CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 septembre 2018, n° 15-21296
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Polonia Cup Sp. Z.O.O. (Sté)
Défendeur :
Motul (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Fisselier, Maulin, Poggi, Teytaud, Perrier
Faits et procédure
La société Motul SA est une société de droit français spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'huiles industrielles et lubrifiants pour automobiles et motos, dont la filiale allemande, la société Motul DE, est chargée depuis 2000, de l'activité de commercialisation dans la zone Europe du nord, centrale et de l'est. Dans le cadre de son activité, la distribution des produits est effectuée par des filiales de la société Motul qui vendent lesdits produits à un réseau de détaillants (garages, concessions automobiles et de motos etc.) ou à des distributeurs qui eux-mêmes revendent à des détaillants. En France, c'est la société Motul France qui vend elle-même ses lubrifiants aux détaillants.
La société Polonia Cup Sp. Z.O.O de droit polonais (ci-après la société Polonia), dont le gérant est Monsieur X, a pour activité la distribution de motos, quads, scooters et scooters des neiges de différentes marques, ainsi que la vente d'accessoires tels que des casques, des pneus etc. et est devenu à partir de 2004, l'importateur-distributeur de lubrifiants motos Motul sur le territoire de la Pologne, la nature exclusive de cette relation étant discutée par les parties.
À partir de 2008, un contrat de distribution de lubrifiants pour automobiles aurait été formalisé entre la société Polonia et Motul DE puis résilié à compter de 2011. À la suite de cette résiliation, la société Motul aurait exprimé sa volonté d'encadrer plus intensément ses relations avec la société Polonia, en demandant à cette dernière de prendre certains engagements.
Reprochant à la société Motul d'exercer une pression sur elle, par lettre en date du 15 février 2013, la société Polonia a indiqué signer le contrat tout en contestant les termes dudit contrat. Interprétant ces réserves comme un refus, la société Motul a estimé que les relations entre elle et la société Polonia ont pris fin à compter de février 2013.
La société Polonia a contacté plusieurs importateurs-distributeurs de produits Motul en Slovaquie, en Belgique et en France afin de pouvoir s'approvisionner en produits Motul et les revendre à ses clients.
Devant l'absence de résultats de cette tentative, et s'estimant victime à la fois d'une rupture brutale des relations commerciales établies et d'actes de concurrence déloyale, la société Polonia a, par acte du 17 septembre 2013, assigné la société Motul aux fins d'obtenir réparation de son préjudice sur le fondement des articles L. 442-6, I, 5° et L. 420-1 du Code de commerce.
Par jugement en date du 28 janvier 2015 le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit que le droit français ne s'applique pas aux conditions dans lesquelles la société Polonia Cup Sp. Z.O.O a cessé de distribuer les produits Motul en Pologne,
- dit que les demandes formées par la société Polonia Cup Sp. Z.O.O à l'encontre de la société Motul, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sont irrecevables,
- dit que la société Motul n'a pas contrevenu aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,
- débouté la société Polonia Cup de ses demandes fondées sur le non-respect par la société Motul de l'article L. 420-1 du Code de commerce,
- condamné la société Polonia Cup à payer, à la société Motul, la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, en toutes ses dispositions, sans constitution de garantie,
- condamné la société Polonia Cup Sp. Z.O.O aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Vu l'appel interjeté le 26 octobre 2015 par la société Polonia Cup Sp. Z.O.O, société de droit polonais, limité aux seules demandes relatives aux pratiques anticoncurrentielles,
Vu les dernières conclusions signifiées le 23 septembre 2016 par la société Polonia Cup SP Z.O.O, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu l'article 1382 du Code civil,
Vu l'article L. 420-1 du Code de commerce,
- appeler Monsieur Y à comparaître à l'audience afin de présenter à la cour toute preuve utile démontrant que la commande litigieuse du 13 mars 2013 effectuée par Polonia Cup Sp. Z.O.O auprès de Délétang Investissements a bien été transmise à Motul qui a donc choisi de ne pas l'honorer, en violation de ses obligations contractuelles envers Délétang,
- infirmer le jugement rendu le 28 janvier 2015 par le Tribunal de commerce de Paris (RG 2013059118) s'agissant de la violation par Motul des dispositions de l'article 420-1 du Code de commerce aux motifs que le tribunal n'a pas justement apprécié la matérialité des preuves qui lui ont été soumises, Et statuant à nouveau,
- constater, dire et juger que la société Motul SA, en interdisant à certains de ses distributeurs, et notamment Deletang, de faire droit à des commandes non sollicitées lorsque ces ventes passives concernent des produits destinés à l'export constitue des actes de concurrence déloyale violant les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ayant causé à Polonia Cup Sp . Z.O.O un préjudice dont elle est fondée à demander réparation, En conséquence,
- condamner la société Motul SA au titre du préjudice subi par la société Polonia Cup Sp Z.O.O du fait de la perte de marge brute au titre des ventes qui n'ont pu être réalisées suite à la commande échelonnée passée auprès de Delétang en mars 2013, au paiement de la somme de 42 796, correspondant à la marge commerciale brute calculée à 25 % sur la vente de produits lubrifiants motos Motul en mars 2013,
- ordonner la cessation de l'interdiction faite par Motul à ses importateurs-distributeurs et détaillants de faire droit à ses demandes de ventes passives destinées à l'export, et ce sous astreinte de 1 000,00 euros par infraction constatée,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir, par extrait ou en intégralité, au choix de la demanderesse :
* Dans l'officiel du Cycle et de la Moto, du Quad et de la Mini-voiture, journal professionnel, aux frais de la société défenderesse, sans que le coût de l'insertion ne puisse excéder la somme de 8 000 euros HT,
* Sur les pages d'accueil des sites internet www.motul.com et www.motul.pl pendant une durée d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, dans un encart qui ne pourra être inférieur à 1 000 x 1 000 pixels en haut de la ligne de flottaison, dans une police 12,
- condamner la société Motul SA à payer à la société Polonia Cup Sp. Z.O.O la somme de 30 000 euros au titre de la désorganisation de son réseau et du préjudice de discrédit ;
En tout état de cause :
- infirmer le jugement rendu le 28 janvier 2015 par le Tribunal de commerce de Paris (RG 2013059118) en ce qu'il condamne Polonia Cup au versement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Motul SA au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Motul SA aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP AFG, avocat, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 22 février 2018 par la société Motul, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles L. 420-1 et L. 420-7 du Code de commerce,
Vu l'article 1382 du Code civil,
- dire et juger que la société Motul SA n'est l'auteur d'aucun manquement contractuel dans ses relations avec ses distributeurs, notamment la société Delétang Investissements,
- dire et juger que la société Motul SA n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,
- constater que les conditions d'application de l'article 1382 du Code civil ne sont pas remplies et que Polonia Cup n'est pas recevable dans ses demandes et prétentions, En conséquence,
- confirmer le jugement du 28 janvier 2015 rendu par le Tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a dit que Motul n'a pas contrevenu aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,
- débouter Polonia Cup de toutes ses conclusions, fin et prétentions,
- confirmer le jugement du 28 janvier 2015 rendu par le Tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a condamné Polonia Cup à payer à la société Motul une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure devant le tribunal de commerce,
- condamner Polonia Cup à payer à la société Motul la somme supplémentaire de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
- condamner Polonia Cup aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La société Polonia Cup fait tout d'abord valoir que la société Motul a refusé de livrer à la société Deletang les produits commandés par la société Polonia Cup afin de limiter la revente de cette dernière sur le marché polonais ce qui constitue une pratique anticoncurrentielle sanctionnée au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce et engage la responsabilité délictuelle de la société Motul, qu'en effet, les documents produits prouvent le motif illégal sur la base duquel Motul a exercé des pressions sur ses distributeurs, et en particulier Delétang, pour qu'ils refusent d'approvisionner Polonia Cup, que la preuve d'une telle entente peut être établie lorsque des éléments autres que la constatation du parallélisme de comportement se conjuguent avec ce dernier pour constituer avec lui un faisceau d'indices graves, précis et concordants, qu'en l'espèce, les déclarations écrites de trois distributeurs opérant dans trois pays différents, ainsi que l'émission d'une facture pro-forma par Delétang constituent ledit faisceau d'indices, que la preuve est libre et peut être rapportée par témoins, que la comparution de Monsieur Y pourrait être déterminante pour la solution du litige, que ce dernier a en effet répondu avoir passé la commande à l'oral, qu'en refusant d'honorer une commande sans motif légitime, Motul a violé ses obligations contractuelles de livraison envers Delétang et ce faisant, eu un comportement anticoncurrentiel ayant causé d'importants préjudices à la société Polonia Cup en n'honorant pas la fourniture de produits à la société Deletang, ouvrant droit à réparation au titre de l'article 1382 du Code civil.
La société Polonia Cup fait enfin valoir qu'elle a subi un préjudice économique considérant la perte de marge brute sur les ventes non réalisées et un discrédit auprès de ses clients du fait des commandes non honorées par la société Delétang et qu'ainsi ceci a provoqué une désorganisation de son réseau et une atteinte à son image qu'il y a lieu de faire cesser.
En réponse,
La société Motul fait valoir que la demande de la société Polonia n'est pas recevable considérant l'absence d'instructions de la part de la société Motul enjoignant à ses distributeurs de s'abstenir de vendre les produits Motul à la société Polonia, la preuve d'un faisceau d'indices ou d'un parallélisme des comportements n'étant pas établie. Elle en conclut que sa responsabilité, au titre d'un refus d'honorer la prétendue commande passée par la société Delétang pour le compte de la société Polonia, ne peut être engagée puisque, la preuve d'une commande effective passée entre les sociétés Delétang et Motul n'étant pas rapportée, aucun manquement ne peut lui être imputé dans ses relations contractuelles avec ses distributeurs.
Enfin, la société Motul fait valoir que les demandes d'indemnisation de la société Polonia concernant les pertes de marge brute et d'atteinte à l'image sont irrecevables considérant la faible valeur des factures apportées et le fait qu'aucun manquement ne peut être reproché à la société Motul.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce, sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à (...) limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises (...) ;
Qu'il est constant que si la seule mise en place d'un réseau de distribution exclusive ne suffit pas en elle-même à caractériser l'existence d'une pratique anticoncurrentielle telle que prévue par l'article L. 420-1 du Code de commerce, cette dernière peut toutefois être démontrée par un faisceau d'indices suffisamment établis ;
Qu'à ce titre, un parallélisme de comportement des opérateurs sur un même marché ne peut suffire, à lui seul, à démontrer l'existence d'une pratique anticoncurrentielle ;
Qu'en revanche, la preuve d'une telle pratique peut être établie lorsque des éléments autres que la seule constatation dudit parallélisme de comportement se conjuguent avec ce dernier pour constituer avec lui un faisceau d'indices graves, précis et concordants ;
Considérant qu'en l'espèce, malgré l'opposition des parties sur le caractère exclusif de la relation entre la société Motul et la société Polonia, il n'est pas contesté que la société Motul DE a pour habitude de lier des relations commerciales de distribution exclusive avec certaines sociétés dites " importateurs-distributeurs " ou " détaillants " afin de commercialiser ses marchandises dans divers États de l'Union européenne ;
Qu'il est constant qu'un contrat de distribution exclusive n'est pas en soi anticoncurrentiel mais le devient s'il comporte une clause par laquelle le fournisseur interdit à son distributeur exclusif de répondre à des sollicitations de clients situés dans un territoire autre que celui qui fait l'objet de l'exclusivité (ventes passives) ;
Considérant qu'en termes de l'article 3.5 du contrat conclu entre les sociétés Alcopa et Motul, " le distributeur s'engage à ne pas démarcher ou vendre, directement ou indirectement, à des clients situé en dehors de l'Union européenne ou de l'AELE, par l'intermédiaire d'une succursale, filiale, entrepôt ou tout autre moyen, et s'engage à transmettre à Motul toute demande provenant de clients existants ou éventuels situés en dehors de la Communauté économique européenne ou de l'AELE " ;
Que dans le cadre de ce contrat la société Alcopa exerce ses obligations uniquement sur le territoire de la Belgique et des Pays-Bas ;
Qu'ainsi, cette clause n'a pas pour effet d'empêcher des ventes, qu'elles soient actives ou passives, sur tout le territoire de l'Union européenne ;
Qu'en conséquence, la Pologne, territoire sur lequel exerce la société Polonia, en tant que membre de l'Union européenne et Etat tiers de l'AELE, ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 3.5 du contrat précité ;
Qu'il ressort de ces constatations qu'aucune interdiction de vente passive à l'égard de la Pologne n'était imposée à la société Alcopa, ce que les parties ne contestent d'ailleurs pas ;
Qu'au surplus, aucune autre pièce permettant de démontrer que, dans d'autres circonstances, une telle restriction serait imposée aux autres partenaires du groupe Motul, n'est produite aux débats ;
Considérant en outre que, même s'il convient de relever que la société Polonia produit aux débats des courriels de deux importateurs-distributeurs pour le compte de la société Motul, selon lesquels " les ventes aux pays voisins {seraient} strictement interdites par les nouvelles conditions posées par Motul ", " livrer du Motul en Pologne serait {...} un délit contractuel " et que " {Motul ne souhaiterait} pas {...} livrer afin {d'}interdire {la vente} à l'export ", ces courriels ne permettent pas, à eux seuls, au regard de l'ensemble des importateurs-distributeurs et détaillants du réseau Motul, qui compte plus de 300 distributeurs et plusieurs milliers de détaillants, à caractériser une pratique anticoncurrentielle généralisée organisée par Motul ;
Qu'il n'en résulte pas un faisceau d'indices suffisant pour caractériser la pratique anticoncurrentielle alléguée ;
Que de la même manière, la facture datée du 30 mars 2013 émise par la société Delétang correspondant à une commande passée par la société Polonia à hauteur de 22 200 euros et payée par la société Polonia mais non honorée par Delétang malgré la deuxième commande passée le 14 juin 2013 ne démontre pas que Motul serait à l'origine d'un refus de livraison ;
Qu'il n'apparaît pas nécessaire à la manifestation de la vérité de faire entendre Monsieur Y qui a clairement répondu dans ses mails aux questions qui lui étaient posées ;
Qu'une pratique anticoncurrentielle supposant, pour être caractérisée, un accord de volontés exprès entre fabricants et distributeurs ou à tout le moins un acquiescement tacite de la part de ces derniers, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la société Polonia n'établissait pas la preuve de l'existence d'une entente anticoncurrentielle entre le groupe Motul et ses distributeurs ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges ;
Considérant qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Motul ses frais irrépétibles en cause d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à indemnisation supplémentaire au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Polonia Cup Sp. Z.O.O aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.