Cass. soc., 10 octobre 2018, n° 17-13.418
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Distribution Casino France (SAS)
Défendeur :
Coeuru (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frouin
Rapporteur :
Mme Ala
Avocat général :
M. Lemaire
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Thouvenin, Coudray, Grévy
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 24 mai 2004, M. et Mme Coeuru (ci-après les époux Coeuru) ont signé avec la société Distribution Casino France (ci-après la société Casino), un contrat de gérants-mandataires non salariés ; qu'ils ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur les premier et quatrième moyens du pourvoi principal de la société Casino et les cinq moyens du pourvoi incident des époux Coeuru : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la société Casino : - Attendu que la société Casino fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de certaines sommes au titre de rappels pour heures accomplies outre congés payés afférents alors, selon le moyen : 1°) qu'est gérant non-salarié toute personne qui exploite, moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes, les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de consommation lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité ; que le statut de gérant non-salarié est donc incompatible avec l'exercice d'un contrôle ou d'un décompte de la durée du travail si bien que les dispositions de l'article L. 3171-4 de Code du travail, qui mettent à la charge de l'employeur le soin de fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, ne peuvent s'appliquer ; qu'en appliquant en l'espèce la répartition de la charge de la preuve issue de l'article L. 3171-4 de Code du travail à la situation des époux Coeuru, bien qu'elle a constaté que la société Distribution Casino France " n'impose pas les conditions de travail de sorte que le lien de subordination juridique caractérisant l'existence d'un contrat de travail n'a pas été ici retenu ", la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 de Code du travail ensemble les articles L. 7321-1 et L. 7322-2 du même code ; 2°) que les gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire ne peuvent solliciter le paiement de rappels de salaire au regard d'un temps de travail effectif et le paiement d'heures supplémentaires que pour autant qu'ils démontrent que l'entreprise propriétaire de la succursale leur avait imposé à titre individuel l'exécution d'horaires de travail déterminés, hors les horaires d'ouverture et de fermeture des succursales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a pas relevé qu'une telle preuve était rapportée, mais au contraire que la société Distribution Casino France n'impose pas les conditions de travail (arrêt page 9, § 1) ; qu'elle affirme tout au plus péremptoirement que les époux Coeuru se seraient vu imposer le respect des horaires d'ouvertures publiés par la société Distribution Casino France ; qu'il en résulte que la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7322-1 du Code du travail ; 3°) qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au gérant non-salarié de succursale de commerce de détail alimentaire d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés ; qu'en se bornant en l'espèce à viser " les pièces " ou " les éléments produits par les époux Coeuru " sans à aucun moment préciser à quelles pièces elle entendait se référer, ni même quel type d'élément il s'agissait, la cour d'appel n'a pas caractérisé que les époux Coeuru étayaient leurs demandes par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés et a en conséquence privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du Code du travail ; 4°) que seules les heures de travail commandées peuvent donner lieu à rémunération ; que dès lors ne peuvent être rémunérées que les seules heures supplémentaires réalisées par le gérant non-salarié de succursale de commerce de détail alimentaire, dont le propriétaire de la succursale a eu connaissance et a accepté ne serait-ce qu'implicitement ; qu'en omettant en l'espèce de caractériser une telle situation, avant d'accorder un rappel d'heures supplémentaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du Code du travail ; 5°) que tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent viser et analyser les éléments de preuve versés aux débats ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a accordé aux époux Coeuru des rappels de salaire importants, sans viser ni analyser aucun des éléments de preuve versés aux débats par les parties, mais en se contentant du visa général des " pièces " ou des " éléments " produits ; qu'il en résulte que la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 7322-1 du Code du travail, que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire ; que selon ce même texte, l'entreprise propriétaire de la succursale est responsable au profit des gérants non salariés des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et congés payés et à la sécurité du travail lorsque les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ont été fixées par elles et soumises à son accord ; qu'il en résulte que lorsque, les conditions d'application en sont réunies, les gérants non salariés peuvent revendiquer le paiement d'heures supplémentaires et l'application des dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail ;
Et attendu qu'ayant retenu que si la société Casino n'imposait pas les conditions de travail, de sorte que le lien de subordination juridique caractérisant l'existence d'un contrat de travail n'était pas caractérisé, ses demandes adressées aux gérants non salariés, concernant les horaires d'ouverture et de fermeture des succursales, de se conformer aux habitudes de la clientèle et aux coutumes locales ainsi que la diffusion par ses soins des horaires d'ouverture du commerce sur le site internet, permettaient de caractériser une vérification du respect de l'amplitude horaire dans le cadre du service organisé de succursales qu'elle dirigeait de sorte qu'il apparaissait que le respect de l'amplitude horaire était soumis à son accord, la cour d'appel, qui a caractérisé que les conditions d'application de l'article L. 7322-1 du Code du travail étaient réunies, en a exactement déduit que les dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail s'appliquaient ; d'où il suit que le moyen, qui en ses deuxième à cinquième branches n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen du pourvoi principal de la société Casino : - Attendu que la société Casino fait grief à l'arrêt de la condamner à payer certaines sommes au titre des heures de délégation et heures de délégation exceptionnelles alors, selon le moyen : 1°) que les gérants mandataires non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire ne peuvent pas bénéficier des dispositions légales relatives au SMIC, mais seulement de la " rémunération garantie " prévue par l'article L. 7322-3 alinéa 2 du Code du travail et déterminée par l'article 5 de l'accord collectif du 18 juillet 1963 concernant les gérants non-salariés des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés " gérants mandataires " ; qu'en accordant en l'espèce des sommes au titre des heures de délégation au prétexte qu'elles ne pouvaient pas être indemnisées sur la base d'un taux inférieur au SMIC, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 2°) que les dispositions légales relatives aux institutions représentatives du personnel ne sont applicables aux gérants mandataires non-salariés investis de l'un des mandats conventionnels prévus par l'article 36 de l'accord national du 18 juillet 1963 que sous réserve des aménagements expressément et limitativement prévus par cet accord ; que l'indemnisation des heures de délégation étant expressément prévue par cet accord de façon forfaitaire, elle s'applique à l'exclusion des dispositions légales ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Mais attendu qu'il résulte des articles L. 2251-1, L. 7322-1, L. 7322-3, L. 2143-17, L. 2315-3, L. 3232-1, L. 3232-3, D. 3231-5 et D. 3231-6 du Code du travail que le temps nécessaire à l'exercice des fonctions de représentant du personnel est de plein droit considéré comme du temps de travail et payé à l'échéance normale ; que ce représentant ne doit subir aucune perte de rémunération du fait de l'exercice de sa mission ; que si les accords collectifs peuvent déterminer la rémunération minimum garantie des gérants non salariés des succursales de commerce de détail alimentaire compte tenu de l'importance de la succursale et des modalités d'exploitation de celle-ci, il demeure qu'en application de l'article L. 7322-3 du Code du travail, la rémunération convenue ne peut jamais être inférieure au SMIC ; qu'en conséquence, lorsque le représentant est payé en tout ou en partie par des commissions, la somme qui lui est allouée pendant une période où du fait de ses fonctions il ne peut travailler, doit être calculée d'après son salaire réel et être au moins égale au SMIC ;
Attendu qu'ayant constaté que les dispositions de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 prévoyant l'indemnisation forfaitaire du gérant non salarié conduisait à lui verser une somme inférieure au montant du SMIC, la cour d'appel en a exactement déduit que ce dernier devait percevoir un rappel à ce titre ; d'où il suit que le moyen, qui en sa seconde branche n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal de la société Casino : - Vu les articles 4, 5, 7 de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 concernant les gérants non salariés des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés " gérants mandataires " du 18 juillet 1963, étendu par arrêté du 25 avril 1985 ; - Attendu selon le premier article de ces textes que les gérances sont réparties en deux catégories, les gérances d'appoint et les gérances normales, que la seconde est assurée par deux gérants mandataires non salariés au minimum et fait l'objet d'un contrat de cogérance, que selon le deuxième article les sociétés garantissent à leurs gérants mandataires non salariés une commission mensuelle minimum, tant pour la gérance d'appoint que pour la gérance normale, qu'à compter du 1er janvier 2015, les minima garantis sont les suivants gérance 1re catégorie : 1 635 euros par mois, gérance 2e catégorie : 2 380 euros par mois ;
Attendu que pour condamner la société Casino à verser à Mme Coeuru une certaine somme à titre de rappels de commissions supplémentaires mensuelles pour la période de janvier 2008 à février 2016 outre congés payés afférents, et à M. Coeuru un rappel de congés payés à ce titre, l'arrêt, après avoir constaté que chacun des gérants réclamait l'allocation de la somme minimale garantie par l'accord collectif pour une gérance unique, retient que les dispositions du Code du travail applicables aux salariés doivent trouver application en ce qui concerne la rémunération revenant individuellement à chacun des cogérants de sorte qu'il convient de dire que la rémunération devant être garantie à chacun est la rémunération conventionnelle, que toutefois, cette rémunération conventionnelle ayant été perçue par les cogérants depuis 2008, il ne peut être fait droit à la demande formée devant la cour revenant à servir cette rémunération conventionnelle à nouveau à chacun des cogérants, de sorte qu'il convient de la fixer à la somme de 102 767 euros outre congés payés afférents, de dire qu'elle devra être payée à Mme Coeuru à titre de rappels de commissions, tout en allouant à M. Coeuru au nom duquel les bulletins de commissions versées étaient émis, la somme de 10 263 euros au titre des congés payés sur les commissions perçues sur la base du minimum conventionnel ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas de gérance normale, le montant de la rémunération garantie s'entend de la rémunération garantie non à chacun des cogérants mais à l'ensemble des cogérants, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Distribution Casino France à verser à Mme Lechenault épouse Coeuru la somme de 102 767 euros bruts au titre des rappels de commissions sur la base du minimum conventionnel pour la période de janvier 2008 à février 2016 outre 10 277 euros bruts au titre des congés payés afférents et à M. Coeuru la somme de 10 263 euros au titre des congés payés afférents aux commissions perçues, l'arrêt rendu le 16 décembre 2016, entre les parties, par la Cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Grenoble.