CA Dijon, 2e ch. civ., 6 septembre 2018, n° 16-00636
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Benoit Ente (SARL)
Défendeur :
AWT Try (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
Mmes Dumurgier, Lavergne Pillot
Avocats :
Mes Cardinal, Gatti Chevillon
Faits, Procédure, Prétentions et Moyens des Parties
La SARL A Wine to try, dont Monsieur X est gérant, était agent commercial pour le compte de la SARL Benoit Ente, depuis l'année 2007, et avait pour mission de vendre une allocation annuelle de vins, dont les quantités, appellations et millésimes variaient en fonction de la production annuelle du domaine.
Il n'avait aucun secteur géographique déterminé et percevait une commission de 10 % en moyenne sur les ventes.
Il a notamment développé les marchés à destination des Etats Unis et de la Grande Bretagne.
Les relations entre les partenaires commerciaux s'étant dégradées, la SARL Benoit Ente a informé l'agent commercial de son intention de revoir sa méthode de commercialisation et de confier sa distribution à un unique importateur, par courrier électronique du 6 mars 2014.
Estimant que cette réorganisation emportait résiliation unilatérale du contrat d'agent commercial, la SARL A Wine to try a dénoncé la violation par sa co contractante de ses obligations de loyauté et de transparence et a constaté la rupture unilatérale de son contrat d'agent commercial, par lettre recommandée du 24 mars 2014.
Par courrier recommandé du 7 mai 2014, elle a mis en demeure la SARL Benoit Ente de lui payer l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce équivalant à deux années de commissions.
En l'absence de paiement, la SARL A Wine to try a fait assigner la SARL Benoit Ente et le Domaine Benoit Ente devant le Tribunal de commerce de Dijon, par acte d'huissier du 25 novembre 2014, afin de les voir condamner solidairement, au visa des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, à lui payer la somme de 5 687,12 TTC à titre d'indemnité en réparation du préjudice résultant de la rupture de son contrat d'agent commercial, la somme de 1 500 à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et la somme de 1 800 au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens.
La société Benoit Ente a excipé de la nullité de l'assignation signifiée au Domaine Benoit Ente, dépourvu de personnalité juridique, et elle a conclu au rejet des demandes indemnitaires de la SARL A Wine to try en contestant l'existence d'un contrat d'agent commercial conclu avec la demanderesse pour le marché américain, pour lequel celle ci était liée par un contrat d'agent commercial à Monsieur Benoit Ente, viticulteur exerçant en nom propre.
S'agissant du contrat d'agent commercial correspondant au marché anglais, la défenderesse a soutenu que la SARL A Wine to try étant à l'initiative de la rupture du contrat, elle ne pouvait prétendre à aucun droit à indemnité, conformément aux dispositions de l'article L. 134-13 du Code de commerce.
Elle a enfin sollicité l'allocation d'une indemnité de 1 500 au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens.
Par jugement rendu le 21 janvier 2016, le Tribunal de commerce de Dijon a :
- dit que l'assignation délivrée à "Domaine Benoit Ente" est nulle,
- dit que le tribunal n'est saisi que de la seule assignation qui a été faite à l'égard de la SARL Benoit Ente,
- condamné la SARL Benoit Ente à payer à la SARL A Wine to try la somme de 5 687,12 ,
- dit n'y avoir lieu à l'octroi de dommages intérêts pour résistance abusive,
- condamné la SARL Benoit Ente à payer à la SARL A Wine to try une somme de 1 500 à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tous cas mal fondées, les en a déboutées,
- condamné la société Benoit Ente à tous les dépens de l'instance.
Après avoir relevé qu'il n'existait aucune société dénommée Domaine Benoit Ente et que les relations contractuelles entre les parties n'avaient pas donné lieu à l'établissement d'un écrit, le tribunal a qualifié la relation existant depuis 2007 entre les parties de contrat d'agent commercial au sens des articles L. 134-1 du Code de commerce et il a considéré que les allégations de la défenderesse relatives à l'existence de deux contrats distincts, ayant pour objet deux marchés distincts, étaient dépourvues d'intérêt dès lors que la SARL Benoit Ente soutenait par ailleurs qu'aucun secteur géographique déterminé n'avait été attribué à l'agent commercial, ce qui lui laissait la liberté de développer les ventes et les secteurs de son choix.
Les premiers juges ont ensuite retenu que la SARL Benoit Ente ne contestait pas avoir contacté directement les clients de son agent commercial ni avoir supprimé les allocations et avoir commercialisé directement les produits auprès des anciens clients de la SARL A Wine to try, ce qui caractérisait un manquement par la société à son devoir de loyauté, et ils en ont déduit que la rupture du contrat d'agent commercial était imputable à la mandante, ce qui, eu égard aux sept années de relations commerciales, ouvrait droit à une indemnité correspondant à deux années de commissions brutes au profit de l'agent commercial.
La SARL Benoit Ente a régulièrement relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe le 14 avril 2016.
Par écritures notifiées le 13 juillet 2016, l'appelante demande à la cour, au visa des dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, 1991 et suivants du Code civil, de :
Rejetant toutes conclusions contraires,
A titre préliminaire,
- déclarer régulier son appel,
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Dijon en date du 21 janvier 2016 en ce qu'il l'a condamnée à payer à la SARL A Wine to try la somme de 5 687,12 et la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
A titre principal,
- déclarer la demande d'indemnité de la société A Wine to try infondée,
- débouter la société A Wine to try de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner la société A Wine to try à lui payer la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société A Wine to try en tous les dépens.
Par conclusions notifiées le 13 septembre 2016, la SARL A Wine to try demande à la cour, au visa des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Dijon le 21 janvier 2016 en toutes
ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la SARL Benoit Ente à lui verser la somme de 2 000 au titre des frais irrépétibles exposés en appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens d'appel.
La clôture de la procédure est intervenue le 29 mai 2018.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est référé, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus visées.
Sur quoi
Attendu que le jugement entrepris n'est pas remis en cause en ce qu'il a déclaré nulle l'assignation délivrée au Domaine Benoit Ente, dépourvu de personnalité juridique, et sera donc confirmé sur ce point ;
Attendu que, selon l'article L. 134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;
Que, selon l'article L. 134-13 du même Code, l'indemnité compensatrice n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ou lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
Attendu qu'au soutien de son appel, la SARL Benoit Ente rappelle que la société A Wine to try n'a jamais eu de territoire géographique déterminé, ce qui lui laissait la liberté de développer les ventes et les secteurs de son choix, sans exclusivité concédée, en précisant qu'elle a notamment développé les secteurs des Etats Unis et de la Grande Bretagne, en ne développant le marché que sur un seul client par secteur ;
Qu'elle fait valoir que, suite à l'inertie de l'agent commercial pour redynamiser le marché dans le secteur américain, et devant l'absence de développement de ce secteur, elle a été contrainte de procéder à une réorganisation nécessaire au développement du marché outre atlantique, ce qui l'a conduite à être en relation avec un importateur aux Etats Unis, qui n'a cependant démarché aucun client durant le mandat de la société A Wine to try ;
Qu'elle affirme qu'elle n'a jamais eu l'intention de résilier le contrat d'agent commercial de l'intimée et qu'il ne s'agissait que d'une réorganisation du marché, nécessaire au développement de l'exploitation ;
Attendu que l'appelante considère que la société A Wine to try ne dispose d'aucun droit à indemnisation à son encontre dès lors qu'il n'y avait pas de contrat d'agent commercial entre elles pour le marché américain, l'intimée n'ayant pour ce marché qu'un contrat avec le Domaine Benoit Ente, qui n'est pas dans la cause, et le tribunal ne pouvant déduire de la liberté dont disposait la société A Wine to try pour développer les ventes et les secteurs géographiques de son choix qu'elles étaient liées par un contrat d'agent commercial pour le marché américain ;
Qu'elle ajoute que, pour les autres secteurs, la société intimée a pris l'initiative de la rupture, ce qui exclut tout droit à indemnisation, en précisant que la société A Wine to try est restée son agent commercial sur le secteur de la Grande Bretagne et que rien dans l'exécution de ce contrat ne lui permet de démontrer qu'elle a eu un comportement fautif ;
Qu'elle considère qu'aucune preuve n'est rapportée des démarches déloyales retenues par les premiers juges ;
Attendu que l'intimée soutient qu'il lui était difficile de développer la commercialisation des vins car le Domaine Benoit Ente n'avait pas suffisamment de stocks et ajoute que l'appelante n'a cessé de réduire son allocation au fil des ans ;
Qu'elle estime que la SARL Benoit Ente est mal fondée à lui reprocher de n'avoir développé qu'un seul client sur le territoire américain alors qu'elle lui imposait des allocations insuffisantes qui ne lui permettaient pas d'en démarcher plus ;
Qu'elle se prévaut de la dégradation des relations contractuelles en reprochant à sa mandante d'avoir traité en direct avec le client américain en lui proposant des tarifs plus avantageux ;
Qu'elle ajoute que, par courriel du 6 mars 2014, Monsieur Benoit Ente a informé ses clients de sa volonté de revoir sa méthode de commercialisation et de confier sa distribution à un seul importateur et que cette information lui a été communiquée par ses clients ;
Qu'elle considère que, par ce mail, la société Benoit Ente a mis fin brutalement au contrat qui les liait tant sur le marché américain que sur le marché britanique, traitant par ailleurs directement avec un client israëlien qu'elle lui avait présenté, sans qu'aucune commission ne lui revienne ;
Qu'elle affirme que l'appelante ne peut nier la relation contractuelle qui existait entre elles au vu des facturations de commissions produites et qu'elle ne peut davantage prétendre que le contrat qui les liait ne concernait pas le marché américain alors qu'elle reconnaît qu'aucun territoire géographique ne lui avait été défini, ce qui lui laissait la liberté de développer les ventes et les secteurs de son choix, et qu'elle démontre pour sa part avoir vendu du vin aux USA au seul bénéfice de la société Benoit Ente, en vertu du seul et unique contrat conclu entre elles en 2007 ;
Qu'elle considère ainsi que la rupture du contrat est imputable à l'appelante ;
Attendu que l'appelante ne produit aucune pièces au soutien de ses allégations ;
Que l'affirmation, selon laquelle le contrat d'agent commercial conclu avec la société A Wine to try ne portait pas sur le secteur américain, est toutefois contredite par ses propres écritures dans lesquelles elle rappelle que la société A Wine to try n'a jamais eu de territoire géographique déterminé, ce qui lui laissait la liberté de développer les ventes et les secteurs de son choix, sans exclusivité concédée, en précisant que l'intimée a insuffisamment développé le secteur des Etats Unis, mais également par les pièces de la société A Wine to try, et notamment les factures de commissions sur les ventes faites par l'intermédiaire de l'agent commercial, qui révèlent que les factures étaient établies indifféremment au nom de la SARL Benoit Ente ou le Domaine Benoit Ente, pour les clients britanniques et le client américain ;
Qu'il résulte par ailleurs d'un courrier électronique adressé le 6 mars 2014 par la mandante au gérant de la SARL A Wine to try, que la société Benoit Ente a confirmé à son agent l'information qui lui était parvenue de ses clients en lui indiquant qu'elle avait décidé de revoir sa commercialisation aux Etats Unis, afin de renforcer et stabiliser sa présence outre atlantique, et que, n'ayant pas ressenti d'émulation chez ses partenaires actuels, elle avait contacté la société DBN Wines qui lui avait donné toutes les garanties de commercialisation et à laquelle elle a décidé de confier la distribution de l'intégralité de ses vins sur l'ensemble des Etats Unis, évinçant ainsi le principal client de la SARL A Wine to try, ce qui caractérise un manquement de la mandante à son obligation de loyauté ;
Qu'il résulte enfin des pièces du dossier de l'intimée, qu'à compter de l'année 2012, la société Benoit Ente a réduit les allocations destinée à son agent commercial, qui sont passées de plus de 2 000 bouteilles à 660 bouteilles, et qu'elle a directement commercialisé ses vins auprès d'un client israëlien de la SARL A Wine to try, ce qui caractérise également un manquement à son devoir de loyauté ;
Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que, si la rupture du mandat était intervenue à l'initiative de l'agent, elle était imputable aux manquements contractuels de la mandante, par suite desquels la poursuite de l'activité de l'agent commercial ne pouvait plus être raisonnablement exigée, et qu'ils ont condamné la SARL Benoit Ente au paiement d'une indemnité de résiliation de 5 687,12 , dont le montant n'était par ailleurs pas contesté ;
Que la décision entreprise mérite ainsi confirmation en toutes ses dispositions ;
Attendu que l'appelante qui succombe supportera la charge des dépens d'appel ;
Qu'il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de la SARL A Wine to try les frais qu'elle a exposés à hauteur de cour et non compris dans les dépens ;
Qu'il lui sera ainsi alloué la somme de 2 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de l'indemnité allouée en première instance au titre des frais irrépétibles ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare la SARL Benoit Ente recevable mais mal fondée en son appel ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 janvier 2016 par le Tribunal de commerce de Dijon, Y ajoutant, Condamne la SARL Benoit Ente à payer à la SARL A Wine to try la somme de 2 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Benoit Ente aux dépens d'appel.