CA Grenoble, 1re ch. civ., 16 octobre 2018, n° 13-00062
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Viessmann France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Combes
Conseillers :
Mmes Jacob, Blatry
Avocats :
Mes Liber Magnan, Jacquot, Laurendon
Faits, procédure et moyens des parties
En 2007, Monsieur Brice L., artisan plombier chauffagiste, a conçu et installé au domicile des époux A.P. un système de chauffage solaire avec production d'eau chaude sanitaire comprenant, notamment, un capteur solaire VITOSOL 200- T de la marque Viessmann.
Ensuite de pannes répétitives, les époux P., après expertise judiciaire, ont obtenu, suivant jugement du 18 juillet 2013 rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble et confirmé par arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 1er mars 2016, la condamnation de Monsieur L. à leur payer la somme de 11 792,51 euro.
Par procédure distincte et suivant exploit d'huissier du 2 janvier 2013, Monsieur L. a fait citer, devant le tribunal de grande instance de Grenoble, la société Viessmann en condamnation à lui payer diverses sommes au titre d'un manquement à son obligation de conseil.
Par jugement du 2 juin 2016 rectifié par décision du 7 juillet 2016, cette juridiction a débouté Monsieur L. de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamné à payer à société Viessmann une indemnité de procédure de 1 500,00 euro et à supporter les dépens de l'instance.
Suivant déclaration du 19 septembre 2016, Monsieur L. a relevé appel de la décision.
Par conclusions récapitulatives en date du 15 juin 2018, Monsieur L. demande de condamner la société Viessmann à :
- lui payer la somme de 11 781,20 euro en réparation du préjudice subi,
- le relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 20.713,59 euro au profit des époux P.,
- lui payer une indemnité de procédure de 5 000,00 euro.
Il fait valoir que :
- la société Viessmann lui a fourni un équipement dont les spécificités contre indiquaient une
utilisation normale,
- la société Viessmann commercialise un équipement, qui présente des défauts, le rendant impropre à son usage,
- la société Viessmann aurait dû l'informer clairement de l'existence de ce dysfonctionnement et du fait qu'il était nécessaire de prévoir un système destiné à éviter l'augmentation de la température du fluide caloporteur à l'intérieur des capteurs en période de non demande d'eau chaude sanitaire,
- il a rédigé de multiples demandes de mise en service auprès de la société Viessmann, ce qui démontre qu'il n'avait pas conscience des problématiques qui se présentaient à lui,
- en tout état de cause, la notice 5/2005 était des plus laconique,
- ces explications ne pouvaient pas lui permettre d'imaginer qu'on lui fournissait un équipement conforme aux attentes de ses clients qui s'absentaient en été et d'imaginer un système palliatif,
- la société Viessmann s'est bien gardée de lui expliquer qu'il existait d'autres fluides caloporteurs qui toléraient les hautes températures qui peuvent être rencontrées à titre habituel au sein de ses systèmes,
- le fluide caloporteur fourni par la société Viessmann est défectueux ,
- désormais, la société Viessmann commercialise des systèmes dans lesquels le principe du fluide caloporteur a été remplacé par le système Caloduc,
- il n'encourt aucun grief sur la mise en œuvre du dispositif alors que les problèmes rencontrés résultent uniquement des défauts de conception du produit de la société Viessmann.
Au dernier état de ses écritures en date du 8 février 2017, la société Viessmann de :
1) à titre liminaire, déclarer Monsieur L., irrecevable en ses demandes pour défaut d'intérêt à agir,
2) à titre principal, confirmer le jugement déféré,
3) en tout état de cause, condamner Monsieur L. à lui payer une indemnité de procédure de 5 000,00.
Elle expose que :
- Monsieur L. ne justifie pas des condamnations prononcées à son encontre et est donc dépourvu d'intérêt à agir,
- la conception de l'installation ne concerne pas le choix des divers élément du système,
- l'expert expose clairement que l'installation ne correspond pas à l'usage qui en est fait ,
- la conception de l'installation relève uniquement de l'installateur et non du fournisseur,
- l'expert impute l'erreur de conception à Monsieur L.,
- Monsieur L., professionnel, n'a pas évalué correctement la consommation et les besoins en eau chaude des époux P.,
- le matériel qu'elle a fourni est exempt de défaut, notamment au titre du fluide caloporteur,
- aucun vice n'a été relevé dans le cadre de l'expertise,
- la contrainte de fonctionnement est décrite dans la notice,
- les installations, qui fonctionnent avec du Caloduc, présentent les mêmes contraintes de fonctionnement,
- à l'égard de l'acheteur professionnel, l'obligation d'information du fabricant n'existe que dans la mesure où la compétence de cet acheteur ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens qui lui sont livrés,
- en tout état de cause, l'obligation d'information du fabricant n'exclut pas celle de l'installateur de s'informer sur les besoins exacts des clients et d'adapter l'installation existante aux caractéristiques du matériel livré,
- la notice qu'elle fournit contient plus de 50 pages de préconisations.
La clôture de la procédure est intervenue le 3 juillet 2018.
La société Viessmann a notifié des écritures le 6 septembre 2018 et sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture.
Sur ce
En l'absence de démonstration, par la société Viessmann, d'une cause grave au sens de l'article 784 du Code de procédure civile, il convient de rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et ses écritures du 6 décembre 2018.
1/ sur les demandes de Monsieur L.
Monsieur L., qui verse aux débats les décisions l'ayant condamné à paiement au profit des époux P., un commandement de payer et une saisie attribution, démontre parfaitement son intérêt à agir et doit être déclaré recevable en ses demandes.
L'expert expose que :
- faute de soutirage d'eau chaude sanitaire (ECS) en été, du fait de l'absence des époux P., la température du capteur augmente et la pompe du circuit solaire est arrêtée pour éviter une surcharge thermique,
- cet arrêt provoque la vaporisation du fluide contenu dans le capteur,
- la vapeur se répand dans la tuyauterie de l'installation jusqu'à ce que les pertes thermiques qu'elle subit engendrent la dégradation du caloporteur et la création d'une substance obstruant le circuit hydraulique,
- l'installation est conforme aux règles de l'art et aux préconisations du fabricant,
- l'installation ne répond pas à l'usage qui en est fait , en raison de sa conception ne prévoyant pas un système destiné à éviter l'augmentation anormale de température du fluide caloporteur à l'intérieur des capteurs en période de non demande d'ECS.
L'expert n'a pas retenu que le fluide caloporteur était défectueux et Monsieur L., qui ne poursuit pas le fabricant au titre des produits défectueux , ne le démontre nullement.
Monsieur L. est un professionnel de même spécialité que le fabricant.
Si ce dernier est tenu de délivrer toutes informations relatives au produit qu'il commercialise, ce que la société Viessmann démontre en versant une notice concernant les capteurs solaires comprenant 64 pages d'explications, il appartient à l'installateur de consulter la dite notice et s'il ne l'a pas reçue, comme le prétend Monsieur L., de l'obtenir.
Il est précisé en page 30 les conséquences d'une exposition à des températures supérieures à 170° sur la désintégration thermique.
En outre, il n'a pas été contesté que Monsieur L. a suivi une formation organisée par le fabricant Viessmann, ainsi que l'a retenu le tribunal.
En réalité, le problème provient non d'un défaut d'information ou d'un vice du produit, mais d'une non adaptation de l'installation aux besoins des époux P..
La définition des besoins des usagers est de la responsabilité du plombier chauffagiste, qui doit concevoir une installation correspondant à ces besoins, à savoir, celle de deux personnes retraitées susceptibles de s'absenter en période estivale.
En l'espèce, Monsieur L., professionnel tenu de connaître le fonctionnement de l'installation qu'il préconise, n'a pas pris en compte la puissance de production de vapeur du capteur et n'a pas installé un système correspondant à l'usage que pouvaient en faire Monsieur et Madame P..
En l'absence de démonstration d'une faute de la société Viessmann, c'est à bon droit que Monsieur L. a été débouté de ses demandes.
2/ sur les mesures accessoires
La cour estime devoir faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au seul bénéfice de la société Viessmann.
Monsieur L., succombant, sera condamné aux dépens de la procédure d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et les écritures de la société Viessmann notifiées le 6 septembre 2018, Déclare Monsieur Brice L. recevable en ses demandes, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant: Condamne Monsieur Brice L. à payer à la société Viessmann la somme supplémentaire de 2 000,00 par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Monsieur Brice L. aux dépens de la procédure d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.