CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 27 septembre 2018, n° 18-01962
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lafayette Conseil (SAS)
Défendeur :
Pharmacie de la Déesse (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chevalier
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Dellelis
Avocats :
Mes Guyonnet, Fourgoux, Benillouche, André
La société Lafayette Conseil est une plate-forme de conseil et d'assistance aux pharmacies adhérentes du réseau Lafayette, qui comprend une centaine d'officines et des magasins d'optique sur l'ensemble du territoire métropolitain.
Par acte sous seing privé du 27 mars 2009, la société Pharmacie de la Déesse a conclu avec elle une convention d'assistance qui prévoit notamment, en son article premier :
" Assistance en matière d'achats :
négociation des commandes de marchandises ;
négociation des prix pour la pharmacie bénéficiaire directement avec les fournisseurs et les laboratoires dans le respect des préconisations de prix ;
négociations des remises et conditions commerciales sur l'ensemble des commandes effectuées ; [...]
Les remises seront distribuées directement au pharmacien partenaire par le laboratoire conformément au contrat de référencement liant le prestataire au laboratoire. "
En contrepartie, la société Pharmacie de la Déesse s'est engagée à régler une indemnité forfaitaire de 500 euros mensuelle, outre une cotisation annuelle de 0,14 % du chiffre d'affaires HT avec un minimum de 8 000 euros annuel.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 15 décembre 2016, la société Pharmacie de la Déesse a mis en demeure la société Lafayette Conseil d'avoir à lui communiquer les contrats négociés avec les fournisseurs, faisant apparaître les avantages commerciaux qui devaient lui être reversés et de lui apporter des explications sur des anomalies. Elle a en outre indiqué qu'à défaut de réponse elle constaterait la résiliation de la convention d'assistance aux torts de son cocontractant.
Par courrier du 6 janvier 2017, la société Lafayette Conseil a dénoncé la résiliation, indiquant que le manquement n'était pas établi et est revenue sur les démarches récentes qu'elle avait entreprises pour favoriser la poursuite du partenariat.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 24 janvier 2017, renouvelé par même courrier du 13 février 2017, la société Pharmacie de la Déesse a pris acte de la résiliation de la convention d'assistance du 27 mars 2009.
Le 1er février 2017, la société Pharmacie de la Déesse a rejoint un réseau concurrent.
Prétendant qu'elle n'aurait pas reçu toutes les remises qui lui seraient dues par les fournisseurs au titre de la convention d'assistance qui la lie à la société Lafayette Conseil et qu'elle serait dans l'impossibilité de vérifier la parfaite application de cette convention, la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne - qui se dit sans contestation être la société Pharmacie de la Déesse, comme le relève l'ordonnance entreprise qui tient pour constant l'identité de ces deux sociétés - a fait assigner la société Lafayette Conseil par acte du 16 mars 2017 devant le président du Tribunal de commerce de Lille aux fins d'obtenir sous astreinte la production :
- des accords commerciaux négociés pour son compte avec certains fournisseurs
- des conditions et modalités de calcul de la rémunération intitulée " trade "
- des comptes sociaux de la société Lafayette Conseil sur les trois derniers exercices.
Par ordonnance du 26 juillet 2017, le président du Tribunal de commerce de Lille s'est déclaré incompétent au profit du président du Tribunal de grande instance de Lille auquel l'affaire a été renvoyée.
Par ordonnance contradictoire rendue le 27 décembre 2017, le président du Tribunal de grande instance de Lille a :
ordonné à la société Lafayette Conseil de communiquer à la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne, au plus tard un mois après la signification de l'ordonnance, les accords de référencement conclus entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2016 avec les laboratoires pharmaceutiques et fournisseurs suivants :
Arkopharma ;
Avène ;
Bayer santé familiale ;
Bioderma ;
Boehringer ;
Rogé Cavaillès ;
Gaba ;
Sunstar ;
Procter & Gamble ;
Iprad ;
Upsa ;
Sanofi ;
Puressentiel ;
Roche Posay ;
Vichy ;
Glaxosmithkline santé ;
Johnson & Johnson ;
Expanscience ;
Garancia ;
Nuxe ;
dit qu'à défaut d'avoir satisfait à cette obligation, la société Lafayette Conseil supportera une astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par fournisseur ou laboratoire pharmaceutique concerné, qui sera liquidée par le juge de l'exécution ;
débouté la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne de ses autres demandes ;
condamné la société Lafayette Conseil aux dépens et à payer à la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par acte du 14 novembre 2017, la société Lafayette Conseil a fait assigner la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne devant le Tribunal de grande instance de Lille afin d'obtenir réparation de la résiliation de la convention d'assistance et par ordonnance du 24 mai 2018, le juge de la mise en état de ce tribunal a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision de cette cour dans la présente affaire.
La société Lafayette Conseil est appelante de l'ordonnance susvisée du président du Tribunal de grande instance de Lille, suivant déclaration du 18 janvier 2018 et par conclusions communiquées par voie électronique le 20 juin 2018, elle demande à la cour, notamment au visa des articles L. 420-1, L. 442-6, R. 420-5 et D. 442-4 du Code de commerce de :
l'infirmer en ce qu'elle lui a enjoint sous astreinte de communiquer à la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne les accords de référencement conclus entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2016 avec les 20 laboratoires ou fournisseurs qu'elle cite :
confirmer l'ordonnance du 27 décembre 2017 en ce qu'elle a débouté la société Pharmacie de la Déesse de ses autres demandes ;
débouter la société Pharmacie de la Déesse de toutes ses demandes ;
condamner la Pharmacie de la Déesse à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Elle soutient que le litige relève de juridictions spécialisées puisque les textes qui fondent cette spécialisation sont dans les débats, du fait même de la Pharmacie de la Déesse et, au principal, que la mesure sollicitée est inutile et au demeurant disproportionnée à l'objectif poursuivi eu égard à la violation du secret des affaires qu'elle comporte, dans le contexte du départ pour la concurrence de la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne qui n'aurait d'autre but que de détourner son savoir-faire au profit du concurrent qu'elle a rejoint.
La société Pharmacie de la Déesse, intimée, par conclusions transmises par voie électronique le 19 juin 2018, demande à la cour, notamment au visa de l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire, de :
In limine litis
déclarer l'appel irrecevable;
dans l'hypothèse où la Cour d'appel de Paris rejetterait la fin de non-recevoir tirée de son défaut de pouvoir juridictionnel pour connaître de l'appel interjeté :
radier du rôle cette affaire dans l'attente de la parfaite exécution de l'ordonnance entreprise par la société Lafayette Conseil ;
À titre principal
confirmer l'ordonnance entreprise ;
débouter la société Lafayette Conseil de ses demandes;
condamner la société Lafayette Conseil à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Elle soutient que seule l'assignation qui ne visait que le droit commun détermine à quoi le litige est relatif, qu'aucune demande devant le juge des référés, le juge du fond ou la cour ne porte sur l'article L. 442-6 du Code de commerce et, au principal, qu'elle est fondée à savoir comment sont calculées les remises qui lui sont dues, peu important qu'elle ait rejoint un réseau concurrent.
LA COUR renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR
La Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne invoque au visa de l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel en ce qu'il est formé devant la Cour d'appel de Paris et non devant celle de Douai, comme elle l'a indiqué à l'acte de signification de l'ordonnance entreprise (sa pièce 9) conformément à l'article 680 du Code de procédure civile.
Les articles D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce prévoient que pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales et des tribunaux de grande instance compétents en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément aux tableaux de l'annexe 4-2-1 et 4-2-2 du présent livre.
La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris.
Les articles R. 420-3 et 420-4 du Code de commerce prévoient que pour l'application de son article L. 420-7, le siège et le ressort des juridictions commerciales et des tribunaux de grande instance compétents en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément aux tableaux de l'annexe 4-2 et 4-1 du présent livre. L'article R. 420-5 de ce code énonce que la Cour d'appel de Paris est compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions.
L'article 49 du Code de procédure civile prévoit que toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence connaît, même s'ils exigent l'interprétation d'un contrat, de tous les moyens de défense à l'exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction.
Il résulte de ces dispositions que la Cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application des articles L. 420-1 à L. 420-5 du Code de commerce visés par son article L. 420-7 et à celle de l'article L. 442-6 de ce code.
Le président du Tribunal de commerce de Lille a été saisi par la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne sur le fondement des seuls articles 145 et 491 du Code de procédure civile ainsi que 10 et 1993 du Code civil, ce qui n'est pas contesté.
Toutefois, celui-ci ayant renvoyé l'affaire pour compétence au président du Tribunal de grande instance de Lille, juridiction visée par l'annexe 4-2-2 susvisée, la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne a conclu devant lui au visa des articles 145 et 491 du Code de procédure civile, 10 du Code civil et L. 420-1, L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, faisant valoir que la société Lafayette Conseil invoque à tort le risque que la communication de pièces sollicitée puisse conduire à "une entente anticoncurentielle (sic) (...) au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce" et soutenant, sur deux lignes "dans cette argumentation fébrile, Lafayette Conseil est bien défaillante à établir la moindre entrave à la concurrence telle qu'exigée par la jurisprudence" (pièce appelante 22).
Contrairement à ce que prétend la société Lafayette Conseil, le seul visa des articles L. 420-1, L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce ainsi étayé ne suffit pas à les mettre dans les débats, faute de toute preuve du maintien de ce moyen de défense devant le président du Tribunal de grande instance de Lille, en particulier par la production par cette société de ses conclusions devant lui ou de tout autre élément en ce sens.
La juridiction saisie n'a d'ailleurs pas fondé sa décision sur l'application de ces textes qui n'apparaissent pas dans sa décision mais sur l'application du seul article 145 du Code de procédure civile et :
de dispositions contractuelles permettant à la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne de justifier d'un motif légitime à la communication des contrats conclus par la société Lafayette Conseil avec les fournisseurs,
et de l'absence de dispositions contractuelles permettant de faire droit à ses prétentions relatives à la rémunération intitulée " trade ".
Elle se fonde enfin sur l'absence d'utilité de la demande de production des comptes sociaux de la société Lafayette Conseil sur les trois derniers exercices, étant observé par la cour qu'il n'est pas contesté que ces comptes ont été publiés en cours de procédure.
Au surplus, la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne n'est pas contredite quand elle soutient que la société Lafayette Conseil n'a jamais demandé au président du Tribunal de grande instance de Lille de préciser s'il statuait en qualité de juridiction spécialement compétente en application de l'article 442-4 du Code de commerce ou de juge des référés de droit commun.
La société Lafayette Conseil, appelante et défenderesse à la fin de non-recevoir, soutient ainsi d'autant plus vainement le maintien du moyen de défense précité qu'elle ne fait grief à l'ordonnance entreprise d'aucun défaut de motifs relatifs à l'application des articles L. 420-1, L. 442-6, R. 420-5 et D. 442-4 du Code de commerce visés au dispositif de ses conclusions d'appel ni d'aucune méconnaissance de ceux-ci.
En effet, ses conclusions d'appel critiquent, d'abord, le motif retenu par le premier juge tiré de l'interdépendance du contrat conclu d'une part entre elle-même et la Pharmacie de la Déesse et, d'autre part, entre elle-même et les fournisseurs, sur laquelle est fondée le motif légitime à la mesure ordonnée. Elles contestent ensuite l'existence même de tout motif légitime, invoquant sa propre transparence, l'absence d'obligation pour elle de rendre compte de ses négociations avec les fournisseurs à défaut de contrat de mandat et de sérieux des suspicions de la Pharmacie de la Déesse sur la rémunération au titre du " trade " dont celle-ci déduit qu'elle n'aurait pas reçu toutes les remises qui lui seraient dues au titre de la convention d'assistance en examen. Enfin, elles soutiennent que la Pharmacie de la Déesse a rejoint le groupement concurrent Pharmabest depuis 2017 avec six autres anciens adhérents et instrumentalise la procédure pour donner à ce dernier accès à ses négociations avec les fournisseurs, tentant ainsi de détourner son savoir-faire au profit de ce concurrent. Elles en déduisent que la mesure sollicitée n'est pas légalement admissible en ce que, dans ce contexte concurrentiel conflictuel, elle porterait gravement atteinte au secret des affaires.
Un tel argumentaire n'a ainsi trait qu'aux modalités contestées d'exécution du contrat litigieux et au caractère admissible ou non de la mesure sollicitée dans un contexte concurrentiel. Il ne précise nullement en quoi le litige en examen serait relatif à l'application des articles L. 420-1 à L. 420-5 du Code de commerce visés par son article L. 420-7 et à celle de l'article L. 442-6 de ce code, qui n'y sont pas même cités.
Il s'ensuit que le président du Tribunal de grande instance de Lille qui n'était pas saisi d'un litige relatif à l'application des articles L. 420-1, L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce en dépit du visa de ces textes par la société Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne dans ses conclusions précitées (pièce appelante 22), n'a pas statué en tant que juridiction spécialisée pour en connaître et que le litige dont la cour est saisie n'est pas davantage relatif à l'application de ces textes.
En conséquence, l'appel de l'ordonnance entreprise formé devant la Cour d'appel de Paris comme étant seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de ces dispositions, est irrecevable.
La société Lafayette Conseil, partie perdante, doit supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure, conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile et l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes du la condamner à payer à la Pharmacie de la Déesse Pascal Lesne une indemnité de procédure de 2 500 euros.
Par ces motifs : Déclare l'appel irrecevable ; Condamne la société Lafayette Conseil aux dépens d'appel et à payer à la société Pharmacie de la Défense Pascal Lesne la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.