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Cass. com., 10 octobre 2018, n° 17-11.542

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Auto-sélection (SAS) , EDC Motors (SARL) , Mail automobiles (SAS) , Premium automobile (Sasu) , Roger Hamon (Sasu) , Selec auto (SARL) , Ulis automobiles (SAS)

Défendeur :

General Motors France (SAS) , Général Motors LLC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Richard de la Tour

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois

Paris, pôle 5 ch. 4, du 30 nov. 2016

30 novembre 2016

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 novembre 2016), que le 28 février 2000, la société General Motors Corporation a pris le contrôle de la société de droit suédois SAAB Automobile AB (la société SAAB) ; qu'en 2004, la société General Motors France (la société GMF), ayant absorbé la société SAAB France, filiale de la société SAAB, est devenue la tête du réseau de distribution SAAB des véhicules neufs et des pièces de rechange en France, et a poursuivi, à ce titre, les contrats de distribution sélective de véhicules neufs ainsi que les contrats de réparateur agréé conclus avec les membres du réseau SAAB, soit les sociétés Auto-sélection, EDC Motors, Mail automobiles, Premium automobile, Roger Hamon, Selec auto et Ulis automobiles (les distributeurs) ; qu'en décembre 2008, en contrepartie d'un prêt accordé par le Trésor américain pour éviter la faillite, la société General Motors Corporation a entrepris un plan de redressement ; que ses actifs ont été repris par une société devenue la société General Motors LLC ; qu'en 2008 et 2009, la société GMF a transmis directement des communications aux distributeurs ou retransmis celles de la société SAAB en qualité de fabricant ; que le 12 février 2010, la société GMF a notifié aux distributeurs la cession de la société SAAB à la société Spyker Cars NV (la société Spyker), et leur a proposé de transférer leur contrat de distributeur et de réparateur aux sociétés SAAB et SAAB automobile parts AB ; que les distributeurs ont poursuivi la vente de véhicules neufs et de pièces de rechange de la marque SAAB avec ces dernières ; qu'en décembre 2011, la société SAAB a été mise en liquidation judiciaire, l'activité " pièces de rechange " étant maintenue ; que la période précédant la cession, notamment les années 2008 et 2009, a été marquée par une forte chute des ventes ; qu'estimant que la société GMF connaissait depuis le 2 décembre 2008 la politique de désengagement du groupe General Motors, mais qu'elle avait faussement accrédité, auprès d'eux, l'hypothèse d'un redressement du réseau SAAB, et faisant valoir qu'un préavis contractuel de deux ans aurait dû précéder la rupture de chaque contrat de distribution et que le comportement dolosif de la société General Motors LLC avait contribué à leurs dommages, les distributeurs ont assigné les sociétés GMF et General Motors LLC en condamnation solidaire à les indemniser de la rupture des contrats, intervenue, selon eux, le 2 décembre 2008 aux torts exclusifs de la société GMF, ainsi que de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les distributeurs font grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société General Motors LLC alors, selon le moyen, que les distributeurs ne prétendaient pas que General Motors LLC serait venue aux droits de General Motors Corporation, " mais uniquement de General Motors Company, qui est l'entité qui avait été constituée par le Trésor américain, dans le cadre de la nationalisation du groupe GM, qui a acquis auprès de General Motors Corporation les actifs SAAB en février 2009 et qui a immédiatement décidé la sortie de SAAB du périmètre du groupe GM, pour en faire une " entité commerciale indépendante " ; qu'en prononçant la mise hors de cause de la société General Motors LLC aux motifs " qu'en février 2010, cette société General Motors LLC ne détenait aucune action de SAAB, ayant cédé ses actions à la nouvelle General Motors Company, il ne peut donc lui être imputé la vente de la société SAAB en février 2010, ni d'ailleurs l'absence de vente de celle-ci, en 2011 et 2012, à un groupe chinois " et " que par ailleurs, la société General Motors LLC ne vient pas aux droits de General Motors Corporation, celle-ci n'ayant cédé que ses actifs, isolant le passif dans une autre structure ; que donc si SAAB faisait partie des actifs transférés, cela n'impliquait pas que General Motors LLC, puis General Motors Company aient repris les engagements ou décisions de General Motors Corporation à l'égard de SAAB ; qu'il ne peut donc lui être davantage imputé la décision de céder SAAB en février 2009, ne venant pas aux droits de General Motors Corporation ", la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, lesquelles sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; qu'ayant énoncé que l'examen du litige impliquait d'identifier à quelle personne morale les agissements reprochés étaient imputables, c'est sans méconnaître l'objet du litige qu'après avoir rappelé que les distributeurs invoquaient, d'abord, la dissimulation de l'intention de vendre la société SAAB, puis la vente effective de celle-ci à la société Spyker, la cour d'appel, ayant analysé les pièces produites, a retenu que la situation juridique et capitalistique de la société General Motors LLC excluait que ces manquements pussent lui être imputés ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que les distributeurs font grief à l'arrêt du rejet de l'ensemble de leurs demandes alors, selon le moyen : 1°) qu'en jugeant que la société GMF n'avait pas manqué à ses obligations en n'informant pas ses distributeurs de la décision définitive du groupe General Motors, dès 2008, d'abandonner la marque et le réseau SAAB, aux motifs " qu'en ce qui concerne la marque SAAB, la société de droit suédois SAAB (dont les informations étaient relayées par la société GMF) a informé à intervalles réguliers le réseau des distributeurs, de l'actualité SAAB, et notamment, le 4 décembre 2008, des différentes options s'offrant à SAAB (vente de la marque ou pas) ", sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la société GMF n'était pas fautive pour avoir justement fait croire aux distributeurs que la cession n'était qu'une option parmi d'autres mesures possibles de redressement, et pour avoir ainsi dissimulé qu'il était définitivement acquis que le groupe General Motors avait décidé d'abandonner la marque SAAB dès 2008, ce que la société GMF avait formellement acté dans son rapport de gestion pour l'exercice 2008 en date du 28 avril 2008 énonçant " General Motors a annoncé sa volonté de se séparer de la marque SAAB ", et que le groupe General Motors en avait pris l'engagement auprès du Trésor américain, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 3, et 1147 du Code civil dans leur rédaction applicable à la cause ; 2°) qu'en jugeant que la société GMF n'avait pas manqué à ses obligations en n'informant pas ses distributeurs de la décision définitive du groupe General Motors, dès 2008, d'abandonner la marque et le réseau SAAB, aux motifs " qu'en ce qui concerne la marque SAAB, la société de droit suédois SAAB a informé à intervalles réguliers le réseau des distributeurs, de l'actualité SAAB, et notamment, le 4 décembre 2008, des différentes options s'offrant à SAAB (vente de la marque ou pas) ", sans rechercher si la société GMF n'était pas fautive pour ne pas avoir informé ses distributeurs qu'il était définitivement acquis, dès 2008, que le groupe General Motors avait décidé d'abandonner la marque SAAB et qu'elle en avait pris l'engagement auprès du Trésor américain, privant de la sorte lesdits distributeurs de toute possibilité de reconversion en temps utile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 3, et 1147 du Code civil dans leur rédaction applicable à la cause ; 3°) qu'en jugeant que la " décision de GM de vendre la marque était connue dès le début de 2009, les intimées versent aux débats des revues de presse d'information par Internet (Le Point.fr ; 20 minutes.fr ; l'expansion.fr), dans lesquelles il est mis en évidence l'abandon par General Motors de SAAB (article du 18 février 2009 de Le Point.fr, intitulé " SAAB, abandonnée par General Motors, roule vers l'inconnu ") ", et en méconnaissant ainsi que les éventuelles rumeurs relayées par la presse, quand bien même elles auraient en définitive été avérées, ne pouvaient dispenser la société GMF d'informer loyalement ses distributeurs de l'abandon par le groupe General Motors de la marque et du réseau SAAB, la cour d'appel a violé les articles 1134, alinéa 3, et 1147 du Code civil, dans leur rédaction applicable à la cause ; 4°) qu'en ne répondant pas aux conclusions d'appel des distributeurs alléguant que la société GMF avait engagé sa responsabilité envers ses distributeurs en les incitant à accepter le transfert de leurs contrats de distribution à un repreneur dont les capacités financières ne lui permettaient de payer en numéraire que 18 % du prix de cession et à qui le groupe GM avaient interdit toute possibilité de redressement en se ménageant un droit de veto sur tout rachat de SAAB par un tiers et en usant de ce droit de veto lorsqu'il s'est confirmé que la société Spyker NV n'était pas en mesure de reprendre seule le réseau SAAB, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que pèse sur le concédant une obligation d'information des concessionnaires, qui implique que ces derniers soient informés dans des délais raisonnables du contexte économique général du réseau et des différentes difficultés subies par la marque qu'ils distribuent, l'arrêt relève que le courriel du 2 décembre 2008 adressé par la société General Motors Corporation à la société GMF révèle seulement que la société SAAB va faire l'objet d'un examen stratégique et que la vente totale ou partielle n'est qu'une option, aucune décision n'étant encore prise, et que les communications de la société GMF, qui relaient celles du constructeur SAAB auprès du réseau, notamment les lettres des 4 décembre 2008 et 3 décembre 2009, ne négligent pas les inquiétudes des distributeurs, auxquels il est demandé de rester confiants dans l'avenir de la marque, sans rien cacher des difficultés de celle-ci, cependant que la sortie de nouveaux modèles, qui s'est concrétisée par la suite, est annoncée ; qu'il ajoute qu'il n'est pas démontré que la décision de céder la société SAAB à la société Spyker soit fautive, faute d'éléments d'information sur ces choix stratégiques et dès lors que des solutions alternatives avaient été prévues pour exploiter la marque et le réseau SAAB en dehors de General Motors, solutions qui n'étaient pas irrémédiablement vouées à l'échec, et relève, enfin, que le groupe GM avait intérêt à ce que la cession aboutisse, eu égard aux 326 millions de dollars reçus en actions préférentielles, en paiement partiel du prix de cession de 400 millions de dollars ; qu'il en déduit que la société GMF, qui n'a pas caché des informations stratégiques aux distributeurs, ni diffusé de fausses informations ou des informations trompeuses qui les auraient conduits à se méprendre sur l'avenir de la marque et du réseau SAAB, pouvait légitimement croire dans le maintien de la gamme et n'avait dès lors pas, en février 2009, à inviter les concessionnaires à résilier les contrats, cependant que des solutions de rachat étaient recherchées et la poursuite des relations commerciales envisagée avec des perspectives raisonnables de succès ; qu'en l'état de ces énonciations, constatations et appréciations répondant aux conclusions prétendument omises, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches invoquées par les première et deuxième branches, a pu écarter la responsabilité de la société GMF au titre d'un défaut de loyauté ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que les distributeurs font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, qu'en jugeant qu'aucune rupture brutale de la relation commerciale ne pouvait être établie, sans vérifier si la cession du réseau de distribution et l'incitation au transfert des contrats de distribution à un repreneur dont les capacités financières ne lui permettaient de payer en numéraire que 18 % du prix de cession et à qui le groupe GM avait interdit toute possibilité de redressement en se ménageant un droit de veto sur tout rachat de SAAB par un tiers et en usant de ce droit de veto lorsqu'il s'est confirmé que la société Spyker NV n'était pas en mesure de reprendre seule le réseau SAAB, ne caractérisaient pas la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

Mais attendu que les distributeurs ayant invoqué une rupture consommée à la date du 2 février 2009, le moyen, en ce qu'il se prévaut de la cession du réseau et de l'incitation au transfert des contrats, survenues en février 2010, pour caractériser la rupture brutale de la relation commerciale établie, est inopérant ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.