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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 26 septembre 2018, n° 17-02198

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Penavayre

Conseillers :

MM. Truche, Sonneville

TGI Saint-Gaudens, du 7 avr. 2017

7 avril 2017

Exposé du litige

Monsieur X est gérant et associé unique de la SARL Boucherie X située à Saint-Martory.

Suite à la fermeture en 2012 du supermarché exploité sous l'enseigne Intermarché par la SAS Perco sur la commune de Saint-Martory, le Maire a soumis à Monsieur X la possibilité d'ouvrir un commerce de distribution alimentaire sous une grande enseigne dans lequel il pourrait intégrer son activité d'artisan boucher et conserver sa clientèle locale.

Monsieur X et la SAS Distribution Casino France sont entrés en pourparlers. Un contrat de franchise a été signé le 4 mars 2014.

Le montant de l'opération s'est élevé à 546 461 € financé par un emprunt souscrit à la Banque Populaire Occitane pour 450 000 € par la SARL Boucherie X dont Monsieur X s'est porté caution personnelle et solidaire à hauteur de 50 %, un apport personnel de Monsieur X d'un montant de 82 500 € et une subvention du groupe Casino d'un montant de 86 000 €.

Le 9 janvier 2014, la SARL Boucherie X a acquis le fonds de commerce de la SAS Perco.

Le supermarché a ouvert en mars 2014 sous l'enseigne Spar.

Par jugement du 18 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Toulouse a placé la SARL Boucherie X en redressement judiciaire.

Par jugement du 13 janvier 2015, la SARL Boucherie X a été placée en liquidation judiciaire.

Par acte du 27 avril 2016, Monsieur X a assigné la SAS Distribution Casino France devant le Tribunal de grande instance de Saint-Gaudens.

Par jugement du 7 avril 2017, le tribunal a, au visa des dispositions de l'article 1240 du Code civil :

- condamné la SAS Distribution Casino France à payer à Monsieur X à titre de dommages et intérêts, la somme de 305 217,42 € avec intérêts aux taux légal à compter de l'assignation en justice,

- débouté la SAS Distribution Casino France de sa demande reconventionnelle,

- condamné la SAS Distribution Casino France à lui verser une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SAS Distribution Casino France aux entiers dépens

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration en date du 12 avril 2017, la société Distribution Casino France a relevé appel dudit jugement.

Par décision en date du 14 juin 2017, le premier président de cette cour a rejeté la demande tendant à l'arrêt ou à l'aménagement de l'exécution provisoire.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 avril 2018.

Prétentions des parties

Par conclusions notifiées le 11 juillet 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, la société Distribution Casino France demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1240 du Code civil, L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, 32-1 du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement, de dire que les dispositions du Code de commerce ont été respectées en ce qui concerne son obligation d'information pré-contractuelle, qu'aucune faute délictuelle ne peut lui être reprochée et que X ne peut se prévaloir d'aucun préjudice présentant un lien de causalité pouvant lui être imputé.

Elle sollicite le rejet des demandes et l'allocation, à titre reconventionnel, des sommes de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 12 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante fait essentiellement valoir que :

- Monsieur X ne s'est engagé que 8 mois après la communication du prévisionnel qu'elle avait établi, sans jamais présenter d'interrogation au regard de ces informations,

- il s'est engagé en toute connaissance de cause pour connaître le secteur d'activité et le marché local,

- les organes de la procédure collective n'ont jamais mis ce document en cause pour rechercher sa responsabilité,

- le prévisionnel qui envisageait un chiffre d'affaires pour la première année inférieur de 22,25 % avec celui réalisé antérieurement démontre que le franchiseur s'est montré loyal et sincère dans son établissement et n'a commis aucune faute,

- X ne subit aucun préjudice qui soit en rapport direct avec le comportement du franchiseur

- il s'est engagé comme caution en fonction de son propre prévisionnel établi avec son expert comptable et la perte de son apport en compte courant ne peut être retenue comme un préjudice indemnisable.

Par conclusions notifiées le 30 août 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, Monsieur X demande à la cour, au visa des articles 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable et L. 330-3 du Code de Commerce, de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- dire que la SAS Distribution Casino France a fourni des informations erronées et irréalistes à la SARL Boucherie X qui ont déterminé son consentement et l'ont conduite à la liquidation judiciaire en quelques mois,

- dire que Monsieur X a subi un préjudice du fait de ces manquements, constitué par sa dette de caution et la perte de son compte courant,

- condamner la SAS Distribution Casino France à verser à Monsieur X une somme de 305 217,42 € en réparation du préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'instance,

- subsidiairement, débouter la SAS Distribution Casino France de ses demandes reconventionnelles.

- en toute hypothèse, la condamner à lui verser une somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux dépens.

L'intimé développe principalement les observations suivantes :

- la SARL Boucherie X n'avait aucune connaissance ni expérience de l'activité de grande et moyenne surface ni du marché local puisqu'elle exerçait une activité de boucherie traditionnelle depuis 2007

- elle s'est donc basée sur les informations et prévisions qui lui ont été remises par la société Distribution Casino France

- or, le bilan économique et social réalisé par l'administrateur judiciaire est accablant à cet égard puisque la société Casino se contente de considérations générales

- les fautes du franchiseur résultent du caractère grossièrement erroné du prévisionnel communiqué par rapport aux résultats réalisés

- ces informations et prévisions erronées ont conduit la SARL X dont le résultat était bénéficiaire dans une opération qui l'a conduit à la cessation des paiements 6 mois plus tard puis à la liquidation judiciaire

- le franchiseur a engagé sa responsabilité à son égard dès lors qu'il doit assumer 50 % de l'emprunt bancaire souscrit et a perdu son apport personnel.

Il y a lieu de se reporter expressément aux conclusions susvisés pour plus ample informé sur les faits de la cause, moyens et prétentions des parties conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs de la decision

L'article L. 330-3 du Code de commerce prévoit que : " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.

Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent. "

La société Distribution Casino France a remis à Monsieur X le 7 février 2004, le document d'information pré-contractuelle qui comprenait :

- une présentation du franchiseur et de son réseau d'exploitation

- les résultats du franchiseur

- l'état du marché général et local

- le contrat de franchise envisagé avec la SARL X

En l'espèce, il n'est pas contestable que la SARL X et son gérant n'avaient aucune expérience en matière de grandes et moyennes surfaces puisqu'ils exploitaient depuis 2007 une boucherie traditionnelle à Saint Martory alors que le contrat portait sur un point de vente de 691 m² et une station-service.

La société Distribution Casino France soutient en l'espèce que ni la loi ni son décret d'application ne mettent à la charge du franchiseur l'obligation de réaliser une étude du marché local mais seulement de fournir une présentation générale et locale du marché des produits et services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement, et qu'il s'agit d'une obligation de moyens pour tout ce qui concerne les éléments prévisionnels étant donné l'aléa qui entoure nécessairement toute prévision.

S'il appartient au candidat franchisé de se renseigner sur l'état du marché sur lequel il souhaite s'implanter et de procéder à une étude de rentabilité de son projet, ce que M. X a effectivement effectué avec l'aide de son expert-comptable tout au long de la phase des pourparlers qui a duré plusieurs mois, par contre lorsqu'une telle information est donnée, il incombe au franchiseur, en vertu de l'article L. 330-3 du Code de commerce, de fournir à son cocontractant un document donnant des informations loyales et sincères pour lui permettre de s'engager en connaissance de cause.

De même lorsqu'il choisit de communiquer des comptes prévisionnels au candidat à la franchise, il doit lui transmettre des chiffres sérieux et prudents, établis sur une base réaliste.

Il ne suffit pas à cet égard de reprendre les chiffres du précédent exploitant (Intermarché) et d'y appliquer un coefficient de modération de 22,25 % pour prétendre avoir satisfait à son obligation de communiquer des renseignements reposant sur une méthodologie sérieuse alors que le point de vente était fermé depuis 2012, que le concept changeait et qu'il fallait attirer une nouvelle clientèle dont les habitudes s'était portée vers d'autres enseignes.

Il résulte du rapport de l'administrateur judiciaire que les chiffres communiqués par la société Casino étaient nettement surévalués puisque la société X n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires mensuel de 211 000 € hors taxes au lieu des 318 556 € hors taxes prévus, soit un écart de plus de 100 000 € (ou de 34 %), seule l'activité de boucherie traditionnelle étant conforme aux prévisions.

Il conclut que le franchisé était dans l'impossibilité de respecter le modèle économique défini par le groupe Casino du fait d'une marge en constante dégradation (passant de 37 % en 2013 à 14 % en 2014) alors qu'elle est en moyenne de 25 % pour ce type de structures.

L'expert-comptable de Monsieur X a d'ailleurs confirmé qu'il s'était exclusivement basé sur le prévisionnel fourni par la société Distribution Casino France pour établir ses propres prévisions concernant l'exploitation de la boucherie traditionnelle au sein du point de vente Spar.

Dès lors il apparaît que c'est à bon droit que Monsieur X se prétend victime de comptes prévisionnels trompeurs et ce dans des proportions importantes qui excluent tout aléa.

De même il apparaît qu'il existait en réalité dans la zone de chalandise du point de vente, 11 moyennes et grandes surfaces dans un rayon de 20 km, ce qui révèle un contexte de concurrence exacerbée sur lequel le franchiseur devait attirer l'attention de son cocontractant.

Or la société Casino n'a communiqué que des renseignements généraux extraits du journal des Échos de la franchise, complétés par une enquête de l'Insee de 2012 qui confirme que les grandes surfaces et les réseaux d'enseignes dominent le commerce de détail, l'ensemble présentant l'enseigne Spar et son réseau sous un jour favorable, sans caractériser l'évolution des besoins dans le secteur de Saint Martory.

La rapidité avec laquelle la déconfiture de la société est intervenue, confirme à tout le moins le caractère irréaliste des prévisions faites qui ont conduit la société X à la liquidation judiciaire en moins de 10 mois alors que l'activité de la société était florissante avant le rachat du point de vente litigieux.

Enfin contrairement à ce qui est soutenu, le franchiseur est susceptible d'engager sa responsabilité s'il fournit des informations erronées sans qu'il soit nécessaire d'établir sa volonté de tromper.

La faute pré-contractuelle peut consister en une simple imprudence ou négligence, notamment lorsque les prévisions communiquées sont trop générales ou trop optimistes et que, comme en l'espèce, le franchisé n'a pas les moyens de contrôler le sérieux des prévisions communiquées par un professionnel qui fait partie des plus grands groupes du secteur.

Dès lors il y a lieu de confirmer la décision du Tribunal de grande instance de Saint-Gaudens qui a, par une juste application des règles de droit applicables en la cause et des motifs pertinents, considéré que Monsieur X a pu s'appuyer sur le prévisionnel établi par la société Casino, professionnel reconnu, pour élaborer le sien et que l'ampleur des différences entre prévisions et résultat traduit la légèreté avec laquelle la société Casino France a élaboré son compte prévisionnel d'exploitation alors qu'aucune faute dans la gestion expliquant les déboires de la SARL X n'est démontrée.

Il appartient à la société Casino France de réparer le préjudice subi par Monsieur X dès lors qu'elle n'établit pas que ce dernier a, par son comportement ou sa négligence, été à l'origine de son propre préjudice.

M. X réclame une indemnité destinée à compenser la mise en œuvre de son cautionnement par la banque BPO ainsi que la perte de son compte courant.

En l'espèce, il existe un lien direct entre le défaut d'information reproché à la société Casino France et la déconfiture de l'exploitant survenue dans un temps très rapide du fait de l'écart existant entre le compte prévisionnel et les résultats, et de la dégradation rapide de la marge brute. En effet le candidat franchisé n'a pu se forger une opinion valable sur l'opportunité de son investissement et s'est engagé sur des bases irréalistes.

Dès lors le dirigeant de la société franchisée est en droit de réclamer la réparation intégrale de son préjudice sans que ne puisse lui être opposé une perte de chance comme invoqué par la société appelante.

Le préjudice a été justement évalué à la somme de 305 217,42 euros outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice.

La société Distribution Casino France étant déboutée de ses demandes ne peut solliciter une indemnité pour procédure abusive.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé partie des frais irrépétibles par lui exposés pour assurer sa représentation en cause d'appel. Il lui sera alloué 2 000 € de ce chef.

La partie qui succombe doit supporter les frais de l'instance.

Par ces motifs, LA COUR, statuant après en avoir délibéré, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Saint-Gaudens du 7 avril 2017 en toutes ses dispositions, Déboute la société Distribution Casino France de l'ensemble de ses demandes et prétentions contraires, Condamne la SAS Distribution Casino France à payer à M. X la somme de 2 000 € pour les frais exposés en cause d'appel avec distraction au profit de la Selarl Arcanthe conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.