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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 septembre 2018, n° 16-05579

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Distri European Stock (SAS), El Wassila Cosmétiques (SARL), Beauté Shop (SARL)

Défendeur :

Clarins (SA) , Clarins Groupe (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Lutran, Dauchel, Schaming

T. com. Paris, du 11 mai 2015

11 mai 2015

Faits et procédure

La société Distri European Stock, ci-après la société DES, de droit français, a pour objet le commerce de gros de parfumerie et de produits de beauté, et notamment la distribution de produits cosmétiques de grandes marques en Algérie.

La société El Wassila Cosmétiques, ci-après la société El Wassila, de droit algérien, exerce l'activité d'import export de produits cosmétiques.

La société Beauté Shop, de droit algérien, exerce le commerce de détail de produits cosmétiques. Elle vend directement aux consommateurs algériens les produits de grandes marques fournis principalement par les sociétés DES et El Wassila.

La société Clarins, de droit français, fabrique et distribue des produits cosmétiques. Elle conçoit et commercialise, notamment, des produits sous les marques Clarins, Azzaro, Thierry Mugler et Porsche Design.

La société Clarins Groupe, de droit luxembourgeois, filiale de la société Clarins, est spécialisée dans le commerce de gros de parfumerie et de produits de beauté : elle vend à l'international les mêmes produits que la société Clarins. Elle possède un établissement secondaire en Suisse. La société DES a distribué sur le territoire algérien, depuis le 7 janvier 2002, des produits de la marque Azzaro, dont la société Clarins est la licenciée, et, depuis 2003, des produits de la marque Clarins.

La société DES a fourni à la société El Wassila des produits fabriqués par la société Clarins. Les produits étaient ensuite cédés par la société El Wassila à d'autres sociétés, dont la société Beauté Shop, laquelle les revendait dans ses deux magasins situés en Algérie.

A compter de 2007, la société DES a assuré la distribution des produits Thierry Mugler pour lesquels la société Clarins disposait également de la licence de marque.

Au mois de novembre 2008, la société IOM signifiait par courrier à la société DES qu'elle reprendrait la distribution officielle de la marque Clarins en Algérie à compter du 1er janvier 2009. Les sociétés DES et IOM ont alors initié des pourparlers qui n'ont pas abouti ; la société DES a donc cessé de distribuer sur le territoire algérien les produits Clarins.

Parallèlement, la société DES s'est vue confier la distribution des produits de la marque Porsche design par la société Clarins Groupe sur le territoire algérien.

Le 1er septembre 2009, la société Clarins Groupe a annoncé une réorganisation générale de son département export.

Le 23 novembre 2009, la société DES a adressé à la société Clarins Groupe un courriel dans lequel elle énonçait prendre note de sa décision de mettre un terme à leurs relations commerciales et lui a demandé de confirmer ses dires par écrit.

Le 8 janvier 2010, la société DES a fait adresser à la société Clarins Groupe une mise en demeure avec injonction soit de poursuivre les relations commerciales pendant une durée de deux ans aux conditions existantes, soit d'indemniser le préjudice subi par elle du fait d'une rupture brutale des relations commerciales établies.

Le 13 janvier 2010, la société Clarins a confirmé à la société DES sa décision de confier désormais à la société IOM sa distribution de produits cosmétiques et a précisé que la société DES pouvait s'approvisionner auprès de cette dernière.

Le 21 janvier 2010, la société DES a réitéré, par courrier, ses demandes d'indemnisation auprès de la société Clarins.

Par courrier du 7 juillet 2010, la société Clarins a notifié à la société DES la fin des relations commerciales à compter du mois de juillet 2011.

Par actes du 14 octobre 2010, les sociétés DES, Wassila et Beauté Shop ont assigné les sociétés Clarins et Clarins Groupe devant le Tribunal de commerce de Nanterre.

Par jugement du 19 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Nanterre s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

Des pourparlers se sont ensuite engagés entre les sociétés en marge de la procédure de première instance en vue de définir les modalités d'une reprise rapide de leurs relations commerciales par la conclusion de contrats de distribution. Toutefois, aucun accord n'a abouti.

Par jugement du 11 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- rejeté l'exception d'incompétence,

- dit que le litige opposant les sociétés Distri European Stock, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop aux sociétés Clarins et Groupe Clarins relève de la loi française,

- dit que la société Distri European Stock et la société Clarins Groupe entretenaient des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I du Code de commerce,

- dit que la société Distri European Stock, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop et la SA Clarins n'entretenaient pas de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I du Code de commerce,

- débouté la société Distri European Stock, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop de leurs demandes à l'égard de la SA Clarins,

- dit que la société Clarins Groupe a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Distri European Stock,

- dit que, par ricochet, les sociétés El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop ont été victimes d'une rupture brutale de leurs relations commerciales établies,

- fixé au 1er septembre 2009 à effet du 1er janvier 2010 la date de la rupture,

- dit que la société Clarins Groupe aurait dû accorder un préavis de 7 mois au lieu de 4 mois accordés,

- condamné la société Clarins Group à payer à titre d'indemnité de préavis :

* la somme de 11 493 euros à la société Distri European Stock,

* la somme de 21 377 euros à la société El Wassila Cosmétiques,

* la somme de 30 714 euros à la SARL. Beauté Shop,

- dit que la société Clarins Groupe a rompu fautivement ses pourparlers avec la société Distri European Stock,

- condamné la société Clarins Group à payer à la société Distri European Stock la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité de rupture de pourparlers,

- condamné la société Clarins Group à verser 5 000 euros chacune, à la société Distri European Stock, à la société El Wassila Cosmétiques et à la société Beauté Shop au titre dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

- condamné la société Clarins Groupe aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 152,64 euros donc 25,22 euros de TVA.

Les 22 juin 2015 et 27 novembre 2015 deux requêtes en rectification matérielle ont été déposées par les sociétés DES, Wassila et Beauté Shop.

Par jugement rectificatif du 19 octobre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit les sociétés DES, Wassila et Beauté Shop partiellement fondées en leur requête formée en application de l'article 462 du Code de procédure civile et rectifié comme suit le jugement entrepris :

Dans les " Attendus " il convient de lire en page 11 paragraphe 3-4-2 Le préjudice d'El Wassila " 1er alinéa : (sans changement) 2e alinéa : Le tribunal déterminera l'indemnité de préavis due à la SARL El Wassila à la marge brute moyenne, soit 31 % du CAHT. Dernier alinéa : Le tribunal condamnera Clarins Groupe à verser la somme de 21 377 euros au titre de l'indemnité de préavis soit (275 833 euros x 31 % x 3/12) déboutant pour le surplus ". 3-4-3 Le préjudice de la SARL Beauté Shop " 1er alinéa : (sans changement) 2e alinéa : Le tribunal déterminera l'indemnité de préavis due à la SARL Beauté Shop à la marge brute moyenne, soit 34 % du CAHT. Dernier alinéa : Le tribunal condamnera Clarins Groupe à verser la somme de 21 377 euros au titre de l'indemnité de préavis soit (275 833 euros x 31 % x 3/12) déboutant pour le surplus ". Dans le dispositif page 13 dans le paragraphe 1 " Condamne la SARL Clarins Groupe à payer à la société Beauté shop la somme de 21 377 euros ". Déboutant la demanderesse pour le surplus. - le reste du jugement demeurant inchangé.

Par jugement rectificatif du 22 janvier 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit les sociétés DES, Wassila et Beauté Shop partiellement fondées en leur requête formée en application de l'article 462 du Code de procédure civile et rectifié comme suit le jugement entrepris :

Dans les attendus et le dispositif page 4 et 5 : " 3-4-3 Le préjudice de Beauté Shop Attendu que le chiffre d'affaires de référence de Beauté Shop est égal à 131 % du CAHT d'El Wassila, soit 361 341 euros HT (275 833 x 1,31) ; Attendu qu'il ressort des structures de prix un taux de marge distributeur (Retailer margin de 33 % en 2007 et de 35 % en 2008) ; Le tribunal condamnera Clarins Groupe à verser la somme de 30 714 euros au titre de l'indemnité de préavis soit (361 341 euros x 34 % x 3/12) déboutant pour le surplus ".

au lieu et place de : 3-4-3 Le préjudice de la SARL Beauté Shop " 1er alinéa : (sans changement) 2e alinéa : Le tribunal déterminera l'indemnité de préavis due à la SARL Beauté Shop à la marge brute moyenne, soit 34 % du CAHT. Dernier alinéa : Le tribunal condamnera Clarins Groupe à verser la somme de 21 377 euros au titre de l'indemnité de préavis soit (275 833 euros x 31 % x 3/12) déboutant pour le surplus ". Dans le dispositif, 2e paragraphe page 5 : " Condamne la SARL Clarins Groupe à payer à la société Beauté Shop la somme de 30 714 euros " Confirme le jugement rectificatif du 19 octobre 2015 en ses autres dispositions ;

Les sociétés Distri European Stock, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop ont relevé appel de ces jugements par déclaration remise au greffe le 2 mars 2016. La procédure devant la cour a été clôturée le 5 juin 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 4 juin 2018 par lesquelles les sociétés DES, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop, appelantes, invitent la cour, au visa des articles L. 442-6 du Code de comerce, 1153 et 1382 anciens du Code civil, 65 et 70 du Code de procédure civile, à :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* Rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Clarins et Clarins Groupe,

* Dit que le litige opposant les sociétés DES, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop aux sociétés Clarins et Clarins Groupe relève de la loi française,

* Dit que la société DES et la société Clarins Groupe entretenaient des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I du Code de commerce,

* Dit que la société Clarins Groupe a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société DES,

* Dit que, par ricochet, les sociétés El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop ont été victimes d'une rupture brutale de relations commerciales établies,

* Dit que la société Clarins Groupe a rompu fautivement ses pourparlers avec la société DES,

* Ordonné l'exécution provisoire du jugement,

* Rejeté les demandes formées par Clarins et Clarins Groupe,

* condamné la société Clarins Groupe aux dépens de l'instance,

- infirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions et, statuant à nouveau :

* Concernant la rupture brutale des relations commerciales établies :

* Concernant la rupture brutale proprement dite des relations commerciales :

- dire que la société DES entretenait également des relations commerciales établies avec la société Clarins,

- dire que la rupture des relations commerciales établies entre, d'une part, la société DES et, d'autre part, les sociétés Clarins et Clarins Groupe remonte au 8 janvier 2010, date de la première mise en demeure adressée par la première aux secondes, et que les intérêts appliqués aux condamnations qui seront prononcées au titre de la rupture brutale des relations commerciales courront à compter de cette date, Concernant le préjudice subi par les sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies par Clarins :

Concernant le préjudice subi par la société DES :

Sur le préjudice " principal " de la société DES :

A titre principal,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser à la société DES la somme de 85 916,15 euros en réparation de son préjudice résultant de sa perte d'exploitation et du gain manqué,

A titre subsidiaire,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser à la société DES la somme de 57 465,25 euros en réparation de son préjudice en application de la méthode et des valeurs (à l'exception de celle du préavis) retenues par le Tribunal de commerce de Paris,

Sur les dépenses d'investissements supportées par DES :

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser à la société DES la somme de 42 313,23 euros pour l'indemniser des dépenses d'investissements qu'elle a dû effectuer à la demande de Clarins,

Concernant le préjudice subi par la société El Wassila :

A titre principal,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser à la société El Wassila la somme de 460 554,10 euros en réparation de son préjudice résultant de sa perte d'exploitation et du gain manqué,

A titre subsidiaire,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser à la société El Wassila la somme de 106 885,29 euros en réparation de son préjudice en application de la méthode et des valeurs (à l'exception de celle du préavis) retenues par le Tribunal de commerce de Paris,

Concernant le préjudice subi par la société Beauté Shop :

A titre principal,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser à la société Beauté Shop la somme 30 418,70 euros en réparation de son préjudice résultant de sa perte d'exploitation,

A titre subsidiaire,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser à la société Beauté Shop la somme de 106 885,29 euros en réparation de son préjudice en application de la méthode et des valeurs (à l'exception de celle du préavis) retenues par le Tribunal de commerce de Paris,

Concernant le préjudice d'image subi ensemble par les appelantes :

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à verser aux sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop la somme de 109 333 euros en réparation de leur préjudice d'image du fait de l'impossibilité dans laquelle elles se sont trouvées de conclure de nouveaux contrats avec les sociétés Dior et Chanel du fait de la rupture brutale des relations commerciales par Clarins,

Concernant la rupture abusive des pourparlers :

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à payer à la société DES une somme de 37 000 euros en réparation de son préjudice, hors les frais de conseil qu'elle a supportés dans ce cadre,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à rembourser la somme de 48 176,70 euros hors taxes à la société DES au titre des frais de conseil qu'elle a dû supporter au cours de cette période,

Concernant le comportement des sociétés Clarins et Clarins Groupe dans le cadre de l'instance :

- constater que les sociétés Clarins et Clarins Groupe ont travesti la réalité pour les seuls besoins de la cause en vue d'échapper à leur responsabilité,

- constater les erreurs juridiques et procédurales grossières commises par les sociétés Clarins et Clarins Groupe dans l'exercice de leurs droits, lequel a dégénéré en abus,

En conséquence,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe au paiement d'une amende civile d'un juste montant correspondant à l'appréciation de la cour d'appel de Paris ainsi qu'au versement de l'euro symbolique au bénéfice des sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop ce, par application de l'article 32-1 du Code de procédure civile,

- débouter la société Clarins Groupe de sa demande reconventionnelle à l'encontre de DES sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies et, plus largement, débouter les sociétés Clarins et Clarins Groupe de toutes leurs exceptions et demandes devant la cour de céans,

Concernant les sommes allouées par le Tribunal de commerce de Paris aux appelantes par application de l'article 700 du Code de procédure civile :

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Clarins Groupe à verser aux sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop la somme de 5 000 euros chacune et, statuant à nouveau, condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à leur verser, chacune, la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans le cadre de la procédure de première instance,

- condamner solidairement les sociétés Clarins et Clarins Groupe à payer aux sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop une somme complémentaire de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de première instance (concernant Clarins SA) et d'appel ;

Vu les conclusions du 25 mai 2018 par lesquelles les sociétés Clarins et Clarins Groupe, intimées ayant formé appel incident, demandent à la cour, au visa, à titre principal, des dispositions du Règlement Bruxelles 1 du 22 décembre 2000, des articles 12, 33, 42, 53 et suivant, 112 et suivants du Code de procédure civile, subsidiairement, des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1382 (ancien) et suivants du Code civil, de :

- déclarer les appelantes tant irrecevables que mal-fondées en tous leurs moyens, fins et conclusions,

- les en débouter purement et simplement, déclarer les intimées recevables en leur appel incident,

- les dire bien fondées,

- confirmer partiellement le jugement entrepris, en particulier en ce qu'il a dit que les appelantes n'entretenaient pas de relations commerciales établies avec la société Clarins,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* Rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les intimées,

* Dit que le présent litige relève entièrement de la loi française,

* Dit que la société Clarins Groupe aurait rompu brutalement ses relations commerciales avec la société DES.

* Dit que par ricochet les sociétés de droit algérien El Wassila et Beauté Shop et exerçant en Algérie, ont été victimes par ricochet de ladite rupture,

* Fixé le préavis de rupture à 7 mois et accordé des dommages-intérêts aux dites sociétés au titre d'un préavis insuffisant de 3 mois,

* Dit que la société Clarins Groupe aurait rompu fautivement ses pourparlers contractuels avec DES,

* Rejeté les demandes reconventionnelles des intimées,

* Condamné les intimées aux frais irrépétibles et aux dépens, Et statuant à nouveau :

- se déclarer incompétent ratione loci pour connaître des demandes dirigées tant contre la société Clarins Groupe, société de droit luxembourgeois ayant agi par sa succursale suisse, que contre la société Clarins, au profit du tribunal de Luxembourg ou du tribunal cantonal de Genève,

- constater que le fondement de toutes les demandes des appelantes principales est quasi-délictuel,

- déclarer en toute hypothèse les appelantes tant irrecevables que mal fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Clarins,

- constater que les sociétés de droit algérien El Wassila et Beauté Shop n'ont pas de relations contractuelles avec les intimées et n'exercent leur activité qu'en Algérie,

- dire que la société DES qui n'a eu de relations commerciales qu'avec Clarins Groupe, société de droit luxembourgeois exerçant par sa succursale suisse, est tant irrecevable que mal-fondée à invoquer la loi française au titre de relations commerciales et de ventes réalisées entre la Suisse et l'Algérie,

- dire que les sociétés de droit algérien El Wassila et Beauté Shop sont tant irrecevables que mal fondées à invoquer la loi française au regard d'un préjudice par ricochet, de nature quasi-délictuelle, allégué comme ayant été subi en Algérie,

- dire que la loi française est inapplicable aux relations entre les appelantes et Clarins Groupe,

- dire que la société DES est tant irrecevable que mal fondée en toutes ses demandes fins et conclusions dirigées contre la société Clarins visant la rupture des pourparlers postérieurs avec cette dernière,

A titre subsidiaire,

- dire que la société DES a interrompu unilatéralement à partir de 2008 les achats de produits de marque Clarins,

- dire que les appelantes ne peuvent prétendre à aucune indemnité du fait de la perte des ventes des produits de marque Clarins à compter de l'année 2008,

- dire que la société Clarins a notifié régulièrement par écrit du 7 juillet 2010, pour le compte de Clarins Groupe, la rupture des relations commerciales, avec effet au 7 juillet 2011,

- dire que le préavis accordé est suffisant au regard de l'antériorité des relations commerciales entre les sociétés Clarins Groupe et DES,

- dire que la société DES a interrompu unilatéralement et brutalement, à partir de fin 2009, les commandes à Clarins Groupe en dépit de relations commerciales établies,

- constater que la société DES n'a transmis aucune commande à la société Clarins Groupe pendant le préavis,

- constater que la société Clarins n'est pas un partenaire économique au sens de la loi,

- dire, en toute hypothèse, que les appelantes n'apportent pas la preuve des chiffres avancés par elles ni d'aucun préjudice,

- dire qu'en toute hypothèse une indemnité pour rupture abusive ne peut être accordée au titre de la distribution des produits de marque Clarins, arrêtée dès 2008 par la volonté unilatérale de la société DES,

- dire que la société DES a provoqué par son comportement fautif et ses inexécutions, la rupture intervenue,

- dire que la qualification et le caractère brutal de la rupture doivent être appréciés à la date de la rupture et ne peuvent être influencés par les évènements postérieurs de plusieurs années à la rupture,

- dire que les appelantes sont mal-fondées tant en leur demande visant à faire reconnaitre l'existence d'une rupture brutale qu'en leurs demande indemnitaires,

- les en débouter,

- dire que la société DES a pris l'initiative et est seule responsable, en mai 2013 comme en mai 2014, de la rupture des pourparlers en cours visant à la conclusion d'un contrat de distribution en Algérie avec Clarins Groupe,

- dire que ces négociations n'ont été conduites par la société Clarins Groupe, qu'en vue de la signature de deux contrats de distribution avec cette dernière société et non en vue d'accorder une indemnité réparatrice d'une rupture abusive,

- dire tant irrecevable que mal-fondée leur demande indemnitaire de ce chef,

- en débouter purement et simplement la société DES,

Très subsidiairement et en toute hypothèse,

- dire qu'il ne peut exister aucune solidarité entre les société Clarins Groupe et Clarins de ce chef de demande,

- dire tant recevable que bien fondée la demande reconventionnelle des intimées,

Y faisant droit :

- condamner la société DES au versement à la société Clarins Groupe d'une somme de 192 407 euros en réparation de la perte de marge brute subie par la société Clarins Groupe,

En toute hypothèse :

- condamner in solidum les appelantes à verser à chacune des intimées la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la compétence des juridictions françaises

Les sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop contestent l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Clarins et Clarins Groupe concernant le Tribunal de commerce de Paris. Elles soutiennent avoir le choix, en vertu du droit international privé français, de saisir les juridictions du domicile du défendeur ou du lieu du fait dommageable. Dès lors, dans la mesure où le Tribunal de commerce de Paris est celui du ressort du siège de la société Clarins, elles font valoir que ce tribunal est compétent. Par ailleurs, elles soulignent qu'en cas de pluralité de défendeurs, tant le règlement Bruxelles I que la convention de Lugano les autorisent à les assigner au domicile de l'un des quelconques codéfendeurs. Enfin, elles énoncent que les allégations des sociétés Clarins et Clarins Groupe, selon lesquelles la juridiction commerciale de Nanterre n'avait pas de pouvoir pour se prononcer sur sa compétence ratione materiae et sur le fait que l'article 96 du Code de procédure civile est inapplicable, ne reposent sur aucune base légale ou jurisprudentielle.

Les sociétés Clarins et Clarins Groupe estiment que le Tribunal de commerce de Paris est incompétent ratione loci pour statuer sur le litige les opposant aux sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop. Elles expliquent d'abord que la société Clarins n'a pas eu de relations commerciales avec les appelantes et qu'elle n'est donc pas un défendeur sérieux, excluant ainsi l'application de l'article 42 du Code de procédure civile et la prorogation de compétence qu'il prévoit. Elles considèrent aussi que les juges de première instance ont fait une mauvaise application de la loi en statuant au visa de l'article 96 du Code de procédure civile alors que, selon elles, celui-ci ne régit pas les litiges relevant de l'Union Européenne ou de l'AElE. Par ailleurs, elles estiment que la compétence ratione loci n'est fondée ni au regard de la société Clarins Groupe, en ce qu'il s'agit d'une société de droit luxembourgeois, ni au regard de la société Clarins, dans la mesure où cette dernière n'a pas entretenu de relations commerciales établies avec les sociétés appelantes et s'est contentée d'agir ès-qualités de mandataire de Clarins Groupe pour les questions juridiques et administratives. A ce titre, elles considèrent que les sociétés appelantes avaient le choix entre saisir le tribunal civil du Luxembourg ou le tribunal cantonal de Genève.

L'une des sociétés dont la responsabilité est recherchée est située en France et l'autre au Luxembourg avec une annexe en Suisse. Dans ces conditions, il convient de faire application, ce qui n'est pas contesté par les parties, des dispositions du Règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000.

Aux termes de l'article 6 dudit Règlement, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : "1) s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément".

En l'espèce, la société Clarins, dont le siège est situé à Neuilly (92) en France, relève des juridictions françaises, en vertu de règlement susvisé, et du ressort de la compétence du Tribunal de commerce de Paris, qui a seul le pouvoir juridictionnel, en vertu de l'annexe 4-2-1 de l'article D. 442-3 du Code de commerce auquel renvoie le dernier alinéa de l'article L. 446-2, III pour statuer sur les demandes formées sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies dans le ressort de la Cour d'appel de Versailles.

Les appelantes sollicitent la condamnation à titre solidaire à des dommages et intérêts des sociétés Clarins et Clarins Groupe sur le même fondement, en vue de réparer un même préjudice en raison d'un même fait. Dès lors, afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, et les demandes étant liées par un rapport très étroit, les sociétés appelantes sont bien fondées à assigner les sociétés Clarins et Clarins Groupe au domicile de l'une d'elle, et dans ce cas de celui de la société Clarins, sans qu'il y ait lieu d'examiner d'autres critères. Ainsi, il ne rentrait pas dans la compétence du Tribunal de commerce de Nanterre, non spécialement désigné dans l'annexe 4-2-1, de trancher l'entier litige, dès lors que les demandes formées à l'encontre des sociétés Clarins Groupe et Clarins étaient notamment fondées sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Pour ces seuls motifs, il apparaît que le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour statuer sur le présent litige.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement sur ce point.

Sur la loi applicable

Les sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop estiment qu'il convient de faire application de la loi française concernant le différend qui les oppose aux sociétés Clarins et Clarins Groupe dans la mesure où la société DES et la société Clarins sont deux sociétés françaises, que les échanges commerciaux étaient effectués, tant avec la société Clarins qu'avec la société Clarins Groupe, en euros, que la livraison des marchandises avait tout d'abord lieu en France, que le projet de contrat négocié entre les sociétés Clarins et DES indiquait soumettre le contrat au droit français, et enfin que le bureau du Président de la division internationale de Clarins est situé à Paris. En tout état de cause, la loi française est, selon elles, applicable dans la mesure où l'article L. 442-6 du Code de commerce est considéré comme une loi de police. Enfin, elles considèrent que le litige opposant les sociétés El Wassila et Beauté Shop aux Clarins et Clarins Groupe est indissociable du litige opposant la société DES à ces dernières de sorte qu'il convient de faire application du droit français.

Les sociétés Clarins et Clarins Groupe soutiennent que la loi applicable est la loi suisse ou la loi algérienne dans la mesure où la rupture des relations commerciales en tant que fait générateur a eu lieu en Suisse et que le fait dommageable a eu lieu en Algérie. Par ailleurs, elles estiment qu'il n'existe pas de rattachement suffisant avec la France pour justifier de l'application de la loi française et en particulier de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la société DES achetant en Suisse et non en France pour revendre à ses seules filiales algériennes qui n'ont au demeurant jamais eu de relations contractuelles avec les sociétés Clarins et Clarins Groupe.

S'agissant des demandes formées sur le fondement de la rupture brutale de la relation commerciale établie

L'action en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale alléguée des liens commerciaux se rattache à la matière contractuelle, les relations étant établies de longue date entre les parties sur une base contractuelle tacite. A supposer même que la règle de conflit de loi de la Convention dite Rome I, sur la loi applicable aux obligations contractuelles, aboutirait à la désignation d'une loi étrangère, à partir du moment où l'action est portée devant une juridiction française, les lois de police françaises s'appliquent, selon l'article 7.2, intitulé " Lois de police " qui dispose notamment :

" Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat".

Il est constant que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce relèvent d'une loi de police au sens du texte précité, en ce qu'il s'agit de dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et de loyauté entre partenaires économiques et qui sont considérées comme indispensable pour l'organisation économique et sociale.

Ainsi, les juridictions françaises étant compétentes pour statuer sur ce litige, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce doivent s'appliquer pour trancher les demandes formées sur ce fondement.

Sur les demandes formées au titre de la rupture des pourparlers

Les demandes de dommages et intérêts formées au titre de la rupture de pourparlers relèvent de la responsabilité extracontractuelle.

Le Règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet 2007, dit Rome II, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dispose notamment en son article 4 intitulé " Règle générale " :

1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.

3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question".

En l'espèce, il apparaît que la société DES qui reproche aux sociétés Clarins et Clarins Groupe d'avoir rompu fautivement les pourparlers a son siège en France. Il apparaît donc que le dommage invoqué par la société DES, à savoir un préjudice financier supporté par elle, est survenu en France. Dès lors, la loi applicable pour trancher la demande de rupture abusive des pourparlers est la loi française.

Sur la recevabilité des demandes des sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop

Les sociétés DES, El Wassila et Beauté Shop soutiennent que l'importation par la société El Wassila puis la distribution de produits cosmétiques en Algérie par Beauté Shop constitue le complément de la relation commerciale entre les sociétés Clarins et Clarins Groupe. Dès lors, leur action fondée sur l'article 1382 du Code civil doit être considérée comme recevable.

Les sociétés Clarins et Clarins Groupe soutiennent que l'action des sociétés El Wassila et Beauté Shop est irrecevable dans la mesure où elles n'entretiennent ni de relations commerciales avec elles ni de relations contractuelles.

Les sociétés El Wassila et Beauté Shop formulent des demandes de dommages et intérêts à l'encontre des sociétés Clarins et Clarins Groupe en réparation de leur préjudice par ricochet de la rupture brutale des relations commerciales établies entre la société DES et les sociétés Clarins et Clarins Groupe.

Dès lors, les demandes des sociétés El Wassila et Beauté Shop sont liées aux demandes de la société DES et visent notamment la société Clarins comme la société Clarins Groupe et peuvent être formulées devant les juridictions françaises au regard des principes repris ci-dessus.

En conséquence, les demandes des sociétés El Wassila et Beauté Shop sont recevables.

Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ".

Les parties s'opposent sur la durée et l'existence de relation commerciale établie avec la société Clarins, l'imputabilité, la date et la brutalité de la rupture et le préjudice subi.

Sur les relations commerciales établies

La société DES soutient avoir entretenu des relations commerciales avec les sociétés Clarins et Clarins Groupe depuis le 7 janvier 2002 jusqu'au mois de janvier 2010. Elle fait valoir que les relations commerciales établies concernent également la société Clarins, en ce que cette dernière a émis des factures à son attention, qu'elle a géré le différend lié à la rupture des relations commerciales, et qu'elle a rédigé le projet de contrat.

Les sociétés Clarins et Clarins Groupe soutiennent que les relations commerciales entre les sociétés DES et Clarins Groupe ne peuvent être considérées comme établies qu'à partir de 2005, les commandes de la société DES n'étant que sporadiques avant cette date. Par ailleurs, elles affirment que la société DES n'a entretenu aucune relation commerciale établie avec la société Clarins.

Sur le point de départ des relations commerciales établies

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux.

En l'espèce, la société DES produit l'attestation de son commissaire aux comptes qui confirme que les chiffres contenus en annexe 2 sont sincères. Toutefois, à défaut de produire des factures sur la période contestée, la cour n'est pas en mesure d'apprécier le caractère suivi, stable et habituel des échanges que les sociétés Clarins et Clarins Groupe qualifient de sporadiques, dans la mesure où la seule attestation du commissaire aux comptes ne peut être considérée, à elle seule, comme probante à défaut d'être corroborée par d'autres éléments.

Il y a donc lieu de considérer que les relations commerciales établies entre les parties ont débuté à compter de l'année 2005.

Sur la responsabilité de la société Clarins

Il ressort des éléments du dossier que :

- au cours des années 2007 et 2008, la société Clarins a émis des factures à destination de la société DES relatives à des produits cosmétiques (pièce 36 appelantes),

- par courrier du 1er septembre 2009, la société Clarins a signifié à ses interlocuteurs une réorganisation de son département export (pièce 82 appelantes),

- par courrier du 13 janvier 2010, la société Clarins a répondu à la société DES dans le cadre des négociations menées entre les sociétés DES et IOM concernant les conditions de la distribution des produits de marque Clarins en Algérie, et lui indiquant souhaiter poursuivre leur collaboration par l'intermédiaire de la société IOM (pièce 27 appelantes),

- par courrier du 20 mai 2010, la société Clarins a reproché à la société DES certains griefs, notamment de ne pas l'avoir informée de l'ouverture d'un point de vente à Alger répondant aux exigences des marques Azzaro et Thierry Mugler, de ne pas ouvrir suffisamment de points de vente de ce type dans les plus grandes villes d'Algérie, et de ne pas avoir répondu aux invitations aux présentations des plans marketings et nouveautés 2011 (pièce 31 appelantes),

- par courrier du 7 juillet 2011, la société Clarins a signifié à la société DES la fin de leurs relations commerciales avec un délai de préavis d'une année à compter de la réception de ce courrier (pièce 33 appelantes).

Ces différents courriers ont été envoyés par la société Clarins à la société DES sans qu'elle n'apparaisse comme mandataire de la société Clarins Groupe et démontrent son implication directe dans les relations commerciales avec la société DES. Ces échanges établissent clairement que la société Clarins s'est impliquée dans les négociations entre les parties, étant par ailleurs relevé qu'elle a facturé directement aux cours des années 2007 et 2008 certaines commandes à la société DES. Par ailleurs, la relation commerciale va au-delà de la seule commande des marchandises, assurée par la société Clarins Groupe de droit luxembourgeois, les conditions commerciales négociées relatives à ces commandes faisant également partie de la relation commerciale et étant elles directement gérées par la société Clarins. Ces éléments prouvent que la société Clarins s'est immiscée dans les relations entre les sociétés Clarins Groupe et DES et qu'elle a agi de concert avec la société Clarins Groupe dans les relations commerciales de cette dernière avec la société DES. En effet, les courriers précités, essentiels dans la poursuite des échanges et des négociations entre les partenaires commerciaux, ont été envoyés par la société Clarins en son seul nom. Celle-ci s'est donc directement impliquée dans la relation commerciale avec la société DES concernant la distribution des produits Clarins et de ceux pour lesquelles elle bénéficie d'une licence. Dès lors, c'est vainement que la société Clarins conteste s'être immiscée directement dans les relations commerciales entre les société Clarins Groupe et DES.

Sur la date et l'auteur de la rupture

La société DES explique qu'en plaçant un intermédiaire, la société IOM, entre les sociétés Clarins et elle et en l'invitant à n'avoir désormais de contact qu'avec la société IOM, les sociétés Clarins lui ont

imposé un " changement d'organisation dans le mode de distribution " caractéristique d'une rupture de leurs relations commerciales. Ainsi, elle excipe que le fait de lui avoir imposé, par l'intermédiaire d'IOM un remplaçant, en qualité " d'agent local " de Clarins, une structure de prix retenant un coefficient de 2,9 % pour l'année 2009 alors qu'il s'élevait à 4,13 % en 2008 (soit une baisse de 30 % du coefficient entre 2008 et 2009) modifie les relations commerciales qui les liaient. De même, elle soutient que, concernant sa commande du mois de novembre 2008, les sociétés Clarins lui ont imposé de nouvelles modalités de paiement. Elle fait valoir que la rupture est intervenue le 8 janvier 2010, date de sa mise en demeure dans laquelle elle interroge la société Clarins sur ses intentions quant à l'avenir de leurs relations commerciales, lettre à laquelle aucune réponse claire n'a été apportée.

Les sociétés Clarins et Clarins Groupe répliquent que :

- un changement d'organisation n'est pas en soi une rupture des relations commerciales,

- le changement d'organisation ne modifiait en rien le rôle de la société DES dans la distribution des produits en Algérie ni les conditions faites à DES, conditions qu'elle pouvait d'ailleurs négocier librement avec la société IOM,

- l'intervention de la société IOM a été proposée par la société Clarins Groupe dès 2008,

- la société DES a accepté l'intervention de la société IOM et a commencé aussitôt à négocier avec cette dernière,

- le changement n'avait vocation à devenir effectif qu'en 2010,

- du fait du comportement de la société DES, le changement n'est pas intervenu dans les faits,

- elles n'ont pas imposé des conditions générales de vente défavorables, la société IOM étant indépendante d'elles,

- sa demande en paiement anticipé du mois de novembre 2009 était dûe au dépassement de l'encours maximum autorisé par la Coface, étant par ailleurs relevé qu'il est isolé et qu'il a été résolu en quelques jours par les parties,

- elles n'avaient pas l'intention de rompre les relations commerciales établies avant son courrier du 7 juillet 2010,

- les griefs invoqués dans la lettre du 8 janvier 2010 de la société DES ne sont pas fondés.

La société Clarins Groupe explique que la société DES a cessé de lui commander à compter de la fin de l'année 2009, cette dernière ayant eu un comportement hostile visant à provoquer une cessation des relations commerciales et au refus brutal et soudain de DES de passer de nouvelles commandes en 2010 et 2011 malgré une relation commerciale établie depuis 2004.

Il n'est pas contesté par la société DES que la société Clarins Groupe a annoncé à la première que la société IOM était désignée pour distribuer ses produits en Algérie. Par ailleurs, il ressort du courriel du 2 octobre 2008 (pièce appelantes n° 19) que la société Clarins Groupe a proposé au représentant de la société DES de rencontrer l'équipe IOM le mercredi 29 octobre 2008 et des courriels des 20 et 29 janvier 2009 (pièce appelantes n° 20) que les négociations entre les sociétés IOM et DES étaient engagées entre elles pour organiser la nouvelle intervention de la société IOM. Par courriel du 26 mars 2009 (pièce appelantes n° 13), la société DES, par l'intermédiaire de son représentant, indiquait notamment prendre acte du changement, et regretter ce changement brutal de stratégie. Enfin, la société DES explique elle-même dans le courrier du 8 janvier 2010 que la société Clarins Groupe lui a confié au cours de l'année 2009 la distribution de nouveaux produits (pièce appelantes n° 26).

Dans son courrier du 8 janvier 2010, la société DES a formulé trois griefs aux sociétés Clarins pour considérer que les relations commerciales ont été rompues par elles :

- la distribution des produits Azzaro, Thierry Mugler et Porsche Design confiée à la société IOM au mois de novembre 2009,

- le paiement anticipé d'une facture et la livraison des produits retardée,

- la distribution des produits Clarins en Algérie par la société IOM à compter du mois d'octobre 2008.

Or, la société DES a été avertie de la décision de la société Clarins Groupe de confier la distribution de ses produits en Algérie à la société IOM au mois d'octobre 2008, mais aussi la société DES a accepté d'engager des négociations avec la société IOM sur les nouvelles modalités de distribution entre elles des produits Clarins, dès cette date, et enfin le chiffre d'affaires de la société DES avec les sociétés Clarins a même augmenté au cours de l'année 2009, alors qu'elle ne démontre pas que sa marge a baissé parallèlement. Elle ne peut donc utilement invoquer ces griefs.

Par ailleurs, la société DES ne justifie pas de ce que la distribution des produits Azzaro, Thierry Mugler et Porsche Design ait été confiée à la société IOM au mois de novembre 2009. Enfin, la demande en paiement anticipé du mois de novembre 2009 est isolée et ne peut pas ainsi constituer une modification des relations commerciales.

Dès lors, les griefs invoqués par la société DES dans le courrier du 8 janvier 2010 ne sont pas fondés et ne peuvent caractériser un changement substantiel des relations commerciales entre la société DES et les sociétés Clarins Groupe et Clarins, pouvant constituer une rupture desdites relations.

Dans son courrier du 8 janvier 2010, la société DES demande le bénéfice d'un préavis de 2 années avec le maintien de la relation commerciale aux conditions existantes, à défaut, une indemnisation du préjudice subi en raison de la brutalité de la rupture.

Enfin, l'arrêt des commandes par la société DES auprès de la société Clarins Groupe à la fin du mois de décembre 2009, non contesté, corrobore le courrier du 8 janvier 2010, au regard de leur proximité temporelle.

Dans ces conditions, il apparaît que la rupture des relations commerciales date du 8 janvier 2010, aucune commande n'ayant été ensuite passée ultérieurement par la société DES aux sociétés Clarins et la société DES notifiant clairement qu'elle prenait acte d'une rupture des relations commerciales pour des motifs infondés. En outre, en raison de ces considérations, la société DES est l'auteur de la rupture.

Il y a donc lieu de débouter la société DES de ses demandes sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.

De même, il y a lieu de rejeter les demandes des sociétés DES, Wassila et Beauté Shop au titre de l'indemnisation de leur préjudice par ricochet en raison de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies entre la société DES et les sociétés Clarins Groupe et Clarins.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que la société Clarins Groupe a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Distri European Stock,

- dit que, par ricochet, les sociétés El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop ont été victimes d'une rupture brutale de leurs relations commerciales établies,

- fixé au 1er septembre 2009 à effet du 1er janvier 2010 la date de la rupture,-

dit que la société Clarins Groupe aurait dû accorder un préavis de 7 mois au lieu de 4 mois accordés,

- condamné la société Clarins Group à payer à titre d'indemnité de préavis :

* la somme de 11 493 euros à la société Distri European Stock,

* la somme de 21 377 euros à la société El Wassila Cosmétiques,

* la somme de 30 714 euros à la SARL Beauté Shop.

Sur la demande reconventionnelle de la société Clarins Groupe en rupture brutale des relations commerciales établies

Elle sollicite ainsi la réparation de son préjudice pour l'absence de commande pendant les 21 mois de relations commerciales qui auraient dû se poursuivre jusqu'à l'issue du préavis, suite à son courrier de rupture du 7 juillet 2010.

Il a été relevé ci-dessus que l'auteur de la rupture est la société DES et que la rupture doit être fixée au 8 janvier 2010.

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.

La durée des relations commerciales au moment de la rupture est de 4 années. La société Clarins Groupe invoque le chiffre d'affaires réalisé avec la société DES au cours de l'année 2009, à savoir 235 000 euros, soit 19 583 euros mensuellement.

A défaut d'autres éléments et du temps nécessaire, au regard de la durée des relations commerciales établies et du chiffre d'affaires réalisés en 2009 entre les parties, pour que la société Clarins Groupe puisse se ré-organiser et re-déployer son activité, le préavis aurait dû être d'un mois.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture. La société Clarins Groupe indique que les commandes ultérieures à la rupture s'élèvent à la somme de 30 446 euros. Il y a lieu de tenir compte de ces commandes dans l'appréciation du préjudice correspondant uniquement à la perte de marge perdue.

La société Clarins Groupe invoque 50 % de marge brute, sans fournir aucun justificatif comptable. Au regard de ces éléments et du secteur d'activité concerné il y a lieu de fixer la marge sur coûts variables de la société Clarins Groupe à 20 %.

La perte de marge mensuelle de la société Clarins est de 3 916,6 euros (19 583x20 %). Toutefois, la société DES ayant commandé après la rupture pour la somme totale de 30 446 euros, soit 6 089,20 euros de marge, il y a lieu de déduire cette somme du préjudice subi. Cette somme étant supérieure à la perte de marge subie par la société Clarins Groupe pendant le mois de préavis, il y a donc lieu de rejeter la demande de ce chef.

Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

Sur la rupture des pourparlers

La société DES soutient que les sociétés Clarins et Clarins Groupe se sont rendues coupables d'une rupture abusive des pourparlers. Elle énonce, à ce titre, que les pourparlers ont été particulièrement fastidieux et contre-productifs. Elle explique que les sociétés Clarins et Clarins Groupe ont observé de longs silences tout au long des négociations, et qu'elle a été contrainte de relancer de nombreuses fois les sociétés Clarins et Clarins Groupe pour connaître leurs positions sur des points discutés et pour obtenir les projets de contrats promis par elles.

Les sociétés Clarins et Clarins Groupe soutiennent que la société DES ne rapporte pas la preuve qu'elles auraient interrompu de manière abusive les pourparlers. Par ailleurs, elles estiment que la société DES est responsable de l'échec des pourparlers pour ne pas avoir signé les projets négociés quasi-finalisés alors que les dates des séances de signature étaient déjà fixées.

Sur les fautes

A titre liminaire, il sera rappelé que la liberté contractuelle implique celle de ne pas contracter, notamment en interrompant les négociations préalables à la conclusion d'un contrat, sans toutefois que les partenaires pressentis ne soient dispensés de participer loyalement aux négociations et de coopérer de bonne foi à l'élaboration d'un projet, ce dont il résulte que seules les circonstances de la rupture peuvent constituer une faute pouvant donner lieu à réparation. Il sera ajouté que pour apprécier le caractère fautif de la rupture de pourparlers contractuels, il convient de prendre en considération notamment la durée et l'état d'avancement des pourparlers, le caractère soudain de la rupture, l'existence ou non d'un motif légitime de rupture, le fait pour l'auteur de la rupture d'avoir suscité chez son partenaire la confiance dans la conclusion du contrat envisagé ou encore le niveau d'expérience professionnelle des participants.

Les différents échanges démontrent que la société Clarins Groupe comme la société Clarins ont participé aux pourparlers avec les appelantes, en ce que les réunions se tenaient dans les locaux de la société Clarins (pièces appelantes 47, 60, 69), qu'un projet de contrat entre la société DES et la société Clarins a été adressé à la première par la seconde le 5 décembre 2011 (pièce appelantes 48), que la société Clarins était partie prenante dans les négociations (pièce appelantes 55). Par ailleurs, il ressort de l'instruction du dossier que :

- le 1er mars 2011, les parties se sont réunies, à la demande des appelantes, afin d'entamer des négociations en vue d'indemniser les appelantes de leurs préjudices subis du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales et d'envisager une nouvelle collaboration en vue de la distribution exclusive des marques Clarins en Algérie à compter du mois de janvier 2012 ; le procès-verbal de la réunion se concluait par les éléments suivants : " il va de soi, comme vous le souligniez, que la conclusion d'un éventuel contrat de distribution pour les marques de notre groupe suppose que nous ayons mis fin au contentieux existant devant le tribunal de commerce " (pièces appelantes 45 et 46),

- le 4 juillet 2011, il est rappelé par la société DES à la société Clarins les termes de la négociations entre elles à savoir ceux déjà évoqués au cours de la réunion du 1er mars 2011 (pièce appelantes 47),

- le 5 décembre 2011, la société DES reçoit un projet de contrat (pièce appelantes 48),

- le 21 décembre 2011, la société DES indique aux sociétés Clarins notamment être dans l'attente de l'envoi de contrats spécialement adaptés au marché algérien (pièce appelantes 51),

- le 13 décembre 2011, un membre de la direction juridique de la société Clarins fait savoir à la société DES que principalement la structure des prix devra être particulièrement discutée par l'ensemble des parties en charge du dossier (pièce appelantes 51),

- le 5 octobre 2012, la société DES adresse un courriel à un dirigeant de la société Clarins dans lequel elle rappelle qu'elle souhaite être indemnisée de son préjudice par la fourniture de produits gratuits (10 % de produits gratuits dans la limite de 50 000 euros par an), que la proposition de la société Clarins de 100 000 produits gratuits ne peut être acceptée, que l'objectif annuel fixé n'est pas réaliste, reprochant également aux sociétés Clarins " une passivité incompréhensible ", et formulant une nouvelle contreproposition (pièce appelantes 49),

- entre les mois d'octobre 2012 et mai 2013 les échanges entre les parties sont confidentiels pour avoir été menés par leurs conseils respectifs,

- le 23 mai 2013, date de signature de l'accord entre les parties, cette signature n'a pas eu lieu, des points opérationnels et commerciaux restant non résolus ; l'imputabilité de cette situation ne ressort pas des pièces du dossier les parties s'opposant sur ce point (pièces appelantes 53 et 55),

- à compter du mois de novembre 2013, les négociations entre les parties ont repris à l'initiative de la société Clarins (pièces appelantes 55, 57, 58, 59 et 60),

- le 7 novembre 2013, les parties se sont réunies pour reprendre les négociations, notamment pour définir le montant des produits gratuits qui seraient fournis par les sociétés Clarins et les aides financières pour la fabrication de mobiliers personnalisés (pièces appelantes 61),

- le 4 décembre 2013, la société Clarins Groupe a envoyé à la société DES un projet de contrat relatif aux produits Azzaro (pièces appelantes 62),

- le 20 décembre 2013, la société DES fait savoir à la société Clarins qu'elle souhaite que le point de départ de ces nouvelles négociations, soit la dernière version du contrat discuté entre les parties au mois d'avril 2013, et liste les points qui étaient auparavant litigieux et qui sont désormais acceptés (pièce appelantes 63),

- le 7 janvier 2014, la société Clarins Groupe indique, après comparaison entre les deux versions de contrat des parties, que les différences sont ténues mais que certains points demandés par la société DES ne faisant toujours pas l'objet d'un accord lui semblaient peu réalistes (pièce appelantes 64),

- le 8 janvier 2014 la société DES répond à la société Clarins Groupe sur ces points et accepte certaines des propositions mais exige notamment qu'il soit clairement spécifié que la société DES est distributeur exclusif en Algérie, y compris pour les soins Clarins (pièce appelantes 64),

- le 10 janvier 2014, la société Clarins Groupe envoie à la société DES un nouveau projet de contrat (pièce appelantes 65),

- le 13 janvier 2014, la société DES répond notamment que concernant les produits Clarins, seule la notion de " distribution sélective doit être réintroduite dans nos accords. L'exclusivité de la distribution devra être explicitée, sans omettre l'avantage en produits gratuits qui nous a été accordé à titre de dédommagement lors de nos négociations. Enfin, il faudra revenir sur la dotation en produits gratuits supplémentaires pour ce qui concerne le dédommagement des frais d'avocat, à hauteur de 10 % de la première commande effectuée " (pièce appelantes 65),

- le 13 janvier 2014, la société Clarins Groupe renvoie un nouveau projet de contrat modifié (pièce appelantes 66),

- le 15 janvier 2014, la société Clarins Groupe envoie les tarifs demandés par la société DES à celle-ci, répond à la société DES sur la question des enregistrements et demande à celle-ci si elle a pu relire le contrat (pièce appelantes 67),

- le 25 janvier 2014, la société DES envoie à la société Clarins Groupe le compte-rendu de leur réunion du 22 janvier 2014, duquel il ressort que la société DES considère que :

* les tarifs qui lui sont proposés sont élevés, malgré l'accord des parties sur le coefficient 5,

* des tarifs plus attractifs doivent être à nouveau soumis par Clarins à la société DES,

* les 10 % de produits gratuits ne concernent plus les produits Thierry Mugler et Clarins soins,

* l'objectif fixé n'est pas réalisable, et la société DES indique qu'elle ne signera pas le contrat relatif aux produits Azzaro sans accord préalable sur les produits Clarins, qu'un accord a été trouvé concernant la prise en charge des frais d'avocats, par l'attribution de 10 % de produits gratuits supplémentaires, (pièce appelantes 68),

- le 27 janvier 2014, la société Clarins Groupe répond à la société DES en lui envoyant les nouveaux tarifs Azzaro révisés à la baisse, insistant sur l'effort consenti par la société Clarins, explique qu'il a été fait le choix de rédiger un contrat par marque, la nature des affaires étant différentes, accepte d'inclure les produits Thierry Mugler pour atteinte des objectifs de 200 000 euros de produits gratuits, que le contrat relatif aux produits Thierry Mugler devra être modifié en ce sens, refuse d'inclure les produits Clarins, et s'étonne du ton du courriel du 25 janvier 2014 et des conditions posées concernant les produits Clarins alors que la société Clarins ne connaît pas le marché algérien sur ces produits, souhaitant ainsi mieux en connaître les caractéristiques avant de s'engager (pièce appelantes 68),

- le 5 février 2014, une réunion de confirmation s'est tenue entre les parties dans les locaux de la société Clarins (pièce appelantes 69),

- le 7 février 2014, la société DES interroge la société Clarins Groupe sur les prix attractifs accordés par la société Clarins à une autre société qui distribue les produits Azzaro en Algérie (pièce appelantes 70),

- le 7 février 2014, la société Clarins Groupe répond que mis à part trois produits, l'autre distributeur bénéficie de prix moins attractifs que la société DES, indiquant également avoir proposé de très bon prix sur des fins de série au coup par coup (pièce appelantes 70),

- le 13 janvier 2014, le projet de contrat définitif Azzaro a été envoyé par la société Clarins à la société DES (pièce appelante 70),

- le 5 mars 2014, la société DES relève que l'équilibre du contrat n'est pas substantiellement modifié mais formule des observations relatives à certaines modifications : la durée du préavis de non reconduction a été raccourcie, le droit de la société DES de fabriquer le matériel publicitaire a été supprimé, la référence à la société IOM a été supprimée, le paragraphe relatif au codage semble contenir une erreur de rédaction, s'agissant des 10 % de produits gratuits, il n'est pas fait référence aux produits PLV et testeurs, les délais de paiement ne sont pas conformes aux dispositions d'ordre public ; elle demande également à ce que soit insérée une clause de préférence (pièce appelante 72),

- le 7 mai 2014, la société DES indique notamment à la société Clarins qu'elle attend la nouvelle version du contrat et précise que les réajustements par la société Clarins de sa politique vis-à-vis des marchés internationaux n'ont pas à avoir d'incidence sur leurs négociations, afin de ne pas remettre en cause des points sur lesquels un accord était intervenu (pièce appelantes 73),

- le 16 mai 2014, la société Clarins Groupe envoie un nouveau projet de contrat Azzaro à la société DES modifiant certaines dispositions contractuelles afin de le mettre en adéquation avec la nouvelle politique de distribution de la marque, notamment s'agissant du codage, du choix de la distribution (exclusion des grossistes), des 10 % de marchandises gratuites ne portant plus que sur la PLV, des délais de paiement, de la durée du contrat (3 ans renouvelables) (pièce appelantes 74),- le 21 mai 2014, la société DES reproche à la société Clarins Groupe d'avoir modifié de nombreux points qui avaient fait l'objet d'accords préalables entre les parties et fait savoir que les négociations entre elles n'ont plus lieu d'être (pièce appelantes 75).

L'ensemble de ces éléments démontre que les négociations ont débuté le 1er mars 2011 entre les parties, pour se solder définitivement le 21 mai 2014, ayant ainsi duré plus de 3 années. De nombreux projets ont été échangés entre les parties pour finaliser l'accord. Or, les sociétés Clarins et Clarins Groupe ont régulièrement proposé des projets de contrats mais ont systématiquement modifié certains points substantiels notamment les conditions relatives à la fourniture de produits gratuits à la société DES. Enfin, la dernière version du contrat modifie de manière très importante des points fondamentaux du contrat, sur lesquels les parties étaient d'accord auparavant après ces trois années de négociations, modifiant l'équilibre du contrat, notamment sa durée, trois années au lieu de cinq, les conditions de distribution, ou encore les modalités de fourniture de produits gratuits. Dès lors, cette modification substantielle par les sociétés Clarins et Clarins Groupe de points ayant fait l'objet d'un accord entre les parties après plus de trois années de pourparlers est fautive.

Les sociétés Clarins et Clarins Groupe ayant participé de concert à l'ensemble des pourparlers durant les trois années, ont commis chacune des fautes ayant concouru à la réalisation du préjudice subi par la société DES en raison de la rupture unilatérale fautive des pourparlers.

Sur le préjudice

Il est de principe que la faute commise dans le droit de rupture unilatérale des pourparlers n'est pas la cause du préjudice consistant dans la perte de chance de réaliser les gains espérés de la conclusion du contrat. Le préjudice subi du fait de la rupture de pourparlers n'inclut que les frais de négociation et d'étude préalables.

La société DES sollicite d'abord l'indemnisation au titre des mois perdus dans le cadre de ces négociations qu'elle fixe forfaitairement à la somme de 1 000 euros mensuels. La société DES s'est investie dans le cadre de la négociation, par l'analyse des différents contrats, les réunions, les études commerciales, ce temps passé est directement lié aux négociations. Il y a donc lieu de fixer au regard de ces éléments et de la durée des pourparlers les frais de négociation de la société DES à la somme de 20 000 euros.

La société DES demande également le remboursement des frais de conseil pendant la durée de la négociation. Il est constant que les parties ont d'abord négocié par l'intermédiaire de leurs conseils et que ceux-ci sont intervenus à chaque étape des pourparlers, étant relevé que l'instance devant le tribunal de commerce était toujours en cours et que son issue était conditionnée par l'issue des pourparlers. La société DES communique les factures d'honoraires de son conseil qui correspondent à la période de négociation à compter du 1er mars 2011. Il y a lieu d'allouer de ce chef la somme totale de 48 176,70 euros.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Clarins Group à payer à la société Distri European Stock la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité de rupture de pourparlers et statuant à nouveau, de condamner in solidum la société Clarins Group et la société Clarins à payer à la société Distri European Stock la somme de 68 176,70 euros (20 000+48 176,70) à titre d'indemnité de rupture de pourparlers.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formulée par les appelantes

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol. L'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.

En l'espèce, les sociétés Clarins et Clarins Groupe ne sont pas à l'origine de l'action en justice engagée par les appelantes. Par ailleurs, ces dernières ne démontrent aucune faute des intimées ayant dégénéré en abus de droit, celles-ci ayant le droit de se défendre.

Les appelantes doivent être déboutées de leurs demandes de ce chef. En outre, il n'y a pas lieu de prononcer d'amende civile à l'encontre des sociétés Clarins et Clarins Groupe.

Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à réformer le jugement déféré sur le sort des dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Les sociétés Clarins et Clarins Groupe doivent être condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ailleurs, les sociétés Clarins et Clarins Groupe doivent être condamnées chacune à payer à la société DES la somme supplémentaire de 7 000 euros par application de l'article 700 du Code civil en première instance et la somme de 10 000 euros in solidum par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel. Il y a lieu de rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par les sociétés Clarins et Clarins Groupe ainsi que par El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :- dit que la société Distri European Stock et la société Clarins Groupe entretenaient des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,- dit que la société Distri European Stock, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop et la SA Clarins n'entretenaient pas de relations commerciales établies au sens de l'article L. 42-6, I, 5° du Code de commerce,- débouté les sociétés Distri European Stock, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop de leurs demandes à l'égard de la SA Clarins,- dit que la société Clarins Groupe a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Distri European Stock,- dit que, par ricochet, les sociétés El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop ont été victimes d'une rupture brutale de leurs relations commerciales établies,- fixé au 1er septembre 2009 à effet du 1er janvier 2010 la date de la rupture,- dit que la société Clarins Groupe aurait dû accorder un préavis de 7 mois au lieu de 4 mois accordés,- condamné la société Clarins Group à payer à titre d'indemnité de préavis : * la somme de 11 493 euros à la société Distri European Stock, * la somme de 21 377 euros à la société El Wassila Cosmétiques, * la somme de 30 714 euros à la SARL Beauté Shop,- condamné la société Clarins Group à payer à la société Distri European Stock la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité de rupture de pourparlers,- condamné la société Clarins Group à verser 5 000 euros chacune, à la société Distri European Stock, à la société El Wassila Cosmétiques et à la société Beauté Shop au titre dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,- condamné la société Clarins Groupe aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 152,64 euros donc 25,22 euros de TVA ; L'infirmant sur ces points ; Déboute les sociétés Distri European Stock, El Wassila Cosmétiques et Beauté Shop de leurs demandes au titre de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies ; Condamne in solidum la société Clarins Group et la société Clarins à payer à la société Distri European Stock la somme de 68 176,70 euros (20 000 + 48 176,70) à titre d'indemnité de rupture de pourparlers ; Y ajoutant ; Condamne in solidum les sociétés Clarins et Clarins Groupe aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne les sociétés Clarins et Clarins Groupe à payer à la société DES la somme supplémentaire de 7 000 euros chacune par application de l'article 700 du Code civil en première instance et in solidum la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.