CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 11 septembre 2018, n° 17-03074
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Monoprix (SAS), Monoprix Exploitation (SAS)
Défendeur :
Cache Cache (SAS) , Korben (SAS), Parilys (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Peyron
Conseillers :
M. Thomas, Mme Douillet
Avocats :
Mes Diez, Ingold, Beudard, Mitchell, Teytaud
La Cour rappelle que la SAS Monoprix Exploitation appartenant au groupe Monoprix, dont la société holding est la SAS Monoprix, exploite un réseau de magasins à enseigne Monoprix, dans lesquels elle distribue tous types de produits (alimentaires, d'entretien, d'hygiène, textiles) ;
Que les sociétés Monoprix indiquent disposer d'une équipe de stylistes au sein d'un bureau de style, qui réalisent toute l'année des produits mais qu'elles nouent également régulièrement des partenariats avec des stylistes extérieurs de renom afin de créer des articles de mode distribués dans leurs magasins ;
Que la SAS Monoprix revendique être titulaire de droits d'auteur sur un foulard tricolore de forme rectangulaire comportant un agencement de motifs étoilés, de couleur blanc et rouge sur un fond de couleur bleu marine et blanc et dont la densité varie d'une extrémité à l'autre du foulard ; qu'elle indique que ce foulard a été créé en janvier 2012 par une styliste renommée, Elsa Poux, pour le compte du bureau de style de la société Monoprix ; que le 30 mai 2012, il a fait l'objet d'un dépôt par procès-verbal d'huissier ; que référencé H48703100, il a été mis en vente par la société Monoprix Exploitation pour la première fois le 11 juillet 2012 ;
Foulard Monoprix
Que les sociétés Monoprix ont constaté la commercialisation sur le site internet www.cache-cache.fr de la société Cache-Cache d'un foulard désigné "Fostarus Bleu Nuit" reprenant les mêmes caractéristiques que le sien ; que le 4 mars 2014, elles en ont acquis un exemplaire facturé par la société Korben ; que le 29 avril 2014, elles ont fait procéder à une saisie-contrefaçon au sein des sièges sociaux des sociétés Cache-Cache et Korben, laquelle a révélé notamment que les produits litigieux avaient été fournis par la société Parilys ;
Foulard Cache-Cache :
Que c'est dans ces conditions que, par acte du 18 juillet 2014, les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation ont fait assigner les sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale ;
Que la SAS Monoprix et la SAS Monoprix Exploitation ont interjeté appel du jugement contradictoire rendu le 18 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :
· Déclaré irrecevables les prétentions de la société Monoprix, au titre du droit d'auteur, et les demandes qui y sont accessoires,
· Débouté les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation, de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,
· Rejeté la demande de la société Parilys pour procédure abusive,
· Dit sans objet l'appel en garantie formé à l'encontre de la société Parilys,
· Condamné les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation aux dépens,
· Condamné in solidum les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation à payer aux sociétés Cache-Cache et Korben, la somme globale de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
· Condamné in solidum les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation à payer à la société Parilys la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
· Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
· Autorisé Me André ..., avocat, à recouvrer directement contre les sociétés Monoprix, ceux des dépens dont il aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Qu'Elsa Poux est intervenue volontairement à la procédure en cause d'appel aux cotés des sociétés Monoprix ;
Que dans leurs dernières conclusions en date du 15 mai 2018, les sociétés Monoprix et Elsa Poux demandent à la Cour de :
· Donner acte à Madame Elsa ... de son intervention volontaire au soutien des demandes des Sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation sur l'appel du jugement rendu le 18 novembre 2016 par le Tribunal de Grande Instance de Paris et la déclarer recevable
· Infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les prétentions de la Société Monoprix au titre des droits d'auteur et les demandes qui y sont accessoires, et rejeter les demandes des Sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.
Statuant a nouveau sur ces points :
Sur la contrefaçon des droits d'auteur attaches au modèle de foulard Monoprix :
· Dire et juger la Société Monoprix titulaire des droits d'auteur sur ce modèle ;
· Dire et juger le modèle de foulard référencé H 4870/3100 éligible à la protection au titre des droits d'auteur ;
· Dire et juger recevable la Société Monoprix en ses présentes demandes en contrefaçon ;
· Dire et juger que les Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys ont commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur de la Société Monoprix.
En conséquence,
· Condamner in solidum les Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys à verser à la Société Monoprix une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi du chef de la contrefaçon ;
· Statuer ce que de droit sur la répartition de cette somme entre les Sociétés défenderesses, ainsi que sur la garantie éventuelle due par la Société Parilys aux Sociétés Cache Cache et Korben ;
· Interdire aux Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys de fabriquer, importer, exporter, détenir, offrir a la vente le modèle de foulard litigieux dénommé Fostarus Bleu Nuit, et, de manière plus générale, leur enjoindre d'en cesser tout usage ;
· Ordonner aux Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys de détruire, à leurs frais in solidum, et sous contrôle d'Huissier de Justice, l'ensemble des produits, documents et supports, qu'elle qu'en soit la nature, comportant une reproduction du modèle de foulard appartenant à la Société Monoprix, en quelque lieu qu'ils se trouvent, et d'en justifier aux demanderesses, le tout dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
· Ordonner la publication du jugement a intervenir dans trois (3) journaux et revues au choix des Sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation, et aux frais des Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys, dans la limite de 5.000 euros HT par insertion, ainsi que sur la page d'accueil du site Internet www.cache-cache.fr, durant 30 jours ;
· Assortir ces injonctions d¡|une astreinte de 100 euros par jour de retard et par infraction constatée a l'issue d'un délai de 15 jours a compter de la signification de l'arrêt à intervenir.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire,
· Dire et juger que les Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice des Sociétés Monoprix (ces faits étant distincts de la contrefaçon) et Monoprix Exploitation, distributeur des produits originaux ;
· Condamner in solidum les Sociétés Parilys, Cache-Cache et Korben à verser à la Société Monoprix une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
· Condamner in solidum les Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys à verser à la Société Monoprix Exploitation une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
· Statuer ce que de droit sur la répartition de cette somme entre les Sociétés défenderesses, ainsi que sur la garantie éventuelle due par la Société Parilys aux Sociétés Cache-Cache et Korben.
En tout état de cause,
· Condamner in solidum les Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys à verser à chacune des Sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation une somme de
14 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
· Condamner in solidum les Sociétés Cache-Cache, Korben et Parilys aux entiers dépens, en ce compris l'ensemble des frais d'Huissier de Justice engages par les Sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation, dont distraction au profit de Maitre Mary-Claude ... - LPLG AVOCATS, par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Que dans leurs dernières conclusions en date du 26 mars 2018, la société Cache Cache et la société Korben demandent à la Cour :
A titre principal,
· Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
· Dire et Juger que la société Monoprix ne justifie pas de la titularité de ses droits ;
· Dire et Juger que le foulard n° H48703100 est dépourvu d'originalité, et donc de protection par le droit d'auteur ;
En conséquence,
· Déclarer irrecevables les prétentions de la société Monoprix au titre du droit d'auteur et les demandes qui y sont accessoires ;
De surcroît,
· Dire et Juger que les sociétés Cache-Cache et Korben n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale à l'égard des sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation ;
· Dire et Juger que les sociétés Cache-Cache et Korben n'ont commis aucun acte de parasitisme à l'égard des sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation ;
En conséquence,
· Débouter les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
· Débouter les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
De surcroît,
· Débouter Madame Elsa ... de sa demande à faire droit aux demandes d'infirmation du jugement en toutes ses dispositions formulées par les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation ;
· La Débouter plus largement de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
· Dire et Juger que la société Monoprix ne justifie pas de son préjudice revendiqué au titre de la contrefaçon ;
· Dire et Juger que la société Monoprix ne justifie pas de son préjudice revendiqué au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
· Dire Et Juger que la société Monoprix Exploitation ne justifie pas de son préjudice réclamé au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
En conséquence,
· Débouter les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation de toutes leurs demandes de préjudices ;
De surcroît,
· Dire et Juger que les mesures complémentaires sollicitées par les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation ne sont pas justifiées ;
· Débouter les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation de toutes leurs demandes de mesures complémentaires ;
A titre plus subsidiaire,
· Condamner la société Parilys à garantir les sociétés Cache-Cache et Korben de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre ces dernières ;
· Condamner solidairement les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation à payer à chacune des sociétés Cache-Cache et Korben la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François ..., dans les conditions de l'article 699 du CPC ;
· A titre subsidiaire, Condamner la société Parilys au paiement de ces sommes.
Que dans ses conclusions en date du 9 mai 2018, la société Parilys demande à la Cour de :
· Confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 18 novembre 2016.
En conséquence :
· Dire et Juger que les sociétés Monoprix ne caractérisent pas les éléments d'originalité des œuvres qu'elles revendiquent au sens des Livre I et III du Code de la Propriété Intellectuelle.
· Dire et Juger, qu'en tout état de cause, le foulard objet des débats n'est pas couvert par le droit d'auteur.
· Débouter les sociétés Monoprix de leurs demandes au titre de la contrefaçon.
A titre complémentaire :
· Débouter Mme ... de l'ensemble de ses demandes relatives à son intervention volontaire destinée à appuyer l'appel et la demande d'infirmation du jugement en toutes ses dispositions formulées par les sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation
· La Débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
· Constater l'absence de concurrence déloyale par parasitisme et vente à prix très inférieur.
· Débouter les sociétés Monoprix de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale.
· Constater que les sociétés Monoprix ne démontrent pas avoir subi le moindre préjudice ni le moindre manque à gagner.
· Débouter les sociétés Cache-Cache et Korben de leur demande de garantie à l'encontre de la concluante.
· Condamner reconventionnellement les sociétés appelantes à payer solidairement à la société Parilys la somme de 20 000 euros dommages et intérêts au titre de cet appel abusif.
· Condamner les sociétés Monoprix à payer solidairement à la société Parilys la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
· Condamner les sociétés Monoprix aux frais et dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Que l'ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2018 ;
Sur Ce
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;
I - Sur la titularité des droits sur le foulard
Considérant que les sociétés Monoprix soutiennent que la styliste Elsa Poux aurait créé l'œuvre contestée dont elle aurait cédé les droits à la SAS Monoprix ;
Que le tribunal a rejeté cette prétention en considérant que la preuve n'en était pas suffisamment rapportée ;
Que les sociétés Monoprix demandent l'infirmation du jugement, apportant de nouvelles pièces pour établir leurs droits ;
Que les parties intimées demandent la confirmation du jugement pour les motifs qu'il contient, soutenant notamment que l'attestation produite est d'opportunité et qu'en toute état de cause la créatrice ne précise pas dans cette attestation la date à laquelle aurait eu lieu la cession ;
Considérant, ceci étant exposé, que les sociétés Monoprix produisent :
· une première attestation d'Elsa Poux du 10 octobre 2014 par laquelle celle-ci certifie dans les formes de l'article 202 du Code de procédure civile qu'elle est styliste free lance pour la société Monoprix secteur accessoires femme ; qu'elle a créé le dessin d'une écharpe dont elle annexe la photographie ; qu'elle précise que les caractéristiques sont : un motif d'étoiles en dégradé mélangé à un plus petit motif 'feuillage' dans coloris différent ; que ce dessin est une déclinaison d'un dessin 'dégradé étoiles' de la saison précédente été 12, qui avait fait aussi l'objet d'un dépôt ;
· en annexe à cette attestation, une photographie dont la cour peut constater qu'elle représente bien le foulard litigieux qui lui a été présenté à l'audience ;
· une seconde attestation d'Elsa Poux du 3 décembre 2015 par laquelle celle-ci certifie, en complément de son attestation du 10 octobre 2014, avoir cédé tous ses droits à Monoprix sur le dessin cité dans la dite attestation ;
· une facture du 18 janvier 2012 délivrée par Elsa Poux à la société Monoprix le 18 janvier 2012, désignant une élaboration des collections été 12, du 1er au 18 janvier 2012, de 5 jours de travail à 400 euros, représentant une somme de 2 000 euros hors taxes et 2 392 euros TTC ;
· un procès-verbal d'huissier de dépôt de ce modèle par la société Monoprix en date du 30 mai 2012 ;
Qu'en outre, Elsa Poux est intervenue en appel aux cotés des sociétés Monoprix pour soutenir et appuyer ses prétentions ;
Qu'ainsi, nonobstant une production progressive de pièces jusqu'en cause d'appel, il est suffisamment justifié de ce que Elsa Poux, qui a créé le foulard en question, en a cédé le 18 janvier 2012 les droits d'exploitation à la société Monoprix ;
Que le jugement sera infirmé en ce sens ;
II - Sur l'originalité
Considérant que pour dénier au foulard toute originalité, le tribunal a notamment considéré :
· que la société Monoprix, en se livrant à une analyse purement descriptive des éléments constituant le foulard, ne justifiait pas de l'empreinte de la personnalité de l'auteur, alors par ailleurs, que le produit n'est constitué que d'une combinaison d'éléments connus et usités en matière de confection, faisant référence au drapeau américain revisité (des étoiles, les couleurs blanc, rouge et bleu marine) ;
· que cette combinaison était dépourvue d'originalité, de sorte que la société Monoprix ne pouvait revendiquer la protection au titre des droits d'auteur ;
Considérant que pour demander l'infirmation du jugement, les parties appelantes, pour démontrer l'originalité du foulard, soutiennent que le motif du foulard Monoprix se caractérise tout à la fois :
- par la reprise des couleurs (bleu, blanc et rouge) et des motifs (étoiles et bandes) composant le drapeau américain ;
- par leur déclinaison bien spécifique, au travers :
- de motifs étoilés de couleur blanche, de taille plus petite, se densifiant d'une extrémité à l'autre du foulard ;
- de motifs étoilés de couleur rouge, de taille plus grande, se densifiant d'une extrémité à l'autre du foulard, mais dans le sens opposé ;
- de la disposition des motifs étoilés, de couleur rouge, dans la partie densifiée du foulard, laissant deviner des grands motifs étoilés rouges disposés symétriquement ;
- par ses deux " fines bandes " de couleur blanche bordant le foulard sur la longueur, et sur lesquelles apparaissent les motifs étoilés de couleur rouge de plus en plus denses ;
- enfin, par ses motifs " feuillus " de couleur bleu clair recouvrant l'intégralité du foulard ;
Qu'elles poursuivent en ajoutant qu'à travers l'agencement et le style particuliers de ces caractéristiques, l'auteur, Madame Elsa ..., a souhaité associer à la fois la rigueur géométrique d'un motif étoilé à un élément de fantaisie, le feuillage bleu clair en arrière-plan. ; que l'auteur a entendu ainsi dépasser la référence au drapeau américain, en associant ces deux symboles de vitalité (ayant en commun la lumière, que l'un diffuse et que l'autre reçoit), et lier entre eux les éléments fondamentaux de l'univers que sont le végétal, composante essentielle de la terre et la voûte céleste, dont les étoiles se densifient au fil du foulard pour exprimer l'intensité et l'énergie en mouvement qui s'en dégagent ; qu'ainsi, dans le cas d'espèce, le foulard Monoprix, loin de reproduire simplement et fidèlement le drapeau américain, n'en reprend que le principe (couleurs, motifs étoilés et bandes), tout en présentant des caractéristiques qui l'en distinguent dans un but symbolique affirmé associant terre et ciel ; que la combinaison originale de l'ensemble de ces caractéristiques contribue à lui donner une apparence singulière qui le distingue d'autres représentations du même genre, et notamment de la simple représentation du drapeau américain ou d'un simple motif étoilé ; que cet agencement particulier, traduisant un véritable parti-pris esthétique - le standard du drapeau américain étant revisité et réinterprété pour présenter une physionomie propre - témoigne de l'effort personnel de sa créatrice ;
Considérant que pour demander la confirmation du jugement, la SAS Cache-Cache et la SAS Korben font valoir que la société Monoprix ne caractérise pas l'originalité du foulard ; que la description faite devant le tribunal était purement descriptive ; que celle, plus complète, faite en cause d'appel, ne coïncide pas avec celle faite par Elsa Poux dans son attestation ; qu'en tout état de cause le modèle n'est pas original ;
Que la SARL Parilys vient au soutien de cette argumentation, ajoutant que seul devrait être pris en considération l'exploit initial pour caractériser l'originalité ;
Considérant, ceci étant exposé, qu'il appartient aux demandeurs à une action en contrefaçon de droit d'auteur de caractériser les éléments originaux de leur modèle afin de mettre utilement le défendeur en mesure de présenter ses moyens de défense et de permettre au tribunal d'apprécier l'originalité de l'œuvre opposée et s'assurer ainsi que la création porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Que dans leur assignation du 18 juin 2014, les sociétés Monoprix ont soutenu que le foulard se caractérisait par :
- sa forme rectangulaire ;
- ses extrémités (sur la largeur) effilées ;
- les couleurs (bleu, blanc et rouge) et les motifs (étoiles et bandes) rappelant le drapeau américain ;
- son fond bleu marine revêtu de motifs étoilés de couleurs blanche et rouge :
o Les motifs étoilés de couleur blanche, de taille plus petite, se densifient d'une extrémité à l'autre du foulard ;
o Les motifs étoilés de couleur rouge, de taille plus grande, se densifient d'une extrémité à l'autre du foulard, mais dans le sens opposé ;
- ses deux " fines bandes" de couleur blanche bordant le foulard sur la longueur, et sur lesquelles apparaissent les motifs étoilés de couleur rouge ;
- ses motifs " feuillus " de couleur bleu clair recouvrant l'intégralité du foulard ;
Qu'elles ajoutaient que l'agencement particulier de ces motifs, résultant des choix propres de l'auteur, confère au modèle l'originalité requise pour bénéficier du statut de l'œuvre de l'esprit ainsi que la protection au titre des droits d'auteur ; que l'effet esthétique recherché témoigne d'un effort personnel de son créateur, conférant au foulard une physionomie propre et portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Que dans leurs conclusions de première instance du 3 juin 2016, elles ont fait valoir de manière similaire que ce foulard se caractérise, outre sa forme rectangulaire :
- par ses extrémités (sur la largeur) effilées et les couleurs (bleu, blanc et rouge) et les motifs (étoiles et bandes) rappelant le drapeau américain ;
- par son fond bleu marine revêtu de motifs étoilés de couleurs blanche et rouge :
> les motifs étoilés de couleur blanche, de taille plus petite, se densifiant d'une extrémité à l'autre du foulard ;
> les motifs étoilés de couleur rouge, de taille plus grande, se densifiant d'une extrémité à l'autre du foulard, mais dans le sens opposé ;
> la disposition des motifs étoilés, de couleur rouge, dans la partie densifiée du foulard, laissant deviner des grands motifs étoilés rouges disposés symétriquement ;
- par ses deux 'fines bandes' de couleur blanche bordant le foulard sur la longueur, et sur lesquelles apparaissent les motifs étoilés de couleur rouge de plus en plus denses ;
- enfin, par ses motifs " feuillus " de couleur bleu clair recouvrant l'intégralité du foulard ;
Qu'elles ajoutaient que l'agencement particulier de ces motifs, résultant des choix propres de l'auteur, confère au modèle l'originalité requise pour bénéficier du statut de l'œuvre de l'esprit ainsi que la protection au titre des droits d'auteur ; (...) que, dans le cas d'espèce, le foulard Monoprix, loin de reproduire fidèlement le drapeau américain, n'en reprend que l'esprit (couleurs, motifs étoilés et bandes), tout en présentant des caractéristiques qui 1'en distinguent (coloris, taille et disposition et densification des étoiles, contraste des ornements bordant le foulard et des deux bandes, motif 'feuillu' de couleur bleue claire...) ; que la combinaison originale de l'ensemble de ces caractéristiques contribue à lui donner une apparence singulière qui le distingue d'autres représentations du même genre et notamment de la simple représentation du drapeau américain ou d'un simple motif étoilé ; que cet agencement particulier, traduisant un véritable parti-pris esthétique - le standard du drapeau américain étant revisité et réinterprété pour présenter une physionomie propre - témoigne d'un effort personnel de son créateur ;
Que c'est dès lors par de justes motifs que le tribunal a apprécié que la société Monoprix, en se livrant à une analyse purement descriptive des éléments constituant le foulard, ne justifiait pas de l'empreinte de la personnalité de l'auteur, alors par ailleurs, que le produit n'était constitué que d'une combinaison d'éléments connus et usités en matière de confection, faisant référence au drapeau américain revisité (des étoiles, les couleurs blanc, rouge et bleu marine) ;
Considérant qu'en cause d'appel, il a été exposé ci-dessus que les parties appelantes et intervenante, après une analyse purement descriptive des éléments constituant le foulard, ajoutent que l'auteur, Madame Elsa ..., a souhaité associer à la fois la rigueur géométrique d'un motif étoilé à un élément de fantaisie, le feuillage bleu clair en arrière-plan ; que l'auteur a entendu ainsi dépasser la référence au drapeau américain, en associant ces deux symboles de vitalité (ayant en commun la lumière, que l'un diffuse et que l'autre reçoit), et lier entre eux les éléments fondamentaux de l'univers que sont le végétal, composante essentielle de la terre et la voûte céleste, dont les étoiles se densifient au fil du foulard pour exprimer l'intensité et l'énergie en mouvement qui s'en dégagent ;
Mais considérant qu'à juste titre les parties intimées observent que ces développements, non exposés en première instance, ne coïncident pas non plus avec ceux de la première attestation d'Elsa Poux du 10 octobre 2014 selon lesquels les caractéristiques du foulard sont un motif d'étoiles en dégradé mélangé à un plus petit motif 'feuillage' dans coloris différent, précisant que ce dessin est une déclinaison d'un dessin 'dégradé étoiles' de la saison précédente été 12, qui avait fait aussi l'objet d'un dépôt ; qu'elles ajoutent que cette attestation ne fait aucune référence au drapeau américain, et que les parties appelantes ne produisent pas le dessin 'dégradé étoiles' de la saison précédente, ce qui ne permet pas d'apprécier l'apport créatif de l'œuvre nouvelle ;
Considérant, dans ces conditions, que les parties appelantes et intervenante, qui ne caractérisent pas suffisamment les éléments originaux de leur modèle, ne permettent pas au tribunal puis à la cour d'apprécier l'originalité de l'œuvre opposée et de s'assurer ainsi que la création porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en tout état de cause, la cour, comme le tribunal, estime que le produit, qui n'est constitué que d'une combinaison d'éléments connus et usités en matière de confection, faisant référence au drapeau américain revisité (des étoiles, les couleurs blanc, rouge et bleu marine), n'est pas original ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes au titre de la contrefaçon du droit d'auteur, sauf à préciser que l'absence d'originalité est un motif de débouté et non d'irrecevabilité ;
III - Sur la concurrence déloyale et le parasitisme
Considérant que pour débouter les sociétés Monoprix de ce chef, le tribunal a considéré :
· que la société Monoprix Exploitation dont l'objet social au vu de son Kbis consiste en 'la vente au détail d'articles multiples' est le distributeur du foulard ;
· que la reprise même servile d'un article ne faisant l'objet d'aucune protection légale ne peut à elle seule constituer des faits de concurrence déloyale, tout comme la vente à un prix inférieur, sous réserve qu'il ne soit pas vil ;
· que la notoriété du produit ou le caractère emblématique du foulard n'étant pas établis, dès lors que celui-ci n'a été proposé qu'une saison et a été vendu à 1000 exemplaires, la fourniture et la vente par les sociétés défenderesses d'une copie, alors que deux ans séparent la commercialisation de chacun des articles, de sorte que ceux-ci n'ont pu se trouver au contact des consommateurs de façon concomitante, ne génère pas un risque de confusion, pour le public ;
· qu'en conséquence, les agissements ne sont pas fautifs et ne portent pas atteinte à cette demanderesse et à sa réputation ;
· qu'en outre, la société Monoprix ne justifie pas d'investissements dont elle aurait été indûment privée par les défenderesses, car il est établi que la création du foulard n'émane pas du bureau de style de la société Monoprix, mais d'un styliste free-lance, de sorte que les salaires versés aux employés du bureau de style ne peuvent être considérés de sorte qu'elle ne peut revendiquer la condamnation des défenderesses au titre du parasitisme ;
· qu'en conséquence, les demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme seront donc rejetées ;
Que les sociétés Monoprix, qui demandent l'infirmation du jugement, soutiennent que la SAS Monoprix Exploitation a commercialisé le foulard référencé H 48703100 ; que celui commercialisé par les sociétés intimées en est la copie servile ; que, du fait de cette commercialisation, la clientèle des magasins Monoprix a pu croire, nonobstant les périodes différentes de commercialisation, qu'il s'agissait là d'un écoulement accéléré de fins de série des produits Monoprix, privant la société Monoprix Exploitation de toute possibilité d'espérer en reprendre la commercialisation ; que ce risque de confusion a été aggravé par le prix très inférieur - 9,99 euros contre 19 euros - pratiqué par les sociétés intimées lesquelles ont profité sans bourse délier de la valeur économique du modèle économique et de leurs investissements ; qu'elles chiffrent leur préjudice aux sommes de 50 000 euros pour la SAS Monoprix Exploitation et 20 000 euros pour la SAS Monoprix et sollicitent la destruction des produits outre la publication de l'arrêt ;
Que la SAS Korben et la SAS Cache-Cache demandent la confirmation du jugement pour les motifs qu'il contient, sauf à solliciter en outre, d'une part, la mise hors de cause de la SAS Korben qui ne serait intervenue que comme prestataire technique, d'autre part, la garantie de la SARL Parilys son vendeur ;
Que la SARL Parilys demande aussi la confirmation du jugement pour les motifs qu'il contient, et subsidiairement le rejet de l'appel en garantie ;
Considérant, ceci étant exposé, qu'il ressort des pièces 8 à 10 certifiées par les sociétés Monoprix qu'au cours de l'année 2012 la SAS Monoprix Exploitation a commercialisé 1326 foulards référencés H 48703100 au prix unitaire de 19 euros, générant un chiffre d'affaires TTC de 23 720,25 euros ;
Qu'il résulte aussi des pièces produites par la SAS Cache-Cache que celle-ci a passé commande le 12 décembre 2013 de 290 foulards litigieux 'fostarus' auprès de la SARL Parilys, dont 275 lui ont été livrés et facturés au prix unitaire de 1,90 euros HT ; que 184 d'entre-eux ont été revendus au cours de l'exercice 2014, au prix unitaire de 9,99 euros, générant un chiffre d'affaires de 1 803,12 euros et une marge de 1 145,61 euros ;
Que le nombre de ventes et le chiffre d'affaires qui a pu être réalisé par la SARL Parilys avec d'autres clients ne sont pas connus ;
Considérant, concernant la mise hors de cause de la SAS Korben au motifs qu'elle ne serait intervenue que comme prestataire technique, qu'il résulte d'une facture du 6 mars 2014 de vente d'un foulard " fostarus " par la société Cache-Cache que le pied de page de ce document comporte les mentions www.cache-cache.fr Korben - Société par actions simplifiées au capital de 100 000 euros, outre son siège social, son numéro de siret, de tva intra communautaire et APE ; qu'il en résulte suffisamment que cette société est intervenue au titre de la commercialisation des produits litigieux et sa demande de mise hors de cause sera rejetée ;
Considérant, concernant les faits de concurrence déloyale, que l'examen contradictoire à l'audience des foulards H 48703100 et fostarus a permis de confirmer qu'ils étaient strictement identiques dans leurs formes, tailles et motifs, ne se différenciant que par la matière utilisée, coton dans le premier cas et polyester dans le second, et par leur prix, respectivement 19 euros et 9,99 euros ; qu'à l'évidence, la commercialisation d'une copie servile, dans une matière d'une moindre qualité et à un prix deux fois inférieur est un acte contraire aux usages honnêtes du commerce constitutif d'un acte de concurrence déloyale ; qu'en effet, et quand bien même la commercialisation de la copie est intervenue deux ans après celle de l'original, la SAS Monoprix a perdu l'opportunité de commercialiser à nouveau son foulard dans des conditions favorables compte tenu du risque de confusion avec celui deux fois moins cher des sociétés intimées ;
Considérant, en revanche, que le grief de parasitisme n'est pas suffisamment avéré, compte tenu, d'une part, de la faiblesse des investissements dont justifient les sociétés Monoprix, soit la somme de 2 000 euros HT versée à Elsa Poux, d'autre part, de l'absence de notoriété du produit H 48703100 qui n'a été commercialisé qu'à 1326 exemplaires pendant une seule saison ;
Considérant, en définitive, que seuls sont caractérisés des faits de concurrence déloyale au préjudice de la seule société Monoprix Exploitation qui a commercialisé le produit ; que le préjudice subi est très limité compte tenu du faible nombre de produits vendus par les sociétés intimées, compris, selon les pièces produites, entre 184 et 290 ; qu'il sera justement évalué à la somme de 1 000 euros ;
Considérant que la SARL Parilys, qui a fourni les produits à la SAS Cache-Cache et la SAS Korben, leur doit la garantie du vendeur ;
IV - Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles
Considérant que la SARL Parilys, qui succombe au principal, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;
Que la SAS Korben, la SAS Cache-Cache et la SARL Parilys, qui succombent au principal, seront condamnées in solidum aux dépens et ainsi qu'il est dit au dispositif au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Que la SARL Parilys sera condamnée à garantir la SAS Korben et la SAS Cache-Cache de ces condamnations ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile dans les rapports entre la SAS Korben, la SAS Cache-Cache et la SARL Parilys ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la SAS Monoprix et la SAS Monoprix Exploitation de leurs demandes en contrefaçon de droit d'auteur et en parasitisme ; L'infirme pour le surplus, Dit que la SAS Korben, la SAS Cache-Cache et la SARL Parilys ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SAS Monoprix Exploitation, De ce chef, condamne in solidum la SAS Korben, la SAS Cache-Cache et la SARL Parilys à payer la somme de 1 000 euros à la SAS Monoprix Exploitation, Condamne in solidum la SAS Korben, la SAS Cache-Cache et la SARL Parilys à payer la somme de 5 000 euros à la SAS Monoprix et à la SAS Monoprix Exploitation en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum la SAS Korben, la SAS Cache-Cache et la SARL Parilys aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maitre Mary-Claude ... - LPLG Avocats, par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Parilys à garantir la SAS Korben et la SAS Cache-Cache de toutes condamnations prononcées contre elles, Déboute les parties de toutes autres demandes.