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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 4 octobre 2018, n° 17-01036

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

de Clerck

Défendeur :

Sewan Entreprise (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Benilan, Cazères, Imbert

T. com. Paris, du 19 oct. 2016

19 octobre 2016

Faits et procédure :

Selon " contrat d'agent commercial " du 8 août 2012, la société Risc Group It Solutions, ayant pour nom commercial Navaho, a confié à M. Jean-Pierre De Clerck le mandat d'établir des propositions de contrat et de recevoir des commandes pour ses produits et services dans le domaine de l'archivage électronique (" cloud "), moyennant le versement de commissions.

L'annexe 2 du contrat listait les prospects de l'agent, au nombre desquels " E-Megalis + Logica ". Selon son article 2, ce contrat était prévu pour une durée indéterminée et pouvait être dénoncé par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec avis de réception avec un préavis de six mois.

Selon jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 24 octobre 2013, la société Risc Group It Solutions a été placée en redressement judiciaire, procédure convertie en liquidation judiciaire le 18 décembre 2013 ; le 20 décembre 2013, a été ordonnée la cession d'un certain nombre de ses actifs à la société Sewan Communications, à laquelle s'est substituée la société Navaho.

Le 4 juillet 2014, M. de Clerck a établi une facture n° FFA1407001 au nom de " Sewan Navaho " d'un montant de 12 152,26 euros correspondant à ses prestations de fonctionnement des premier et deuxième trimestres 2014 pour le client Megalis Bretagne.

Par courrier du 5 septembre 2014, la société Navaho a indiqué à M. de Clerck qu'elle s'opposait au paiement de cette facture, faisant valoir qu'elle n'avait pas de contrat avec lui et que Sewan Communications n'avait repris que les actifs de Risc Group It Solutions, mais non son passif.

Selon courrier du 1er octobre 2014, M. de Clerck a réitéré auprès de "Navaho-Sewan Communications" sa demande de paiement de sa facture, faisant valoir ne pas avoir été informé des règles de la procédure collective de Risc Group It Solutions et que son contrat d'agent commercial s'était poursuivi de fait jusqu'à juin 2014, période pendant laquelle il avait continué à être informé du suivi de son client Megalis Bretagne.

Par acte du 4 novembre 2015, M. de Clerck a assigné la société " Navaho Sewan " en paiement, selon le dernier état de ses écritures, de la somme de 143 314,57 euros, sur le fondement des articles 1147 et 1371 du Code civil.

Par jugement du 19 octobre 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Navaho Sewan de sa demande de nullité de l'assignation ;

- débouté M. de Clerck de sa demande en paiement de commissions,

- débouté M. de Clerck de ses demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- condamné M. de Clerck à verser à la société Navaho la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires aux présentes dispositions ;

- condamné M. de Clerck aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

Vu l'appel interjeté le 12 janvier 2017 par M. de Clerck à l'encontre de cette décision ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 11 avril 2017 par M. de Clerck, appelant, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Recevant Monsieur de Clerck en son appel et y faisant droit, outre les dispositions de recevabilité de son action introductive d'instance dont il y aura lieu de prononcer la confirmation et de débouter la société Navaho de ses prétentions sur ce chef,

Par voie de réformation,

Vu les articles 1241-1 (anciennement 1147) et 1300 (anciennement 1371) du Code civil,

Vu les pièces versées au débat démontrant la poursuite de l'exécution du contrat d'agent commercial du 8 août 2012 de Monsieur de Clerck,

Retenir en tant que de besoin l'application de l'article 1300 (anciennement 1371) du Code civil relatif à l'enrichissement sans cause.

En tout état de cause,

- condamner Navaho à lui payer à l'appelant une somme de 143 314,57 euros ;

- la condamner au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- la condamner au paiement d'une somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

La société Sewan Entreprise, nouvelle dénomination de la société Navaho (et non " Navaho Sewan ", ainsi qu'indiqué par erreur dans l'assignation et le jugement dont appel), a constitué avocat le 28 février 2017, mais n'a pas conclu.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 mai 2018.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs :

L'article L. 134-1 du Code de commerce dispose que : " L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières. ".

Il est de principe que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée. De même, l'inscription de l'intermédiaire au registre spécial des agents commerciaux n'est une condition ni suffisante, ni nécessaire à la reconnaissance de ce statut.

L'article L. 134-6 du Code de commerce dispose que pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre ; que lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe.

En l'espèce, il résulte des pièces versées qu'en exécution de son contrat d'agent commercial du 8 août 2012, M. de Clerck a emporté pour le compte de son mandant, Risc Group It Solutions, le marché avec E-Megalis Bretagne, cité au nombre de ses prospects contractuels, dont il est devenu l'agent avec exclusivité.

Par ailleurs, bien que le jugement du 20 décembre 2013 du Tribunal de commerce de Nanterre ordonnant la cession de certains actifs et contrats de Risc Group It Solutions à la société Sewan Communications, à laquelle s'est substituée la société Navaho, ne soit pas produit en cause d'appel, il n'est pas contesté que le contrat d'agent commercial conclu le 8 août 2012 entre M. de Clerck et Risc Group It Solutions ne faisait pas partie des contrats cédés à Navaho, ainsi que l'ont exactement retenu les premiers juges.

Pour autant, M. de Clerck démontre, ainsi qu'il le prétend, qu'en pratique, son activité d'agent commercial s'est poursuivie à l'identique avec le repreneur de son mandant originaire, Navaho, avec qui il apparaît avoir poursuivi sa collaboration jusqu'à juin 2014, ainsi que cela ressort des échanges de courriels produits, émanant en particulier de M. Christophe Cresp, représentant de Navaho, qui, corroborant les témoignages versés aux débats, mettent en exergue qu'il a continué à être informé très régulièrement du suivi du client Megalis Bretagne, sans que Navaho ne s'y oppose à aucun moment, et à représenter celle-ci dans la recherche de nouveaux clients. Il en résulte ainsi que début janvier 2014, M. de Clerck a souhaité rencontrer M. Christophe Cresp pour discuter de la poursuite de sa collaboration avec Navaho ; qu'à compter à tout le moins du 31 mars 2014, les intéressés sont passés du vouvoiement au tutoiement ; que le 20 mai 2014, M. de Clerck a informé M. Cresp qu'il ira le lendemain au salon "Hopital Info Technology", celui-ci lui répondant le jour même "Bonjour Jean-Pierre, Pas de soucis pour y aller sous l'étiquette Navaho. On s'appelle pour débriefer sur ta conversation avec CGI", ce qui révèle que Navaho a accepté de reprendre le mandat consenti à l'appelant. Aucune pièce ne permet en revanche de mettre en évidence que ce mandat se serait poursuivi après le 1er juillet 2014, ce qui n'est d'ailleurs pas allégué par l'appelant.

Il apparaît donc que la facture n° FFA1407001 du 4 juillet 2014 de M. de Clerck, correspondant à ses prestations de fonctionnement des premier et deuxième trimestres 2014 pour le client Megalis Bretagne, dont le montant n'avait pas été discuté en première instance par la défenderesse - dont les conclusions sont dûment produites en cause d'appel comme acte de procédure - est due par Sewan Entreprise (anciennement Navaho) qui sera condamnée à son paiement, M. de Clerck étant débouté du surplus de sa demande faute d'alléguer et de justifier de la poursuite du contrat pour la période postérieure.

Concernant cette même période, sa demande ne saurait davantage prospérer sur le terrain de l'enrichissement sans cause, en application de l'article 1371 ancien du Code civil ici applicable, compte tenu du caractère subsidiaire de l'action de in rem verso qui ne peut avoir pour effet de pallier la carence probatoire quant à l'existence alléguée d'un lien contractuel, au regard du caractère réglementé de la profession d'agent commercial, ainsi que l'objectait à bon droit la défenderesse en première instance.

Vu l'article 1153 alinéa 4 du Code civil, la demande de dommages intérêts formée par M. de Clerck pour résistance abusive sera rejetée, faute d'établir que le débiteur en retard lui a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard et donc non réparé par les intérêts moratoires de la créance. Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de Sewan Entreprise (anciennement Navaho) qui, par équité, s'acquittera d'une somme de 6 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, sauf concernant la nullité de l'assignation et en ce qu'il a débouté M. de Clerck de sa demande de dommages intérêts pour résistance abusive ; Statuant de nouveau, Condamne la société Sewan Entreprise, anciennement dénommée Navaho, à payer à M. de Clerck la somme de 12 152,26 euros, au titre de sa facture n° FFA1407001 du 4 juillet 2014 ; Condamne la société Sewan Entreprise, anciennement dénommée Navaho, à payer à M. de Clerck la somme de 6 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Sewan Entreprise, anciennement dénommée Navaho aux dépens de première instance et d'appel.