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Décisions

CA Toulouse, 1re ch., 13 août 2018, n° 16-01919

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Laboratoires (SAS), Les Laboratoires S. Industrie (SAS)

Défendeur :

Cpam de la Haute-Garonne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme. BELIERES

Conseillers :

M. Rouger, Mme Muller

TGI Toulouse, du 24 mars 2016

24 mars 2016

Exposé des faits et procédure

De juillet 2001 à mai 2009 Mme Barbara M. épouse F. a fait l'objet d'un traitement par le médicament Médiator(r) dans le cadre d'une demande d'amaigrissement.

En 2007 une majoration de ses difficultés respiratoires est apparue.

Le bilan cardiologique réalisé en septembre 2010 à l'occasion d'un examen préopératoire de gastropexie puis l'angio-coronarographie ont mis en évidence une pathologie valvulaire avec insuffisance mitrale de grade 3 et sténose significative avec retentissement sur l'oreillette gauche et hypertension artérielle pulmonaire.

Mme F. a été opérée le 18 novembre 2010 d'une insuffisance mitrale sur une valve fibreuse rétractile associée à une hypertension artérielle pulmonaire avec mise en place d'une valve mécanique qui a mis en évidence des lésions fibreuses rétractiles extrêmement surprenantes, non calcifiées, non rhumatismales, pouvant évoquer une valvulopathie au Médiator(r).

Par la suite et malgré les soins, le 27 janvier 2011 est apparue une insuffisance tricuspidienne secondaire puis, ultérieurement, une dyspnée d'effort qui s'est aggravée, ne lui permettant plus, à cette époque, de marcher.

Le 24 mars 2011 la nouvelle échographie réalisée a noté une 'insuffisance tricuspidienne grade 3 à 4.'

Mme F. a, alors, subi de nombreuses hospitalisations, notamment du 20 novembre au 1er décembre 2011 pour un remplacement valvulaire tricuspidien et en février 2014 pour la prise en charge d'un syndrome coronarien aigu.

Elle bénéficie également d'un suivi pour un syndrome dépressif, une fois par mois.

Par ordonnance de référé en date du 15 décembre 2011 une mesure d'expertise a été prescrite, confiée au docteur B., qui a déposé son rapport le 30 octobre 2015.

Par actes des 9 et 14 décembre 2015 Mme F., son époux M. Daniel F., agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille Margaux née le 24 mai 1998 et de leur fils Arnaud né le 3 juin 2001 ainsi que Marine P. et Gauthier P., les deux enfants de Mme F., ont fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Toulouse à jour fixe suivant autorisation présidentielle du 30 novembre 2015 la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie en déclaration de responsabilité sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil et en réparation des préjudices subis et par acte du 15 décembre 2015 ont appelé en cause la Caisse primaire d'assurance maladie (Cpam) de la Haute Garonne en sa qualité de tiers payeur.

Par jugement contradictoire en date du 24 mars 2016 cette juridiction a :

- dit n'y avoir lieu à sursis à statuer

- dit que la Sas Laboratoires S. et la Sas Laboratoires S. Industrie sont tenues de réparer la totalité des dommages causés aux demandeurs par la défectuosité du Médiator(r)

- condamné in solidum la Sas Laboratoires S. et la Sas Laboratoires S. Industrie à verser

à Mme F. les sommes de :

90 205,47€ au titre des préjudices patrimoniaux (4 339,79 euro au titre des pertes de gains professionnels actuels, 3 840 € au titre de l'assistance de tierce personne, 52 025,68 euro au titre de la perte de gains professionnels futurs, 30 000 € au titre de l'incidence professionnelle)

107 261,20 € au titre de ses préjudices extra patrimoniaux (9 761,20 euro pour le déficit fonctionnel temporaire, 40 000 € pour les souffrances endurées, 2 500 euro pour le préjudice esthétique temporaire, 39 000 euro pour le déficit fonctionnel permanent, 1 000 euro pour le préjudice esthétique permanent, 15 000 euro pour le préjudice sexuel)

1 450 euro pour les honoraires de son médecin expert

à M. F. les sommes de :

15 000 euro en réparation de son préjudice d'affection

8 000 euro en réparation de son préjudice sexuel

à Mme P. le somme de 8 000 euro en réparation de son préjudice d'affection

à M. P. la somme de 8 000 euro en réparation de son préjudice d'affection

à l'enfant mineur Margaux F., représentée par M. et Mme F. la somme de 8 000 euro en réparation de son préjudice d'affection

à l'enfant mineur Arnaud F., représenté par M. et Mme F. la somme de 8 000 euro en réparation de son préjudice d'affection

aux consorts F./P., ensemble, la somme globale de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile

à la Cpam de Haute-Garonne les sommes de :

181 993,87 euro au titre de sa créance définitive

1 047 euro à titre d'indemnité de gestion

1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile

- rappelé que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement

- débouté les parties du surplus de leurs demandes

- condamné in solidum la Sas Laboratoires S. et la Sas Laboratoires S. Industrie aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les dépens de référé et les frais d'expertise judiciaire

- ordonné l'exécution provisoire

Par déclaration en date du 14 avril 2016 la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie ont relevé appel général de cette décision.

Moyens des parties

La Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie demandent dans leurs dernières conclusions du 3 novembre 2016 de

Vu les articles 377 et 378 du Code de procédure civile et 4 alinéa 3 du Code de procédure pénale et 1386-1 ancien du Code civil de

- Infirmer le jugement

A titre principal,

- dire qu'il sera sursis à statuer dans l'attente de l'issue des procédures pénales en cours

A titre subsidiaire,

- dire que Mme F. ne rapporte pas la preuve que les lésions valvulaires qu'elle présente sont imputables de manière certaine au Médiator(r)

- dire que les dispositions de l'article 1353 du Code civil ne peuvent ici recevoir application, toutes les autres causes possibles de la maladie n'ayant pas été exclues

- dire que la preuve du caractère défectueux du produit n'est pas rapportée

- dire qu'elles sont fondées à se prévaloir des dispositions de l'ancien article 1386-11 4° du Code civil

- dire que les conditions de mise en jeu de leur responsabilité ne sont pas réunies

- débouter les consorts F. de toutes leurs demandes

A titre infiniment subsidiaire,

- fixer comme suit les indemnisations allouées aux consorts F. :

à Mme F :

6 800,57 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire

30 000 euro au titre des souffrances endurées

2 000 euro au titre du préjudice esthétique temporaire

35 420 euro au titre du déficit fonctionnel permanent

67 172,48 euro au titre de la perte de gains

à M. F. 8 000 euro au titre du préjudice d'affection

à Margaux et Arnaud F. 5 000 euro chacun au titre du préjudice d'affection

à M. P. 5 000 euro au titre du préjudice d'affection

à Mme P. 3 000 euro au titre du préjudice d'affection

- les débouter de leurs demandes plus amples ou contraires

- dire que la Cpam de la Haute Garonne justifie d'une créance d'un montant de 134 108,26 euro et la débouter en conséquence du surplus de ses demandes

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Elles demandent de surseoir à statuer par application de l'article 4 du Code de procédure pénale jusqu'à l'issue de l'instruction pénale en cours au Pôle santé du Tribunal de grande instance de Paris dont les investigations portent, notamment, sur les propriétés pharmacologiques du Médiator(r) et la connaissance que pouvait avoir le laboratoire fabricant de ses effets indésirables et, à défaut, par application de l'article 377 du Code de procédure civile, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et pour leur garantir un procès équitable.

Subsidiairement au fond, elles rappellent que la responsabilité du fait d'un produit de santé suppose que soit rapportée la preuve d'un dommage, de l'imputabilité du dommage à l'administration du produit, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

Elles font valoir que l'imputabilité au Médiator(r) de la pathologie présentée par Mme F. n'est pas démontrée alors que la charge de la preuve pèse sur elle, que l'examen anatomopathologique pratiqué par le docteur P. en qualité de sapiteur du docteur B. n'a pas été contradictoire, que ses conclusions sont contraires à celles du même examen précédemment réalisé, que d'autres causes possibles du dommage n'ont pu être circonscrites et exclues, en particulier l'origine dégénérative et non médicamenteuse des lésions valvulaires mitrales, que les constatations sur la valve tricuspide évoquent une atteinte fonctionnelle sans lien avec l'exposition à ce médicament, que Mme F. présentait de nombreux facteurs de risques pouvant expliquer le syndrome coronarien aigu.

Elles ajoutent qu'un produit est défectueux lorsqu'il présente un vice de conception ou de fabrication mais ne peut résulter de son absence d'innocuité ou de son caractère dangereux ou de la simple survenue d'un dommage, que le défaut n'est pas caractérisé si lors de la mise en circulation du produit, les données acquises de la science ne permettaient pas de porter à la connaissance du public un risque qui ne s'est révélé qu'ultérieurement et que toute responsabilité du producteur est exclue si, à la date de la prise du médicament, l'information fournie sur le risque reflétait de manière suffisante les données acquises de la science.

Elles affirment qu'entre 2001 et 2008 la défectuosité du Médiator(r) n'était pas démontrée, que le rapport IGAS 2010 sur lequel se fonde le jugement n'est pas contradictoire, que si le Benfluorex (Médiator(r)) et les fenfluramines (Pondéral et Isoméride) présentent une parenté chimique et un métabolite commun, leurs modes d'action et leurs effets ne sont pas identiques, la différence de concentration entraînant des conséquences cliniques privant de pertinence tout amalgame ; elles précisent que si la cardiotoxicité de la norfenfluramine est fortement suspectée dès 1995 et son mécanisme d'implication dans l'apparition des valvulopathies démontré dès 2000 par l'étude, prospective, de M. R., seule l'hypertension artérielle pulmonaire est concernée au départ et non les valvulopathies et pas davantage le Benfluorex, qu'il a fallu attendre 2007/2009 pour que l'hypothèse soit confirmée, aucun signal d'alerte significatif de valvulopathies en pharmacovigilance n'ayant été donné avant fin 2008 début 2009, qu'en 2008, soit un an avant la décision de retrait du Benfluorex, les autorités de santé ont accordé à deux entreprises pharmaceutiques une autorisation de mise sur le marché (AMM) de deux médicaments génériques du Médiator(r), preuve qu'elles ont estimé jusqu'à fin 2009 que les connaissances scientifiques ne permettaient pas de considérer que le rapport bénéfice-risque était défavorable ; elles soulignent que la loi impose d'informer le consommateur du risque connu et non d'un risque hypothétique et non avéré, que la connaissance des risques cardiovasculaires du médicament a été tardive et très progressive et s'est construite par étapes entre 2000 et 2011, que le non renouvellement de l'AMM en Espagne, Suisse et Italie en 2003 a eu lieu à sa propre initiative pour des raisons économiques commerciales et que la suspension de l'AMM en novembre 2009 et son retrait définitif du marché français en juillet 2010 ne permettent pas de démontrer la défectuosité du produit pendant la période de traitement de Mme F..

Subsidiairement, elles soutiennent qu'elles peuvent bénéficier de la faculté d'exonération prévue à l'article 1386-11 du Code civil en cas de risque de développement dès lors que l'effet indésirable du Médiator(r) a été découvert postérieurement à sa commercialisation et après utilisation dans la population ; elles critiquent l'appréciation contraire faite par le tribunal, sur une base factuelle inexacte, qui procède d'une reconstruction de l'histoire du médicament a posteriori, laquelle ne tient aucun compte de l'évolution progressive qui l'a marquée, faite d'hypothèses non vérifiées d'abord, de cas isolés ensuite, à eux seuls non significatifs avant que trois études, dont les résultats n'ont été connus qu'en 2009, permettent de considérer l'existence d'un signal fort de cardiotoxicité.

Encore plus subsidiairement, elles concluent à la réduction de l'indemnisation sollicitée pour l'ensemble des postes de préjudice ; elles offrent la réparation du déficit fonctionnel temporaire sur la base de 18,33 euro par jour, du déficit fonctionnel permanent sur la base d'une valeur du point de 1 668 euro, s'opposent à l'indemnisation d'un préjudice sexuel non démontré, de pertes de gains professionnels actuels non suffisamment justifiés, d'une perte de gains professionnels futurs au-delà de l'âge de 62 ans, d'une incidence professionnelle.

Elles contestent le lien de causalité direct avec la valvulopathie des débours dont le remboursement est sollicité par la Cpam sur la base de documents produits par cet organisme alors que nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; subsidiairement, elles considèrent que si la somme demandée au titre de l'hospitalisation soit 55 447,88 euro et des indemnités journalières n'appelle pas d'observation, il en va différemment des frais médicaux (14 177,85 euro), pharmaceutiques (3 955,58 euro) et de transport qui ne sont pas détaillés de sorte que leur imputabilité au fait dommageable ne peut être vérifiée ; elles ajoutent que les frais futurs occasionnels (27 764,69 euro) constituent un doublon avec les frais d'hospitalisation dont la prise en charge est par ailleurs demandée et diffèrent dans leur montant ; elles s'étonnent du montant des arrérages échus de la pension d'invalidité alors qu'elle a été allouée sur la base d'un montant annuel de 3 791,01 euro de sorte que sur une période de 2 ans et 10 mois la créance devrait être de 10 692,36 euro et non de 11 238,84 euro et de l'indice de capitalisation de 25,133 retenu au titre des frais futurs viagers alors que Mme F. était âgée de 49 ans à la date de notification des débours ; elles estiment que la créance définitive de l'organisme social ne peut excéder 134 108,26 euro.

Les consorts F. demandent dans leurs dernières conclusions du 21 juillet 2016 de

Vu les articles 1386-1 et suivants du Code civil

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer et dit que la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie sont tenues de réparer la totalité de leurs dommages causés par la défectuosité du Médiator(r)

- infirmer le jugement dont appel sur les sommes allouées au titre des préjudices subis

- condamner in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à verser à Mme F. les sommes de :

8 541,45 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire en rapport avec les valvulopathies

1 771,47 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire en rapport avec le syndrome coronarien aigu

48 000 euro au titre des souffrances endurées

3 000 euro au titre du préjudice esthétique temporaire

4 339,79 euro au titre de la perte de revenus avant consolidation

3 840 euro au titre de la tierce-personne temporaire

40 800 euro au titre du déficit fonctionnel permanent

1 500 euro au titre du préjudice esthétique permanent

16 296,54 euro au titre de la perte de gains professionnels futurs de la consolidation à la décision, soit du 13 septembre 2012 au 31 décembre 2015

91 974,85 euro au titre de la perte de gains professionnels futurs, à compter de la décision à titre viager

70 000 euro au titre de l'incidence professionnelle

30 000 euro au titre du préjudice sexuel

1 450 euro au titre des honoraires de son médecin-expert

- condamner in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à verser à M. F. les sommes de :

30 000 euro au titre du préjudice d'affection

30 000 euro au titre du préjudice sexuel

- condamner in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à verser aux enfants de Mme F. les sommes de :

15 000 euro au titre du préjudice d'affection de Mme Marine P.

15 000 euro au titre du préjudice d'affection de M. Gauthier P.

15 000 euro au titre du préjudice d'affection de Margaux F., représentée par Mme et M. F.

15 000 euro au titre du préjudice d'affection d'Arnaud F., représenté par Mme et M. F.

- condamner in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à leur verser la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamner in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie aux entiers dépens de référé, de première instance et d'appel, en ceux compris les honoraires de l'expert judiciaire.

Ils s'opposent à tout sursis à statuer dans la mesure où leur action est une action civile et non une action en réparation du dommage causé par une infraction pénale, de surcroît fondé sur les articles 1386-11 et suivants du Code civil qui est une responsabilité objective du fait du défaut des produits n'imposant pas de démontrer l'existence d'une faute ; ils ajoutent que l'expertise judiciaire du docteur B. a permis aux parties d'échanger tout au long des opérations sur tous les points utiles.

Ils soutiennent que la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie ont engagé leur responsabilité sur le fondement des articles 1386-2 et suivants du Code civil, du fait des produits défectueux qui s'entend de celui qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Ils estiment que l'expert judiciaire, qui s'est appuyé sur plusieurs études, a démontré que les effets indésirables cardio-vasculaires sont clairement en relation avec la Norfenfluramine dont le Benfluorex, son précurseur, est le principe actif du Médiator(r) ; ils ajoutent qu'il a particulièrement mis en évidence la relation de causalité entre l'exposition de Mme F. au Médiator(r) de 2001 à mars 2009 et son insuffisance mitrale puis sa valvulopathie triscuspide et ensuite son syndrome coronarien aigu.

Ils soutiennent que les laboratoires S. ne peuvent bénéficier de l'exonération pour risque de développement.

Ils estiment insuffisantes les indemnisations allouées par le tribunal.

La Cpam de la Haute-Garonne demande dans ses dernières conclusions du 25 janvier 2017, au visa des articles L. 376-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, de

- confirmer le jugement sauf à lui accorder les intérêts de droit à compter du jour de la demande ou du jour de paiement des prestations à la victime

A titre subsidiaire,

- condamner in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à lui payer les sommes complémentaires de 45 006 € au titre du capital invalidité et celle de 42 982,15 € au titre des dépenses de santé futures, au fur et à mesure du paiement effectif de ces sommes

En tout état de cause,

- les condamner in solidum à lui payer :

l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion qu'elle est en droit de recouvrer en application des dispositions des alinéas 9 et 10 de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale, soit la somme actualisée de 1 055 euro

la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que son médecin conseil, personne extérieure à ses services non salarié et non soumis à un lien de subordination mais organe indépendant chargé du contrôle médical dans un but d'intérêt national, a établi une attestation d'imputabilité des soins mentionnés sur ses listings informatiques, détaillant les prestations servies en lien avec l'accident dont a été victime Mme F. et considère que ce document établit sans contestation possible son droit de recouvrer sa créance.

Motifs de la décision

Sur le sursis à statuer

L'article 4 du Code de procédure pénale n'impose à la juridiction civile de surseoir à statuer, en cas de mise en mouvement de l'action publique, que lorsqu'elle est saisie de l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction ; dans les autres cas, quelle que soit la nature de l'action civile engagée, et même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil, elle dispose de la faculté d'apprécier s'il y a lieu de prononcer un sursis à statuer.

L'action introduite devant la juridiction civile par les consorts F. n'est pas fondée sur les infractions pour lesquelles une information pénale est ouverte contre la Sas Les Laboratoires S. des chefs de tromperie, homicides et blessures involontaires mais sur la responsabilité sans faute de celles-ci au titre de la défectuosité du Médiator(r), de sorte que l'action dont la cour est saisie est indépendante de l'action publique.

Aucun sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir au pénal n'est justifié au regard du droit à un procès équitable prévu à l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui comprend le droit pour toute personne à ce que sa cause soit entendue dans le respect des droits de la défense mais aussi dans un délai raisonnable, en l'absence de toute démarche de cette société aux fins que soient versées à la procédure civile les pièces du dossier pénal qu'elle considère comme nécessaires aux besoins de sa défense pour apprécier notamment le caractère défectueux du Médiator(r) et l'état des connaissances scientifiques et techniques durant la période pendant laquelle ce médicament a été prescrit à Mme F..

Sur la responsabilité

La responsabilité de la Sas Les Laboratoires S. et de la Sas Les Laboratoires S. Industrie est recherchée sur le fondement de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité des produits défectueux issue de la transposition de la directive CE 85-374 du 25 juillet 1985 et codifiée aux articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil qui autorise la victime à agir contre le producteur chaque fois qu'un dommage qui résulte d'une atteinte à la personne a été causé par le défaut d'un produit, ce qui inclut les médicaments.

Aux termes de l'article 1386-4 devenu 1245-3 du même code un produit est défectueux au sens de ce régime légal de responsabilité lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qui s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Selon l'article 1386-9 devenu 1245-8 du code susvisé, c'est au demandeur qu'il incombe de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, cette preuve pouvant être apportée par des présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.

En vertu de l'article 1386-11 devenu 1245-10 du Code civil le producteur dont le produit est considéré comme défectueux a la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité de plein droit dans certains cas dont la preuve lui incombe, notamment si l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.

Sur la contribution du produit à la survenue du dommage

Si la responsabilité du fait des produits défectueux requiert que le demandeur prouve le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, la participation du produit à la survenance du dommage est un préalable implicite, nécessaire à l'exclusion éventuelle d'autres causes possibles de la maladie, pour la recherche de la défectuosité du produit et du rôle causal de cette défectuosité, sans pour autant que sa simple implication dans la réalisation du dommage suffise à établir son défaut au sens de l'article 1386-4 du Code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

Sur l'administration du produit

Mme F. s'est vu prescrire du Médiator(r) de 2001 à 2009 par son médecin traitant dans le cadre d'une surcharge pondérale, point qui n'est pas discuté.

Sur le dommage

En 2010 dans le cadre d'un bilan préopératoire en vue d'une chirurgie bariatrique une insuffisance mitrale importante a été mise en évidence, responsable d'une hypertension artérielle pulmonaire qui a conduit à procéder à un remplacement valvulaire mitral par une prothèse mécanique.

En janvier 2011 une dyspnée d'effort est réapparue rapportée à une insuffisance tricuspidienne qui, en l'absence d'amélioration sous traitement médical, a conduit à une nouvelle intervention de remplacement valvulaire tricuspidien par une bio-prothèse Carpentier péricardique.

En février 2014 un syndrome coronarien a été traité par tromboaspiration et renforcement de la thérapeutique par un antiagrégant plaquettaire.

Sur l'imputabilité du dommage au produit

L'origine médicamenteuse, et plus spécifiquement au Médiator(r), de ces trois affections doit être retenue.

L'expert précise n'avoir retrouvé aucun élément permettant de retenir que Mme F. ait reçu antérieurement au Médiator(r) d'autre traitement à visée de réduction pondérale ou susceptible d'entraîner des lésions valvulaires, ce qui n'est plus contesté devant la cour.

Il attribue formellement les atteintes valvulaires à une conséquence directe et certaine de l'exposition au Benfluorex.

Il explique que 'la certitude diagnostique de cette imputabilité ne peut être obtenue que par l'anatomopathologie qui n'est possible qu'en cas de remplacement valvulaire' que toutefois 'la détermination de l'origine médicamenteuse d'une insuffisance valvulaire repose sur l'échocardiographie, que les critères les plus puissants sont la restriction caractérisée par une diminution de la mobilité des feuillets valvulaires mitraux ou les cuspides aortiques, l'épaississement des éléments valvulaires et de l'appareil sous valvulaire mitral' avec cette précision que ' les insuffisances valvulaires médicamenteuses ne sont jamais associées à des rétrécissements et notamment au niveau mitral à une fusion des commissures. En épidémiologique, il est proposé de retenir une origine médicamenteuse à toutes les valvulopathies mitrales importantes et aortiques moyennement importantes à importantes non expliquées par une autre origine'. (Pages 25 et 26 du rapport)

L'expert retient un lien de causalité direct et certain de l'insuffisance mitrale importante responsable d'une hypertension artérielle pulmonaire mise en évidence chez Mme F. avec l'exposition au Benfluorex.

Il explique que 'la description de l'atteinte valvulaire, tant échographique que per-opératoire par le chirurgien est extrêmement évocatrice d'une atteinte médicamenteuse dont la chronologie est par ailleurs compatible avec les conséquences de l'exposition au Médiator(r)'.

Il ajoute que 'l'examen anatomopathologique effectué par le professeur P. dont le rapport est annexé conclut que les lésions sont identiques à celles décrites au cours de la toxicité du Benfluorex et l'absence de lésion en rapport avec une autre cause'.

Il a, en effet, confié à ce sapiteur la mission d'analyser la valve mitrale qui avait été conservée pour analyse ; ce technicien précise avoir reçu les deux blocs d'inclusion n° 15826 A et B transmis par le service d'anatomopathologie du CHU de Toulouse Rangueil concernant la valve mitrale de Mme F. opérée le 18/11/2010 avec les copies du compte rendu opératoire, de l'examen anatomopathologique pratiqué, d'un second compte rendu opératoire puis, à sa demande, deux lames colorées n° 10 R15826 A et 10 R15826 B correspondant aux lames produites à partir des blocs d'inclusion correspondants et ayant permis l'élaboration du compte rendu initial, lames communiquées par le même service.

L'expert B. affirme également que l'insuffisance tricuspidienne est la conséquence directe et certaine de l'exposition au Benfluorex (Médiator(r))

Il indique que Mme F. qui a été améliorée au décours de l'intervention chirurgicale et de la réadaptation cardiovasculaire et pulmonaire, va voir apparaître en janvier 2011 une dyspnée d'effort rapportée à une insuffisance tricuspidienne, que l'examen échocardiographique évoque une restriction du feuillet postérieur de la valve tricuspide, que l'absence d'amélioration sous traitement médical conduit à proposer une nouvelle intervention, qu'elle bénéficie d'un remplacement valvulaire tricuspidien par une bio-prothèse Carpentier péricardique, que le chirurgien expose lors de l'intervention qu'il n'y a pas de lésion évidente des feuillets valvulaires tricuspidiens.

Il précise que l'examen anatomopathologique n'a pas pu être pratiqué puisque la valve native n'a pas été enlevée mais que 'compte tenu du résultat de l'examen anatomopathologique du sapiteur effectué sur le prélèvement de la valve mitrale, la chronologie de l'atteinte, l'aspect échocardiologique décrit (restriction du feuillet postérieur) cette atteinte triscuspide s'inscrit soit dans le cadre de la valvulopathie toxique soit est fonctionnelle en rapport avec l'insuffisance cardiaque, elle-même secondaire à la valvulopathie mitrale'.

L'expert B. retient aussi que le syndrome coronarien aigu de février 2014 est la conséquence de l'atteinte toxique de la valve mitrale imputable à l'exposition au Benfluorex.

Il précise que 'l'exploration coronarographique retrouve la présence d'un thrombus dans l'artère inter-ventriculaire antérieure et l'absence de lésion athéromateuse, qu'il s'agit d'un accident coronarien embolique, traité par thromboaspiration et renforcement de la thérapeutique par un antiagrégat plaquettaire, qu'en raison de la normalité de la coronarographie et de l'absence d'angioplastie cet événement est la conséquence de la présence d'une valve mécanique en position mitrale.'

Aucune critique pertinente n'est apportée à cet avis motivé émanant d'un professionnel spécialisé en cardiologie et maladies vasculaires, après consultation de l'entier dossier, qu'il s'agisse des données médicales ou relatives au produit litigieux et qui repose sur des données objectives et notamment des études scientifiques référencées aux pages 18 à 26 de son rapport.

La Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie ne produisent aucun élément technique de nature à remettre en cause cette conclusion.

A propos de l'atteinte mitrale, elles ne peuvent mettre en cause la validité de l'examen anatomopathologique réalisé par le professeur P., spécialiste de l'anatomopathologie cardio-vasculaire, dès lors que l'expert a pris l'initiative de recueillir l'avis de ce sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne, en vue de procéder à des investigations purement techniques, ce qui pouvait être fait hors la présence des parties, et que leur résultat matérialisé dans un rapport de 3 pages qui comprend toute une partie descriptive avant de donner un avis technique sur leur origine, a été communiqué à celles-ci dès avril 2014 pour qu'elles fassent part de leurs observations permettant une discussion médico-légale, préalablement au dépôt du 1er pré-rapport du 15 avril 2015 et du 2ème pré rapport du 2 juin 2016 à l'issue desquels l'expert a répondu à l'ensemble des dires des parties dans son rapport définitif du 30 octobre 2015.

Leur critique de la teneur de cet avis sapiteur fondé sur le fait que le précédent examen réalisé en 2010 concluait à des lésions de type dégénératif et non médicamenteux ne peut être admise dès lors que ce technicien a expliqué que les lésions en matière de valvulopathies imputables au Médiator(r) 'sont des lésions qui ont été souvent méconnues, parfois difficiles à mettre en évidence et qui ne sont pas connues des anatomo-pathologistes généraux, les anatomo-pathologistes spécialisés en pathologie cardiovasculaires sont peu nombreux' ; l'expert judiciaire explique lui-même que 'même si les valvulopathies au Benfluorex étaient connues lors de la réalisation du premier examen anatomopathologique les progrès techniques et notamment des colorations, une meilleure connaissance des lésions anatomopathologiques justifiait qu'il ait été réalisé un nouvel examen'.

Ce rapport peut donc servir de base au plan médico-légal pour la solution du litige.

Au terme d'une analyse détaillée et motivée, le sapiteur conclut que l'examen microscopique de la valve mitrale de Mme F. montre des lésions identiques à celles décrites au cours de la toxicité du benfluorex : lésions fibreuses sous endocardiques siègeant sur la face ventriculaire du feuillet valvulaire et les cordages, qu'il n'existe pas de lésion évocatrice d'une autre cause : absence d'inflammation, de calcification de néovascularisation significative pouvant faire évoquer une valvulopathie rhumatismale ou une valvulopathie inflammatoire d'une autre origine, absence de remaniement myxoïde faisant évoquer une valvulopathie dégénérative, ni de remaniement fibreux et calcifié évoquant une atteinte dégénérative liée au veillissement ; il cite à cet égard les principales publications et leurs auteurs, au nombre de six, parues de 2003 à 2011 décrivant les lésions indésirables des médicaments sérotoninergiques tels que fenfluramine, dexfenfluramine, benfluorex.

L'expert met en avant un autre élément, l'absence de rétrécissement mitral ou fusion commissurale, dont il souligne qu'elle n'est mentionnée sur aucun compte rendu ni d'échocardiographie ni émanant du chirurgien, ce qui est caractéristique des insuffisances valvulaires médicamenteuses.

En ce qui concerne l'atteinte tricuspide, le service de chirurgie cardiaque du CHU de Toulouse n'a pas été à même de préciser si l'insuffisance tricuspidinienne était organique en rapport avec le même processus qui avait atteint la valve mitrale ou fonctionnelle en rapport avec la modification de géométrie du ventricule droit.

Mais l'expert judiciaire explique que la logique est de considérer que le processus à l'origine de l'atteinte mitrale est, également, à l'origine de l'atteinte tricuspidienne et non d'une valvulopathie médicamenteuse, le principal argument pour une atteinte organique étant le caractère restrictif de la valve ; il souligne qu'il existe également une dilatation de l'anneau, ce qui est en faveur d'une atteinte fonctionnelle mais il précise que 'l'insuffisance valvulaire est le fait de la modification de géométrie du ventricule droit, conséquence de l'insuffisance cardiaque et de l'hypertension artérielle pulmonaire générée par l'atteinte mitrale antérieure, la correction de l'insuffisance mitrale n'ayant pas suffi à ce que le ventricule droit retrouve une géométrie normale' ; il conclut 'dans les deux hypothèses, l'atteinte tricuspidienne est la conséquence de l'exposition au Benfluorex, soit directement dans l'hypothèse organique, soit indirectement dans l'hypothèse fonctionnelle'

La Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie se bornent à évoquer les comptes rendus d'hospitalisation sans apporter le moindre élément technique de nature à contredire l'analyse expertale, argumentée à partir de l'ensemble des données disponibles.

A propos du syndrome coronarien aigu de février 2014, ces deux sociétés appelantes prétendent que son origine athéromateuse ne saurait être écartée de façon certaine dès lors que la présence d'athérome est notée en septembre 2010 et février 2014 au niveau de l'aorte horizontale et descendante et que Mme F. présente de nombreux facteurs de risque (HTA, hypercholestérolomie, tabagisme, intoxication éthylique chronique de 15 ans, obésité morbide, stérilet hormonal).

Mais l'expert judiciaire note que la présence d'un athérome de l'aorte, visualisée par un accident ischémique transitoire en 2010, ne saurait expliquer cet événement car 'la naissance de coronaires est située en amont de l'aorte horizontale de sorte que le point le plus probable de l'embolie est bien la valve mécanique en position mitrale' ; il fait remarquer que 'le caractère distal de l'occlusion, la revascularisation par thrombo-aspiration simple, sans angioplastie est en faveur d'un mécanisme embolique (survenue d'un caillot dans le sang formé ailleurs, au contact de la prothèse par exemple) qui s'engage dans l'artère et se retrouve bloqué quand le calibre de celle-ci diminue, créant une occlusion' ; il précise que 'la coronarographie n'a pas retrouvé de lésion athéromateuse des coronaires, que dans ces conditions le syndrome coronarien aigu ne peut pas être d'origine athéromateuse, comme l'extrême majorité de ces syndromes' ; il note 'qu'il existe par contre des lésions athéromateuses de l'aorte horizontale et descendante, que celles-ci ne sont pas susceptibles de déterminer un syndrome coronarien aigu puisque les coronaires prenaient leur naissance à la base de l'aorte, bien avant son segment horizontal' ; il souligne 'qu'au niveau cardiaque l'embole est nécessairement d'origine valvulaire' ; il ajoute que 'l'intoxication éthylique chronique n'est pas un facteur de risque pas plus que la contraception par stérilet hormonal et que le caractère embolique du syndrome coronarien aigu rend extrêmement improbable son origine athéromateuse'.

Cette analyse, à la fois motivée et reposant sur des constatations objectives et spécifiques, vient sérieusement démentir la position des sociétés appelantes basée sur la simple reproduction d'extraits sélectionnés de courriers médicaux, sans véritable argumentation.

L'ensemble de ces considérations médico-légales à la fois générales et spécifiques à Mme F. constituent autant de présomptions graves précises et concordantes au sens de l'article 1353 devenu 1382 du Code civil permettant de dire que l'apparition en novembre 2010 de la pathologie d'insuffisance mitrale puis en janvier 2011 d'insuffisance tricuspidienne et en février 2004 d'un syndrome coronarien aigu est imputable à l'exposition au Benfluorex pendant plusieurs années.

Sur le caractère défectueux du produit

Le défaut peut être lié à la conception ou à la fabrication du produit notamment sa substance ou son conditionnement et être à l'origine de dommages individuels ou sériels ; il peut aussi être lié à une information insuffisante sur les conditions de son utilisation, ses indications ou les risques encourus par l'utilisateur du produit.

Le seul fait qu'un produit soit à l'origine d'un dommage ne permet pas, cependant, de présumer ou de caractériser l'existence d'un défaut, un produit de santé comportant nécessairement des risques pour les patients.

Il y a donc lieu d'examiner le rapport bénéfice/risque, au vu notamment de la gravité des effets nocifs constatés, parfois mis en évidence grâce à l'évolution des connaissances scientifiques, et des bénéfices attendus, sachant que le fait que le produit ait été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou des normes existantes ou ait reçu une autorisation administrative ne constitue pas, conformément à l'article 1245-9 du Code civil, un obstacle à la reconnaissance d'un défaut du produit.

Le Médiator(r) composé de Benfluorex a obtenu une AMM le 16 juillet 1974 et a été commercialisé à compter du 27 août 1976 avec comme indication les troubles métaboliques glucido-lipidiques athérogènes, les troubles du métabolisme des lipides, les troubles du métabolisme des glucides ; cette AMM a été renouvelée en juillet 1979 avec deux indications : dans certaines hypercholestérolémies et hypertriglycéridémies endogènes de l'adulte et comme adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale puis révisée en 2007 en maintenant la seule indication adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale ; après la publication de plusieurs études d'efficacité du produit (Del Prato en 1997, Moulin en 2006, Regulate en 2010) et de lien entre le produit et la valvulopathie (groupe HTAP de Bretagne occidentale sur les patients hospitalisés de 2003 à 2009, Tribouilloy et autres en 2010, Weill basées sur les données de l'assurance maladie et du PMSI au cours de l'année 2006), il a fait l'objet d'une suspension d'AMM le 24 novembre 2009 suivie de son retrait définitif le 20 juillet 2010 en raison de données de pharmacovigilance pointant des risques accrus d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathies (cf pages 18 à 22 du rapport).

L'expert judiciaire explique dans son rapport que 'le Benfluorex est, après administration orale, métabolisé en Norfenfluramine, dont le mécanisme physiopathologique de la toxicité fait appel aux récepteurs sérorotoninergiques de type 5HT1 au niveau pulmonaire et 5HT2 au niveau des valves cardiaques, ce dernier englobant trois types de récepteurs : 5HT2A, 5HT2B et 5HT2C ; la stimulation du récepteur 5HT2B présent sur les valves mitrales et aortiques humaines est estimé responsable de l'induction de valvulopathie cardiaque chez l'homme par stimulation du développement et de l'activité des fibroblastes présents au sein du tissu valvulaire, ce qui induit la production et l'accumulation de protéines de type collagène provoquant ainsi une infiltration fibreuse des valves et des cordages, l'apparition de lésions valvulaires pouvant se faire après trois mois d'exposition au Médiator(r)'.

Dans sa réponse aux dires, il fait référence à un article de la revue prescrire paru en octobre 2003 qui notamment note que 'Le Benfluorex est commercialisé en France sous le nom de Médiator(r) comme traitement adjuvant des hyperglycéridémies et du diabète avec surcharge pondérale, sans preuve d'efficacité en termes de morbimortalité.

Une équipe espagnole a publié en 2003 une observation d'atteinte valvulaires multiples ayant conduit à la pose de prothèses valvulaires mitrale et aortique et à une valvulopathie tricuspidienne chez une femme de 50 ans traitée de façon intermittente par du Benfluorex comme anorexigène. L'examen histopathologique des valves a mis en évidence des lésions du même type que celles rapportées avec des dérivés de l'ergot de seigle, des tumeurs carcinoïdes, et des anorexigènes tels la fenfluramine ou la dexfenfluramine.

Malgré la parenté chimique du Benfluorex avec les anorexigènes amphétaminiques, le RCP (résumé des caractéristiques du produit) version dictionnaire Vidal 2003 reste aussi laconique que lénifiant. Cependant, à la lecture d'une autre rubrique du dictionnaire Vidal, au début de l'ouvrage, on remarque que Médiator(r) figure sur la liste des produits dopant au titre des stimulants, ce qui n'est évidemment pas le cas des hypolipémiants et antidiabétiques oraux. En revanche, c'est logiquement que la Sibutramine, le Buproprion, le méthylphénidate etc figurent sur cette liste avec le Benfluorex.

Au 20 août 2003 les données françaises pharmovigilance du Benfluorex n'ont pas été rendues publiques par l'Agence française des produits de santé...'et à un article de cette même revue paru en 2005 qui mentionne qu''en juin 2005 l'agence espagnole du médicament a annoncé une interdiction des préparations magistrales à base de divers produits amaigrissants dont le Benfluorex (Médiator(r)) ; c'est un dérivé de la Fenfluramine (ex Pondéral) et de la Dexfenfluramine (ex Isoméride), deux anorexigènes amphétaminiques retirés du marché du fait d'effets indésirables graves : hypertensions artérielles, pulmonaires et valvulopathies cardiaques. L'autorisation de mise sur le marché du Benfluorex a été retirée en Espagne le 28 mars 2003. Les autorités francaises seraient bien avisées de suivre l'exemple de l'Espagne.'.

Il fait également état des propos du docteur J. lors des XXIème journées européennes de la société française de cardiologie à propos des valvulopathies 'Les cas notifiés à l'AFSSAPS entre 1999 et 2007 (Marseille 1999, Toulouse 2004, 2005, 2006, 2007, Montpeliier 2005) et les quatre publiés (Ribeira 2003, Noize 2006, Doutet 2009, Gueffet 2010) .. les données pharmacologiques connues depuis 1997 font que la cardio toxicité du Benfluorex n'est pas une réelle surprise. La surprise est plus qu'on ne l'ait pas retiré du marché auparavant pour insuffisance du rapport bénéfice/risque'.

Il conclut 'ces citations montrent que, quelles que soient les décisions des autorités de santé, des signaux existaient bien avant 2009 pour remettre en cause le rapport bénéfice-risque du Benfluorex'.

Ces données mettent en évidence des risques graves liés à l'utilisation du produit que ne justifie pas le bénéfice qui en est attendu.

Elles font du Médiator(r) un produit défectueux comme n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre en ce que les risques afférents à son utilisation dépassent son intérêt thérapeutique et ces mêmes risques n'ont été portés à la connaissance ni des médecins ni des patients.

Sur le lien de causalité entre le défaut et le dommage

La survenue chez Mme F. d'insuffisance mitrale, de valvulopathie tricuspidienne et d'un syndrome coronarien aigu qui trouvent leur cause dans l'administration d'un produit défectueux ont été source de dommage corporel puisqu'elle a du subir deux interventions chirurgicales suivies de séjour en centre de réadaptation dont elle conserve des séquelles et qui doit être intégralement indemnisé.

L'expert B., qui souligne l'absence de tout état antérieur sur le plan cardio vasculaire, a procédé à l'évaluation du préjudice en retenant les seules incidences de la pathologie liée à l'exposition au Médiator(r) et en écartant celles issues de toute autre pathologie, notamment sa surcharge pondérale et son asthme.

Sur l'exonération pour risque de développement

Cette cause d'exonération prévue à l'article 1386-11 devenu 1245-10 du Code civil permet au producteur d'établir que l'état objectif des connaissances techniques et scientifiques, en ce compris son niveau le plus avancé, au moment de la mise en circulation du produit en cause ne permettait pas de déceler le défaut de celui-ci, étant souligné que la date à prendre en compte, dans le cas de produits fabriqués en série, est celle de la commercialisation du lot de produits dont le produit fait partie et que la connaissance personnelle qu'a pu avoir, ou non, la Sas Les Laboratoires S. est indifférente.

Elle implique de déterminer quel était l'état des connaissances scientifiques et techniques et des informations dont disposait le producteur entre 2001 et mars 2009, période d'exposition de Mme F. au produit.

La lecture du rapport d'expertise révèle que le Benfluorex a été interdit en 1995 en France dans les préparations magistrales.

En 1997 est publiée aux USA une série de 12 observations de valvulopathie sous anorexigènes (Dexfenfluramide) conduisant à leur retrait par la Food and Drugs Administration (FDA).

En 1997 une étude du professeur L. à la demande de l'Inspection Générales des Affaires Sociales (IGAS) met en évidence la filiation du Benfluorex aux fenfluramines.

A cette même date, l'agence du médicament suspend les autorisations de mise sur le marché de deux coupe faims le Pondéral et l'Isoméride (fenfluramines).

La commission d'AMM du 9 décembre 1999, qui a donné un avis défavorable à une demande d'extension de l'indication, a par ailleurs considéré que 'la tolérance du Benfluorex est remise en question en raison de la notification récente d'une hypertension artérielle pulmonaire d'allure primitive chez un patient de 51 ans traité par Benfluorex depuis quatre à cinq ans'.

En 1999 une première observation de valvulopathie aortique a été signalée à Marseille chez un patient exposé au Benfluorex ; une deuxième valvulopathie est signalée à Toulouse en 2002.

En 2003 le Benfluorex, commercialisé sous le nom de Modulator, est retiré en Espagne par le laboratoire soit postérieurement à la publication dans une revue espagnole de cardiologie d'un cas de valvulopathie.

Plusieurs notifications de mésusage du Benfluorex comme anorexigène sont transmises à l'agence du médicament entre 1998 et 2009.

Le compte rendu de la réunion du 29 novembre 2005 de la commission nationale de pharmacovigilance conclut que 'devant les différentes questions posées par l'enquête de pharmacovigilance, plusieurs membres de la commission ont souhaité une réévaluation du produit bénéfice/risque du produit' ; celui 27 mars 2007 note que 'les membres de la commission estiment, par ailleurs nécessaire, par rapport à une efficacité du produit jugée modeste par certains membres et établie sur un critère principal (baisse de l'HdA1c) dans la seule étude méthodologiquement acceptable (étude Moulin) de tenir compte dans la réévaluation du rapport bénéfice/risque du Médiator(r) i) du métabolisme du benfluorex conduisant à la formation d'un dérivé fenfluraminique ii) de ses effets indésirables neuropsychiatriques iii) des rares cas d'HTAP et de valvulopathies notifiés ou décrits pouvant faire évoquer un problème qualitatif similaire à celui ayant amené au retrait du marché des anorexigènes fenfluraminiques sérotoninergiques iv) d'une utilisation du produit essentiellement en France (88 % des ventes). Certains membres de la commission ont par ailleurs tenu à faire connaître leur opinion en se prononçant pour un rapport bénéfice/risque défavorable du Médiator(r)' ; celui du 7 juillet 2009 mentionne 'concernant les valvulopathies nous disposons d'une trentaine de cas entre 1998 et 2009 sous Médiator(r).. dont 19 issus de la notification spontanée et 11 cas identifiés par le CRPV de Brest à la suite de l'interrogation du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI)'.

En novembre 2009 l'AFSSAPS suspend l'autorisation des médicaments contenant du Benfluorex et en 2010 le retrait devient définitif.

Un document de cet organisme en date du 16 novembre 2010 relatif aux propriétés pharmacologiques et mode d'action du Médiator(r), mentionne à la rubrique 'récepteurs sérotoninergiques et valvulopathies' que 'C'est en 2000 que la norfenfluramine a été identifiée comme possédant une action agoniste sur les récepteurs 5-HT-2B (Fitzgerald 2000) présents au niveau des valves cardiaques. L'activation de ces récepteurs est proposée comme hypothèse expliquant l'atteinte cardiaque...

Des études ultérieures viendront étayer le rôle de ce métabolite au niveau des récepteurs 5-HT2B (Setola 2005, Roth 2007)'.

Il est donc établi que dès 1997 existaient des données scientifiques concordantes sur des effets nocifs du Médiator(r) qui auraient du conduire la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à des investigations sur la réalité du risque signalé et, à tout le moins, à en informer les médecins et les patients, ce qui n'a pas été le cas en France.

Ces sociétés appelantes réfutent, certes, toute similitude du Médiator(r) avec d'autres médicaments ayant une parenté chimique et une métabolite commune et jugés dangereux dès 1997 ; elles se prévalent, à cet égard, d'un rapport du professeur T. qui relève que 'si le métabolisme de la fenfluramine chez l'homme entretient la formation de norfenfluramine au même titre que le métabolisme du Benfluorex, les taux plasmatiques de norfenfluramine à l'équilibre sont différents pour chacun de ces médicaments et qu'il existe du fait de cette différence trois fois plus de produits toxiques dans le plasma après les prises thérapeutiques de fenfluramines (Pondéral ou Isoméride) qu'après celle de Benfluorex ; mais, selon les données pharmacologiques étudiées par le professeur L., 'les différences entre les doses préconisées pour les trois fenfluramines (dexfenfluramine 30 mg/j, fenfluramine 60 mg/j et Benfluorex 450 mg/j) correspondent en réalité aux doses nécessaires pour atteindre une même concentration plasmatique de norfenfluramine et, ce faisant pour obtenir une effet anorexigène comparable'.

L'apparition de publications mettant en cause le Médiator(r) comme étant à l'origine de dommages sériels suffit à écarter cette cause d'exonération, le risque de développement, qui s'apprécie de manière évolutive, étant suffisamment avéré avant la mise en circulation du produit incriminé administré à Mme F. entre 2001 et 2009.

*

Ainsi, la responsabilité de plein droit de la Sas Les Laboratoires S. et de la Sas Les Laboratoires S. Industrie envers Mme F. est engagée et ces sociétés doivent supporter la charge de l'intégralité des préjudices subis par cette victime consécutifs aux valvulopathies et au syndrome coronarien aigu sans pouvoir utilement invoquer la faculté d'exonération légale pour risque de développement.

Sur l'indemnisation

L'expert B. indique que Mme F. a présenté une insuffisance mitrale puis une insuffisance tricuspidienne responsables toutes deux d'une insuffisance cardiaque ayant motivé un remplacement valvulaire mitral sous circulation extra-corporelle puis la mise en place d'une bioprothèse en position tricuspidienne et a présenté également un syndrome coronarien embolique justifiant la réalisation d'une coronarographie puis d'une thrombo-aspiration dont elle conserve des séquelles.

Il conclut à :

en rapport avec les valvulopathies

- un déficit fonctionnel temporaire total du 21/09/2010 au 23/09/2010, 16/11/2010 au 26/11/2010, 26/11/2010 au 20/12/2010, 28/12/2010 au 14/01/2011, 14/09/2011 au 16/09/2011, 20/11/2011 au 1/12/2011, 2/12/2011 au 8/12/2011, 3/01/2012 au 9/01/2012

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 60 % du 21/12/2010 au 27/12/2010, 09/12/2011 au 02/01/2011

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 40 % du 25/08/2010 au 20/09/2010, 24/09/2010 au 15/11/2010, 15/01/2011 au 14/02/2011, 15/02/2011 au 13/09/2011, 17/09/2011 au 19/11/2011

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 30 % du 10/01/2012 au 9/04/2012

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 20 % du 15/01/2011 au 14/02/2011 et du 10/04/2012 au 13/09/2012

- une consolidation au 13 septembre 2012

- des souffrances endurées de 6/7

- un préjudice esthétique temporaire de 2/7

- un déficit fonctionnel permanent de 20 %

- un préjudice esthétique permanent de 1/7

- un besoin d'assistance de tierce personne à raison de

2 heures par jour du 21/12/2010 au 27/12/2010

2 heures 3 fois par semaine (courses, ménage) entre le 24/03/2011 et le 20/11/2011

2 heures par jour du 3 au 9 janvier 2012

2 heures trois fois par semaine pendant un mois

en rapport avec le syndrome coronarien aigu

- un déficit fonctionnel temporaire total du 24 au 28 février 2014

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 60 % du 1/03/2014 au 15/03/2014

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 30 % du 16/03/2014 au 15/05/2014

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 20 % du 16/05/2014 au 4/12/2014

- une consolidation au 4/12/2014

- des souffrances endurées de 2/7.

Son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime (née le 30 mai 1966), de son activité (agent d'entretien) de la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 applicable quel que soit l'événement dommageable, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

Par ailleurs, l'évaluation du dommage doit être faite au moment où la cour statue ; le barème de capitalisation utilisé sera celui publié par la Gazette du Palais de mars 2013 taux d'intérêt 1,20 % sur lequel les deux parties s'accordent.

Toutes les prestations dont le remboursement est sollicité par la Cpam sont détaillées dans leur nature, leur date et leur montant ; elles sont étayées par un certificat d'imputabilité établi par le médecin conseil de l'organisme social comme en relation avec le dommage né des seules valvulopathies cardiaques imputables à la prise de Médiator(r), telles que mentionnées dans le rapport d'expertise judiciaire, tous soins ou prestations en espèces étrangers à cette pathologie ayant été écartés.

Préjudices patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Dépenses de santé actuelles 74 009,35 €

Ce poste est constitué des frais d'hospitalisation (55 447,88 €), frais médicaux (14 177,85 €) et pharmaceutiques (3 955,58€) frais de transport (428,04 €) pris en charge par la Cpam soit 74 009,35 €, la victime n'invoquant aucun frais de cette nature restée à sa charge.

- Frais divers 1 450,00 €

Ils sont représentés par les honoraires d'assistance aux réunions d'expertise par le docteur J., médecin conseil, soit 1 450 € au vu des factures produites (250 € + 1 200 €).

Cette dépense supportée par la victime, née directement et exclusivement de l'exposition au Médiator(r), est par la même indemnisable.

- Perte de gains professionnels actuels 13 096,45 €

Ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus.

Mme F. agent technique territorial 2ème classe catégorie C exerçant à temps partiel à raison de 17 h 30 hebdomadaires percevait au vu de son avis d'imposition 2010 (revenus de l'année 2009) un revenu net imposable de 8 012 € par an soit 667,66 € par mois.

Au vu des explications reçues et des pièces justificatives produites et notamment des arrêtés portant congé de grave maladie pour sa pathologie valvulaire à compter du 2 août 2010, des avis d'imposition sur le revenu 2011, 2012, 2013 (revenus 2010, 2011, 2012), des bulletins de paie de janvier 2009 et décembre 2011, elle a continué à percevoir son entier traitement jusqu'au 1er août 2011, date à laquelle elle n'a perçu qu'un demi-traitement, comme confirmé par son bulletin de paie de décembre 2011.

Sa perte personnelle de gains s'établit, ainsi, pour la période du 2 août 2011 au 13 septembre 2012 soit durant 13 mois à la somme de 4 339,79 €.

La Cpam justifie avoir versé pour son compte à l'employeur la somme de 8 756,66 € pour la période du 25 août 2010 au 13 septembre 2012 soit 751 jours sur la base de 11,66 € par jour qui revient à ce tiers payeur.

- Assistance de tierce personne 3 840,00 €

La nécessité de la présence auprès de Mme F. d'une tierce personne pour l'aider dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, suppléer sa perte d'autonomie est retenue par l'expert judiciaire.

L'indemnité allouée par le premier juge à hauteur de 3 840 € sur la base d'un tarif horaire de 15 € appliqué à l'étendue de l'assistance médicalement admise selon calcul détaillé présenté par la victime ne fait l'objet d'aucune critique de la part de l'une ou l'autre des parties.

Préjudices patrimoniaux

permanents (après consolidation)

- Dépenses de santé futures 42 982,15 €

Ce poste vise les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation et incluent les frais liés soit à l'installation de prothèses soit à la pose d'appareillages spécifiques nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique.

Il est constitué des frais futurs prévus par l'organisme social

* à titre viager calculés sur la base d'un remboursement à 100 % à hauteur de 15 217,46 € au titre des frais de suivi médical (138,75 € par an pour une consultation, électrocardiogramme, échographie cardiaque), des frais de pharmacie (334,8 € par an) et des frais de biologie (121,44 € par an) soit 594,99 € par an capitalisé selon l'euro de rente viagère de l'arrêté du 29 janvier 2013, barème réglementaire prévu à l'article R. 376-1 du Code de la sécurité sociale, selon l'âge de la victime à la consolidation, soit un indice de 25,576.

à titre occasionnel pour les frais de renouvellement de la bioprothèse tricuspide calculés sur la base d'un remboursement à 100 % (bilan pré opératoire : 1 087,20 €, frais de séjour et d'intervention : 22 325 €, suivi post opératoire : 4 352,49 €) à hauteur de 27 764,69 €

- Perte de gains professionnels futurs 151 760,42 €

Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.

Mme F. a été maintenue en congé grave maladie jusqu'au 1er août 2013 avec perception d'un demi traitement du 13 septembre 2012 à juillet 2013 puis licenciée pour inaptitude le 1er février 2014.

Les parties s'accordent sur la réalité de cette perte de gains professionnels futurs et sur le montant du salaire qui doit servir de base à son calcul soit 667,66 € par mois ; elles ne s'opposent que sur la durée à prendre en considération, soit à titre viager comme retenu par le premier juge conformément à la demande de la victime soit à titre temporaire jusqu'à l'âge de la retraite comme soutenu par les sociétés appelantes.

En l'absence de tout relevé de carrière versé aux débats par Mme F. ou de tout renseignement fourni sur son parcours professionnel antérieur à son embauche par la mairie de Castanet Tolosan le 1er décembre 2006, de son âge au jour de la consolidation (46 ans) et de son licenciement (47,5 ans), du fait qu'elle perçoit une pension d'invalidité qui donne lieu à validation gratuite de trimestres assimilés à des périodes d'assurance pour le calcul de la pension vieillesse (article R. 351-12 3° du Code de la sécurité sociale), le choix d'un indice temporaire s'impose.

Pour la période passée du 13 septembre 2012, date de la consolidation, jusqu'au prononcé du présent arrêt 13 août 2018 l'indemnisation se fera

sur la base mensuelle de 333,83 € (667,66 €/2 par mois) jusqu'au 31 juillet 2013 soit 3 505,21 € (333,83 € x 10,5 mois)

sur la base mensuelle de 667,66 € du 1er août 2013 au 31 janvier 2014 soit 4 005,96 € (667,66 x 6 mois)

sur la base mensuelle de 667,66 € du 1er février 2014 au 13 août 2018 soit 36 387,47 € (667,66 x 54,5 mois)

ce qui donne une indemnité de 43 898,64 €

Pour l'avenir, le montant annuel de 8 131,92 € (667,66 € x 12 mois) doit être capitalisé selon l'euro de rente temporaire jusqu'à 67 ans, âge limite de mise à la retraite pour une femme âgée de 52 ans au 13 août 2018 soit un indice de 13,264 et une indemnité de 107 861,78 €.

L'indemnité globale s'établit ainsi à la somme de 151 760,42 €.

La Cpam de la Haute Garonne a réglé une pension d'invalidité de 56 245,71 € soit 11 238,84 € au titre des arrérages échus au 22 janvier 2016 (qui sont annuellement revalorisés) et 45 006,87 € au titre du capital constitutif qui s'impute sur ce poste de dommage qu'elle a vocation à réparer.

Ce tiers payeur sera intégralement désintéressé et une indemnité de 95 514,71 € revient personnellement à Mme F..

- Incidence professionnelle 20 000,00 €

Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle.

La perte de capacités fonctionnelles de Mme F. a contribué à mettre prématurément fin à son parcours professionnel, à causer la perte d'une partie de son identité sociale, à la priver de toute évolution de carrière et induire des incidences péjoratives sur sa future retraite.

Au vu de l'ensemble de ces données, de l'âge de la victime au jour de son licenciement, l'indemnité pour l'incidence de son invalidité liée aux pathologies valvulaires sur la sphère professionnelle doit être fixée à 20 000,00 €.

Préjudices extra-patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Déficit fonctionnel temporaire 10 312,92 €

Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence et le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.

Il doit être réparé sur la base de 24,30 € par jour, comme demandé, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie soit pour le déficit fonctionnel temporaire en rapport

avec les valvulopathies : 2 089,80 € pendant la période d'incapacité totale de 86 jours et proportionnellement pendant la période d'incapacité partielle à 60 % de 32 jours soit 466,56 €, à 40 % de 386 jours soit 3 751,92 €, à 30 % de 91 jours soit 663,39 €, à 20 % de 188 jours soit 913,68 € soit au total 8 541,45 €

le syndrome coronarien aigu : 121,50 € pendant la période d'incapacité totale de 5 jours et proportionnellement pendant la période d'incapacité partielle à 60 % de 15 jours soit 218,70 €, à 30 % de 61 jours soit 444,69 €, à 20 % de 203 jours soit 986,58 € soit au total 1 771,47 €

- Souffrances endurées 48 000,00 €

Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime en raison, pour les pathologies valvulaires de plusieurs mois d'insuffisance cardiaque, de deux interventions chirurgicales sous circulation extra corporelle, deux bilans préopératoires, deux séjours en réadaptation puis pour le syndrome coronarien aigu d'une décompensation psychiatrique ; évalué respectivement à 6/7 et 2/7par l'expert, il justifie l'octroi d'une indemnité globale de 48 000 € sollicitée par la victime.

- Préjudice esthétique temporaire 3 000,00 €

Ce poste de dommage cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement les éléments de nature à altérer l'apparence physique

Qualifié de 2/7 au titre des périodes d'insuffisance cardiaque, d'hospitalisation pour bilan et remplacement valvulaire, il doit être indemnisé à hauteur de 3 000 €, comme demandé.

permanents (après consolidation)

- Déficit fonctionnel permanent 40 800,00 €

Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiale et sociales).

Il est caractérisé par une limitation fonctionnelle en rapport avec le caractère restrictif de la prothèse mitrale, avec contrainte thérapeutique, notamment un traitement anticoagulant et une surveillance régulière, ce qui conduit à un taux de 20 % en rapport avec la seule cardiopathie valvulaire justifiant l'indemnité sollicitée de 40 800 € pour une femme âgée de 48 ans à la consolidation.

- Préjudice esthétique 1 500,00 €

Qualifié de 1/7 pour une cicatrice de sternotomie, il doit être indemnisé à hauteur de 1 500 €.

- Préjudice sexuel 15 000,00 €

Ce poste répare les préjudices touchant la sphère sexuelle comprenant le préjudice morphologique (atteintes aux organes sexuels), le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même (perte de la libido, de la capacité à réaliser l'acte ou à accéder au plaisir) et l'impossibilité ou difficulté à procréer.

L'expert retient comme médicalement justifiées les difficultés alléguées par la victime au cours des relations en précisant 'qu'il est habituel que les patients ayant bénéficié d'un remplacement valvulaire sous circulation extracorporelle présentent des difficultés sexuelles' ; l'indemnité de 15 000 € allouée par le premier juge assure la réparation intégrale de ce chef de dommage.

Le préjudice corporel global subi par Mme F. s'établit ainsi à la somme de 425 751,29 €, dont 181 993,87 € revenant à la Cpam de la Haute Garonne et 243 757,42 € revenant à la victime, sauf à déduire les provisions versées.

Conformément à l'article L. 376-1 du Code de procédure civile la Cpam de la Haute Garonne ne peut obtenir la condamnation de la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à lui payer le capital représentatif de la pension d'invalidité et des frais futurs qu'au fur et à mesure du paiement effectif de ces sommes.

Les sommes allouées au tiers payeur portent intérêt au taux légal en application de 1153 devenu 1231-6 du Code civil à compter du 26 janvier 2016, date de signification des conclusions en réclamant paiement devant le tribunal, ce qui vaut mise en demeure ; en effet, la créance de l'organisme social dont le recouvrement est poursuivi par subrogation dans le droit d'action de la victime n'est pas indemnitaire et se borne au paiement d'une somme d'argent.

L'indemnité revenant personnellement à la victime porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 24 mars 2016 à hauteur de 198 916,67 € et du prononcé du présent arrêt soit le 13 août 2018 à hauteur de 44 840,75 € en application de l'article 1153-1 devenu 1231-7 du Code civil.

Sur le préjudice des victimes par ricochet

Le préjudice d'affection ou moral subi par le mari et les enfants résulte suffisamment de la nature des atteintes présentées par la victime directe avec son retentissement avéré pour les membres du proche entourage ; il a été correctement indemnisé par le tribunal par l'octroi des sommes respectives de 15 000 € pour M. F. et de 8 000 € pour chacun de Marine P., Gauthier P., Margaux F. et Arnaud F. qui en assure la réparation intégrale.

L'existence du préjudice sexuel du mari est également avéré et le montant de 8 000 € alloué par le premier juge doit également être confirmé.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

La Cpam de la Haute Garonne est, également, en droit de réclamer l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale qui diffère tant par ses finalités, que par ses modalités d'application, des frais irrépétibles exposés non compris dans les dépens de l'instance qui n'est due qu'une fois pour toute la durée de celle-ci et qui doit être portée à la somme actualisée de 1 055 € comme demandé.

La Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie qui succombent dans leurs prétentions et qui sont tenues à indemnisation supporteront la charge des entiers dépens d'appel et doivent être déboutées de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer à Mme F. une indemnité de 8 000 € et à la Cpam de la Haute Garonne celle de 1 000 €, au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs, La Cour,- Confirme le jugement, hormis sur le montant de l'indemnisation de la victime et des sommes lui revenant, sur l'indemnité forfaitaire de gestion et le point de départ des intérêts légaux de la créance du tiers payeur ; Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,- Fixe le préjudice corporel global de Mme F. à la somme de 425 751,29 €.- Dit que l'indemnité revenant au tiers payeur s'établit à 181 993,87 € et à la victime personnellement à 243 757,42 €. - Condamne in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à payer à Mme F. les sommes de 243 757,42 €, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2016 à hauteur de 198 916,67 € et du 13 août 2018 à hauteur de 44 840,75 €, 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel. - Condamne in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Garonne la somme de 94 004,85 € au titre des débours exposés avec intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2016, les arrérages à échoir de la pension d'invalidité et des frais futurs, au fur et à mesure de leurs échéances, à moins qu'elles ne préfèrent se libérer par le versement immédiat des sommes respectives de 45 006,87 € et 42 982,15 €, la somme de 1 055 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel. - Déboute la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie de leur demande au titre de leurs propres frais irrépétibles exposés. - Condamne in solidum la Sas Les Laboratoires S. et la Sas Les Laboratoires S. Industrie aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.