droit d'exclusivité. S'agissant de la précision relative à l'existence d'un importateur en Russie, elle a pour objet d'informer l'agent et de justifier qu'un droit à commission de 1,5 % soit prévu au contrat concernant les ventes réalisées grâce à cet importateur. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu par l'agent, des ventes indirectes ont bien eu lieu avant 2013, pour lesquelles il a perçu des commissions, ce qui atteste de ce qu'il n'a jamais bénéficié d'un droit d'exclusivité.

Dès lors que l'existence d'un droit d'exclusivité de l'agent n'est pas établie, la société CVH international est mal fondée à reprocher à sa co-contractante d'avoir violé ce droit, ou encore de ne pas avoir empêché la société Irrimec de procéder elle même à des ventes sur le territoire concédé.

Sur le non-paiement de commissions

L'intimée soutient que la société Otech ne lui a pas payé toutes les commissions qui lui sont dues ; que depuis le changement de direction, la société Otech ne lui verse plus son droit à commission au titre des ventes indirectes, dû en application de l'application de l'article L. 134-6 du Code de commerce. Elle invoque notamment une vente qui a eu lieu en 2015 avec la société Krimm via la société Irrimec, vente qui lui a été dissimulée et sur laquelle elle n'a perçu aucun commissionnement. Elle affirme également que la société Otech a refusé de lui payer sa commission au titre d'une vente réalisée en Roumanie à la société Agrimax par un autre de ses agents commerciaux, la société Riego del Duero, alors qu'elle avait dans un premier temps reconnu son droit à commission. Elle suspecte par ailleurs que d'autres ventes aient été conclues sur son territoire sans qu'elle n'en ait été informée. Elle indique avoir fait sommation à la société Otech de produire le registre de l'ensemble des ventes conclues sur les territoires concédés ; elle conteste le document produit par le mandant à cet égard, relevant qu'il ne comporte pas les opérations réalisées par Irrimec, alors qu'il est avéré qu'au moins une vente a eu lieu en 2015.

L'appelante ne conteste pas le droit au commissionnement indirect de l'agent. Elle relève cependant qu'il n'est cité que deux dossiers sur sept années de collaboration. Elle reconnaît qu'elle a vendu du matériel à la société Irrimec en 2015, et que des ventes ont pu avoir lieu via cette société en Russie. Elle souligne cependant qu'il s'agit d'une personne morale distincte, bien qu'appartenant au même groupe de sociétés, et qu'elle est donc libre de vendre son matériel en Russie, sans que la CVH international n'ait un quelconque droit à commissions sur ces ventes, sauf exception relative à la société Agrotechnica expressément prévue au contrat. S'agissant de la vente effectuée en Roumanie par la société Riego del Duero, elle souligne qu'elle n'a pas été effectuée pour son compte mais pour le compte de cette société, qui n'est pas un agent commercial mais un distributeur indépendant.

Aux termes de l'article L. 134-6 du Code de commerce, pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre.

Lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe.

Il est constant que lorsqu'il n'a pas participé à l'opération, l'agent commercial chargé d'un secteur géographique ne peut prétendre à commission qu'en cas d'intervention directe ou indirecte du mandant dans la conclusion de cette opération avec un tiers.

En l'espèce, il est établi que M. X a perçu des commission au titre de l'exercice 2012-2013 sur des ventes effectuées par via la société Irrimec à la société Krimm située en Sibérie, soit hors secteur Agrotechnica.

Il existe donc un précédent de droit à commissions sur les ventes effectuées par la société Otech sur le territoire russe via la société mère, hors secteur Agrotechnica. Le mandant ne donne aucune explication sur les raisons qui justifieraient que cette pratique, adoptée jusqu'en 2013, soit abandonnée en 2015. Il est par ailleurs exact que la société Otech ne verse aux débats aucun document permettant à l'agent de connaître l'ampleur exacte de ces ventes, effectuées via la société mère sur le territoire concédé, alors que l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues (art. R. 134-3 du Code de commerce) et que le mandant est tenu de communiquer à son agent tous les documents comptables nécessaires à cet égard.

S'agissant de la vente effectuée en Roumanie par la société Riego del Duero, la société Otech admet qu'il s'agit de l'un de ses distributeurs. Elle ne s'est pas opposée au paiement de la commission mais a demandé à son agent de se rapprocher de la société Riego del Duero pour être payé. En définitive, la société CVH International n'a jamais été payée, et le mandant est mal fondé à refuser de payer cette commission alors même qu'elle est intervenue dans cette vente et que le droit à commission est par conséquent incontestable.

Il est donc établi que la société Otech n'a pas réglé toutes les commissions dues à son agent, a minima dans deux dossiers. Le mandant ne justifiant par aucun document de l'ensemble des ventes effectuées sur le territoire de l'agent via la société Irrimec, il est possible que ce défaut

de paiement de commissions concerne davantage de ventes.

Sur les manquements à l'obligation de loyauté et d'information

Aux termes de l'article L. 134-4 du Code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

La société CVH International soutient que son mandant l'a évincée de plusieurs salons professionnels en Russie, en lui cachant la présence de la marque sur ces salons. Ainsi, la société Otech lui a dissimulé le fait qu'elle était représentée en Russie sur le salon Yugagro en 2014, sur le stand de sa société mère Irrimec et du distributeur italien de cette société, la société Agroital. Elle était également représentée sur ce salon en 2015 via Irrimec, contrairement à ce qu'elle prétend. L'agent commercial ajoute que la société Otech a délibérément tardé à communiquer la liste de ses clients s'étant rendus sur le salon professionnel de Bologne en 2014, et a refusé de lui indiquer quelles informations lui avaient été données. Il souligne que, plus généralement, son mandant s'attache à désorganiser son travail en ne lui permettant plus de répondre aux sollicitations de ses clients dans des conditions normales. Il affirme que la société Otech est même allée plus loin en manœuvrant pour le mettre en difficulté vis-à-vis de ses clients et distributeurs, ainsi que cela ressort par exemple du dossier Kazimirov, dans lequel la société Otech s'est délibérément abstenue de transmettre à la société CVH International l'offre faite par Irrimec à l'un de ses propres clients, ainsi qu'elle l'a appris par son distributeur.

La société Otech conteste toute attitude déloyale. Elle soutient qu'elle était libre de ne pas participer à certains salons ; qu'elle n'a pas souhaité s'inscrire au salon Yugagro en 2014 pour des raisons financières (coût important de cette participation) et compte tenu des mauvais résultats obtenus sur la Russie, ce qui était son droit. Elle admet que la société Irrimec y était présente, mais elle affirme que cette présence n'a jamais été dissimulée, et qu'en tout état de cause elle ne constitue en rien une faute contractuelle, étant rappelé que la présence de la société Irrimec en Russie est spécifiée au contrat. Elle souligne que l'agent a pu participer au salon de Kiev en 2014. Elle affirme qu'elle a répondu dans des délais raisonnables à sa cocontractante s'agissant des clients s'étant présentés au salon de Bologne sur le stand d'Irrimec. Elle soutient enfin qu'elle a répondu à toutes les demandes d'information de son agent, dès lors qu'elle disposait elle-même des éléments pour y répondre.

Il est exact, et ce n'est pas contesté, que la société Otech est libre de décider à quels salons elle souhaite participer. Il lui appartient cependant d'être transparente à ce sujet, et de communiquer toutes informations utiles à son agent commercial. Si aux termes du contrat la société Irrimec est bien présente en Russie, via la société Agrotechnica, sur la région de Kazan et de Moscou, elle n'a pas vocation à représenter les produits Otech sur l'intégralité du territoire russe. Par ailleurs, le salon de Yugagro a lieu à Krasnodar, soit hors territoire réservé à Agrotechnica. Il était donc logique et cohérent que l'agent soit a minima étroitement tenu informé du déroulement de ce salon, que ce soit en 2014 ou en 2015, et de la liste exacte des clients rencontrés. Le mandant ne peut pas s'abriter derrière le fait qu'il n'est pas responsable de ce que fait sa société mère, ou encore invoquer l'absence d'exclusivité de son agent, alors même qu'il a concédé un territoire bien déterminé à la société CVH International, sur lequel il doit agir en toute transparence et loyauté en communiquant toutes les informations à sa disposition. Il lui appartenait au besoin de se rapprocher de la société Irrimec à cette fin. De la même façon, la société Otech aurait dû spontanément tenir son agent informé des suites de la foire de Bologne, qui s'est tenue du 12 au 16 novembre 2014. Or la société CVH International n'a obtenu une réponse que tardivement, le 19 janvier 2015, et ce après plusieurs relances. Concernant la vente effectuée par la société Irrimec directement à l'un des clients de M. X (dossier Kzimirov) durant l'été 2014, il s'agit incontestablement d'un acte déloyal, et il importe peu à cet égard qu'elle n'en ait pas été directement informée par son agent avant le 13 août 2014. Enfin, s'il n'est pas établi que la société Otech n'ait pas répondu aux demandes d'information de son agent, il est en revanche avéré qu'elle ne lui a pas toujours répondu dans des délais raisonnables, eu égard à l'urgence de certaines des informations sollicitées (tarifs, remises, taux de change,...).

Il résulte de ces éléments que les reproches de l'agent à l'égard de son mandant sont fondés en ce qui concerne le défaut de paiement de commissions, la déloyauté, et le retard dans les informations données pour exercer sa mission.

Ainsi, si la société CVH International est à l'initiative de la rupture, puisqu'elle a assigné sa cocontractant en résiliation du contrat, les circonstances de cette rupture sont imputables au mandant.

II - Sur la faute de l'agent

La société Otech demande à titre subsidiaire que le contrat soit résilié pour faute grave de l'agent, et à défaut que le contrat soit résilié aux torts partagés. Elle invoque le défaut de prospection de certains pays par l'agent depuis 2014, et l'absence de transmission de rapports d'activité.

Il est exact que l'activité de la société CVH International s'est concentrée dans les dernières années sur la Roumanie et sur l'Ukraine. Cependant cet élément ne peut pas être pris en considération dans un contexte relationnel qui s'est dégradé à compter de cette date. Par ailleurs aucun reproche n'a jamais été fait officiellement à l'agent sur ce point.

Aucun comportement fautif ne peut donc être retenu à cet égard.

S'agissant de la transmission des informations, il n'est pas contesté que celle-ci se faisait de façon informelle jusqu'en 2013. Il ne peut donc pas être reproché à l'agent de ne pas avoir adressé des rapports d'activité écrits entre 2011 et 2013. Depuis cette date l'agent répond aux demandes d'information ponctuelles qui lui sont faites. Certains mails attestent d'une certaine méfiance dans les échanges, compte tenu du contexte contentieux entre les parties, mais il n'en ressort pas de défaut d'information de l'agent, étant observé au surplus qu'aucun reproche ne lui a été fait formellement à cet égard.

En définitive aucune faute de quelque nature que ce soit ne peut être reprochée à l'agent, de sorte que celui est bien fondé à solliciter une indemnisation de fin de contrat.

III - Sur l'indemnité de résiliation

Il est d'usage d'accorder à l'agent commercial une indemnité de rupture dont le montant correspond à deux années de commissions calculées à partir de la moyenne des commissions perçues au cours des trois dernières années.

Ce montant doit être calculé sur les années "normales" d'exercice, à savoir les années 2012, 2013, et 2014. En effet en 2015 le contentieux entre les parties était déjà engagé et le chiffre d'affaires de l'agent a nettement baissé, dans un contexte de tensions.

La société CVH International a perçu les commissions suivantes :

- 2012 : 114 157 €,

- 2013 : 104 734 €,

- 2014 : 111 568 €.

La moyenne de ces trois années étant de 110 153 €, il est dû à la société CVH International la somme de 220 306 €.

Le jugement sera par conséquent infirmé sur ce point.

La société Otech partie perdante, sera condamnée aux dépens.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf en sa disposition ayant condamné la société Otech à payer à la société CVH International une indemnité d'un montant de 163 988 € avec intérêts de droit à compter de l'assignation, Et statuant à nouveau sur ce chef, Condamne la société Otech à payer à la société CVH International une indemnité d'un montant de 220 306 € avec intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2015, Et y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Otech à payer à la société CVH International la somme de 2 500 €, La condamne aux dépens d'appel, Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.