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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 octobre 2018, n° 16-24228

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cyld (SAS)

Défendeur :

Besson Chaussures (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Chardin, Vicat, Cheval

T. com. Lyon, du 7 oct. 2016

7 octobre 2016

Faits et procédure :

La société Besson Chaussures (ci-après la société " Besson ") et la société Cyld ont conclu depuis 1988 plusieurs conventions de mandat puis de gérance-mandat pour différents fonds de commerce de distribution au détail d'articles chaussants ou d'articles textiles. La dernière convention a été régularisée le 29 septembre 2008 pour la gestion d'un fonds de commerce situé à Mérignac.

Cette dernière convention a été conclue pour une durée indéterminée. Elle prévoyait une possibilité de résiliation avec un préavis de trois mois, si la convention était supérieure à vingt ans et le versement d'une indemnité de résiliation. Elle prévoyait également un objectif de chiffre d'affaires avec un mode de rémunération proportionnel à ce chiffre, ainsi qu'un commissionnement minimal si l'objectif n'était pas atteint. À cela s'ajoutait une rémunération complémentaire pour les ouvertures les jours fériés et dimanches.

À compter de 2010, la société Cyld a indiqué à la société Besson qu'elle éprouvait des difficultés suite à un manque d'approvisionnement entraînant une baisse de stock.

Deux mises en demeure ont été adressées à la société Besson à cet effet le 1er décembre 2010 puis le 5 novembre 2012.

Par lettre recommandée en date du 17 juillet 2013, la société Besson a résilié la convention de gérance-mandat confiée à la société Cyld.

Le 21 octobre 2013, la société Besson a procédé au règlement d'une indemnité de rupture pour un montant de 254 913,60 euros en application de l'article 3.5.3 de la convention de mandat.

Le 22 janvier 2014, la société Cyld a exprimé son désaccord sur la durée du préavis et a réclamé un préavis de vingt-quatre mois ainsi que le paiement d'une indemnité distincte relative à son activité de parrainage. Elle a également contesté le montant de l'indemnité de rupture fondée selon elle sur les deux dernières années ayant connu des conditions d'exploitation difficiles du fait d'un approvisionnement insuffisant de stock et a sollicité le paiement d'une indemnité complémentaire de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Ses demandes étant demeurées sans effet, la société Cyld a, par acte d'huissier en date du 20 mars 2014, assigné la société Besson devant le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand aux fins d'obtenir le paiement des sommes qu'elle estimait lui être dues.

Par jugement en date du 21 mai 2015, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement contradictoire rendu le 7 octobre 2016, le Tribunal de commerce de Lyon a:

- jugé la société Cyld mal fondée en ses demandes,

- débouté la société Cyld de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Cyld à payer à la société Besson Chaussures la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté l'exécution provisoire de la présence décision,

- condamné la société Cyld en tous les dépens.

Vu l'appel interjeté le 1er décembre 2016 par la société Cyld à l'encontre de cette décision,

Vu les dernières conclusions signifiées le 30 mai 2018 par la société Cyld, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- recevoir la société Cyld en ses motifs d'appel et les dire fondés,

- débouter la société Besson Chaussures en l'intégralité de ses motifs et argumentations comme non fondées,

Vu les dispositions des articles 1134, 1142 du Code civil antérieurement aux modifications apportées par l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 applicables à la cause,

Vu l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce,

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon en date du 7 octobre 2016 en l'intégralité de ses dispositions,

- dire et juger que la durée du préavis contractuel appliqué à la résiliation de la convention de mandat revêt un caractère insuffisant au regard de la durée de la relation contractuelle, des circonstances de la rupture, et de l'impossibilité dans le temps imparti de pouvoir réorganiser l'activité,

- condamner en conséquence la société Besson Chaussures à payer et porter à la société Cyld la somme de 340 232 euros à titre d'indemnisation correspondant au montant de la perte de marge brute calculée sur la base des vingt-quatre derniers mois précédent l'interruption du rapport contractuel,

- recevoir la société Cyld en sa demande d'indemnisation complémentaire eu égard aux circonstances ayant précédé la notification de la résiliation concernant la gestion des stocks et ses conséquences sur le règlement de l'indemnité de résiliation et de l'activité,

- condamner la société Besson Chaussures à payer et porter à ce titre la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- recevoir la société Cyld en sa demande au titre de l'indemnisation du préjudice lié à l'interruption sans préavis de la mission de parrainage,

- condamner la société Besson Chaussures à lui payer à ce titre, la somme de 35 000 euros,

- dire et juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2014, date de la mise en demeure,

- condamner la société Besson Chaussures à payer et porter à la société Cyld la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- la condamner aux entiers dépens de la procédure.

Vu les dernières conclusions signifiées le 4 juin 2018 par la société Besson Chaussures, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce,

Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6, I alinéa 5 du Code de commerce,

Vu la convention de gérance mandat conclue entre les parties le 29 septembre 2008,

Vu les pièces versées aux débats,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 7 octobre 2016 en toutes ses dispositions,

- débouter en conséquence, et en tout état de cause, la société Cyld de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Cyld à payer à la société Besson Chaussures une somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Cyld soutient que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce sont applicables en l'espèce, ces dispositions étant d'ordre public, l'existence d'un accord interprofessionnel ne dispensant pas la juridiction d'examiner si le préavis tient compte de la durée de la relation commerciale et l'indemnité de l'article L. 146-4 du Code de commerce n'ayant pas la vocation d'indemniser un comportement fautif et n'étant donc pas exclusif des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Elle ajoute, d'autre part que la durée du préavis était insuffisante, la correspondance invoquée par la société intimée ne faisant pas état de la volonté de la société Cyld d'écourter ledit préavis mais démontrant au contraire la nécessité de reprendre le magasin dans les plus brefs délais afin de permettre la continuité du mandat. La société Cyld précise à ce titre qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, et que les conditions de la résiliation revêtent un caractère abusif et ouvrent droit à indemnisation, en sus du préavis insuffisant, sur des bases qui tiennent compte de l'intégralité des revenus générés par l'activité développée et de la marge brute dégagée sur les trois dernières années, outre l'indemnisation complémentaire en raison du comportement gravement fautif de la société Besson par le défaut d'approvisionnement des stocks.

Outre ces demandes, la société Cyld fait valoir qu'elle est fondée à demander le paiement d'une somme de 35 000 au titre de la rupture inopinée et sans préavis de la convention de parrainage, rupture concomitante à la rupture de la convention de gérance, puisque cette convention de parrainage ne s'analyse pas comme un accessoire de la convention de gérance mais est au contraire autonome et prévoit une rémunération distincte.

En réponse, la société Besson soutient que la gérance-mandat fait l'objet d'un statut particulier régi par l'article L. 146-4 du Code de commerce, prévoyant des règles protectrices et l'indemnisation de la résiliation, de sorte que les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° invoquées par la société appelante ne sont pas applicables. Elle ajoute que la résiliation de la gérance-mandat est déconnectée de toute notion de faute, qu'en outre elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de la convention, que le préavis contractuellement fixé à trois mois est en conformité avec les dispositions légales, qu'au demeurant la société Cyld elle-même a souhaité l'écourter, tout en étant payée, qu'enfin la société Cyld a bénéficié d'une indemnité de résiliation correspondant à dix mois de commissions.

La société Besson fait valoir que la société Cyld n'est pas fondée à demander le paiement d'une rémunération au titre de la mission de parrainage, cette dernière ne rapportant pas la preuve d'une une rémunération distincte de celle contenue dans la convention de gérance-mandat, d'autant que la question de la fin de mission de parrainage a été réglée par les parties de manière consensuelle à la demande de la société appelante.

Enfin, la société Besson conteste la demande de 100 000 euros au titre du préjudice tiré du manque d'approvisionnement des stocks dans la mesure où le niveau des stocks a toujours été satisfaisant et qu'aucune corrélation ne peut être faite entre le niveau des stocks et la baisse du chiffre d'affaires.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:

5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) ";

Que l'article L. 442-6, I, 5° précité s'applique à toutes les relations commerciales établies, sauf lorsque les relations commerciales sont couvertes par des lois spéciales qui régissent également la rupture des relations contractuelles et prévoient son indemnisation, comme en matière de sous-traitance de transport ou d'agence commerciale ;

Considérant que les conventions de gérance-mandat sont désormais régies par une loi spéciale n° 2005-882 du 2 août 2005 qui a codifié le mécanisme de la gérance-mandat, issu de la pratique, et qui précise dans son exposé des motifs que le but du mécanisme était de " combler un vide juridique, confortant ainsi la situation des gérants-mandataires qui disposent d'une très grande latitude dans la conduite de leur activité sans être cependant propriétaires de leur outil de travail " ;

Que les articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce introduits par cette loi définissent les règles applicables aux contrats de gérance-mandat, y compris les règles spécifiques à la fin du contrat ;

Qu'il résulte de ces dispositions spécifiques attachées à ce type de contrat que :

- le gérant-mandataire ne supporte pas les risques liés à l'exploitation du fonds ;

- dans la gestion du fonds, le gérant-mandataire agit au nom et pour le compte du propriétaire du fonds ;

- il n'y a pas de transfert des employés attachés au fonds ;

- le gérant-mandataire a droit à une indemnité en fin de contrat ;

Que l'article L. 146-4 dudit Code qui régit la rupture des relations contractuelles prévoit notamment que " le contrat liant le mandant et le gérant-mandataire peut prendre fin à tout moment dans les conditions fixées par les parties " puis détaille les modalités d'indemnisation du gérant-mandataire en cas de résiliation du contrat par le mandant en l'absence de faute grave du gérant-mandataire ;

Qu'il en résulte que la cessation des relations contractuelles ayant existé entre un gérant-mandataire et son mandant, spécifiquement prévue par des dispositions spéciales protectrices qui fixent les modalités de la rupture et son indemnisation, bénéficie d'un régime propre et n'est pas soumise aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Qu'en l'espèce les parties ont expressément fait référence aux dispositions des articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce lors de la signature de la convention de gérance-mandat du 29 septembre 2008, qui faisait suite aux précédentes conventions de mandat signées entre elles depuis 1988, cette dernière convention stipulant en outre une durée du préavis en fonction de la durée du contrat, à savoir un préavis de deux mois pour une relation de dix ans et de trois mois pour une relation de plus de vingt ans, outre une indemnité de résiliation équivalente à dix mois de commissions lorsque la convention a duré plus de vingt cinq années, ce qui était le cas en l'espèce ;

Que c'est par conséquent à juste titre que les premiers juges ont écarté l'application de l'article L. 442-6, I, 5° au profit de la loi spéciale régissant les conventions de gérance-mandat choisie par les parties et correspondant à la réalité des fonctions exercées par la société Cyld, cette dernière bénéficiant d'une grande autonomie, sans toutefois en prendre les risques, la rupture étant encadrée et permettant au mandataire de s'organiser pour reprendre une autre activité ou un autre fonds ;

Que le préavis de trois mois et l'indemnisation de dix mois de commissions prévus par la convention remplissent complètement les conditions légales ;

Qu'il n'est pas contesté que la société Cyld a bénéficié d'un préavis de trois mois entièrement payé, même si elle ne l'a pas effectué, le nouveau mandataire ayant repris la gestion du fond de façon anticipée, d'un commun accord ;

Qu'il n'est pas contesté qu'aucune faute n'est reprochée à la société Cyld, la société Besson ayant décidé de réorganiser son réseau de distribution, plusieurs conventions de gérant-mandataires ayant fait l'objet d'une rupture concomitante dans les mêmes conditions, et que l'absence de faute du mandataire est sans incidence sur les dispositions applicables au préavis et à l'indemnisation, seule la faute grave ayant pour effet de supprimer le droit à indemnisation, ce qui n'a pas été allégué en l'espèce ;

Qu'outre la brièveté alléguée du préavis, qui n'est pas établie puisque la loi ne fixe aucune durée et puisque les parties avaient conventionnellement prévu un préavis de trois mois qui a été respecté, la société Cyld n'établit pas que la rupture était abusive ;

Qu'elle soutient que la société Besson aurait programmé la rupture en diminuant progressivement le stock ;

Mais considérant que les lettres envoyées par la société Cyld à la société Besson le 1er décembre 2010 et le 5 novembre 2012 qui alertent la société Besson sur une mauvaise gestion des stocks, n'établissent aucune intention délictueuse de la part de la société Besson, mais plutôt une mauvaise gestion structurelle des stocks, dont la société Besson ne nie pas la réalité, mais qui n'est pas propre à la seule boutique de Mérignac comme l'a signalé la société Besson dans sa note à l'ensemble des gérants-mandataires du 29 mai 2013, et qui a perduré plusieurs années, l'ensemble du réseau étant concerné, comme l'a écrit le syndicat des gérants-mandataires dans sa lettre du 26 mars 2014, ce qui ôte tout caractère ciblé à cette critique, et ne peut permettre d'établir un abus de la part de la société Besson ;

Qu'en outre l'attestation comptable de Monsieur Barbezieux versée aux débats fait ressortir une rémunération du mandat stable et en légère croissance entre 2010 et 2013 ;

Que le taux de marge globale entre février 2012 et février 2013 a été en croissance de 42,89 à 43,2, donnant lieu à des félicitations pour ce résultat ;

Que les tableaux manuscrits versés aux débats par la société Cyld faisant état d'une baisse de son chiffre d'affaires en 2011 et d'une baisse des stocks, non validés par un expert comptable et corroborés par aucune pièce comptable, ne permettent pas d'établir que cette baisse serait liée à un comportement fautif de la société Besson ;

Qu'aucun abus n'étant établi, et l'indemnisation ayant été calculée sur la base des commissions réellement perçues par la société Cyld, il y a lieu par conséquent de confirmer la décision des premiers juges qui a rejeté l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et qui a rejeté les demandes d'indemnisation sur la base d'une perte de marge brute calculée sur vingt-quatre mois, et qui a rejeté la demande d'indemnité supplémentaire de 100 000 euros non justifiée ;

Considérant qu'en ce qui concerne la rémunération du parrainage, dont l'existence n'est pas contestée, et dont les missions ont fait l'objet d'une présentation par la société Besson sous forme de " plaquette ", il résulte des pièces versées aux débats que la société Cyld établissait des factures mensuelles de 3 500 euros HT distinctes des commissions prévues au contrat de gérance-mandat, régulièrement payées depuis septembre 2001 jusqu'en mars 2012, sans discontinuer ;

Que même si l'indemnité de résiliation allouée n'incluait pas la rémunération du parrainage, qui était distincte du commissionnement calculé en pourcentage du chiffre d'affaires, une telle rémunération n'était plus due au moment de la rupture puisque les parties y avaient mis fin depuis mars 2012, d'un commun accord, ainsi que cela résulte des pièces versées aux débats et du décompte produit par la société Cyld qui s'arrête effectivement à mars 2012 inclus, soit un an avant la résiliation de la convention de gérance-mandat ;

Qu'il n'y avait dès lors aucune raison d'inclure cette rémunération dans l'indemnisation allouée ;

Que par motifs propres, la décision des premiers juges sera également confirmée sur ce point ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les limites fixées au dispositif ci-après ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Cyld à payer à la société Besson Chaussures la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Cyld aux entiers dépens de première instance et d'appel.