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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 26 septembre 2018, n° 18-00474

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

New Stefal Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beneix-Bacher

Conseillers :

MM. Beauclair, Mazarin-Georgin

TGI Toulouse, du 22 août 2017

22 août 2017

La société Global Mail Concept exerçant sous l'enseigne Vital Beauty une activité de commercialisation par correspondance de produits de bien être et de beauté a adressé à Mme T. DE O. courant 2014 des brochures publicitaires présentant différents produits offerts à la vente par sa société.

Une seconde série de documents personnalisés lui indiquait qu'elle était attributaire selon le " Département des gains 2014 " d'un chèque de 57 500 €.

Estimant que ces procédés constituaient des pratiques commerciales agressives et trompeuses au regard du Code de la consommation, Mme T. DE O. a par acte en date du 18 août 2014 assigné la société Global Mail Concept devant le tribunal de grande instance de Toulouse en paiement de la somme de 57 500 € sur le fondement des articles L. 120-1, L. 121-36 et L. 122-11 anciens du Code de la consommation, faisant valoir que les courriers reçus ne laissaient aucun doute sur sa qualité de gagnante d'un chèque garanti de 57 500 € et qu'aucun aléa ne ressortait des documents publicitaires.

Par jugement en date du 22 août 2017 le tribunal a débouté Mme T. DE O. de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration en date du 7 février 2018 Mme T. DE O. a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions reçues le 13 avril 2018 elle demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris

- de condamner la société Global Mail Concept à lui payer la somme de 57 500 €

- de la condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l' article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir en substance que :

Les documents reçus l'informaient qu'elle s'était vue attributaire par le " département des gains 2014" d'un chèque de 57 500 € au terme d'un document intitulé 'convocation pour perception de gain suite à la nomination de Mme T. au titre de gagnante', cette annonce ajoutant que cette attribution avait été contrôlée par huissier de justice assortie de l'affirmation 'Mme T., vous êtes officiellement la Grande Gagnante du Premier Prix de 57 500 € ! C'est simple, vous n'avez qu'à répondre pour recevoir cette somme à Toulouse' immédiatement suivie de la mention 'il a été confirmé qu'après le tirage effectué par l'huissier de justice, vous étiez l'unique Gagnante de cette belle somme d'argent. Vous devez désormais nous répondre pour recevoir cet argent qui est bien pour vous ! BRAVO'.

Toutes les autres mentions du document viennent donner force et crédit à ces affirmations : dans un encadré et une police de caractères très importants : " Mme T. est déclarée : gagnante d'un chèque confirmé. Montant de 57 500 €. "

Au pied du document sous la forme d'un sceau circulaire de couleur violette il est indiqué : 'l'envoi des 57 500 € est certifié et " paiement de l'unique prix en jeu à la personne désignée Grande Gagnante si elle répond dans les délais impartis ".

Un second document intitulé " récapitulatif des droits acquis " et certificat d'envoi de gains reprend sous une forme différente les mêmes indications en spécifiant : 'le gain est d'ores et déjà acquis' et l'envoi du chèque confirmé sous 15 jours mais uniquement en cas de commande passée au catalogue.

Un troisième document intitulé " procédure d'envoi rapide de chèque confirmé " et " garantie formelle de paiement bancaire " précise " le chèque premier prix de 57 500 € est bien dans votre dossier ! Votre nom y est inscrit et il a été signé par le responsable financier ". " Si vous remplissez ces formalités essentielles je m'engage personnellement à vous verser 57 500 € ".

Les formalités essentielles dont s'agit consistent d'après la rubrique " procédure d'envoi rapide chèque confirmé " à coller le " bordereau de droits personnels " sur le récépissé de convocation, compléter celui-ci, le dater et le signer ; remplir obligatoirement le bon de commande en choisissant des articles du catalogue ; poster l'ensemble sous 15 jours maximum.

Le " bordereau de droits personnels " collé au verso de ce document précise que " Mme T. est déclarée gagnante d'un chèque confirmé grâce à son numéro.... " cette mention est immédiatement suivie en police rouge et en gras de l'indication 'il s'agit bien de 57 500 €.

Ces sollicitations constituent à l'évidence des pratiques commerciales illicites sanctionnées par le Code de la consommation.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard d'un bien ou d'un service.

Constituent des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 ancien et L. 121-1-1 ancien ainsi que les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 122-11 et L. 122-11-1 anciens.

Sont réputées agressives les pratiques commerciales qui ont pour objet de donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte, un prix ou un autre avantage équivalent alors qu'en fait l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande de prix ou un autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût.

L' article L. 120-36 ancien énonce que les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrits qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants quelles que soient les modalités de tirage au sort ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit. Lorsque la participation à cette opération est conditionnée à une obligation d'achat, la pratique n'est illicite que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l' article L. 120-1 ancien.

Il résulte des documents adressés par la société qu'il est affirmé à Mme T. en caractères très apparents et dépourvus d'ambiguïté qu'elle était la gagnante du chèque litigieux.

Il ressort de tous les documents produits que la confusion est entretenue de manière particulièrement déloyale par la société dès lors que la présentation des différents documents, les caractéristiques des polices employées en fonction des informations et l'emplacement de celles-ci sont destinées à altérer de manière substantielle le comportement normalement avisé du consommateur en vue de le pousser à passer commande afin de recevoir le gain annoncé.

Aux termes de la jurisprudence de la cour de cassation, le professionnel a l'obligation impérative de concevoir des documents publicitaires révélant à première lecture l'existence d'un aléa affectant l'attribution du gain.

Tel n'est pas le cas des documents adressés à Mme T. lesquels en raison de leur présentation formelle et des affirmations péremptoires et répétitives quant à la certitude affirmée d'attribution définitive du gain démontrent que la société a entendu faire croire à la destinataire qu'elle était bien la gagnante du chèque de 57 500 €.

Aucun aléa lié à un quelconque pré-tirage n'est mis en évidence à première lecture des documents qui présentent une attribution de gain comme certaine et définitive après qu'un huissier de justice ait procédé d'ores et déjà aux opérations de tirage au sort.

L' article L. 122-11-1 ancien dispose expressément que sont réputées agressives les pratiques commerciales qui donnent l'impression au consommateur qu'il a déjà gagné le gain annoncé alors que tel n'est pas le cas.

Il appartient au professionnel de mettre clairement en évidence l'existence d'un aléa à première lecture sous peine d'engager sa responsabilité et à défaut il est tenu de délivrer le montant du gain présenté au consommateur.

Par dernières conclusions reçues le 3 mai 2018 la société New Stefal. Holding venant aux droits de la société Global Mail Concept demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris

- débouter Mme T. DE O. de ses demandes

- la condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 500 € au titre de l' article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir pour sa part que :

La mise en cause de la responsabilité des organisateurs de loteries résulte de la présentation délibérément trompeuse des correspondances adressées à la clientèle l'induisant en erreur en présentant un gain hypothétique de manière certaine.

La cour de cassation a jugé que le fait d'adresser des documents personnalisés à un consommateur contenant des affirmations catégoriques, revêtus pour certains d'un caractère se voulant officiel, rédigés de telle sorte que de prime abord suite à une lecture rapide et sélective, ils peuvent laisser croire à l'existence d'un gain, ne constitue pas une faute dès lors qu'une lecture complète et moyennement attentive ne s'arrêtant pas seulement aux formules attractives des documents qui contiennent chaque fois le réglement des divers jeux et se réfèrent à plusieurs reprises à l'existence d'aléa permet au destinataire de ces envois de se rendre compte à l'évidence qu'il a uniquement gagné le droit de participer à un tirage au sort et non de se faire remettre les chèques mis en jeu ( CCASS. CIV 1ère, 16 septembre 2010).

Sur le fondement du quasi contrat, la responsabilité de l'organisateur de loterie est fondée sur l'engagement dans un document publicitaire de verser un lot à un destinataire nominativement désigné exprimé sans mettre en évidence l'existence d'un aléa ; l'existence de l'aléa doit être mise en évidence à première lecture de l'ensemble des documents dès l'annonce du gain.

En l'espèce, les documents commerciaux qui ont été adressés à Mme T. mettaient clairement en évidence le caractère aléatoire de l'attribution du prix principal mis en jeu.

Le réglement du jeu figure in extenso sur les documents adressés aux consommateurs, ce qui est de nature à dissiper toute ambiguïté quant à l'attribution du prix ; et il est précédé d'une mention rédigée de façon particulièrement apparente et lisible en caractères majuscules : " Attribution Soumise à Alea - Lisez attentivement les régles et conditions d'attribution " ;

Cette seule formule suffit à mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa et à induire ainsi immédiatement le doute dans l'esprit du lecteur sur la véracité des formules affirmatives et attractives utilisées dans ces courriers.

Le réglement détaille explicitement et précisément le fonctionnement du jeu et permet à toute personne raisonnablement attentive et avisée de comprendre à première lecture que le prix principal mis en jeu ne peut revenir qu'à la personne dont le numéro personnel correspond à celui du grand gagnant pré-tiré au sort lors de l'ouverture du jeu.

Le caractère aléatoire est mis en évidence sur les enveloppes et sur les bulletins de participation.

Le procédé commercial utilisé n'est pas une pratique commerciale illicite mais une pratique réglementée que la société Global Mail Concept respecte.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 juin 2018.

Motifs de la décision

L' article L. 120-1 ancien du Code de la consommation applicable en l'espèce indique que les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard d'un bien ou d'un service.

Constituent en particulier des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 ancien et L. 121-1-1 ainsi que les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 122-11 ancien et L. 122-11-1 ancien.

En application de l' article L. 122-11-1, sont réputées agressives, au sens de l' article L. 122-11, les pratiques commerciales qui ont pour objet de donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera, ou gagnera en accomplissant tel acte, un prix ou un autre avantage équivalent, alors qu'en fait, l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande de prix ou un autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût.

L' article L. 120-36 ancien énonce pour sa part que les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrits qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités du tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit. Lorsque la participation à cette opération est conditionnée à une obligation d'achat, la pratique n'est illicite que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l' article L. 120-1 ancien.

En particulier, l'organisateur d'une loterie publicitaire qui annonce un gain à une personne dénommée, sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'oblige, par ce fait à le délivrer.

L'appréciation de la conscience de l'aléa doit résulter d'une lecture complète des documents et non uniquement de certains extraits mettant en avant le gain.

En l'espèce, le premier juge, après avoir analysé de façon complète et détaillée les documents adressés à Mme T. DE O. en a justement déduit qu'ils mettaient en évidence à première lecture l'existence d'un aléa s'agissant du prix principal mis en jeu et qu'il s'agissait de participer à une loterie sans obligation d'achat.

En effet, en apparence, les documents adressés à Mme T. DE O. sont fortement personnalisés et les formules sont affirmatives, les termes employés revêtent un caractère officiel : 'confirmation officielle', 'vous êtes officiellement la Grande Gagnante du Premier Prix de 57 500 €', 'gagnante indiscutable', ' le chèque premier prix de 57 500 € est bien dans votre dossier'...

Cependant au-delà de ces formules attractives, une lecture moyennement attentive des documents qui contiennent à plusieurs reprises les mentions 'gain soumis à aléa', 'attribution soumise à aléa, règles et conditions d'attribution à l'intérieur' , deux fois sur l'enveloppe en caractères gras, une fois sur la page des conditions générales du jeu, ainsi que d'un rappel au règlement ou d'une réserve à chaque annonce de l'attribution du prix, et surtout du règlement du jeu lui-même qui est joint en intégralité à l'envoi permet au consommateur normalement avisé qui a pris connaissance de l'ensemble des documents et notamment du règlement de comprendre qu'il participe à une loterie, qu'il s'agit d'un jeu soumis à aléa, que l'attribution du gain présenté devra faire l'objet d'une vérification après tirage au sort et clôture des opérations de jeu, et que le gain éventuel de 57 500 € ne peut être confondu avec le 'chèque certifié' qui est un chèque de réduction attribué en cas de commande d'un article.

Ainsi, le règlement précise les règles et conditions d'attribution du prix et explique le mécanisme du pré-tirage au sort qui ne permet pas de déterminer le nom du gagnant avant la clôture et indique en son article 10 que le grand gagnant, s'il a participé dans les délais sera averti par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de 90 jours après la clôture.

Mme T. DE O. ne pouvait donc se méprendre sur le fait qu'elle participait à un jeu en renvoyant le document intitulé : " procédure d' envoi rapide de chèque confirmé ", qu'il s'agissait du chèque de réduction en cas de commande et que le numéro gagnant du chèque de 57 500 € serait tiré au sort.

Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement qui a débouté Mme T. DE O. de ses demandes.

L'appelante qui succombe est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 1000 € à la société New Stefal. Holding venant aux droits de la société Global Mail Concept au titre de l' article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris, Condamne Mme T. DE O. aux dépens et au paiement de la somme de 1 000 € à la société New Stefal. Holding venant aux droits de la société Global Mail Concept au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.