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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 octobre 2018, n° 16-11454

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société d'Equipement de la Maison du Nord (SA), Novidri (SARL), CL2 (SARL)

Défendeur :

Cuisine Plus France (SAS) , Ixina France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Etevenard, Royer, Fisselier, Simon

T. com. Paris, du 18 mai 2016

18 mai 2016

Faits et procédure

Les sociétés Équipement de la maison du nord (ci-après " SEMN "), Novidri et CL2 sont des sociétés spécialisées dans le commerce de détail de meubles, plus exactement de cuisines équipées. M. X dirige les trois sociétés.

La société Cuisine Plus France (ci-après " Cuisine Plus "), venant aux droits de la société Plus International et la société Ixina France (ci-après " Ixina "), appartenant au même groupe, exploitent chacune un réseau de points de vente de cuisine, respectivement sous enseigne Cuisine Plus et Ixina.

Au total, sept magasins sous enseignes des deux sociétés Cuisine Plus et Ixina ont été exploités par les sociétés Équipement de la maison du nord (ci-après " SEMN "), Novidri et CL2, selon trois contrats de franchise conclus entre les sociétés Novidri et Ixina, trois contrats entre les sociétés SEMN et Plus International, et, enfin, un contrat conclu entre les sociétés CL2 et Ixina. Ces contrats, signés le 24 janvier 2011, sont arrivés à échéance le 31 décembre 2015 et n'ont pas été renouvelés.

Au sein de ces contrats avaient été insérées des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation pour la durée du contrat et post-contractuelles.

Pour l'ensemble de ces contrats, avaient également été signés le même jour, soit le 24 janvier 2011, des avenants indiquant que la clause de non-concurrence prévue au contrat ne s'appliquerait pas pendant l'exécution de celui-ci aux enseignes et sociétés existantes et exploités par le franchisé au jour de la signature du contrat.

Dans deux courriers du 16 février 2015, les franchiseurs Ixina et Cuisine Plus prenaient acte de la volonté des franchisés de ne pas renouveler les relations contractuelles au delà du 31 décembre 2015, date d'échéance des contrats et rappelaient aux franchisés le nécessaire respect des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation post-contractuelles.

Le 7 décembre 2015, M. X, en sa qualité de gérant de Novidri et de PDG de SEMN et CL2, a assigné à bref délai les sociétés Ixina et Cuisine Plus devant le Tribunal de commerce de Paris afin de contester la validité des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation prévues dans les contrats de franchise et demander leur annulation, en arguant de leur caractère disproportionné.

Les sociétés SEMN, Novidri et CL2 ont poursuivi leurs activités de vente de cuisines sous une enseigne différente, jusqu'au délibéré.

Par jugement du 18 mai 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté les sociétés SEMN, Novidri et CL2 de leur demande de voir annulées les clauses de non-concurrence prévues :

* aux contrats de franchise conclus entre Ixina France et Novidri et CL2 à l'article 15.1,

* aux contrats conclus entre Cuisine Plus France, venant aux droits de la société Plus International et SEMN à l'article 14.1,

- dit nulles les clauses de non-réaffiliation prévues :

* aux contrats de franchise conclus entre les sociétés Ixina France, Novidri et CL2 à l'article 15.2,

* aux contrats conclus entre les sociétés Cuisine Plus France, venant aux droits de la SAS Plus International et SEMN à l'article 14.2,

- rejeté comme irrecevables les demandes reconventionnelles des sociétés Ixina France et Cuisine Plus France, venant aux droits de la société Plus International,

- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- dit les parties mal fondées en leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent jugement et les en a déboutées,

- condamné les sociétés Ixina France et Cuisine Plus France, venant aux droits de la société Plus International d'une part, et les sociétés SEMN, Novidri et CL2 d'autre part, par moitié aux dépens du jugement, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 152,64 euros dont 25,22 euros de TVA.

La cour est saisie de l'appel interjeté par les sociétés SEMN, Novidri et CL2.

LA COUR

Vu l'appel des sociétés SEMN, Novidri et CL2 et leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 juillet 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 1134 du Code civil et L. 341-2 du Code de commerce,

- constater le caractère particulièrement disproportionné des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation imposées par les franchiseurs aux sociétés franchisées dans le cadre des contrats de franchise visés ci-dessus,

en conséquence,

- annuler les clauses de non-concurrence prévues :

* aux contrats de franchise conclus entre Ixina et les sociétés Novidri et CL2 à l'article 15.1,

* aux contrats de franchise conclus entre Cuisine Plus venant aux droits de Plus International et la société SEMN à l'article 14.1,

- annuler les clauses de non-réaffiliation prévues :

* aux contrats de franchise conclus entre Ixina et les sociétés Novidri et CL2 à l'article 15.2,

* aux contrats de franchise conclus entre Cuisine Plus venant aux droits de Plus International et la société SEMN à l'article 14.2,

- condamner in solidum les sociétés Cuisine Plus venant aux droits de Plus International et Ixina à payer aux sociétés Novidri, SEMN et CL2 la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions des sociétés Cuisine Plus France, venant aux droits de la société Plus International, et Ixina France, intimées, déposées et notifiées le 25 juin 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article 1134 du Code civil,

- dire recevable et bien fondée l'intervention volontaire de la société Cuisine Plus France venant aux droits de la société Plus International,

- déclarer les sociétés Cuisine Plus France et Ixina France recevables et bien fondées en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- donner acte aux sociétés Cuisine Plus France et Ixina France de leur acquiescement au jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables leurs demandes reconventionnelles aux termes du jugement dont appel,

- dire que les clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation prévues aux contrats de franchise conclus entre la société Ixina France et les sociétés Novidri et CL2, et aux contrats de franchise entre les sociétés Plus International et SEMN, sont valables,

en conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les clauses de non-concurrence étaient valables,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les clauses de non-réaffiliation étaient nulles,

- débouter les sociétés SEMN, Novidri et CL2 de l'ensemble de leurs demandes, y ajoutant,

- condamner in solidum les sociétés SEMN, Novidri et CL2 à payer à Cuisine Plus France et Ixina France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner in solidum les sociétés SEMN, Novidri et CL2 aux entiers dépens de l'instance;

Sur ce

La validité des clauses de non-concurrence post contractuelles et de non-affiliation prévues dans les contrats des réseaux de franchise Cuisine Plus et Ixina est contestée par les sociétés appelantes, qui demandent à la cour d'en prononcer la nullité.

Les clauses de non-affiliation ou de non-concurrence post contractuelles peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise dans la mesure où elles permettent d'assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu'aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d'exclusivité ; ces clauses doivent cependant rester proportionnées à l'objectif qu'elles poursuivent.

Sur la clause de non-concurrence post contractuelle

Une clause de non-concurrence, en ce qu'elle porte atteinte au principe de la liberté du commerce, doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur, c'est-à-dire être limitée quant à l'activité, l'espace et le lieu qu'elle vise ; elle ne peut, par exemple, empêcher le débiteur d'exercer toute activité professionnelle ; enfin, elle doit, au regard de la mise en balance de l'intérêt légitime du créancier de non-concurrence et de l'atteinte qui est apportée au libre exercice de l'activité professionnelle du débiteur de non-concurrence, être proportionnée.

Même si l'application du règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées n'est pas explicitement soulevée, les conditions d'exemption automatique des clauses de non-concurrence post contractuelles prévues dans le règlement d'exemption sont les suivantes, qui donnent un guide d'analyse :

a) l'obligation concerne des biens ou des services en concurrence avec les biens ou services contractuels ;

b) l'obligation est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l'acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat ;

c) l'obligation est indispensable à la protection d'un savoir-faire transféré par le fournisseur à l'acheteur ;

d) la durée de l'obligation est limitée à un an à compter de l'expiration de l'accord.

En l'espèce, les clauses litigieuses sont insérées à l'article 15 des contrats de la socité Ixina, intitulé " Clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation " et ainsi rédigées :

" 15.1 Obligations de non-concurrence

15.1.1. Non-concurrence pendant le Contrat

Pendant toute la durée du Contrat, le Franchisé et le Représentant s'interdisent, directement ou indirectement, d'exercer et/ou de s'intéresser à une activité similaire en tout ou partie à celle du Franchiseur sur tout le territoire national.

(...)

15.1.2. Non-concurrence après la Cessation du Contrat

Pendant une durée d'un an à compter de la Cessation du Contrat, le Franchisé et le Représentant s'interdisent, directement ou indirectement, d'exercer et/ou de s'intéresser à une activité similaire en tout ou partie à celle du franchiseur, dans le ou les locaux dans lequel ou lesquels le Franchisé aura exercé l'activité Ixina au jour de la Cessation du Contrat.

Le Franchisé et le Représentant se portent fort également du respect de cette obligation :

- s'il est une personne physique, par ses parents jusqu'au quatrième degré direct ou par alliance ;

- s'il est une personne morale, par les associés qui détiennent son capital social, les parents jusqu'au quatrième degré direct ou par alliance desdits associés, ainsi que par les sociétés qui la contrôlent directement ou indirectement au sens de l'article L. 233-3 du Code de commerce.

15.2 Obligation de non-réaffiliation

Le Franchisé s'engage expressément à ne pas s'affilier, adhérer ou participer de quelque manière que ce soit à un réseau concurrent du Réseau ou à en créer un lui-même et, plus généralement, à se lier à tout groupement, organisme ou entreprise directement concurrent du Franchiseur.

Il se porte fort du respect de cette interdiction par les personnes énumérées au deuxième alinéa de l'Article 15.1.1.

Cette interdiction vaudra pendant toute l'exécution du Contrat et se poursuivra pendant un an à compter de la Cessation du Contrat et pour le territoire de la France métropolitaine.

15.3 Sanction de la violation des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation.

En cas de non-respect des obligations de non-concurrence et/ou de non-réaffiliation par le Franchisé visées aux articles 15.1 et 15.2, ce dernier sera immédiatement et de plein droit redevable au profit du Franchiseur de la somme de 150 000 (cent cinquante mille) euros à titre de clause pénale, sans préjudice de la possibilité pour le Franchiseur de solliciter des Dommages-intérêts ou la résiliation du Contrat concernant spécifiquement la violation de l'article 15.1.1. "

Dans les contrats de franchise conclus avec la société Cuisine Plus, ces obligations de non-concurrence et de non-réaffiliation sont reprises dans des termes identiques à ceux ci-dessus à l'article 14.

Sur la limitation de l'objet

Les appelantes indiquent que les clauses ne sont pas limitées quant à l'activité concernée puisqu'elles visent " toute activité similaire en tout ou partie ". Elles considèrent que la notion d' " activité similaire " est imprécise et que la notion " en tout ou partie " ne permet pas de définir précisément les contours de son application. Elles en concluent que l'imprécision de la clause exclut la possibilité de dire si l'activité de vente de tables et de chaises doit être considérée comme une activité partiellement concurrente ou non, et qu'elle permet au franchiseur d'interpréter à sa guise les termes en portant atteinte à la liberté du commerce et d'entreprendre des appelantes.

Les intimées estiment que la notion d' " activité similaire " doit s'entendre comme les biens ou les services en concurrence avec les biens ou services contractuels et que celle de " en tout ou partie " signifie que si l'ancien franchisé exerce une activité dont une partie seulement est similaire à celle exercée précédemment, alors il tombe sous le coup de l'interdiction.

L'objet de l'interdiction de concurrence est limité en ces termes : " Pendant une durée d'un an à compter de la Cessation du Contrat, le Franchisé et le Représentant s'interdisent, directement ou indirectement, d'exercer et/ou de s'intéresser à une activité similaire en tout ou partie à celle du Franchiseur, dans le ou les locaux dans lequel ou lesquels le Franchisé aura exercé l'activité (Ixina) (Cuisine Plus) au jour de la Cessation du Contrat " (c'est la cour qui souligne).

L'objet du savoir-faire transmis est décrit en préambule des contrats, dans la présentation du Franchiseur qui " a mis au point un système de distribution de cuisines sous enseigne Ixina (ou Cuisine Plus) " ; l'activité visée est donc sans aucune ambiguïté la distribution de cuisines, comprenant la vente et la pose.

La mention " en tout ou partie " qui, selon les appelantes, rendrait la limitation disproportionnée, signifie que si l'ancien franchisé exerce une activité dont une partie seulement est similaire et donc concurrente à celle exercée précédemment, alors il tombe sous le coup de l'interdiction, même s'il exerce d'autres activités en même temps, et pour cette activité seulement.

Les appelantes tirent argument de la levée, par avenants, de la clause de non-concurrence durant la durée du contrat, pour en conclure à l'inutilité de la clause.

Lors de la signature des contrats de franchise, les parties ont adopté un avenant comportant une clause ainsi rédigée : " D'un commun accord entre les Parties, la clause de non-concurrence ne s'appliquera pas pendant l'exécution du contrat aux enseignes existantes et sociétés existantes et exploitées par le Franchisé au jour de la signature du présent contrat (exemple de type enseigne l'" Inventaire " ou discount) ".

Mais l'adoption de cette clause avait pour objet de préserver les intérêts de M. X, le dirigeant des sociétés appelantes, qui vendait concomitamment des meubles discount à Leers et Valenciennes, notamment sous l'enseigne L'Inventaire. Par cet avenant, les sociétés Ixina et Cuisine Plus ont ainsi autorisé expressément l'exploitation de magasins d'ameublement discount. Mais cette exploitation ne peut être considérée comme concurrente de l'activité de franchise, les produits vendus n'étant pas similaires ni davantage les services proposés, de sorte que cette clause ne suspend pas les effets de la clause de non-concurrence prévue au 15.1.1 des contrats Ixina et 14 des contrats Cuisine Plus.

Sur la limitation dans l'espace

Les appelantes soutiennent que le caractère proportionné de la clause doit être apprécié par son application concrète et non à la simple lecture du contrat ; elles indiquent ainsi que c'est le non-renouvellement simultané de l'ensemble des contrats qui porte atteinte à la limitation de la clause de non-concurrence dans l'espace dès lors que la non-concurrence s'exprime sur la totalité des point de ventes des sociétés appelantes.

Les intimées répliquent que les clauses de non-concurrence indiquent " dans le ou les locaux ", c'est à dire que chacun des franchisés a la possibilité de poursuivre une activité concurrente dans d'autres locaux. Elles indiquent qu'envisager l'effet cumulé des clauses tel que le font les appelantes n'a pas de sens dans la mesure où les clauses ont des débiteurs distincts et où les clauses portent sur des points de vente et non sur un territoire déterminé. La délimitation dans l'espace est donc selon les intimées réduite au minimum.

L'interdiction prévue par chaque clause comporte en l'espèce une limitation dans l'espace qui est réduite au minimum puisqu'elle ne porte que sur les locaux même où étaient exercées les activités sous franchise Ixina et Cuisine Plus. La non-concurrence dans les mêmes locaux est indispensable pour éviter tout risque de confusion entre les enseignes qui pourrait intervenir dans ces locaux suite aux fins de contrats. Elle n'interdit pas à l'ancien franchisé l'exercice de sa profession mais le contraint seulement, au moins temporairement, à déplacer le siège de son activité.

Sur la limitation dans le temps

Les appelantes ne contestant pas ce critère, il y a lieu cependant de souligner que, ainsi que le mentionnent les intimées, les clauses de non-concurrence sont limitées à une durée d'un an à compter de la cessation du contrat, ce qui est conforme à la pratique et usuellement considéré comme proportionné par la jurisprudence.

Sur la question de la légitimité des clauses de non-concurrence

Les appelantes estiment que le critère relatif à l'intérêt légitime de protéger un savoir-faire ne suppose pas de simplement démontrer l'existence de ce savoir-faire mais de prouver que la protection accordée par la clause de non-concurrence est nécessaire et indispensable. Or, elles indiquent que les clauses de non-concurrence des différents contrats ne sont ni nécessaires ni indispensables pour assurer la protection du savoir-faire des franchiseurs.

Les intimées affirment qu'elles disposent chacune d'un véritable savoir-faire qu'elles souhaitent protéger en imposant le respect des clauses de non-concurrence post contractuelles, et que ceci constitue un intérêt légitime. Elles indiquent qu'il appartient aux appelantes qui contestent l'existence d'un savoir-faire de rapporter la preuve de son inexistence. Elles exposent que leurs savoir-faire sont de notoriété et de reconnaissance publique. De plus, elles estiment que les appelantes, anciens franchisés, ne peuvent pas remettre en cause l'existence du savoir-faire alors que les contrats ont été exécutés pendant plusieurs années et qu'ils n'ont jamais formulé de griefs pendant l'exécution du contrat. Ainsi, elles invoquent l'évolution du parc de magasins sous enseignes Ixina et Cuisine Plus et le renouvellement des contrats de franchise manifestant une volonté d'inscrire les relations contractuelles dans le temps ; le paiement régulier des redevances de franchise démontre également la reconnaissance d'une contrepartie. Enfin, elles répètent que les avenants n'avaient pas vocation à écarter la clause de non-concurrence.

Sur l'existence et la transmission d'un savoir-faire

Il appartient au franchisé de démontrer cette absence de savoir-faire, ce qu'il échoue à faire.

Le savoir-faire est en effet défini comme un ensemble finalisé de connaissances pratiques, transmissibles, non immédiatement accessibles, non brevetées, résultant de l'expérience du franchiseur, testées par lui et conférant à celui qui le maîtrise un avantage concurrentiel. Le règlement n° 330/2010 du 20 avr. 2010, relatif aux restrictions verticales définit ainsi le savoir-faire (art. 1er, g) : "le savoir-faire signifie un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant de l'expérience du fournisseur et testées par celui-ci ".

En l'espèce, la cour constate que l'existence et la transmission du savoir-faire ne sont contestées par les appelantes que 19 ans après la signature du premier contrat de franchise Cuisine Plus et 12 ans après celle du contrat de franchise Ixina et que M. X a élargi le nombre de magasins sous enseignes Cuisine Plus et Ixina au cours de ces années, ce qui démontre que la consistance du savoir-faire était consistant au plan commercial. En outre, les sociétés appelantes ont régulièrement payé les redevances de franchise, qui ont précisément pour contrepartie l'exploitation du savoir-faire mis à disposition par le franchiseur dans chacun des contrats en cause (cf relevé détaillé des comptes de chacun des franchisés en pièce n° 33).

Les sociétés intimées démontrent par ailleurs mettre à disposition des franchisés un savoir-faire caractérisé en ce qui concerne la distribution de cuisines, dont la transmission constitue l'objet même du contrat de franchise. Le réseau Cuisine Plus est notamment fondé sur un concept de télémarketing qui est une technique de vente s'adressant au consommateur directement en communiquant avec lui par téléphone, depuis son domicile. Le savoir-faire est compilé dans une série de documents, tels que la Bible Méthode commerciale comportant des indications sur les étapes à respecter dans la relation avec le client (pièce n° 8 des intimées), la Bible d'ouverture (pièce n° 9), la charte d'implantation (pièce n° 10). Les formations dispensées par la tête de réseau permettent d'assimiler l'ensemble des méthodes. Les intimées justifient que les membres du réseau disposent également d'un accès réservé et personnel à l'intranet du réseau, sur lequel les franchisés ont la possibilité de télécharger une série de documents classés par rubrique (pièce n°13 des intimées) : " produit "; " communication "; " commerce " ; " reunions " ; " financier " ; " formation " ; " concept ". En outre, des réunions nationales et régionales auxquelles sont conviés tous les franchisés du réseau sont régulièrement organisées, au cours desquelles diverses informations concernant de nouveaux éléments du savoir-faire sont transmis (cf ordre du jour desdites réunions en pièce n° 14 des intimées).

Sur l'atteinte excessive aux intérêts du débiteur

Les appelantes affirment que le savoir-faire fait l'objet d'une protection suffisante par le biais de la clause de confidentialité et que la clause de non-concurrence apparaît dès lors comme superflue.

Mais les intimées soutiennent, à juste raison, que les clauses de non-concurrence et celles de confidentialité ont des objets distincts dans la mesure où la clause de non-concurrence vise à empêcher la communication du savoir-faire et à préserver son caractère secret, tandis que la clause de confidentialité vise à interdire l'exploitation du savoir-faire. Le franchiseur peut donc, sans enfreindre le principe de proportionnalité, prévoir les deux types de clauses pour protéger son savoir-faire.

Les appelantes soutiennent encore que le maintien des clauses de concurrence simultanément peut avoir des conséquences dramatiques en terme d'emploi, autrement dit pourrait entraîner le licenciement de l'ensemble des salariés, spécialement formés à la pose de cuisines.

Mais les deux sociétés franchiseurs soulignent à juste titre que la condition du maintien de l'emploi ne fait pas partie des conditions pour apprécier la validité d'une clause de non-concurrence, car il appartient au franchisé d'anticiper le terme de son contrat pour garantir la pérennité de l'emploi. En outre, la clause de non-concurrence de l'espèce n'interdit pas de façon absolue d'exercer toute activité de cuisiniste, mais d'exercer cette activité dans le même local, pendant une durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2016 ; les appelantes, connaissant dès février que leurs contrats ne seraient pas renouvelés à l'échéance, pouvaient exercer leur activité dans d'autres locaux ou encore exercer d'autres activités que celle de cuisiniste, comme leur objet social le leur permettait, et, en conséquence, préserver les emplois dont elles indiquent qu'ils seraient menacés.

Enfin, si les franchisés prétendent que le maintien des clauses de non-concurrence aura des conséquences disproportionnées pour eux, entraînant la fermeture de l'ensemble des magasins, la perte de la clientèle et des fonds de commerce, la plupart des baux prévoyant la destination des lieux loués de façon restrictive, les intimées répliquent à juste titre que M. X a manifesté son intention de céder les fonds de commerce et a fait le choix de fermer deux fonds de commerce en avril et novembre 2015.

Au total, la clause de non-concurrence contenue dans les contrats de franchise Cuisines Plus et Ixina est justifiée par la protection des intérêts légitimes des deux franchiseurs, ne porte pas une atteinte excessive à la liberté des franchisés, étant limitée quant à l'activité, l'espace et le lieu qu'elle vise ; elle n'empêche pas le débiteur d'exercer toute activité professionnelle.

En outre, cette analyse est confortée par la vérification des quatre conditions d'exemption automatique du règlement.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation des clauses de non-concurrence.

Sur la validité des clauses de non-réaffiliation

Les appelantes estiment que les clauses de non-réaffiliation des contrats de franchise sont particulièrement étendues géographiquement puisque qu'elles s'appliquent sur l'ensemble du territoire de la France métropolitaine tandis que l'activité des sociétés appelantes est limitée à un secteur géographique relativement réduit ; elles sont ainsi manifestement disproportionnées. Elles soutiennent aussi que l'interprétation a posteriori des clauses faite par les intimées, selon laquelle la limitation doit s'entendre des seuls locaux où étaient exploitées les activités, ne peut pas être retenue puisque la clause telle que rédigée n'appelle aucune interprétation possible autre que celle pouvant en être fait littéralement.

Les intimées se réfèrent aux critères développés pour les clauses de non-concurrence qui s'appliqueraient dans les mêmes proportions pour l'examen de la validité des clauses de non-réaffiliation, et elles considèrent que les clauses de non-réaffiliation sont justifiées et proportionnées.

Les clauses de non-réaffiliation sont rédigées dans les termes suivants : " Le Franchisé s'engage expressément à ne pas s'affilier, adhérer ou participer de quelque manière que ce soit à un réseau concurrent du Réseau ou à en créer un lui-même et, plus généralement, à se lier à tout groupement, organisme ou entreprise directement concurrent du Franchiseur (...). Cette interdiction vaudra pendant toute l'exécution du contrat et se poursuivra pendant un an à compter de la cessation du contrat et pour le territoire de la France métropolitaine" (pièces n° 6 à 11).

Une clause de non-réaffiliation est distincte d'une clause de non-concurrence, par la restriction, en principe moins importante, apportée à la liberté commerciale du franchisé, en ce qu'elle interdit simplement l'affiliation à un réseau concurrent, mais non l'exercice, en indépendant, de l'activité concurrente, par l'ancien franchisé, sous son propre nom ou sous sa propre enseigne.

Elle ne doit cependant pas, comme une clause de non-concurrence, porter une atteinte disproportionnée aux intérêts du débiteur, outrepassant la nécessaire protection du savoir-faire du créancier.

En l'espèce, la clause, emportant interdiction de s'affilier à un réseau concurrent sur l'ensemble du territoire métropolitain, est insuffisamment limitée dans l'espace, du fait que l'activité de chacun des franchisés s'exerçait dans des agences situées à Lens, Leers, Noyelles-Godault, Lézennes, Valenciennes et Wattignies, de sorte qu'elle n'est pas proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur et porte une atteinte excessive aux intérêts des franchisés débiteurs.

Les sociétés intimées elles-mêmes reconnaissent implicitement dans leurs écritures que " bien que les clauses visent le territoire de la France métropolitaine, celles-ci doivent être envisagées comme ne devant s'appliquer qu'aux seuls locaux où étaient exploitées les activités pendant l'exécution des contrats de franchise à l'instar des clauses de non-concurrence ".

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les clauses de non-réaffiliation étaient nulles.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Les sociétés SEMN, Novidri et CL2 succombant au principal, il y a lieu de les condamner in solidum aux dépens ainsi qu'à payer aux sociétés Cuisine Plus France et Ixina France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne les sociétés SEMN, Novidri et CL2 in solidum aux dépens de l'instance d'appel ; Condamne les sociétés SEMN, Novidri et CL2 in solidum à payer aux sociétés Cuisine Plus France et Ixina France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.