Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 11 septembre 2018, n° 16-19913

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tapin

Défendeur :

Subway International BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guihal

Conseillers :

Mme Salvary, M. Lecaroz

Avocats :

Mes Bayle, Estrade, Haroche

TGI Paris, du 12 sept. 2016.

12 septembre 2016

Le 7 novembre 2011, M. Yohann Tapin a conclu avec la société de droit néerlandais Subway International BV (ci-après SIBV) un contrat de franchise pour l'exploitation d'un restaurant à Narbonne. Cette convention prévoyait l'application du droit du Liechtenstein et la résolution des litiges par un arbitrage à New York.

Invoquant un défaut de paiement des redevances, SIBV lui a notifié la résiliation du contrat le 1er octobre 2015 et l'engagement d'une procédure d'arbitrage le 10 novembre suivant.

Par une sentence rendue à New York le 3 août 2016, M. de Barbieri, arbitre unique a prononcé la résiliation du contrat, condamné le franchisé à payer au franchiseur la somme de 40 808, 51 euros au titre des redevances et frais publicitaires, ordonné la restitution du matériel publicitaire et interdit toute utilisation des éléments d'identification de la marque Subway sous astreinte journalière de 175 euros, enfin, interdit l'exploitation d'une sandwicherie dans les locaux où cette activité avait été exercée en vertu du contrat.

Cette sentence a été revêtue de l'exequatur par une ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris du 12 septembre 2016 dont M. Tapin a interjeté appel le 6 octobre 2016.

Par des conclusions notifiées le 3 mai 2018, il demande à la cour :

- in limine litis, de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue des procédures commerciales en cours,

- principalement, de constater l'incompétence du tribunal arbitral et de réformer l'ordonnance d'exequatur,

- subsidiairement, de réformer l'ordonnance conférant l'exequatur à une sentence rendue en violation de l'ordre public international et en méconnaissance des principes de la contradiction et de l'égalité des armes,

- de rejeter les demandes de la partie adverse et de la condamner à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par des conclusions notifiées le 27 avril 2018, SIBV demande à la cour de rejeter la demande de sursis à statuer, de déclarer irrecevable et subsidiairement mal fondée la demande tendant à voir dire le tribunal arbitral incompétent, faute pour l'appelant d'avoir présenté ce moyen devant l'arbitre, de dire l'appel mal fondé, de confirmer l'ordonnance entreprise, de rejeter les demandes de M. Tapin et de le condamner à payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR QUOI :

Sur la demande de sursis à statuer :

M. Tapin fait valoir, d'une part, qu'il a fait délivrer à SIBV le 22 novembre 2016 une assignation devant le Tribunal de commerce de Marseille afin de voir prononcer l'annulation de la clause compromissoire sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce en raison du déséquilibre significatif qu'elle crée entre les parties, d'autre part que le ministre de l'Economie et des Finances a également assigné SIBV devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce pour voir constater la nullité de diverses clauses des contrats de franchise Subway, notamment la clause d'arbitrage, enjoindre à SIBV de cesser l'insertion de ces clauses et la condamner à payer une amende civile de 2 000 000 euros. L'appelant soutient que la cour doit surseoir à statuer jusqu'à ce que ces juridictions aient rendu leurs décisions dans la mesure où il invoque la nullité de la clause compromissoire.

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1448 du Code de procédure civile : "Lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable" ;

Considérant que la clause compromissoire du contrat de franchise prévoit que : "Tout litige résultant du présent contrat sera exclusivement soumis à un arbitrage organisé conformément au Règlement d'Arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI)";

Considérant que le tribunal arbitral ayant été constitué le 25 février 2016, l'action engagée par M. Tapin en novembre 2016 devant le Tribunal de commerce de Marseille aux fins d'annulation de cette clause ne peut exercer aucune influence sur l'appréciation de la compétence du tribunal arbitral ;

Que la question de la validité de la clause compromissoire et, par conséquent, celle de la compétence de l'arbitre, ne peut être examinée a posteriori que par cette cour à l'occasion du contrôle de l'ordonnance d'exequatur de la sentence sur le fondement de l'article 1520, 1° du Code de procédure civile ;

Qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Tribunal de commerce de Marseille ;

Considérant, en second lieu, que l'action exercée par le ministre de l'Economie et des Finances contre SIBV devant le Tribunal de commerce de Paris en vertu de l'article L. 442-6 III du Code de commerce tend à la cessation de certaines pratiques commerciales et au prononcé d'une amende civile; que tant par son objet, qui ne remet pas en cause en tant que tel la validité de la clause compromissoire mais seulement le choix de l'anglais comme langue d'arbitrage que par son fondement de pur droit interne, cette instance est insusceptible d'exercer une influence sur le contrôle exercé en application de l'article 1520 du Code de procédure civile à l'égard d'une sentence rendue à l'étranger;

Considérant que la demande de sursis à statuer sera rejetée ;

Sur le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral :

M. Tapin expose que la clause compromissoire prévoit un arbitrage à New York, ce qui engendre des coûts procéduraux exorbitants alors que le franchisé ne parvient plus à payer ses redevances, que cette clause a donc pour effet de priver le franchisé de son droit d'agir en justice. Il ajoute que le contrat de franchise dans son ensemble crée un déséquilibre significatif de la relation commerciale à l'avantage du franchiseur.

SIBV rétorque que M. Tapin, qui n'a pas fait valoir ce moyen devant l'arbitre n'est pas recevable à l'invoquer pour la première fois devant la cour. Sur le fond, elle fait valoir que le coût de l'arbitrage est modéré et qu'en ce qui concerne l'allégation de déséquilibre du contrat, à la supposer démontrée, elle serait sans effet sur la clause compromissoire en raison de l'autonomie de cette dernière.

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1466 du Code de procédure civile : "La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir" ;

Mais considérant que la renonciation d'une partie à soulever une irrégularité doit s'apprécier au vu de son comportement au cours de la procédure d'arbitrage ; qu'en l'espèce, M. Tapin n'a pris aucune part à l'instance arbitrale ; qu'il ne saurait se déduire de sa défaillance qu'il ait renoncé à invoquer l'incompétence du tribunal arbitral ; que le moyen est donc recevable ;

Considérant, en deuxième lieu, que le déséquilibre significatif de la relation commerciale, qui résulte, selon M. Tapin, de l'économie générale du contrat de franchise, à supposer qu'elle soit contraire à l'ordre public international, est sans effet sur la validité de la clause compromissoire de fait de l'autonomie de celle-ci par rapport au contrat qui la contient ;

Considérant, en troisième lieu, que la procédure d'arbitrage a été engagée par SIBV, qui en a avancé les frais, et qu'il est constant que son coût s'est élevé à 2 860 USD ;

Considérant, d'une part, que si M. Tapin prétend qu'il aurait dû débourser de 20 000 à 80 000 euros pour assurer sa défense, il ne produit aucun élément à l'appui de cette affirmation, ni aucun démenti à l'allégation de SIBV selon laquelle la procédure pouvait se dérouler par écrit sans déplacement de conseils, ce qui résulte du reste des propres énonciations de la sentence ;

Considérant, d'autre part, que si la société créée par M. Tapin pour exploiter la sandwicherie a été, sur sa demande, placée en liquidation judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Narbonne du 28 février 2017, l'appelant ne produit aucun élément sur sa situation financière à l'époque de l'arbitrage, c'est-à-dire, à la fin de l'année 2015 ;

Considérant que, faute d'être étayé en fait, le moyen, en ce qu'il invoque la privation du droit d'accès au juge, ne peut être accueilli ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de la violation des principes de la contradiction et de l'égalité des armes :

M. Tapin soutient que ces principes ont été violés dans la mesure où tous les actes de la procédure lui ont été notifiés en anglais sans traduction.

Considérant que la circonstance que l'arbitrage ait eu lieu en anglais, alors que ce n'est pas la langue maternelle de l'appelant, ne peut être regardée comme une atteinte aux principes de la contradiction et de l'égalité des armes dès lors qu'elle a été choisie par les parties dans une relation commerciale à caractère international et que des délais procéduraux raisonnables au regard de la complexité de l'affaire ont été fixés pour l'instruction de la cause; qu'en l'espèce, il résulte de la sentence que M. Tapin a reçu le 1er décembre 2015 la notification du dépôt de la demande d'arbitrage, le 25 février 2016 la notification de la désignation de l'arbitre par le centre d'arbitrage et le 14 avril 2016 un calendrier de procédure invitant la demanderesse à produire ses pièces avant le 9 mai et le défendeur à produire ses moyens de défense et ses pièces avant le 30 mai;

Que le moyen doit donc être écarté ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'ordre public international :

M. Tapin soutient que violerait le principe d'ordre public international de l'exécution de bonne foi des conventions la reconnaissance d'une sentence rendue au bénéfice de SIBV alors que celle-ci s'est conduite de manière déloyale, notamment en refusant la médiation préalable à l'arbitrage, en s'abstenant de répondre à l'offre d'étalement du règlement de la dette qu'il avait faite le 15 octobre 2015, en lui enjoignant le 31 août 2016 d'enlever l'enseigne et les signes distinctifs de la marque Subway dans un délai de 14 jours et en donnant ordre à son fournisseur exclusif de cesser l'approvisionnement avant même l'expiration de ce délai, en laissant s'écouler 11 mois entre la résiliation du contrat et la suspension des approvisionnements et en continuant pendant cette période à contrôler le respect des obligations contractuelles.

Considérant que le moyen discute l'interprétation et les modalités d'exécution du contrat ; que, sous couvert de l'allégation d'une violation de l'ordre public international, il tend à une révision au fond de la sentence qui n'est pas permise au juge de l'exequatur ; qu'il doit donc être écarté ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance d'exequatur doit être confirmée ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile à l'une quelconque des parties ;

Par ces motifs, LA COUR, rejette la demande de sursis à statuer. Confirme l'ordonnance d'exequatur. Condamne M. Tapin aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Rejette toute autre demande.