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Décisions

Cass. 1re civ., 12 septembre 2018, n° 17-17.650

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Debray, Bertetto

Défendeur :

Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (SCACV)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

Mme Barel

Avocat général :

M. Sudre

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, SCP Bouzidi, Bouhanna

Lyon, 1re ch. B, du 21 févr. 2017

21 février 2017

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant offre acceptée le 11 juillet 2016, M. Debray et Mme Bertetto (les emprunteurs) ont conclu avec la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) un prêt immobilier, libellé en francs suisses et remboursable en euros ; qu'à la suite de leur défaillance, la banque les a assignés en paiement ; qu'invoquant un manquement de la banque à son devoir de mise en garde et l'illicéité de l'indexation du prêt sur le franc suisse, les emprunteurs ont, reconventionnellement, sollicité l'allocation de dommages-intérêts et l'annulation de cette indexation, demandant qu'il soit dit que le contrat avait été souscrit pour le montant en euros prévu initialement ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes et de les condamner solidairement à payer à la banque la somme de 318 335,63 euros, assortie des intérêts conventionnels, alors, selon le moyen, que le banquier doit mettre en garde l'emprunteur non averti contre les risques inhérents aux prêts à taux variable non " capé " indexés sur une devise étrangère, sans pouvoir se contenter de la seule remise d'une notice d'information ; qu'en se bornant à retenir, pour juger que les emprunteurs avaient été " suffisamment avertis par la caisse de Crédit agricole sur les risques liés au taux de change ", que les conditions du prêt et la notice d'information décrivaient le risque de change lors de la mise en place du financement du projet ainsi qu'à l'occasion du paiement des échéances et d'un remboursement par anticipation, cependant que la simple remise de documents destinés à les informer ne pouvait suffire à mettre en garde des emprunteurs non avertis contre les risques d'un crédit lié au taux de change, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu qu'après avoir examiné la situation financière des emprunteurs, la cour d'appel a souverainement estimé que le prêt, lors de son octroi, était proportionné aux capacités financières des emprunteurs qui n'étaient pas exposés à un risque d'endettement excessif, ce dont il résultait que la banque n'était pas tenue à leur égard d'un devoir de mise en garde ; que le moyen, qui critique des motifs surabondants, est inopérant ;

Mais sur la seconde branche du moyen : - Vu l'article L. 132-1, devenu l'article L. 212-1 du Code de la consommation ; - Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08) ;

Attendu qu'aux termes du texte susvisé, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ;

Attendu que, pour rejeter la demande des emprunteurs tendant à dire illicite la clause du contrat indexant le prêt sur le franc suisse, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 112-2 du Code de la consommation autorisent les indexations en relation directe avec l'objet de la convention ou avec l'activité de l'une des parties, et que le prêt en devises suisses souscrit par les emprunteurs était en relation directe avec l'activité de Mme Bertetto qui percevait ses revenus dans la même devise ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, toute dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse avait pour conséquence d'augmenter le montant du capital restant dû, de sorte qu'il lui incombait, à supposer que la clause litigieuse ne définisse pas l'objet principal du contrat, ou, dans le cas contraire, qu'elle ne soit pas rédigée de façon claire et compréhensible, de rechercher d'office si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur l'emprunteur et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il dit licite la clause d'indexation du prêt sur le franc suisse stipulée dans le contrat conclu entre M. Debray et Mme Bertetto et la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie, l'arrêt rendu le 21 février 2017, entre les parties, par la Cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Lyon, autrement composée.