CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 septembre 2018, n° 17-01364
REIMS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
AMC2 (EURL)
Défendeur :
Mod Distribution (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Conseillers :
Mmes Maussire, Mathieu
Exposé du litige
Le 22 juillet 2014, l'EURL AMC2 représentée par son gérant, Monsieur X a signé un contrat de franchise avec la SAS Mod Distribution portant sur la vente de cigarettes électroniques sous la dénomination "Clopizen Shop".
L'EURL AMC2 a signé un contrat de bail avec le magasin Casino de Celleneuve près de Montpellier pour s'implanter sur le parking et a acheté un module pour l'exploitation de son activité au moyen d'un crédit-bail.
N'ayant pas atteint les résultats espérés pour sa société, Monsieur X a liquidé amiablement sa société, laquelle a été radiée le 3 juin 2015 avec effet au 28 février 2015.
Par acte d'huissier en date du 3 septembre 2015, l'EURL AMC2 a fait assigner la SAS Mod Distribution devant le Tribunal de commerce de Troyes aux fins d'obtenir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :
- la résolution du contrat de franchise,
- la reprise des stocks avec remboursement sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement,
- la condamnation de cette dernière à lui payer les sommes de :
* 7 000 euros hors taxes au titre du premier loyer,
* 2 500 euros hors taxes au titre du remboursement de 50 % du droit de franchise acquittée,
* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,
* 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par requête en date du 29 mars 2016, Monsieur X en qualité de liquidateur amiable de l'EURL AMC2 a saisi le président du Tribunal de commerce de Montpellier, qui par ordonnance rendue le 1er juillet 2016 a désigné ce dernier en qualité de mandataire ad'hoc de l'EURL AMC2.
Par acte d'huissier en date du 3 mai 2016, Monsieur X, ès qualités a fait assigner la SAS Mod Distribution aux mêmes fins.
Les deux instances ont été jointes par décision du 23 mai 2016.
Par jugement rendu le 26 avril 2017, le Tribunal de commerce de Troyes a :
- déclaré nulle l'assignation délivrée le 3 septembre 2015 à la requête de l'EURL AMC2,
- déclaré recevable l'assignation délivrée par Monsieur X ès qualités,
- débouté Monsieur X de ses demandes,
- condamné Monsieur X à payer à la SAS Mod Distribution la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par un acte en date du 29 mai 2017, Monsieur X en qualité de mandataire ad hoc de l'EURL AMC2 a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 9 août 2017, Monsieur X ès qualités conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour, de:
- prononcer la résolution du contrat de franchise,
- d'ordonner la reprise des stocks avec remboursement sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement,
- de condamner la SAS Mod Distribution à lui payer les sommes de :
* 7 000 euros hors taxes au titre du premier loyer,
* 2 500 euros hors taxes au titre du remboursement de 50 % du droit de franchise acquittée,
* 30 000 euros à titre de dommages et intérêts (préjudice matériel et moral),
* 5 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Il expose que la SAS Mod Distribution n'a été immatriculée au RCS de Troyes que le 24 juin 2014, et qu'il est donc évident que le développement du réseau de franchise de cette dernière n'a pas pu exister auparavant. Il précise que la SARL Clopizen société qualifiée de " fille " par la SAS Mod Distribution exploitait un concept de petits magasins " urbains " et a créé le 15 décembre 2013 un nouveau concept de magasins " mobile " implantés sur des parkings de grandes surfaces : le Clopizen Shop. Il précise que la SARL Clopizen est également en liquidation judiciaire depuis le 22 septembre 2015 avec une clôture pour insuffisance d'actifs prononcée le 2 juin 2016.
Il soutient que l'objet même du contrat de franchise est inexistant dans la mesure où le seul trait commun entre la définition de la franchise et la réalité de la franchise Clopizen est l'existence d'une redevance et d'un investissement substantiel, alors qu'il n'a bénéficié d'aucune technique commerciale expérimentée mise au point et périodiquement recyclée d'une manière exclusive, ni même de méthodes qu'il aurait pu acquérir après de longs efforts de recherche.
Il fait valoir que la SAS Mod Distribution a manqué à son devoir d'information précontractuelle du franchiseur, en ne fournissant pas le dernier bilan d'entreprise du franchiseur et en ne respectant pas le délai légal de 20 jours entre l'offre et l'acceptation. Il ajoute que la nullité pour dol est également encourue car il a rencontré de nombreux problèmes de défectuosité concernant la marchandise sans avoir obtenu la reprise des produits.
Il insiste sur le fait que tous les investissements réalisés l'ont été en pure perte, de sorte que son préjudice financier est colossal.
Par ordonnance rendue le 30 novembre 2017, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions notifiées par la voie électronique le 6 novembre 2017 par la SAS Mod Distribution.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2018.
Motifs de la décision
A titre liminiaire, il convient de rappeler que les conclusions de l'intimée ayant été déclarées irrecevables par le conseiller de la mise en état suivant ordonnance du 30 novembre 2017, la cour ne peut pas statuer sur les écritures déposées par la SAS Mod Distribution le 6 novembre 2017, ni sur le dossier de plaidoiries remis par cette dernière.
Aux termes de l'article 1134 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes de l'article 1184 du Code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
Il résulte de la jurisprudence que le contrat de franchise est défini comme une méthode de collaboration entre deux ou plusieurs entreprises commerciales, l'une franchisante, l'autre franchisée, par laquelle la première propriétaire d'un nom ou d'une raison sociale connue, de signe, symbole, marque de fabrique, de commerce ou de service, ainsi que du savoir-faire particulier, met à la disposition de l'autre, le droit d'utilisation, moyennant une redevance ou un avantage acquis, la collection de produits ou de services originaux ou spécifiques pour exploiter obligatoirement et totalement selon les techniques commerciales expérimentées mises au point et périodiquement recyclées d'une manière exclusive afin de réaliser un meilleur impact sur le marché considéré et d'obtenir un développement accéléré de l'activité commerciale des entreprises concernées.
Ainsi, la franchise apparaît comme un système qui ouvre à des commerçants, dépourvus de l'expérience nécessaire, l'accès à des méthodes qu'ils n'auraient pu acquérir qu'après de longs efforts de recherche et les fait profiter de la réputation de la marque.
En l'espèce, le contrat de franchise exigeait un chiffre d'affaires annuel d'au moins 100 000 euros hors taxes et Monsieur X s'est trouvé très rapidement en difficulté financière et en a fait part à son franchiseur dès les deux premiers mois d'activité.
Ainsi dans un mail daté du 1er octobre 2014 adressé au responsable de la franchise, Monsieur X a écrit :
" Comme nous l'avons déjà évoqué, on est loin des résultats annoncés en comparaison du module de Troyes qui réalise entre 400 et 500 euros par jour avec un passage caisse de l'Intermarché 3 à 4 fois moins élevé que le Géant Casino de Celleneuve ! Mon panier moyen est très faible, l'implantation et le quartier en sont sûrement la cause et je pense que cela a été sous-estimé ; il faut donc soit augmenter le panier moyen soit créer du trafic, mais malheureusement à part les flyers, je n'ai pas pour le moment les moyens de communiquer : entre le stock à recomposer, le remboursement assurance toujours en attente, l'avance de TVA sur la vitrine (400 euros), la TVA sur les autres postes qui ne sera pas remboursée avant décembre (+/- 5 000) (...) et malheureusement, la collecte liée aux ventes est trop faible par rapport à celle avancée), le paiement du RSI, les honoraires comptables pour le trimestre.
Comme je te l'ai déjà dit, je suis extrêmement inquiet quand je regarde ces résultats et la prochaine étape sera de tirer un 1er bilan fin octobre et en attendant, je fais tout pour augmenter mon panier moyen sur chaque vente. Pour cela, il faut des produits fiables et comme je te l'ai signalé, j'ai eu quelques soucis avec des CE4. " Tu sais aussi bien que moi que c'est difficile de vendre une batterie 32,90 euros de qualité et un clearo mt3 à 9,90 euros qui se visse mal, au risque, en changeant de résistance, de faire couler le liquide ou ne plus pouvoir le dévisser (j'ai eu le cas) et qui en plus siffle énormément à l'aspiration (le sifflement est peut-être normal mais c'est difficilement vendable... perso, ça ne me plairait pas : je veux bien ton retour d'expérience si tu en as déjà vendu dans cette config ".
La qualité médiocre des produits transmis par le franchiseur s'est répercutée aussi sur les supports mis à la disposition de Monsieur X. Ainsi, dans un mail daté du 25 septembre 2014, il a indiqué :
" Un petit retour sur les flyers : contenu impeccable, il sont vraiment top mais on avait validé ! Par contre (photos) et je n'ai pas compté mais il y en a un bon paquet et surtout bien conditionné au milieu des autres qui présentent des défauts de couleurs ! Même chose pour certains autres avec un dégradé de couleurs ou des petites taches blanches sur le cadre gris. Le carton de transport est de mauvaise qualité, pas assez épais et rigide et ils ne sont donc pas assez protégés, ceux du dessus étaient abîmés, je n'ai pas regardé ceux du dessous ! Le prix est peut-être attractif mais la qualité n'est pas au rendez-vous ! ".
Il résulte de ces éléments qui n'ont pas été contestés par la SAS Mod Distribution en première instance que les techniques commerciales transmises par le franchiseur étaient défaillantes et que le concept vendu n'était pas viable.
En effet, la projection financière transmise par la SAS Mod Distribution lors de la signature du contrat de franchise est sans commune mesure avec les chiffres effectivement réalisés par le franchisé. Le responsable de la franchise dans un mail daté du 16 avril a annoncé à Monsieur X pour le site choisi à côté du supermarché Géant casino :
- un passage de 50 à 100 clients par jour
- un panier moyen de 20 euros par client,
- un chiffre d'affaires de minimum 1 000 euros par jour (en restant pessimiste), soit un chiffre d'affaires annuel de 144 000 euros.
Monsieur X a arrêté d'exploiter cette franchise en décembre 2014 et a liquidé amiablement sa société au premier semestre 2015. Il justifie de ce que deux autres implantations de " Clopizen Shop " ont également cessé leur exploitation en mai 2015 à Saint Julien les Villas et à Nîmes.
Dans ces conditions, constatant que la SAS Mod Distribution, sous couvert d'un amateurisme certain, n'a pas apporté à son franchisé les éléments nécessaires à la viabilité de son projet, l'exploitation du commerce dont s'agit ayant périclité de suite, il convient de prononcer la résolution du contrat de franchise aux torts exclusifs de la SAS Mod Distribution.
Monsieur X ne produit aucun élément concret au soutien de sa demande d'indemnisation de reprise des stocks, de sorte qu'il convient conformément à l'article 9 du Code de procédure civile, de le débouter de sa demande de ce chef.
En revanche, il résulte du contrat de franchise qu'il a versé un droit de franchise de 5 000 euros HT, un loyer de 7 000 euros HT et a investi du matériel pour l'achat et l'aménagement du module " Clopizen shop " pour un montant global de 20 000 euros. Il est indéniable que l'échec de ce projet a causé un préjudice moral à Monsieur X.
Aussi, au vu des demandes de réparation formées par Monsieur X, ès qualités, il convient de condamner la SAS Mod Distribution à lui payer les sommes de:
- 2 500 euros hors taxes au titre du droit de franchise,
- 7 000 euros hors taxes au titre du premier loyer,
- 21 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériel et moral.
Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, la SAS Mod Distribution succombant, elle sera tenue aux dépens de première instance et d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SAS Mod Distribution à payer à Monsieur X, ès qualités, la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande sur ce même fondement.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, Infirme le jugement rendu le 26 avril 2017 par le Tribunal de commerce de Troyes, en toutes ses dispositions. Et statuant à nouveau, Prononce la résolution du contrat de franchise passé entre la SAS Mod Distribution et la société EURL AMC2 aux torts exclusifs de la première. Condamne la SAS Mod Distribution à payer à Monsieur X, agissant en qualité de mandataire ad hoc de l'EURL AMC2, les sommes de: - 2 500 euros hors taxes au titre du droit de franchise, - 7 000 euros hors taxes au titre du premier loyer, - 21 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériel et moral. Déboute Monsieur X, agissant en qualité de mandataire ad hoc de l'EURL AMC2, de sa demande en paiement au titre de la reprise des stocks. Condamne la SAS Mod Distribution à payer à Monsieur X, agissant en qualité de mandataire ad hoc de l'EURL AMC2, la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles. La Déboute de sa demande sur ce même fondement. Condamne la SAS Mod Distribution aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.