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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 septembre 2018, n° 15-14289

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Les Montres Passy (SAS)

Défendeur :

Audemars Piguet France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Zerbib, Lallement, Vogel

T. com. Paris, du 17 juin 2015

17 juin 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Les Montres Passy commercialise des produits d'horlogerie de haut de gamme faisant l'objet d'une distribution sélective.

La société Audemars Piguet France, spécialisée dans le commerce d'articles d'horlogerie et de bijouterie, distribue en France les produits de la marque Audemars Piguet via un réseau de distribution sélective.

La société Les Montres Passy, membre du réseau de distribution sélective de la marque Audemars Piguet France depuis plusieurs années, a renouvelé le 18 juillet 2011 le contrat de distribution sélective avec la société Audemars Piguet France.

Le 25 septembre 2012, la société Les Montres Passy a reçu de la part de la société Audermars Piguet France une lettre recommandée avec accusé de réception annonçant la résiliation du contrat à effet du 31 décembre 2013.

Par acte du 27 mars 2014, la société Les Montres Passy a assigné la société Audemars Piguet France devant le Tribunal de commerce de Paris pour résiliation abusive du contrat du 25 septembre 2012.

Par jugement du 17 juin 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Les Montres Passy de sa demande de voir déclarer abusive, la rupture du contrat du 18 juillet 2011 la liant à la société Audemars Piguet,

- débouté la société Les Montres Passy de sa demande de dommages et intérêts,

- condamné la société Les Montres Passy à verser à la société Audemars Piguet la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires aux présentes dispositions,

- condamné la société Les Montres Passy aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La société Les Montres Passy a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 1er juillet 2015.

La procédure devant la cour a été clôturée le 22 mai 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 24 août 2015 par lesquelles la société Les Montres Passy, appelante, invite la cour, au visa des articles 1134 et 1382 anciens du Code civil, à :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 17 juin 2015,

- dire que la résiliation du contrat intervenue le 25 septembre 2012 à l'initiative de la société Audemars Piguet France et à son préjudice est abusive, en conséquence,

- condamner la société Audemars Piguet à lui payer la somme de 1 461 240 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Audemars Piguet à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner la société Audemars Piguet aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 25 avril 2018 par lesquelles la société Audemars Piguet France, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1134 ancien et 1103 du Code civil, de :

à titre principal,

- confirmer le jugement rendu le 17 juin 2015 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions.

en conséquence,

- débouter la société Les Montres Passy de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire,

- dire que la société Les Montres Passy ne justifie pas du préjudice qu'elle allègue, ni d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et les préjudices qu'elle excipe,

- débouter la société Les Montres Passy de ses demandes indemnitaires, en tout état de cause,

- condamner la société Les Montres Passy à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Les Montres Passy en tous les dépens dont distraction au profit de la Selarl BDL avocats conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la résiliation du contrat de distribution sélective

La société Les Montres Passy explique qu'elle a toujours rempli les critères imposés par la société Audemars Piguet France et que même au moment de la résiliation du contrat, elle répondait en tous points aux conditions d'agrément au réseau de distribution sélective de la marque Audemars Piguet. Elle fait valoir que la relation contractuelle entre les parties est bien une relation commerciale établie, de sorte qu'elle pouvait légitimement croire en une stabilité de sa relation avec la société Audemars Piguet France, au regard de la régularité de leurs rapports. Elle relève qu'elle ne pouvait pas s'attendre à ce que la société Audemars Piguet France résilie le contrat de distribution sélective qui les liait et qu'elle ne renouvelle pas ledit contrat. Elle souligne que le changement de position de la part de la société Audemars Piguet France intervient suite à l'ouverture d'une boutique à l'enseigne Audemars Piguet à Paris et d'un nouveau point de vente à l'enseigne Bucherer. Elle en conclut que la société Audemars Piguet l'a volontairement évincée de son réseau afin de pouvoir commercialiser directement ses produits et que cette attitude est déloyale.

En réplique, la société Audemars Piguet France fait valoir qu'en vertu de l'article 1.05 du contrat de distribution sélective, les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée qu'elles pouvaient choisir de ne pas renouveler en respectant un préavis par ailleurs supérieur au préavis contractuel. Elle estime que le préavis de quinze mois qu'elle a accordé à la société Les Montres Passy est tout à fait suffisant puisque le contrat prévoit le respect d'un préavis de six mois seulement. Elle soutient que la société Les Montres Passy ne pouvait croire que les relations existant entre elles allaient se pérenniser alors que le contrat qu'elles ont signé est à durée déterminée et qu'il est possible d'y mettre fin à tout moment, moyennant le respect d'un préavis minimal de six mois. Elle indique que ce n'est pas parce que sa relation contractuelle avec l'appelante était stable qu'elle n'avait pas le droit d'y mettre fin. Elle excipe qu'elle était en droit de ne pas renouveler le contrat la liant à la société Les Montres Passy et qu'elle n'a pas à motiver cette décision de non-renouvellement, dès lors que la société Les Montres Passy a bénéficié d'un préavis suffisant.

Le contrat du 18 juillet 2011 liant les parties dispose à son article 1.05 notamment : " Le présent Contrat entrera en vigueur pour une durée initiale commençant à courir à compter de la date d'exécution du présent Contrat mentionnée en tête des présentes et se terminera le 31 décembre de l'année en cours. Ce contrat sera automatiquement renouvelé par périodes successives d'1 an (un an), à moins qu'une partie ne notifie par écrit à l'autre, son choix de ne pas renouveler le Contrat, au moins 6 (six) mois avant la date d'échéance (...). En tout état de cause, le contrat expirera automatiquement au plus tard le 31 décembre suivant la 5e (cinquième) année consécutive d'exécution du contrat, la 1re (première) année d'exécution du Contrat étant définie comme l'année initiale d'exécution du Contrat jusqu'au 31 décembre de la première année d'exécution du Contrat (...)".

La société Les Montres Passy soutient vainement que la résiliation du contrat les liant par la société Audemars Piguet France par courrier du 25 septembre 2012 à effet au 31 décembre 2013, est déloyale pour lui avoir indiqué par courrier du 5 juillet 2011 notamment que " dans le cadre de l'évaluation annuelle des critères qualitatifs réalisée par Madame Anne Fabien, nous avons également le plaisir de vous informer que votre point de vente, situé 40, rue de Passy, 75116 Paris, réunit les conditions requises pour faire partie du réseau de distribution sélectif et distribuer ainsi les produits Audemars Piguet. En effet, sur la base des nouveaux critères qualité du nouveau Contrat Détaillant Agrées Audemars Piguet, votre point de vente a été classé Détaillant Audemars Piguet B+, avec un résultat de 45 points. Par le renforcement de sa politique sélective de ses détaillants, Audemars Piguet confirme sa volonté de maintenir un réseau de distribution européen de très haute qualité à l'image de ses produits et de vous maintenir dans le club très prestigieux des détaillants agréés Audemars Piguet ". En effet, chaque partie peut, aux termes du contrat, résilier celui-ci sans motiver sa décision, sous réserve de respecter la forme et le délai imposé par le contrat, et sous réserve de respecter un délai de préavis suffisant et de ne pas abuser de ce droit.

En l'espèce, la société Audemars Piguet France a respecté le délai contractuel, la société Les Montres Passy ayant bénéficié de 15 mois de délai de préavis, bien supérieur au préavis contractuel de 6 mois. Par ailleurs, le courrier du 25 septembre 2012 ne fait qu'informer la société Les Montres Passy qu'elle a été retenue pour faire partie du réseau de distribution sélectif pour distribuer ainsi les produits Audemars Piguet. Ce courrier ne constitue pas un engagement de la société Audemars Piguet France relatif à la durée minimum de conclusion du nouveau contrat. Bien au contraire, le contrat avait une durée maximum de 5 années.

La société Les Montres Passy ne démontre pas que la société Audemars Piguet France ait eu un comportement déloyal à son égard, étant relevé par ailleurs que la société Les Montres Passy ne reproche pas à cette dernière la brutalité de la rupture, la régularité, la stabilité et le caractère significatif de leurs relations étant sans incidence en l'espèce.

Il y a donc lieu de débouter la société Les Montres Passy de l'ensemble de ses demandes et de confirmer le jugement.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Les Montres Passy doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Audemars Piguet France la somme supplémentaire de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Les Montres Passy.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant ; Condamne la société Les Montres Passy aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Audemars Piguet France la somme supplémentaire de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.