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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 septembre 2018, n° 15-09702

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cloué Jean & Fils (SAS)

Défendeur :

Grégoire (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Djavadi, Regnier, Bourgeon

T. com. Paris, du 27 avr. 2015

27 avril 2015

Faits et procédure

La société Grégoire, fabricant de matériels viticoles et filiale du groupe norvégien Kverneland jusqu'en 2011 puis du groupe italien Same Deutz-Fahr, a confié la distribution de ses machines dans les départements du Loir et Cher, Indre et Loire, Indre et Sarthe, à la société Agri Auto Sologne implantée à Pontlevoy dans le Loir et Cher, laquelle a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 22 juillet 2005.

Par acte notarié du 21 mars 2006, Maître A, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Agri Auto Sologne, a cédé des éléments subsistant d'actifs ayant composé son fonds de commerce à la société Cloué Jean & Fils spécialisée dans la distribution d'équipements viticoles, qui est une filiale du Groupe Cloué, groupe familial ayant pour activité la distribution d'équipements, de machines agricoles, vinicoles et viticoles comprenant une holding "Groupe Cloué" et deux autres filiales : la SAS Cloué Équipement et la SARL Pro Culture Équipement (PCE).

Selon lettre du 23 août 2005, dans le cadre d'un projet d'installation sur le site de Pontlevoy dans le Loir et Cher pour assurer la continuité du service et du développement commercial de la marque Grégoire, la société Grégoire a donné son agrément à la société Cloué Jean & Fils afin de poursuivre la distribution de ses produits sur l'ensemble du vignoble précédemment couvert par la société Agri Auto Sologne depuis cet établissement de Pontlevoy et les parties ont signé le 27 février 2006 un contrat de distributeur agréé pour une durée de 12 mois, renouvelable chaque année par signature d'un avenant au contrat.

En 2013, un désaccord est survenu entre les parties à propos de négociations menées par la société PCE en vue de distribuer les produits du groupe Pellenc, concurrent de la société Grégoire. Le 24 septembre 2013, la société Grégoire a informé la société Cloué Jean & Fils de la rupture de leurs relations commerciales en raison de la signature du contrat de distribution entre la société PCE et la société Pellenc et lui a octroyé un délai de prévenance de 18 mois se décomposant en deux périodes, une première période de 6 mois jusqu'au 1er avril 2014 sans autre distributeur sur la zone d'agrément de la société Cloué, une seconde période de 12 mois jusqu'au 31 mars 2015 avec un droit de vente des matériels Grégoire et leurs pièces de rechange.

Reprochant à la société Grégoire d'avoir rompu brutalement leur relation commerciale établie, la société Cloué Jean & Fils l'a assignée, par exploit du 1er avril 2014, sur le fondement de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce, devant le Tribunal de commerce de Paris, lequel par jugement du 27 avril 2015 a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- dit que les parties ont entretenu des relations commerciales établies depuis le 27 juillet 2006,

- déclaré suffisant le préavis accordé par la société Grégoire de 18 mois dont six mois, sans qu'un autre distributeur fasse concurrence à la société Cloué,

- débouté la société Grégoire de sa demande reconventionnelle ainsi que les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société Cloué Jean & Fils à verser à la société Grégoire la somme de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.

LA COUR

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions notifiées le 10 novembre 2017, par lesquelles la société Cloué Jean & Fils (par abréviation Cloué), appelante, sollicite de la cour :

- l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles de la société Grégoire,

- la constatation que les parties entretiennent des relations commerciales établies depuis 1988 et que la société Grégoire a rompu brutalement cette relation commerciale,

- la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 905 137,95 euros au titre du préjudice subi du fait de cette rupture brutale des relations,

- le rejet de l'appel incident de la société Grégoire,

- la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 6 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 24 janvier 2018, par lesquelles la société Grégoire, intimée formant appel incident :

- réclame la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Cloué de l'intégralité de sa demande, mais l'infirmation de ladite décision en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,

- souhaite la condamnation de la société Cloué à lui payer la somme de 69 353,75 euros,

- demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Cloué au paiement de la somme de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 10 000 euros sur le même fondement et à régler les dépens ;

Sur ce

Sur les demandes de la société Cloué

La société Cloué reproche à la société Grégoire une rupture brutale de leurs relations commerciales établies depuis 25 ans et revendique la délivrance d'un délai de préavis de 30 mois. Pour sa part, la société Grégoire estime qu'eu égard à l'ancienneté de la relation de seulement 8 années, à l'absence de dépendance économique de la société Cloué et à la prévisibilité de la rupture, le délai de préavis de 18 mois, dont 6 assortis d'une exclusivité, qu'elle a octroyé, était suffisant.

En application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels".

Sur le point de départ de la relation commerciale établie

La société Cloué, estimant qu'elle se situait dans la continuation des relations antérieures entre les sociétés Grégoire et Agri Auto Sologne comme ayant repris le bail, la clientèle et l'achalandage de cette dernière société en liquidation judiciaire, ayant exercé son activité de distribution dans les mêmes conditions, les mêmes locaux et avec le même personnel que cette dernière et ayant obtenu l'autorisation d'assurer la continuité du service et le développement de la marque Grégoire, fixe le point de départ des relations commerciales entre les parties au 1er janvier 1988, soit une durée de 25 années de rapports commerciaux au moment de la rupture le 24 septembre 2013.

La société Grégoire objecte que l'ancienneté des relations n'était en réalité que de huit années, en faisant valoir que le seul rachat de l'actif que constituait le fonds de commerce n'autorise pas l'appelante à revendiquer l'ancienneté de la relation commerciale de la société liquidée, alors que les partenaires n'ont pas exprimé leur intention de se situer dans la continuité des relations antérieures, que la cession a été très partielle, sans reprise d'un seul engagement commercial contracté par la société Agri Auto Service, qu'aucun transfert de commandes n'a eu lieu et que près d'un semestre s'est écoulé entre la fin de la relation antérieure et la nouvelle relation matérialisée par le contrat du 27 février 2006.

A bon droit, les premiers juges ont constaté que quand bien même la société Agri Auto Service était distributeur de la marque Grégoire depuis 1988 à Pontlevoy, cette seule circonstance ne suffisait pas à faire bénéficier la société Cloué d'une antériorité des relations commerciales à cette dernière date, dès lors que la cession du fonds de commerce a été consentie par le mandataire judiciaire 8 mois après la mise en liquidation de la société Agri Auto Service le 22 juillet 2005, qu'elle n'a porté que sur des éléments partiels du fonds de commerce et notamment la clientèle et l'achalandage " pouvant subsister à la suite de la mise en liquidation judiciaire et de l'absence d'activité depuis le 1er septembre 2005", que "le cédant a déclaré que la cession du bail et de la clientèle qui a pu être attachée au fonds n'entraîne la transmission d'aucun autre contrat et notamment d'aucun contrat de concession ou d'agents, à l'exclusion de trois contrats de travail des salariés repris ". Dans la correspondance du 23 août 2005 adressée aux Établissements Cloué, M. B directeur général du groupe Kverneland, s'il évoque bien la continuité du service et du développement commercial de la marque, ne fait nullement part de son intention d'inscrire la relation dans la continuité des relations antérieures ou dans la poursuite de la relation initialement nouée et interrompue au début du deuxième semestre 2005, de sorte qu'aucune volonté de continuation ne saurait être identifiée. Le 25 novembre 2005, il sera proposé à la société Cloué un contrat de distribution pour " garantir la clarté des relations sur le territoire d'agrément et pour la promotion de la marque Grégoire ", " conforme aux règles européennes et à l'esprit d'engagements réciproques visant à l'établissement de relations durables et équilibrées " entre les deux sociétés. La nouvelle convention du 27 février 2006, qui ne fait aucune mention de la relation antérieure, ne saurait constituer un renouvellement du contrat antérieur mais ne peut être qu'un nouveau contrat de distribution conclu avec une personne juridique distincte. Il n'est d'ailleurs justifié d'aucune reprise d'un quelconque engagement commercial de la société Agri Auto Service, ou d'une reprise du flux d'affaires de la société Agri Auto Service par la société Cloué ni d'aucun transfert de commande de l'une à l'autre. En effet la société Grégoire démontre que la commande reçue par la société Agri Auto Service le 1er avril 2004 au numéro de client 90003 a été livrée le 23 août 2004, donc avant le début de la relation commerciale entre les parties. La société intimée soutient, sans être démentie, qu'elle a réattribué à partir de septembre 2005 dans son système informatique le code client de la société Agri Auto Sologne à la société Cloué, ce qui explique la mention " voir concessionnaire Cloué " sur l'impression informatique de ladite facture.

Il s'ensuit que le point de départ des relations commerciales entre les parties ne peut être fixé qu'au 27 février 2006, date du contrat de distributeur agréé établissant les nouvelles conditions et modalités des rapports entre les parties. La durée des relations commerciales établies ressort donc à 7 ans et 7 mois (27 février 2006/24 septembre 2013). La décision des premiers juges sera donc confirmée de ce chef.

Sur le délai de préavis suffisant

La société Cloué estime que la brutalité de la rupture provient du fait que le préavis, qui aurait dû être de 30 mois, n'a pas été proportionné à la durée de la relation. Elle soutient également que le découpage du délai de prévenance en deux périodes, une période d'exclusivité de 6 mois suivie d'une période de 12 mois de mise en concurrence démontre que la relation commerciale était fondée sur une exclusivité. Elle prétend que ce découpage a eu pour conséquence que les relations n'ont pas été maintenues aux conditions antérieures pendant cette seconde période, puisque la société Grégoire a installé sur sa zone de distribution un concurrent, la société DMS, qu'elle a favorisé en lui permettant un accès exclusif aux machines de démonstration et à son soutien commercial. Elle fait valoir qu'elle a effectué un investissement considérable en acquérant un terrain à Angé (41), ce qu'elle n'aurait pas fait si la rupture avait été prévisible. Elle fait encore grief à la société Grégoire d'avoir rapidement diffusé l'information selon laquelle elle allait perdre l'agrément pour la distribution de ses produits afin de dissuader les clients de se fournir chez elle et dans le seul but de lui nuire.

La société Grégoire pour sa part revendique le caractère suffisant du délai de préavis au regard de la durée de la relation commerciale limitée à 8 années. Elle rétorque que la durée du délai de prévenance doit également s'apprécier au regard d'autres critères, tels que l'absence de dépendance économique de la société Cloué dès lors que le site de Pontlevoy n'était qu'un des huit sites exploités par cette dernière et que le chiffre d'affaires de ce site ne représentait qu'à peine 5 % de son chiffre d'affaires global pour les exercices 2011, 2012 et 2013. Elle invoque encore l'absence de lien entre l'investissement du nouveau site d'Angé en juin 2014 et la poursuite de l'activité commerciale Grégoire/Cloué. Enfin, elle considère que depuis avril 2013 la société Cloué savait parfaitement que si elle poursuivait son idée de représenter les gammes Pellenc sur le territoire sur lequel elle distribuait les gammes Grégoire, elle-même serait conduite à mettre un terme à leur relation commerciale. Elle soutient que l'appelante a eu la possibilité de réorienter rapidement les moyens affectés à la distribution des gammes Grégoire, de sorte que le délai de préavis de 18 mois dont 6 assortis de la garantie d'une exclusivité était suffisant.

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant au regard des relations commerciales antérieures. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, la dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Il est établi que la société Cloué n'était pas dans une situation de dépendance économique vis à vis de la société Grégoire. En effet, la société Cloué a pour activité la distribution de matériels agricoles, viticoles ou vinicoles au travers de huit établissements (Le Blanc dans l'Indre, Pounat et Naintré dans la Vienne, Bourges, Sainte Solange et Arcomps dans le Cher, Loches dans l'Indre et Loir, Pontlevoy dans le Loir et Cher), de sorte qu'elle n'est pas fondée à arguer du chiffre d'affaires d'un seul de ces sites, celui de Pontlevoy qui n'emploie que 6 salariés sur un effectif global de 85 personnes. Le chiffre d'affaires de ce seul site s'est élevé pour la période du 1er décembre 2011 au 30 novembre 2013 à la somme de 3 588.391 euros, soit en moyenne 1 196 130 euros pour une année (pièce 24 de l'appelante), alors que celui de la société Cloué s'est élevé pour l'exercice clos au 30 novembre 2013 à la somme de 33 755 333 euros (pièces 7 et 8 de l'intimée) et a même été en progression de 6,05 % par rapport à l'exercice précédent de 31 829 914 euros.

Par ailleurs, la société Cloué ne peut se prévaloir d'un vain investissement (achat d'un nouveau terrain et construction d'un nouveau bâtiment pour la commercialisation des produits Grégoire), dès lors que ce n'est pas elle, qui a acquis le terrain d'Angé mais une autre société du groupe, la SCI MCV, et qu'elle a signé le contrat de construction le 9 septembre 2013 en connaissance du fait que la société Grégoire n'entendait pas poursuivre la relation commerciale avec la société Cloué si celle-ci maintenait son projet avec Pellenc. En effet, depuis le 30 avril 2014, la société Cloué était informée qu'il n'était pas envisageable pour la société Grégoire " de cohabiter avec une deuxième marque de machine à vendanger chez un même distributeur ". Cette volonté a été réitérée par courriel du 31 mai 2013, aux termes duquel l'intimée a précisé qu'une " éventuelle intégration de la marque Pellenc dans une des filiales du groupe Cloué pourra (la) pousser à prendre des décisions concernant la distribution de la marque Grégoire ", ainsi que par courriel du 23 juillet 2013. Ainsi l'appelante n'est pas fondée à prétendre qu'elle n'a réalisé cet investissement considérable que pour le seul profit de la société Grégoire.

Enfin, il doit être relevé que même si cet échange sur un éventuel partenariat de la société PCE avec la société Pellenc a pu entamer l'excellence des relations entre les parties, il est démontré par les courriels des 27 juin et 29 août 2013 (pièces 38 et 22 de l'appelante) aux termes desquels la société Cloué sollicite des instructions pour la présentation de la nouvelle machine G4 à Pontlevoy le 16 juillet suivant et pour préparer cette journée, souhaite organiser une rencontre avec les vignerons pour lancer cette nouvelle gamme, que contrairement à ce que soutient la société Grégoire, la rupture des relations commerciales n'était pas prévisible pour elle. Elle a reçu la lettre de rupture aussitôt après, le 24 septembre 2013. En toute hypothèse, le caractère prévisible de la rupture n'aurait pas privé celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

Dans ces conditions, en l'absence d'usages spécifiques au secteur de la distribution de matériels viticoles et au regard de l'ancienneté de huit années des relations, du volume d'affaires entre les parties, de l'absence de lien de dépendance, de l'absence d'investissements importants exclusivement en faveur de la société Grégoire, de l'absence non contestée de toute clause d'exclusivité dans le contrat de distribution, la cour estime qu'un délai de préavis de 7,5 mois, ainsi que l'ont jugé les premiers juges, était suffisant.

Sur le préavis effectif

La société Cloué conteste le caractère effectif du préavis de 6 mois prétendument accordé et se plaint d'une rupture sous un prétexte fallacieux, de façon abusive et vexatoire. Elle estime d'abord que la société Grégoire n'a pas, pendant le délai de préavis de 6 mois, maintenu la relation commerciale dans les mêmes conditions que celles précédant la rupture. A cet effet, elle fait grief à la société Grégoire de ne lui avoir fait bénéficier d'aucun moyen d'assistance (mise à disposition de machines de démonstration et aides complémentaires à la vente sous forme de remise de prix ou reprise d'ancien matériel par le représentant de la marque), contrairement au nouveau distributeur, de sorte qu'aucune vente n'a eu lieu pendant le délai de prévenance. Puis, elle considère abusif le fait de rompre leur relation sous un prétexte fallacieux, qui traduit la déloyauté de la société Grégoire. Elle explique qu'en rompant la relation sous prétexte que la société PCE sera distributeur des gammes Pellenc, alors qu'elle a des sites de commercialisation dédiés dans des départements différents de la société Cloué, l'intimée impose une exclusivité de fait qui voue à l'échec toute tentative de diversification de ses distributeurs et constitue une ingérence injustifiée dans la politique commerciale de cette société tierce PCE.

La société Grégoire conteste avoir diffusé l'information selon laquelle la société Cloué allait perdre l'agrément pour la distribution des gammes Grégoire, avoir refusé de fournir des machines de démonstration, avoir tenté de débaucher un des collaborateurs de l'appelante M. X, n'avoir pas donné une assistance commerciale à son distributeur et estime que l'absence de ventes pendant le délai de préavis est dû aux marges " irréalistes " que souhaitait se garder l'appelante. Elle réplique également que le motif de la rupture échappe au contrôle du juge. En tout état de cause, elle soutient qu'elle a dû légitimement se résoudre à cesser la relation avec la société Cloué. Elle rappelle qu'au regard du droit communautaire les entités juridiques distinctes soumises au contrôle d'un même opérateur sont considérées comme liées et constituent une seule et même entreprise, ce qui est le cas des sociétés Cloué et PCE, soumises à un même contrôle capitalistique familial au travers de la holding Cloué et sont animées par un même dirigeant M. Vincent Cloué. Elle souligne qu'elle ne pouvait permettre de laisser la gamme Pellenc, son deuxième concurrent, s'établir sur son réseau.

En premier lieu, aux termes du dispositif de ses dernières écritures qui seul lie la cour par application de l'article 954 du Code de procédure civile, la société Cloué entend rechercher la responsabilité de la société Grégoire sur le fondement exclusif de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce de sorte qu'il importe peu à cet égard que la rupture soit intervenue ou non sous un prétexte fallacieux. Cet argument est donc inopérant.

En second lieu, il est acquis qu'aucun matériel de marque Grégoire n'a été vendu par la société Cloué pour la campagne débutant le 30 septembre 2013, pendant le délai de préavis. Il importe d'observer, que le marché des machines viticoles est très limité puisque habituellement le distributeur ne vend en moyenne que 5 machines à vendanger neuves par an, de sorte que fournisseur et distributeur doivent nécessairement unir leurs moyens pour maximiser les ventes. Selon le contrat de distributeur agréé du 27 juin 2006, le fournisseur s'engage à faire de la publicité de la qualité de son réseau auprès des utilisateurs potentiels et du milieu professionnel ; il doit offrir au distributeur, d'une part, une assistance technique et commerciale régulière et diligente sur sa zone d'agrément, d'autre part, un soutien permanent en aidant le distributeur à réussir sa politique de démonstrations locales, en mettant en place des offres de services originales en garantie et en financement pour favoriser la vente aux clients finaux en fournissant au distributeur des outils de promotion et des supports marketing efficaces à titre gratuit dans une large mesure.

Il ressort du courriel du 2 septembre 2013 (pièce 22 de l'appelante) que la société Cloué a sollicité le 29 août 2013 la société Grégoire afin d'obtenir "la mise à disposition d'une machine et l'équipe commerciale de Grégoire" pour une présentation de la nouvelle gamme G4 220 auprès de plus de 500 vignerons ; le 2 septembre suivant, cette dernière a répondu qu'il ne lui était pas possible de prendre position sur cette demande avant d'avoir finalisé les discussions en cours portant sur le projet de distribution de la marque Pellenc via la filiale PCE. Ainsi est démontrée la volonté manifeste de la société Grégoire de ne plus aider son distributeur pour le lancement commercial d'une nouvelle machine, non pas en raison d'une insuffisance de machines en stocks ou d'une absence de commandes, comme elle le prétend, mais du seul fait des discussions en cours. Elle ne peut soutenir n'avoir pas mis à l'écart son distributeur en se prévalant d'une invitation à participer "aux vitidays Grégoire" organisés en juin 2013, dès lors qu'elle se situe avant la rupture des relations. En revanche, elle n'a pas hésité à mettre en octobre 2004 ses derniers modèles en démonstration au plus près de ses clients chez son nouveau distributeur DMS.

Par ailleurs, les deux attestations de M. Y, client vigneron, et la réponse de M. X, commercial de la société Cloué (pièces 17, 21 et 29 de l'appelante) apportent la preuve que la société Grégoire a diffusé l'information selon laquelle la société Cloué allait perdre l'agrément pour la distribution des gammes Grégoire et que M. X n'a cherché qu'à rassurer ce client sur le fait que la société Cloué était toujours concessionnaire de la gamme Grégoire. L'attestation de M. Z, commercial de la société Grégoire, impliqué dans la diffusion de cette information, aux termes de laquelle il nie avoir tenu ces propos, ne saurait avoir la force probante des deux courriels spontanés de M. Y, client tiers sans lien de dépendance. Cette information n'a pu avoir comme conséquence que de dissuader les clients d'acheter des machines auprès de la société Cloué, sachant qu'un nouveau distributeur allait être choisi en lieu et place de cette dernière.

En revanche, le grief de tentative de débauchage de M. X pour désorganiser l'appelante n'est pas démontré en ce qu'il ne repose que sur la seule attestation de ce dernier (pièce 28 de l'appelante) qui doit être considérée avec circonspection, sa candidature spontanée à un poste dans la société Grégoire n'ayant pas été retenue.

La société appelante établit par sa pièce 35 que les renseignements donnés par la société Grégoire au client potentiel d'une machine à vendanger se sont révélés inexacts, ce qui n'a pas permis la vente.

La société Grégoire n'est pas non plus sérieusement fondée à prétendre que les devis établis par la société Cloué ne l'ont été que pour les besoins de présente procédure. En effet contrairement à ce qu'affirme la société intimée M. X a bien visité en compagnie de M. Z, selon le propre témoignage de ce dernier (pièce 15 de l'intimée) les clients acheteurs potentiels de machines Grégoire sur sa zone d'agrément et la société Cloué a alors établi 11 devis (pièce 20 de l'appelante).

Il ressort des propres pièces de la société intimée, contrairement à ses assertions, qu'elle a bien accordé dans le passé des remises (vente Davaud du 21 juin 2013, action commerciale : 3 982,95 euros, vente Cuma de Vendôme de février 2011: action commerciale de 11 929 euros, vente CUMA de Bièvre du 6 juin 2011: action commerciale de 330,96 euros, vente Barbou Rouballet du 3 décembre 2010: action commerciale de 3 376,27 euros, selon les pièces 21, 22, 23, 24 de l'intimée), peu important les motifs spécifiques des remises pour chaque vente. Elle n'est pas davantage fondée à exciper du fait que la société Cloué ne lui aurait pas adressé de demande d'assistance commerciale alors qu'elle avait l'obligation contractuelle de proposer des aides, des offres de services originales en garantie ou en financement pour favoriser les ventes, ce qui tend à démontrer qu'elle a fait obstacle à la commercialisation de nouvelles machines par son partenaire.

Enfin, il ne saurait être reproché à la société Cloué des taux de marge irréalistes, alors que selon la société Grégoire elle-même en matière de machines à vendanger, le prix de vente de la machine neuve en valeur absolue n'a de signification en cas de reprise d'une machine d'occasion que si l'on rapproche le prix de la machine neuve de celui de la machine d'occasion. Par ailleurs, les prix des devis étaient destinés à être discutés par les clients et étaient susceptibles de faire ultérieurement l'objet de remises diverses. En outre les fiches de rentabilité de la société Cloué (pièce 34 de l'appelante) montrent que la marge espérée par elle se situait entre 9 et 13 %.

Il ressort de l'ensemble des ces éléments la preuve du comportement déloyal de la société Grégoire pendant le délai de préavis octroyé au cours duquel elle ne justifie nullement avoir mis en œuvre ses obligations contractuelles permettant de favoriser les ventes et que ces manœuvres ont été au contraire destinées à évincer la société Cloué du marché au potentiel restreint de la machine à vendanger au profit de son nouveau distributeur. En outre, la société Grégoire ne démontre pas la volonté délibérée de la société Cloué de ne pas commercer pendant le délai de prévenance, de sorte qu'elle ne saurait lui imputer à faute l'absence de toute vente de machines pendant ce délai. Dans ces conditions, le délai de préavis n'a pas été respecté du fait de la société Grégoire.

Sur le préjudice

La société Cloué réclame une indemnisation d'un montant de 905 137,95 euros, soit une somme de 30 171,25 euros correspondant à la marge brute mensuelle multipliée par 30 mois de préavis, dont elle a été privée.

La société Grégoire critique la période de référence de 30 mois et le calcul de la marge brute.

Le préjudice résultant du caractère brutal et sans préavis de cette rupture, est constitué par la perte de marge brute que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant la durée du préavis qui aurait du lui être accordé.

Il ressort de l'attestation de l'expert comptable M. C (pièce 24 de l'appelante), que pour la période du 1er décembre 2011 au 30 novembre 2013 la marge brute correspondant au chiffre d'affaires réalisé sur le site de Pontlevoy s'est élevée à 742 110 euros, soit une marge brute mensuelle de 20 114 euros. Cette attestation sera retenue dès lors qu'elle n'est remise en cause par aucun autre document technique produit par la société Grégoire.

En conséquence, le préjudice subi par la société Cloué, du fait du non-respect du préavis, s'élève à la somme de 20 114 euros X 7,5 mois = 150 855 euros, que devra payer la société Grégoire, qui n'a pas mis en œuvre ses obligations contractuelles de sorte que son distributeur s'est trouvé dans l'impossibilité de vendre de nouvelles machines pendant ledit délai octroyé en principe pour lui permettre de préparer le redéploiement de son activité ou retrouver un autre fournisseur équivalent.

Sur l'appel incident de la société Grégoire

La société Grégoire se plaint de l'utilisation du préavis de rupture par la société Cloué pour faire obstruction à la commercialisation des matériels Grégoire sur le territoire qui lui avait été concédé de septembre 2013 à septembre 2014 ; elle estime que son manque à gagner s'élève à la somme de 63 353,75 euros.

La société Cloué argue de sa parfaite loyauté et estime être la première victime de cette situation.

Compte tenu du sens de la présente décision, l'appel incident de la société Grégoire n'est pas fondé et peut être accueilli.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

La société Grégoire qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel et devra verser à la société Cloué la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 27 avril 2015 par le tribunal de commerce de Paris, hormis sur les dispositions relatives au point de départ des relations commerciales établies, et au rejet de la demande en dommages et intérêts de la société Grégoire ; statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés, Dit que la société Grégoire a rompu brutalement la relation commerciale la liant à la société Cloué Jean & Fils sans respecter le délai de préavis de 7,5 mois En conséquence, Condamne la société Grégoire à verser à la société Cloué Jean & Fils la somme de 150 855 euros au titre du préjudice subi par cette dernière ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Grégoire aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Condamne la société Grégoire à verser à la société Cloué Jean & Fils la somme de 6 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.