CA Douai, 1re ch. sect. 2, 30 août 2018, n° 16-07690
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ecodis (SARL)
Défendeur :
Pizza City (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bech
Conseillers :
MM. Loubière, Le Pouliquen
Avocats :
Mes Carlier, Lefèvre, Franchi, Feschet
Vu le jugement rendu le 29 septembre 2016 par le Tribunal de grande instance de Lille;
Vu la déclaration d'appel de la société Ecodis reçue au greffe de la cour d'appel le 21 décembre 2016;
Vu les conclusions de la société par actions simplifiée Pizza City déposées le 20 février 2018;
Vu les conclusions de la société Ecodis déposées le 26 mars 2018;
Vu l'ordonnance de clôture prise le 19 avril 2018;
EXPOSE DU LITIGE
La société à responsabilité limitée Pizza City a développé un réseau de magasins proposant en restauration ou vente à emporter des Pizzas, salades ou produits italiens. Pour ce faire, elle a conclu plusieurs contrats de franchise, dont l'un avec la société Ecodis. Par ailleurs la SARL Pizza City a déposé une marque semi figurative Pizza City le 10 juin 2010.
Par acte du 21 novembre 2014, la société par actions simplifiée Pizza City, ci-après désignée Pizza City, a acheté le fonds de commerce de la SARL Pizza City, comprenant notamment la marque déposée le 10 juin 2010. La cession de la marque a fait l'objet d'une inscription au registre national des marques le 27 décembre 2014.
Pour sa part, la société Ecodis a refusé le "transfert" de son contrat de franchise à la société Pizza City qui l'a alors mise en demeure de cesser d'utiliser la marque Pizza City.
Ayant constaté que la société Ecodis continuait l'usage de sa marque à titre d'enseigne, la société Pizza City l'a assignée devant le Tribunal de grande instance de Lille pour faire cesser ce qu'elle considérait comme des actes de contrefaçon.
Par le jugement susvisé, le Tribunal de grande instance de Lille a dit que la société Ecodis s'était rendue coupable de contrefaçon à l'encontre la société Pizza City pour l'usage de la marque Pizza City, l'a condamnée à payer à la société Pizza City la somme de 10 000 à titre de dommages intérêts et à cesser d'utiliser la marque, sous astreinte, a débouté la société Pizza City de sa demande de publication du jugement et a condamné la société Ecodis au paiement de la somme de 2 500 au titre des frais irrépétibles.
Par ses conclusions susvisées, la société Ecodis demande à la cour, d'abord de constater qu'elle n'a pas introduit de nouvelles demandes en cause d'appel, d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lille ou, " à tout le moins " de condamner la société Pizza City à lui payer des dommages intérêts d'un montant égal à celui de la condamnation prononcée contre elle, subsidiairement de juger que la société Pizza City doit respecter le contrat de licence de marque jusqu'en nombre 2015 et de débouter la société Pizza City de ses demandes, plus subsidiairement de limiter le montant des dommages intérêts dus à la société Pizza City à la somme de 5 510 , en toute hypothèse de juger que la demande d'astreinte de la société Pizza City est sans objet et d'infirmer sur ce point le jugement du tribunal de grande instance et de condamner la société Pizza City à lui payer la somme de 1 000 au titre des frais irrépétibles.
Par ses conclusions susvisées, la société Pizza City demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Ecodis de ses demandes et l'a condamnée au titre de la contrefaçon, à titre principal de déclarer irrecevables comme nouvelles les demandes de la société Ecodis tendant à la voir condamner au paiement de dommages intérêts, de juger que ces demandes sont sans lien avec les demandes principales et relèvent de la compétence du tribunal de commerce de Dunkerque, de la débouter de ces demandes, de réformer le jugement entrepris sur le montant des dommages intérêts qui lui ont été alloués et de condamner la société Ecodis à lui payer à ce titre la somme de 35 000 , d'ordonner la publication de la décision dans trois revues ou périodiques, de condamner la société Ecodis sous astreinte à cesser d'utiliser les marques et signes distinctifs du réseau Pizza City et de condamner la société Ecodis à lui payer la somme de 7 500 au titre des frais irrépétibles.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions ci dessus visées.
DISCUSSION
Sur les fins de non recevoir soulevées par la société Pizza City.
L'article 564 du Code de procédure civile dispose que les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation.
Si la société Ecodis n'avait pas présenté en première instance les demandes formées en cause d'appel et tendant à la condamnation de la société Pizza City au paiement de dommages intérêts aux titres de l'opposabilité à celle ci du contrat du franchise et d'une faute commise par la société Pizza City dans l'exercice d'une action en contrefaçon, il doit être constaté que ces demandes visaient à la compensation avec celles de la société Pizza City puisque le montant des dommages intérêts réclamés doit correspondre très exactement selon la société Ecodis à celui de la demande indemnitaire de la société Pizza City au titre de la contrefaçon.
Ces demandes sont dès lors recevables.
Au fond
Par lettre du 29 août 2014, le gérant de la SARL Pizza City a informé la société Ecodis qu'il procédait à la " vente de son affaire ", en indiquant que la cession n'entraînerait " aucune modification dans le mode de fonctionnement de la franchise ". Par lettre du 5 septembre 2014, la société Ecodis faisait savoir qu'elle s'opposait à " la vente que vous annoncez ". Elle a ensuite laissé sans réponse une lettre de la société Pizza City la mettant en demeure d'exprimer son choix quant à la poursuite avec elle des relations contractuelles nées de la franchise. Enfin, par lettre du 10 mars 2015, la société Pizza City interprétait par la voix de son conseil le silence de la société Ecodis comme valant refus de la poursuite du contrat de franchise.
Le contrat de franchise étant un contrat conclu "intuitu personae", sa cession ou transmission à un tiers par le franchiseur est soumise à l'accord du franchisé.
Par l'effet de la vente du fonds de commerce de la SARL Pizza City comprenant expressément, aux termes du contrat de vente, la marque litigieuse, le contrat de franchise conclu entre les sociétés SARL Pizza City et Ecodis ne pouvait plus être utilement poursuivi en l'absence de l'un de ses éléments essentiels.
En conséquence, la société Ecodis ne peut opposer le contrat de franchise à la société Pizza City pour prétendre qu'il lui permettait d'exploiter la marque Pizza City jusqu'au terme fixé par le contrat puisque cette exploitation était rendue impossible par le transfert de la marque et des droits s'y attachant à la société Pizza City et que la société Ecodis avait refusé la cession du contrat de franchise.
Par ailleurs, aucune circonstance de l'espèce ne caractérise une immixtion de la société Pizza City dans l'exécution du contrat de franchise antérieurement à la vente du fonds de commerce à son profit et le simple fait d'acquérir ce fonds comprenant la marque Pizza City ne peut constituer pour elle une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société Ecodis, même si elle avait connaissance du différend opposant la SARL Pizza City et la société Ecodis au sujet du sort du contrat de franchise, alors qu'il n'est pas démontré qu'elle a, de mauvaise foi, incité la SARL Pizza City à vendre son fonds de commerce en vue de créer un préjudice au détriment du franchisé et qu'au contraire elle ne s'est pas opposée à la poursuite du contrat de franchise avec la société Ecodis.
Dès lors, le comportement fautif prêté à la société Pizza City n'étant pas établi, la demande indemnitaire de la société Ecodis fondée sur la faute imputée à cette dernière ne peut prospérer. De même, la société Pizza City n'est pas empêchée d'agir en contrefaçon contre la société Ecodis, étant observé au demeurant que la faute alléguée par celle ci, à la supposer prouvée, n'aurait pas été un obstacle à toute action en contrefaçon contre la société Ecodis puisqu'elle était privée de tout droit à exploiter la marque franchisée par l'effet de sa cession à un tiers.
D'autre part, la cession de la marque Pizza City a été rendue opposable à la société Ecodis par sa publication par inscription au registre national des marques. Et à compter de cette inscription, la société Ecodis avait perdu tout droit à exploiter la marque, le contrat de franchise ne lui donnant plus cette faculté puisque sa cocontractante était dépossédée du droit de lui concéder l'exploitation de la marque. Pour sa part, la cessionnaire de la marque tirait de la cession la possibilité de protéger la marque et de faire cesser toute atteinte à ses droits de titulaire de celle-ci.
Comme l'ont indiqué les premiers juges, deux procès-verbaux de constat dressés les 5 mars et 13 avril 2015 révèlent que la société Ecodis continuait alors d'utiliser la marque Pizza City en l'apposant sur la façade de son établissement, sur des fanions installés sur le trottoir en face de celui ci et sur deux véhicules.
Or l'article 713-3 du Code de la propriété intellectuelle interdit sauf autorisation du propriétaire d'une marque la reproduction, l'usage ou l'apposition de celle ci pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement. Il n'est pas contesté que la société Ecodis mène dans son commerce la même activité que celle que développait la SARL Pizza City notamment au travers des contrats de franchise.
Les faits de contrefaçons imputés à la société Ecodis ne sont pas contestables et d'ailleurs pas contestés.
Selon l'article L. 716-14 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, la juridiction peut à titre d'alternative à l'appréciation des dommages intérêts fixés en fonction des critères définis à l'alinéa 1er et à la demande de la partie lésée, lui allouer une somme forfaitaire qui doit être supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.
La société Pizza City sollicite l'application de ce texte.
Le contrat de franchise fixe le montant de la redevance due par le franchisé à 4 % du chiffre d'affaires hors taxes. Les parties s'accordent pour indiquer que le chiffre d'affaires pour l'année 2014 s'est élevé en l'espèce à 165 364 hors taxes, de sorte que le montant mensuel de la redevance s'établissait à 551 .
La société Pizza City peut exercer les droits attachés à la marque éponyme à compter de la date de l'inscription de la cession à son profit au registre national des marques, soit à compter du 23 décembre 2014. La société Pizza City prend en compte une période de contrefaçons se prolongeant jusqu'au mois d'octobre 2015 et la société Ecodis ne remet pas en cause la durée de 10 mois retenue par les premiers juges. La société Pizza City revendique en outre un préjudice moral qui peut être indemnisé puisque selon le texte précité l'indemnité forfaitaire dont il fixe le montant n'est pas exclusive d'un tel préjudice. En revanche, seul le préjudice de cette nature peut être considéré. Au demeurant, le préjudice évoqué par la société Pizza City et qui tiendrait à "la banalisation et de la dilution de la marque" s'apparente au préjudice moral. La société Pizza City ne rapporte pas la preuve de la gène évoquée par elle dans le développement de son réseau. Et les tentatives vaines d'éviter un litige ne sauraient constituer un préjudice indemnisable.
En fonction de ces considérations, il convient de constater que les premiers juges ont procédé à une exacte évaluation du préjudice forfaitaire dû à raison des actes de contrefaçon litigieux.
D'autre part, alors que la société Ecodis établit qu'elle a en octobre 2015 passé commande d'encarts publicitaires comportant pour la désigner une autre dénomination que Pizza City, la société Pizza City ne rapporte pas la preuve d'actes de contrefaçon après le mois d'octobre 2015. La demande tendant à la voir cesser la commission de tels actes ne peut aboutir.
Les premiers juges ont relevé à juste titre que le préjudice subi par la société Pizza City en raison de la contrefaçon est suffisamment réparé par l'allocation d'une indemnité sans qu'il soit besoin d'ajouter une mesure de publication et les circonstances de l'espèce ne caractérisent pas une action contrefaisante d'une importance telle que la publication du présent arrêt soit nécessaire à l'information du public sur le phénomène de la contrefaçon. Il convient ainsi de confirmer le rejet par les premiers juges de la demande de publication.
En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Pizza City les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel. La société Ecodis sera condamnée à ce titre, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, au paiement de la somme de 2 000 .
Par ces motifs : LA COUR, Rejette la fin de non recevoir soulevée par la société Ecodis. Confirme le jugement entrepris sauf sur la condamnation à cesser l'utilisation de la marque litigieuse. Statuant sur le chef infirmé et ajoutant: Déboute la société Pizza City de sa demande tendant à voir condamner sous astreinte la société Ecodis à cesser d'utiliser la marque Pizza City enregistrée sous le numéro 3745384. Déboute la société Ecodis de ses demandes indemnitaires. Condamne la société Ecodis à payer à la société Pizza City la somme de 2 000 au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Déboute la société Ecodis de sa demande formée en première instance et en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Ecodis aux dépens d'appel.