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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 2, 18 octobre 2018, n° 17-05440

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SMA (SA), Sibanord (SAS)

Défendeur :

Leclercq Matériaux (SAS), Wienerberger (SAS), Aig Europe Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bonnemaison

Conseillers :

Mme Tuffreau, M. le Pouliquen

Avocats :

Mes Carlier, Bodereau, Chaillet, Lagarde, Franchi, Lampin

T. com. Lille Métropole, du 3 mai 2017

3 mai 2017

Par jugement du 3 mai 2017, le Tribunal de commerce de Lille a :

- dit irrecevable l'action intentée par les sociétés SMA et Sibanord en raison de la prescription de la garantie des vices cachés,

- les a déboutées de l'ensemble de leurs demandes,

- débouté la société Leclercq matériaux de sa demande reconventionnelle en raison de la prescription de droit commun,

- condamné les sociétés SMA et Sibanord à payer in solidum à la société Leclercq Matériaux la somme de 3 500 euros de en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que la somme de 2 500 euros sur les mêmes fondements aux sociétés Wienerberger et Aig,

- condamné les sociétés SMA et Sibanord à supporter in solidum les frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 166,84 euros (en ce qui concerne les frais de greffe),

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes, plus amples ou contraires.

La SMA a interjeté appel de la décision le 31 août 2017.

Aux termes de leurs conclusions reçues le 28 février 2018, la SMA et la SAS Sibanord demandent à la cour de :

- Dire et juger nul le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 3 mai 2017.

- Subsidiairement l'infirmer.

- Dire et juger recevables et bien fondées la SMA SA et la SAS Sibanord en leurs action et demandes à l'encontre de la SAS Leclercq Matériaux, la SAS Wienerberger et la compagnie Aig Europe Limited.

- Débouter la société Leclercq Matériaux de son appel incident émis à l'encontre de Sibanord, à raison de la prescription et du défaut de fondement de sa demande.

- Condamner les sociétés Leclercq Matériaux et Wienerberger, et la compagnie Aig Europe Limited in solidum ou l'une à défaut des autres à payer :

- à la SMA SA, la somme de 138 388,48 euros avec intérêts judiciaires au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- à la SAS Sibanord, la somme de 15 376,50 euros correspondant au montant de la franchise demeurée à charge, avec intérêts judiciaires au taux légal à compter de la décision à intervenir.

- Débouter la SAS Leclercq Matériaux, la SAS Wienerberger et la compagnie Aig Europe Limited de toutes leurs demandes fins et conclusions plus amples ou contraires.

- Les condamner également in solidum ou les unes à défaut des autres à payer à chacune des concluantes, la SMA SA et la SAS Sibanord, la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de Me Isabelle Carlier, avocat postulant, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe par voie électronique le 09 avril 2018, la SAS Leclercq Matériaux demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action intentée par la SMA irrecevable en raison de sa prescription,

Subsidiairement,

- dire et juger l'action intentée par les sociétés Sibanord et SMA irrecevable en raison de la prescription de la garantie des vices cachés,

- dire et juger que la preuve de l'imputabilité des désordres aux briques n'est pas rapportée

En conséquence,

- débouter les sociétés Sibanord et SMA de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

Très subsidiairement,

- condamner solidairement la société Wienerberger et son assureur la compagnie Aig Europe Limited à garantir intégralement la société Leclercq Matériaux des condamnations qui pourraient éventuellement être prononcées à son encontre.

En tout état de cause,

- Réformer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Leclercq Matériaux de sa demande de paiement du solde d'une facture du mois de novembre 2014,

Statuant de nouveau,

- Condamner la société Sibanord à verser à la société Leclercq Matériaux la somme de 15 376, 50 euros outre les intérêts aux taux légal sur cette somme à compter du 4 décembre 2014 et leur capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

- Condamner in solidum les sociétés Sibanord et SMA ou toute autre partie succombante à verser à la société Leclercq Matériaux la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner in solidum les sociétés Sibanord et SMA ou toute autre partie succombante aux entiers frais et dépens de l'instance,

- débouter toute partie à la présente procédure de toutes conclusions, fins et prétentions contraires aux présentes.

Dans leurs conclusions récapitulatives reçues au greffe par voir électronique le 30 avril 2018, les sociétés Aig et Wienerberger demandent à la cour de :

- Rejeter la demande de nullité du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lille le 3 mai 2017

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lille le 3 mai 2017 en ce qu'il a déclaré l'action intentée par les sociétés SMA et Sibanord irrecevable en raison de la prescription de la garantie des vices cachés

- Subsidiairement, dire et juger que l'action intentée par les sociétés Sibanord et SMA est irrecevable en raison de la prescription de la garantie des vices cachés et de l'absence de justification de leurs intérêt et qualité à agir.

- A titre très subsidiaire, dire que le lien entre les briques litigieuses et la société Bar au droit de laquelle vient la société Wienerberger n'est pas établi

- A titre infiniment subsidiaire, dire que le rapport non contradictoire du cabinet Ginger Cebtp n'est pas, en lui même suffisant pour caractériser l'existence d'un vice caché dont la preuve incombe aux demandeurs

- En conséquence, débouter les sociétés SMA et Sibanord d'une part et la société Leclercq Matériaux, d'autre part, de l'intégralité des demandes formées à l'encontre de la société Wienerberger et Aig Europe Limited.

- Les condamner in solidum, ou l'un à défaut de l'autre au versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance tant de première instance que d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 juillet 2018 et les débats le 17 septembre 2018

Sur ce :

Il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties au jugement déféré dont il résulte essentiellement que :

- au cours de l'année 2000, la société Val Hainaut Habitat (le maître de l'ouvrage) a fait édifier à Roeux un ensemble de 16 logements individuels,

- la société Sagena, devenue SMA, était l'assureur dommages ouvrage de cette opération,

- le lot gros œuvre a été confié à la société Sibanord (ci-après désignée l'entreprise), assurée auprès de la société Sagebat (aujourd'hui SMA) qui a fait l'acquisition auprès de la société Leclercq Matériaux (le vendeur) de briques fabriquées par la société Wienerberger (le fabricant),

- ensuite de l'apparition de désordres affectant les briques des murs extérieurs, une expertise amiable diligentée par le cabinet Saretec a mis en évidence un défaut de fabrication de ces briques provoquant leur dégradation progressive par feuilletage,

- ayant indemnisé le maître de l'ouvrage à hauteur de 153 764,98 euros, à raison de 138 388,48 euros (SMA) et 15 376,50 euros (Sibanord), les sociétés Sibanord et SMA ont, le 21 juillet 2015, assigné aux fins d'indemnisation sur le fondement de l'article 1645 du Code civil la société Leclercq Matériaux qui a elle même appelé en garantie le 7 septembre 2015, le fabricant et son assureur, la société Aig Europe Limited (ci-après Aig)

Sur la nullité du jugement :

La SMA et la SAS Sibanord plaident la nullité du jugement reprochant au tribunal de n'avoir pas répondu au moyen tiré de l'autonomie leur action indemnitaire, d'avoir soulevé d'office le moyen tiré de la prescription de l'article L. 110-4 du Code de commerce sans recueillir les observations des parties et d'avoir fait une fausse application des dispositions de ce dernier s'agissant du point de départ de la prescription.

Les intimées objectent que la violation du principe du contradictoire, à supposer établie (ce qu'elles contestent), n'est pas susceptible d'entraîner la nullité du jugement, l'argumentation du premier juge relative au point de départ de la prescription touchant au fond du droit.

La cour rappelle que devant le tribunal a été largement débattue (y compris par diverses notes en délibéré) la question de la recevabilité de l'action des sociétés SMA et Sibanord lesquelles prétendaient exercer, non pas une action rédhibitoire ou estimatoire, mais une action autonome en réparation du préjudice causé par les vices cachés affectant les briques litigieuses, comme telle assujettie à la prescription quinquennale de droit commun (article 2224 du Code civil) dont elles situaient le point de départ à la découverte des vices soit le 18 avril 2011, date du rapport du laboratoire consulté par Saretec, et non à celle de l'article 1648 du Code civil.

Le vendeur comme le fabricant et son assureur objectaient que cette action en tant qu'elle découlait de l'existence de vices cachés était soumise au bref délai de l'article 1648 du Code civil dont la société Leclercq Matériaux situait le point de départ au 10 décembre 2010 date du rapport Saretec.

Considérant que l'action des sociétés SMA et Sibanord devait être exercée dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005, ce bref délai ne pouvant, d'après le tribunal "excéder une année" selon une jurisprudence établie, et avant l'expiration du délai de droit commun de dix ans prévu à l'article L. 110-4 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure au 17 juin 2008, le tribunal a dit que l'action était prescrite à compter du 28 octobre 2012 dès lors que la réception des travaux faisant courir le délai de droit commun était intervenue le 28 octobre 2002 et que la découverte des vices datait du 18 avril 2011 date du rapport du laboratoire X.

Le tribunal, dont la décision était motivée, s'est donc fondé tout à la fois sur la prescription de l'article 1648 du Code civil invoquée par les intimées et sur la prescription de droit commun revendiquée par les appelantes qu'il a toutefois estimée de dix ans (lorsque les appelantes l'affirmaient quinquennale), moyens qui étaient dans le débat et n'imposaient donc pas de réouverture des débats, la critique relative au point de départ de ces prescriptions, qui touche au fond du droit, n'étant pas de nature à entraîner la nullité du jugement.

Le moyen sera rejeté.

Sur la prescription

Les appelantes invoquent à nouveau en cause d'appel le moyen tiré du caractère autonome de leur action en réparation, fondée sur l'article 1145 du Code civil, dont la recevabilité n'est pas subordonnée à l'exercice d'une action rédhibitoire ou estimatoire et qui est assujettie à prescription de droit commun de l'article 2224 du Code civil dont elles situent le point de départ au 18 avril 2011 (rapport X) voire au 30 avril 2013 (date du recours Crac) en sorte que l'action initiée le 21 juillet 2015 est recevable.

La société Leclercq Matériaux, en cela soutenue par les sociétés Wienerberger et Aig, maintient que l'existence d'un vice caché fait obstacle à l'exercice d'une action en responsabilité contractuelle de droit commun, l'action indemnitaire de l'acquéreur étant soumise au régime de la garantie des vices cachés qui imposait, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 17 février 2005, l'exercice de l'action à bref délai à compter de la découverte du vice.

Elle ajoute que l'article L. 110-4 du Code de commerce n'a pas vocation à s'appliquer dès lors qu'il réserve l'hypothèse de prescriptions spéciales plus courtes.

Elle rappelle que dès 2008-2009, l'entreprise a fait l'objet de réclamations de la part du maître de l'ouvrage, qu'une expertise diligentée en novembre 2010 au contradictoire de Sibanord a mis en évidence la présence de souffre d'une origine inconnue dans les briques et que même à supposer le rapport de X du 18 avril 2011 constitutif du point de départ de la prescription, celle ci était acquise au jour de l'assignation.

Les pièces communiquées établissent que les désordres affectant les briques des pavillons du lotissement édifié à l'initiative de la société Val Hainaut Habitat, consistant en un phénomène évolutif de feuilletage et de fissuration des briques provoquant à terme la chute de matériaux, sont apparus dès 2003 (cf le rapport préliminaire dommages ouvrage Saretec du 18 novembre 2010), ont atteint 4 pavillons en 2008, puis 7 en 2009, conduisant Saretec à faire procéder durant l'été 2009 à un prélèvement pour le faire analyser par un laboratoire spécialisé X qui observait une présence de souffre d'origine inconnue.

De nouveaux prélèvements étaient opérés et un rapport du laboratoire X du 18 avril 2011 confirmait que ce processus de dégradation des briques était lié à leur composition chimique, notamment la présence de souffre et de fer d'origine inconnue pouvant provenir des matériaux utilisés.

C'est au visa de ces vices cachés avérés que l'entreprise et son assureur, exposant avoir indemnisé le maître de l'ouvrage des conséquences de ces désordres, ont assigné aux fins d'indemnisation sur le fondement de l'article 1645 du Code civil le vendeur (Leclercq Matériaux) dont nul ne conteste qu'en tant que professionnel il était supposé connaître les vices affectant les briques vendues et se trouve donc tenu à tous dommages et intérêts conformément au texte sus visé.

Les sociétés SMA et Sibanord font à juste titre valoir qu'elles étaient en droit d'exercer une action indemnitaire indépendamment de toute action rédhibitoire ou estimatoire.

Néanmoins, leur action en tant qu'elle se fondait sur l'existence de vices cachés, n'en restait pas moins soumise aux dispositions des articles 1641, 1645 et 1648 du Code civil (Cass. 1re civ., 04/10/2017) imposant notamment que l'action soit exercée à bref délai selon l'article 1648 dans sa version applicable.

Dans la mesure où l'hypothèse d'un vice de fabrication des briques, émise dès novembre 2010 par Saretec (mais contestée par le fabricant), a été retenue de façon catégorique par Saretec dans son rapport du 14 décembre 2010 puis confirmée par les conclusions du laboratoire X du 18 avril 2011, c'est au plus tard à cette date qu'a commencé à courir la prescription de leur action.

La cour en déduit, comme le tribunal, que l'action intentée par l'entreprise et son assureur le 21 juillet 2015 contre le vendeur était irrecevable comme étant tardive.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de la société Leclercq Matériaux

La société Leclercq matériaux fait grief au tribunal d'avoir déclaré prescrite, au visa de l'article L. 110-4 du Code de commerce, sa demande reconventionnelle en paiement de factures pour quelques 15 376,50 euros au motif que celles-ci avaient été émises entre mai et août 2000 alors qu'il s'agit en réalité de livraisons et de factures datant de novembre 2014.

La société Sibanord se défend de tout achat en 2014 et maintient que la réclamation de Leclercq Matériaux porte sur les briques acquises en 2000.

La cour constate, comme le tribunal, qu'au soutien de sa réclamation, la société Leclercq Matériaux produit quelques 17 factures, pour bon nombre d'entre elles illisibles, portant sur des achats de briques et matériaux divers réalisés par Sibanord entre mai 2000 et janvier 2001.

Il n'est donc justifié d'aucun achat en 2014 par par Sibanord de matériaux destinés au chantier de Roeux, ce qui serait au demeurant incompatible avec la réception, en octobre 2002, du lot gros œuvre du lotissement de la société Val Hainaut Habitat.

L'argumentation confuse de la société Leclercq Matériaux et les pièces qu'elle communique en appel laissent entendre que Sibanord aurait opposé à sa réclamation concernant des matériaux vendus en 2014 sa propre créance issue de l'indemnisation de la société Val Hainaut Habitat à hauteur de la franchise restée à sa charge ensuite de l'indemnisation du maître de l'ouvrage par SMA. Si tel est le cas, ce litige est étranger à l'action en garantie dont est saisie la cour.

Enfin, à supposer que la réclamation de Leclercq Matériaux porte sur les factures du chantier de Roeux (dont la dernière est de janvier 2001), la cour constate que la demande en paiement a été formulée pour la première fois devant le tribunal par le biais de conclusions récapitulatives du 22 février 2016.

Le tribunal en a, à bon droit, déduit qu'elle était prescrite.

Le jugement sera également confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des sociétés intimées suivant modalités prévues au dispositif.

Succombant dans toutes leurs prétentions, les sociétés SMA et Sibanord seront condamnées aux dépens.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel, Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés SMA et Sibanord à verser : - à la société Leclercq Matériaux une indemnité de procédure de 3 000 euros - aux sociétés Wienerberger et Aig Europe Limited ensemble une indemnité de procédure de 3 000 euros. Condamne in solidum les sociétés Sibanord et SMA aux dépens.